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  • L'Enfant Lumière (XXXII)

    Guerre

     

     

     

     

                                           XXXII

                                      LA GUERRE

     

     

        La domination s'ennuyait! Elle avait fait le vide autour d'elle! Elle était seule dans son château et celui-ci était bien isolé, à la limites de terres froides et arides! Plus à l'est, il n'y avait que de grandes forêts impénétrables ou la steppe gelée à perte de vue! C'était la vie sauvage!

        A l'ouest par contre, la civilisation avec ses richesse battait son plein! Là était la lumière, le devant de la scène, la gloire! Là était le centre du monde, la fin du sentiment d'être à l'écart! Là était la chaleur, le firmament, le rêve, le remède face à l'angoisse! Là semblait être la solution, le sens de la vie, l'accomplissement!

        La domination pourtant était responsable de son isolement! Elle avait mis en prison tous ses opposants! Elle avait même cherché à les assassiner! Car elle seule devait triompher!  N'était-elle pas la domination? Elle faisait peur au peuple, qui n'osait plus manifester son mécontentement!

        Le pauvre qui tendait la main n'intéressait pas la domination! Quelle grandeur il y avait à se pencher sur le petit, le faible, le blessé? Quel bonheur il y avait à penser aux autres? Quelle ivresse à les respecter? La domination aimait par-dessus tout la force, la main de fer! Là était sa façon, son domaine, son chant!

        La domination n'eut plus bientôt personne à vaincre et l'ouest revint dans ses mirages! Elle se ferait craindre du monde entier! Son nom serait sur toutes lèvres! On ne parlerait plus que d'elle! Enfiévrée, elle alla rejoindre son étalon préféré: le cheval de la guerre! Elle caressa le poli noir et brillant de ses flancs puissants! Le vent de la puissance la remplit tout entière!

        Peu importe les cris, les larmes, les morts, les viols, la détresse, la fuite!  L'ennui et son angoisse n'existaient plus! Le cheval de la guerre était prêt! Tout était prévu! Le plan avait été minutieusement étudié! Les failles des adversaires étaient connues! On saurait en profiter! On écraserait! On répandrait la terreur! On détruirait tout ce qui serait devant! Enfin, on se sentirait vivre!  

        Quel mépris la domination n'avait-elle pas essuyé dans sa solitude? Les autres l'avaient narguée, réprimandée même et elle avait souri! Elle avait fait le dos rond, pour se préparer, se venger! On allait voir de quel bois elle se chauffait! Elle ferait payer tous les affronts avec usure! Elle leur montrerait à tous combien ils étaient petits, lâches, insignifiants! A son tour de mépriser!

        Des agents, telles des taupes, avaient été chargés de miner le terrain, d'envenimer les querelles, d'exciter les haines! On trouva des pantins, on les habilla, les forma et ils se proclamèrent chefs, gagnés par l'ivresse de la domination! Ils rêvaient eux aussi! Ils se voyaient déjà grands et riches! Et ils n'étaient que des pions et des esclaves!

        Puis, des boîtes de serpents furent ouvertes, pour semer l'effroi et rendre fous! Partout, le poison faisait son effet! Les serpents racontaient que la domination était en réalité un ange, un défenseur, un innocent, une victime! Ils disaient que les barbares étaient les gens calmes, paisibles, que les démocraties étaient sournoises, que l'ordre et la loi n'étaient que fiel et mensonges!

        Et on croyait les serpents! On les fêtait même! Ils justifiaient la haine, lui donnaient à boire, l'exaltaient! Partout, la domination relevait ses sœurs! Les fous allaient chantant dans les rues, devant les fumées des bombardements! Ils étaient hypnotisés par les serpents, qui ne cessaient de siffler! Plus loin, la domination se dressait lentement de toute sa hauteur, comme une ombre gigantesque! Le cheval de la guerre trépignait!

        Et déjà l'angoisse serrait les cœurs! Et déjà les gens fuyaient! Et les enfants pleuraient, ne comprenant rien! O le visage perdu, inquiet des femmes! Mais qu'importait! La domination voulait son ivresse! Elle attendait depuis si longtemps! Elle avait tellement joué les gentils et les souris! Et à quoi cela avait-il servi? On l'avait muselée davantage! Elle se voyait contrainte, humiliée pour l'éternité! Vive l'acier du glaive, la force, le pouvoir!

        Les Pierres étaient pourtant atterrées! Le soleil parfois brillait, mais quelle saveur maintenant pouvait-il avoir? La domination n'avait-elle pas raison, puisqu'elle s'imposait? Le monde n'appartenait-il pas au plus fort, n'était-il pas dépourvu de sens? Ne fallait-il pas penser qu'à soi? Malheur aux faibles! Ils étaient condamnés à disparaître! Ainsi la domination murmurait dans le cœur de chacun, qui sentait le froid du chaos!

        La domination, elle, rigolait: elle ne s'ennuyait plus! Elle racontait à qui voulait l'entendre qu'elle n'avait pas eu le choix, que c'était elle la victime, qu'elle avait agi par sagesse! Jamais elle ne veut se voir! Elle n'aime pas la Lumière! Elle n'a pas de haine! Ni même d'amour-propre! Elle n'a que des devoirs, des responsabilités! Ce sont les autres qui sont avides! menteurs! La domination n'aime pas la Lumière! Elle n'a nul mépris, sous son pied de fer! Ce n'est que la nuit qu'elle rigole! On ne peut pas tout avoir!

        La domination doit se justifier à ses yeux! La paix, elle, n'a pas besoin de dominer! Pourquoi le ferait-elle, puisqu'elle est heureuse, qu'elle a confiance, qu'elle n'a pas peur? La paix est enchantement, elle se suffit à elle-même! Sa joie, c'est l'existence de Dieu, nullement le pouvoir! Elle a confiance, c'est cela la foi! Pourquoi voudrait-elle commander?

        La guerre, c'est une tragédie, mais ce n'est aussi que de la domination pure! Ce n'est que la domination de chacun à son plus haut degré, débarrassée des lois!

        La paix s'enchante du monde! Elle est utile! Elle donne un sourire, malgré la haine! de l'espoir malgré le malheur! La paix, c'est de la force, car la foi, c'est l'absence de peur! Celui qui a confiance n'a pas peur et reste disponible! C'est la peur qui fatigue, qui use, qui conduit à la domination!

        A priori, la guerre, c'est elle la force! Le vainqueur se sent supérieur, il triomphe, mais il a provoqué la haine, qui ne rêve que de le détruire! Où est la tranquillité de la domination! Où est son bien? Dominer, pour ne plus avoir peur, c'est régner sur des esclaves, qui ne rêvent que de renverser leur oppresseur! La domination, comme la guerre, sont sans fin!

        La guerre, c'est le trouble! Celui qui croit se tient droit: que craindrait-il? Il n'est pas soumis, il est libre, car Dieu est amour! Pourquoi se troublerait-il? Il est de la rosée pour ceux qui souffrent! Il reste une lumière dans la nuit, un sujet d'étonnement! Il a la vérité, pourquoi la craindrait-il? Il est comme un lac qui mire les montagnes!

        La violence détruit, mais elle naît de nos peurs, de nos haines, de nos dominations, de nos lâchetés! Celui qui croit apprend la confiance, l'amour, la patience et il n'a plus peur, de rien! Que sa joie éclate, crève, car rien ne peut la tuer, pas même la mort! Que sa joie, éclate, perce, car il n'existe pas de limites qui pourraient l'enfermer! Dieu a-t-il des limites?

        Que celui qui aime chante! malgré la guerre! Car si la violence détruit, elle n'est pas victorieuse! Dieu est par-delà la mort et la foi ne peut mourir! La vérité rayonne éternellement et la domination s'accroche à un pieu savonné!

        Que celui qui aime se réjouisse! Il est un lac qui mire les montagnes! Il donne à boire! Il reste une lumière dans la nuit!

  • L'Enfant Lumière (XXXI)

    Haine

     

     

     

     

                                                 XXXI

                                             LA HAINE

     

     

        Qui dira la folie de RAM? Qui dira la folie des Pierres? La bulle dominatrice est aveugle et ne veut qu'elle! Elle ne cherche qu'à s'imposer, pour ne pas voir son néant! Les Pierres enrageaient, à cause de la pauvreté de l'hiver! Le froid, le gris qui régnaient, étaient comme une mer vide pour la domination! La haine se levait, faute de patience et elle crachait des flammes!

        Dans RAM, les Pierres voulaient détruire et couraient à l'assaut! C'était un véritable champ de bataille, où on s'égorgeait joyeusement, comme "au bon vieux temps"! Certains y devenaient fous, jouaient les paons, ne pensaient qu'à eux! C'était la haine qui les conduisait! Il y avait de la misère, de la peur, des enfants écrasés, la mort menaçait, mais peu importe! La haine ferme le cœur et les yeux!

        Si la domination n'est pas anéantie, abattue, la haine reste souveraine! On peut dire que la haine est le chien de la domination! Dès que celle-ci est menacée, celui-ci aboie, montre les dents et attaque! La haine protège la domination! Plus  elle est vive et plus la domination est assoiffée, en quête de nourriture, de respect, de reconnaissance! Mais peut-on apaiser la faim de certains? L'attention que l'on donnait à des Pierres semblait se perdre, tels des grains de poussière, dans un abîme de nuit!

        L'enfant Lumière connaissait le temps! Il n'était pas enfermé dans la bulle dominatrice! Il connaissait le cheval de la haine, car comment aurait-il pu l'ignorer? N'était-il pas lui-même issu des Pierres? Il connaissait la puissance de la haine, mais justement il n'en voulait pas! L'enfant Lumière savait attendre et il ne s'alarmait pas de l'hiver! Il avait confiance! Il savait que tôt ou tard viendrait sa nourriture! Le cheval de la haine ne l'impressionnait pas, car la domination ne mène nulle part! C'est une impasse, une roue pour hamsters! 

        L'enfant n'avait pas besoin de dominer, car il n'était pas inquiet! Ceux qui vivent avec de la haine ne sont pas heureux! Ils ne regardent plus le monde, ils ne s'enchantent plus, ils ne goûtent plus les plaisirs essentiels: avoir à manger, être au chaud, voir le soleil, admirer la force du vent, la courses des nuages! La haine accapare en entier l'esprit, le rend esclave, ne lui permet plus de se détendre, d'être créatif, de se renouveler!

        La haine fausse le jugement!

        Heureux celui qui aime! Heureux son éternel printemps! Heureux celui qui croit, il rira de la haine! Heureux celui qui comprend et qui pardonne, car celui-là est riche! Heureux celui qui est patient et qui aime, celui-là ne se perdra pas! Heureux celui qui quitte la bulle dominatrice, pour accueillir la Lumière!

        Heureux celui qui aime, car il vainc la mort! Heureux celui qui doute, car il saura peser! Heureux l'humble, car il saura donner! Heureux celui aime, car il n'aura pas peur... et il ne mordra pas!

        Les Pierres voulaient garder leurs illusions et donc leur mépris ou leur haine! C'est le "choix" de la bulle dominatrice! C'était la loi de RAM! Or, que dit la haine? Elle dit: "Regarde-moi! Je te suis supérieur! Moi seul existe! Ne suis-je pas fantastique!

        La haine est seule donc! Elle isole! Elle ne veut pas voir le monde autour! Elle dit: "Ici, c'est dur, c'est l'enfer! Il y a pleins d'ennemis, de problèmes!" Elle va à ses plaisirs, comme à l'échafaud! Elle a tout et elle n'est pas heureuse!

        La Lumière dit: "Regarde, je baigne toute chose! Tu es ici chez moi et donc je t'aime! Regarde, tu es au paradis! Pourquoi aurais-tu peur! Regarde comme je t'aime, comme vivre est bon! Regarde ma création infinie, donne-t-elle des bornes à ta joie?"

        Mais la haine dit: "Tout est sombre! La Lumière n'existe pas! Tout est dur!" et la bulle dominatrice s'étend! Et la haine lutte contre la Lumière!

         Heureux celui qui voit la Lumière! Il voit les limites de la haine, son impuissance, sa folie, sa misère, son piège! Heureux l'Enfant Lumière, doux est-il! Comment quitter la bulle dominatrice? Comment quitter la haine? C'est facile! Cela commence par la confiance... C'est cela l'amour... On donne, on parle, on confie, on avoue sa peur! On fait un premier pas!

        La Lumière n'est pas troublée... Elle est comme un lac de montagne et pourtant sa puissance est sans limites! Heureux celui qui apprend son temps, qui l'aime et a confiance en elle! Celui-là n'est pas perturbé par sa domination, car il possède un bien plus précieux! Qu'importe sa gloire, sa réussite, sa place, sa fortune! La domination est une chaîne et ne rend pas libre! 

        La Lumière a tout son temps et les choses s'effectuent! La Lumière n'est ni pressée, ni lente! Elle est en paix et donne la paix! Heureux celui qui est en elle et qui la connaît! La domination va par les rues, haineuse ou peureuse! Elle est prisonnière d'elle-même! Elle est son centre et veut être le centre! Elle est bientôt déçue, car personne n'est le centre, puisque tout le monde veut l'être! Alors la haine aboie et détruit!

        Ainsi étaient les Pierres dans RAM, jamais contentes! toujours à dénigrer, à trouver des coupables, à crier à la ruine, à la décadence, à la catastrophe! Et toujours des inquiétudes, un flot ininterrompu d'inquiétudes et donc de fatigues! Les Pierres vivaient en enfer et avaient tout! Comment auraient-elles pu être heureuses?

        La vanité était parmi elles! C'est une forme de la domination! Elle jugeait d'une manière péremptoire, avec hauteur et sous elle tout devenait noir, perdu, misérable, dangereux! Ainsi parlaient les Pierres éternellement! Car la domination ne mène nulle part! C'est un enfermement!

        La Lumière caresse le monde et murmure "Tu es au paradis et comme je t'aime!" Comment l'Enfant Lumière aurait-il pu être malheureux?

  • L'Enfant Lumière (XXX)

    Chaos

     

     

     

     

                                               XXX

                                          LE CHAOS

     

     

        L'enfant Dom regarda dans son smartphone et s'admira! Dans la rue, des voitures s'élevaient à la hauteur des yeux, comme si elles avaient voulu "happer" le paysage! Mais personne n'était content! Partout, il y avait des heurts, des cris, des révoltes, de la colère! Chaque jour, une profession "sortait de ses gonds", déversait sa rancœur, manifestait, saccageait, détruisait! Des "Antitout", par là dessus, sillonnaient le pays, comme s'il eût été le pire de tous!

        Mais avait-on faim? Etait-on malade? Avait-on des douleurs physiques insupportables? Une comète fonçait-elle sur la Terre et allait-elle la pulvériser, tout anéantir? Manquait-on de médicaments? N'avait-on pas les appareils pour examiner le corps, voir les maladies? Les soins n'étaient-ils pas remboursés? N'y avait-il pas de médecins?  

        Vivait-on dans la crasse, les détritus? Devait-on aller chercher de l'eau au puits? Devait-on faire du feu, pour cuisiner à midi? N'avait-on pas de chaises, de tables? N'y avait-il pas le choix entre deux mille fromages, cinq mille lampadaires, huit mille marques de lessives? Ne croulait-on pas sous le nombre de yaourts, de voitures, de scoots, de chaussures, de vêtements, de montres, de lunettes, de chocolats, de pharmacies, de banques, de boulangeries? 

        Habitait-on des huttes de boue séchée? Les routes étaient-elles pleines de trous? Ne pouvait-on pas tout acheter d'un simple clic? Ne pouvait-on pas se laver à volonté, sentir bon? Y avait-il des mines explosives dans la campagne? L'horizon était-il fermé par des barbelés? Souffrait-on du froid? Mourrait-on sous la botte de quelque bourreau? Ne pouvait-on pas lire, rêver, contester même? Etait-on emmené vers des camps, synonymes de l'enfer? N'avait-on pas tout en fin de compte?

        Mais le chaos triomphait! Même les chefs d'Etat perdaient la tête! On reparlait de guerre, comme si tous les morts des précédentes voulaient de la compagnie, comme s'ils n'existaient pas, comme si leurs milliers de petites croix blanches n'étaient pas suffisantes! Mais on n'en avait jamais assez, même du sang! Quel mal nous taraudait? Pourquoi n'étions-nous pas heureux? Nous n'étions pas assez payés, selon les uns! Pas assez de reconnaissance, selon les autres! Une maladie nous entraînait, nous accablait, et pourtant nous ne cherchions pas les vrais remèdes! Nous nous contentions de crier, ça, nous savions faire!

        La reine Beauté vit que le chaos jouait contre elle et son royaume et elle se décida à rendre visite aux Pierres, pour les aider, les soulager! Elle s'approcha d'abord d'une jeune Pierre, un grand garçon qui buvait sa bière sur le trottoir et qui la jeta vide dans une poubelle jaune, comme si celle-ci n'était pas privée! Mais la jeune Pierre semblait traîner tout le malheur du monde et vouloir défier la Terre entière!

        La reine Beauté dit: "Pourquoi parais-tu si abattu? Regarde la blancheur de ce goéland, n'est-elle pas immaculée? Et les nuages là-haut, ne sont-ils pas animés par un souffle puissant? Vois encore ces fleurs sur cet arbuste: leur rose n'est-il pas délicat? Sent leur parfum: n'est-il pas frais et enivrant? Et leurs branches, ne forment-elles pas un dédale des plus savants? Comme les oiseaux aiment leur ombre, qui les protège et leur permet la paix!

        _ Mais qu'est-ce que tu racontes?

        _ Ce que je raconte, c'est que si tu prenais un peu conscience de la beauté qui t'entoure, tu saurais alors combien tu es aimé et tu cesserais alors d'en vouloir à tout le monde ! Ta vie changerait du tout au tout! Tu n'aurais plus peur et...

        _ Mais je n'ai pas peur!

        _ Mais si tu as peur, quoique tu sois costaud! Et c'est d'ailleurs la peur qui te fait agressif et méprisant! Mais tu ne l'avoueras pas, à cause de ton orgueil!

        _ La vieille, tu me gonfles! J' vais rejoindre mes potes... On va prendre une bonne cuite et malheur à ceux qui n' fileront pas doux!

        _ Je ne suis pas vieille, bien au contraire! Je suis d'une force infinie, même pour le plus petit grain de matière! Je suis un torrent d'amour, mais tu es fermé! 

        _ On me hait, parce que je suis un étranger... Alors tes boniments!

        _ Ceux qui te haïssent sont comme toi! Ils ne me voient pas, ni ne veulent me voir! Ils vivent dans la crainte, le rejet! Ils se croient seuls et qu'ils ne doivent compter que sur eux-mêmes! Ils ne se libèrent pas!"

        Pour toute réponse, la jeune Pierre urina contre une maison, en rotant, et la reine Beauté s'en alla plus loin! Elle trouva bientôt des agriculteurs en colère, qui jetaient du beurre pris dans un supermarché! La reine Beauté s'adressa à eux:"Est-ce que je vous ai un jour trahis? L'épi ne pousse-t-il pas ses barbes, tels les rayons du soleil? Le pommier ne croute-t-il pas sous ses fruits? Le maïs ne se dresse-t-il pas fier? Le chou n'est-il plus pommé? La vache ne fait-elle plus son lait paisiblement? Les champs ne sont-ils plus gras sous la rosée?

        _ Hein? Mais la grande distribution est en train de nous gruger! On va pas y arriver! Qui nous donnera du pain pour demain?

        _ Mais moi! Ma générosité sans limites n'est-elle pas un gage de sécurité? Comment pourrais-je vous abandonner? Mais vous ne me regardez, ni ne m'aimez plus! C'est vous qui m'avez abandonnée! Où est mon rythme, ma sagesse dans vos travaux! Vous ne quittez plus vos tracteurs! Vous-mêmes êtes obsédés par le rendement et vous voilà dans la peur, la révolte!

        _ Eh! Oh! La fleur bleue! On vit dans un monde de requins! Pousses-toi de là, on va mettre le feu aux palettes!

        _ Si vous êtes autant en colère, ce n'est pas parce que vous avez faim! C'est bien parce que vous vous sentez méprisés, exploités! C'est votre ego, votre amour propre qui gémit et qui crie!"

        Mais personne ne répondit à la reine Beauté et elle partit! Elle fut bientôt en face d'infirmières qui manifestaient aussi et qui criaient: "Pas seulement des primes, mais du respect!" Là encore on était plein de violence et la souffrance était palpable! La reine Beauté les arrêta et leur tint ce discours: "Vous demandez du respect, mais où y en a-t-il plus que dans les yeux du malade? Ne vous est-il pas reconnaissant de vos soins?  Ne montre-t-il pas combien il est soulagé? N'est-il pas plein de gratitude, quand vous le rassurez? Quel est donc ce respect qui vous manque?

        _ Nous travaillons comme des chiens, jusqu'à plus d'heures! Nos moyens sont dérisoires! Nous avons l'impression qu'on se moque de nous! Personne ne s'intéresse à nos problèmes?

        _ Comment? Je vous ai parlé des yeux du malade, mais ne suis-je pas la fraîcheur qui entre par la fenêtre, la lumière qui réchauffe la chambre? Ne suis-je pas le drap immaculé, le silence de vos chaussons? Ne suis-je pas la peau bronzée sous la blouse, l'œil bleu sous le cil? Ne suis-je pas l'odeur des cuisines, l'ombre apaisante des couloirs, l'arbre du parking, le nuage brillant ? Ne suis-je pas le regard complice parmi vous, votre sourire, vos cheveux parfumés, aux mille couleurs?

        _ Personne ne nous aime? Nous sommes des laissées pour compte! 

        _ Mais vous ne me regardez plus! Vous m'ignorez! Vous êtes en furie, car c'est votre égoïsme qui souffre! Venez à moi et vous rirez de ceux qui vous méprisent et vous exploitent! Car je vous apporterai la paix et vous verrez qu'ils ne sont pas heureux! Qu'importe la richesse, si le bonheur n'est pas là?

        _ Nous n'y arrivons plus! Nous ne savons plus comment finir le mois!

        _ Je comprends, mais comment pourriez-vous déjà avoir assez d'argent, alors que vous ne savez même pas apprécier les choses? Il vous en faut toujours plus, parce que vous n'êtes pas en paix! C'est ce que vous poursuivez qui vous épuise! Je vous montrerai comment vous enchanter du monde et vous économiserez sans peine, sans avoir honte, avec joie! Votre but ne sera plus votre ego!

        _ Et on sera trompé jusqu'à l'os! On continuera à être des esclaves et les autres s'en mettront plein les poches! 

        _ Qu'est-ce que ça peut faire, si vous, vous êtes heureuses?

        _ Oh! Mais elle nous pompe cette mégère! Nous, on veut se défendre et pas être des moutons! Ecarte-toi de là, la bourgeoise!"

        Elles repoussèrent la reine Beauté et leur cortège continua, avec les mêmes cris! "Elles ont peur! fit une voix près de la reine Beauté. Tu sais ce que c'est!" La Dom était là, contre un mur, comme un caïd de quartier! Il roulait des mécaniques et rajouta: "Ils ont peur et plus ils ont peur et plus c'est le chaos... et plus ils sont à moi!

        _ Je sais! Ils m'ignorent et ils sont perdus! Seulement, en allant vers toi, ils se donnent une vie de misère! Ils vont manger des cailloux! L'amertume les comblera!

        _ Peuh! Ils ne vont quand même pas croire à ton miracle!

        _ Pourtant, je suis partout, à l'infini! Il suffit de me regarder!

        _ Ils en sont incapables!

        _ Je suis comme l'eau qui pèse!

        _ Ils résistent!

        _ Est-ce qu'on résiste au soleil?"

  • L'Enfant Lumière (XXIX)

    Buzz

     

     

     

     

                                                XXIX

                                             LE BUZZ

     

     

        Le buzz était le point d'orgue de RAM, son eldorado! RAM avait effacé les frontières et le buzz concernait la Terre entière! C'était une pluie d'or, de "like"! C'était la manne de RAM! On sortait de l'anonymat, de la foule, de la grisaille! On s'élèvait dans une apparente lumière! On était quelqu'un ou quelqu'une!

        Pourtant, les admirateurs étaient là pour suivre un mouvement! Ils se seraient trouvés encore plus invisibles, plus transparents, s'ils ne participaient pas à l'événement! Le buzz avait quelque chose de factice! Mais il était un effet normal de la domination: briller, réussir, être aimé nous séduit!

        Avec RAM, la bulle dominatrice de l'humanité était étendue sur toute la planète et ne semblait pas avoir de sens... Autrefois, la bulle dominatrice servait des idéologies, comme le communisme notamment! Celui-ci formait une bulle hermétique, très hiérarchisée et à laquelle tout de le monde devait obéir! C'était une bulle criminelle et pleine de folie, qui pouvait détruire au nom du bien de tous! C'était le prétexte: à bas l'égoïsme du particulier, pour un bonheur collectif! La religion chrétienne n'a pas non plus agi autrement, car elle a saisi le message évangélique pour sa domination et elle est devenue une autorité, qui a longtemps été oppressive, alors qu'elle représentait l'amour!

        Aujourd'hui, ce qui reste de son pouvoir peut encore paraître absurde, car la "bonne nouvelle", c'est que Dieu nous aime! Pourquoi alors ces temples austères et ces croix comme des reproches? Ce sont des outils pour contrôler, même si la majesté de Dieu est mise en évidence... Mais ainsi, en ce qui concerne le communisme, Lénine et Staline, qui n'ont jamais travaillé de leur vie, ont pu tuer à la tâche, dans des camps et le froid, des millions d'individus! Horreur! Notre histoire est un fleuve d'horreurs... et nous continuons comme si de rien n'était!

        RAM était comme un miroir pour les Pierres, une onde narcissique! On s'y voyait communiquer avec les autres, d'autant qu'on était seul dans le monde physique! C'était quasiment un rêve, où les distances et les inhibitions n'existaient plus! On y prenait une grande importance, alors qu'on était anonyme dans la rue! On y croyait en soi et on trouvait cela naturel!

        RAM était comme le reflet d'un ville au bord de l'eau, la nuit! Il semble plus beau, plus dense, plus lumineux que la cité elle-même! Il donne envie d'y plonger, comme si on pouvait atteindre la ville sans son bruit, sa pollution, sa violence!

        Pourtant, RAM avait ses chefs, ses bandes, son injustice, ses attaques! On y était aussi victime et il arrivait qu'on se tuât dans le monde physique, à cause d'un harcèlement numérique ! Si RAM avait l'air d'un monde idéal, il n'en était pas moins créé et commandé par notre domination naturelle!

        Il y avait des codes, des mots d'ordre, des rendez-vous, qui effectivement prenaient forme en dehors de RAM! Sur une place, soudain, une foule apparaissait, chacun y discutant avec son petit groupe, comme s'il n'y avait aucune raison commune d'être là!

        Mais on était heureux d'avoir répondu présent, de participer à l'événement! On était ainsi à la page, on représentait l'élite! Peu importe qu'on fût au fond un mouton, car tout de même quelqu'un avait dit: "Allez là-bas!" et on avait obéi! Mais on faisait encore le buzz, même s'il était collectif! On se donnait en spectacle et les autres devaient nous admirer, nous envier!

        Ainsi, RAM surgissait soudain dans le monde réel, y montrait tout son pouvoir, effaçant les choses autour! La domination numérique transformait le monde physique! Certains étaient prêts à tout pour faire le buzz dans le quotidien! La domination naturelle était maintenant en fonction de RAM, à ses ordres!

        On se filmait avec son smartphone, comme si RAM avait été une personne! On dialoguait avec lui, car on se savait suivi par beaucoup d'autres! On se mettait en scène, toujours soucieux de l'effet qu'on produisait! RAM devenait le témoin de notre vie! A tout moment, il pouvait tromper notre ennui, notre angoisse!

        Des plates-formes accueillaient les films, les messages et aussitôt ceux-ci pouvaient provoquer le buzz! Telle star se dénudait ou piquait une crise! RAM s'agitait, jugeait, célébrait ou condamnait! En cas de buzz réussi, on était rassuré, toujours puissant, ainsi qu'on aurait pris un "shoot" de domination!

        Mais que se passait-il quand on n'était pas connu? Comment intéresser RAM dans ce cas? La réponse vient d'elle-même: il fallait créer un mini séisme, en scandalisant, en transgressant les lois! Il fallait avoir recours à l'interdit et même à l'inimaginable! On se filmait violant une femme, battant à mort quelqu'un ou découpant une tête! On trouvait ça très drôle, car RAM cautionnait! Le fait d'être en exhibition enlevait de la gravité à l'acte, comme s'il n'eût été qu'un spectacle, une performance d'acteurs!

        RAM triomphait, car une violence qui n'était pas filmée avait l'air moins gaie, de demander moins d'ardeur! La seule nécessité ne laissait pas de traces et il était difficile de s'en vanter! Mais il y avait tout de même plus léger... et le plus courant était de retenir l'attention par un exploit sportif ou un talent particulier! Faire le buzz résonnait dans tous les esprits! RAM était partout sur le qui-vive!

        Sa bulle dominatrice pouvait émerger à tout moment! En une seconde, on pouvait passer de l'ombre à la lumière et ce au niveau de toute la planète! La vie changeait quasiment en un instant! Le buzz avait un effet boule de neige! Dès qu'il y en avait un, il fallait le connaître! On était esclave du buzz! Le monde physique s'effaçait devant RAM! C'était dans celui-ci qu'était la fête! L'autre était pour les adultes avec leurs problèmes! Il y avait le travail, le froid, la saleté... C'était hostile, dur et voilà pourquoi les enfants Dom étaient perdus sans RAM!

        Certes, on ne pouvait pas détruire totalement le monde physique, car cela aurait été se détruire soi-même, mais il n'empêche! Les enfants Dom se comportaient dans la rue, comme s'ils étaient toujours dans RAM! Ils étaient de la domination "pure", d'autant qu'ils étaient jeunes! Quelle n'était pas alors leur surprise devant l'enfant Lumière! Leur pouvoir était soudain inutile, inopérant!

        Ils étaient en face d'un véritable étranger! D'où venait celui-ci? Il n'était certainement pas de RAM! Une énigme était posée aux enfants Dom, qui essayaient par tous les moyens de dominer celui qui leur échappait! Mais on était plus fort que la domination justement en la quittant, en renonçant à elle! On s'ouvrait à "l'esprit", en ne voulant plus être le chef! RAM n'avait aucun effet sur soi, quand on connaissait la lumière!

        Que racontait-elle? Que la beauté témoignait de l'amour dont on était entouré! que le ciel n'était pas vide! que la foi donnait la force! que l'amour était le maître, sans haine et sans esclaves! que le mystère de la vie était infini et que l'ennui n'existait pas! que la véritable misère était de servir RAM! que la lumière était pour tous, mais que la domination la refusait! que la lumière soignait la peur, rendait libre et vrai!

        RAM était figé en réalité et se condamnait!  C'était un radeau qui coulait! Les enfants Dom étaient en prison et grinçaient des dents! L'enfant Lumière chantait, bercé par le vent! Il était la main tendue et le sourire, car la lumière jouait en lui! C'était un mystère! Il attirait sans buzz!

  • L'Enfant Lumière (XXVIII)

    Ram 1

     

     

     

                                          Troisième partie

                                     LE MONDE DE RAM

     

     

                                                 XXVIII

                                                  RAM

     

        L'enfant Lumière avait fini par appeler RAM le monde des Pierres! En effet, l'ère de la communication était venue et elle s'effectuait essentiellement sur un océan numérique, dont la surface frémissait à chaque message! Les enfants Dom y surfaient avec aisance, car ils étaient pratiquement nés dans cet élément!

        La domination, empêchée par la civilisation, trouvait là son nouveau terrain de jeu! Le monde de RAM constituait un monde parallèle, mais qui pour les enfants Dom était sans doute plus réel, prenait plus de place que le monde physique! Il suffisait de voir comment les jeunes Pierres se "nourrissaient" en permanence de leur smartphone! Celui-ci était comme un cordon ombilical les rattachant à leur domination!

        On voyait bien dans la rue les enfants Dom, mais étaient-ils vraiment là? Leur conscience, elle, vivait dans le monde de RAM et c'était bien lui qui déterminait la contenance, l'attitude des enfants Dom dans le monde physique! RAM, c'est-à-dire la domination numérique, peu à peu anéantissait, dévorait, remplaçait le quotidien! L'enfant Dom, en renforçant sa domination grâce à RAM, asservissait les personnes et rendait donc l'univers dans lequel elles vivaient de moins en moins réel!

        La bulle dominatrice des Pierres devenait numérique! C'est RAM qui étendait son empire et qui amplifiait encore la destruction de la planète, puisque celle-ci lui était davantage étrangère! Ce n'était pas que la technologie fût un mal, c'était qu'elle fut au service de la domination qui était un problème! Pourtant, tous les voyants étaient au rouge! Le virus et le réchauffement climatique, avec ses catastrophes de plus en plus nombreuses et violentes, signalaient une impasse, imposaient un changement des comportements!

        Mais plus la situation se tendait et plus RAM apparaissait comme un refuge, car, effectivement, la domination y battait son plein, avait toute latitude! D'abord, on y avançait masqué, quasiment anonyme! Qui voulait, partout dans le monde, donnait son avis! Et on était frappé de stupeur par la haine atroce, immonde de certains caractères, qui semblaient des monstres surgis des profondeurs! RAM était un océan préhistorique!

        Les Pierres, invisibles, laissaient voir leur âme! Celles qu'on côtoyait dans la rue, dont on ne voyait que le visage de circonstance, se libéraient dans RAM et la plupart étaient surprises qu'on pût trouver leurs convictions affreuses! On découvrait des abysses! Le cerveau de certaines Pierres était malade, replié sur lui-même comme une carte routière! Plus on essayait de le lire et plus on était saisi par le vertige! L'individu était vraiment tel un trou noir et on ne pouvait se lier avec lui qu'en étant détruit! Cela laissait supposer une Pierre d'une solitude infinie et qui pouvait tout de même survivre, parce qu'elle connaissait les convenances! Mais elle restait une étrangère, pleurant certaines nuit, le cœur sec, voyant la fin avec de plus en plus de peur, d'amertume et d'incompréhension!

        La Pierre n'avait pas voulu s'ouvrir, terrorisée sans doute, mais aussi orgueilleuse! Elle se tenait dans un coin de son cerveau, méprisant le monde, enfermée par le sentiment de sa supériorité! Elle se desséchait ainsi..., incapable d'appeler au secours! Enfin, RAM offrait un espace à sa haine et elle l'exprimait mécaniquement, d'une manière répétitive, telle la séquence d'un phare! Pouvait-il en être autrement? Somme toute, elle ne faisait que témoigner de ce figement, de cette colère glaciale, de cette impuissance à rayonner, à être heureux et léger! La Pierre méritait bien son nom!

        Tel l'océan qui ne cesse de dérouler ses vagues, RAM n'en finissait pas de faire apparaître toute l'étendue de la folie des Pierres! Il y avait celles qui rugissaient, de véritables tempêtes, alors que le ciel restait bleu! Qu'est-ce qui pouvait créer ces colères apparemment perpétuelles? Il est des lieux sur la planète où la mer semble toujours mauvaise, jamais en repos... Les vents n'expliquent pas tout et on pense à des courants invisibles, profonds, des différences de températures ou de salinités, et on frémit devant ces endroits inhospitaliers!

        Ainsi étaient certaines Pierres, pleines d'autorité au demeurant, mais celle-ci était au service d'une force aveugle et produisait des gendarmes à moitié fous, impossibles à raisonner... et à aimer! Car on apaise en aimant, en trouvant encore intéressant ou beau ceux qui semblent être détestés ou se détester eux-mêmes! Mais plus l'individu est violent et plus cela demande d'efforts! Pourtant, nous sommes tous pareils et l'enfant qui demeure en nous peut toujours normalement être rejoint, éveillé, ramené à la vie et de nouveau sourire! Mais ces Pierres "rugissantes", tempétueuses décourageaient d'emblée, en suscitant la haine dont elles étaient remplies! On avait affaire à des fauves, dont il fallait d'abord se défendre!

        Il y avait encore des Pierres visqueuses..., qui rongeaient la réalité, comme les vers le bois! Elles "délabraient" la connaissance, les faits; empoisonnaient les bonnes volontés, rendaient caduque toute vérité! C'était des monstres d'hypocrisie! Elles haïssaient et disaient: "Nous ne haïssons point, nous dénonçons seulement les travers de ce qui est!"

        Elles niaient chez elles tout sentiment et se présentaient telles des championnes du bien! Elles habitaient pourtant des bulles au fond de la mer! Elles ne connaissaient pas la lumière, mais elles étaient en proie à des terreurs horribles! C'était d'anciens enfants malmenés, endoctrinés, asservis, apeurés! Ils se voulaient des pasteurs, des guides, mais sous leur masque de faux sages, ils ressemblaient eux-mêmes à ces créatures des abysses, difformes, extravagantes, effrayantes, aux dents proéminentes ou affublées d'un appendice inquiétant!

        Les enfants Dom fréquentaient RAM bien plus nerveusement, grâce à leur jeunesse! Ils faisaient penser à des bancs de poissons volants! Car ils avaient leurs points de rendez-vous, de rassemblement! On eût pu s'enchanter de leur vigueur, d'autant que certains, telle Patricia, se responsabilisaient, se mobilisaient pour des causes justes, mais toujours l'ombre de la domination planait sur eux! Elle restait leur dieu, leur vierge noire ou leur île de Pâques! Et toujours les enfants Dom consultaient RAM, se rassuraient et se dirigeaient avec lui, comme si finalement c'était lui qui devait s'imposer dans le monde physique!

        Ce dernier, par ailleurs, ne faisait pas vraiment obstacle à RAM, bien au contraire, car il ne changeait pas! En effet, malgré le virus ou les menaces du réchauffement climatique, tout semblait continuer comme avant! Partout, notamment, on construisait et encore à la gloire de la domination! Tous les bâtiments nouveaux étaient comme des temples dédiés à la force de ceux qui les construisaient et qui allaient les habiter! C'était le signe du triomphe, de la suprématie des Pierres!

        Mais puisqu'on "écrasait" et qu'on avait toujours comme boussole son égoïsme, on étendait un univers vide, asséchant, froid et effrayant, ce qui renforçait le repli des enfants Dom dans RAM! Ils n'en étaient que plus dangereux pour les Pierres et pouvait-on imaginer un avenir des plus sombres, où les sociétés ne seraient plus que des bulles, très hiérarchisées, commandées par les Doms et entourées d'un océan de déchets?

        C'est un scénario pour un roman de science-fiction, car c'est sans compter sur la lumière! D'abord les Pierres, mais surtout les enfants Dom voulaient enfermer la lumière, mais est-ce possible? La lumière ne demande qu'à se répandre et elle est la force de la vie! Nul ne peut l'arrêter, pas plus qu'on puisse empêcher les plantes de pousser! L'enfant Dom s'épuisait dans ce combat! Il faisait tout pour que la lumière ne fût que pour lui, or elle demande l'échange entre les êtres et la nature ou la Beauté! Là, elle atteint sa pleine puissance et est indestructible! Ainsi l'enfant Lumière vainquait l'enfant Dom!

  • L'enfant Lumière (XXVII)

    Foi

     

     

     

     

     

     

                                       XXVII

                                        La foi

     

        Evidemment, la plupart des Pierres ne comprenaient pas ce qui se passait! Elles ne voyaient que le pas de leur porte! Il en était ainsi, car elles n'avaient suivi que leur égoïsme depuis le début, d'autant que celui-ci était apparemment le premier remède contre la peur! Pourtant, les faits étaient là! L'humanité dévorait sa propre maison, sa planète et devait donc changer de comportement!

        On évoluait tout de même..., on ne jetait plus par exemple ses déchets de la même manière, mais de là à penser à une quelconque spiritualité! On n'en voyait aucunement le côté pratique, la logique! On était surtout prisonniers de ses préjugés! La foi, c'était pour les naïfs! La science ne montrait-elle pas l'étendue du cosmos? Notre origine animale n'était-elle donc pas avérée? Les miracles, pouvaient-ils être pris au sérieux? La psychanalyse n'était-elle pas plus salutaire? Les religions, par leur intégrisme, n'étaient-elles pas les premières à dégoûter de la foi? De toute façon, il n'était pas question de revenir en arrière!

        Et encore s'il y avait eu débat! Mais les Pierres retrouvaient seulement l'animal qui était en chacune! Et dans la nature comment réagit-on, quand il y a une menace, une pénurie? Eh bien, c'est la loi du plus fort qui règne et qui sauve! Les Pierres de nouveau renforçaient leur domination! C'était à qui mépriserait le plus l'autre, l'écraserait, le ferait soumis! C'était la sécurité avant tout et après moi le déluge! C'était le retour de la haine, car elle permet de rabaisser, de stigmatiser, de trouver des coupables!

        Les prix s'envolaient! L'inflation était galopante, car on voulait se mettre à l'abri, Etats, entreprises, comme les particuliers! On n'avait aucune pitié, aucune vision d'ensemble! On ne se remettait pas en question, puisqu'il y avait des responsables, à qui on demandait des comptes! Chaque Pierre remettait sa ceinture de plomb, celle-là même qui l'entraînait déjà vers le fond, mais elle lui ajoutait encore du poids, sous l'effet de la crainte, et on s'enfonçait dans la nuit, à vitesse redoublée!

        Bien sûr, les plus faibles devaient en pâtir le plus durement! C'était la loi de la jungle, à peine déguisée par un semblant de civilisation! L'agitation politique était à son comble! De nouvelles élections arrivaient et les candidats critiquaient le pouvoir en place, promettaient des changements et avaient les solutions! L'enfant Lumière était encore stupéfait par cette illusion, par le mensonge dans lequel on pouvait habiter, comment on niait la réalité, les problèmes rencontrés par ceux qui exerçaient déjà le pouvoir, comment on parvenait à s'abuser jusqu'à croire qu'on était différent, davantage capable, qu'on n'aurait pas à faire face aux mêmes obstacles!

        La bulle dominatrice aveuglait certainement, d'autant qu'il fallait, pour le candidat, se persuader de ne pas laisser passer sa chance, ce qui exigeait de vaincre sa timidité, sa névrose, ses doutes, avec du courage et de la ténacité! On mettait toutes ses forces, sa bonne volonté au service de sa domination! On se jetait à corps perdu dans le mauvais combat, car la bulle dominatrice est somme toute un monde clos, un rêve, une fermeture, un déni, comme le montrait le destin des Pierres, qui détruisaient leur planète!

        D'ailleurs, l'enfant Lumière recevait toujours le même accueil hostile, quand il mettait les pieds dans le plat, pour ainsi dire! A chaque fois qu'il tendait un miroir aux Pierres, elles avaient une réaction haineuse, de rejet! Elles ne voulaient pas se voir! Elles s'obstinaient à chercher des coupables! Elles étaient sans reproches! "De vrais enfants, dans le mauvais sens du terme!" concluait l'enfant Lumière! La solution n'était pas politique, pas plus qu'elle n'était économique, ou même scientifique!

        Une évidence s'imposait à l'enfant Lumière: on pénètre la foi, en quittant la domination! C'est-à-dire que tant qu'on se soucie de sa sécurité, de son rang, on ne fait pas le pas vers la foi! Ceci explique pourquoi les riches ne croient pas, car ils n'ont nul besoin de Dieu! Ils ne connaissent pas la foi, car ils ne l'expérimentent pas, ni ne la désirent même! Voilà encore pourquoi les Pierres pensaient qu'on pouvait vivre sans spiritualité, leur niveau de vie étant élevé! N'eût été la "révolte" de la nature, leur illusion serait restée intacte!

        Evidemment, ce trouble, ce mensonge, cette hypocrisie et même cette folie, "profitaient" aux enfants Dom! Cela d'abord les justifiait, puisque c'était apparemment chacun pour soi, mais ils trouvaient dans cette situation fausse comme des plis, où ils se cachaient! Les Pierres adultes, en refusant de se voir elles-mêmes, fermaient aussi les yeux sur les monstres qu'elles avaient enfantés et qui pourtant parfois révélaient toute leur laideur et leur cruauté!

        L'une des choses qui rebutait sans doute le plus, au sujet de la foi, c'était qu'elle était synonyme de souffrances, de contraintes, de pouvoir, de tyrannie et d'hypocrisie, car au fond toujours ceux qui prônaient leur religion vivaient et se comportaient comme les autres Pierres! Ils n'avaient pas compris le message de Dieu, ou ils manquaient de simplicité, car même se soucier d'être bon, c'est encore s'inquiéter et manquer de confiance, de foi!

        L'enfant Lumière, et c'est pourquoi il était un enfant, disait: "Seigneur, je vous aime et vous m'aimez et je n'ai donc pas à me tracasser! Vous devez assurer ma sécurité, mon bonheur et ma compréhension!" C'était aussi simple que cela! L'essentiel était dans l'amour, dans la confiance, mais les Pierres religieuses avaient rendu les choses infiniment arides, austères, compliquées, comme si la foi était une question pour des élites, une caste de savants!

        L'enfant se réjouit et chante auprès de ses parents, car il se sent aimé et protégé par eux! Ainsi devrait être celui qui croit, heureux dans l'amour de Dieu! Il est peu à peu éclairé et instruit et comprend pourquoi le monde semble si chaotique et dur! Mais lui-même est en paix et c'est pourquoi l'enfant Lumière était absolument à l'opposé de l'enfant Dom! Celui-ci ne se quittait pas, avait toujours les yeux rivés sur son smartphone, c'est-à-dire qu'il était toujours soucieux de ce qu'il était, du degré de sa réussite ou de son importance! Il voulait tout contrôler incessamment! C'était le poids de sa présence qui le rassurait!

        A partir de là, il ne regardait rien d'autre que lui et le sens de l'amour de Dieu lui échappait totalement! L'enfant Lumière sifflotait, admirait les oiseaux et les nuages et était doux! L'enfant Dom était préoccupé, hautain et perdu! Il lui fallait ceci, cela! Il ne se libérait pas! L'enfant Lumière riait! L'enfant Dom le haïssait! L'enfant Lumière était patient, l'enfant Dom ne tenait pas en place!

        Le monde était de plus en plus sombre, l'enfant Lumière restait tranquille! Pour lui, Angoisse mettait en lumière sa foi! Que vaut de croire quand il y a plein de cadeaux? Ils ne peuvent être toujours là et alors on maudit, on perd la foi! L'enfant Lumière avait de moins en moins peur, l'enfant Dom se durcissait et calculait! L'enfant Lumière apaisait, l'enfant Dom effrayait! L'enfant Lumière regardait, l'enfant Dom se fermait!

  • L'enfant Lumière (XXVI)

    Angoisse

     

     

     

     

     

                                               XXVI

                                             Angoisse

     

        Soeur Tempête et Omicron, puisque tel était le dernier nom du virus, accablaient les Pierres, ou plutôt leurs bulles dominatrices! Ce n'était pas que le royaume de la Beauté se vengeât, mais on avait dérangé ses lois, menacé son existence et à sa manière, il se défendait!

        Le ciel était gris, comme vide; la pluie morne, froide, empêchant les sorties; les alertes météorologiques se succédaient et les dégâts également! En même temps, Omicron dépassait tous les niveaux! Le nombre de Pierres atteintes donnait le vertige! C'était un véritable tsunami, qui semblait tout emporter sur son passage!

        Chaque Pierre voyait sa bulle dominatrice diminuer, disparaître! C'était une situation unique, extraordinaire, malgré son caractère funeste! Une étrange créature se dressa alors sur la ville et couvrit le pays de son ombre! Elle avait l'air d'une très vieille femme inoffensive, mais on ne pouvait s'empêcher d'être pris de dégoût à sa vue! Sa peau à force de tomber avait quelque chose de gluant! Mais le plus inquiétant étaient ses yeux noirs, insondables, et pourtant une certaine douceur apparaissait sur son visage!

        Elle s'appelait Angoisse et visiblement, elle était la maman de Stress, car celle-ci désormais lui obéissait! Angoisse s'étendait à mesure que les bulles dominatrices cédaient! Elle entrait sans bruit dans les maisons, refroidissait l'atmosphère, épaississait les murs, faisait gémir les cerveaux! Evidemment, les plus faibles étaient les premiers à en souffrir!

        Ceux qui n'avaient pas d'argent se voyaient encore plus démunis! C'était comme si Angoisse leur enlevait toute illusion! Ils disaient: "Alors nos jours seront toujours ainsi! Rien ne change! Nous sommes comme des bêtes de somme! Nous travaillons pour survivre et c'est tout!" Le désespoir les envahissait face à l'horizon bouché et leur colère grondait! Mais le gouvernement, avec l'expérience de crises précédents, s'efforça de les apaiser: ces Pierres-là, aux revenus les plus modestes, reçurent des aides sous la forme de chèques! Cela devait éviter des violences, qui auraient encore aggravé la situation sanitaire! Mais l'économie plongeait!

        D'habitude, quand une Pierre ne sentait plus sa bulle dominatrice, elle réagissait en renforçant celle-ci de toutes les manières possibles! Elle pouvait faire un achat, ce qui lui donnait le sentiment d'avancer, d'une certaine liberté! Elle concevait encore des projets, des constructions, toutes choses qui lui semblaient assurer son développement! Mais une réaction haineuse était encore possible, c'était celle des Pierres les moins instruites, les plus égoïstes; celles qui refusaient toute compréhension, toute nuance; c'est le bébé qui criait!

        Ainsi étaient les Antivax, ces Pierres rejetant les vaccins les protégeant du virus! Non seulement elles avaient peur de la piqûre, mais encore reconnaître l'autorité du gouvernement aurait été comme amputer la leur! Elles vivaient déjà en marge et s'opposaient foncièrement au régime en place, ce qui préservait leur domination! Elles s'estimaient d'emblée victimes, comme flouées, et pour elles il n'y avait pas d'avenir sans la chute du pouvoir actuel!

        Elles faisaient fi de la complexité de la situation, de l'interdépendance des Etats notamment, et pour rester sourdes à la souffrance des malades ou à l'usure du personnel soignant, elles classaient tous les témoignages qui les dérangeaient telle de la propagande! Elles imaginaient un monde trompeur, travaillant à leur perte et qui pouvait augmenter son contrôle, grâce aux "modifications génétiques ou technologiques" produites par le vaccin!

        C'était le peuple craintif, souverain, haineux, volatil! Leurs manifestations étaient obtuses, agressives! Ces Pierres étaient le plus souvent, dans la vie courante, écrasées, laissées pour compte et cela expliquait beaucoup leur égoïsme, mais leur choix et leur combat étaient sans issue, car vivre en commun demande de la raison et de la compassion! Elles se croyaient lucides et courageuses, mais on l'est infiniment plus quand on renonce à triompher et qu'on regarde sans regret sa domination partir à au fil de l'eau!

        Cependant, une lutte titanesque était engagée! C'était comme si la nature boxait la civilisation! La domination était "travaillée" au corps! Les plus riches, qui avaient le plus de pouvoir et apparemment plus de libertés, résistaient sourdement, tandis que la violence et la haine faisaient craquer la société! Chacun au fond était confronté à Angoisse, dont le regard semblait sans vie! Peu à peu, une transformation s'effectuait, qui, comme chaque changement profond, était impossible à définir avant terme! Même ceux qui se dressaient sur leurs ergots devaient évoluer, sinon ils seraient détruits! L'environnement, en se modifiant, demandait une capacité d'adaptation et si c'était un processus bien connu, il avait l'air soudain absolument étranger aux Pierres!  

        L'enfant Lumière, bien entendu, souffrait lui aussi de la situation! Angoisse était également à son chevet! L'oppression que tous ressentaient, il l'éprouvait aussi, mais moins vivement! Il n'était pas surpris par ce qui arrivait! Angoisse avait toujours été avec lui! Elle était devenue presque une amie, car l'enfant Lumière avait vu, dès le départ, sa propre domination piétinée, réduite à néant! Il avait fallu comprendre pourquoi et surtout donner un sens à l'absence, remplir un vide!

        L'enfant Lumière connaissait Angoisse et elle était pour lui comme une plage, où on attend le retour de l'eau! Celle-ci était la nourriture de l'esprit, qui venait tôt ou tard! Elle comblait et apportait la joie, une joie infinie! Alors, l'enfant Lumière dansait, triomphant! Rien ne pouvait plus entamer sa "domination", puisqu'elle était maintenant toute spirituelle! C'était vers là que menait Angoisse! Ou bien on s'acharnait dans sa haine et on périssait, ou bien on changeait et on comprenait!  

        L'enfant Lumière suivait attentivement les événements... La domination répliquait, avait ses propres coups et nul doute que si l'adversaire avait été d'autres Pierres, elles auraient "mal fini"! Mais c'était une créature microscopique, insaisissable, invisible qui menait la "danse"! L'ennemi n'était pas le gouvernement, même si beaucoup s'emportaient contre lui!

        Il y avait bien entendu la souffrance des malades, mais au-delà jamais peut-être une situation n'avait été aussi "spirituelle"! L'humanité avait atteint une certaine limite... Son développement ne pouvait plus continuer tel quel! Si les Pierres voulaient survivre, elles devaient imaginer une autre liberté! Matériellement, le monde était désormais fermé! Il était appelé à s'ouvrir tout grand vers l'esprit! ainsi qu'une fleur salue le soleil!

  • L'enfant Lumière (XXIV, XXV)

    L enfant8

     

     

     

     

     

     

                                             XXIV

                                 La révolution féminine

     

        "Ce sont tous des profiteurs et des profiteuses!" Ainsi éclatait la colère de Patricia! "C'est à cause de leur égoïsme et de leur paresse que nous sommes dans cette situation!" Elle parlait des Pierres évidemment... "Nous, les jeunes, nous n'avons pas d'avenir! Nous ne pouvons pas nous réveiller en nous disant qu'on va faire ceci, cela! C'est la catastrophe qui nous attend! Un enfer! Les chiffres sont là! Nous ne pouvons rien espérer! Et notre développement? Et notre bonheur à nous?

        Je voudrais crier sur les adultes toute ma haine! les voir punis! Je voudrais qu'ils rendent des comptes! 

        Patricia était dévorée par l'anxiété et son menton tremblait! "Tu as raison, Patricia, répondit l'enfant Lumière, les Pierres ne sont que des profiteuses! Elles n'ont cherché qu'à satisfaire leurs ambitions, pour avoir la sécurité, le pouvoir et le respect qui lui est attaché! Cependant, ce que tu ne comprends pas bien encore, même si je te l'ai déjà dit, c'est que notre égoïsme provient de la domination animale! Elle est en chacun de nous!

        _ Très bien, mais qu'est-ce que ça change?

        _ Mais la domination, c'est toute la personnalité qui veut s'imposer, y compris par ses avis bien entendu! Et toi, tu voudrais combattre la domination en dominant, en voulant diriger?

        _ Mais il faut bien agir! Il faut bien des mesures, des décisions politiques! Il faut même des lois et des sanctions, pour changer les comportements!

        _ Bien sûr! Et tu as vu aussi la pauvreté de ce qu'on obtient! Il ne peut être autrement, car on ne voit pas la raison la plus profonde, le changement radical qui est nécessaire! On reste à la surface, avec le bâton du gendarme! On crie et on fait fuir!

        _ Et qu'est-ce que tu préconises?

        _ Commence maintenant le temps de l'amour!

        _ Hi! Hi! C'est en aimant que tu comptes sauver la planète!

        _ Oui! La domination est l'animal qui continue en nous! Voilà pourquoi nous restons des Pierres! Si nous commençons à aimer, nous deviendrons alors des êtres humains! Que nous puissions aimer l'autre malgré qu'il nous soit hostile ou différent, c'est là la véritable spécificité de la conscience! C'est la qualité qui nous distingue éminemment des animaux, puisqu'elle nous mène aux antipodes de leurs instincts!

        _ Concrètement, sur le terrain, tu espères quoi?

        _ Tu sais, les Pierres ne dominent pas seulement pour jouir de leur importance, mais elles sont aussi terrorisées par la vie! Plus elles ont peur et plus elles veulent dominer! C'est encore une loi animale, c'est le plus fort qui survit! En aimant, tu offres du respect! Tu montres à l'autre qu'il vaut quelque chose, tu le rassures et il a moins besoin de dominer! A son tour, il est plus doux, ce qui fait que la paix se répand et apaise même la soif de consommer! Regarder les choses, apprécier leur valeur, aimer la vie n'est possible que si la peur n'est plus là! La domination entraîne la domination, comme un cheval effrayé emporte son cavalier! Pour l'arrêter, il est nécessaire de se montrer plus calme que lui!

        _ L'amour paraît bien naïf, bien dérisoire...

        _ C'est dans la nuit que la lumière est la plus belle!"

        A cet instant et comme le soir était tombé, fée Lumière vint visiter les deux enfants, sous la forme de lucioles, qui dansaient! "C'est merveilleux!" s'écria Patricia et puis, après un silence, elle rajouta: "J'en veux particulièrement aux hommes, car ce sont eux les principaux responsables! Ce sont eux qui dirigent le monde et qui auraient dû le préserver!

        _ Le fameux "patriarcat"?

        _ Oui, et il faut que je te dise qu'il y a peu j'ai perdu ma virginité... et que je n'ai pas aimé ça du tout! Le garçon a été très brutal, au point que j'ai même cru à un viol!

        _ A cause de ton impatience, tu as sans doute cédé à un enfant Dom... Tu sais maintenant comment ils sont! Ils vivent dans une bulle dominatrice et considèrent les autres comme des esclaves! Comment pourraient-ils les rendre heureux?  Devenus adultes, ils peuvent encore tuer leur femme, quand elle veut reprendre sa liberté! Si leur domination cesse, c'est tout leur monde qui s'écroule! Leur angoisse laisse place à la haine la plus féroce!

        _ La domination masculine est un fléau, pour nous les femmes!

        _ Oui, mais il faut aussi que tu comprennes bien les choses... Il a d'abord fallu défendre le territoire,  établir des frontières, comme le font beaucoup d'animaux chaque jour! Observe-les et tu les verras s'affronter, se chasser! Les Pierres ont donc d'abord été occupées par les guerres et c'était l'affaire des hommes! Ils avaient le premier rôle et c'était souvent pour mourir! Les cimetières sont pleins de jeunes soldats! Dans un premier temps, la domination masculine a été absolument nécessaire, mais la conscience fait que nous pouvons comprendre nos erreurs et changer pour ne pas les recommencer! C'est la base de la civilisation et nous voilà aujourd'hui, avec des nations stabilisées, des régimes démocratiques et un niveau de vie élevé! Le rôle de l'homme n'est plus prépondérant!

        _ C'est à notre tour, maintenant!

        _ Oui, d'autant que naturellement vous êtes plus sensibles à la beauté! Or, celle-ci est la clé de l'amour, si je puis dire! Car on ne peut aimer sans se sentir soi-même aimé! Ce n'est qu'en prenant conscience de l'infini beauté de notre monde, que nous pouvons percevoir combien nous sommes aimés! A partir de là, la joie s'installe et l'amour aussi! Evoluer et donner deviennent un plaisir, une source d'inspiration sans bornes!

        _ Si tu veux parler de la foi, je ne sais trop qu'en penser!

        _ Et comment pourrait-il en être autrement? La foi a vite servi la domination, comme la consommation aujourd'hui! A l'origine, on a sans doute agi sincèrement, en voulant transmettre un message, pour le bien de tous! On ne l'a pourtant pas compris et il est devenu une source de pouvoir! On a utilisé la foi pour commander, faire peur, menacer! La révolte du pauvre a été d'autant plus dure qu'on parlait d'humilité et de confiance, tout en s'enrichissant, à l'abri de privilèges! Bref, on montrait tout sauf l'exemple et de nos jours, l'image de la religion garde les traces de son ancien pouvoir! Elle apparait élitiste, quasi ésotérique, avec le caractère orgueilleux de ce que l'on nomme le sacré! C'est comme si on rendait un culte à un dieu mort, par des gestes mécaniques, vides de sens, alors que la bonté, l'amour de Dieu sont comme une vague qui nous baigne incessamment! Il n'y a rien de formel là-dedans et le règne de la femme permettra peut-être de retrouver cette évidence, cette simplicité!

        _ Le règne?

        _ Oui, ah! ah! N'oublie pas, Patricia, que les hommes et les femmes ont le même feu qui assure leur développement! Les femmes sont aussi égoïstes que les hommes!

        _ Oh!

        _ Pourquoi crois-tu que vous avez toujours poussé derrière les hommes? Mais il est normal que vous dénonciez actuellement tous les travers et les abus de la domination masculine! Il est bon que vous montriez que le pouvoir n'est pas la paix et qu'il a besoin de dominer sexuellement! Vous ne pourrez pas vous épanouir sans que la lumière ne soit faite! Mais il faudra aussi que tôt ou tard qu'on comprenne que c'est la domination elle-même qui nous condamne! Remplacer une domination par une autre ne nous fera pas avancer... La domination féminine, c'est d'abord la séduction! C'est son arme et le risque, c'est de limiter la beauté à sa personne! C'est de ne pas la voir autour! D'ailleurs, les femmes qui n'en ont plus, qui ne peuvent plus séduire, deviennent souvent infectes, comme si la beauté était morte avec la leur!

        _ Je ferai attention...

        _ Je sais! Plus la lumière s'installe en toi et plus elle sera heureuse et toi aussi! Cela passe par le recul de ta domination, parce que tu as de plus en plus confiance, comme un enfant, ce qui fait que ta réussite est de moins en moins liée à ton amour-propre! Tu te réjouiras bientôt de seulement exister! Tu verras combien les autres sont perdus! Plus la société se féminise et plus la violence devrait diminuer et les minorités être reconnues! Mais ce n'est pas évident... Tous ceux qui se sentent rejetés essayent justement d'avoir leur place, d'obtenir du respect, par le vandalisme ou la délinquance! Si toi, en tant que femme, tu donnes déjà de la douceur, tu seras un puits dans le désert!

     

                                                                                                            XXV

                                                                                                      Un nouvel an

     

        La nouvelle année commençait mal! Il y avait d'abord une pluie incessante, qui inquiétait, car elle empêchait apparemment tout déplacement! Elle donnait la sensation d'enfermer et elle montrait combien il serait dangereux de se retrouver sans moyens, comme si on avait pu s'y noyer!

        Mais bien d'autres choses accablaient, bouchaient l'horizon, angoissaient, sapaient tout espoir! A la première place, on trouvait le virus... Il mutait, revenait... On ne parvenait à s'en débarrasser, tel un morceau de scotch récalcitrant! Il imposait de nouvelles mesures contraignantes et on y perdait son latin! La société se divisait encore plus et le gouvernement avait bien du mal à conserver sa crédibilité!

        L'économie menaçait à tout moment d'être à nouveau paralysée et bien entendu, on était soucieux de l'avenir! Que pouvait-on espérer? C'était là une des questions que maints éditorialistes se posaient, en formant leurs vœux de nouvel an! On cherchait vainement une réponse, une planche de salut, un réel motif de satisfaction!

        C'était comme si une lèpre avait attaqué les esprits, les désagrégeait petit à petit, leur enlevait toute consistance et l'impression de chaos était encore renforcée par les violences! On brûlait des voitures, on tuait pour un rien, des femmes surtout, parce que plus faibles! L'alcool menait à tous les débordements, certains disparaissaient pour se suicider, d'autres mouraient dans un accident de la route, distraits par leur angoisse!

        L'énervement gagnait la planète! Les grandes puissances en venaient à se défier, comme si elles ne dépendaient que de leurs dirigeants! On évoquait des sanctions, pour ne pas dire la guerre, et on faisait monter la tension! Là aussi, on stigmatisait, on isolait, on fracturait, on poussait à bout... Personne n'était disponible, généreux, ouvert! Chacun était avare, sur les nerfs, prêt à montrer les dents! Cela témoignait qu'il n'y avait aucune paix, ni chez les uns, ni chez les autres, car seul le bonheur procure la force d'aimer même la différence!   

        L'enfant Lumière, lui, était dans un tout autre état d'esprit! Entre-temps, cependant, il avait bien grandi: il était devenu un adulte et pourtant il demeurait un enfant! Car il ne comprenait toujours pas le monde des Pierres! Il le trouvait toujours aussi absurde! Certes, il fallait travailler pour vivre, mais, sitôt qu'on avait le ventre plein, on pensait à son développement, c'est-à-dire à sa domination!

        L'enfant Lumière avait dès le début suivi une autre voie, car il voyait le mensonge des Pierres et elles ne pouvaient donc pas se rassurer! Il leur fallait tout le temps dominer, se sentir supérieures, ce qui impliquait de posséder toujours plus et elles étaient inquiètes pour cela évidemment! Pourtant, les Pierres disaient: "Nous n'avons pas peur, ni de haine, ni de mépris! Nous ne voulons pas le pouvoir, ni satisfaire notre orgueil! Nous ne prenons pas de plaisir, mais nous travaillons constamment!" Mais leur égoïsme était leur point de mire et ce qu'elles appelaient travail, c'était des horaires, des contraintes, qui ne les empêchaient pas de tout ramener à elles!

        Les Pierres étaient heureuses et criaient victoire, quand l'adversaire était au tapis et qu'elles avaient le sentiment d'êtres les plus fortes! D'emblée, leur hypocrisie et leur cruauté avaient fait souffrir l'enfant Lumière, qui avait patiemment cherché une véritable raison de vivre, un sens, une vérité! Car la vie au fond ne pouvait être absurde! La conscience devait servir à quelque chose, à comprendre et à découvrir des lois, une réalité!

        Tout ce qu'il avait appris venait de la reine Beauté! En se consolant auprès d'elle, il avait été rempli peu à peu par le savoir! Elle avait produit sa maturation, de sorte qu'il avait accueilli certaines lectures comme des fruits pleins! Longtemps aussi parmi les Pierres, il avait vécu comme un animal traqué! Il devait assurer sa subsistance, avec des êtres qui lui restaient étrangers, dont il ne partageait pas vraiment les codes, avec tous les problèmes que cela suscite! Si vous n'admirez pas la domination, elle vous hait très vite et férocement! Comment pourrait-il en être autrement? Si vous la mettez en doute, toutes les portes se ferment!

        Longtemps, l'enfant Lumière avait eu peur, en se trouvant anormal! Il était seul apparemment face à la multitude! C'était avant qu'il ne comprenne le décor en carton-pâte et l'instabilité des Pierres, leurs fausses réussites! Derrière leur arrogance et leurs vitrines souvent luxueuses, elles étaient rongées par l'angoisse! Et plus la situation était mauvaise et plus elles devenaient égoïstes, et plus alors la violence et la peur augmentaient, ce qui ne faisait qu'empirer les choses! On était là dans un cercle vicieux, que connaissait bien maintenant l'enfant Lumière!

        Ainsi, en cette nouvelle année, il ne désespérait pas comme les Pierres, mais au contraire il était confirmé dans son expérience, dans sa connaissance! A mesure qu'elles s'inquiétaient, lui se rassurait! Il avançait sur un socle sans pareil! La conscience de sa valeur, il l'avait chaque jour par la défection des Pierres! Il ne se réjouissait pas du malheur d'autrui, mais de voir le mensonge mis à jour! Les Pierres étaient impuissantes à trouver des solutions! Le virus sapait leur domination et les rendait démunies! Leur supériorité n'y résistait pas! Ce qui les assombrissait, ce n'était pas le manque de pain ou de sécurité! La plupart d'ailleurs continuaient à arborer leurs richesses, mais c'était comme si le virus avait pris le commandement, empêchant le développement de leur bulle! 

        Elles étaient esclaves de leur domination et en souffraient! Leur haine s'exacerbait! Toutes les décisions prises par le gouvernement, afin d'arrêter la pandémie et qui limitaient leur liberté, suscitaient leur colère et leur indignation! La situation avait ceci d'étrange, c'est qu'on essayait de sauver les Pierres malgré elles! Mais toute autorité heurte la domination et la vie en société est un équilibre entre le développement de chacun et la conduite du pays! Le virus n'en tenait pas compte, mais, comme on ne pouvait s'en prendre à lui, c'est le gouvernement qu'on accusait de dictature! Un vent de folie semblait souffler sur les Pierres!  

        Comme il est dur de se mettre debout! Le bébé que nous avons été continue de vouloir les autres à son service, comme si le monde entier tournait encore autour de lui! Ainsi, même nos haines nous tiennent chauds, comme des langes, car elles sont les vagissements de notre personnalité inquiète! Nous préférons les querelles à la paix! Renoncer nous paraît de la nuit, du désert, du froid! Ainsi, nous tenons d'autres pour responsables de notre malheur, plutôt que de chercher à nous épanouir!

        Il est pourtant possible de renoncer par amour! de se détacher de sa domination par plaisir! de découvrir que l'inconnu ne nous est pas hostile, bien au contraire! L'égoïsme peut être remplacé par un enchantement et à cette condition seulement on se libère! Nul ne peut accepter de perdre, s'il n'est pas au fond gagnant! Le malheur ne conduit pas à la sagesse, mais la joie, si! La beauté du ciel passait tous les jours sur les Pierres et elles ne la voyaient pas!