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L' attaque des Doms (105-109)
- Le 25/01/2025
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"C'est ma femme, le Corbeau, la pauvre!"
Le Corbeau
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Paschic pénètre dans un nouveau territoire psychique… Tout y est apparemment bien ordonné : les fermes sont propres et les tas de bois agréables à regarder ! Par ailleurs, Paschic se plaît à découvrir ici et là des teintes délicates, mais subitement il est face à deux guerrières, qu’il doit suivre, parce que la reine de ce royaume veut le voir !
Paschic n’a pas le choix et les lances des guerrières sont là, pour lui indiquer que toute fuite se terminerait par un drame ! Mais on arrive au palais et Paschic se retrouve devant la reine ! « Je t’ai fait venir, car tel a été mon désir ! dit-elle.
_ Ah ?
_ Oui, tu me plais… et je ne dois pas te déplaire non plus, pas vrai ? Je peux te donner du plaisir, mais il faudra aussi le mériter, en m’obéissant !
_ Ah ?
_ Oui, j’ai beaucoup d’ambitions, pour toi comme pour moi ! Il ne faudra donc pas me décevoir ! Tu ne voudrais tout de même pas apparaître comme un perdant aux yeux des autres ? ni me faire honte auprès de mes amies ? C’est aussi pour ton bien que je dis ça ! Tu as tout à gagner de notre union… ou de notre association !
_ Ah ?
_ Oui, mais pensons aux plaisirs… Je ne voudrais pas te sembler trop sérieuse… et puis, j’ai besoin de faire l’amour, pas toi ? Il fait froid et je suis tendue, surmenée ! Allons nous détendre ! »
Ils vont dans la chambre de la reine et bientôt Paschic se sent pris par le désir, car la reine est très séduisante ! Mais elle met en garde Paschic : « Si tu es un bon amant, dit-elle, je te donnerai plein de bonnes choses ! Je serai aux petits soins pour toi ! Par exemple, tout à l’heure, tu auras droit à une part de gâteau et un verre de lait, avec une serviette bien propre ! Tu ne pourras pas dire que je ne te gâte pas ! Hi ! Hi ! »
Paschic ne s’en sort pas trop mal, mais il est à la fois là et ailleurs ! Son esprit garde une certaine réserve et il ne se livre pas à fond ! Mais comment le pourrait-il ? Il voit déjà certains défauts sur le corps de la reine, qui le frappent, malgré l’embrasement des sens ! Cela lui rappelle qu’une liaison ne dure que s’il y a des sentiments ! Ce n’est qu’en aimant la personne qu’on peut la supporter ! Mais en l’occurrence que ressent Paschic ? En faisant l’amour avec la reine, espère-t-il un enfant ? Est-il saisi par le vertige, le mystère qui touche à la survie de l’espèce ? Est-il gagné par l’infini, ce qui amplifierait sa vigueur ? Non, les corps ont soif certes, ils s’étourdissent impérieusement : c’est une ode à la force, mais Paschic reste la créature de la reine ! C’est elle qui dirige et même qui demeure une menace !
D’ailleurs, la suite ne fait que le confirmer ! « Eh ! Eh ! fait la reine. Pas mal ! Pas mal ! Même si j’ai connu mieux ! Mais il faut le temps de nous connaître ! Allez, viens , je vais te montrer ta chambre, car pour l’instant tu es toujours à l’essai ! Hi ! Hi ! T’inquiète pas, va : tu me plais beaucoup ! Mais n’oublie pas que c’est moi qui t’ai choisi ! »
On va dans une chambre plus petite, qui a l’air d’une cellule de moine… « Voilà ton lit, tes couvertures… C’est assez sobre ici, car c’est propice au travail ! Je ne voudrais pas que tu te disperses, ni que tu t’amollisses ! Hi ! Hi ! Un homme, c’est un homme, pas vrai ! De la virilité ! Hein ? Tu vas voir, si tu fais ce que je dis, on va être parfait tous les deux ! Tu seras comblé ! Mais attention, ne me quitte pas des yeux ! C’est moi qu’il faut regarder ! C’est moi ta lumière ! Vu ?
_ Ouais, ouais..
_ Demain, huit heures, on attaque ! Une vie saine, ça commence tôt !
_ Ouais, ouais…
_ Ouais, ouais ! Dis donc, y a longtemps que tu te laisses aller, non ?
_ Hum…
_ Mais si tu veux réussir, il va falloir en mettre un coup !
_ Sûr !
_ Focus, hein ?
_ Ouais, ouais…
_ Qu’est-ce que je fais là ?
_ Tu lèves un bras…
_ Bon ! Et tu sais quoi ? Il est possible qu’on s’aime, avec le temps ! Il est possible que je craque ! J’en ai toujours rêvé !
_ Ouais, ouais... »
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Finalement, Paschic s’est aussi sauvé du territoire psychique de la reine et il marche dans un étrange univers de glace et de scintillement ! Où est-il ? Il est légèrement étourdi par cette luminosité et puis, il croise une jeune fille, en jupe courte, qui parle à son portable ou à son « Narcisse », avec volubilité ! Le flot de paroles n’arrête pas et Paschic se demande ce qu’on peut bien raconter comme ça ! Mais ce n’est pas le plus surprenant, car le visage de la jeune fille est celui d’une poupée ! Les lèvres et les joues sont gonflées et c’est comme si la jeune fille regardait à travers un masque !
« Qu’est-ce qui lui est arrivé ? » s’interroge Paschic, mais il n’obtient pas de réponses, puisqu’il ne va pas se renseigner auprès de la jeune fille, au risque de lui faire de la peine… D’ailleurs, elle continue sa conversation au même débit et Paschic ne peut que la regarder s’éloigner ! Il est quand même troublé, car le visage de la jeune fille a été comme torturé, par un bistouri sans doute… En tout cas, le résultat est artificiel et donne envie de pleurer, mais Paschic n’a pas le temps de s’apitoyer, car voilà une autre jeune fille, quasiment pareille à la précédente, avec la même attitude, elle aussi en grande conversation, et le visage encore « abîmé » à l’identique !
Paschic frémit, alors que maintenant il en croise des dizaines de ces créatures ! C’est une vision de cauchemar, mais on approche de la source, de l’origine de ce phénomène, et effectivement la glace se transforme en un bloc chirurgical, avec un homme en blouse bleue, qui va et vient sur une chaise roulante, devant des manettes, qu’il actionne, libérant des rayons laser, comme s’il dirigeait un spectacle sons et lumières, qui aurait pour but de donner un air de poupée aux jeunes filles !
Une musique très forte accompagne l’homme, qui s’agite au gré de son inspiration, et Paschic doit élever la voix : « Excusez-moi... » dit-il, en semblant un peu idiot, pour attirer l’attention, et tout de suite, après un sursaut, l’homme grimace comme si on lui avait présenté quelque chose de dégoûtant ! « Mais qu’est-ce que vous faites ici ? s’écrie-t-il. C’est interdit au public !
_ Mais je n’ai fait que suivre un long couloir… Ceci étant, je voulais voir le Maître ! celui qui est l’auteur de toutes ces beautés ! C’est bien vous, non ?
_ Oui, en effet, mais…
_ Quel brio ! Quel classe ! Quel talent ! Mais, dites-moi, est-ce que chaque visage vous inspire, car il ne s’agit pas d’en faire à la chaîne… ?
_ Bien entendu ! (Il baisse enfin la musique) La beauté est mon rayon ! Je veux la perfection ! que ces jeunes femmes se sentent sûres d’elles ! qu’elles avancent dans la vie, telles des impératrices !
_ Bien sûr, la séduction est leur pouvoir !
_ Exactement ! Monsieur… Monsieur...
_ Paschic !
_ Exactement, monsieur Paschic ! Ces jeunes femmes sont mon œuvre et le temps n’a plus de prises sur elles !
_ La beauté éternelle, en quelque sorte ! Mais le visage n’est-il pas le reflet de l’âme ? N’y lit-on pas les sentiments ? Or, comment les voir si tout cela n’est pas naturel ?
_ Mais le seul sentiment qui doit s’exprimer, c’est celui du triomphe, de la réussite !
_ Hélas, je crains qu’il n’y ait une relation entre le temps et le pouvoir !
_ Qu’est-ce que vous racontez là ?
_ Mais le pouvoir, n’est-ce pas la soif de vaincre, de se sentir supérieur ! avec ses mouvements: la haine, quand on rencontre un obstacle ; l’envie, devant un concurrent plus chanceux ; l’avidité, pour le moteur ; les inquiétudes, inévitables dans l’attente ! Ce sont tous ces sentiments qui dessinent le visage, qui l’enlaidissent et le vieillissent ! Ce sont tous ces combats qui fatiguent ! Le temps, lui, ne demande qu’à montrer le cœur, la paix, la liberté, une vie heureuse à force d’être simple !
_ Mais moi, je retends la peau, les muscles ! Je corrige les défauts ! Combien ne sont pas malheureux, à cause d’un trop gros nez ou d’un œil trop bas ?
_ C’est vrai, mais ces corrections sont vaines, si les sentiments, eux, ne changent pas ! Vous faites des monstres, qui ramassent des miettes de pouvoir, alors qu’il est justement leur poison !
_ Qu’est-ce que vous êtes au juste ? un Poque, qui veut que la société s’amollisse, disparaisse en s’excusant ? Vous n’aurez pas nos valeurs ! Vous ne romprez pas notre force ! Ah, çà non !
_ Vous savez ce que je crois ? Je crois qu’une bonne balafre peut justement servir à cacher la laideur de l’âme !
_ Complètement taré ! J’appelle la Sécurité ! »
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Paschic, ce matin, s’entraîne… Il lui faut un terrain désert… Puis, il se calme, expire, regarde le ciel et soudain, en un éclair, il s’arrache de lui-même ! Ce qui fait son ego et qu’il est d’une origine Dom reste sur place, tandis que lui file dans l’air pur ! L’ego se met à crier, il souffre, panique, gémit, supplie, mais Paschic n’en a cure ! Il vole, admire le paysage, se sent enfin heureux ! Il est d’une joie qu’il ne pensait pas possible, nouvelle, qui paraît sans limites ! Il redécouvre une simplicité, un « miracle » permanent, que nous ignorons chaque jour ! Il est possible que « tout soit grâce » !
Là-bas, l’ego crie, mais Paschic ne l’entend même plus ! C’est le fruit d’un exercice quotidien, qui prouve que Paschic avance dans la bonne direction ! Mais, évidemment, cet état ne peut pas durer, car l’ego fait partie de nous-même et il continue à faire pression, ne serait-ce que parce qu’il a peur ! Et puis, il y a les autres, qui constituent le monde…, un monde aveugle, inquiet et qui harcèle, plaintif, haineux ! Tôt ou tard, il agresse et il faut s’en défendre, mais on peut toujours élargir cette distance avec l’ego et s’en « régaler » ! L’ego ou la domination sont étroitement liés à la peur et seul celui qui n’a plus peur est vraiment libre !
Paschic rejoint donc son ego, avec un large sourire : « Ah ! Te voilà ! fait l’ego. Non mais, où t’étais passé ? Y a des tas d’ trucs à faire ! Ça urge !
_ Bien sûr ! Allez, repose-toi ! T’es en train d’abîmer ta santé !
_ T’en as de bonnes, toi ! Si je veillais pas au grain, on s’ rait à la rue, à l’heure qu’il est !
_ Ah ! Ah ! Tu sais quoi ? J’ t’aime même comme ça ! T’es un amour de ridicule !
_ Mais... »
A cet instant, un coup de feu retentit, une pierre éclate et Paschic est contraint de se jeter à terre ! « Qui que tu sois, mon garçon, tu vas te lever les mains bien l’air ! fait une voix éraillée. Sinon, j’ te jure que j’ vais t’ transformer en passoire !
_ D’accord, grand-père ! Mais vous n’avez rien à craindre de moi…, alors pas d’ gestes brusques ! OK ? »
Paschic se redresse, les mains bien en l’air et il se rend compte qu’il a pénétré un autre territoire psychique ! Le vieux s’approche, le fusil pointé et il dit : « Eh bien, mon garçon, tu n’as pas l’air d’un de ces affreux Poques ! C’ pendant, j’ te garde à l’œil ! En route vers ma cabane ! »
On arrive bientôt devant une vieille bicoque poussiéreuse et très isolée ! « Bienvenue dans mon humble demeure, mon garçon, fait le vieux ! Allez, on entre ! » A l’intérieur, il fait très sombre et c’est assez sale ! Le vieux toutefois fait signe à Paschic de s’asseoir à une table et il va chercher une bouteille de whisky ! Sa surveillance s’est relâchée et il ne doit plus considérer Paschic comme un ennemi ! Mais sans doute aussi que la solitude lui pèse trop ! Un feu fume dans l’âtre et deux petits verres sont remplis, par la main maigre du vieux, qui finit par s’asseoir devant Paschic !
« A la tienne, mon garçon ! reprend-il, en sifflant son verre, avant de s’en resservir un autre ! Eh bien, mon garçon, non vraiment, tu n’as du tout l’air d’un des ces affreux Poques ! Tu m’es même sympathique !
_ Les Poques ? Vous les voyez souvent ?
_ Ils sévissent dans la région… La semaine dernière, ils ont attaqué la ferme des MacReady ! C’était pas beau à voir ! Il y avait là des Noirs, des LGBT, des gays, enfin toutes sortes de créatures ! Ils ont forcé la famille à sortir, à s’excuser pour le racisme, l’esclavage ! Ils ont même dit aux MacReady qu’ils étaient peut-être eux-mêmes gays, qu’ils ne pouvaient être sûrs de leur sexe ! Ils ont tout souillé, renversé une statue, qui représentait le patriarche ! Ils ont fait un tas avec nos valeurs, la religion nos messages les plus sacrés et ils y ont mis le feu ! Les MacReady étaient tétanisés par la peur ! Les Poques poussaient des cris d’animaux… et en même temps, ils pleuraient ! On eût dit des hyènes qui gémissaient !
_ Et vous pensez qu’ils vont venir ici aussi…
_ Sûr ! Je les attends ! Je veille jour et nuit ! Sans ordre, il n’y a pas d’ sécurité, pas vrai ? Mais où est l’ordre quand on sait plus qui est une femme ou un homme ? »
Le vieux se met à sangloter… « Tout ça, c’est à cause de leur chef Décadence ! gémit-il. Un gros type obscur ! Un visage terrible, coiffé de plumes ! Il est sans pitié, il veut notre perte ! Paraît qu’il est même pédophile ! Vous entendez ! C’est la fin du monde ! Mais, c’est quoi ce bruit ?
_ Quel bruit ?
_ Y a quelqu’un dehors ! J’en suis sûr ! »
Le vieux se précipite vers la porte et l’ouvre brusquement ! La nuit est tombée et la clarté lunaire pleut tout autour… « Je sais que vous êtes là ! crie le vieux ! Mais vous n’aurez pas ma peau ! Jusqu’au bout j’ lutterai contre l’ vice, l’ordure ! guidé par le Seigneur ! Vous, les Poques, vous irez en enfer ! Décadence, viens j’ t’ attends ! Grand lâche !
_ Y a personne, le vieux, fait doucement Paschic, qui est venu derrière. Allez, venez vous reposer... »
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Paschic quitte le vieux au matin, alors que celui-ci dort encore ! « Pauvre vieux, se dit Paschic, il est rongé par la peur… et il est sans doute trop tard, pour le rassurer ! Apprendre à lutter contre sa peur demande d’abandonner sa domination, son orgueil… Si on se protège, en s’enrichissant ou en s’efforçant de s’imposer parmi les hommes, si on a à cœur sa réussite et sa vanité, alors on n’éprouve pas sa foi, on ne la connaît pas et dès que les choses nous sont contraires, c’est la peur qui ressurgit, comme si on n’avait fait que bâtir sur du sable ! »
« Nous sommes bien étranges, continue Paschic. Nous souhaitons ardemment être nous-mêmes et pourtant, la nouveauté, l’inconnu, le changement nous épouvantent ! Nous voulons la sécurité et nous ne supportons pas la routine ! »
Paschic aperçoit un nuage de fumée à l’horizon et se dirige vers lui, en se demandant d’où cela peut-il provenir… Un peu plus tard, il domine une vallée remplie de travailleurs enchaînés… et ce sont eux qui soulèvent le nuage de poussière ! L’activité est intense : partout on creuse, on déblaie, on transporte, on ordonne, avec le bruit des fers aux pieds ! « Un bagne ! se dit Paschic. Un bagne immonde ! Les malheureux ! Eh, vous, qu’est-ce qui se passe ici ? Vous êtes des prisonniers ? Vous faites quoi ici ?
_ Hein ? répond l’homme interpellé. Ce qu’on fait ici ? Mais on construit une gigantesque digue contre les Poques ! »
Paschic regarde dans la direction que lui montre l’homme et effectivement, il découvre un défilé, qu’on s’efforce de boucher ! « S’ils viennent, reprend l’homme, c’est par là ! Mais nous, on s’ ra prêt !
_ Alors, ce n’est pas un bagne ici ? Vous n’êtes pas prisonniers ?
_ Prisonniers ? Certes non !
_ Mais… et les chaînes ?
_ Mais c’est pour l’ordre et la sécurité ! Ordre et Sécurité, c’est notre commandant ! OS, qu’on l’appelle !
_ Et vous pensez que les Poques vont essayer d’ passer ?
_ Sûr ! On en a déjà capturés quelques uns ! »
De nouveau, l’homme désigne quelque chose et Paschic se tourne, pour tomber sur des pendus, des crucifiés, des empalés… Il ne peut réprimer un frisson d’horreur et comme il s’approche, il lit des pancartes devant chaque mort : « LGBT, LGBT, Antipatriote, Traître, Gay, Pédophile, LGBT, Trans, etc. ! » « C’est Décadence, leur chef, qui les a envoyés ! fait l’homme derrière Paschic. Vu comment on les a reçus, il va vouloir se venger ! Ah ! Ah ! »
Paschic regarde toute cette folie d’un air morne… Il donne alors un coup de pied dans les chaînes du type et celles-ci tombent sur le sol ! « En fait, vous êtes libres ! Vous n’avez pas à suer comme ça, toute la journée ! C’est votre peur qui vous fait esclaves ! »
L’homme est d’abord interloqué, puis il se met à crier : « Un espion Poque ! Alerte ! Un espion Poque ! » Quelqu’un sur un faîte sonne soudain du cor ! Toutes les têtes se tournent, menaçantes ! Le travail s’est arrêté et un grand silence s’installe ! « En réalité, vous êtes tous libres ! crie Paschic. Ordre et Sécurité vous ment ! Vous pouvez tous être heureux ! Le chef Décadence n’existe pas ! Les Poques ne sont pas vos ennemis ! Ils ne sont que des exemples de la conquête de nous-mêmes ! Plus nous nous respectons et plus nous sommes appelés à respecter la différence ! Nous sommes nés pour nous épanouir et non devenir des bourreaux ! »
Paschic voudrait continuer, mais il est renversé, saisi, battu par plusieurs et finalement, inconscient, il est jeté dans une prison ! A peine se réveille-t-il qu’on vient le chercher ! Ce sont des jeunes, dont le chef dit : « Milice OS, on vous conduit au tribunal ! » Paschic suit le groupe, qui clame « Milice OS ! Milice OS ! Ordre et Sécurité ! Ordre et Sécurité ! » et fait d’étranges saluts, comme pour se galvaniser ! Mais Paschic est bientôt devant un juge, tout vêtu de noir et portant une perruque !
Le personnage est grave et sa voix s’élève : « La patrie ! Cette chère, chère patrie, que nous chérissons tous ! Notre très sainte mère à tous est de nouveau en danger ! Le vice, venu des profondeurs noires du mal, a encore réussi à étendre ses tentacules, dans le but de nous pervertir ! Notre lutte est acharnée ! Nous ne faiblirons pas ! OS ! OS ! O toi qui nous entend, qui nous couve, nous protège, arme mon bras ! Aide-moi, dans ton infinie mansuétude, à châtier les coupables, à frapper le dragon au cœur ! La boue ne saurait salir la patrie ! 15, 20, 40 ? Combien d’années de prison, pour briser cette boursouflure ici présente ! OS ! OS ! éclaire mon jugement ! Accusé, soyez au moins utile à quelque chose… et dites-nous à quel supplice vous vous condamnez, puisque vous prenez conscience de l’énormité de votre crime ?
_ Cela fait-il longtemps que vous êtes fou ? Je vois votre peur immense, mais elle ne vous innocente pas ! L’hypocrisie et la soif de pouvoir vous rongent ! Vous ne serez pas pardonnés, pour les morts qui sont dehors !
_ Les morts que tu vas aller rejoindre, mon doux agneau ! OS ! OS ! Tu as parlé ! Tu as jugé ! OS ! OS ! que ta volonté soit faite !
_ OS ! OS ! Notre père à tous ! » enchaîne la foule.
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« Et si la Chose était un complot des Poques, hein ? » C’est monsieur Nuit, toujours transformé en escargot et entre deux bouchées de salade, qui vient de s’exprimer ainsi, dans le bureau de Dominator.
« La nature ? Un complot des Poques ? Vous déraisonnez, mon vieux ! répond le professeur Ratamor.
_ Pourquoi pas ? Regardez ce que je suis devenu ? Je bave, je me traîne, j’ai des antennes sur la tête et ma maison sur le dos ! Vous croyez que c’est seulement l’œuvre de la nature ? Non, il y a une force maléfique derrière la Chose ! Humph ! Grouanch ! (Il arrache un morceau de laitue !) Humph ! La Chose est éminemment Poque ! C’est la seule conclusion possible !
_ Pour ma part, enchaîne Lapsie, je ne suis pas hostile au poquisme ! L’idée que les minorités fassent valoir leurs droits, au prix de nous conduire à reconsidérer notre histoire ou notre culture, n’est pas pour me déranger ! En tant que psy d’ailleurs, je ne peux qu’approuver, puisqu’il s’agit de dire la différence, de libérer la parole des opprimés… Mais il ne faut surtout pas que les PN se sentent eux-mêmes des victimes ! Sinon, pan ! pan ! dans le pervers narcissique !
_ Il y a quand même d’autres priorités que vos instincts de guerrière…, fait Dominator.
_ Graouph, ouahc, hum, vous songez à quoi, Dominator ? demande monsieur Nuit. Groumph, groumph…
_ Comment vous croyez-vous que marche notre industrie… et comment chauffer les gens ? La Chose fait embargo, figurez-vous ? Elle nous empêche d’exporter et d’importer librement ! Il nous faut du gaz, alors que nous vendons notre pétrole ! Je vois mes tankers à travers le monde… et je ne peux m’empêcher de frémir ! Et si tout ce trafic devait s’arrêter ? Du jour au lendemain, notre économie plongerait et les Doms reviendraient à l’âge de pierre !
_ Il est vrai que nous autres, intellectuels, précise Ratamor, nous n’avons pas l’esprit à ces nécessités et ces enjeux ! Mais comment comptez-vous assurer notre approvisionnement ?
_ Mais nous devons rester la première puissance de la galaxie ! nous étendre partout, forer partout, sonder partout, exploiter la moindre parcelle ! Acheter des planètes, c’est mon dada !
_ Quel homme ! jette Lapsie admiratrice. On est loin des refoulés, avec vous !
_ A propos de refoulement… poursuit monsieur Nuit. Où en est-on avec les émigrés ? A-t-on entrepris de nous débarrasser de ces parasites ? Vous parliez tout à l’heure de préserver notre économie.. Graoumph, graoumph…
_ Mais c’est en cours, monsieur Nuit ! répond Dominator, en tirant sur son cigare. Des camions les chargent et les emmènent loin de Domopolis ! Bien sûr, cela ne se fait pas sans drame… Il y a des pleurs et des cris, mais s’il fallait écouter tout le monde, on s’y retrouverait plus !
_ Exactement ! Il faut parfois ne pas écouter son cœur… et faire preuve de fermeté !
_ Quant à moi, intervient Ratamor, j’ai conçu une nouvelle machine à domiser !
_ Quoi ? fait Dominator. Vous ne m’en avez même pas parlé !
_ C’est vrai, je voulais vous en faire la surprise !
_ Eh bien, expliquez-nous le fonctionnement de cette nouvelle machine ! Ne nous faites pas languir ! Vous savez que tout ce qui peut assurer l’hégémonie des Doms me charme ! Ah ! La sainte Domoland !
_ Eh bien, c’est une machine qui enlève toute lucidité, de sorte que l’existence des autres devient absolument abstraite ! En fait, dès qu’on essaie d’échapper à sa propre domination, crac ! on étouffe !
_ Crac, on étouffe ! Ah ! Ah ! jubile monsieur Nuit ! Ratamor, je vous aime ! Graoumph !
_ Est-ce que le pervers narcissique tremblera devant cette nouvelle machine ?
_ Euh ! C’est compliqué, vu qu’il ne pense déjà qu’à lui…, mais avec quelques réglages, pourquoi pas ?
_ Mais enfin, donnez-nous des précisions ! se lamente Dominator.
_ Eh bien, dès qu’on commence à douter de soi, en prenant conscience de l’autre, la machine réagit ! Elle repère de suite un point de vue nuancé, non issu de l’égoïsme ! J’ vous donne un exemple… Imaginons que votre cœur se serre, à l’idée que des familles d’émigrés puissent souffrir, alors qu’elles sont expulsées vers l’inconnu… Aussitôt, la machine alerte que vous devenez humain…
_ Eh, eh, le début des ennuis ! Graoumph, graoumph !
_ La fin de la virilité ! fait Lapsie, en se prenant le visage entre les mains.
_ La fin du pouvoir, vous voulez dire ! corrige Dominator.
_ Eh bien, un tentacule sort de la machine… et vous étrangle !
_ Crac ! Elle étouffe ! Graoumph, graouphm !
_ C’est parfait, je valide ! »
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L' attaque des Doms (100-104)
- Le 18/01/2025
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"Un héros ne sert à rien!"
Die Hard 4
100
Paschic quitte son campement, à cause de l’installation du gazoduc, bien trop bruyante et envahissante ! La civilisation a rejoint Paschic et il doit s’en aller, mais il part prudemment, surveillant ses forces, car il ne veut pas de nouveau se blesser mentalement, s’épuiser psychiquement !
Finalement, à force d’être harcelé par la Machine, d’avoir été son souffre-douleur, Paschic a acquis une grande connaissance sur la domination et les territoires psychiques ! Regardons par exemple une pie… La plupart du temps, elle surveille son territoire et n’y admet aucun étranger ! Elle chasse ainsi sans relâche le merle, alors que celui-ci n’a même pas le même régime alimentaire et qu’il ne constitue donc pas une menace ! Mais c’est plus fort que la pie ! Elle doit s’imposer !
Maintenant, imaginons que son territoire soit garanti pour toujours par des frontières, que deviendrait alors la force qui l’anime ? Puisque celle-ci n’aurait plus à s’exercer à l’extérieur, ne se concentrait-elle pas à l’intérieur de la pie ? Ne passerait-on pas d’une domination physique à une domination psychique ?
C’est bien ce qui arrive aux Doms ! Leurs territoires étant « bien établis », après de nombreuses guerres, ils ont progressivement abandonné leur lutte physique pour une lutte psychique, qui s’exprime à plein sur les réseaux sociaux ! C’est l’ère de la communication ! Chaque individu exerce une domination psychique, où qu’il soit ! Il étend et défend son territoire psychique, c’est-à-dire sa pensée, sa personnalité ! On cherche à s’imposer quotidiennement, en une « guerre » quasiment muette ! Notre égoïsme écrase, méprise, blesse, sans enfreindre la loi !
Les territoires psychiques sont cependant régis par des principes simples ! Plus la peur y est intense et plus la domination psychique y est forte ! Et donc plus le territoire psychique est défendu avec agressivité ! Mais, la plupart du temps, ceux qui sont habitués à commander et qui en ont les moyens ne comprennent pas du tout leur fonctionnement et nient toute peur ! Il faut des circonstances exceptionnelles, qui les menacent subitement, pour que les mécanismes d’origine animale, aujourd’hui concentrés dans le psychisme, réapparaissent !
Cependant, quel est le meilleur remède à la peur ? C’est la foi ! Ce n’est pas la seule raison, qui veut des garanties ! Tant que la peur n’est pas combattue par la foi, c’est l’inquiétude, la révolte, le chaos social, l’impasse de l’économie et de notre développement, face au réchauffement climatique, l’incompréhension devant la pauvreté et la souffrance, etc. ! Mais cela veut aussi dire que tout intégrisme et tout fanatisme, toute haine provoquée par des soi-disant blasphèmes, témoignent d’une foi qui n’est pas véritable, ni sincère, ni solide, car la foi, c’est la confiance et donc l’absence de peur, d’où la fin du besoin de dominer !
Tout cela, Paschic le connaît maintenant par cœur et même le rabâche, ce qui fait qu’il n’y revient plus et à présent, il pénètre dans un territoire enneigé…, où tout est blanc à perte de vue, avec beaucoup de poésie ! Bientôt, d’ailleurs, Paschic aperçoit une ville hérissée de coupoles dorées, comme dans un conte magnifique, et des gens passent en traîneau, souriant au-dessus des tintements de maints grelots !
Mais où est Paschic ? Il se renseigne auprès d’un type hilare, qui lui répond : « Où on est ? Mais chez les Muss ! Vous devriez nous connaître ! Nous sommes les envoyés de Dieu ! Nous avons pour mission de répandre son message d’amour, sur cette planète, et bien entendu de défendre ses valeurs, parce que, vous le savez sans doute, il a beaucoup d’ennemis ! Les athées, les homosexuels, les Ricains, situés plus à l’Ouest et qui veulent dominer le monde, et un tas d’autres plus horribles les uns que les autres !
_ Je vois…
_ Mais ne voulez-vous pas partager notre liesse ? Aujourd’hui est un jour spécial…
_ Ah oui ?
_ Mais oui, nous fêtons notre nouveau missile ! Nous l’avons baptisé « Petite cerise », car sa tête est rouge sang ! Ah, ça va faire mal, c’est moi qui vous le dis !
_ Mais… Mais vous n’avez pas peur de déplaire à Dieu, en tuant des gens !
_ Mais nous tuons ses ennemis ! Ne vous l’ai-je pas dit ! Et puis, on nous veut du mal, on a toujours voulu nous détruire !
_ Bref, vous avez peur !
_ Ah non ! Rien ne pourra nous enlever notre honneur ! Nous sommes le peuple élu et notre tâche est lourde ! Nous sommes les Muss !
_ Vous avez tout de même le trouillomètre à zéro ! Pourquoi vous ne faites pas confiance à Dieu ? »
A cet instant, l’homme sort un sifflet et souffle dedans de toutes ses forces : « Un traître ! crie-t-il. Un traître est parmi nous ! » Paschic se met à courir, en se disant qu’il n’est pas sorti de l’auberge, ou de l’asile !
101
Paschic a échappé au territoire psychique des Muss, et le voilà dans une zone totalement différente, désertique et chaude ! Il veut boire et trouve une source, mais au moment où il porte l’eau à sa bouche, il entend : « Eh ! Vous là-bas ! Cette eau est à moi ! Pas touche ! » Paschic se retourne et voit venir à lui un géant, avec un fusil et un chapeau de cow-boy ! « Excusez-moi, dit Paschic, je ne savais que cette eau était privée… Mais j’ai vraiment soif… Est-ce que je peux quand même boire ?
_ Ah ! Ah ! Ah ! fait le géant hilare. Ah ! Ah ! Avoue que je t’ai fait peur ! Hein ? Bien sûr que tu peux boire mon gars ! Ah ! Ah ! Tu verrais ta tête, verdâtre ! Ah ! Ah ! »
Paschic ne répond pas et se met à boire. Puis, il se relève, en s’époussetant, et dit : « Alors le coin est vraiment à vous ?
_ Bien sûr, mon gars ! Aussi loin que portent tes yeux, c’est à moi ! Et tu sais pourquoi ? Parce que je suis le meilleur ! Je m’appelle Vump ! »
Le géant tend sa main, que Paschic prend, en ajoutant : « Moi, c’est Paschic !
_ Eh bien, Paschic, viens avec moi : j’ai du mouton qui grille pas loin ! Tu vas bien partager mon repas ? »
Paschic suit Vump et il arrive à un campement où il y a effectivement un bon feu et où tout semble démesuré, à la taille du géant ! Cependant, Vump prend place devant le feu et Paschic fait de même… Normalement, il ne mange plus de viande, mais il n’a pas le choix… D’ailleurs, Vump recommence à parler : « Tu te demandes peut-être ce que je fais dans ce coin paumé, Paschic…
_ Oui…
_ Eh bien, je chasse le Poque !
_ Le Poque ?
_ Oui, le Poque ! C’est un être pleurnichard, peureux, toujours en train de se plaindre !, toujours à réclamer une justice imaginaire !
_ Eh ben…
_ Oui, Paschic, mais le Poque est aussi dangereux ! C’est un castré, un eunuque, un impuissant ! C’est une larve, alors que nous, Paschic, on en a quand même un peu ! Non ? Ah ! Ah ! »
A cet instant, Vump donne une formidable claque dans le dos de Paschic, qui manque de s’étouffer ! « Tu veux le fond de ma pensée, Paschic ? Le Poque, c’est un bonne femme dans un corps d’homme ! Remarque : j’ai rien contre les bonnes femmes, mais les femmes, c’est les femmes et les hommes, c’est les hommes !
_ Soit ! Mais pourquoi chasser les Poques, s’ils sont lâches ? En quoi vous menacent-ils ?
_ Mais parce qu’ils transmettent leur poison, Paschic ! Ils polluent cette terre et ce pays ! Ils ramollissent tout ce qu’ils touchent ! Ils enlèvent toute force à ceux qui les écoutent ! Ils attaquent nos valeurs ! Ils nous désagrègent par leurs récriminations continuelles, leurs jérémiades ! Ceux qui ne sont pas forts disparaissent, Paschic, pas vrai ?
_ Si je comprends bien, vous avez peur…
_ Peur ? Moi ? Ah ! Ah ! Mais j’ai peur de rien, Paschic, car je suis le meilleur !
_ Si vous n’aviez pas peur, vous ne seriez pas inquiet… Or, vous l’êtes !
_ Et comment donc que je suis inquiet ! Quand je vois mon pays envahi par les Poques, ces larves ! Ils sapent notre société ! Ils pervertissent nos enfants !
_ Oui, quand vous ne contrôlez plus les choses, c’est le froid et la nuit, pas vrai ? Vous êtes comme un enfant apeuré, si vous n’êtes plus le maître ! Donc, vous avez peur… et vous chassez le Poque, car il vous remet en question, il fait bouger les lignes !
_ Eh ! Une petite minute ! De quel côté tu es ? Tu serais pas un Poque des fois ?
_ Je ne suis ni du côté de Poques, ni du vôtre ! J’ dirais que je suis du côté des forts !
_ Mais, moi aussi ! J’ai bien plus de pouvoir que toi ! T’es un va-nu-pied, Paschic !
_ Si t’étais fort, Vump, les Poques te feraient marrer… et au minimum, tu les comprendrais ! Tu saurais leur parler avec sagesse et les faire évoluer ! Mais ta seule réponse est le plomb !
_ Tu sais quoi ? T’es un Poque, parce que tu m’embrouilles l’esprit ! Alors, s’il te plaît, barre-toi ! J’ veux plus t’ voir !
_ Bah, j’ dirais partout qu’ t ‘es l’ meilleur !
_ Barre-toi, j’ te dis ! »
102
La reine Beauté est très heureuse ce matin ! Elle colore les nuages somptueusement ! Ils sont des centaines rouges et oranges et ils forment comme une plage, avec de petits bancs de sable, dans le ciel ! « C’est signe de pluie ! fait la reine Beauté. Mais peu importe, c’est tellement beau ! La, la ! » Elle chante et un peu plus loin des pigeons ont le ventre doré, alors qu’ils suivent leurs exercices matinaux !
La lune aussi n’est pas en reste, puisqu’elle brille encore, bien grosse, sous un voile de brume, ce qui la rend mélancolique et attachante ! Il y a là de quoi ravir les Doms et les rassurer, car toute cette beauté leur dit qu’ils sont chez eux, qu’ils ne sont pas étrangers au monde et même qu’« on » doit penser à eux, car ce n’est pas eux qui ont inventé tout ça ! Mais c’est mal connaître les Doms ! Ce sont des gens sérieux, pas des rêveurs ! Il faut bien gagner sa vie, travailler et puis nombreux sont les pièges ! Un malheur en cache un autre ! Une mauvaise nouvelle n’est jamais loin ! Une facture subite, la maladie, une panne de voiture… et les crises, la situation internationale et financières ne sont pas bonnes ! Il y a plein d’incertitudes qui rôdent et qui nous assombrissent !
Il faut être prêt, se prémunir ! pas seulement par l’argent, car le danger n’est pas seulement la pauvreté ! On voit aussi la violence dans la rue, des gens cagoulés caillasser, détruire, brûler ! On est encore agressé au coin de la rue ! On peut recevoir un coup de couteau, sans avoir rien demandé ! « Le monde devient fou ! », comme on dit. Ainsi, Paschic arrive devant un nouveau territoire psychique, qui est visiblement délimité par des barbelés ! Des pancartes indiquent aux étrangers qu’ils ne doivent pas entrer, que c’est un territoire interdit et qu’on risque gros à enfreindre la loi 345, alinéa 59NJ !
Paschic hésite… Il n’a pas envie d’avoir des ennuis, de tomber sur des chiens méchants ou des patrouilleurs excités ! D’un autre côté, le barbelé s’étend apparemment interminable et il devient impossible de savoir si on peut contourner ce territoire ! La fatigue s’installe chez Paschic, la faim aussi et il longe la clôture d’un air morne, jusqu’à ce qu’il trouve une brèche ! Enfin, c’est plus qu’une brèche, puisque là le barbelé est largement ouvert, rouillé, comme si on y passait régulièrement et sans soucis des règles !
Donc Paschic s’engage et il marche bientôt parmi des dunes sablonneuses ! Paschic a toujours aimé ce genre de paysages, où l’oyat fait comme des sourcils au sable blanc ! Il semble à Paschic que la dune qui s’écroule est pareille à un sablier et pour peu que le vent fasse frissonner tout cela et voilà l’incorrigible rêveur Paschic emporté dans un songe, un quasi sommeil, telle la mouette qui glisse au-dessus !
Mais là-bas s’agite une petite troupe… et ça chôme pas ! Et que je te porte des troncs d’arbre, que je te fasse des pompes, des escalades musclées, avec des ordres secs ! Ce sont des jeunes et leur santé ferait plaisir à voir, n’était le but poursuivi : se préparer militairement ! Paschic s’approche… Il reconnaît des scouts, mais les temps ont bien changé ! On ne s’entraîne plus à monter une cabane ou à aider la vieille dame, mais à se défendre âprement et il est vrai que plus rien n’est sûr et qu’il ne s’agit pas d’être surpris ! La guerre menace, ou tout du moins le danger est toujours présent !
Le chef ordonne, braille, humilie ! N’est-ce pas ainsi qu’on forme les soldats, qu’on les rend disciplinés ? Mais les soldats sont les soldats ! Ici, ce sont des scouts et ne sont-ils pas censés représenter la foi… et donc la confiance ! Quelle confiance témoignent-ils par cet entraînement ? Ah ! Mais ils défendent les valeurs morales, celles inspirées par la religion et donc Dieu ! Eh ouais, Paschic, ils sont plus forts que toi, ces gars-là ! Prends-en de la graine ! Pendant que tu bâilles aux corneilles, eux se préparent pour la troisième guerre mondiale ! Pas de place pour les rêveurs dans l’assaut !
Paschic s’approche encore… Il est maintenant tout près du chef, qui fait subir à sa troupe une discipline de fer, sans pitié, et qui finalement trône, se plaît à son rôle, puisqu’il se sent important, qu’il commande, tout le contraire de Jésus, qui donne son amour, qui montre sa foi au point d’apparaître vaincu, le perdant total ! Si Jésus avait commandé, aurait-il fait preuve de confiance ? dans un monde régi par lui, sous ses ordres ? Si on est riche… ou qu’on a du pouvoir, peut-on parler de confiance, de foi ? N’a-t-on pas toutes les garanties, la sécurité la plus solide ? Autrement dit, Dieu pourrait bien essayer de nous « avoir », de nous « baiser », de nous éprouver, on serait paré, blindé, contre ses fantaisies, ses « caprices », car plus « irresponsable que Dieu, tu meurs » !
Mais le Dom est le Dom… et quand il croit défendre les valeurs de Dieu, faire valoir son amour pour lui, il est plutôt à s’enchanter de sa propre force, de sa domination sur les autres, de sa puissance ! Le message évangélique est perdu ! dans le vent des dunes, où Paschic retrouve la reine Beauté, affairée avec les mouettes, l’écume des vagues et la grandeur de l’océan ! Toute chose inutile ! Pas vrai, Paschic ?
103
Après avoir quitté le territoire psychique des scouts, Paschic passe une très mauvaise nuit, peuplée de cauchemars ! C’est plutôt une habitude pour lui et cela doit venir d’un sentiment de profonde insécurité, car Paschic se voit dans des situations où il doit fournir des efforts titanesques, pour échapper à un danger, comme quand il conduit un bus, qui défonce une porte de supermarché ! Il faut qu’il s’en sorte, qu’il résiste et son corps en subit les conséquences, en étant tendu, quasiment douloureux ! Le résultat, au matin, on le connaît : Paschic n’est pas reposé, mais plutôt déboussolé, grimaçant, ainsi qu’il serait passé dans une machine à laver !
La psychologie aide les individus comme Paschic, qui sont anormalement inquiets, anxieux, mais en voyant les choses au fond comme si on avait à traiter un défaut ! Certes, la psychologie respecte le patient et se charge de lui faire voir ses traumatismes, afin qu’il les surmonte, mais elle ne définit pas les lois universelles qui provoquent ces traumatismes, parce qu’elle ne les voit pas tout simplement ! Mais il est vrai qu’il y a toutes sortes de pathologies mentales et cela va de la folie, où la communication est impossible, au TOC, en passant par la vision fantasmée de la réalité ! Qu’est-ce que l’individu voit vraiment objectivement ? On peut le soupçonner de développer une compréhension, justement pour « compenser » ses traumatismes, les « soulager ». Dans ce cas, il pourrait accuser « faussement », pour se faire justice !
La psychologie ne le dit pas nettement, mais elle « suspecte » toujours ses patients, pour leur bien se dit-elle, mais comment pourrait-elle avoir un autre comportement, puisqu’elle-même ne voit pas de problèmes à son intégration et qu’elle considère comme normal ou adapté le monde des Doms ? Ce qui est une erreur, quand on regarde sérieusement la situation ! Les Doms sont-ils heureux, rassurés, pacifiques ? Non, au contraire, le Dom a tout et pourtant il n’a jamais été aussi troublé ! Les maladies mentales justement n’ont jamais été aussi nombreuses ! Le désespoir, les suicides, l’alcoolisme, la drogue viennent compléter le tableau ! Maints psychiatres tirent la sonnette d’alarme, mais sans solutions ! La société est un grand navire dans la tempête !
Paschic, lui, s’est longtemps demandé quelle part avait le trouble mental dans sa façon de voir (ce que ne font jamais les Doms!). Il était sans doute un peu schizophrène, certainement névrosé, peut-être refoulait-il son homosexualité ? Ah oui ! Il était narcissique ! Il ne pensait qu’à lui ! C’était le message de la Machine et c’est toujours celui des Doms, quand on les inquiète ! Il a bien été planté dans le cerveau de Paschic, de sorte qu’il a passé la moitié de sa vie à douter et à se faire la guerre, afin de débusquer la méchante bête de l’égoïsme ! Il était comme un chien, qui se cherche des puces jusqu’au sang !
Mais voilà l’une des raisons de son insécurité : le fait que le Dom accuse l’autre, justement de ce qu’on l’accuse lui ! Le Dom se défend comme un animal qu’on égorge et ses cris font perdre la raison ! On ne sait plus où on en est ! Le Dom se tient à sa domination et détruit tout ceux qui la menacent ! Cette réaction viscérale et violente perturbe celui qui cherche la vérité, surtout si le Dom affirme que le bien est relatif, etc. ! Dans le cas de la Machine, celle-ci demandait à Tautonus de réduire au silence Paschic, par des coups, ce qui mettait bien entendu un terme au débat, mais ce qui encore ne permettait pas à la Machine d’évoluer ! Tout se passe comme si le Dom est incapable d’affronter la « vérité » et il est vrai que la raison seule ne suffit pas à l’éclairer, tant son équilibre a des racines obscures dans la domination !
Mais celui qui s’attache au psychisme, qui voit la quête de sens comme une évidence, bien avant la nécessité même de gagner sa vie, celui-là non seulement connaît mille difficultés pour survivre, mais encore se heurte au mur hypocrite et ignorant des Doms ! Comment pourrait-il se sentir en sécurité, sur quelles bases ? Et pourtant le domaine de la pensée est l’avenir : nous sommes nés pour penser ! C’est là notre apanage ! notre accomplissement ! de là notre mouvement naturel vers la mondialisation et la communication, à mesure que nous avons du temps et les moyens à consacrer à notre individualité ! A quoi pourrait-on comparer notre planète ? Mais à une fleur qui ne demanderait qu’à s’épanouir et à diffuser son parfum ! Mais que se passe-t-il en réalité ? A cause de la peur, cette fleur se ferme et se détruit ! C’est la montée des nationalismes, le repli sur soi, le succès des populismes, le retour des dictateurs, c’est-à-dire des pires Doms qui soient ! L’ordre rassure, le rejet aussi et l’animal qui est en nous se réjouit, y trouve son compte ! Nous ne pensons plus ! Adieu la nuance et la difficulté ! Mais nous jugeons, nous frappons, nous condamnons, nous refusons de comprendre ! Nous nous régalons de nos haines et nous appelons au secours la nuit ! Il n’y a rien de courageux là-dedans et pourtant nous nous gargarisons de notre soi-disant force ! C’est la loi de la jungle, avec la disparition du plus faible ! Quelle évolution ! Même les hyènes en rigolent !
104
Paschic affine toujours ses considérations sur les territoires psychiques et en fait, plus nous vieillissons et plus nous ramenons les choses à des éléments simples, car plus le monde se rétrécit, à mesure que notre regard s’étend ! L’âge nous donne de la hauteur et du recul ! Par exemple, il est facile de comprendre que plus le territoire psychique est fermé, clôturé, ce qui veut dire que plus la domination psychique y est forte et moins le Dom considère les autres, leur donne une existence réelle, puisqu’il a l’habitude de les commander, de les mener à baguette, de les voir comme à son service et inférieurs ! Le Dom se situe comme centre d’intérêt de sa vie et de celle des autres, et dans ce cas, pourquoi serait-il curieux du monde qui l’entoure ? Il éprouve seulement de la haine, dès que ce même monde l’ignore, ne serait-ce que parce que sa peur, bien enfouie et la plupart du temps niée, refoulée, ressurgit !
Au contraire, plus la domination psychique est faible et plus le territoire psychique est ouvert et salue l’autre, comme un être à part entière et différent ! C’est le stade de la compréhension et de la compassion ! Inutile de dire qu’il demande beaucoup d’efforts, de patience et de renoncement ! Tant qu’on est prisonnier de ses désirs et de ses peurs, il n’est pas question de respecter l’autre ! On est le jouet de ses humeurs et l’autre doit le supporter ! Celui qui est capable d’être méprisé ou lésé sans broncher, qui domine son amour-propre, celui-là a la force de ne pas perdre de vue la situation dans sa globalité ! Par exemple, le bateau coule et il ne s’agit pas seulement de sauver sa peau ! Il faut s’assurer que les plus faibles aient aussi accès aux canots !
Cependant, lutter contre sa domination, éprouver sa patience, renoncer au nom de sa foi, peut présenter des dangers très réels ! Souvent, le territoire du doux est saccagé par la domination psychique du plus fort ! Ce n’est pas véritablement un choix et si cette destruction est précoce, l’individu grandit sur des bases fragiles ! C’est ce qui se passe pour Paschic, ce qui explique qu’il a continué à se faire du mal, bien après avoir quitté la Machine ! Il n’y a pas de défenses, de garde-fous qui limitent chez Paschic ses efforts pour se contraindre, exercer son renoncement, d’où la dépression, la névrose et bien d’autres affections ! En fait, celui qui marche vers la lucidité aura bien de la peine à trouver le bon équilibre, le bonheur, car le chemin est semé d’embûches et de doutes, et pourtant c’est le seul qui vaille la peine ! Qu’on pense au Dom qui reste la marionnette de son égoïsme et de ses craintes, qui est en colère, qui écrase et qui se fatigue ! qui ne sait même pas où il est !
Ainsi, Paschic pénètre à présent sur un territoire dévasté, troublé, plein de trous d’obus et de barbelés en désordre ! On a l’impression que c’est la guerre et un type effectivement arrive en courant, en alerte, quasiment apeuré, hors de lui ! « Eh ! vous là-bas ! crie-t-il à Paschic. Z’êtes malade ? Où est-ce que vous avez mal ?
_ Hein ? Euh... Malade ? Non pas qu’ je sache...
_ Non, parce que je suis médecin ! Docteur Guettons !
_ Enchanté, répond Paschic, qui prend la main du type, portant effectivement une blouse blanche.
_ Moi, je soigne, je soigne au mieux, voyez-vous, car c’est la catastrophe !
_ Ah bon ?
_ Mais regardez autour de vous ! Des malades, des malades par centaines, et qui ne trouvent pas de médecins, car nous ne sommes plus assez nombreux !
_ Ah ?
_ Mais oui ! Quand je songe à tous ces malheureux, qui veulent consulter, qui ont mal et qui ne sont pas soignés, cela me rend malade, vous comprenez, malade !
_ Je comprends…
_ Alors j’ai trouvé un truc…, pour multiplier mes consultations ! Je ne mange plus le midi ! Et hop, deux ou trois de patients de plus que je peux aider ! Pas mal, hein ? Mais oh ! Y a urgence !
_ Et vous mangez quand ?
_ Quand j’ai le temps…, quand j’ rentre chez moi, complètement vanné ! Certains soirs, j’arrive à la maison et j’ m’écroule, j’ m’endors comme une masse !
_ Ce n’est pas étonnant… Donc, en tant que médecin, vous pourriez conseiller à un patient d’oublier le déjeuner, de ne pas prendre le temps de manger, pour reprendre des forces ! « Allez-y, surmenez-vous jusqu’à tomber ! » vous lui diriez ?
_ Non évidemment !
_ Mais vous, c’est différent, vous êtes médecin, c’est ça ? Écoutez, je vais vous donner un tuyau : vous êtes dépressif et vous avez perdu le sentiment de votre valeur, de votre utilité ! A ce moment, tout le malheur du monde vous envahit, aussi vite qu’une fuite dans une coque ! Vous en êtes anéanti et vous êtes en train de vous détruire !
_ Mais pensez à tous ces malades… C’est la fin du monde !
_ Et que ferez-vous quand vous-même serez vraiment malade ! A quoi serez-vous utile ? Faites la paix avec vous-même, avant qu’il ne soit trop tard ! »
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L' attaque des Doms (96-99)
- Le 05/01/2025
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"Un sac ne rend pas les coups!"
Rocky IV
96
Paschic est de retour à son campement, mais pendant des jours il subit les conséquences de la fatigue produite par son expédition ! Il a de nouveau des angoisses et des cauchemars ! Il n’y peut rien, car ses nerfs sont fragiles et son cerveau a l’air de reposer sur de la pierre ! Il faut encore patienter, ne pas s’énerver et même s’efforcer de manger correctement, car l’épuisement est tel qu’il ne donne que l’envie de dormir !
Mais, au fond, ce qu’a vu Paschic ne devrait pas l’étonner ! Le « lac noir » n’a rien de satanique et les Doms ne viennent pas d’un quelconque péché originel, ou d’une damnation particulière ! Au contraire, ils ne font que suivre la voie la plus naturelle, celle de la domination animale qui est en chacun de nous ! Rien de plus facile que de se préoccuper de son égoïsme, de ne pas se remettre en question, de laisser aller sa haine et sa colère et d’accuser les autres, quand ça va mal ! L’animal a peur ? Il mord, tue ou s’enfuit ! L’animal veut tel territoire ? Il attaque et il prend s’il le peut ! Voit-il une autre destinée, a-t-il une vue au-delà de son nombril, de ses intérêts ? Non, il obéit aux instincts qui garantissent sa survie et cela se résume à la loi du plus fort !
Le Dom n’a pas d’autres comportements, malgré « l’habillage » de la civilisation, mais là où il est « coupable », c’est qu’il dispose de la raison et aussi de l’imagination, qui permettent d’analyser, de comprendre, d’avoir le choix, de ne plus réagir comme un animal et de voir l’impasse de l’égoïsme et même les perspectives vertigineuses de la foi ou de l’amour ! L’homme est fait pour être spirituel, c’est là son avenir, mais, évidemment, cette voie est difficile, par son engagement, parce qu’il faut quitter le « troupeau » et surtout parce qu’on mue, qu’on quitte l’animal !
Grandir est toujours inquiétant et la majorité s’y refuse, par peur essentiellement ! Partout, il y a donc des Doms et Paschic ne pouvait pas rester seul, même si, pour guérir, il avait désirait de la paix ! D’ailleurs, lui-même, comme tout le monde, a besoin de relations sociales, car nos pensées veulent se transmettre, pour nous donner une existence ! La communication va de pair avec notre chemin spirituel, mais le problème est que le Dom cherche sa supériorité, ce qui rend sa présence aussitôt agressive, blessante et fatigante, comme s’il « siphonnait » l’espace et qu’on lui devait automatiquement des hommages ! Quand s’intéressera-t-il aux autres et sera-t-il apaisant ?
Paschic en est là de ses réflexions, quand il voit une fumée monter de l’horizon ! Qu’est-ce que cela peut-être ? Des camions, ce sont des camions ! Il y en a toute une colonne et bientôt l’un d’eux s’arrête au niveau des débris du vaisseau de Paschic ! Des hommes, en gilet voyant, en descendent dans un nuage de poussière ! « Bonjour, fait Paschic, en s’approchant. Qu’est-ce qui s’ passe ?
_ Ben, on installe le nouveau gazoduc !
_ Le gazoduc ?
_ Ben, oui ! Faut bien que les populations puissent se chauffer, cuisiner, etc. !
_ Bien sûr…
_ Ah ! C’est un vaste projet ! Le gazoduc va traverser le désert ici, puis il franchira la mer ! Dame, il s’agit d’assurer son indépendance énergétique !
_ Ah ?
_ Comment ? Vous n’êtes pas au courant ? Y a un dingue qui a commencé une guerre ailleurs, car il était persuadé de tenir tout le monde dans sa main, en fournissant du gaz ! Si on n’était pas d’accord avec lui, hop ! plus d’ gaz ! d’où l’idée d’être indépendant de c’ côté-là, d’où le gazoduc ! Si on veut arrêter la guerre, faut être libre !
_ Bien sûr !
_ Mais attention ! C’est pas fini ! Car y a encore le réchauffement climatique ! Les énergies fossiles doivent être abandonnées ! d’où le pacte vert ! Ici, bientôt, en plus du gazoduc, vous verrez plein d’éoliennes ! L’hydrogène peut encore être une solution ! Eh ouais ! Faut pas seulement voir midi à sa porte ! La gestion des populations demande une large vue et des investissements colossaux !
_ Bien sûr…
_ M’avez l’air un peu paumé ici, tout seul… J’ me trompe ? Sauf vot’ respect, j’ai l’impression que vous êtes du genre rêveur, idéaliste, non ?
_ C’est que…
_ Remarquez, y a pire ! Y a ceux qui se révoltent contre toute forme d’autorité, sans chercher à comprendre les enjeux internationaux ! Ceux-là bien entendu trouvent normal d’utiliser l’électricité et le gaz, sans se soucier d’où ils viennent ! Ce sont les mêmes qui ne comprennent pas l’intérêt du vrac, pour diminuer le plastique des emballages ! A l’aise dans leur voiture et pas question qu’ils se changent eux-mêmes ! L’ennemi, c’est le capitaliste !
_ Je vois ce que vous voulez dire…
_ Bon ben, c’est pas le tout ! On a du boulot ! Si vous vivez dans l’ coin, on va vous déranger un brin ! Ah ! Ah ! »
Paschic ne répond pas et il a soudain envie d’être au calme… Il va boire un thé, tiens ! Ce Dom n’a pas tout à fait tort : bien souvent, une réalité géopolitique nous échappe ! Mais il vit dans un tel tourbillon ! Se demande-t-il lui-même pourquoi il vit ?
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Le duc de l’Emploi quitte le camp n° 5 : la dernière expérience ratée sur les Doms émeraude, dans le Rêve blanc, l’a mis hors de lui ! Il est tout rouge et crache encore plus de fleurs ! La directrice du camp, madame Schplint, vient essayer de le faire changer d’avis, alors qu’il remplit sa valise ! Il faut dire que madame Schplint a eu une liaison avec le duc : « Je t’en prie, Sirimond (c’est le prénom du duc!) ne t’en va pas ! J’ai besoin d’ toi ! Ma vie n’aura plus d’ sens, avec ton départ ! !
_ Non mais t’as vu ces débiles de Doms émeraude ! Pff, pff (encore des fleurs!) ! Y a rien à faire avec ces gars-là ! Y veulent pas bosser ! Pff, pff !
_ Mais on en viendra à bout ! On les remettra dans l’ droit chemin ! Tu n’es même pas guéri toi-même !
_ On guérit par le travail ! Et puis tes employés, hein ? Oh ? Hein ? Non mais, t’as vu ta vendeuse ? Elle éclate en sanglots, dans les bras des Doms émeraudes, comme si elle leur donnait raison !
_ Je l’ai licenciée sur le champ ! Crois-moi ! Il y a ici un personnel d’élite, le plus à même de comprendre les Doms émeraude et de lutter contre la Chose !
_ Peut-être, mais j’ai consulté les derniers chiffres du chômage, pff, pff… Ils sont en hausse ! On profite de mon absence ! Les chômeurs se sucrent, malgré les réformes ! Ils nous volent, Armande, et ça me déchire le cœur !
_ A chaque fois que tu t’énerves, tu craches encore plus de fleurs ! On n’était pas bien tous les deux ? Je ne te donnais pas du plaisir ?
_ Si bien sûr, mais moi, mon boulot, c’est de traquer le paresseux, le profiteur ! C’est d’aider l’investisseur, le responsable ! Quand je pense que des insectes ou des arbres peuvent encore bloquer la construction d’usines ou de routes, ça me rend malade !
_ Mon pauvre bouchon !
_ Oh ! Je ne sais pas ce que j’ai, Armande ! Comme la gloire de Domopolis me semble loin ! Il fut un temps où nous étions la première économie du monde ! Et maintenant, pff, pff, nous voilà surendettés !
_ Tu prends les choses trop à cœur ! Reste, je t’en prie ! Tu pourras te détendre !
_ Malheureusement, le devoir m’attend ! Il faut serrer les boulons à tous les niveaux ! Tant qu’il restera une seule prestation sociale, je ne pourrais pas m’abandonner au bonheur ici ! Tu me comprends ?
_ Bien sûr, mais je peux pas m’empêcher d’être triste ! J’avais rêvé qu’on fondrait une famille, avec des enfants qui auraient été fiers de leur papa !
_ Tu es charmante, Armande… et très séduisante, mais le chômeur, le bénéficiaire d’un minimum social, il n’attend pas lui ! Il ne connaît pas la pause, il pompe le système dans l’ombre, comme une puce énorme ! Et nous ne parlons pas encore de la Sécurité sociale, qui rembourse toujours le rhume ou l’écorchure ! Des années de laisser-aller nous ont conduits au gouffre !
_ Je me demande… Je me demande si tu n’aurais pas peur des Doms émeraude ? si tu n’aurais pas peur de devenir comme eux ! Car la Chose nous pose bien un problème, pas vrai ? Elle handicape bien Domopolis ! Toi-même a été touché, avec tes fleurs...
_ Pff, pff…
_ Peut-être que la solution à nos troubles se trouve bien ici, dans l’étude des Doms émeraude ! Si on trouve un remède à leur maladie, on en trouvera un aussi à l’emploi, à l’abus des prestations sociales ! Oh, Sirimond, la Chose a peut-être quelque chose à nous dire, à travers les Doms émeraude ?
_ Pff, pfff…
_ Vois encore comme la situation est devenue complexe ! On ne peut plus investir et construire comme avant, à cause du réchauffement climatique ! Notre développement ne peut pas continuer à détruire la nature…
_ C’est pourquoi nous effectuons la transition énergétique…
_ Mais c’est plus profond que cela ! Nous ne pouvons plus nous étendre et dominer comme avant ! Et les Doms émeraude, par leur apparente passivité, ont peut-être des réponses… Comment pouvons-nous nous développer, donner un sens à nos vies, sans détruire la nature ? Comment se sentir supérieur, tout en n’écrasant personne ?
_ Mazette, j’ignorais totalement que tu réfléchissais autant ! Je suis perplexe tout d’un coup, car je me demande de quel côté tu es ?
_ Là n’est pas la question, car nous sommes tous embarqués, si je puis dire… Mais l’étude des Doms émeraude me passionne ! Qu’est-ce qui produit leur léthargie ? Ce n’est pas seulement la dépression ! C’est comme si j’étais en face de chrysalides… Je sens une puissance chez eux, qui m’est inconnue et qui ne demande qu’à sortir ! »
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Les hommes de la BAF se préparent dans leur vestiaire… La BAF est l’organisme chargé des prestations sociales à Domopolis ! Les hommes prennent leur fusil, s’habillent avec des vêtements de chasse, car les choses ont changé aujourd’hui chez les Doms ! Le pays est surendetté, notamment à cause des prestations sociales, alors que le nombre d’allocataires est toujours en hausse ! On a d’abord essayé de reconduire les chômeurs et les bénéficiaires de minima sociaux vers le marché du travail… On a réduit les droits, demander plus… On a menacé, traqué la fraude, examiné chaque cas, tendu tous les pièges, grâce par exemple à des difficultés administratives, mais rien n’y fait : ce que d’aucuns voit comme une couche de parasites n’a pas cessé de croître, telle une moisissure qui revient, malgré les nettoyages, les traitements !
Surtout depuis que la Chose est là, on voit comme une recrudescence de la paresse, de la dépendance, sous la forme des Doms émeraude ! Ils sont là, avec leur air nébuleux, dans les bureaux même de la BAF ! Et il n’y a rien à en tirer ! Les tuteurs, les assistantes sociales ont beau sonder, inviter à l’effort, à la recherche du travail, à la réintégration, sous peine de se voir sans aide, les Doms émeraude n’ont que la force de répondre oui ou non, ou de cocher quelques cases ! Que s’est-il passé ou plutôt que se passe-t-il ? La BAF n’ignore pas la présence de la Chose ! Elle sait que celle-ci transforme les individus, mais comment et pourquoi ?
Un tel par exemple a travaillé pendant des années et soudain il se présente à la BAF ! Il demande une aide sociale, comme ça, alors qu’il n’a même pas été licencié ! Il raconte qu’un jour il a été touché par la Chose et que maintenant il ne veut plus travailler comme avant, qu’il a besoin de donner un nouveau sens à sa vie ! Lequel ? Il faut bien gagner son pain et penser à sa retraite, mais dès qu’on presse le Dom émeraude de questions, il s’enferme dans le mutisme ! Pire, il rajoute qu’on ne peut pas le comprendre ! Quoi de plus exaspérant pour la BAF ? Elle serait donc tellement ignorante qu’on la méprise ? Mais, pendant ce temps-là, le déficit se creuse et la hiérarchie de la BAF s’impatiente, en poussant ses employés à la réduction des allocataires !
Finalement, une solution est trouvée : on va supprimer les Doms émeraude, qui sont de toute évidence de mauvaise volonté, des cas perdus ! Les brigades de la BAF sont nées ! Loin des regards, elles traquent le Dom émeraude et l’éliminent, et si cette exécution a lieu dans la ville même, elle passe pour une opération policière ! Ce matin-là, les hommes de la BAF prennent leur pick-up, car la cible, le gibier a été situé hors de la ville, peut-être dans la Chose elle-même, ce qui n’est pas courant ! Cependant, le véhicule ne tarde pas à atteindre ce mur miroitant de la Chose, qui ondule mollement, et y pénètre !
Un paysage de landes apparaît…, pauvre, à l’air désolé ! Malgré les taches mauves de petites fleurs, on ne peut s’empêcher de frisonner, car un vent froid balaie l’espace sans véritable végétation ! Il y a bien là-bas deux ou trois pins, mais ils sont si minces et si tordus qu’ils donnent l’impression de grelotter eux-mêmes ! Ce n’est pas tout ! Le chemin pierreux est saturé d’eau et il devient si étroit qu’il faut abandonner le pick-up !
Le Dom émeraude que l’on cherche a un numéro de la BAF, le 835RE29 ! Il a été vu par des enfants, alors qu’il entrait dans la Chose et il doit donc se cacher dans cette lande, où l’on peut apercevoir quelqu’un même à l’horizon, tellement le terrain est nu ! Mais les heures passent et la cible demeure invisible !
Le ciel, couvert jusque-là, finit par s’éclaircir et le soleil, avant se se coucher, perce les nuages avec ses doigts d’or, qui avancent lentement sur l’océan ! Eh oui ! On peut le voir, immense après la lande, si vaste qu’il semble immobile ! Dans cette ambiance de rocaille, d’eau, de vent qui envoûte et qui fait oublier, les hommes de la brigade sont conduits au silence et à la contemplation ! Le n° 835RE29 se cache-t-il dans quelque « trou à rat », dans l’une des très rares anfractuosités alentour ? Les hommes marchent depuis des heures et n’ont plus vraiment conscience de leur tâche, comme si la Chose les avait peu à peu endormis !
Rêvent-ils ? L’agitation, les préoccupations de Domopolis et de la BAF leur semblent bien lointaines désormais ! Curieusement, ils se sentent apaisés ! Ils n’ont plus peur ! Leur pas est serein, même si leur mission n’est pas encore accomplie et que le soir descend ! Une envie presque disparue remonte en eux… et ils se mettent à fredonner une sorte de complainte, triste et entraînante à la fois !
A Domopolis, jamais on ne revit cette brigade, ni le 835RE29 !
99
Un couple de Doms s’épanchent : « Si tu savais comme je t’aime !
_ Oh ! Moi aussi, je t’aime ! Comme je t’aime !
_ Tu pleures ?
_ Oui, c’est fou comme je t’aime !
_ Oh ! Comme je t’aime !
_ Au début, j’ai eu peur de te le dire, mais maintenant j’ai ce courage : je t’aime !
_ Tu as eu peur ?
_ Oui, j’avais peur de me sentir trompé, en danger, car la vie est dangereuse... Elle n’est pas rose, tu sais ?
_ Mais c’est fini ? Tu ne me rejetteras plus ?
_ Promis, juré ! Je n’aurais plus peur de te le dire ! Je t’aime !
_ Oh, moi aussi ! Nous n’aurons plus peur ensemble !
_ Non, nous sommes équilibrés psychologiquement, puisque nous nous avouons nos sentiments !
_ Oui, tu es ma lumière !
_ Nous nous raccrochons l’un à l’autre ! Nous effectuons notre devoir !
_ Notre devoir ?
_ Mais oui, je porterai ton fardeau, comme tu porteras le mien !
_ C’est triste !
_ Mais vois-tu autre chose ? Le ciel n’est-il pas vide ? A quoi poursuivre un absolu, une chimère ? C’est notre vie terrestre qui compte, notre bonheur ! Je t’aime, tu sais ?
_ Moi aussi, mais je ne savais que tu voyais notre amour d’une façon aussi sombre !
_ Mais je ne te quitte plus ! Tu es ma lumière dans la nuit ! Je veux te voir chaque jour ! Tu es ma raison de vivre, tu sais ! On sera bien tous les deux, tu verras !
_ Et La Chose ?
_ Quoi ? La Chose ?
_ Eh bien, je ne sais pas… On ne peut pas non plus se replier sur nous… Il y a les autres, le malheur du monde !
_ On n’est pas bien ensemble ? Regarde-moi… Je suis toi et tu es moi !
_ Oh ! Comme je t’aime ! Tu es mon fardeau et ma joie !
_ Tu t’en vas ?
_ Oui, je vais aux toilettes…
_ Bien… Quand je pense que nous sommes parfaitement bien intégrés !
_ Qu’est-ce que tu veux dire ?
_ Eh bien, nous formons un couple, nous avons des enfants, un travail, nous cotisons ! Si on nous arrête, on sera parfaitement en règle !
_ Et nous sommes équilibrés, car nous nous avouons nos sentiments !
_ Nous sommes matures ! Et nous mourrons dignement, bravement, avec le sentiment du devoir accompli !
_ Oui, chacun de nous aura porté le fardeau de l’autre ! sans absolu !
_ Nous sommes les premiers humains raisonnables, les philosophes de l’amour ! On peut accepter nos destinées mortelles, en se regardant les yeux dans les yeux !
_ Comme je t’aime ! Et comme je suis triste aussi ! C’est sans doute parce que mon bonheur est trop grand ! Je n’ose croire à une telle joie ! Ce n’est pas possible !
_ Oh ! Comme je te désire et comme j’aimerais ne plus faire qu’un avec toi ! Il fait si froid dehors et le monde est si violent !
_ C’est le fait de gens déséquilibrés !
_ Mais nous sommes bien ensemble, avec un bon salaire !
_ Oui, tenons-nous au chaud !
_ Comme je t’aime ! Tu es ma bouée, ma lumière !
_ Je ne te quitterai jamais !
_ Tu me fais pleurer de joie !
_ Fi de l’absolu et de la Chose !
_ Je n’ai aps d’autres mabitions que celles de t’aimer !
_ J’en suis sûr !
_ Nous sommes les citoyens responsables de l’Univers !
_ Nous mourrons bravement !
_ Nous voilà adultes ! »
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L' attaque des Doms (92-95)
- Le 29/12/2024
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"John, c'est un artiste de la mort!"
Man on fire
92
Ils sont deux… Pour l’instant, ils fouillent les débris du vaisseau écrasé de Paschic… D’où viennent-ils ? Paschic n’a entendu aucun vaisseau atterrir… Peut-être vient-on de les laisser là… Cela fait des années que Paschic vit seul ici et pourtant il se méfie de ces deux visiteurs ! C’est que Paschic a appris à ne compter que sur lui-même, surtout en s’apaisant ! La seule chose qui le préoccupe, c’est de guérir du poison de la Machine et de retrouver la santé ! Or, ce ne sont pas deux intrus, avec leur tourments et leur domination qui vont pouvoir l’aider ! Bien au contraire, car Paschic a déjà repéré qu’il avait affaire à deux Doms !
Cela pour lui ne fait aucun doute et il ne s’en étonne même pas : les Doms se signalent de loin, rien qu’à leur attitude ! Il serait naïf de croire qu’ils sont équilibrés et qu’ils connaissent la paix ! La conscience reste un mystère et chacun répond à sa manière à la peur que produit l’existence, face à l’inconnu de la vie et à l’étrangeté du cosmos ! C’est l’ordre, la routine, les devoirs, les chaînes que l’on s’impose qui nous masquent cette réalité !
Les deux Doms n’ont pas encore vu Paschic, mais il se décide à se montrer, dans le but de moins les effrayer… Il fait du bruit et devient bien visible et les Doms le repèrent et se figent ! Eux aussi se méfient et ils sont maintenant sur la défensive, mais Paschic continue d’avancer, avec le sourire… Il cherche à les rassurer, pour qu’il « n’y ait pas de casse », mais les Doms gardent le visage dur, comme s’ils grimaçaient ! « Il ne font aucun effort d’empathie ! » se dit Paschic, qui connaît déjà la suite !
Il est à présent face aux deux Doms et il y a un instant de silence, où l’on entend le vent miauler parmi les débris… Il n’y a pas de questions, rien, aucun dialogue… Soudain, l’un des Doms produit sa bulle de domination, qui est très puissante ! Elle s’allonge et elle est destinée à asphyxier Paschic ! à l’écraser même ! à lui couper tout espace ! Mais Paschic l’évite sans difficultés, en se tournant un peu de côté, où il retrouve toute sa dimension, qui lui paraît même infinie et qui en tout cas rend totalement ridicule et inoffensive la bulle du Dom !
Son compagnon ne demeure pas inactif et il cherche à prendre à revers Paschic, qui sent à présent une autre bulle de domination lui frapper le dos ! Il devrait être poussé en avant, en être ébranlé, mais il lui suffit de sentir tout son corps posé sur le sol, pour de nouveau échapper à cette attaque ! Il n’a même pas vacillé et il perçoit avec tranquillité toute l’impuissance du Dom derrière lui !
Sa riposte, qui n’en est pas vraiment une, puisqu’il ne fait preuve à l’égard des Doms d’aucun mépris, d’aucune agressivité, a des effets redoutables ! Si la bulle de domination des Doms perd toute efficacité, ils se retrouvent nus face à leurs peurs, leurs angoisses, comme si on les avait jetés brutalement, sans scaphandre, dans le vide du cosmos ! Ainsi, la pression que subissent à présent les deux visiteurs de Paschic est bien au-dessus de leurs forces ! Leur visage est d’abord surpris, car ils ne comprennent pas ce qui leur arrive, habitués qu’ils sont à diriger le monde et les autres ! Puis, la panique les envahit, telle une décharge électrique et ils explosent sous les yeux de Paschic, qui n’en est pas attristé ! Car il n’a rien fait ! Au contraire, il était d’abord de bonne volonté ! Il était prêt à se montrer aimable ! Ce sont les Doms qui l’ont attaqué et qui se sont détruit tout seuls, face à sa présence !
Comment cela est-il possible ? Mais Paschic vient lui aussi de découvrir cet état de choses ! La situation lui est nouvelle ! Mais voilà des années qu’il est ici et qu’il se transforme ! Il n’est pas là inerte, mais peu à peu il change, il mue !
Il enterre les restes des Doms et auprès d’un bon feu, alors que le soir tombe, il fait le bilan ! Il y a quelques mois, il s’est aperçu qu’il avait gagné en force, notamment parce qu’il pouvait manger moins ! Il a réussi à perdre du poids, à « renverser la vapeur », à quitter le chemin de l’obésité ! Cela n’est possible que si on arrive à se reposer ! Paschic est donc plus paisible et a trouvé un nouvel équilibre ! Comment ? Mais que fait-il ici, sinon avoir une histoire de confiance et de spiritualité ? Il se rétablit grâce à la connaissance, à la vérité ! Voilà pourquoi il n’a plus besoin de sa domination ! Voilà pourquoi celle des Doms ne peut plus rien sur lui !
L’existence des Doms et leur fonctionnement lui sont venus lentement, par la réflexion et parce qu’il est à l’écoute ! Il est tendu vers la compréhension, la lumière, ne serait-ce que dans le but de guérir ! S’il n’y avait pas eu de progrès, de rétablissement, il aurait abandonné ! L’illusion n’a pas sa place dans cette convalescence, mais le résultat, c’est qu’aujourd’hui l’hypocrisie et le mensonge des Doms, leur ignorance plutôt, lui son évidents ! Si l’équilibre des Doms était vrai, ils n’auraient pas besoin d’agresser, ni de mépriser ! A présent, la connaissance de Paschic, qui n’a jamais cessé de se rapprocher de lui-même, le rend libre et invulnérable !
93
Un arbuste se rend dans l’un des commissariats de Domopolis… « C’est pourquoi ? lui demande-t-on dans l’interphone.
_ C’est pour une plainte ! »
On laisse l’arbuste entrer et après un temps d’attente assez long, il est reçu dans un bureau… « Alors qu’est-ce que je peux faire pour vous ? lui demande un policier.
_ C’est au sujet de mon père… Il a été tué !
_ Diable ! Mais on ne nous a pas signalé de meurtre !
_ Non, j’ai constaté la chose ce matin ! Mon père n’était plus là ! Il a été coupé ! Il n’y avait plus que ses pieds, plantés dans le sol !
_ Comment ? Il n’y a pas de corps ?
_ Non…
_ Et il est où l’ corps ?
_ J’ sais pas !
_ Bon, commençons pas le commencement… Décrivez-nous vot’ père…
_ Ben, c’était un pin majestueux, magnifique ! Il avait près de cent ans !
_ Eh ! Eh !
_ Oui, c’était un colosse, dont les branches partaient très haut dans l’ ciel ! Tout le monde se réjouissait à sa vue !
_ Faut croire que non… Il avait des ennemis ?
_ Pas à ma connaissance…
_ Tout de même, c’est un travail de pro ! On le tue, on l’abat et on enlève le corps, qui est gigantesque ! Ceux qui ont fait ça avaient les moyens !
_ Sans doute…
_ Bon, laissez-moi passer un coup de fil… Allô la Ville ? Ici le commissariat… Dites donc, j’ai là un arbuste qui cherche son père, un pin magnifique… Ouais… Je me demandais si c’était pas vous ?
_ Bien sûr que si, c’est nous !
_ Ah bon ? Et qu’est-ce que je dis au fils ?
_ Ben, vous lui dites que son père était malade… et que pour le bien de tous, avant qu’il ne soit un danger, on l’a enlevé !
_ D’après le fils, le père était en pleine forme !
_ Bon ben, dites alors que c’est à cause des étourneaux !
_ Des étourneaux ?
_ Mais oui, ils se perchaient dans l’arbre et salopaient tout en dessous ! Et puis, il y avait aussi le bruit !
_ Et c’est pour ça que vous avez supprimé un arbre centenaire ? C’est pas un peu léger ? Y avait pas d’autres moyens ?
_ Je n’aimas pas du tout vot’ ton ! Mais alors pas du tout ! Vous racontez ce que vous voulez au fils… et vous me foutez la paix ! Est-ce que c’est clair ?
_ Oui…
_ Nous, on veut plus d’arbres ! Basta ! »
Le policier raccroche et se tourne de nouveau vers le fils… « C’est bien eux…, la mairie ! Mais ils m’ont dit que vot’ père a été victime d’une attaque ! Il est tombé comme ça, poum ! Alors, comme il dérangeait la circulation, ils l’ont découpé… et voilà… J’ suis désolé !
_ Je ne crois pas un mot de cette histoire ! Mon père était en parfaite santé ! C’est la mairie qui veut plus d’arbres ! C’est des salauds ! Vous verrez, quand y aura la canicule, y aura plus d’ombre, non plus ! Et l’oxygène, mon père captait le CO2, bravement : il faisait son devoir !
_ J’en doute pas ! D’ailleurs, j’ le connaissais vot’ père… J’ l’aimais bien, il m’éblouissait même tellement il était haut et puissant ! Une vraie merveille ! Mais la mairie a tous les pouvoirs et quand ils ont décidé quelque chose…
_ On dirait que vous parlez d’une mafia !
_ Mais c’est ça ! Alors un conseil… Faites vot’ deuil… Oubliez tout ça, sinon vous serez transformé en tas de copeaux ! »
94
Paschic songe à son enfance et la trouve toujours aussi curieuse, mystérieuse même ! Pourquoi s’est-il opposé à la Machine ? Cela n’est pas le cas de ses frères, ni de ses sœurs ! Voilà pourquoi il s’est vite trouvé anormal ! Mais il a toujours été un peu spécial, aimant être seul, se réjouissant de ses rêveries et de la magie de la nature !
Plus l’humanité avance et plus elle est individualisée, car c’est la conséquence inévitable du développement de la pensée, qui s’accompagne aussi d’une libération par la technologie, etc. ! Mais le risque, bien entendu, est que plus on s’intéresse à soi et plus on peut devenir égoïste, narcissique ! Pourtant, plus on est conscient de soi et plus on est sensible au mépris et donc à l’injustice ! Plus on a une idée nette de ce que l’on est et plus la tyrannie des autres devient évidente ! Ce n’est que quand la relation reste un brouillard, affectif notamment, que l’on peut être piétiné sans s’en rendre compte, comme si c’était normal d’obéir !
Mais, surtout, Paschic a très vite vu l’hypocrisie de la Machine, comment elle niait l’évidence, par exemple lorsqu’elle disait qu’elle ne prenait pas de plaisir, en se consacrant toutefois à sa vanité, son image ! Paschic est devenu une pierre dans le jardin de la Machine, bien malgré lui, car il était un enfant, qui ne cherchait pas autre chose que tous les autres enfants, à savoir qu’il voulait jouer, en découvrant la vie !
Mais la Machine n’avait rien d’exceptionnel : elle était une Dom parmi tant d’autres ! Paschic l’a constaté bien plus tard, mais c’est en étudiant justement la Machine qu’il est arrivé à connaître les Doms et leur fonctionnement ! Ainsi, le petit Paschic, qui ne demandait qu’à rêver, a dû soulever une page universelle, d’autant que les Doms n’ont jamais été aussi présents, avec autant de pouvoir ! Puissent les écrits de Paschic servir à l’humanité, car elle est en « danger », la peur conduisant le Dom au nationalisme et à faire triompher sa force, au détriment du plus faible, cela va de soi !
L’exemple de Paschic peut être utilisé par tous ceux qui prennent conscience de la tyrannie des Doms, qui en souffrent et qui veulent de l’espoir, au-delà de la domination, de la soif de l’ego !
Tout de même, Paschic s’interroge sur les deux Doms, qui se sont détruits à son contact… et il se décide à explorer un peu mieux les environs ! Il ne voudrait pas être surpris par d’autres Doms et ils ont peut-être une base plus loin ! D’ailleurs, Paschic se sent mieux pour faire de la marche, un effort plus grand physiquement, même s’il se méfie de sa faiblesse, qui ferait réapparaître tout aussitôt ses difficultés psychiques et ses angoisses ! Il veille donc à prendre de quoi manger, dans une besace et il gardera à l’esprit qu’il doit se surveiller, écouter son corps, car ses possibilités ne sont plus celles de jadis ! Pourra-t-il un jour être totalement débarrassé du poison de la Machine ? Il en doute !
Paschic est content de quitter son campement et de découvrir un nouvel horizon… et il se dirige tout naturellement vers un chaîne de montagnes, qui ne paraît pas inatteignable ! Le jour, il boit soigneusement et la nuit, il allume un feu et contemple les étoiles ! Puis, il arrive au pied des monts, sans grande fatigue, ce qu’il voulait, mais il découvre alors les ruissellements d’une eau noire, qui s’étendent dans la plaine, jusqu’à former un large fleuve à l’horizon ! D’où vient ce liquide sombre comme la nuit ? Des hauteurs sans doute… et Paschic commence son ascension, franchissant des éboulis, retrouvant l’eau noire en torrent, ce qui lui serre de plus en plus le cœur, d’autant que maintenant il est parfois épuisé, contraint de s’asseoir, afin de retrouver son souffle !
Il hésite à continuer, car il sait qu’il commence à dépasser ses forces, à se menacer de nouveau… Le vertige le prend dès que la pente devient abrupte, mais le « mystère » de ce flot anthracite le taraude et il continue jusqu’à une petite crête ! Le soir tombe et il découvre un lac noirâtre et bouillonnant ! Ainsi, la source est là ! Paschic se concentre, autant à cause de la fatigue que parce que l’obscurité se fait, mais il parvient à distinguer quelque chose qui hérisse ses cheveux, en le remplissant d’épouvante ! Là, sur une berge, des créatures sortent du lac, aussi noires que lui ! Elles se sèchent apparemment, en prenant forme et elles ressemblent à des êtres humains !
Seraient-elles des Doms ? Les deux visiteurs de Paschic ne venaient-ils pas d’ici ? Soudain, Paschic perçoit un bruit, plutôt une lamentation, qui monte du lac ! Mais oui, on y pleure, on y gémit, on y appelle même au secours ! C’en est trop pour Paschic, quasiment en proie à la panique ! Il n’est plus que faiblesse et peur ! Il se laisse glisser en arrière et ferme les yeux ! Il ne peut pas faire grand-chose pour ceux qui sont apparemment prisonniers du lac ! Il ne résisterait pas une seconde face à un Dom ! Il doit battre en retraite, retrouver le campement ! Il a présumé de ses forces et dans la nuit, en s’efforçant au silence, il s’échappe !
95
Au camp n° 5, les exercices s’enchaînent pour ramener les Doms émeraude dans le droit chemin, celui de la consommation, gage de la sociabilité ! Mais les Doms émeraude, qui ont été « contaminés » par la Chose, gardent un air nébuleux, avec un corps inerte et leur « guérison » semble toujours impossible ! On ne les comprend pas ! Les médecins, jamais en manque de mots compliqués, parlent de dépression, de catatonie, d’aboulie ! Ils auscultent, analysent et se perdent en conjectures devant ces faces de « crétins », insondables !
Des expériences sont tentées ! On ouvre par exemple des valises pleines de billets, sous les yeux des Doms émeraude et on caresse l’argent, en disant au patient : « C’est pas beau, ça, hein ? Je te donne ma parole que tout ce flouze est à toi ! Il te suffit de le prendre, de tendre la main ! C’est pas compliqué ! Prends, mais prends ! Pense à tous les plaisirs que tu vas pouvoir t’offrir ! Un bon gueuleton, avec la fille la plus belle du monde ! Ça se refuse pas ! Hein ? »
Si le Dom émeraude est une femme, on lui chante : « C’est offert par la maison ! sans contrepartie ! Écoute le bruit de la liasse ! Évidemment, c’est un peu vulgaire donné comme ça… Mais notre souci est sincère : on veut que vous repartiez tous, sur de nouvelles bases ! Tu loues un appartement, tu refais ta garde-robe, avec les bijoux qui te feront la plus belle… et une nouvelle vie commence ! Finie la tristesse, l’immobilisme, le repli sur soi, le sentiment d’abandon ! La battante qui est en toi retrouve ses droits ! Tu feras craquer les mecs ! On t’enviera… et tu redeviendras utile à la société ! Alors, dis-moi où est le blem ? »
Mais on a beau faire, les Doms émeraude restent passifs, comme perdus dans un rêve d’éternité ! On s’énerve et finalement, on les conduit au Rêve blanc, cette galerie marchande, reconstituée au sein même du camp ! Elle symbolise le summum de la civilisation ! D’abord, elle est d’une propreté stupéfiante ! Tout y est blanc, d’où son nom ! La modernité y est évidente ! Les lumières tamisées rayonnent tel de l’or ! Toute la grisaille de l’extérieur n’y paraît plus qu’un mauvais cauchemar et dans sa douce température, les organismes se reposent ! On y flotte plus qu’on y marche et on y murmure à l’égal de la musique ambiante !
Le luxe et la richesse comblent les yeux et la beauté des Doms triomphent ! C’est le palais de la mode et de la jeunesse et les dix Doms émeraude, qu’on y mène à la queue-leu-leu, tranchent absolument, ont l’air de bagnards, de pauvres bouges égarés, sans doute chargés de sortir les poubelles !
On décide pourtant de les faire entrer chez un opticien et une vendeuse sculpturale s’approche très vite d’eux ! Parmi les rayons impeccables, elle porte un tailleur chic et son visage est maquillé comme il faut ! Sa bouche est peut-être trop rouge, trop proéminente, ses joues trop poudrées, trop farineuses, sa volubilité trop grande, trop nerveuse et l’ensemble rappelle peut-être trop une poupée agitée, mais la Dom fait son numéro et elle le connaît bien ! Tous les modèles de lunettes sont décrits en un tour de main ! C’est un souffle, un tourbillon destiné à emporter, étourdir le client, qu’on voit déjà réglant ses achats, mais les Doms émeraude ne sont pas normaux et la vendeuse constate qu’elle n’a aucun effet sur eux !
Le temps s’arrête un instant… Le visage de la vendeuse se craquelle et son maquillage coule, parce qu’elle se met à pleurer, contre le torse du premier Dom émeraude, un géant apparemment débonnaire, mais qui ne réagit pas ! « Mais qu’est-ce qui se passe ici ? » s’écrie le duc de l’Emploi. On se rappelle qu’il est lui-même enfermé dans le camp, mais avec un statut spécial, puisqu’il n’est pas considéré comme un Dom émeraude ! Cependant, il a toujours ce problème lié à la Chose, qui est de « cracher » des fleurs, principalement des pâquerettes, en parlant ; ce qui ne l’empêche pas de s’emporter !
« Mais qu’est-ce qui s’ passe ici, bon sang ? répète-t-il. Pff, pfff ! (Il rejette des fleurs) ! Qui m’a fichu une vendeuse pareille ? Qu’est-ce qu’elle a à pleurer comme ça ! Pfff ! Pff ! » Autour, le personnel médical ne sait quoi répondre… Il est autant abasourdi par les larmes de la vendeuse que par les pâquerettes qui sortent de la bouche du duc, car il n’est toujours pas habitué à ce phénomène ! Cependant, le Dom géant fait un geste et il vient poser sa grosse main sur la tête de la vendeuse, comme pour lui dire : « Là, là, ça va passer ! »
Les médecins se regardent, puis l’un d’eux lâche : « Un cas de « burnout » certainement !
_ J’ t’en foutrai du burnout ! réplique le duc de l’Emploi. Pff, pfff ! Elle a tout cette gosse ! Elle vit tous les jours dans le Rêve blanc ! Elle devrait être heureuse ! Pff, pff ! Tu parles d’une publicité ! Allez, virez-moi cette tête à claque ! Pff ! Pff !
_ Remarquez, reprend le médecin, y a du mieux ! Vous avez vu le Dom émeraude : il a réagi ! »
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L' attaque des Doms (88-91)
- Le 22/12/2024
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"C'est sans danger?"
Marathon man
88
Dominator et l’Embrouilleur discutent ce soir-là, dans la tour du Pouvoir… Sous leurs yeux, le jour s’éteint avec des rayons d’or, à travers de gros nuages et à cette distance, la Chose, qui bloque la ville, paraît elle-même s’endormir ! Dominator, un verre de whisky à la main et soufflant la fumée de son cigare, prend un ton confidentiel : « Je suis né dans une famille pauvre, dit-il. Le chauffage marchait mal et les toilettes étaient sur le palier ! Évidemment, ça sentait la soupe aux choux… Pour m’en sortir, je me suis dit que je devais entrer dans la police secrète ! D’abord, parce que je voulais être un héros, quelqu’un qu’on admire, avec une vie pas ordinaire et du pouvoir, puisque l’agent secret manipule les gens, œuvre dans l’ombre… Vous saisissez ?
_ Oui, je crois, répond l’Embrouilleur, flatté d’entendre son maître raconter sa vie.
_ J’étais plutôt chétif à l’époque et assez effacé, ce qui faisait que je n’étais pas parmi les mieux notés ! Mais enfin j’étais discipliné, patient et j’attendais mon heure ! Ce fut à ce moment que l’Empire Dom s’est écroulé !
_ Oui, bien sûr…
_ Nous étions quasiment les maîtres de l’univers et subitement nous n’étions plus rien ! emportés par la tempête ! contraints de faire n’importe quoi pour survivre ! J’ai commencé à trafiquer, alors que j’étais devenu un secrétaire de mairie ! J’ai compris le lien qui pouvait se nouer entre la mafia et les autorités ! On favorise des marchés, on assure des protections en échange de marchandises, etc. ! Cela s’appelle la corruption !
_ C’était une période bien trouble...
_ En effet, mais je gardais en moi cet amour de la patrie ! Je voulais lui rendre sa grandeur et que le monde craigne à nouveau le nom de des Doms ! J’étais encore jeune et prêt à tous les sacrifices ! Ces bonnes dispositions m’ont permis d’attirer la confiance et j’ai semblé l’homme de la situation…
_ Vous êtes devenu président !
_ Oui, sans doute grâce à cette flamme respectueuse qui brûlait en moi, cette soif de redonner au pays toute sa puissance, alors qu’il était désormais en proie au banditisme ! Il était certes libre, mais dans le chaos ! Il fallait y remettre de l’ordre, ce que j’ai fait !
_ Et de quelle manière !
_ Taisez-vous ! Vous ne savez pas la moitié des choses ! Comment par exemple réduire les chefs de bande ? Mais en devenant le premier d’entre eux, le plus fort, le plus riche aussi ! J’ai pris le contrôle de toutes les grosses entreprises, j’y ai placé mes amis d’enfance ou des hommes sûrs ! L’argent est rentré à flots, par millions ! Dans le même temps, je me suis débarrassé de tous mes adversaires ! Je les ai fait tomber un à un, car j’avais pris le contrôle de la justice ! Je les ai envoyés en prison, après les avoir humiliés dans des procès bidons !
_ A la guerre comme à la guerre !
_ Mais ce n’était que le début ! Tenir tout le pays dans sa main demandait d’être présent partout ! surtout dans les médias, car nous sommes à l’ère de la communication ! J’ai commencé par écarter les directeurs de chaînes qui m’étaient hostiles et peu à peu la télévision m’a été entièrement soumise ! Cela n’a pas été sans mal, croyez-moi : il n’y a rien de plus acharné qu’un journaliste ! Mais ceux qui m’ont cherché des poux ont été supprimés…, assassinés à vrai dire ! Oh ! Ne vous méprenez pas : ce n’est pas moi qui ai commandité ces assassinats ! Le système que j’ai instauré est constitué de cercles de pouvoir, qui se défendent eux-mêmes ! Ainsi tel journaliste, qui enquêtait sur le financement des autoroutes ou du matériel de l’armée, a connu une fin tragique !
_ Tous des fouille-merde, de toute façon !
_ Après les médias, je me suis attaqué à la constitution, pour devenir président à vie ! Il ne s’agissait pas de lâcher le pouvoir à un démocrate mollasson, qui aurait détruit mon œuvre !
_ Comme je vous comprends !
_ J’ai donc créé un parti, le mien, qui devait être largement majoritaire à l’Assemblée, afin de voter pour mes réformes ! Ici, j’ai pu compter sur les ambitions des députés, qui se sont ralliés à mon parti, même s’ils n’étaient pas d’accord avec mes idées ! Mon parti était devenu la garantie de leur victoire et j’ai comme siphonné entièrement le paysage politique !
_ Vous aviez enfin les pleins pouvoirs !
_ C’est ce que je croyais… ou tout du moins je croyais que le peuple suivait mon ambition, celui de rendre le nom des Doms tout puissant ! Je croyais même qu’il m’aimait pour cela, mais je me trompais ! Il y a eu des manifestations, contre mes soi-disant fraudes électorales ! Les gens voulaient leur liberté, ce qu’ils appellent la démocratie ! Pour en faire quoi ?
_ On se demande bien ! »
89
« A ce moment-là, j’ai ressenti ce qu’on appelle l’ingratitude !
_ Comme je vous plains ! Mais n’est-ce pas la destinée de tous les grands esprits d’être incompris ?
_ Peut-être… Toujours est-il que j’ai senti le vent de la sédition, du chaos, de la perversion ! L’ordre était menacé, la famille aussi ! Je me suis associé à l’Église, pour devenir le gardien de la morale !
_ C’est tout à votre honneur !
_ J’ai voulu une société pure, débarrassée du vice et se forgeant sur la vérité, le travail, l’honnêteté ! alors que par nécessité j’avais dû avoir recours à la corruption ! C’est elle qui m’assure l’allégeance de mes vassaux, si je puis dire ! Mais aurais-je pu suivre un autre chemin ? Une voie moins contradictoire ?
_ Je ne vois pas… Non…
_ La démocratie, la liberté individuelle ? J’aurais alors perdu le pouvoir et dû laisser le navire à un autre… Je vais vous révéler un secret… J’ai peur du vide, de l’inconnu, de l’imprévu ! J’adore la sécurité ! Je ne supporte pas un monde que je ne contrôle pas !
_ Mais vous êtes un visionnaire... Vous travaillez pour le bien des autres !
_ C’est exact ! Je protège la famille… Mais mon but principal reste toujours la grandeur des Doms, leur puissance, le souvenir de l’Empire ! Car, figurez-vous, la sécurité ne nous suffit pas ! Même si les Doms mangeaient à leur faim, étaient tranquilles, ils n’étaient pas heureux pour autant ! J’avais beau restaurer notre influence, notre droiture, notre fierté, le marasme finissait toujours par revenir ! Et qui dit marasme, dit mécontentement et sédition, dit désordre !
_ Les Doms ne savent pas ce qu’ils veulent ! Vous avez raison de parler d’ingratitude !
_ Force m’a été de constater que chacun veut se développer, avoir un destin propre ! Et plus la civilisation avance et plus nous nous individualisons, ne serait-ce que parce que nous sommes détachés de notre recherche de nourriture ! C’est cela le progrès : nous prenons de plus en plus conscience de nous-mêmes !
_ Je ne voyais pas ça sous cet angle…
_ C’est naturel ! Le destin de l’homme est un développement de sa conscience, de ce qui lui est propre ! Ce n’est pas un retour vers le règne animal !
_ Oui… Évidemment…
_ Mais cela veut aussi dire que nous sommes animés par une soif sacrée, quasi mystérieuse ! Un feu nous rend insatisfaits, nous met en quête, provoque notre impatience, dès que la routine devient implacable ! J’explique le marasme qui nous talonne, vous comprenez ?
_ Très bien, je vous suis parfaitement !
_ La conscience semble un arbre sous le cosmos ! Ses branches peuvent grandir indéfiniment ! Notre imagination n’a apparemment aucune limite ! Mais comment contrôler ce feu, étancher cette soif, canaliser cette recherche ? Comment faire pour que les Doms s’individualisent dans le même but ? Il y a des exemples, comme les compétitions sportives, où le pays se mobilise derrière l’athlète, s’enchante de sa victoire, retrouvant la fierté !
_ C’est vrai…
_ Mais ces exemples sont éphémères et sitôt qu’ils sont passés, le marasme revient !
_ Eh oui, cet affreux marasme !
_ Il fallait une cause plus grande, plus forte, plus durable ! une cause qui aurait rappelé aux Doms l’époque de l’Empire, quand l’univers tremblait rien qu’à entendre notre nom ! Alors chaque Dom pouvait s’enorgueillir, se nourrir de ce pouvoir !
_ Et le marasme était tenu en échec !
_ Il avait certainement des limites ! Alors qu’aujourd’hui, si on le laisse faire, il emporte tout, il n’a plus de barrières !
_ Je suis persuadé que vous avez trouvé la solution !
_ C’est vrai…, du moins je l’ai cru : je me suis tourné vers les armes !
_ La guerre ?
_ Chut, imbécile ! Ne prononcez jamais ce mot devant moi ! Me prenez-vous pour un homme du passé, un anachronisme ! Vous croyez qu’on peut déclencher une guerre comme ça, à l’ère de la communication, quand les distances sont abolies et que tout le monde se connaît ? Vous rêvez, mon ami ! Seule une brute épaisse utiliserait ce mot-là ! Non, je me suis d’abord contenté de petites opérations spéciales ! comme quand on entre dans l’eau froide, pas à pas !
_ C’était plus sage !
_ En effet, mais notre soif d’absolu, si je puis dire, s’est réjoui de mes premières victoires ! Le Dom était sauvé du marasme, car je me montrais fin stratège ! Je surprenais mes ennemis et le Dom se renforçait, se gargarisait de ma réussite !
_ Et il aurait eu tort de faire la fine bouche !
_ La suite est pourtant moins drôle ! »
90
« Ah bon ?
_ Oui, à force d’être trop gourmand, l’une de mes opérations spéciales a échoué !
_ Diable !
_ Alors là, la totale ! Des morts par centaines ! Une retraite dans le chaos ! Des soldats frustrés commettant des exactions ! Mais surtout, surtout, un bourbier !
_ Un bourbier ?
_ Oui, une guerre de position, d’usure, si vous préférez…, avec des tranchées, des avancées minimes, de lourdes pertes, etc. !
_ La guerre, en définitive !
_ Voilà la guerre ! Ce que je voulais pas ! Au revoir mon génie militaire, ma ruse, mon brio ! L’épouvantail, c’est moi ! La tête de vampire, je la porte tous les jours ! Snif !
_ Allons, allons, ce n’est pas comme si vous étiez au front !
_ Comme si ça pouvait me consoler ! On voit que vous ne savez pas ce que c’est d’être mal aimé !
_ Enfin, ce n’est tout de même pas aussi pénible que pour vos soldats, si ? Ils ont froid, faim et ils risquent leur vie !
_ Mais ils peuvent piller, pour se nourrir, ou violer pour se réchauffer ! Ils peuvent même torturer, s’ils veulent rigoler ! tandis que moi, je me sens laid, rebutant ! J’ai toujours cette impression que le Dom me regarde et me demande des comptes ! J’entends sa voix : « Dominator ! Dominator ! Qu’as-tu fait ? » Je crains qu’on ne me traite subitement d’anachronisme ! Je déprime, je suffoque en silence, car je n’ai plus le droit de profiter de la vie, de ma fortune, qui est colossale ! Pensez, être là devant ce tas d’or, sans pouvoir y piocher ! La vie, cette fourbe !
_ Évidemment, tout n’est pas rose ! Moi-même, à la propagande, parfois je me dégoûte ! A force de mentir, de chanter vos louanges, je me regarde dans la glace avec répugnance ! Comme si je ne savais pas que vous avez poussé les Doms dans le gouffre ! A cause de la corruption, du népotisme, de l’économie souterraine, qui est forcée, vous avez enlevé au Dom tout avenir ! Ou bien il vous cire les pompes, ou bien il crève !
_ Non mais dites donc, je ne vous permets pas ! d’autant que vous êtes grassement payé ! Vous m’êtes suspect d’un coup !
_ Eh là ! Eh là ! Ne vous méprenez pas ! Ce n’est pas moi qui vient de vous parler ! C’est l’opposition, ce sont ses arguments ! J’ai voulu vous représenter combien elle pouvait être fourbe et vendu à l’étranger ! Excusez-moi, mais, s’il fallait vous parler à cœur ouvert, j’utiliserais un tout autre ton ! Ah ! J’enrage de ne pas pouvoir supprimer tous vos ennemis ! Enfin, vous connaissez maintenant leur ton fielleux !
_ Ouais ! Je me demande quel serait votre chant sous la lame du bourreau ?
_ Mais celui d’une fidélité absolue ! Il ne manquerait plus que vous ne vous sentiez pas en sécurité en ma compagnie, dans votre propre palais ! Mais nous en étions à vos vicissitudes, à votre peine !
_ Ouais ! Vous essayez de changer de sujet !
_ Ah bon ? Ce que je suis peut avoir une importance ? Vous rigolez ! C’est votre nom que l’Histoire retiendra ! D’ailleurs, à ce propos, je vous rappelle que j’ai repeint les siècles à votre couleur ! Dans les manuels, l’Empire des Doms est maintenant sans taches et sans ambitions ! Les parricides, les infanticides, les décisions militaires désastreuses, les lâchetés de vos prédécesseurs n’existent plus ! Le Dom est lustré !
_ A vrai dire, je crains que vous ayez raison et que nous soyons dans une impasse !
_ Ah !
_ Oui, je ne peux plus reculer !
_ Vraiment ?
_ Je ne peux pas arrêter cette boucherie, sans passer pour un perdant ! Et que dira le Dom ? Qu’on l’a ridiculisé ? Dieu m’en garde ! Oh ! Je suis las de tout ça ! J’ai voulu faire le bien… et voyez où ça mène ! Des cercueils et encore des cercueils ! Et les mères des soldats qui me regardent de travers !
_ Vous oubliez une chose ! C’est que, selon vos ordres, nous sommes les agressés… et non les agresseurs ! Ma propagande n’a cessé de le répéter : nous n’attaquons pas, mais nous défendons !
_ Mais oui, parbleu, je n’y étais plus, là ! Ah ! Ah ! Vous me redonnez le moral ! Vous n’êtes pas aussi inutile que ça, finalement !
_ Je ne vous le fais pas dire !
_ Ah ! Ah ! Il y a encore de l’espoir ! Tout n’est pas perdu ! On peut encore s’en sortir ! Bien sûr, il faudra encore tuer, mais la lumière apparaît, tout là-bas, à l’horizon !
_ De quoi arrêter l’inflation ? »
91
Paschic est toujours sur sa planète inconnue, parmi les débris de son vaisseau, qu’il a transformés en un abri ! Des années ont maintenant passé et Paschic a dû prendre conscience de l’ampleur de son mal, dû au poison de la Machine, mais aussi à sa bonne volonté ! En effet, jusqu’ici, Paschcic a toujours voulu faire au mieux, il n’a pas ménagé sa peine, mais la Machine a détruit chez lui toute défense, ce qui fait qu’il s’est demandé à lui-même bien plus que de raison et qu’il s’est perdu ! Il s’est déséquilibré psychologiquement, au point de ne plus sentir d’amour pour lui-même et d’être en proie à des angoisses absurdes et pourtant douloureuses ! Par exemple, pourquoi ne se mettrait-il pas à aboyer, avant de courir tout nu, ou pourquoi ne s’exposerait-il pas à la pluie, alors qu’il est si bien dans son abri ?
Bref, Paschic n’est plus qu’un fantôme grimaçant et tout effort lui coûte ! Ses nuits ne sont nullement reposantes et son lit ressemble à une claie de torture ! Chaque matin, il se lève encore plus fatigué que la veille et se nourrir reste une corvée ! L’esprit de Paschic ressemble à ce qui l’entoure : un désert caillouteux, balayé par les vents ! Parfois, Paschic pleure tellement sa vie lui paraît aride ! Se serait-il trompé ? La Machine aurait-elle raison ? N’est-ce pas Paschic l’inadapté, vu le résultat ? N’aurait-il pas exagéré ses impressions ? Mais est-ce que le fou se demande s’il est fou ? Bien sûr que non ! Il est fou tout « simplement » !
Paschic garde donc une petite certitude, une petite foi, tout au fond de lui-même, une petite lumière, malgré son triste état, ses peurs irraisonnées, ses angoisses destructrices ! Cependant, le quotidien demeure pénible ! Il semble à Paschic que pour pouvoir dormir, se reposer, tenir debout et même continuer à réfléchir, il lui semble qu’il ne mange jamais assez ! Il faut qu’il ingurgite pour que le sommeil le prenne, pour qu’il puisse souffler et qu’il connaisse au moins un apaisement ! Et Paschic mange, mange, et gonfle, gonfle ! Il y a par là un « arbuste à pain », qui sert incessamment de nourriture et Paschic est bientôt le double de lui-même, comme un ballon gonflable ! Il n’arrive plus à lacer ses chaussures, à cause de sa panse et il est tout de suite essoufflé ! Cela s’est fait progressivement, inéluctablement, mais pour Paschic, c’est un nouveau drame, une nouvelle cause de désespoir ! C’est encore un symptôme d’échec, de peine, d’abandon, de solitude !
Ce à quoi croyait Paschic s’est envolé ! Ce qu’il était, le sentiment de sa sensualité, son aisance, sa force, sa félinité même ont disparu ! Il n’y a plus qu’un gros, un obèse qui craint ses pensées ! Pourtant, Paschic ne se dissout pas ! Il persévère, il n’a pas pu se tromper ! Il a vu ce qu’il a vu ! Il n’a pas eu d’ambitions, il n’a pas menti, ni méprisé, ni fait de calculs ! Il a juste essayé de vivre, c’est tout ! C’est cette simplicité qui le fait tenir… et il attend, sue, peine, gémit, supporte ! Il doit bien y avoir quelque chose ! un sens, une vérité ! C’est cela le courage : être ferme, patient, déterminé, malgré les difficultés ! Paschic regarde et peu à peu la connaissance se lève ! Ce qui était brisé, desséché, apparemment mort, commence à reverdir, lentement, ainsi qu’une mousse, même une moisissure deviennent visibles !
Autrefois, Paschic était aveugle ! Il se débattait avec plein de choses : ses amours, ses blessures dues à la Machine, son avenir, la nécessité de gagner sa vie, etc. ! Il avait toujours l’impression de courir, d’où l’alcool, les stupéfiants, tout ce qui pouvait le détendre et qui lui semblait nécessaire ! Il était encombré de voiles et s’il en arrachait un, un autre surgissait ! Mille angoisses, mille questions, mille plaisirs, mille conversations ! Mais ici…, il ne peut plus s’agiter ! Il a touché le fond ! Il ne bouge plus ! Et peu à pue pourtant la connaissance coule en lui ! La nécessité de faire la paix avec lui-même le conduit à l’écoute, à la patience, à l’attente…. Le ruisseau frais du savoir n’est pas tari et arrose de jeunes pousses ! Le sens n’est pas une plaisanterie ! Ce n’est pas une absurdité de plus ! Paschci n’a demandé qu’à comprendre et sa vision s’élargit, devient vaste, infiniment plus claire ! L’existence des Doms lui est révélé, comme la logique de la Machine et la source de son mépris !
La connaissance a besoin de vastes épaules, car elle demande à l’individu qu’il accepte sa propre différence, ce qui ne peut pas être obtenu sans peur ! Voilà pourquoi le jeune doit attendre, pour avoir la réponse à ses questions ! Le savoir nécessite de la force et de la maturité, car il fait qu’on se sent étranger parmi les hommes ! Ce n’est pas facile à supporter ! Paschic n’est pas totalement dans une situation d’échec ! S’il gagne des connaissances, cela veut aussi dire qu’il gagne en force ! Il n’est pas seulement un obèse souffreteux, il est encore quelqu’un qui s’apaise, qui se réconcilie avec lui-même ! quelqu’un qui ferme lentement ses blessures, qui sait patiemment guérir ! Tout le contraire d’un chemin menant à la folie et au désespoir !
Donc Paschic s’accroche, à cause de cette connaissance qui reverdit ! Le Paschic, pris dans les brumes de son agitation, n’est plus ! La lumière s’éveille…
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L' attaque des Doms (83-87)
- Le 14/12/2024
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"Je m'appelle Roger Tornhill!
_ Bien sûr, monsieur Kaplan..."
La Mort aux trousses
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Le Nouveau Jour (NJ pour les intimes) sort de l’hôpital psychiatrique, après y avoir été interné à sa demande, pour une dépression grave ! En effet, NJ se sentait inutile, face à l’indifférence des gens ! Il avait beau donner le meilleur de lui-même, il ne provoquait aucun intérêt chez les Doms ! Le désespoir peu à peu l’avait envahi, sapé et plongé dans une apathie noire, qui le faisait souvent pleurer ! NJ avait eu recours à l’alcool, pour essayer de retrouver de l’euphorie, de la flamme, mais le résultat avait été pire, notamment par un abattement, un épuisement accru !
A l’hôpital, il avait laissé dehors l’agitation, les troubles des Doms et il s’était senti d’une certaine manière en sécurité, plus reposé ! Mais le Dom est partout le même et le personnel hospitalier et les autres malades n’échappaient pas à cette règle ! Il y avait des disputes, des oppressions etc. ! Toujours est-il que NJ avait voulu ressortir, après une semaine de séjour et pour ça, il avait dû revoir le médecin-chef ! « Alors, vous voulez nous quitter ? lui avait demandé celui-ci. Bien, mais êtes-vous prêt à reprendre la lutte ?
_ Je crois que oui, même si je me sens encore fragile !
_ Bon ! Vous savez, le pire pour nous, c’est quand nos patients ne veulent plus de cette lutte, avec le monde extérieur ! On les a à vie… et ça, ce n’est pas supportable ! Ah ! Ah ! »
NJ donc a repris son sac et le voilà qu’il salue quelques infirmières et quelques malades, avant de se retrouver à l’air libre ! Il respire et il a certaines idées, pour intéresser les Doms ! Dès le lendemain, il s’installe à un endroit très passant et il étale sa marchandise ! Voyons voir… Il y a là des nuages roses, à la couleur de l’aurore, bien cotonneux, sur un ciel d’un bleu encore sombre, presque mauve ! Pour agrémenter le tout, le Nouveau Jour dresse des branches qui font une dentelle noire des plus fines, quand on regarde le ciel, et un vol dansant d’étourneaux donne une note harmonieuse au tableau ! Puis NJ attend : nul doute que quelqu’un sera bientôt charmé, par le spectacle qui évolue sans cesse !
Mais devant NJ, on se presse sans le voir ! Le trafic, tout phare allumé, s’étire telle une chenille monstrueuse et s’il y a bien quelques marcheurs qui semblent regarder NJ, c’est pour l’effet qu’ils produisent sur lui ! Ils sont tout occupés par leur petite personne et le ciel et les arbres et les oiseaux les laissent absolument indifférents ! NJ s’agite un peu, il devient plus nerveux, car il sent ses vieilles angoisses revenir ! Peut-être se trompe-t-il, qu’il est fou ? Ce qu’il fait est minable et il y a bien plus important ! Par exemple, il faut gagner sa croûte et cotiser pour sa retraite ! Ça, c’est sérieux ! tandis que les nuages colorés, la dentelle des branches, les vols d’oiseaux, c’est pour les jobards, les benêts !
Maintenant, NJ se dandine, en proie au doute et avec la dépression qui le rattrape ! « Eh ! Toi ! fait une voix. Est-ce que je t’ai autorisé à t’installer ici ? » NJ regarde qui lui adresse la parole et il voit un gars, qui a l’air d’un voyou, d’une petite frappe ! Il mâche un chewing-gum et roule des mécaniques ! « Je ne savais qu’il fallait ton autorisation, répond NJ.
_ Ben si, car c’est moi qui commande ici !
_ Ah bon ?
_ Ouais, je m’appelle la Peur, pour ta comprenette, et tout le monde ici fait ce que je dis !
_ Tous ces gens t’obéissent, même le trafic ?
_ Parfaitement ! Alors tu vas prendre tes cliques et tes claques et on te reverra plus !
_ Pour que tu règnes à loisir ?
_ J’ sais pas d’où tu sors, mais tu parles comme dans un livre et rien qu’ ça, ça me débecte !
_ Ben, j’ crois que j’ vais rester un peu… J’ suis bien ici, moi !
_ Alors tu m’ défies, c’est ça ?
_ Non, j’ pense que je peux être utile, c’est tout !
_ Toi ? Mais tout le monde s’en fout d’ toi ! Regarde autour de toi ! Personne ne s’arrête ! Et c’est à cause de moi ! »
NJ ne dit rien et observe cette foule, qui l’ignore effectivement ! A ce moment, il claque des doigts et le soleil sort de sa cachette ! Il vient illuminer d’or les toits et les fenêtres les plus hautes ! « Qu’est-ce que tu dis d’ ça ? demande NJ à la Peur. Ça en jette un, hein ?
_ Bof ! répond la Peur, qui hausses les épaules.
_ Et très vite, je vais réchauffer les Doms ! Tu vas voir ! »
84
Au camp n° 5, on essaie toujours de rééduquer les Doms émeraude, qui apparemment ont subi l’influence de la Chose et qui sont dans un état étrange, puisqu’ils semblent apathiques, avec des yeux globuleux, comme s’ils n’étaient plus vraiment des Doms, mais des êtres repliés en eux-mêmes, ainsi qu’un insecte attend une mue, à l’intérieur de son cocon !
Ce matin cependant, ils sont rassemblés sur le terrain d’exercice, face à un nouvel instructeur ! « J’ me présente, dit-il, j’ suis l’ sergent Normalité ! Vous avez déjà eu des instructeurs, mais j’ peux vous dire que j’ chuis le plus vachard des vachards ! Avec moi, vous allez en baver, jusqu’au fond des yeux ! Et quand j’ vois vos têtes d’abrutis, j’ me dis qu’ y a du boulot ! Toi ! Le grand niais, pourquoi tu souris ?
_ J’écoute le vent !
_ Qu’est-ce que tu fais ? T’écoutes le vent ? Mais t’es taré, ma parole !
_ Non, pour moi le vent est rafraîchissant ! C’est un synonyme de force et d’oubli… Il me berce ! Ne sommes-nous pas tous comme de grands navires, que le vent entraîne ?
_ Voyez-vous ça ! Qu’est-ce que t’es ? Un poète, une sorte de chaman, ou de débile mental ? Ah ! Ah !
_ Euh…
_ Euh… Ça, tu sais dire, ça tu connais ! Mais est-ce que tu bosses ? Non ! Est-ce que tu cotises ? Non ! Est-ce que t’es utile à la société ? Non ! Est-ce que tu es un parasite et un paresseux, oui !
_ C’est que…
_ C’est que quoi ? Approche ! J’ t’ai dit d’approcher ! N’aie pas peur, j’ vais pas t’ faire de mal ! »
Le Dom émeraude se met devant le sergent Normalité, qui lui dit : « Regarde-moi bien dans les yeux ! » Le Dom émeraude s’exécute et il reçoit un formidable coup de poing, en pleine figure ! Il est soufflé et part en arrière, puis chancelle : il est maintenant à quatre pattes et saigne du nez ! « Allez, relève-toi, salopard ! Je n’ai qu’un principe, mais il faut le suivre absolument ! Debout et remets-toi devant moi, comme un homme ! Allez ! Voilà mon principe ! Ouvre-bien tes oreilles ! Et c’est valable pour tout le monde ! Écoutez bien, car je le ne dirai pas deux fois ! Quoiqu’il arrive, même si je vous frappe, vous ne devez pas vous écarter de moi ! Est-ce que c’est clair ! Vous ne devez en aucun cas chercher à vous enfuir ou à prendre vos distances ! Vous devez rester collés à moi ! Et vous savez pourquoi ? Parce que je suis la normalité et on ne s’écarte pas de la normalité ! Allez, fais-moi vingt pompes ! Fais-moi, vingt pompes, j’ te dis ! »
Le Dom, qui saigne toujours du nez, obéit et le sergent commence à compter : « Une ! Deux ! Qu’est-ce que la normalité ? C’est d’avoir un job ! C’est de gagner sa vie ! Trois, quatre, cinq ! C’est de cotiser pour sa retraite ! Après, vous pourrez faire ce que vous voulez ! Huit, neuf ! Si vous êtes en règle, libre à vous de faire les cons dans les magasins ! Les gogos, les magasins n’attendent que ça ! Vous pourrez aller avec vot’ copine vous marrer au restau ou vous dandiner dans les rues piétonnes ! Onze, douze ! Et pourquoi vous serez libres ? Hein ? Quatorze, quinze ! Parce que vous serez en règle ! Parce que vous aurez un état-civil clair ! Pas d’embrouilles ! Dix-sept, dix-huit ! Travail, famille, patrie ! Ça peut paraître vieillot, mais c’est encore dans les vieux pots qu’on fait la meilleure soupe ! Dix-neuf, vingt ! Tu vois, c’était pas si difficile ! L’effort, y a qu’ ça ! T’es pas plus heureux maintenant ? T’as pas l’impression d’être plus propre, plus sain, plus normal ? »
Le Dom ensanglanté regarde le sergent sans répondre, d’un air morne… « Allez, relève-toi et rejoins les autres ! lui dit le sergent.
_ Sergent ! Sergent ! Quel est le travail le plus difficile ? fait une voix.
_ Hein ? Qui se permet de m’interpeller ? C’est toi, le freluquet ! Non mais regarde-toi ! T’es même pas un homme ! J’ te souffle dessus et y a plus personne ! J’ parie qu’ les filles, elles rigolent quand t’enlèves ton pantalon ! D’ailleurs, est-ce qu’ tu s’rais pas une gonzesse des fois ?
_ J’ai l’impression que vous esquivez ma question, sergent !
_ J’esquive rien du tout ! Viens ici et regarde-moi dans les yeux ! Viens en face, le maigrelet ! »
Le Dom émeraude se tient devant le sergent, qui lui demande : « Alors, répète-moi ta question !
_ Quel est le travail le plus difficile ?
_ J’ sais pas ! Y en a des tas qui sont durs !
_ Pour moi, le plus difficile, c’est de ne pas vous haïr et d’ vous comprendre, malgré toute votre violence et votre mépris !
_ Qu’est-ce que tu racontes ?
_ Le plus difficile, c’est de garder à l’esprit que vous avez peur, car rien d’autre ne peut expliquer votre violence !
_ T’es un intello, c’est ça ? Tu travailles pas et tu cotises pas, mais tu comptes sur les autres pour te nourrir ! T’es le monsieur bon et plein de pensées, à condition de ne pas mettre les mains dans le cambouis, c’est ça ?
_ Bon sang ! Comment vous rassurer ?
_ Avec ça, connard ! »
Le sergent frappe violemment le Dom émeraude, qui part en arrière et chancelle ! « T’écartes surtout pas d’ moi, mon gars ! dit le sergent. Tu connais le principe ! On s’écarte pas d’ la normalité ! Y a rien d’autre ! Ah ! Ah ! »
85
Tautonus est inquiet et c’est normal dans un vaisseau de cinquante kilomètres de long ! Il cherche la Machine et ne la trouve pas ! Personne ne sait où elle est ! C’est pourtant elle qui commande, mais finalement Tautonus la trouve dans une des soutes… Oui, dans une des soutes, là où règnent les mécanos ! C’est pourquoi la Machine est vêtue d’un bleu de travail, mais cette situation ne paraît toujours pas normale aux yeux de Tautonus !
Cependant, la Machine est non seulement en bleu de travail, mais elle porte encore un casque de soudeur et des gerbes d’étincelles tombent sur ses grosses chaussures ! « Eh ! La Machine ! crie Tautonus. Qu’est-ce que tu fais ? » La Machine finit par entendre qu’on l’appelle et elle relève on casque, pour voir de quoi il s’agit ! « Ah ! C’est toi, chéri ! fait-elle. Y a un problème ?
_ Non, je voulais juste savoir ce que tu fais !
_ Eh bien, tu vois, je soude…
_ Et tu soudes quoi ?
_ Tu vas voir… J’ai presque fini... »
La Machine arrête son appareil à souder et recule, pour contempler son œuvre ! Tautonus voit alors un robot… « C’est un droïde de la dernière génération, explique la Machine, et il peut tout faire ! Il est quasiment impossible de le distinguer d’un Dom !
_ Mais pourquoi tu t’en occupes ? dans quel but ?
_ Attends, il lui manque son élément essentiel ! »
La Machine prend un masque, sur une table, et le fixe à la place du visage, sur le robot ! « Alors, tu le reconnais ?
_ Mais… Mais c’est Paschic !
_ C’est exact ! Mais un Paschic bien particulier ! Celui-ci m’obéit au doigt et à l’œil ! Il fait tout ce que je lui demande ! Il m’est totalement soumis ! »
Comme pour prouver ce qu’elle dit, la Machine commence par donner des ordres au robot : « Tu vas me nettoyer cet atelier de fond en comble ! Je ne veux plus que quelque chose traîne ! Tout doit être propre et à sa place ! Tu m’as bien comprise ?
_ Oui, la Machine !
_ Bien ! Parce que tu comprends, je ne suis pas ta bonniche ! Chacun ici doit faire des efforts ! d’autant que tes résultats scolaires ne sont pas très bons ! D’ailleurs, une fois que tu auras tout nettoyé l’atelier, tu feras tes devoirs, dans une salle particulière, où tu n’auras aucun moyen de te distraire ! Tu m’as bien comprise !
_ Oui, la Machine !
_ Bien ! On fera peut-être quelque chose de toi ! Et redresse-toi ! T’es un homme, oui ou non ! Un vrai homme se tient droit !
_ Oui, la Machine !
_ Si chacun ici suivait ses plaisirs, on deviendrait dingue !
_ Oui, la Machine !
_ Faut bosser ! Faut arrêter de se prendre pour le centre du monde et d’être égoïste ! Est-ce que c’est bien clair ?
_ Oui, la Machine !
_ Bon au boulot ! »
Le robot se met à ranger avec célérité et précision, ce qui fait que la Machine dit à Tautonus : « Non mais, regarde-le ! Une véritable merveille ! Il obéit au quart de tour ! Ah ! Si le vrai Paschic avait été comme ça, j’aurais eu moins de misères ! Il m’a usé, le branleur !
_ Chéri, tu crois vraiment que tu avais besoin d’un robot, pour te consoler ! Ce n’est pas un peu artificiel, tout ça ?
_ Ah ! Parce que tu crois que je vais me satisfaire d’un robot obéissant ! Mais tu n’y es pas du tout, mon pauvre ami ! Ce robot a une mission ultime ! Quand je serai sûr de son fonctionnement, je le programmerai pour cette mission !
_ Et quelle est-elle, cette mission ?
_ Comment ? Tu ne devines pas ? Mais mon robot doit tuer Paschic, le détruire !
_ Oh…
_ On n’échappe pas à la Machine ! Soit on m’est soumis, soit on disparaît ! C’est la loi ! Ma loi et c’est la seule qui compte ! Mon robot va retrouver ce merdeux et il va entrer dans sa tête ! Il a des fonctions hypnotiques ! Il peut laver les cerveaux ! les pénétrer et les commander ! Et il va me ramener le vrai Paschic doux comme un agneau, enfin discipliné, enfin soumis, enfin ma chose ! Tu m’entends ? »
86
C’est une planète désertique, balayé par le vent et Paschic se réveille péniblement… Il est couché parmi les débris de sa navette et il commence à se rappeler ce qui s’est passé ! Alors qu’il voyageait dans l’espace, près d’Almarande la Grande, il avait été attaqué ! Par qui, par quoi ? Il n’en savait rien et il avait dû juste défendre sa peau ! Touché par des rayons, il avait atterri en catastrophe, sur cette planète dont il ignorait le nom !
Il ne comprenait pas ! Il était pourtant un bon pilote, mais il avait eu beau essayer des manœuvres, le vaisseau attaquant les avait toutes contrées, comme s’il les prévoyait ! Et puis, il y avait cette vision… Alors qu’il s’était extirpé de la navette en flammes, il avait vu un Dom venir vers lui, sans doute son ennemi ! Celui-ci s’était penché sur Paschic, en tenant une seringue et il l’avait piqué ! Ce qui remplissait d’effroi Paschic, c’était que le Dom était son double, l’exact lui-même !
Mais sans doute que Paschic avait été victime d’une hallucination, car très vite il avait plongé dans l’inconscience et il ne sait plus maintenant s’il a rêvé ou non ! Si même le Dom a bien existé, qu’est-ce qu’il a pu injecter à Paschic ? Ces questions-là, il faudra y répondre plus tard, car pour l’instant l’urgence est de survivre et Paschic est blessé ! Il utilise la trousse de secours, se donne les premiers soins et commence à construire un abri, avec des restes de la navette !
Quand la nuit vient et comme il n’y a aucune habitation à proximité, Paschic peut admirer à loisir la beauté des étoiles ! Elles sont des milliards, comme des diamants jetés sur un velours noir ! Mais soudain Paschic a une crise ! Il s’accuse brutalement de son égoïsme ! Comment peut-il se réjouir ici tout seul, de la beauté du monde, alors qu’il y a tant de souffrances ailleurs et particulièrement chez la Machine, que Paschic a sévèrement critiquée et pour ainsi dire abandonnée !
« Je suis un monstre ! s’écrie Paschic, dans le silence de la nuit. Je n’ai fait que penser à moi jusqu’ici, alors que la communauté, la famille me tendaient les bras ! Où sont mes devoirs ? Qu’est-ce que je sais faire, sinon me consacrer à mes plaisirs ! Oh ! Honte à moi ! Et comme je vais changer ! Pardon la Machine, à cause de mon égoïsme ! Pardon les Doms, pour vous avoir méprisés ! Mon narcissisme est sans bornes ! Oh ! Mais je vous promets : demain le nouveau Paschic arrive ! bon, résolument bon ! serviable en diable, se montrant patient, aimable avec tous ! enfin juste ! enfin dans les petits papiers du Seigneur ! »
Et c’est en pleurant et c’est en battant sa coulpe que Paschic termine sa nuit ! La lumière a daigné lui ouvrir les yeux et au matin, Paschic ne traîne pas ! Il nettoie d’abord les débris du vaisseau, car si on laisse la saleté s’installer, on ne peut plus la contrôler et on court à la paresse et au vice ! Le mensonge, l’affreux mensonge du paresseux montre alors sa tête hideuse, avant de ne faire qu’une bouchée du triste Paschic et de provoquer l’horreur de tous les Doms bien nés ! Paschic récure, balaie, range, se presse, tandis que le jour semble se lever mollement !
La mollesse ? Paschic ne connaît pas ! Il entreprend de déplacer un rideau de rocher, qui lui faisait de l’ombre, car Paschic ne doit pas se plaire à satisfaire sa sensualité, c’est le piège tendu par son égoïsme ! Si Paschic commence à l’écouter, il continuera à être ce Paschic détestable aux yeux de tous, si inutile à la société ! Voilà donc Paschic qui court, affairé comme jamais, infatigable ! Il soulève les rochers, transpirent, les pose ailleurs, évite de manger, car c’est une perte de temps, n’oublie pas ses ablutions, de réviser sa trigonométrie, puisqu’elle a tendance à rouiller ! « Et les langues étrangères ? » se demande Paschic !
Un peu plus tard, c’est l’anniversaire de notre « héros » et il s’efforce de faire un gâteau, avec une pauvre farine obtenue sur place, et il se prépare à marquer le coup, un petit peu par respect pour lui-même, quand il écrase subitement le gâteau ! « Tss ! Tss ! fait Paschic. Encore ce terrible égoïsme ! Ils avaient bien raison tous : je suis indécrottable, viscéralement mauvais ! Oh ! Comme j’ai été irrespectueux, à l’égard de la Machine ! Serais-je pardonné ? »
Et ainsi vont les jours ! Paschic pleurant, se maudissant, se brisant à force d’efforts, luttant contre lui-même, devenant son pire ennemi, se détruisant de toutes ses forces, de toute son âme, jusqu’au jour où, tremblant des membres, vidé, épuisé, il s’écroule, il tombe à même le sol ! Il n’en peut plus, sous le soleil noir de l’amertume ! La nature autour, cependant, paraît absolument indifférente à son petit drame ! Les oiseaux d’ici piaillent dans les buissons ! Des lézards se montrent, pour se chauffer ; des papillons volettent, mais Paschic ne bouge plus ! Il a une larme de cristal au coin de l’œil, et tout lui est égal !
« Il n’y a rien ! se dit Paschic. Il n’y a rien et tout n’est qu’indifférence ! Il n’y a personne pour soulager ma peine ! Le ciel est vide… et moi aussi ! Seul existe l’amertume, la tristesse ! Je suis abandonné… et sans doute est-ce de ma faute ! » Un grillon fait entendre son chant et c’est alors que Paschic repense à son atterrissage forcé et à sa vision ! Et s’il n’avait pas rêvé ? Et si son double lui avait bien injecté quelque chose ? Un poison, dont il serait la victime aujourd’hui ?
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Le soleil brille sur la détresse de Paschic, qui ne peut plus se relever, qui ne le veut plus non plus, qui ne bouge plus ! Deux jours passent… Il faut pourtant boire, ne serait-ce que par habitude… et on ne meurt pas comme ça, en se laissant se dessécher…, ou en tout cas, cela doit prendre un temps infini, et Paschic s’ennuie déjà, il a besoin de passer à autre chose !
Il essaie donc de se mettre debout, en grimaçant et le voilà qui titube, jusqu’à sa gourde… Il boit un peu, la tête lui tourne et il s’efforce de retrouver son équilibre ! Il ne peut pas continuer comme ça, à se détruire, à se demander toujours plus, à se briser ! D’ailleurs, il ressent de nouveau cette vieille haine, à l’égard de la Machine, preuve que se sentir coupable auprès d’elle n’était pas vraiment sincère ! Il a bien été empoisonné… par son double ! La Machine a encore essayé de le détruire par ce moyen ! Elle a fait en sorte que Paschic continue lui-même à se trouver détestable, pour qu’il se combatte sans relâche, sans mesure !
Paschic boit encore une rasade et baisse la tête : il est le dindon de la farce, une farce sinistre, puisqu’il est empoisonné et que seule la justice pourrait apparemment le guérir ! La justice, l’antidote, elle est comme cette paille là-bas qui s’envole, dans un nuage de poussière ! « Comment se débarrasser de ce poison ? » se demande Paschic… Soudain, il voit son bras s’allonger comme un serpent, qui lui entoure le cou ! Paschic est étranglé par son propre bras et il veut s’en libérer ! Il tire sur son bras, en proie à l’épouvante : ne commande-t-il plus ses membres ? Il se met à crier, à courir et le bras serre encore plus fort ! Finalement, Paschic n’arrive plus à respirer et s’évanouit à nouveau !
Plus tard, la nuit est tombée et Paschic se réveille péniblement ! Très vite, il regarde son bras, qui lui paraît normal… Il le fait jouer et celui-ci répond parfaitement ! Que s’est-il passé ? Paschic n’en sait rien ! Est-ce encore l’effet du poison ? Ou bien est-ce le résultat de la folie ? Est-ce qu’à force de se démolir Paschic ne s’est pas perdu ? Il ferme les yeux… Comment peut-on souffrir autant ? Quelle solitude ! Quel désespoir ! Un oiseau chante quelque part et apaise Paschic… Il s’endort…
Le lendemain, il commence sa journée mécaniquement… Il lui faut manger, se laver… Il est toujours fatigué, mais il tente de réfléchir… Que peut-il faire pour quitter cette planète ? La navette est inutilisable et apparemment on ne peut compter que sur un vaisseau de passage… Mais peut-être qu’il y a des habitants au-delà de ce désert ? Il serait alors nécessaire de tout abandonner ici et de se mettre en marche, avec le risque de ne rien trouver !
Paschic a un sourire amer : comment peut-il songer à partir en expédition, alors que rien que de tenir debout lui demande toute son énergie ? Il a juste la force de se sustenter, avant de se recoucher ! Il n’est plus qu’une épave, et dès qu’il ne se ménage plus, qu’il croit qu’il a fait des progrès, il est repris par de violentes angoisses, qui lui font imaginer toutes sortes de choses ! Par exemple, hier, il s’est mis en tête d’escalader une colline et brusquement, il a eu l’impression que le sol ondulait sous ses pieds, qu’il était pris dans un torrent ! Il a dû rentrer presque à quatre pattes, en demandant pitié !
Non, il vaut mieux juste assurer le quotidien, se montrer patient et dormir… Oh ! Dormir ! Ce soi, il pleut… et comme c’est doux pour Paschic ! Chaque goutte qui tombe est un sanglot tintant ! qui semble produire l’oubli et le sommeil ! Paschic écoute et finalement s’endort, bercé !
Les jours passent… Entre les crises, Paschic observe… Un oiseau ici, une mousse par-là… Le temps n’a plus d’importance, puisque s’énerver, se révolter conduit à un retour en arrière, aux souffrances qui anéantissent Paschic ! Il doit d’abord apprendre à ne plus avoir peur, à ne plus s’inquiéter, car c’est cela qui rend impatient, nerveux, agité ! Ce n’est pas une mince affaire, quand on est sans forces, incapable de se défendre ! Mais Paschic n’a pas le choix : la leçon est sans appel !
Une année s’écoule, puis deux, puis trois… Paschic ne le sait pas, mais il va rester là plus de dix ans ! avec quand même des progrès petits, mais constants ! C’est une lente rééducation, qui fait prendre conscience de la puissance et de l’ampleur du poison inoculé par la Machine ! alors qu’elle n’est même pas entièrement responsable ! Non, elle est aveuglée par sa domination ! Elle vit dans un monde uniquement régi par son pouvoir, ce qui fait qu’elle ne supporte aucun obstacle et quand malgré tout elle est inquiétée, elle réagit avec une fureur extrême, dépassant toute mesure, comme un animal fou qui serait attaqué !
Bien sûr, ce n’est pas pardonnable, mais ce n’est pas lucide non plus ! La Machine ne sait pas où elle est, c’est tout ! Son grand tort est de ne pas essayer d’explorer l’inconnu, de comprendre la différence, car elle serait contrainte de laisser là sa domination, son orgueil ! Elle n’a confiance qu’en elle et c’est ce qui la perd et la conduit à écraser et détruire tous ceux qui semblent la menacer !
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L' attaque des Doms (78-82)
- Le 30/11/2024
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"C'est le bout de la route, pour toi ou moi, ou pour tous les deux!"
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Qu’est-ce qui se passe ? Sur Domopolis, le jour ne s’est pas levé ! Il continue à y faire nuit ! Enfin, pas tout à fait, le ciel n’est pas d’encre, mais à peine éclairé ! Il n’est constitué que d’une immense chape de plomb, ainsi qu’il aurait été cimenté ! Des volutes grisâtres ne cessent d’y défiler et on a l’impression que la lumière ne reviendra plus ! Chacun se regarde étonné, stupéfié, en proie à la peur ! On se tâte, en disant à un proche : « C’est bien toi ? » L’artiste peintre se désespère et s’écrie : « On n’y voit rien ! » Son cri fait écho à des milliers d’autres ! Des bébés pleurent, à cause de la nervosité de leurs parents ! Des chiens gémissent et la colère et la panique se disputent la première place !
Au troisième jour (mais ce terme n’est-il pas devenu impropre ?), de grands mouvements de protestation prennent d’assaut la rue et les cortèges hérissent leurs pancartes : « Touche pas à mon jour ! », « Rendez-nous nos jours ! », « La nuit ne passera pas ! » Des manifestants interrogés déclarent catégoriquement : « Ça suffit, l’État nous a assez volés ! », « On sait tous d’où vient le problème ! C’est le résultat d’une politique laxiste, favorisant les plus riches ! », « Voilà où mène la délinquance ! » On entend aussi, quoique plus rarement : « Ainsi est la punition de Dieu ! Prions pour qu’Il nous pardonne nos péchés ! »
Des émeutes éclatent ! Certains montrent du doigt le « Deep State », qui aurait réussi à nous priver du soleil, pour favoriser l’industrie de nuit ! On ne dit pas ce que c’est, mais sur les réseaux sociaux, les théories les plus folles explosent ! Du ciment aurait été répandu dans l’atmosphère, à la suite d’expériences interdites ! La Lune ne serait plus à la même place, à cause d’extraterrestres, décidés à nous exterminer ! La fatalité, le sentiment d’être des victimes, la tristesse la plus noire s’emparent des internautes et en conduisent au suicide !
Puis, soudain, l’info circule : le Nouveau Jour, responsable du jour tout court, NJ pour les intimes, est reçu par Dominator ! Ils seraient en pourparlers ! Les journaux titrent : « Après la nuit, la lumière ? », « Dominator vs NJ », « Le Nouveau Jour prêt à traiter ! », etc.
« Mais enfin, pourquoi ne voulez-vous plus faire vot’ boulot ? » demande Dominator à NJ. Celui-ci est un type à l’allure pleurarde, qu’on classerait volontiers dans les mous et même les lâches ! D’ailleurs, c’est en grimaçant et en gémissant qu’il répond à Dominator : « Mais c’est facile pour vous ! dit-il. On parle de vous ! Vous êtes connu ! Vous avez du pouvoir... et les moyens ! tandis que moi…
_ Je ne comprends pas où est vot’ problème ? renchérit Dominator, en soufflant la fumée de son cigare. Vous avez tout ! Personne ne vient vous déranger ! Vous êtes indépendant ! Vous obéissez à des lois célestes ! Vous avez la sécurité, etc. Alors qu’est-ce qui va pas ?
_ Mais peut-être que monsieur est un brin égoïste… suggère Lapsie, également présente.
_ Non, j’ suis tout le contraire d’un égoïste ! s’indigne en pleurnichant NJ. J’ai toujours pensé aux gens, depuis toujours !
_ Mais peut-être que monsieur ne sait pas ce qu’il en coûte, de ne plus obéir aux lois cosmiques ! souligne le professeur Ratamor.
_ De toute façon, la situation ne peut pas être pire, de ce qu’elle est maintenant ! lâche le Nouveau Jour.
_ Est-ce que vous ne pourriez pas être plus précis ? fait Dominator.
_ Personne ne pense à moi l’ matin ! Tout le monde me considère comme une chose due ! Comme si je n’existais pas ! Personne ne me loue, ni ne me remercie ! Je me sens désormais inutile ! Je fais de la dépression ! Là, vous êtes contents ! Les certificats médicaux sont là ! Je ne plaisante pas !
_ Il est vrai que nous sommes un peu stressés, le matin ! surtout en ce moment !
_ Ce n’est pas seulement en c’ moment, mais c’est TOUJOURS comme ça ! On m’ignore, on m’ méprise ! Personne ne me dit : « Bonjour, Nouveau Jour ! C’est bien qu’ tu sois là ! »
_ Mais chacun doit faire un effort ! explique Lapsie.
_ C’est justement ce que j’ demande ! que vous fassiez un effort sur vos peurs, votre égoïsme !
_ Vous voulez peut-être qu’on vous apporte le café au lit et que ce soit bibi qui le fasse ! Sale machiste, va !
_ On s’égare les enfants ! jette Dominator.
_ Oh mais, j’ vois que j’ suis d’ trop ! réplique NJ. Alors, voilà j’ m’en vais ! Puisqu’on veut pas m’ comprendre, on m’verra plus !
_ Eh ! Une petite minute ! s’écrie Dominator. On vient à peine de commencer à discuter ! Et Lapsie s’est un peu emportée ! Hein ? Pas vrai Lapsie ?
_ C’est vrai ! Je suis toujours un peu soupe au lait, eu égard à mon enfance ! J’ m’excuse !
_ C’est pas parce que vous avez eu une enfance difficile, que vous pouvez être insupportable ! rétorque le Nouveau Jour.
_ Grrr ! J’ me suis excusée, ça suffit pas ?
_ Mais vous avez l’air de vous excuser vous-même, à cause de votre enfance…
_ Nous regrettons tous sincèrement notre indifférence, coupe Dominator. Nous allons tous faire un effort, et tous les Doms aussi !
_ Bon, bon, j’ vais voir... »
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Paschic marche dans Domopolis et se demande s’il ne tourne pas en rond ! Depuis combien de temps défend-il la Chose, essaie de faire comprendre quelle est sa richesse, son secret ? Depuis combien de temps n’est-il pas considéré comme un agent de la Chose et donc comme un ennemi des Doms ? D’ailleurs, il a un Dom spécial aux fesses !
Les Doms spéciaux se distinguent par leur virulence, leur haine ! Ils ont tôt fait de repérer ceux qui semblent libres, hors du pouvoir de leur domination ! Cela leur coupe le souffle qu’on ne les remarque pas, qu’on soit indifférent à leur présence, comme si leur pouvoir n’existait pas ! Cela les panique au fond et provoque leur envie de détruire ! Ils sont les gardiens des Doms et ont voulu plusieurs fois tuer Paschic !
Ce jour-là, Paschic n’a pas la force pour se défendre… et il garde le même rythme, dans sa marche… Tant pis, le Dom spécial fera ce qu’il veut, mais peut-être ou plutôt sans doute que Paschic se contentera d’éviter son tir au dernier moment ! C’est déjà arrivé !
Le Dom spécial se rapproche… Il peut grandir d’un coup et écraser Paschic, sous son immense chaussure ! Le plus souvent, il envoie une boule de haine noire, qui s’enfonce dans le cœur de Paschic, en lui coupant la respiration ! C’est quasiment telle une morsure de serpent, puisque le poison de la haine se diffuse et fait son effet ! Paschic est censé devenir lui aussi haineux, avec une envie irrépressible de hurler et d’anéantir le Dom spécial ! A ce moment-là, celui-ci a gagné, car il est devenu le centre d’intérêt de Paschic !
Paschic a rarement été aussi inerte, car la longueur de son combat, son peu d’efficacité lui pèsent ! Derrière, le Dom spécial dégaine et il va tirer, alors que Paschic ne réagit toujours pas ! Soudain il se passe une chose imprévue ! Un filet de lumière tombe sur le Dom spécial, en même temps que deux feuilles mortes et mouillées viennent lui couvrir les yeux ! Le Dom spécial s’écroule et se débat sous le filet de lumière ! Puis, il se met à crier et finalement disparaît dans la lumière !
« Eh ! Paschic ! » fait-on autour de lui, sans qu’il puisse voir qui l’appelle ainsi ! Il se tourne, scrute et entend encore : « Mais on est ici, dans la lumière ! » Paschic regarde plus attentivement le trottoir mouillé, qui resplendit effectivement sous un rayon de soleil ! Enfin, Paschic distingue des êtres, dans de petites bulles, qui ont l’air d’être leurs vaisseaux ! « Ah ! Quand même tu nous vois ! » s’écrie un homme barbu.
_ Mais… mais qui êtes-vous ?
_ Nous sommes les gardiens de la lumière, pardi ! Nous veillons sur toi depuis toujours… et heureusement, car autrement tu serais passé à la casserole depuis belle lurette !
_ C’est que…
_ Alors comme ça, monsieur fait le nonchalant, le désespéré ! Qu’il advienne ce que pourra !
_ Je suis fatigué…
_ Bah, t’affole pas ! On en a vu bien d’autres ! La lumière est vieille comme le monde, ah ! ah !
_ C’est la reine Beauté qui vous envoie ?
_ Exact !
_ Les Doms sont si loin d’elle… »
A cet instant, Paschic est frappé violemment à la tête et perd conscience ! Il se réveille avec un affreux mal au crâne, sur une chaise inconfortable ! « Eh ! Mais c’est notre rêveur national qui émerge ! » dit joyeusement quelqu’un en face de lui. Il est dans une salle d’interrogatoire toute blanche et le type qui le regarde, avec un sourire sardonique, a l’air d’un fou. « J’ suis l’Embrouilleur ! T’as sûrement entendu parler d’ moi…, reprend l’individu. J’ suis célèbre, même pour les gars comme toi !
_ Les gars comme moi ?
_ Oui, les va-nu-pieds, les marginaux, les anti-système ! Les rêveurs et les paresseux ! Tiens, est-ce que t’as cotisé pour ta retraite ? Non ? Tu vois, t’es pas dans la normalité ! T’as un plan B, pour ta vieillesse ?
_ Non, pas vraiment…
_ Alors qu’est-ce que tu vas faire ? Oh ! Je sais ! Tu attends qu’on vienne te sauver ! ce qui demande que les autres bossent pour toi, évidemment !
_ Où suis-je ? Et qu’est-ce que je fais ici ?
_ T’es là pour rentrer dans ma bande ! Je te promets un bon salaire, la sécurité et le pouvoir ! T’en as pas marre de galérer, tout seul ! Tu seras respecté, reconnu ! Tu auras beaucoup de succès !
_ Et qu’est-ce qu’il faudra que je fasse ?
_ Simple, tu ne penseras qu’à toi… et tu haïras dès que d’autres t’ignor’ont ! Je veux que tu voues un culte à ton égoïsme ! Tu seras nationaliste, tu prôneras le repli sur soi, tu voudras retrouver la puissance et la gloire de ton pays !
_ Et la lumière ?
_ Quoi, la lumière ? Je me fous de la lumière, car elle n’existe pas, t’entends ! Il n’y a que toi et moi !
_ Comme vous devez être malheureux ! »
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« Moi, malheureux ? répond l’Embrouilleur. Pourquoi est-ce que je serais malheureux ? J’ai tout ce qu’il me faut ! Je suis bien occupé, j’ai du pouvoir, mon poste est important, on me considère ! J’ai des vacances quand il le faut et je surveille ma santé !
_ Et quand la mort se présentera, vous lui direz : « C’est dans l’ordre des choses… Je te suis ! »
_ Pourquoi pas ? J’aurais alors bien vécu et eu tout ce que j’aurais pu désirer !
_ Quelle foutaise !
_ Pourquoi tu dis ça ?
_ Parce que t’as de la haine, que tu veux encore plus de pouvoir et que tu te crois entouré d’ennemis ! Autrement dit, tu ne connais même pas la paix et tu rêvasses sur ta soi-disant sagesse !
_ Il faut bien lutter contre ceux qui nous menacent !
_ Encore de la foutaise ! La vérité, c’est que tu as besoin d’ennemis, pour étancher ta soif de combattre, ce qui est une forme pauvre et dangereuse de soif d’être ! Crois-tu vraiment que les hommes puissent accepter de faire le même travail toute une vie, pour avoir une retraite et mourir tranquillement ? Comme nous nous connaissons mal ! Pourquoi à ton avis Domopolis est-elle toujours en crise ?
_ Mais il y a encore bien des injustices ! Les choix politiques peuvent être différents, etc. !
_ Ce que nous voulons, c’est vivre, nous sentir vivre ! Notre esprit nous fait entrevoir l’infini et il nous faudrait une existence de vaches ? Non, notre soif nous dévore et au fond, nous ne savons qu’en faire ! d’où nos révoltes aveugles ! Or, il existe une chemin, pour exister sans bornes, mais aussi sans haine !
_ Oh ! Et quel est-il ce chemin ?
_ Le chemin de la lumière… et de la beauté !
_ Je vois…
_ Non, tu ne vois pas ! Regarde bien ce qui va arriver ! »
A cet instant, un rayon de soleil tombe dans la pièce et comme Paschic est un agent de la Chose, il s’en sert immédiatement ! Il trouble d’abord le ballet étoilé de la poussière, visible dans le rayon de soleil, puis, lui-même monte sur une de ces petites étoiles et se met à remonter le rayon ! Cela n’est possible que si on connaît la Chose, que si on l’aime et qu’on a compris son pouvoir !
Evidemment, cette disparition soudaine stupéfie l’Embrouilleur ! Il n’en revient pas ! Paschic était assis en face de lui et subitement il n’est plus là ! L’Embrouilleur se frotte les yeux, doute de ses sens, inspecte la pièce et finalement appelle deux de ses hommes !
« On a la video de l’interrogatoire ? leur demande-t-il.
_ Affirmatif !
_ Très bien, allons la voir ! »
Sur la video, la disparition de Paschic est parfaitement visible ! Elle s’effectue comme par enchantement ! « Mais où est-il passé ? s’interroge l’Embrouilleur.
_ C’est de la sorcellerie ! s’écrie un des hommes.
_ Pas forcément… Il est peut-être passé dans un autre monde, en prenant une autre dimension ! Je me demande… Je me demande s’il n’a pas le pouvoir de ne faire qu’un avec la Chose !
_ Avec la Chose ? Alors il n’y a qu’une solution : il a utilisé le rayon de soleil, pour s’enfuir ! Car rien d’autre ne pourrait appartenir à la Chose !
_ C’est exact ! En tout cas, je veux la peau de ce type ! Il est bien plus dangereux que ce qu’on pense… et il finira par réapparaître, sous sa forme humaine ! Il faut bien qu’il mange ou qu’il ait des relations sociales ! Il faut surveiller son logement, ses amis, etc. !
_ Entendu !
_ Maintenant, s’il peut s’enfuir grâce à la Chose, il faut qu’il soit emprisonné sans aucun contact avec elle ! Pensez-y ! »
Les deux hommes partent, mais l’Embrouilleur continue à réfléchir… « Tout de même, comment peut-on réussir un tel tour de passe-passe ? Cela me serait bien utile, me donnerait un pouvoir sans limites ! Ce Paschic ne sait pas ce qu’il a entre les mains ! C’est un loser né ! tandis que moi, avec son don, je ferais des merveilles, comme par exemple prendre la succession de Dominator ! Dès qu’il sera repris, Paschic parlera ! J’y veillerai personnellement ! Il m’expliquera comment me servir de la Chose ! La beauté, puisqu’elle paraît essentielle, sera mon esclave ! »
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« Résumons-nous, fait Dominator à l’Embrouilleur, en soufflant la fumée de son cigare. Vous avez identifié un type, qui s’appelle Paschic… Ce type est capable de ne faire qu’un avec la Chose, ce qui veut dire qu’il utilise la Chose à son gré, pour notamment s’échapper de n’importe où… C’est bien ça ?
_ Exactement !
_ N’importe quoi ! coupe le professeur Ratamor. Comment pouvez-vous croire de telles bêtises ?
_ Professeur, reprend Dominator, vous aurez votre mot à dire, croyez-moi ! Mais, pour l’instant, c’est à l’Embrouilleur que je m’adresse ! Bien ! L’Embrouilleur, vous avez mené votre propre enquête et là, vous vous êtes aperçu que ce Paschic avait différentes identités…
_ Oui, il s’appelle encore Zorm ou Piccolo !
_ Piccolo ? s’écrie Ratamor.
_ Oui, au fait, Piccolo était bien sous votre garde, si je me souviens bien ! coupe Dominator.
_ Oui, euh, enfin…, après qu’il m’a conduit dans la Chose, je lui ai rendu sa liberté !
_ Vous aviez sous la main un agent de la Chose, un personnage dangereux, mais vous l’avez gentiment laissé partir !
_ Mais je ne savais pas qui il était à ce moment-là !
_ Votre métier, c’est de savoir, non ? Mais passons… Voyons, l’Embrouilleur où tout cela nous mène-t-il ?
_ Eh bien, je ne comprends pas trop le pouvoir de ce Paschic, je vous l’avoue… Comment peut-on utiliser la Chose, pour disparaître ? A priori, cela ressemble à une fuite, à un refus de voir la réalité ! La beauté serait un refuge, en ce sens…
_ Je suis tout à fait d’accord avec vous ! intervient Lapsie. Votre Paschic se glisse dans un monde merveilleux, car il est incapable de s’adapter, sans doute à cause de son narcissisme ! J’en fais mon affaire !
_ Du calme, Lapsie ! lâche Dominator, dans un nuage de fumée. S’il ne s’agissait que d’une de vos proies favorites, je vous encouragerais sans retenue ! Mais ce n’est pas le cas ! D’abord, nous ne contrôlons plus la Chose… et nous avons besoin de plus d’informations sur elle… Nous sommes nous-mêmes dans une impasse ! Ensuite, si ce Paschic fuyait juste la réalité, il serait facile de l’appréhender et son moyen d’évasion ne fonctionnerait pas ! Ce n’est pas seulement un névrosé… Il sait quelque chose que nous ignorons…
_ A son contact, fait l’Embrouilleur, c’est moi qui paraissait immatériel ! Il m’a parlé de paix, grâce à la beauté, figurez-vous !
_ Mais la beauté est une invention de l’homme ! coupe Ratamor. Elle n’a pas de réalité physique ! Comment alors pourrait-elle offrir une stabilité ? Et même croire à un message de sa part est une totale folie !
_ Ce que je sais, par contre, reprend l’Embrouilleur, c’est que ce Paschic est dangereux pour nous, les Doms !
_ Je le savais ! s’exclame Lapsie. Tous les mêmes ! Je…
_ Sur quoi vous basez-vous, coupe Dominator, pour croire ce Paschic dangereux ?
_ Il m’a parlé de notre hypocrisie ! Il m’a dit qu’il était impossible, à nous les Doms, de travailler toute notre vie, en cotisant, juste pour notre retraite, avant d’accepter d’être réduit à néant par la mort ! Il a rajouté que nous avions tous soif d’exister et même d’absolu, d’où nos révoltes, nos crises, nos frustrations, notre instabilité en un mot !
_ Hum… Il n’a pas tout à fait tort, mais il menace également notre fonctionnement, notre système ! lâche Dominator.
_ Laissez-moi le descendre alors ! jette Lapsie. On en sera débarrassé !
_ D’après mon enquête, reprend l’Embrouilleur, Paschic aurait aussi une relation conflictuelle avec la Machine, votre fidèle servante !
_ Décidément, ce Paschic les collectionne ! répond Dominator. Diable, avoir des histoires avec la Machine, c’est vouloir se faire du mal, car elle ne lâche jamais rien ! Est-ce qu’on connaît le rapport qu’il y a entre les deux ?
_ Paschic serait son fils…
_ De mieux en mieux… Mais qu’est-ce… ? »
Dominator est saisi, car une large fissure apparaît sur l’un des murs de son bureau, puis elle s’étend, s’élargit, avec des craquements sinistres ! Tous sont stupéfiés par le phénomène, d’autant que maintenant une lumière verte, incandescente, semble battre, tel un poumon, dans une ouverture ! Une femme y brille, en pleurs, près d’une fontaine… On entend ses sanglots !
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Dominator ne peut quitter des yeux cette femme en pleurs, c’est plus fort que lui et il s’approche de cette lumière émeraude si resplendissante ! Il fait un ou deux pas et pose la main sur la femme : « Allons, allons, pourquoi pleurez-vous ? demande-t-il. Qu’est-ce qui ne va pas ?
_ Pourquoi me fais-tu tant de mal ? répond la femme.
_ Moi ? Mais je ne te connais même pas !
_ Je suis la reine Beauté ! »
A cet instant, Dominator voit la nature écrasée, balayée, souillée par les villes ! Il contemple les décharges qui se déversent, l’agriculture intensive, les routes qui éventrent les paysages, l’urbanisation incessante ! « Mais… Mais c’est par nécessité que nous agissons ainsi ! se défend Dominator. Nous sommes toujours plus nombreux à Domopolis ! Il nous faut des logements, des emplois ! C’est notre développement qui a des besoins !
_ Vraiment ? Nous n’agissons que par la seule nécessité, hein ? »
Une autre vision s’impose à Dominator, c’est la saleté des villes, l’égoïsme de leurs habitants ! C’est leur mépris à l’égard des autres, leur haine quand leur amour-propre est contrarié, leur soif de se sentir supérieurs, leur quête incessante pour soumettre tout ce qui les entoure, leur domination inextinguible, leur peurs qui ne guérissent pas, leurs angoisses qui les rendent agressifs ! Et leur folie, car maintenant Dominator voit ceux qui souffrent de la faim, de la solitude, ceux qui gémissent dans la plus parfaite indifférence, des enfants qui crient parmi les ruines, à cause des bombes, tous les opprimés qui rejoignent la mort, oubliés ! des jeunes qui se suicident, qui se harcèlent, qui se moquent, qui en battent d’autres ! Et tout cela pour vaincre son prochain, le mettre sous la botte de la domination !
« C’est cela que tu appelles la nécessité ? fait la reine Beauté.
_ Mais… Mais je...
_ Tu vois, j’ai le pouvoir de t’ouvrir les yeux ! Tu me détruis pour les mêmes raisons qui font que les Doms se détruisent entre eux ! Tu veux soumettre la nature, pour te sentir important, utile, pour calmer tes angoisses, pour flatter ton égo, par haine du silence et de la patience ! Tu es une sauterelle avide, par peur du vide ! parce que tu n’es que le jouet de ta domination ! Où vois-tu la nécessité ?
_ Mais… Mais il faut des emplois !
_ Si on travaillait juste pour vivre, juste par nécessité, comme tu le dis, ne crois-tu pas que le monde serait complètement différent ? Pourquoi les Doms ne se respectent-ils pas entre eux ?
_ Je croyais… Enfin, j’étais persuadé…
_ Regarde encore ! Prends à satiété, car je te montre ! J’ai ce pouvoir ! J’éclaire le monde ! Aucune zone d’ombre ne me résiste ! Je suis tout sauf un mirage ! Tant que la domination te ferme les yeux, tu feras n’importe quoi ! »
Dominator veut encore répondre, mais il est tiré vers l’arrière ! « Oh là ! Dominator, vous êtes avec nous ? demande l’Embrouilleur.
_ Allez, revenez ! appuie Lapsie.
_ Mais… qu’est-ce qui s’est passé ? interroge Dominator, qui retrouve le visage de ses associés.
_ Vous vous êtes engouffré dans la brèche du mur ! Vous ne vous souvenez pas ? Un moment, j’ai cru qu’on allait vous perdre ! »
Dominator se retourne et ne voit plus qu’une fissure dans le mur ! « Mais… la femme qui pleurait, où est-elle ?
_ Quelle femme ?
_ Mais la reine Beauté ! »
Chacun se regarde devant Dominator et craint le pire : le chef est-il en train de perdre la raison ? « Je vais vous examiner, fait Ratamor, qui sort son dominomètre, un appareil mesurant le degré de domination de chaque individu ! « 35 ° ! s’écrie-t-il. Votre taux d’égoïsme n’a jamais été aussi bas ! Mauvais ça ! »
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L' attaque des Doms (73-77)
- Le 23/11/2024
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"Il y a bien la voiture du jardinier, mais..."
Rio ne répond plus
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Il y a de l’agitation dans Domopolis, un mouvement de foule ! La cause ? Un Dom transformé par la Chose ! On le regarde avec crainte et horreur et il est vrai que le bonhomme a une drôle d’allure ! C’est au vrai un arbre vivant ! Son corps est devenu un tronc et ses bras des branches ! C’est un arbre sans feuilles, un arbre d’hiver ! D’ailleurs, il s’essuie le nez souvent, comme s’il était enrhumé !
« Oui, dit-il, j’ai été dans la Chose et j’en reviens !
_ Dans quel état tu es ! s’exclame une Dom.
_ Quoi ? Tu n’aimes pas ma nouvelle apparence ? Moi, je la trouve très seyante !
_ Pouf ! Tu te moques de moi !
_ Non, regarde mes lichens… Ne sont-ils pas d’un beau vert ? Ils sont presque bleus ! Et mes rides ? N’indiquent-elles pas un passé vigoureux ?
_ Comment peux-tu dire de telles bêtises ? s’indigne un Dom. Tu es maintenant un monstre !
_ Comme tu me juges mal ! La Chose m’a ouvert les yeux ! Elle m’a montré les prairies gonflées d’eau et ses perles blanches ! J’ai suivi le lit marron de la rivière et ses glouglous, tels des yeux étonnés ! J’ai aimé le tapis amarante du chemin creux, dont seul le merle trouble le silence ! J’ai vu le houx s’illuminer pareil aux cierges ! Je connais la bruyère craquante !
_ Suffit ! Tu es fou !
_ Tu effraies les enfants en plus ! renchérit la Dom.
_ L’abandon, l’attente, le vide m’ont rempli et je reviens vous parler !
_ De quoi ? De la crise actuelle ? Tu es venu nous expliquer comment finir les mois ?
_ Non, j’ai bien plus à donner ! Un véritable trésor !
_ Donne ! Envoie la monnaie !
_ Il ne s’agit pas d’argent, mais de la beauté ! C’est elle le trésor !
_ Tu continues à te moquer de nous !
_ C’est la beauté qui va mettre des légumes dans la soupe ? coupe un autre Dom.
_ Exactement !
_ Pfff !
_ Sortez le clown !
_ La beauté a un secret ! Je suis le Dom hiver et je connais maintenant ce secret !
_ Et comment la beauté pourrait-elle nous aider ?
_ Son secret, c’est qu’elle est infinie en tout point ! Regardez les trous dans mon tronc… Ils sont noirs d’ombre, mais même cette nuit est belle ! Regardez cette ombre, comme elle est traversée par le voile bleu de la toile d’araignée ! Un souffle et la voilà qui frissonne !
_ Sornettes !
_ C’est nous que tu gonfles !
_ Si vous comprenez que la beauté est infinie, alors vous pouvez croire et vous pouvez aimer, au-delà de vos haines et de vos peurs ! Vous pouvez avoir confiance ! C’est la joie que je vous apporte, le pain de vie !
_ Mais qu’est-ce que tu veux à la fin ?
_ Vous ne vous rendez pas compte ? Le Dom hiver est là pour saper nos institutions ! C’est notre ennemi, un ennemi de l’ordre ! Il veut nous distraire de nos souffrances, alors que nous savons pertinemment qui sont les responsables !
_ Ouais, ouais, c’est le gouvernement
_ Et les étrangers !
_ Et les riches !
_ Ouais !
_ C’est là notre malheur !
_ T’es encore là, le Dom hiver ?
_ Qu’on le brûle ! Qu’on le coupe et qu’on le brûle !
_ Ouais, ouais, tous des salauds !
_ Je pourrais vous apaiser, vous aider ! Je vous demande d’abord de contempler… et d’aimer ! Vous aurez la source de vie !
_ Haine aux exaltés, aux faux prophètes !
_ Haine à ceux qui ne nous respectent pas ! aux profiteurs !
_ Une hache ! Une hache pour découper le Dom hiver ! »
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Il crachine sur Domopolis et c’est comme un brouillard apaisant ! La fraîcheur se mêle au rêve… Là-bas, dans la Chose, les rubis et les émeraudes des feuillages se sont tus… La veille, des rayons les faisaient étinceler, dernière fête avant l’hiver ! Les candélabres s’éteignent les uns après les autres ! Et que dire encore des grands pins, dont la cime produit le bruit de la mer et de leur tapis d’aiguilles rouges ? Que leurs longs tronc gris ont des coulures de sève, comme les cierges ? Et que dire de la terre sombre, qui attire les oiseaux au blanc bleuâtre ?
Il y a des lumières dans le ciel qui sont incomparables ! C’est un jeu entre le mauve des nuages et le jaune des rayons ! C’est un spectacle envoûtant, d’une incroyable gratuité ! C’est un don d’une infinie richesse, qu’il y ait des yeux pour le voir ou non ! C’est là, irrépressible ! La beauté pousse incessamment !
Mais que font les Doms ? Ils s’inquiètent bien entendu ! Ils se mettent colère, s’impatientent, cherchent à mordre ! Ils haïssent ou désirent violemment, tellement c’est en désordre chez eux ! L’oubli du crachin est pourtant là ! Le manteau de la pluie suggère le sommeil, le repos : ça tombe doucement…, sans fin ! Les cyprès ont une odeur à eux, très forte, résineuse et leur fruit est une petite balle à écailles, presque carrée ! Il y a bien sûr le travail, les horaires, mais écoute-t-on la Chose ? Essaie-t-on de la comprendre ? Veut-on s’en nourrir ? Mettons-nous à profit notre temps libre, pour aimer la Chose et même lui demander des comptes ?
Non, tout cela n’intéresse pas le Dom ! Parce que cela ne concerne pas sa domination ! C’est son ego qui lui donne chaud et le rassure ! Est-il aimé par ses proches ? Est-il supérieur à un tel ? Qu’est-ce qu’il a dit à machin ? Il l’a mouché ? Parfait ! Le Dom parle du Dom et s’il va dans la Chose, c’est encore pour parler du Dom ! A peine regarde-t-il autour de lui ! La chose lui demeure étrangère ! Elle parle aussi pourtant…
Qu’est-ce qu’il y a de plus doux que certaines herbes ? Les flaques sont des morceaux du ciel ! Cependant, sur la place de Domopolis, le Dom hiver continue de discuter avec ses concitoyens… Il interpelle un enfant : « Eh, toi, tu as déjà vu un merle ?
_ Oui…
_ Tu as vu comme il est tout noir… Il est invisible parmi les feuilles ! Tu as vu comme il gratte les feuilles, pour trouver sa nourriture ? Tu as vu avec quel plaisir il mange les petits fruits rouges ? Tu as vu comment il a toujours l’air fâché ?
_ Oui, c’est rigolo !
_ Eh là, s’écrie une Dom, tu n’ s’rais pas en train de pervertir notre jeunesse, par hasard ?
_ Mais non ! réplique le Dom hiver. Les enfants comprennent ce que je dis, mais pas vous !
_ Eh, c’est qu’on n’est plus des enfants nous ! rétorque un Dom. On a des responsabilités, des traites à payer !
_ Oui, pour votre plaisir…
_ Hein ?
_ Oui, la grosse voiture, c’est pour votre plaisir !
_ Mais c’est aussi par né… !
_ Eh ! s’exclame un autre Dom. Le crachin est empoisonné ! Regardez ce qu’il a fait à mes vêtements, ils sont troués !
_ C’est un piège de la Chose ! Elle essaie de nous avoir avec une pluie acide !
_ Mais non, fait le Dom hiver. Tendez plutôt vos visages vers la fraîcheur !
_ Sauve qui peut !
_ Au secours ! »
En un rien de temps, la place est abandonnée… Le Dom hiver reste seul sous la pluie fine…, qui blanchit les environs… Là-bas, sans doute, il y a le fantôme de l’espoir…, qui attend…, avec la clé d’une sagesse perdue ! Une vieille Dom est toujours là aussi, infirme… Elle a du mal à marcher et le Dom hiver s’en approche : « Attendez, je vais vous aider ! » Il soutient la vieille, qui balbutie, puis qui finalement se calme… « Ils sont tous partis ! dit-elle.
_ Oui.
_ La pluie n’est pas acide...
_ Non.
_ Nous sommes bien fous !
_ Oui. »
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La tempête fait rage dans Domopolis ! Le vent hurle dans les rues, que noient des trombes de pluie ! Les lampadaires tremblent, grincent, des fenêtres claquent, des choses s’envolent ! « Tu entends ? fait une Dom à son mari, alors que le couple est couché.
_ Ben, j’entends le vent ! Ça souffle, quoi !
_ Non, on dirait que quelqu’un crie dans la rue ! »
Le mari tend l’oreille et effectivement, il perçoit une voix qui dit : « Je suis le Dom tempête ! Ah ! Ah ! Je suis le vent et la nuée ! Je suis la fureur et l’oiseau qui plane triomphant !
_ Un fou sans doute ! fait le mari.
_ J’ai peur tu sais ! J’ai l’impression que c’est la fin du monde !
_ Mais non, rendors-toi !
_ je suis le Dom tempête ! Ah ! Ah ! Je suis la nuit et la sauvagerie ! Ah ! Ah ! J’ai été dans la Chose et j’ai vu la vague immense ! Je hurle comme le vent ! Je file comme la nuée ! Je suis le temps gris et bouché ! Je suis la dent blanche de l’écume, la dent dévorante ! Ah ! Ah !
_ Monsieur, monsieur, on peut parler ? »
C’est Lapsie, en compagnie de Ratamor, qui intervient. Ils ont été envoyés en mission par Dominator, qui leur a dit : « Il paraît que des Doms reviennent de la Chose… et qu’ils ont été transformés par elle ! Je crains qu’ils ne soient devenus fous ! Je voudrais que vous enquêtiez là-dessus et que vous preniez les mesures nécessaires ! »
Ainsi, Ratamor et Lapsie sont partis en chasse, même en cette nuit affreuse ! Et ils ont trouvé un Dom qui apparemment revient de la Chose et qui en plus se nomme lui-même le Dom tempête ! « Je peux vous aider, assure Lapsie. Je suis psychologue ! Je peux soulager votre souffrance ! Vous pouvez tout me dire !
_ Hein ? Je suis le Dom tempête ! C’est moi qui oublie dans la fureur de la mer ! C’est moi qui me régénère dans la puissance du vent ! Ah ! Ah ! C’est moi qui commande les anneaux de sable, qui fuient comme des cheveux ! C’est moi encore le silence, à l’abri du buisson !
_ Bien sûr ! Écoutez, ce qu’on va faire, c’est qu’on va trouver un café ouvert ! Hein ? Et là, au chaud, on va prendre une boisson réconfortante ! Et on pourra parler tranquillement ! Parce qu’ici ça mouille… et il fait froid !
_ Parler tranquillement ? Bavasser, vous voulez dire ! Vous ne savez faire que ça ! Bavasser !
_ S’expliquer alors ! Vous ne pouvez pas continuer à crier comme ça dans la rue, la nuit ! Vous effrayez les gens !
_ J’aimerais vous embrasser, vous serrer dans mes bras !
_ Je ne pense que cela soit nécessaire… D’après le code 4B Orimop de la psychologie, il est dit que… »
Mais Lapsie n’a pas le temps de finir ! Le Dom l’entoure de ses bras et c’est comme si elle était aspirée ! Elle sent d’abord une forte odeur de varech, puis des vagues viennent sauter devant ses yeux, comme des dents qui tremblotent ! Elle veut retrouver sa respiration, mais là voilà dans le ciel en train de jouer avec les rafales du vent ! Elle monte, monte, puis chute, en cassant ses ailes ! Elle est pleine de la puissance des éléments ! Surprise, elle se laisse prendre, puis elle se met à rire… à rire !
« Ah ! Ah ! fait -elle.
_ Ah ! Ah ! » l’imite le Dom.
Ils rient tous les deux et se mettent à danser ! « Mais vous êtes dingues ! s’écrie Ratamor. Lapsie, voyons, revenez parmi nous ! Soyez raisonnable !
_ Y a encore plus fort ! » lance le Dom tempête à Lapsie et il lui montre comment on peut sauter sur les crêtes du clapot ! « C’est comme des aiguilles ! s’exclame Lapsie. Ça picote ! Qu’est-ce c’est rigolo !
_ Hi ! Hi !
_ Bon sang, mais arrêtez tous les deux ! réplique Ratamor. Je vais être obligé d’appeler une ambulance.
_ On est les Doms tempêtes ! chantent maintenant en chœur Lapsie et le Dom. On revient de la Chose ! On est transformé ! Nous sommes des laminaires qui se tordent ! Hi ! Hi !
_ Tant pis ! Vous l’aurez voulu ! J’appelle les secours ! »
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Un vieux plant de maïs desséché soupire… Il est dans la Zone… La Zone, c’est la partie entre Domopolis et la Chose, la partie cultivée ! cultivée par les Doms ! De temps en temps, ils passent au-dessus des champs avec leur vaisseau et pulvérisent des produits… On les appelle les Doms agris ! Autrefois, ils étaient plus heureux, plus respectés aussi ! Le travail était dur, mais ils comprenaient encore le Chose, l’admiraient, discutaient avec elle ; ils connaissaient sa valeur ! Mais le temps passant, ils ont fini par subir le changement de Domopolis, qui s’est complètement détachée de la Chose, dont les Doms se sont de plus en plus concentrés sur eux-mêmes et leur domination !
Les Doms agris eux aussi ne respectent plus la Chose, ne la voient plus que comme une source de profit, sous l’angle du rendement ! Ils n’ont même plus de contact avec la terre, à bord de leur vaisseau ! Ils ont oublié combien la Chose est simple et généreuse, à force de la manipuler et de la traiter de toutes les façons ! Maintenant, ils effectuent mornes leurs récoltes, comme si leur vie n’avait plus de sens ou que Domopolis les avait trahis, après leur avoir commandé tant de changements ! En fait, leur mal-être reflète celui des Doms ! Plus près de la Chose, ils montrent toute l’ambiguïté de Domopolis, qui doit bien sûr se nourrir, mais qui en même temps ne veut plus entendre parler de la nature ! Les Doms en effet croient en leur autarcie, qu’ils n’ont plus besoin de la Chose ou qu’elle est juste là pour les servir, tellement ils trouvent normal désormais d’avoir leurs assiettes pleines ! Les Doms agris paient cette indifférence et cette illusion !
Le vieux plant de maïs est pris d’une toux, puis, pour se calmer, il prend sa bouffarde… et d’autres plants l’imitent à côté ! On fume calmement, sous la lune… et le vieux plant commence à parler : « Je me souviens d’une autre époque… Alors, on n’avait pas les pieds nus ! On poussait avec d’autres herbes et elles nous tenaient chaud ! Aujourd’hui, regardez, le sol est vide ! Pas une herbe n’y pousse, car il est traité au maximum ! Quelle tristesse, car avec les herbes, il y avait des tas d’insectes colorés, qui nous amusaient !
_ Tu as raison ! fait un autre plant. J’ai connu cette époque moi aussi ! Et c’était le bon temps ! Il y avait encore des talus, de la fraîcheur en été et de la douceur en hiver, puisque les talus arrêtaient le vent ! Ah ! Comme on était fier, jeune et fort ! »
Une brise passe, faisant bruire tous les vieux bras des maïs ! « On pourrait retrouver notre gloire d’antan ! reprend le plus âgé des plants.
_ Qu’est-ce que tu veux dire ? demande un autre.
_ Je parle d’un baroud d’honneur…, d’une dernière attaque, d’un dernier assaut ! pour retrouver notre vigueur perdue !
_ Eh ! Eh !
_ Mais tu songes à quoi exactement ?
_ Mais à nous venger de ceux qui nous ont tués ! qui nous ignorent aujourd’hui totalement ! de ceux qui n’ont pas cessé de nous dire : « Poussez comme ça ! Non, soyez plus nombreux, plus grands, plus épais ! », qui ont ordonné de nous faire boire plein de cochonneries et qui à présent se moquent de ce que nous devenons, de ceux qui nous exploitent comme des esclaves !
_ Eh ben, dis donc l’ancien, je ne savais pas que tu en couvais autant ! Mais je suis d’accord avec toi !
_ Moi aussi !
_ Moi aussi ! entend-on dans tout le champ.
_ Bien ! Alors, c’est pour cette nuit ! Je propose de marcher vers Domopolis et de montrer aux Doms qui nous sommes !
_ Ouais, ouais !
_ Ouais, il a raison le vieux ! »
Les plants de maïs se mettent alors à sortir leurs pieds de la terre et font apparaître leurs racines ! Oh ! Il faut voir cette troupe, cette armée même qui s’ébranle ! On dirait de vieux squelettes jaunis, tremblants et secs, mais c’est la dernière charge et tout le monde en sera ! On prend la route de Domopolis, le royaume méprisant de la domination ! Les premiers Doms, qui voient ces silhouettes, ses épis dressés, aux feuilles grinçantes et blanchies, prennent peur évidemment et l’alerte est donnée ! Bientôt, c’est l’affrontement, avec les forces de l’ordre ! Des policiers sont saisis et jetés par ces tiges encore solides, mais les Doms possèdent des armes et le feu !
Au matin, on découvre le carnage ! Tous les plants ont été tués et jonchent le « champ de bataille » ! Mais qu’importe ! C’était la dernière charge et ils sont morts en héros !
77
Domopolis fume, s’inquiète, s’agite, pense et pense, débat, s’énerve, se révolte, se met en colère, saigne, hurle ! Voyant cela, le soleil en a pitié ! Il décide de se rendre à Domopolis, pour rassurer ses habitants ! Il met dans sa valise quelques joyaux, comme des feuilles émeraude ou des perles de rosée ! Puis il part et se déplace avec beaucoup de couleurs, puisqu’il commence par peindre les nuages de tons oranges ! Mais Domopolis ne semble pas y faire attention et il est vrai qu’il faut courir, pour gagner sa vie ! C’est le travail, qui est représenté par le trafic, qui s’allonge comme une chenille agressive !
Mais ce n’est pas le plus grave : l’actualité est brûlante ! Combien n’ont pas le couteau sous la gorge ? Combien n’ont pas faim ou meurent sous les bombes ? Les Doms sont en colère : ils crient à la trahison ! Ils font des barrages dans la ville, saccagent des magasins, parlent et parlent encore, crient ! On leur a pris leur pieds, l’enfant qu’ils tenaient chaudement dans les bras ! Certains poursuivent même leur tête que l’État a tenté de voler ! Le soleil ne sait pas quoi faire ! Il est là, avec sa petite valise, mais tout le monde s’en moque et a bien d’autres problèmes ! Le soleil sort quand même ses merveilles et fait briller ses feuilles, ses nuages et sa rosée, mais le résultat est le même : il a l’impression de se retrouver en plein sur un champ de bataille !
Un poète, qui passe par là, le reconnaît, mais tout de suite l’invective ! « Tu n’as pas honte ? crie le poète.
_ Hein ? Quoi ? fait le soleil interloqué.
_ N’essaies-tu pas de nous faire croire au bonheur ? N’essaies-tu pas de nous faire croire que le Ciel n’est pas vide, que nous ne sommes pas seuls et que la vie ne se termine pas par la mort ?
_ Ma foi, loin de moi de vous vouloir du mal ! Tiens, par exemple, je fais mûrir les épis, pour que vous ayez du bon pain chaud ! Hein ?
_ Encore un de tes tours ! Encore une de tes illusions ! Nous pourrions effectivement nous réjouir de tes bienfaits, mais ce serait nous tromper ! Ton éclat est faux et n’effacera pas la mort, ni notre solitude, ni notre malheur ! Car nous en bavons, crois-moi !
_ Tu veux dire que tu as peur d’être pris pour un gogo, c’est ça ? Regarde, j’ai apporté des feuilles émeraude, des perles de rosée et mes nuages orangés ! Hein ? La classe, non ?
_ Supercheries, mirages, impostures ! L’ombre est l’ombre ! Nous sommes seuls, mais nous serons d’airain ! Nous aurons le courage d’affronter la mort, sans l’aide de Dieu, sans ce rêve trompeur !
_ Faut que je remballe tout, c’est ça ? Mais la situation ne serait-elle pas pire ? Un peu de chaleur, ça fait du bien ! Je réjouis les enfants, n’est-ce pas ! Laisse-moi les faire rire et les enchanter ?
_ Il faudra bien qu’ils pleurent eux aussi ! Un jour ils seront grands !
_ Et ils s’agiteront en vain, comme tous les Doms ici ! Que cherchez-vous ? Que voulez-vous ? Qu’est-ce qui pourrait vous rassurer ? Pourquoi ne m’aimes-tu pas plus ? Si tu me regardais avec simplicité, avec amour, tu serais plus tranquille… et les Doms aussi !
_ Excuse-moi, mais j’ai à faire…, une élection à l’Académie, un discours…
_ Ah ! Nous y voilà ! Le sentiment de ton importance ! Voilà ta chaleur, ton moyen de chauffage ! Ton amour-propre ! Ton esprit ! Et c’est bien naturel, vous, les Doms, avez été dotés d’une pensée… et il vous faut donc l’exercer ! Ceci explique toute votre agitation et votre énervement, car vous avez soif de reconnaissance ! tandis que que moi apparemment, sur ce plan-là, je suis vide et ne vous apporte rien ! Ce n’est pas vrai ?
_ Hum ! Tu n’as pas tort : la nature nous paraît vide !
_ Et ma beauté aussi ? Je ne suis pas seulement utile, pour faire pousser les plants, mais j’embellis tout ce que je touche ! Ma beauté devrait aussi vous rassurer, elle devrait vous faire sentir combien vous m’êtes chers et importants !
_ Je ne comprends pas…
_ Non, tu préfères ce qui est immédiat, l’avis de tes confrères, un bon déjeuner, etc. ! La patience et la simplicité, ça demande des efforts ! ça demande de grandir, de la confiance et de calmer son ego ! Et là, plus personne !
_ Bon, ben, c’est pas que tu m’ennuies, mais faut qu’ je file !
_ Va, va, je vais rester là, car sans moi, ce serait la nuit et la mort ! »
Le soleil en effet reste là, dans le bruit et le vacarme ! Il est là devant ses valises ouvertes et présente ses feuilles émeraude, ses perles de rosée et ses nuages oranges ! Seul un oiseau furtif en profite ! Mais le soleil est patient, il a tout son temps… et il se met à siffloter une vieille chanson !