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  • Les Enfants Dom (XXII-XXVII)

    Dom 4

     

     

     

     

     

                                                    XXII

       

        Madame Abominable n'est jamais contente! Elle grimace comme si elle était handicapée! Pourtant, elle est très riche! Elle possède une maison qui ressemble à un château, ce qui est très rare dans RAM, et elle loue des appartements!

        Mais madame Abominable n'en a jamais assez! Elle parle constamment d'elle! C'est le seul sujet qui l'intéresse! Et c'est pour se plaindre ou se mettre en valeur! Quand l'objet de la discussion lui est étranger, elle jette encore un ou deux mots, pour montrer qu'elle connaît, comme si elle disait: "Ne m'oubliez pas! Je suis toujours là!"

        Le soir, elle s'occupe de sa fille! Elle s'en fait la complice et l'entretient pendant des heures! Elle verse dans cette jeune tête toutes ses haines, ses rancœurs, ses doléances, et elle ressemble alors à une araignée, qui suce les cerveaux!

        Monsieur Tourbillon est employé dans un magasin! On ne voit que lui! Il est partout! Il sait tout! Il tend l'oreille, jette un œil! Rien ne lui échappe! Il gère les stocks, passe les commandes, négocie les rachats, conseille ses collègues, accueille les représentants, plaisante avec les fidèles!

        Il est devenu indispensable et paraît le patron! Il connaît mieux d'ailleurs l'histoire du magasin que ses employeurs! Il leur raconte des anecdotes qui les font paraître étrangers! Il est au zénith, dans un rêve d'action et de pouvoir! Il est le maître absolu et croit qu'il est là pour l'éternité!

        Mais il gêne maintenant... Les vrais propriétaires se sentent à l'étroit, se voient même comme des employés et ils décident de reprendre la main, de se débarrasser de monsieur Tourbillon, en le mettant brusquement à la retraite! Le monde s'écroule! C'est le soleil qui est fusillé!

        Voilà monsieur Tourbillon dans la rue ivre de rage! La haine lui donne un air terrifiant! Il maudit tout haut! Il rêve de cogner, d'étriper, mais il doit pourtant se calmer, rentrer sa fureur, car du monde passe! Il avance abattu, il n'est plus rien, tout est fini! Il rejoint tous ceux qui ont été limogés, alors qu'il rayonnait! Il aurait dû être plus prudent, mais il ne voyait que lui!

        Madame Triste tient une échoppe, mais les affaires sont dures! Le client est rare, toutefois en voilà un! Il demande ce qu'il veut et lit une pancarte qui dit: "S'il vous plaît, aidez le petit commerce!" C'est bien ce qu'il est en train de faire, mais soudain madame Triste s'enquiert: "Vous travaillez? Hein? C'est important! Vous faites quoi? Vous gagnez bien votre vie?"

        Le client interloqué prend son achat et s'enfuit! Il ne reviendra jamais! Madame Triste renifle, maussade... Elle n'a jamais eu de chances! Et pourtant elle ne ménage pas sa peine! C'est elle la chef des commerçants du quartier! C'est elle qui commande! qui met de l'animation! Elle n'est pas n'importe qui! Faut bien, car on ne peut compter sur personne! Snif! Fait froid!

        Monsieur Lourd a beaucoup de problèmes! Il se gratte la barbe! On lui demande s'il est au courant pour les escargots: grâce à leurs antennes, ils vont enfin pouvoir recevoir la télévision! Monsieur Lourd a un pâle sourire! Il explique qu'on ne l'a pas consulté, lui, le spécialiste; que c'est dommage, parce qu'il est un acteur sur la place et qu'il a des choses à dire! Sa voix est traînante et pleine d'amertume!

        Soudain, monsieur Lourd demande qui a bougé la pièce 111 qui est sur son bureau! Il peste! On ne lui dit rien! Si on bouge quelque chose, il faut qu'il le sache! Il est chez lui ici! Il y en a d'autres qui travaillent à côté, d'accord, mais c'est monsieur Lourd qui est responsable, qui est le plus important! On voudrait le soulager? Ouais, mais pas sans lui! C'est lui qui commande! Il est indispensable!  

        Monsieur Lourd a une rude tâche! Le travail ne manque pas! Le voilà expliquant quelque chose... Que raconte-t-il? Il dit, toujours de sa voix monotone, que dans certaines grottes des pays froids il existe des clauses de contrat, qui stipulent etc., etc.! Et l'on regarde monsieur Lourd qui sur sa montagne s'écoute, s'admire, s'enivre!  

     

                                                                                                             XXIII

     

        "Dis grand-père, qu'est-ce que c'est la folie? demanda le petit garçon.

        _ La folie, c'est de dire toujours la même chose, de ne pas regarder autour de soi! C'est d'être avec soi-même comme en prison!

        _ Mais les fous, on les conduit à l'hôpital! dit la petite sœur.

        _ C'est vrai, mais il y a plusieurs folies! Beaucoup sont fous sans le savoir et ils ont l'air tout à fait normaux! Et pourtant, si on les écoute, ils sont comme des disques rayés! et il est impossible de les changer! Cette folie-là est compliquée, car elle est en rapport avec notre façon de voir la réalité!

        _ Qu'est-ce que tu veux dire, grand-père?

        _ Vous voyez le nuage qui passe là-haut? Bon, comment le trouvez-vous?

        _ On dirait un gros chou-fleur! Hi! Hi!

        _ Oui et il est magnifique, rajouta la petite sœur, car il a la blancheur de la neige!

        _ Et comme il est calme et immense, n'est-ce pas? On dirait que rien ne peut le déranger et maintenant observez-le encore...

        _ Oh! On dirait une chevalier qui fonce!

        _ Non, c'est plutôt une vieille dame en colère! Elle a l'air d'une marmite! Hi! Hi!

        _ Vous riez maintenant, fit encore le grand-père, rien qu'à regarder ce nuage! Mais alors pourquoi les gens dans la rue ont l'air si pressés, si inquiets et si tristes?

        _ C'est parce qu'ils ne regardent pas les nuages...

        _ Mais oui, ils sont comme en prison! Maintenant, les enfants allez vous amuser! Grand-père a du travail!

        _ Au revoir grand-père!

        _ A bientôt les enfants!"

        Le grand-père sortit un papier de sa poche et il se mit à relire le poème qu'il venait d'écrire... C'était lui le poète du vieux cimetière et dans beaucoup de lieux de RAM, il avait laissé des vers, pour ceux qui auraient des yeux et qui chercheraient une vérité, un réconfort!

        Mais le grand-père ne se faisait guère d'illusions, comme le montrait son nouveau poème, que voici:

     

            LES FOUS

    Ils sont aussi perdus

    Qu'ils sont odieux et vides!

    Et la peur est leur dû,

    Sous leur masque et leurs rides!

     

    C'est le trafic haineux,

    Le m'as-tu-vu du riche

    Et de l'orgueil les nœuds!

    Car on pleure et on triche!

     

    La bête a plus de prix

    Et le ciel et ses îles

    Font qu'ici-bas on crie:

    "Allez, tous à l'asile!"

     

                                                                                                   XXIV

     

        Cariou était chez lui et lisait tranquillement, quand son attention fut captée par une silhouette à l'extérieur! Il regarda par la fenêtre, vit une personne qui semblait attendre et il se replongea dans son livre!

        Mais quelque chose le gênait... Il était soudain incapable de se concentrer sur sa lecture, comme si l'individu dehors continuait à exercer une pression! Cariou dut le regarder encore, puis il essaya de nouveau de retrouver le sens de sa page, mais il n'y avait rien à faire: l'autre effectivement prenait sa conscience!

        Alors, Cariou changea ses yeux... Ils devinrent d'un vert scintillant et la silhouette disparut! Il fallait tout de même tout le temps se battre, songea Cariou, même chez soi!  

        Andrea Fiala était de nouveau à l'OED et elle écrivait: "Beaucoup de femmes se demandent d'où vient le patriarcat et s'en indignent, comme s'il était une totale imposture! Mais la domination masculine, qui est une expression plus exacte pour le patriarcat, vient simplement de la nature!

        En effet, chez beaucoup d'animaux, le mâle peut sembler se comporter d'une manière odieuse, puisque, par exemple, il va manger en premier les meilleurs morceaux, quand la femelle devra se contenter des restes! Mais, comme les animaux ne font qu'obéir à leurs instincts, on comprend très vite que le mâle agit ainsi par nécessité et on le voit soudain attaquer un rival, pour défendre le territoire qui permet nourriture, sécurité et reproduction!

        Aujourd'hui, s'il y avait un nouveau conflit entre les hommes, les femmes instinctivement les feraient manger d'abord et leur serviraient ce qu'il y a de mieux, afin qu'ils soient les plus combattifs possibles! Tant que les frontières n'ont pas été sûres, la domination masculine a prévalu et il est normal que les premiers textes, qui ont essayé d'expliquer le monde, comme les écrits religieux, s'en soient inspirés!

        Le problème apparaît quand on ne veut pas prendre conscience que les choses évoluent et que les considérations d'hier sont elles-mêmes appelées à changer! Car la civilisation a ceci de particulier, c'est que plus elle progresse et plus le rôle primordial de l'homme diminue! Il ne saurait en être autrement, puisqu'une société développée n'a pas normalement à défendre la sécurité de son territoire! Autrement dit, plus nous évoluons et moins la domination masculine  est nécessaire et se justifie!

        Place alors à la domination féminine, car les deux sexes ont la même origine, le même moule! La femme, comme l'homme, veut se développer et donc satisfaire d'abord son égoïsme! La domination animale est aussi présente chez elle, ce qui fait qu'elle n'a jamais cessé d'essayer de supplanter l'homme! Son horizon s'élargit avec la civilisation (l'homme cédant malgré lui la place) et c'est pourquoi on dit que la société se féminise! La femme y apporte toute sa sensibilité et on voit des lois contre le harcèlement ou l'homophobie! Les minorités sont défendues, la faiblesse s'en trouve protégée!

        Mais la domination féminine n'est pas meilleure que la masculine et elle commet les mêmes excès! Elle devient aussi exclusive et montre tout son mépris à l'égard des hommes! Elle se venge, en cherchant à prendre toute son ampleur! C'est inévitable, d'autant que la domination masculine, inquiète de perdre son pouvoir, a des sursauts de violence qui peuvent conduire au meurtre! Mais il faudra un jour qu'on comprenne que c'est la domination elle-même qu'il faut combattre, et non la masculine ou la féminine, car c'est bien elle qui empêche que les deux sexes soient égaux et parfaitement complémentaires!"  

     

                                                                                                  XXV

     

        Monsieur Mur a une vie obscure et il habite d'ailleurs un appartement sombre, avec ses chats! Monsieur Mur soupire souvent, son quotidien est lourd, tendu, fait essentiellement de tracas, d'une souffrance secrète, d'une blessure profonde, quasiment irréparable!

        Pourtant, monsieur Mur n'a a priori rien d'extraordinaire, bien au contraire! On ne le remarque même pas dans la rue, il passe inaperçu avec sa taille moyenne, son regard de myope, ses vêtements quelconques, son air soumis! D'ailleurs, monsieur Mur ne semble même pas se soucier de cet anonymat... Il va de son petit pas égal, entre les commerces et chez lui et il prépare sans entrain son manger, ainsi que celui de ses chats!

        Après s'être sustenté, Monsieur Mur toutefois s'anime un peu! Il n'est pas rare de le voir un livre à la main et sa bibliothèque est son seul meuble vraiment imposant! Que lit monsieur Mur? Mais de tout, car il est extrêmement curieux! De temps en temps, il frappe son livre en s'écriant: "Je le savais! J'en étais sûr! Ah! Les fumiers! Les ordures! Les salauds!"

        D'autres fois, il ricane ou il glousse! Puis, il se met à rêver... Que va-t-il dire? Comment il va amener les choses? De grands desseins, des plans compliqués, des démonstrations magistrales et écrasantes, des procès vertigineux, des réquisitoires foudroyants germent, se dressent alors dans l'esprit de monsieur Mur! A cet instant, il est grand, formidable, terrible! il est unique dans l'univers!

        Puis, monsieur Mur fait craquer ses doigts, a des airs de maestro qui s'échauffe et s'installe à son ordinateur, comme devant un orgue! L'écran s'allume, le rideau se lève et le spectacle commence, car monsieur Mur travaille essentiellement sur les réseaux sociaux: c'est sa passion, sa raison d'être! Vite, il tape ses messages, ses commentaires et ce sont des modèles d'insinuations, de sournoiseries, de véritables poisons, destinés à miner les consciences, à provoquer le chaos, à détruire l'ordre!

        Ainsi, les lectures de monsieur Mur lui profitent! Il utilise tous les arguments qu'il a retenus et qui viennent d'auteurs, de gens comme monsieur Mur! Qu'ont-ils tous en commun, y compris monsieur Mur? Eh bien, ils se sentent les victimes d'une pensée générale, ambiante, qui serait dirigiste, oppressante même! Celle-ci leur dirait ce qui est bien ou mal et pour la combattre, ils en prennent automatiquement le contrepied! Notamment, si la science trouve un remède qui pourrait les soigner, ils contestent ses résultats, émettent des théories contraires, quitte à rester malades!

        C'est un travail acharné, de fourmis! Il faut nier et encore nier! se réprimer! paraître le plus sensé, le plus exact, le plus rigoureux! ne pas cesser de laminer, mais avec un ton doux! ou bien s'indigner fougueusement, fustiger, pour ouvrir des abîmes pleins d'horreurs! se faire moraliste, alors que l'on condamne toute leçon! Il faut être élastique, pour rejeter tous les coups! faire fi de ses propres contradictions! ne jamais avoir honte! ne jamais reconnaître sa haine, car on n'est que le témoin du désastre, de l'injustice, de l'infamie! 

         Tout ce qui menace RAM est bon! Tout ce qui vient de RAM est mauvais! Mais pourquoi ignorer la nuance, la compréhension, la profondeur, la compassion? Pourquoi cette idée fixe, ce rejet constant, cette œuvre de chaos et d'égoïsme? Pourquoi ne pas essayer d'être heureux soi-même, d'aimer les choses telles qu'elles sont, d'admirer la vie? Mais parce qu'il s'agit de ne pas se fondre dans l'anonymat!  

        Accepter le monde, pour monsieur Mur, c'est s'y noyer, s'y diluer, y disparaître! Accueillir la différence, ce serait se diminuer! Ainsi, monsieur Mur et ceux qui lui ressemblent sont-ils comme les récifs qui subissent la mer, ce qui est épuisant pour un être humain! et le soir, quand monsieur Mur enlève ses lunettes bleutées, pour se frotter les yeux, il a l'air d'un mort!

     

                                                                                                              XXVI

     

        Œil d'or s'impatientait! Il avait donné rendez-vous à Stan Harris et maintenant il le regrettait! Mais le "morveux" lui avait assuré que ce qu'il avait à lui apprendre ne pouvait se dire au téléphone! Il fallait absolument une rencontre et ils avaient convenus de se retrouver dans un ancien abattoir, qui devait être transformé en habitations!

        Les lieux étaient sinistres, sous le ciel gris, et ils rappelaient quel triste sort avaient subi les animaux ici pendant très longtemps! On frissonnait en constatant l'épaisseur de certaines portes et l'imagination s'assombrissait devant des rigoles! C'était comme si les murs retentissaient encore de l'écho des cris!

        Une minute, Œil d'or déchiffra un quatrain inscrit sur le béton:

     

                "LE LABYRINTHE

    Il est fait de mes craintes

    Et dans son noir réseau,

    Je m'abîme et m'éreinte!

    Car en moi crie l'oiseau!"

     

        "Pff! fit Œil d'or. Qu'est-ce qu'on peut voir comme conneries! Y en a qui n'ont vraiment rien à faire!

        _ Vous êtes là? dit la voix de Stan Harris dans son dos.

        _ Ouais! répondit Œil d'or en se retournant, et j'espère que ce que tu as me dire est important! Sinon je te botterai les fesses!

        _ Vous pouvez m'en croire! Ce que j'ai vécu n'est pas banal! C'est même une surprise totale!

        _ Alors vas-y, accouche!

        _ Ben, y a quelques jours, j'étais dans un "Tube"... Normal, j'ai pas le permis! Et... d'habitude, j' domine tout le monde à l'intérieur! jeunes, vieux, mères de famille..., quoique celles-ci ne m'intéressent pas, comme les handicapés! Trop faibles! Ce sont pas des proies intéressantes! Il est évident que je suis plus puissant qu'elles! J'cherche plutôt des hommes mûrs... ou des gars comme moi! Et là, j' les fait plier! C'est moi l' maître! Y en a pas un qui m' résiste!

        _ J' te crois! T'es assez crapule pour ça! Et alors?

        _ J'ai vu un type monter... peut-être la cinquantaine! J' me suis dit:" Toi, mon mignon, tu vas passer à la casserole... et même que je te veux comme esclave sexuel!" Car moi, j'adore la soumission et qu'on me fasse des gâteries sexuelles!

        _ C'est de ton âge..., mais épargne-moi les détails, tu veux! 

        _ J' me suis concentré sur mon siège, l'air de rien, avec mon Narcisse! J'ai envoyé tout ce que j'avais! Une vraie pile électrique! Mon cerveau disait: "C'est moi le plus fort, le maître! Vous êtes tous mes esclaves! Je contrôle tout!" Eh ben, le type a résisté! Il a senti mon pouvoir... J'en suis certain, car il a réagi! J'ai même cru que j'allais l'avoir! J' mettais le paquet, j' vous dis! J' voyais déjà le bonhomme à genoux devant moi! Mais il m'a opposé un mur! J'avais jamais vu ça!

        _ Tu peux préciser...

        _ C'est difficile à décrire! Attendez je ferme les yeux... J' me suis senti tout p'tit d'un seul coup! même insignifiant! J'ai remis la dose! J'allais pas m' laisser faire comme ça! J'ai de nouveau transmis que j'étais le maître... et de nouveau j'ai été repoussé comme si j'étais rien! Incroyable, le gars! Y avait rien à faire! Un moment j'ai cru voir un arbre... blanc, avec des pétales! J' me suis demandé si je rêvais pas... ou si c'était pas une plaisanterie! Mais faut que je vous avoue un truc...

        _ J' t'écoute...

        _ A partir de là, j'étais vraiment mal à l'aise! C'est moi qui avais peur! J'avais les mains moites sur mon Narcisse! J'avais même du mal à respirer! Ce type était d'une puissance! J'ai bien été content de voir mon arrêt arriver! Je me suis levé comme si j'avais cent ans! Les copains ne m'auraient pas reconnu! J'étais tout tremblant en descendant du Tube! Et le type m'a suivi des yeux! Il comprenait parfaitement la situation! Maintenant je me rends compte que je le hais de toutes mes forces! Si je pouvais le détruire, je le ferais sans hésitations!   

        _ Je suppose que tu as les images..."

        Harris tendit son Narcisse et Œil d'or enregistra ce qu'il voulait. "Euh, dites, reprit Harris, j'crois qu' ça mérite une p'tite récompense!

        _ Hum...

        _ Moi et mes potes, on a dégotté un fusil... et on voudrait dégommer quelques chats! Hein? Rien ne vaut une bonne petite psychose dans l' quartier! Tout le monde va avoir peur et s' demander qui est derrière tout ça!

        _ D'accord, mais pas plus d'une dizaine de chats! Après j'interviens!

        _ Chic!"

     

                                                                                                            XXVII

     

        Madame Müller entra dans un magasin bien connu de RAM. "Madame Müller! s'écria monsieur Mertens, le propriétaire du magasin. C'est toujours un plaisir que de recevoir votre visite!

        _ Bonjour, monsieur Mertens. Je viens acheter des chocolats!

        _ Mais parfaitement, madame Müller! Me permettez-vous, cependant, de vous demander des nouvelles de monsieur Müller?

        _ Il va bien, ma foi, mais il est encore très pris par son travail! Avec toutes ses affaires, il n'a pas une minute à lui!

        _ J'imagine!

        _ Pourtant, je lui répète souvent: "René, tu vas y laisser ta peau!" Mais il ne m'écoute pas!

        _ Tss! Tss!

        _ Remarquez, c'est un peu de ma faute! J'ai voulu rénover complètement l'appartement! Mon rêve, c'est qu'il se mette à tourner, de sorte qu'il soit toujours en face des éclaircies! Vous savez combien il est devenu rare d'avoir un peu de chaleur, de nos jours! 

        _ A qui le dites-vous! La météo ne cesse de se dégrader!

        _ Mais alors, faire tourner l'appartement dans l'immeuble présente, selon René, des difficultés insurmontables! Je veux bien le croire, mais quand il s'agit de ses plaisirs, René ne regarde pas non plus à la dépense! Enfin, j'ai dit que ça serait un excellent cadeau pour nos noces de diamant, hi! hi!

        _ Ah! Ah! Excellente idée! On passe au chocolat?"

        Monsieur Mertens montra soudain un étal rempli de produits... "Oh! Mais je croyais... s'étonna madame Müller.

        _ Que la montée des eaux nous avait contraints à la pauvreté? Non, Dieu merci! Certaines régions ont été épargnées et continuent de récolter du cacao, que nous faisons venir ici spécialement par bateau! Alors que désirez-vous? du fruité, du parfumé? du fort, pour monsieur Müller?

        _ Je ne sais pas... Que me conseillez-vous?

        _ Nous avons là un excellent cru! avec une délicate touche de noisette! suave dès l'attaque! long en bouche! avec une note de grillé qui persiste! très agréable l'après-midi!  

        _ Et pour accompagner une liqueur?

        _ On peut se tourner vers un chocolat plus profond! un terroir plus sombre! une amertume légèrement plus prononcée, car il faut faire face à l'alcool, bien entendu! Cependant, celui-ci pourra vous convenir... S'il est plus âpre, il garde en lui la fraîcheur des hauts plateaux où sa graine est cultivée!

        _ Ah! Très bien! Je vais prendre un peu des deux, mais il m'en faudrait un troisième pour ma fille, plus exotique... Vous savez comment sont les jeunes!

        _ Ma propre fille ne trouve rien à se mettre! Elle dit qu'on étouffe ici! Je pense que la nature pousse en elle! Hi! Hi!

        _ Mais votre fille a raison! Quel marasme! La crise est permanente! Evidemment, il y a des gens qui ont des difficultés, mais le vrai, c'est qu'on s'ennuie! On ne peut plus rien dire et il n'y a jamais rien qui se passe! J'ai tendance à croire que nos existences deviennent de plus en plus mornes!

        _ Comme je vous approuve, madame Müller! Nous devons faire face à des situations! Mais j'ai ici un chocolat orangé, avec un arôme de banane et de vanille! Il pétille presque sous le palais, comme un quartier d'orange! Il réveille les sens et donne un coup de fouet! De quoi plaire à la jeunesse! Hi! Hi!   

         _ Vous êtes mon sauveur, monsieur Müller! Une sœur de René, que je ne connaissais pas bien, vient de mourir et bien entendu nous marquons le coup! Ah! Nous ne sommes pas épargnés!

        _ Non, on dirait même que le sort s'acharne sur nous! Vous avez vu tous ces émigrés qui arrivent en bateau et qui n'ont rien! Ils prennent notre ville pour un Eldorado, mais c'est que nous aussi nous avons nos problèmes! Je ne vous cache pas que j'ai dû licencier un de mes vendeurs! Dame, c'était un salaire de trop!

        _ Bien sûr! Mais on ne peut pas de toute façon aider tout le monde tout le temps!

        _ Je vous fais un paquet cadeau pour votre fille?"

  • Les Enfants Dom (XIII-XXI)

    Dom3

     

     

     

     

     

     

                                                 XIV

     

        Asar Ibrahim avait construit une statue de lui-même et l'avait fixée sur un trottoir, où on devait passer en l'admirant!

        Daniel Abgrall était bedonnant et les mains dans les poches! Il avait tracé une ligne rouge devant lui et dès qu'on marchait dessus, il disait: "Vous avez franchi la ligne là! Va y avoir du dégât!"

        Souvent, dans RAM, on entendait des trompettes! Puis, des annonceurs arrivaient en criant: "Voici le grand Ozil Demir! Il est votre maître à tous! Prosternez-vous! " Et on voyait Demir s'occuper des poubelles! 

        Andréa Fiala était au siège de l'OED, assise dans un rayon de soleil, et elle repensait à l'une des ses premières rencontres avec Cariou! Il lui avait demandé simplement: "Pourquoi vivons-nous, Andréa?" Surprise, elle n'avait pas su quoi répondre, puis elle avait réfléchi et elle avait dit: "Eh bien, j'imagine que nous obéissons d'abord à nos instincts! Il nous faut nous nourrir, nous vêtir, nous reproduire...

        _ C'est vrai, mais ce n'est pas tout à fait juste! Car déjà les animaux qui nous ressemblent ont une autre préoccupation! Ils défendent leur territoire! Bien sûr, c'est pour la nourriture et la reproduction, mais c'est encore bien plus que cela! Il faut revenir en arrière! Plus un organisme apparaît tard sur l'échelle de l'évolution, et plus il est complexe et donc plus il est individualisé! En défendant son territoire, en montrant qu'il est le plus fort, l'animal fait valoir son individualité, et c'est ce que nous voulons! Imposer notre individualité, c'est ce que nous appelons réussir!"  

        Dan Sullivan interpellait les passants et entrait dans leur vie! Il leur donnait des conseils, vantait sa propre expérience, dirigeait, contrôlait, plaisantait! On ne voyait que lui et pourtant il mendiait!

        Avec sa tunique azur, Diego Rojas virevoltait dans la rue! Il sautait littéralement sur les gens, disait bonjour dans son dos et demandait des sous pour les pauvres! Il trouvait qu'on manquait de charité et cela le mettait hors de lui! Il eût voulu la ville à sa botte, avec des bûchers ou des potences, pour tous ceux qui se montraient égoïstes!

        Kayla Sibanda ne disait pas bonjour! On lui souriait pourtant, on s'intéressait à elle, on voulait qu'elle fût heureuse, que son cœur fût léger! On ne ménageait pas sa peine, car celle de Kayla Sibanda avait l'air lourde! Mais rien n'y faisait, elle restait fermée! Le monde avait en effet une dette envers elle! C'était extrêmement grave, insondable, irréparable! On lui avait peut-être marché sur le pied!

        Germaine Truffaut se métamorphosait sous les yeux de ses clients! Elle tenait une petite boutique et elle commença par avoir mal au dos, puis à la gorge, puis elle grossit démesurément! Elle ressemblait à un petit camion et seuls ses yeux semblaient encore vivants! On était triste pour elle, mais elle criait que tout allait bien et elle sermonnait les autres, à cause de leur apathie! Elle donnait les recettes du bonheur, les clés de la réussite, mais un jour elle ne fut plus là! Sa maladie était devenue trop grave, mais à l'hôpital elle expliquait encore qu'elle ne faisait que passer et comment guérir le plus vite possible!

        Lorenzo Bianchi sifflotait, pour dire aux autres combien il était heureux et un bon garçon! Mais, en réalité, il tuait des enfants, avant de les faire rôtir et de les déguster, en maugréant!

        Elsa exhibait ses formes et méprisaient ceux qui ne la demandaient pas en mariage!

        Julie s'enflammait quand on lui demandait l'heure! Puis, elle haïssait si on ne l'invitait pas à dîner! Elle se sentait trahie!

        Robert rotait, crachait, vomissait et s'étonnait qu'on ne s'intéressât pas à lui!

        Olga regardait à travers les fenêtres, inspectait les intérieurs... Son jugement paraissait lourd et peut-être ferait-elle un rapport!

        Il fallait aimer la musique de la bande à Joe, danser un peu devant lui et ses gars, et enfin on pouvait passer!

     

                                                                                                                       XV

     

        Loin du tumulte, on trouve dans RAM quelques coins isolés, où le temps semble arrêté! Un vieux cimetière est ainsi, dont les murs sont encore faits de pierres! De rares arbres y sèment leurs petites feuilles, qui paraissent danser au rythme du vent!

        La plupart des tombes sont à l'abandon, s'écroulent, se crevassent... Elles ne sont plus visitées, on ne vient plus s'y recueillir et y apporter quelques fleurs... Les morts sont oubliés et il se dégage du lieu une certaine douceur, celle de ne plus désirer ou avoir peur!

        Parfois, on découvre des curiosités, un nom connu ou un beau texte gravé, surprenant! Car il est toujours étonnant de voir comment certains sont allés au bout des choses! Voici un poème en lettres d'or, à côté de la statue d'un jeune homme assis, la tête entre les genoux, comme s'il était accablé et ne voulait plus rien voir!

     

    LA HAINE

     

    La haine aime à blesser! 

    Elle a de la vipère           

    Le venin, qui laissé

    Rend fou quand il opère!

     

    La haine est dans la rue,

    Comme un chrétien à Pâques!

    Sur l'autre elle est à cru,

    Solitaire ou en pack!

     

    La haine anéantit

    Surtout pour son confort!

    Elle a l'air du nanti,

    Qui se sent le plus fort!

     

                                                                                                                   XVI

     

        "Dis grand-père, raconte-nous une histoire!

         _ Je ne crois pas, car on m'a dit que vous n'avez pas été sages!

        _ Oh! C'est pas vrai! s'insurgea le petit garçon. Même que j'ai fait tous mes devoirs!

        _ Moi aussi! renchérit sa petite sœur. Allez, grand-père, raconte-nous une histoire!

        _ Bon, bon, hem... Je vais vous parler d'une planète très lointaine...

        _ Ah!

        _ Oui, c'est une planète habitée comme la nôtre, mais les gens là-bas ont un comportement très original!

        _ Oh! Qu'est-ce qu'ils font?

        _ Eh bien, dès qu'ils voient quelqu'un d'inquiet, qui a le visage sombre, soucieux, ils le chatouillent!

        _ Hein?

        _ Oui, ils vont vers la personne et la chatouillent! Alors, celui ou celle, qui avait l'air triste, se met à rigoler! Il n'a plus de problèmes! Cette planète est appelée la planète des Rigolos, car tout le monde y est toujours en train de rire!

        _ Pff! fit la petite fille.

        _ Dis grand-père, demanda le petit garçon, est-ce que tu crois que les extraterrestres existent vraiment?

        _ C'est une question qui t'inquiète un peu, non?

        _ Ben oui, ils sont peut-être déjà venus ici! Mais... mais... hi! hi! Arrête grand-père, ça chatouille! Hi! Hi!

        _ Je fais comme sur la planète des Rigolos! Je chatouille celui qui est préoccupé!

        _ Hi! Hi!

        _ Et toi, ma petite, tu n'as pas de soucis?

        _ Oh non, grand-père! Moi, je suis toujours contente!

        _ Et ça ne t'inquiète pas un peu?

        _ Ben... Hi! Hi! ça chatouille grand-père!

        _ J' pense bien! Oh! Mais les enfants, je vois votre maman qui vous appelle!

        _ Au revoir, grand-père!

        _ A bientôt les enfants!"

        Quand les enfants ne furent plus là, le visage du grand-père se rembrunit: "Ici, se dit-il, c'est tout sauf la planète des Rigolos! C'est jamais bien! On est toujours en train de se plaindre! On a tout pourtant! On n'a pas faim! Mais l'inquiétude est notre lot! On est incapable d'être en paix! On ne sait rien regarder! ni les nuages, ni les fleurs! On est lourd, violent, sombre! L'oiseau qui chante pourrait se moquer de nous!"

     

                                                                                                                XVII

     

        Cariou emprunta un transport en commun... C'était une navette qui glissait dans un tube, grâce à un électroaimant, et on passait à mi-hauteur des buildings, ce qui permettait par instants de voir la mer! Elle apparaissait lointaine, avec des taches de plomb fondu, sous les rares éclaircies!

        La plupart des bâtiments étaient construits par le même homme, qui était assez étrange! Selon lui, il ne faisait qu'agir pour le bien de tous! On manquait de logements, la demande était pressante et il fallait y répondre, quitte à rendre impossible la vie d'autres habitants, qui se retrouvaient écrasés par le nouvel édifice!

        Mais cet homme n'était pas à une contradiction près! A l'en croire, il était dépourvu d'ambitions, il n'aimait pas le pouvoir, l'argent, il subissait la notoriété! Pourtant, il était le président de maintes sociétés! Son nom se voyait partout et il faisait régulièrement l'actualité! On ne l'approchait qu'avec des courbettes! Il dirigeait des centaines d'employés! Il était quasiment indissociable du quotidien de RAM!

        Son ambiguïté était malheureusement chose courante! On n'avait pas peur, ni de haine, ni d'égoïsme! On était tranquille, modeste, serein, bien que le chaos fût permanent! Car tout le monde semblait tout le temps à bout! Il était impossible de discuter avec qui que ce soit! Personne n'était disponible, patient, doux! On était face à un mur de colère! L'explosion était toujours imminente, ce qui rendait l'air irrespirable!

        Au fond, l'angoisse étreignait RAM comme un boa! Elle étouffait la ville et le seul moyen de desserrer son étau eût été bien entendu qu'on avouât ses sentiments! Car comment guérir si on ment sur ses symptômes? La peur, l'orgueil, l'égoïsme eussent dû être mis sur la table, faire partie de l'équation! La paix était à ce prix, elle demandait un changement profond des comportements! Pour l'instant, RAM ressemblait à un asile!

        Soudain, Cariou éprouva de l'horreur! A ses pieds étaient rassemblées des créatures repoussantes, d'un poil noirâtre, apparemment sans yeux, comme perdues dans un rêve! Leur petites bouches s'ouvraient cependant, montrant leurs dents jaunes et elles répétaient: "RAM! RAM!"

        Cariou comprit d'instinct qu'il ne devait pas bouger, s'effrayer et il s'efforça même de chercher des yeux la mer! Son raisonnement était juste, car les créatures disparurent, mais alors toute la navette fut attirée dans une spirale infernale, sous l'effet d'une force incroyable! Cariou s'accrocha à son siège pour ne pas être emporté et il glissa un œil vers la source de l'attraction!

        Ce qu'il vit ne le surprit pas! C'était encore un adolescent, apparemment sagement assis et qui ne faisait que consulter son Narcisse! C'était pourtant lui qui aspirait tout le monde! Cariou luttait férocement, car il ne voulait pas être soumis! S'il cédait, était entraîné, il reconnaîtrait l'ado comme son maître! il serait contraint de l'admirer, d'être sous son pouvoir!

        Cariou dut lâcher sa première prise, tant la pression qui s'exerçait sur lui était puissante! Une seconde, il flotta, se sentit perdu, puis il se saisit d'une barre et s'y fixa! Lentement, il y adhérait, il n'avait qu'elle! Elle était moite et son logement rouge... Cariou en apprenait quasiment chaque grain de matière et ainsi il résistait!

        Mais ce n'était pas suffisant! Cariou sentait que, malgré ses efforts, il était en train de se décoller de la barre et il se vit à la merci du faux dieu qui était à peine pubère! Il rassembla son énergie et il plaça entre lui et l'adolescent un merisier sauvage, en pleine floraison! Les branches étaient comme enneigées, avec de délicats tons roses! Il y avait là un foisonnement de beauté, d'une richesse infinie!

        Cariou en eut les larmes aux yeux, et comme pour le réjouir encore plus, un vent subit vint créer une pluie de pétales, qui recouvrirent bientôt toute la navette! C'était un enchantement, d'autant que la force d'attraction avait cessé! Cariou put regagner sa place tranquillement! Il respirait, il avait gagné! D'ailleurs, on arrivait à un arrêt et c'était celui de l'ado! Cariou en éprouva tout de même un grand soulagement, malgré sa victoire et c'était au tour de l'ado d'aller mal! Il avait beau avoir le nez sur son Narcisse, il titubait, en proie à l'angoisse! C'était la rançon à payer, quand il trouvait plus fort que lui!

        Cariou le regarda une dernière fois, en s'évertuant à ne pas le haïr!

     

                                                                                                                XVIII

     

        Helmut est fou furieux! On a déplacé un panneau, alors que tout doit rester à sa place! Helmut contrôle tout et on a des comptes à lui rendre, si on existe!

        Bernard a l'air de dire: "Tiens! Qui êtes-vous? C'est curieux: on ne m'a pas prévenu! En tout cas, vous n'êtes pas sur ma liste!" Car seul Bernard compte! C'est lui le chef!

        Zoe n'avance que si on regarde ses fesses! Elle fixe tous les mâles alentour, devient leur centre d'intérêt et la reine n'a plus peur et peut vivre!

        Catherine parfois ne vous répond pas! Elle utilise les silences pour sentir sa supériorité, comme si vous n'aviez rien dit! Vous parlez avec Catherine comme avec un serpent à sonnettes!

        Ivanka se colle aux gens! Elle pèse sur eux! C'est pour dire qu'elle est là et qu'on doit dégager!

        Peter téléphone en public, comme si nous étions ses secrétaires et devions prendre des notes!

        Gunther regarde avec concupiscence ceux qui lui plaisent! C'est normal, Gunther a ses appétits!

        Craig va bras et jambes nus qu'il fasse froid ou qu'il grêle! Le temps n'a pas d'influence sur lui! N'est-il pas maître de son destin?

        Jacob vous double tel un dieu indifférent!

        Sandra vous montre obstinément ses seins!

        Youri discute pour être regardé!

        Irina s'approche de vous en frissonnant et avec dégout, comme si vous étiez la peste!

        Olga prend conscience de votre insignifiance, avant de vous dire bonjour!

        Leone ne sait pas parler simplement et paraît émotive! Elle est pleine d'hésitations, d'explications, mais ainsi elle occupe votre esprit et devient importante!

        Michel est un requin, qui ne vous aime pas, qui vous piétine et qui rit tout haut! Rachid lui aussi préfère vous mépriser, pour plaire à Michel!

        Gaspard ne vous supporte pas et pourtant il veut des hommages! Gaspard ne comprend pas la situation!

        Isabelle vous en veut, parce que vous l'avez vue pleurer!

        Yuri est plein d'amusements, comme si vous étiez un phoque savant!

        Vous êtes le seul à regarder Fatima et vous êtes le seul qu'elle ne regarde pas!

        Min vous hait parce qu'elle s'est trompée!

        Gabriella s'adresse aux autres en vous parlant, comme si vous ne suffisiez pas!

        Natacha vous reproche son ennui!

        Maria utilise son chien comme appât!

        Abdi utilise ses enfants comme ambassadeurs!

        Jessica est toujours cassante! Cela lui donne un sentiment de supériorité, comme si à chaque fois on l'exaspérait!

        Gus ne supporte pas les gens paisibles! Il pense en être ralenti!

     

                                                                                                                     XIX

     

        Parfois, les tempêtes cessaient sur RAM et un soleil suspect s'installait! On ne l'aimait pas, on ne le saluait pas comme un bienfaiteur, car on savait sa chaleur précoce et dangereuse. En fait, sa présence rappelait trop bien les causes de la catastrophe, de la montée des eaux! C'était par la pollution qu'on avait totalement déréglé le climat et on se sentait responsable!

        Andrea Fiala était au siège de l'OED et c'était elle qui était chargé de "théoriser" l'action du groupe! Elle devait laisser une trace écrite, afin que d'autres fussent capables de comprendre la situation à travers les yeux de l'OED! Il s'agissait de lutter contre une menace, un mal! Les hommes étaient appelés à évoluer, ou tout du moins à réfléchir à certains éléments!

        Andrea se mit à écrire... "La complexification de la matière a mené à l'individualisation des espèces! Car plus un organisme est complexe et plus il est caractérisé! Mais qu'est-ce que l'individualisation, sinon une "conscience" de soi toujours plus grande, plus aiguë! La complexification de la matière ne devait-elle pas aboutir à la conscience telle que nous la connaissons?

        Mais les hommes ont d'abord fait comme les animaux! Ils ont d'abord défendu leur territoire, c'est-à-dire leur existence, leur individualité! Le groupe s'est opposé à d'autres groupes ou à des animaux! Dans le même temps, la survie du groupe est assurée par sa hiérarchie! La domination s'exerce au sein du groupe et contre les éléments étrangers! Elle est indissociable de l'individualisation! C'est la force qui fait d'abord prendre conscience de soi!

        Les groupes sont devenus de plus en plus importants! Les territoires se sont étendus à des royaumes, puis à des nations! Bien sûr, c'est le résultat de nombreuses guerres, avec la disparition du plus faible! L'humanité, au prix de millions de morts, a vu ses frontières se figer, se refroidir! Avant la montée des eaux, le paysage de la planète était stable, avait pris une forme quasi définitive!

        En parallèle, la civilisation avance, car chacun veut se développer, être soi, c'est-à-dire sentir sa valeur, son importance, ce qui revient à dominer! Réussir a priori, c'est s'imposer! Les régimes ont donc dû évoluer, eux aussi sous la pression de la force, des révoltes, des combats! Il est inévitable que les pays se démocratisent, car la domination d'un seul est tôt ou tard insupportable, en empêchant celle des autres, du plus grand nombre!

        Les monarchies sont tombées, avec leurs privilèges! La république, c'est une domination partagée! La démocratie, une domination qui se veut égale! Mais il n'en demeure pas moins que le "moteur" de nos personnalités est à l'origine le triomphe de soi! C'est notre égoïsme! C'est lui le feu de notre domination et il doit être contrôlé, d'où les lois, l'éducation, la civilisation! Notre égoïsme est toujours là, brûlant, rêvant de détruire et l'anarchie n'est que le retour à la vie animale, avec la raison du plus fort!

        Plus la civilisation progresse et plus la domination physique s'avère de moins en moins nécessaire! Nous devons moins lutter par la guerre! La violence ne disparait pas totalement cependant, mais la domination change peu à peu de nature: de physique, elle devient psychique! Avec la mondialisation, les distances ont diminué et la technologie a rendu la planète communicante! C'est l'esprit qui domine! C'est le cerveau le muscle! Le territoire est maintenant psychique!

        Evidemment, ces considérations concerne la suite logique de ce que nous avons vécu jusqu'ici, avant la montée des eaux! Nul doute que si nous retrouvons de la terre ferme, nous reprendrons ce chemin et d'ailleurs, il continue dans RAM! Sans doute est-il plus saillant, contraint par les limites de la ville!"

     

                                                                                                                 XX

     

        Monsieur Nuit était propriétaire d'une décharge pour les gravats! Tous les bâtiments, qui étaient détruits dans RAM, étaient acheminés en ce lieu, par de lourds véhicules! Les gravats étaient jetés ensuite dans la mer, dont ils finissaient par émerger, en formant des îles de béton!

        Quand on faisait remarquer à monsieur Nuit qu'il continuait de polluer, alors que c'était bien notre mépris pour la nature qui avait causé la catastrophe, il répliquait d'abord qu'il n'était pour rien dans la gestion de la ville et qu'il proposait seulement ses services!

        On lui objectait tout de même qu'il avait sa place au Conseil de RAM et qu'il s'y montrait favorable à tous les chantiers, puisque c'était dans son intérêt! Monsieur Nuit commençait alors à fumer, puis il se précipitait vers son bureau, dont il ressortait avec une lettre encadrée, qu'il présentait les larmes aux yeux!

        "Lisez ça, monsieur! disait-il avec des trémolos dans la voix! C'est le message d'un père, qui me raconte comment son fils a dû dormir dans son véhicule, parce qu'il ne trouvait pas de logements! Et vous voudriez que je freine les constructions, que je me montre hostile au progrès, alors qu'il y a tant de misère ici-bas!"    

        On se demandait si monsieur Nuit ne se moquait pas du monde, mais il rajoutait: "Ceux qui discutent du développement de RAM, ce sont les riches, les nantis, les privilégiés, mon bon monsieur! Evidemment, eux ont déjà tout ce qu'il faut... et ils ne veulent pas être dérangés! Mais il faut de la place pour tous! Nous lutterons contre l'égoïsme!"

        Monsieur Nuit était comme la plupart: il était entièrement altruiste, totalement dévoué au bien commun et ne visant pour lui-même que le strict nécessaire! La haine, l'envie, la peur, l'avidité lui étaient absolument étrangères et il apparaissait ainsi aussi hermétique que ses gravats! On était soudain fatigué, comme le climat, car on avait l'impression  d'être face à une machine de guerre, à un mouvement inexorable et destructeur!

        On savait encore que monsieur Nuit possédait des serres de tomates, qui s'étendaient sous la ville sur plusieurs kilomètres! Les légumes y mûrissaient en un clin d'œil, grâce à des produits chimiques, sous des lumières artificielles! C'était ce genre de cultures qui avait dévoré l'espace et amplifié le réchauffement!

        Mais on n'osait pas en parler à monsieur Nuit! On ne voulait pas l'entendre dire que sans lui les gens n'auraient rien à manger et qu'il était donc indispensable! On pensait que rien ne pouvait raisonner monsieur Nuit, puisque le désastre ne l'avait même pas entamé! Que voulait au fond monsieur Nuit? Mais soudain son visage se figeait! "Roger!" appelait-il et l'un de ses employés arrivait. "Qu'est-ce que c'est qu' ça? demandait-il en désignant quelque chose.

        _ Ben, c'est une ortie, m'sieur Nuit! répondait Roger.

        _ Une ortie! Autrement dit une plante! Je vous ai déjà dit mille fois que je ne supporte pas tout ce qui est sauvage!

        _ J' sais bien, m'sieur Nuit! Mais vous savez comment elles sont malignes, quand il s'agit de trouver de la lumière!

        _ Peu importe! Enlevez-moi ça tout de suite! J'exècre la nature quand je ne la contrôle pas!"

        Ainsi était monsieur Nuit et le vol d'un papillon pouvait le rendre malade! Au fond, il n'était heureux que parmi ses gravats! On racontait qu'il se tenait volontiers au sommet d'une de ses îles de béton, alors que de faibles étoiles scintillaient dans le ciel! Il y rêvait sans doute... Peut-être se rappelait-il ces vieilles légendes, qui parlaient de villes fastueuses sorties de la mer et dont il se voyait le fondateur admiré, le sublime architecte!

     

                                                                                                            XXI

     

        Jack Cariou entra dans les bureaux de l'OED et tomba sur Fahim Macamo, qui était devant un tableau rempli de chiffres! "En plein boulot, Fahim?

        _ Oui, je m'interroge sur le champ psychique!

        _ Vaste programme!

        _ Comme tu dis! Mais je crois que j'arrive à certaines choses... En fait, je suis parti de l'idée que l'on a de l'espace-temps! Je suis sûr que tu vois à quoi je fais allusion...

        _ Tu veux parler de l'espace déformé par la masse des étoiles, ce qui entraîne même une déviation de la lumière! Je ne suis pas un scientifique, je te le rappelle!

        _ Bien entendu! Mais chaque astre produit bien un champ gravitationnel, qui attire tout ce qu'il y a autour! Pour en venir à ce qui nous préoccupe, il faut aussi imaginer un champ psychique, comme si toutes nos têtes étaient elles-mêmes des astres!

        _ Je commence à comprendre...

        _ Toi mieux que quiconque sais de quoi il est question! Bien que nous soyons là dans le domaine de l'invisible, nous sentons la présence de l'autre plus ou moins fortement, car chacun a une influence à cause de ses pensées! Evidemment, nous saisissons l'autre par des signes extérieurs, mais pas seulement! Ce que nous comprenons de la vie, comment nous voulons qu'elle soit détermine un champ psychique, qui déforme lui aussi l'espace, en attirant les consciences!   

        _ Tout à fait d'accord!

        _ C'est ce qui fait que notre attention peut subitement se tourner vers un individu, sans que nous comprenions pourquoi! L'exemple le plus courant est donné par la femme! Un homme a soudain le regard fixé sur le corps d'une femme, précisément sur la partie que la femme veut qu'il voit, habituellement celle dont elle est la plus fière! Car il s'agit ici de séduction!

        _ Et de domination!

        _ On va y venir! Mais la femme en se concentrant sur elle-même, en se mettant en scène si je puis dire, crée un champ psychique qui capte l'attention! Mais les hommes ne sont pas en reste! La plupart mettent en avant psychiquement leurs parties génitales! Ceux qui les croisent sont appelés à regarder le "paquet", car plus il est gros et plus il est censé exprimer la domination!

        _ Nous y voilà!

        _ Oui, car pour la femme, la domination, c'est la séduction! Dominer, c'est de faire en sorte d'être le centre d'intérêt de l'autre! On s'impose à lui! Ainsi, on a le sentiment de sa valeur, de son importance! On trouve un équilibre!

        _ On dirait que tu fais un cours!

        _ Ah! Ah! ça y ressemble en effet! Mais revenons à l'espace, si tu veux bien... Les champs gravitationnels dépendent évidemment de la taille de l'étoile, mais aussi du stade de son évolution! Une étoile déforme l'espace selon qu'elle est plus ou moins jeune et on connaît une étape ultime, qui est celle du trou noir! Dans ce cas, le champ gravitationnel est si dense qu'il s'effondre sur lui même et qu'il absorbe toute la matière autour, même la lumière!

        _ Et tu vois le même phénomène dans le domaine psychique?

        _ Comme si tu ne le savais pas! Il y a effectivement des individus qui dominent totalement, qui veulent une soumission complète, partout où ils sont, ainsi qu'ils vivraient dans une bulle, dans laquelle on devrait rentrer, pour les saluer comme des rois ou des reines! Ce sont des personnalités trous noirs!

        _ Autrement dit des enfants Dom!"

  • Les Enfants Dom (VII-XIII)

    Dom2

     

     

     

     

     

                                   VII

     

        RAM change constamment! La ville a beau être prisonnière des flots, elle continue à se développer, à se transformer! Des tours sont détruites, des chantiers titanesques apparaissent, produisant un déluge de bruit et de poussière!

        Certes, on voit des ouvriers et des machines, mais on est toujours surpris devant le bâtiment nouveau, ainsi qu'il serait sorti de terre! Pourtant, les rues de RAM sont ouvertes, des tranchées y sont creusées, des branchements refaits! Les tuyaux ne sont-ils pas des veines et des connections plus fines des nerfs?

        RAM se montre comme un être vivant, capable même de se régénérer! Des édifices barrent soudain le ciel! D'autres viennent masquer le soleil! On oublie les anciennes constructions insalubres! On s'adapte, mais on est parfois écrasé, chassé! On se demande alors ce qui motive vraiment RAM!

        La ville paraît insatiable! Le temps déréglé et la mer polluée ne l'arrêtent même pas, bien qu'ils témoignent de sa folie! N'est-ce pas l'industrialisation qui est à l'origine de la catastrophe? Mais RAM gagne encore sur les flots! La ville construit des polders, à coups de marteau géant!

        Pourquoi RAM ne réfléchit pas? C'est comme si tout le monde était dans une fuite en avant! Car il faut voir les visages! Ils se laissent surprendre et qu'expriment-ils? De la tristesse! de la fatigue! de la peur aussi! Que regrettent-ils? Qu'est-ce qui leur manque? RAM regorge de richesses! Mais le rôle d'une ville n'est-il pas de rendre heureux ses habitants? Car quel autre but pourrait avoir la vie?

        Seuls ceux qui boivent, dans un petit parc, semblent gais, mais à quel prix?

     

                                                                                                                        VIII

     

        "Dis grand-père, c'est vrai que nous sommes des animaux? demanda le petit garçon.

        _ C'est pas vrai! répliqua sa petite soeur.

        _ Mais si, ma petite, c'est vrai! répondit le grand-père. Tu as des poils, tu manges, tu fais pipi, caca! Tes bras, s'ils avaient des plumes, ils seraient des ailes! Et si tes jambes étaient collées, ne feraient-elles pas une belle queue de poisson?

        _ Comme la sirène?

        _ Exactement! Nous sommes de la même matière que les animaux, mais nous avons évolué différemment!

        _ Mais nous sommes habillés! Nous habitons des maisons! Et papa et maman, ils vont au travail! rajouta la petite fille.

        _ Oui, c'est ce qu'on appelle la civilisation! Nous inventons de choses, car nous sommes capables de réfléchir!

        _ Nous avons un cerveau plus gros! affirma le garçon.

        _ Oui, sans doute, mais surtout nous nous posons des questions! Nous pouvons faire des choix et contrôler nos instincts!

        _ Qu'est-ce que ça veut dire?

        _ Vous savez qu'il y a un merle qui vient ici...

        _ Oui, il vient manger les fruits du sorbier!

        _ Oui, il n'y en a plus beaucoup des comme lui! Mais à part manger, qu'est-ce qu'il fait?

        _ Eh ben, on voit aussi la merlette... murmura la petite fille.

        _ Tu penses au nid et aux petits? C'est vrai, il y a la reproduction, mais elle n'a lieu qu'au printemps! Donc, que fait le merle le plus clair de son temps?

        _ Il chante?

        _ Oui et non... Et pourquoi il chante?   

        _ Pour montrer qu'il est le plus fort!

        _ Bien! Alors voilà ce qu'on va dire... Le merle s'occupe principalement de défendre son territoire! Il chante ou pousse son cri, pour dire qu'il est là et qu'ici c'est sa maison! Car, sans le territoire, il n'y a pas de nourriture, ni de survie! Mais c'est comme ça chaque jour! Le merle est commandé par son instinct! Il recommence à chaque fois la même chose, tandis que nous, nous avons besoin de sentir que chaque jour est différent!

        _ Mais on va chaque jour à l'école!

        _ Ah! Ah! D'accord, mais la maîtresse ne vous demande jamais tout à fait la même chose, sinon vous seriez les premiers à vous ennuyer! Les hommes veulent réfléchir, rêver, inventer, créer, voyager, etc.! Nous avons un animal en nous, mais il ne nous suffit pas! Pouh! Les enfants, c'est un peu compliqué! Vous allez pensez à tout ça un peu plus tard... Maintenant, il est l'heure d'aller vous coucher!

        _ Bonne nuit, grand-père!

        _ Bonne nuit, les enfants!"

        Le grand-père regarda ses petits-enfants, qui se dirigeaient vers leur maison... Le petit garçon faisait le singe, quand sa sœur imitait le chien! Puis, le visage du vieux se ferma: "J'ai montré aux enfants que nous étions différents des animaux! se dit-il. Mais bien des hommes et des femmes restent des animaux, malgré leurs cravates et leurs bijoux! Et ils piétinent et même tuent sans pitié leurs semblables!"

     

                                                                                                                     IX

     

        Cariou, Macamo et Fiala s'étaient connus par les réseaux sociaux! Cariou avait repéré chez ses futurs partenaires un mal-être, qui était aussi le sien! Sans brusquer les choses, il les avait mis sur la voie que lui-même avait dégagée, pour comprendre ses souffrances! Mis en confiance et intéressés, Macamo et Fiala avaient souhaité une rencontre les réunissant tous les trois!

        Cariou leur avait alors expliqué patiemment les choses, pourquoi ils regardaient RAM les yeux horrifiés, d'où venait leur peur, qui les menaçaient et les attaquaient et comment on pouvait lutter! Macamo et Fiala étaient allées de surprise en surprise, mais le discours de Cariou sonnait juste, les éclairait, les apaisait même et d'un commun accord, le trio avait fondé l'OED!

        Mais comment Cariou avait-il pu acquérir autant d'expérience? Cela restait pour lui un mystère... Aussi loin que remontaient ses souvenirs, il se voyait face à un monde hostile, plein de cris et de fureur! C'était bien avant la montée des eaux et il retrouvait alors la paix dans la nature!

        Il était plein de blessures, de griefs et il s'efforçait de se rendre justice, de restaurer une logique, une vérité, car il se sentait victime du mensonge! Il avait l'impression d'affronter quelque folie, mais, peu à peu, l'éclat du feuillage émeraude, des anneaux de lumière remontant un bouquet de scions, ou des écharpes de vase, dans le courant d'un ruisseau, dont le fond était pailleté d'or, ou la queue violette d'une truite le calmaient!

        Il apprenait là, dans le silence et la beauté, comme guidé par quelque main invisible! Il rêvait, mûrissait et sans qu'il en eût vraiment conscience, il démêlait les écheveaux et se préparait à la clarté! Puis, il retournait dans la société et le cycle recommençait! tyrannies et peines! campagne et apaisement!

        L'apprentissage dura des années! la plupart du temps dans le brouillard! Que d'errances, de tâtonnements, de questions sans réponses! Que de chagrins, de doutes, d'impasses! Cariou avait sans doute lui-même côtoyé la folie, était devenu malade, s'était relevé, avait continué, persévéré, car c'était son être entier qui était concerné, sa vérité, sa raison d'être!

        Il s'était rendu compte qu'une lumière traversait les êtres, à laquelle généralement ils offraient plus ou moins de résistance! C'était déjà extrêmement curieux! Cariou avait même pu constituer des catégories, selon que les gens étaient plus ou moins fermés à cette lumière, mais il ne se doutait aucunement de ce qu'il allait finir par apprendre! 

        Il fut comme un alpiniste, qui contemple la vue sur le sommet de la montagne! Et elle était vertigineuse! Il l'avait fait entrevoir à Macamo et Fiala et ils en avaient frémi, même s'ils ne l'avaient pas parfaitement comprise! Il leur manquait le vécu, les épreuves qui brûlaient, comme des anneaux de feu! C'était tout le défaut d'un résumé!

        Il leur restait à assimiler ce savoir, mais leur vie avait maintenant un sens! Ils n'étaient plus malheureux comme avant! Ils avaient encore cessé d'être surpris par les événements, qui n'étaient plus que les pièces d'un puzzle infiniment plus vaste! Leur esprit s'éveillait et l'existence leur paraissait désormais bien plus riche qu'ils ne l'avaient imaginé!

        Quant à Cariou, avec le temps, il était devenu un maître de lumière!

     

                                                                                                                 X

     

        Jan Sovensen était un Danois, qui vivait de sa retraite et qui habitait un quartier obscur de RAM, bien loin du tumulte de la ville! Il avait le corps malingre et menait une existence morne, en compagnie de ses chats! Chaque fin de semaine toutefois, il se permettait l'achat d'une bouteille, afin d'apporter un rayon à son week-end, et il se rendait toujours dans la même épicerie!

        Il était donc à la caisse, en train de payer son alcool, et il discutait un peu avec la caissière, comme à son habitude, quand une petite vieille, venant du fond du magasin, lui planta subitement un couteau dans le dos! Il fut rempli de douleur et sentit que le froid le gagnait déjà!

        Il chercha du secours auprès de la caissière, mais elle ne parlait que d'elle et ne prenait pas conscience de la situation! Quant à la vieille dame, elle avait déjà oublié Sovensen et elle déposait ses articles sur le comptoir! Les jambes du Danois flanchèrent et il s'écroula derrière une pile de paniers! La dernière chose qu'il entendit, ce fut que la caissière avait une tendinite!

        Ailleurs, madame Rosec n'en revenait pas! Normalement, quand elle entrait dans un magasin, on devait la servir tout de suite! C'était pour elle la loi! N'était-elle pas la toute puissante madame Rosec? Ici, tout le monde la connaissait! Elle était riche, on le savait et on se courbait devant elle!

        Mais, ce jour-là, le client qui la précédait ne semblait pas s'en soucier! Il demeurait calme, indifférent et il terminait sans broncher ses achats, alors qu'il aurait dû déguerpir pour laisser la place à madame Rosec! Celle-ci redoubla de fureur et la vendeuse effrayée s'excusa du regard! Elle craignait madame Rosec et ne voulait surtout pas la contrarier!

        Le client, c'était Jack Cariou, et loin d'ignorer la situation, il la prolongeait au contraire! Il ne supportait pas la tyrannie, qui ne lui avait jamais paru justifiée, et il se concentrait sur le choix d'un fromage! Des flammes pourtant léchaient le plafond et derrière lui, Cariou sentait une véritable fournaise!

        Cela renforça encore sa froideur et il pouvait être aussi sourd qu'un caillou au fond de la mer! Il paya tranquillement, se permit même une petite plaisanterie et sortit sans regarder une seule fois madame Rosec! Celle-ci fumait, se répandait en mépris, puis, sous les yeux médusés de la serveuse, elle se mit à fondre et montra qu'elle n'était qu'un robot!

     

                                                                                                                  XI

     

        La brume avait envahi RAM et on n'y voyait pas à dix mètres. Un étrange silence s'était installé, sans doute du fait que le trafic était empêché! Cariou, toujours à pied, se demandait même où il était, quand il entendit le claquement d'un fouet! Cela avait été si bref qu'il avait peut-être rêvé!

        Puis, une femme magnifique apparut! Tout en elle éveillait les sens! Ses formes étaient parfaites et provocantes! Il n'y avait plus de brume! Il n'y avait plus qu'elle, comme si elle avait été le soleil! Elle eut un air de défi en regardant Cariou, qui en avait le souffle coupé! Le désir l'avait saisi et il ressentait une attraction quasi irrésistible!

        Pourtant, il avait toujours en mémoire le coup de fouet et il pensait qu'il provenait de la femme, qui avait voulu attirer son attention! Cela révélait un caractère dur et rebutait Cariou! Comme elle constatait qu'on lui résistait, la femme éclata d'un rire méprisant, qui disait: "Regardez-moi cet homme! Il me veut et il n'a pas le courage d'agir! Le pauvre garçon!"

        Cariou en fut mortifié, mais il souffrit encore plus, quand soudainement elle ne fut plus là! C'était sa vengeance! Elle avait ôté son corps envoûtant, sa beauté ineffable de la vue de Cariou, qui en éprouva une sorte de déchirement, car tant qu'elle avait été là, même s'il hésitait, il pouvait rêver!

        Mais elle avait peut-être raison après tout! Il n'était qu'un sot! Pourquoi ne s'était-il pas décidé? Il ferma les yeux et imagina des baiser brûlants! des étreintes passionnées! une complicité rayonnante, chaude! un quotidien désormais léger, souriant!

        Sa vie à lui n'était-elle pas grise? Ne souffrait-il pas de la solitude? Il parlait d'un combat, mais qui s'y intéressait? N'était-il pas au fond inadapté, un fou? Ne se trompait-il pas? N'était-il pas la victime d'une illusion? Et en quoi une relation amoureuse était-elle incompatible avec ses idées? Ne pouvait-il pas combiner une vie de famille et son action?

        La brume maintenant était revenue et Cariou était déchiré, sombre! Mais il y avait encore autre chose qui le calmait et qui l'avait retenu! Ses sens criaient, mais sa raison gardait un fond de lucidité et préconisait la patience! Car, outre le coup de fouet, il savait que cette femme n'étais pas venue à lui, parce qu'elle le désirait expressément, bien qu'il dût certainement répondre à certains critères! Non, elle s'était offerte par peur!   

     

                                                                                                                XII

     

        Diego Perez partait au boulot chaque matin, sur son scooter volant! Il avait une particularité! Il ne pouvait démarrer sans qu'on le fêtât! sans qu'on l'admirât! Il demandait donc aux voisins d'assister à son départ matinal et de lui crier: "Hourrah! Hourrah!", sous une pluie de cotillons! Si certains savaient jouer d'un instrument ou avaient une belle voix, ils étaient pressés de les utiliser pour l'occasion!

        Evidemment, si on s'était d'abord prêté au jeu en s'amusant, on s'était vite lassé! Mais Perez était sérieux et son regard était destiné à inspirer de la crainte! On continuait donc malgré soi, en pestant contre sa propre faiblesse! Perez d'ailleurs saisissait la moindre faille et on devait s'intéresser à son scoot rutilant!

        Il finissait par diffuser une colère sourde et après son passage, on en venait à rêver que ses collègues de travail fussent comme lui! "Si chacun demande un public, tous se déchirent!" disait-on!

        Dans RAM, malgré le nombre d'habitants, Leo Brown était connu, ou plutôt une partie de lui-même faisait sensation! Il surfait entre les buildings en ne présentant que son dos, ainsi qu'il aurait été amputé des jambes! On eût dit une boule qui rebondissait, un être difforme et d'un autre âge, un gnome, mais de plus près on comprenait que Brown était très fier de son dos musculeux et qu'ainsi il l'exhibait!  

        RAM était toujours en ébullition! De nombreux gens étaient en colère et manifestaient! Ils se réunissaient devant la tour du Pouvoir et criaient leur haine, ce qui ne laissait pas de surprendre Cariou! Car comment pouvait-on demander la justice ou l'harmonie sociale, en jurant la perte de certains? Voulait-on seulement régner?

        Cariou essaya de comprendre... Il demanda à des manifestants quelles étaient leurs revendications et à sa grande stupéfaction, elles étaient toutes différentes! Il apparut alors qu'on montrait son mécontentement par habitude, pour échapper à l'angoisse, comme si la paix, l'immobilité, la satisfaction même étaient suspectes!

        Cariou alla plus loin... Il se rendit compte que c'étaient quasiment les mêmes personnes à chaque manifestation! Elles ne faisaient que changer de casquettes et de slogans! Un jour, il suivit le cortège jusqu'au bout... Le soir tombait et on se dirigea vers un vieux cimetière! Là, chacun retourna dans sa tombe, sous les yeux ébahis de Cariou! Il n'en parla pourtant pas, de peur qu'on ne sautât sur lui!

        Pour Cariou cependant, le bonheur n'était pas politique!  Certes, il fallait un gouvernement et des mesures, mais la solution était en chacun de nous! La paix ne dépendait pas du salaire, mais Cariou se taisait!

     

                                                                                                                   XIII

     

        Stan Harris se réveilla dans une petite pièce blanche, éclairée par une lumière crue! Que faisait-il là? Soudain, il se rappela... l'incendie du musée, la poursuite  et... Il était allongé sur une banquette et il se redressa... Il avait encore mal à la mâchoire!

        A cet instant, un homme entra, que Harris reconnut: c'était son agresseur! Un flic sans doute! L'homme invita d'une geste Harris à s'asseoir à une table, où lui-même prit place, en déposant un dossier devant lui!

        "J' peux avoir un café? demanda Harris, quand il fut sur son siège.

        _ Non."

        L'homme consultait le dossier et ne disait plus rien. Harris regarda le plafond.  "Bon, fit l'homme en fixant Harris. T'es cuit!

        _ J'ai rien fait! s'écria Harris. C'est pas moi!"

        L'homme soupira et montra un Narcisse: "C'est le tien! fit-il. Et t'es assez branque pour te filmer faire tes conneries! Avec les dégâts, t'a pas fini d' payer! T'es cuit, j' te dis!

        _ Comme le musée, alors? répliqua Harris avec un petit sourire.

        _ Le problème, Harris, c'est qu' tu sais pas t'arrêter! Tu t' crois invincible, pas vrai? T'es encore mineur et tu penses qu'on peut pas grand-chose contre toi! Mais que vont dire tes parents, quand ils verront la facture?"

        Une ombre couvrit le visage de Harris, mais il retrouva vite le sourire! L'homme tenta d'interpréter ce fait... "Ah, je vois! dit-il. Tu as déjà fait le tour de ton père! Tu le méprises ou tu le manipules! C'est ça? Laisse-moi deviner! Quand tu as besoin de quelque chose, tu fais l'enfant, tu es soumis et tu lui dis papa! C'est lui qui a l'argent! Mais autrement tu le considères comme un bon vieux! Il est dépassé! Une vraie relique! Une poire! Toi, t'as déjà compris que le monde était juste là pour te servir!"

        La haine faisait maintenant grimacer Harris: "Et alors? répondit-il. Vous, les adultes, vous avez tout foutu en l'air! Non, mais regardez-moi la merde que vous avez semée! RAM! Une ville prisonnière de la mer, avec un ciel d'orage au-dessus de nos têtes! Et la bouffe? On sait même plus ce qu'on mange, ni comment c'est fabriqué! Tout se passe sous nos pieds, au niveau des égouts! Et vous venez nous faire la leçon!

        _ Et tout ce que tu trouves comme solution, c'est de mettre le feu à un musée! Bravo! Y en a là-dedans! J'ai été comme toi, tu sais! J'étais un beau branleur... et j' me croyais bien plus malin que tous les autres! Je sais comment ça se termine! Un jour, on commet l'irréparable et on termine en prison! Là-bas, on trouve de véritables salopards! On est brisé! Finie la gloriole! On fait encore le fier, mais on rêve plus! On pleure à l'intérieur, tellement c'est dur et c'est moche! On n'en finit plus de souffrir et on regrette le temps passé! La bouffe de RAM, c'était du miel! La liberté de RAM, c'était un paradis!"

        Il y eut un silence, puis l'homme reprit: "J' peux arranger les choses, mais faudrait qu' tu changes! En fait, j' te propose de travailler pour moi!

        _ Ah bon? Et qu'est-ce que ce s' rait?

        _ Tu vas continuer ton p'tit cirque, comme avant! Tu vas continuer à épater tes copains et les filles, sans pour autant détruire quelque chose... Mais tu vas être mes yeux et mes oreilles!

        _ J' comprends pas! Qu'est-ce que vous voulez savoir?

        _ J' veux qu' tu me dises si tu es surpris par un fait, si une situation t'étonne! Il se peut que ce ne soit rien, mais il me faut un rapport régulier!

        _ Mais y a des déjà des caméras partout!

        _ Les caméras ne filment pas ce qui m'intéresse! C'est tes sentiments que je veux! Et ne crois pas que tu vas me posséder! A la moindre embrouille, je ressors le dossier... et tu plonges!"

        Harris et l'homme échangèrent un long regard et ce fut Harris qui baissa en premier les yeux. Puis, il demanda: "Et comment je vous contacte?" L'homme lui donna un numéro, en ajoutant: "Je m'appelle Œil d'or!"

  • Les Enfants Dom

    Dom

     

     

       Voici une nouvelle histoire, qui reprend cependant les thèmes que nous connaissons bien ici désormais! Je vais juste essayer d'écrire un bon récit de SF, cohérent et troublant jusqu'au bout, ce qui veut dire pas trop d'explications, d'actualités, ni surtout de foi! Souhaitez-moi bonne chance! (Vous pouvez aussi me dire ce qui ne va pas...)

     

     

                                       I

     

        RAM! L'une des dernières villes à accueillir l'humanité! On s'y est pressé devant la montée des eaux! C'est une cité gigantesque, sous le ciel orageux en permanence! Toutes les nations y sont représentées! toutes les couleurs, tous les langages, toutes les coutumes! Entre les tours, une circulation effrénée! des voitures, des scoots volants! des accidents, des véhicules qui tombent, sur des piétons effrayés, avant les sirènes hurlantes des secours!

        RAM, une île! entourée d'un océan de déchets mouvants! un océan noirâtre et puant, où seraient nés des monstres, comme dans les légendes! Des éclairs toujours! Des éclaircies parfois! Une pluie boueuse qui salit tout! Une tension permanente! Une haine sourde! La vie pourtant! avec ses appétits, ses devoirs, ses buts cachés, ses espérances, sa folie et ses suicides! Certains sont retrouvés dans la houle molle!

        RAM a trois niveaux! Il y a ce qu'on ne voit pas, sous terre! C'est là qu'on prépare la nourriture de RAM! C'est sa ferme! On y fait pousser des plantes, des légumes dans une lumière aveuglante! Il n'y a plus de racines, seulement des biologistes, portant des combinaisons et des lunettes sombres! On y pratique encore l'élevage, avec des animaux massés, inquiets!

        On y tue des bêtes, à l'abri des regards! Ceux qui travaillent là n'ont pas eu le choix, mais ils forment une confrérie, un monde particulier! C'est ce qui les fait tenir et c'est leur domaine! Malheur à celui qui s'égare ici, surtout il a un air méprisant! On ne le revoit jamais! A côté, on trouve des laboratoires secrets, où on fabrique de la viande et toutes sortes de produits chimiquement! On essaie tout, on manipule la vie dans tous les sens, on fait naître de la matière, des substances, qu'on modèle comme dans un rêve infini!

        Au-dessus est le deuxième niveau, le plus populaire! C'est la foule grouillante! Ce sont les commerces, les magasins, avec leurs étals ou leurs vitrines alléchantes! C'est là qu'on achète à manger, de quoi s'habiller, équiper ou orner son intérieur! Des riches s'y montrent, avec leurs emplettes, affichant leurs rires et leur insouciance, avant de s'envoler vers leurs appartements dorés! Car, même en ces temps catastrophiques, la "farce" de la société continue! Il s'agit encore de montrer son rang, sa fortune, sa réussite, sa supériorité!

        D'ailleurs, les mendiants sont là! miséreux, éteints, amers! Certains sont dignes, fiers, muets et semblent ne rien demander! D'autres, au contraire, tendent la main, insistent, ont un regard lourd de reproches, si on ne donne pas! Entre ces deux pôles, les nantis et les pauvres, le plus grand nombre, la majorité! Apparemment, une déambulation normale! Une vie réglée par le travail! Des attitudes reconnues de tous! Une cohérence pacifique! Mais en réalité des crispations, des mépris, un rapports de force constant! des pièges tendus, des silences humiliants, des connivences bruyantes! C'est que RAM épuise, vide! La ville refuge étouffe, écrase en toute impunité, sans se l'avouer!

        Au troisième niveau, le pouvoir! Une immense tour domine la ville entière! Sa paroi est lisse, opaque, ne renvoie que l'image du monde extérieur! Les premiers étages sont pour l'administration de RAM, mais plus haut?  On raconte d'étranges histoires sur le pouvoir de la tour! comme on invente à loisir sur ce qu'on ne connaît pas et qui intrigue! Mais on dit que le dernier étage permet de voir toute l'étendue de la ville, jusqu'à la mer, comme si on pouvait y surveiller chacun!

        On murmure encore que le pouvoir est entre les mains de créatures repoussantes, des êtres humains qui auraient perdu leur corps, n'en ayant plus besoin, à force d'immobilité! Les créatures ne seraient plus que des sortes de cerveau! Le mystère demeure... et crée la crainte, prisée par l'autorité! En tout cas, la ville fonctionne, il y a de l'ordre, quoique deux RAM coexistent! La nuit, la ville est autre, un véritable coupe-gorge! C'est l'heure des loups!

        Les bandes sortent de leur repaire, se répandent, pour se mesurer, s'affronter, conquérir des territoires, au service de la drogue et de la prostitution! On montre ses muscles, on joue les terreurs! On boit, on s'énerve, on menace, on "plante", on se venge, on tue, on tire! Des meutes parcourent la ville, repoussent la police, incendient des voitures! Les bilans de la nuit sont terribles! Il y a des cadavres abandonnés, à moitié brûlés! La violence s'arrête avec le jour, le service de nettoyage effaçant ses traces!

        Mais RAM s'agite tout le temps, à l'unisson des tempêtes qui s'abat sur ses murs! On ne peut sortir de la ville! Ailleurs, s'il n'y a pas la mer empoisonnée, ce sont des déserts brûlants! Il faut survivre, résister dans RAM! Il faut savoir jouir de son ciel fuyant! C'est une question de patience! La moindre feuille y est un diamant, un regret, un bonheur perdu! la moindre éclaircie la baguette de quelque fée!

     

                                                                                                                         II

     

        "Dis, grand-père, raconte-nous une histoire!

        _ Oh oui, grand-père, raconte-nous une histoire!

        _ Mais vous n'avez pas école aujourd'hui?

        _ Oh non! C'est les vacances!"

        On était dans un de ces écrins si rares dans RAM! un petit oasis, que cultivait un vieux monsieur! Il y avait là quelques rosiers, auxquels le vieil homme était particulièrement attaché et qu'il entretenait avec attention, quand il ne se plaisait pas à s'asseoir sur une pierre, comme maintenant, pour amuser ses deux petits enfants, un garçon et une fille!

        "Alors, grand-père, elle vient cette histoire! dit le petit garçon.

        _ Te voilà bien impatient! répondit le grand-père. Les histoires, il faut les trouver, il faut y réfléchir!

        _ Oh! Mais toi, tu en as toujours plein! fit la petite fille.

        _ Ah bon? Tu es sûre que ne tu ne trompes pas de grand-père?

        _ Hi! Hi! Mais non, y a ta moustache qui pique!

        _ Bon, bon, je vais vous raconter l'histoire de la Lumière!

        _ Ah!

        _ Chic!

        _ Eh bien, la Lumière s'ennuyait dans le noir et elle se dit: "Je vais voyager et partout où j'irai, j'apporterai de la lumière, de la chaleur et je rendrai les petits enfants heureux!"

        _ Oh!

        _ Elle fit sa valise et se mit en route! Mais la nuit était partout et on n'y voyait rien! Il manquait un éclairage et la Lumière créa alors les étoiles, comme ici il y a des lampadaires!

        _ C'est ce qu'il fallait faire!

        _ Oui, mais la Lumière trouva encore qu'il n'y avait personne et que c'était un peu triste! Elle se rendit sur une planète et commença par chauffer la mer!

        _ Hi! Hi!

        _ Oui et dans la mer de petites choses apparurent, qui bougeaient, comme si on les avait réveillées!

        _ Des cellules! Ou plutôt des molécules! affirma le petit garçon.

        _ Mais je vois que j'ai affaire à un connaisseur! répondit le grand-père. Les petites choses étaient déjà indépendantes et il fallait les laisser faire! La Lumière, qui avait tout son temps, se contenta de rester là et de regarder!

        _ D'abord, il y a eu des algues, non? interrogea le petit garçon.

        _ Et puis des monstres! s'écria la petite fille.

        _ Eh oui! dit le grand-père. Des fois la vie était trop grosse, trop grande ou trop méchante! Et la Lumière disait: "Mais y vont finir par m' bouffer aussi!'

        _ Hi! Hi!

        _ A côté pourtant, il y avait des fleurs magnifiques et la Lumière les caressait, pour les rendre encore plus belles! comme elle jouait aussi avec l'eau, en lui donnant plein de petites perles! Et finalement les animaux étaient heureux, car ils étaient chauffés et avaient à manger! Et puis un jour, l'homme fit son apparition! Les êtres humains étaient là et eux aussi, ils découvraient la vie!

        _ Ils étaient pleins de poils et avaient des peaux de bêtes!

        _ C'est vrai! Mais maintenant la Lumière voyageait en eux et leur donnait des idées! Ils pensaient et souriaient! C'était la Lumière qui venait sur leur visage!

        _ Oh!

        _ Voilà une belle histoire, grand-père!

        _ Oui et maintenant vous vous rappellerez! A chaque fois que vous souriez, vous dites à la Lumière: "Continue ton voyage! Continue à faire de jolies choses et à rendre heureux les enfants!" Hein? Vous n'oublierez pas?

        _ Non, grand-père! C'est promis!

        _ Bien, y a maintenant votre maman qui vous appelle! A plus tard, les enfants!

        _ Au revoir, grand-père!"

        Le grand-père regarda affectueusement ses petits enfants s'en aller, puis lentement son visage se figea. Il savait que des hommes et des femmes pouvaient arrêter le voyage de la Lumière! Ils avaient ce pouvoir! Ils l'enfermaient et ne voulaient plus la reconnaître! C'était le drame de la haine et de la destruction! C'était le triomphe du chaos et de la mort!

     

                                                                                                                       III

     

        Niels Olsen, d'origine norvégienne, était un poissonnier de RAM, car il y avait encore quelques pêcheurs! Ceux-ci se frayaient un passage parmi les détritus, qui paradoxalement atténuaient l'effet des tempêtes, et ils arrivaient à trouver des zones moins encombrées, d'où ils ne ramenaient plus malheureusement qu'une seule espèce!

        C'était une sorte de poulpe mutant et dégoûtant, qui avait envahi les fonds! Sa chair gélatineuse et violette était acide et Olsen devait la préparer longuement, avant qu'elle ne perdît toute nocivité! Il avait de donc de rudes journées et maintenant il rentrait chez lui! Après le transport en commun, il marchait d'un air las quand il entendit: "RAM!"

        C'était un petit cri sec, comme un craquement! C'était d'ailleurs peut-être cela! Avec le vent qu'il y avait et la pluie qui à présent tombait, quelque chose derrière lui avait dû céder, mais le son se répéta plus près de lui, entre des poubelles semblait-il! Soudain, Olsen se figea, car il voyait une petite créature noirâtre... On eût dit un enfant sale et difforme! Elle leva une tête apparemment aveugle vers Olsen et prononça: "RAM", en découvrant ses dents jaunes!

        Le Norvégien était une force de la nature, mais il ne put rien faire contre l'horreur qui le gagna! Il traversa la rue et se mit à courir, mais il se rendait compte que la créature n'était plus seule: il y en avait d'autres qui se faufilaient sur le côté! Elles apparaissaient furtivement et étaient douées d'une agilité extrême! Dans sa peur, Olsen s'était perdu et il se retrouva dans un terrain vague, qu'il ne connaissait pas!

        Il glissa sur une butte boueuse et il fut mordu au pied! La douleur le fit grimacer, mais il parvint à chasser la créature à coups de pieds! Il se redressa, aperçut la porte d'un bâtiment et fonça vers elle! Derrière, le cri de RAM se multiplia comme un ralliement!

        Par chance, la porte n'était pas fermée à clé et Olsen entra dans le bâtiment! Il bloqua aussitôt la poignée, avec un court madrier qui se trouvait là! Ce fut un peu de répit et le Norvégien s'épongea le front! L'endroit paraissait désert et on n'entendait plus que la pluie tambouriner sur le toit!

        Pourtant, là-bas, au centre de l'édifice, il y avait une forme blanchâtre, troublante! Olsen s'approcha et son angoisse ne faisait que croître, car il suspectait quelque chose de terrible! C'était un adolescent, au corps d'albâtre! Il était nu et allongé sur une sorte d'autel, il mangeait mollement du raisin!

        Du raisin! Le Norvégien n'en avait vu que dans les livres! L'adolescent jeta sa grappe, d'un geste négligent, puis se mit debout! Il fit face à Olsen, qui recula bien qu'il fût de loin le plus fort! Le poissonnier allait de nouveau s'enfuir, mais, quand il se retourna, il fut cloué sur place! Toutes les créatures, qui le poursuivaient, étaient là... et il y en avait des centaines! Elles étaient muettes, immobiles, comme si elles attendaient des ordres!

        Olsen revint alors à l'adolescent, puis lentement il s'affaissa! Il tomba à genoux et demanda pitié à l'adolescent! Il pleurait, ce qui fit rire le jeune homme! "Oui, tu es mon esclave! s'écria celui-ci! Alors rampe! Rampe l'esclave!" Olsen fit ce qu'on lui demandait! Il se tortillait sur le béton, devant celui qu'il appelait maître! Mais l'adolescent, avec une moue de mépris, le repoussa du bout du pied vers la masse noirâtre des créatures!

        Elles n'attendaient que ce signal et elles se jetèrent sur Olsen, pour le dévorer, en criant: "RAM! RAM!"

     

                                                                                                                 IV

     

        Jack Cariou se réveilla déboussolé: il avait encore mal dormi! Cela lui arrivait désormais presque chaque nuit! L'inquiétude le minait, mais RAM ne faisait rien pour arranger les choses! Il régnait dans la ville une tension constante, qui s'exprimait même par le bourdonnement des bâtiments!

        Cariou avait la sensation de n'être nullement reposé, mais il regarda sa montre et il devait se lever! Il habitait dans une seule pièce, si on ne comptait pas la cuisine et la salle de bains, et il recevait peu de lumière, comme la plupart des logements de RAM! Mais par ailleurs, ici, il n'y avait pas de tables conviviales, de divans moelleux pour accueillir le visiteur, ni de bibelots qui auraient suscité sa curiosité, voire son envie!

        Cariou ne disposait que d'une seule chaise et menait une vie solitaire! Seul un écran témoignait de sa relation au monde, car Cariou ne faisait pas vraiment partie de la vie de RAM! Il ne s'y retrouvait pas! Les joies, les préoccupations des autres lui demeuraient étrangères!

        Il sortit et immédiatement il fut saisi par le vacarme du trafic! Des véhicules décollaient, atterrissaient, fonçaient! Il y en avait de toutes sortes! Beaucoup étaient taillés et brillaient tels des diamants! La richesse s'affichait! Plus c'était gros et plus on en imposait! Des scoots effectuaient des acrobaties dans le ciel! Des surfers même rasaient Cariou!

        De temps en temps, une musique épouvantable couvrait le tout, mais le plus souvent c'était les sirènes d'ambulances qui déchiraient l'air! Elles représentaient les cris d'angoisse de RAM! Car la peur enlevait l'attention et on finissait dans un building! Cariou tombait subitement sur des gens perdus, à côté de leur véhicule accidenté! Pour eux, la vie ne serait plus la même!

        Cariou aimait marcher, même si le bruit autour ne lui permettait pas d'avoir une idée claire! C'était une question d'équilibre! Il sentait son corps exposé et devait s'efforcer de rester détendu et cet exercice n'était pas possible, quand on conduisait, à l'abri du regard des autres! Cependant, beaucoup d'hommes qu'il croisait portaient des matraques!

        C'était sans doute autorisé par la loi..., pour un usage essentiellement dissuasif et pourtant, les propriétaires de ces armes avaient un air menaçant et se posaient en maîtres! Les femmes également disposaient de fouets électriques! Elles les faisaient soudain claquer dans le vide et certaines en riaient, mais on sentait qu'elles étaient déterminées et dures!

        Cariou arriva dans une zone commerçante et il goûtait déjà son calme, quand le sol se souleva et la rue entière se torsada, de sorte qu'elle ne forma plus qu'une spirale, qui entraîna brusquement Cariou sur sa pente! Pour ne pas être happé, il se concentra sur une petite fleur, qui sortait d'une fissure! Il lui accorda toute son attention, il admira le violet doux de son pétale et l'or de ses minuscules anthères et le monde retrouva son aspect normal!

        Les murs étaient de nouveau bien droits et au-dessus courait le ciel tempétueux de RAM! Mais Cariou le savait mieux que quiconque: il venait de subir une attaque, une attaque psychique! Et il chercha des yeux qui en était l'auteur!

     

                                                                                                                 V

       

        C'était un jeune gars adossé à une façade! L'air de rien, il consultait négligemment son Narcisse, un petit écran connecté à RAM et qui servait de source d'énergie! Cariou, qui s'approchait, songea un instant à s'en prendre à lui! Il commencerait par envoyer le Narcisse dans les airs, puis il giflerait cette jeunesse, comme pour la réveiller!   

        Mais, aux yeux des autres, il aurait été le seul agresseur! On l'eût jugé fou et dangereux! N'attaquait-il pas sans raisons quelqu'un de plus faible que lui et qui était à peine sorti de l'adolescence? Son compte aurait été bon! Pourtant, pour Cariou, la perversité du jeune gars ne faisait aucun doute et quand il passa devant lui, il lui fit sentir combien il n'était pas dupe, par toute la tension qu'il transmit à ce moment-là!

        Plus loin, il avait retrouvé son calme et sous une arcade, il entra dans un bâtiment et ouvrit une porte, sur laquelle une plaque disait: "OED, import-export"! En fait, depuis la montée des eaux, il n'était plus question bien entendu d'échanges avec l'étranger, puisque la ville était isolée et vivait en autarcie, mais ainsi personne ne venait solliciter la société OED, qu'on pouvait penser disparue!

        Cariou pénétra dans une salle d'accueil ordinaire, mais qui ne servait que de décor et après une autre porte, il se tint droit dans ce qui ressemblait à un cagibi! Là, un scanner, extrêmement sophistiqué, l'examina de la tête aux pieds, le reconnut et déclencha l'ouverture d'un panneau, qui menait à la véritable OED!

        Cariou salua ses collaborateurs les plus proches, Fahim Macamo et Andréa Fiala! Fahim Macamo était originaire du Mozambique, un pays d'une grande pauvreté, et il avait appris à fabriquer à peu près n'importe quoi, à partir de presque rien! C'était lui le "technicien" de l'OED, qui inventait des appareils utiles à l'entreprise et le numérique était son dada!

        Andréa Fiala était tchèque et psychologue! Elle avait la pénétration, la patience objective des nombreux érudits et philologues, qui avaient façonné l'histoire de sa nation! Elle gardait toujours une certaine tranquillité, qui rassurait et évitait les emballements!  

        "Tiens, regarde ça, Jack! dit Macamo. Je te présente le Narcisse dernier cri! Le N 10!"

        Cariou prit l'objet et aussitôt l'image le captiva! On eût dit les plis capiteux d'une robe rose et des slogans glissaient sur ses ondulations! Puis, l'image devint saccadée, avec des couleurs violacées, pour éclater dans une seule note d'or, comme si on était à un orgasme, et les applications usuelles apparurent!

        Cariou mit quelques secondes à s'en détacher, puis il se tourna vers Fiala: "Qu'est-ce que tu en penses, Andréa?

        _ J'ai réécrit tous les slogans... Tu vas voir, tu vas être édifié!"

        Cariou se mit à lire la feuille qu'on lui avait tendue: "RAM t'aime! Tu es sa merveille! Tu es sa force! Tu es sa lumière! RAM t'attend!"

        "Evidemment, rajouta Fiala, on excite les sens, ce qui amollit la vigilance, afin que le message pénètre mieux!

        _ Eh ben, mes enfants, répondit Cariou regardant tout à tour Macamo et Fiala, la machine tourne à plein régime!"

     

                                                                                                            VI

     

        Stan Harris regarda sa montre: le musée devait être fermé maintenant, il pouvait sortir! Il s'était caché dans les toilettes, en attendant la fin des visites, et il gagna sans bruit une longue salle, où tombaient par intermittences les rayons bleutés de la lune!

        Là, des vitrines montraient les vestiges d'une civilisation ancienne, mais les morceaux de poteries ou de tissus, l'une des premières écritures, des bijoux d'une surprenante beauté et même une momie au visage grimaçant n'intéressaient pas Harris! Au contraire, il était venu détruire tout cela!

        Pourquoi? Il n'en savait trop rien lui-même! Mais ici, tout l'agaçait! D'abord, il y avait la façade, devant laquelle il passait souvent et qui avait toujours cet air propre, avec ces gardiens sérieux et ces visiteurs très chics! Ensuite, l'intérieur l'avait rempli de dégoût, car il était entré une fois et il en avait profité pour repérer les lieux!

        Mais cet ordre qui régnait, comme s'il avait été immuable, ces bois cirés, ces explications à n'en plus finir ou encore ce silence respectueux lui avaient donné un sentiment d'étouffement, d'angoisse, qu'il allait maintenant faire voler en éclats!

        Il était comme ça! Il n'aimait pas ce qui était figé, reconnu par tous! Il avait l'impression qu'on amputait sa liberté, qu'on cherchait à le soumettre! Il avait alors besoin de détruire, de frapper les esprits! C'était plus fort que lui! D'ailleurs, il était déjà fier de certains de ses coups!

        Notamment, une nuit, il s'était joint à des voyous, qui rossaient un type à terre et quelle n'avait pas été sa sensation, quand  sa chaussure avait rencontré le corps mou! Il avait goûté la puissance!

        Mais il savait encore être plus personnel! Pendant des semaines, il avait attrapé des rats, car ils pullulaient sous RAM! Puis, il les avait lâchés dans une maternelle, créant la panique! Il y en avait eu de l'émoi! Le quotidien était bouleversé! Il triomphait!

        Cependant, cette nuit, il passait à un niveau supérieur! Finies les gamineries! Tout l'étage devait exploser et la ville en parler! Un maître était né! Il régla ses bombes incendiaires et se pressa vers une cage d'escalier! Sans difficultés, il émergea sur le toit et au bord du vide, un sourire aux lèvres, il se filma juste au moment où les vitres étaient pulvérisées, par des flammes qui montaient derrière lui!

        Qu'allaient dire les copains? et tous ceux qui suivaient son profil?  Mais soudain il se figea! Il n'était pas seul! Une ombre s'était détachée d'un conduit... Un gardien? Il n'allait pas être déçu! Harris prit son élan et d'un saut prodigieux, il se retrouva sur le bâtiment voisin! Cela aussi, il l'avait envisagé!

        Il se retournait déjà, pour se moquer du gêneur, quand celui-ci à son tour franchit le vide et toucha le toit pas très loin! "Oh! Oh! se dit Harris. Voilà un drôle de client! S'agit pas de moisir ici!" Dès lors, il demanda à son jeune corps tout ce qu'il pouvait donner! Il passait tous les obstacles, avec force et souplesse, comme s'il avait été question d'une danse!

        Il dégringolait, glissait, rebondissait et fut enfin dans la rue! Il avait semé le type! Sûr! Il se permit de siffloter! Il avait réussi son coup! Mais un grand gars lui coupa la route! Il le reconnut tout de suite, à cause de sa combinaison! Se voyant perdu, Harris reprit son rôle d'adolescent pleurnichard! "C'est pas moi, m'sieur! s'écria-t-il! J'ai rien fait!

        _ Oh si! c'est toi! répondit l'homme, qui frappa Harris, le plongeant dans l'inconscience!"

  • L'Enfant Lumière (XXXIV)

    Rocher2

     

     

     

     

     

                                               XXXIV

                                           LE ROCHER

     

     

        De nouveau le monde des Pierres était en proie au chaos!

    Après le virus, c'était la guerre!

    Des chars, des bombes, des morts, des pleurs, des fuites, des enfants seuls, de la misère sous la neige, dans le froid, des ruines, des cris, de l'angoisse, du vide, du désespoir!

    Des images d'un autre temps, qu'on croyait oubliées!

    Un dictateur sème la folie! devient le centre du monde! impose sa loi! fait le malheur de tous! même de lui-même!

    Il est le fruit de bien de lâchetés!

    Il est l'enfant de toutes nos petites dominations!

    Car celles-ci ont d'abord besoin d'argent!

    Et c'est pour ne pas en perdre, pour en gagner plus, que nous sommes devenus dépendants du dictateur! au point de ne plus pouvoir rompre avec lui! au point d'accepter ses premières cruautés, lui donnant confiance, puis tous les droits!

    Nous sommes en partie responsables de la catastrophe d'aujourd'hui, car nous n'avons pas voulu changer au quotidien! Comme nous sommes encore en partie à l'origine du virus, car c'est notre avidité qui nous a conduits à fouiller sous les aisselles des animaux!

    Encore une fois, par la guerre, nous montrons que nous ne savons pas vivre! Nous, les Pierres!

    Et maintenant que souffle sur nous l'haleine glacée du chaos, de la peur, de l'angoisse, comment réagissons-nous? Mais notre domination est déjà prête! Nous ne cèderons rien!  Notre égoïsme est déjà comme un mur! Nous ne changerons pas!

    Certes, certains sont prêts à accueillir des réfugiés! Il y a le mouvement du cœur et la souffrance d'autrui ne nous laisse pas insensible... Mais la haine montre aussi sa sale tête et son fiel! Et quoi d'étonnant? Rappelons le principe: "Plus l'inquiétude grandit et plus la domination se renforce!" Ce sont les crocodiles qui voient leur marigot s'assécher! Nous connaissons cela!

    C'est un réflexe! pour assurer sa sécurité! Le conflit est pourtant loin! Mais la haine est déjà sur ses ergots! Elle ne souffre pas des bombes, ni du froid, on ne lui demande même pas quelque chose, mais elle crie déjà, menace, répand son poison! sans aucune honte, au contraire! Elle se trouve légitime!

    Bien entendu, plus le chaos est présent et moins l'espoir ou la foi sont là! Quand le monde paraît absurde, comment pourrait-on croire? La souffrance et l'égoïsme clament que le ciel est vide! Le désespoir s'installe! Nous perdons confiance en nous! La haine seule a l'air solide et nécessaire! C'est la loi du plus fort!

    L'espoir n'est plus! Nous ne pouvons plus rêver que tout est possible! Une chape de plomb s'abat sur les esprit, qui ne font plus que survivre, se traîner! Mais surtout la peur est là, triomphante, impérieuse! C'st elle qui commande, qui chauffe les nombrils ou encore éteint les bonnes volontés!

    Elle enlève toute lucidité, toute pitié! Elle fait les hommes de fer, d'autant qu'elle n'est pas avouée! La haine, c'est la peur qui crie! Partout, la fermeture, l'abattement, la vie diminuée, l'espoir en berne! Pourtant, la nature continue son chemin... Les premières feuilles apparaissent, d'un vert tendre, fragile... De jeunes feuilles rient bruyamment, car la sensualité se réveille... et dans le cerveau même de nouvelles idées naissent confusément! Le printemps, malgré la guerre et les crises, se prépare...

    Mais ceux qui font le mal ne s'en soucient guère! Ils sont tout à leur peur, à leur égoïsme et ils blessent et n'évoluent pas! Ils sont aussi détruits, non parce qu'une" haine suprême" se vengerait d'eux, mais parce qu'ils créent eux-mêmes la logique qui finit par les anéantir! Ainsi est Poutine , qui ne voulait sûrement pas ce qui arrive aujourd'hui! Il rêvait d'une guerre éclair et voilà un bain de sang et de douleurs!

    A jamais maintenant Poutine aura l'image du bourreau, de l'agresseur, alors qu'il voulait être aimé, être fêté chez lui et craint ailleurs! Ceux qui vivent dans la haine sont emportés par le courant! Ils ne résistent pas au torrent qui passe! Le désespoir les couvre bientôt de sa nuit et détruit leur force! Le chaos mine la confiance et la vague de la peur ne rencontre plus d'obstacles!

    Il existe pourtant un rocher, auquel se retenir! un filon de confiance inaltérable! une tranquillité absolue, même quand tout paraît absolument vide! Celui qui a placé son amour en Dieu ne s'effraie pas, ne s'agite pas et surtout ne commet pas le mal! Car la peur échoue à provoquer sa haine! Il sait que la patience est la solution... Ainsi il garde ses forces, il reste dispoible, quand tout le monde aboie! Il a encore le sourire, au milieu des coups de dents! 

    Celui qui a une foi sincère ne hait pas, ne s'énerve, car il ne veut pas dominer! C'est à ce signe, à ce clame, à cette mansuétude, qui paraît infinie, qu'on voit que l'amour est vrai, confiant! Celui quia une foi sincère n'est donc pas un rêveur ou une source de troubles! Au contraire, il reste l'apaisement, la lueur et il n'ajoute pas au chaos!

    Cela ne veut pas dire qu'il ne souffre pas! Comme les autres, il sent la peur, le vide, l'abandon et la nuit, mais il ne cède pas! Il tient la main de Dieu et ne la lâche pas! Et plus il la "tient" et plus il est serein et peut donner à boire à autrui! Dans la nuit la plus sombre, il attend, il y a quelque chose d'infini en lui!

    La foi est un long et patient travail et c'est d'abord une lutte de tous les jours contre la peur! Tous les autres n'y répondent que par la haine! Il faut écraser, mépriser ce qui fait peur! et donc haïr, vaincre, d'autres hommes! Attendre, rester confiant, paisible, c'est une autre paire de manches! C'est le vrai courage, quand la vie n'est pas directement menacée!

    "Tout est possible" chante encore la nature! Mais chaque chose en son temps!

    La confiance enlève la peur et donc la haine! Elle fait le cœur doux et léger!

    C'est un mystère! une grande aile qui caresse et protège!

     

     

  • L'Enfant Lumière (XXXIII)

    Chant

     

     

     

                                     XXXIII

                                  LE CHANT

     

     

     

    "Je t'apprendrai le génie de Dieu! chanta l'enfant Lumière!

    Je t'apprendrai la fin de la guerre!

    Je t'apprendrai la joie infinie!

    Je t'apprendrai le mystère!

    Car je suis élevé, ravi, malgré le bruit, le chaos, la violence, l'égoïsme et la nuit!

    Je t'apprendrai la grâce, le sublime ciel bleu et les magnifiques nuages!

    Je t'apprendrai la lumière qui baigne toute chose,

    Qui caresse toute chose!

    Je t'apprendrai la folie et la misère!

    Je t'apprendrai l'infini génie de Dieu,

    Qui veut le bonheur des Pierres malgré elles!

    Qui les aime malgré elles!

    La guerre est finie, elle est vaincue!

    Je sais, elle continue et il y a encore des morts et des pleurs et des fuites!

    Mais la guerre est vaincue!

    Je sais, Poutine prendra peut-être Kiev!

    Il tuera peut-être Zelensky!

    Mais il a perdu, car il représente la domination physique!

    Or, la domination physique est terminée!

    C'est maintenant le temps de la domination psychique!

    Nous sommes à l'ère de la communication!

    C'est la couche de la pensée!

    C'est aussi la mondialisation!

    C'est l'individu qui partout est davantage!

    Il existe par le Web, il donne son avis!

    Il existe par RAM!

    Il domine psychiquement!

    S'imposer physiquement n'est plus suffisant!

    La guerre est aussi celle de l'image, de l'opinion!

    Or, Zelensky est vainqueur!

    Poutine est d'un autre temps!

    Il n'a pas vu, ni compris que la domination physique est terminée!

    On ne peut plus s'imposer seulement physiquement!

    Il faut plaire psychiquement!

    C'est que le monde est maintenant plein d'individualités!

    Qui jugent, qui choisissent!

    La domination physique n'est plus! Elle s'en va!

    Ce n'est plus son temps!

    Même si Poutine gagne sa guerre, sa position sera intenable!

    Le monde entier lui tourne le dos!

    Il est honni par l'esprit!

    Il est honni par RAM!

    L'égoïsme est à l'origine de la fin de la domination physique!

    Plus il y a d'individus, qui veulent être, se développer, penser, jouir,

    Et plus la domination physique est impossible!

    Ainsi par l'égoïsme arrive quand même l'esprit!

    C'est pourquoi je parle du génie infini de Dieu!

    C'est pourquoi je parle du bonheur des Pierres malgré elles!

    C'est pourquoi je parle de l'amour de Dieu malgré l'aversion des Pierres!

    La domination psychique n'est pas la paix!

    Mais ce n'est plus la guerre physique!

    Ce n'est plus la destruction par les bombes, les canons!

    C'est la nouvelle, la bonne nouvelle!

    Sous le ciel bleu et les magnifiques nuages!

    C'est la fin de la domination physique!

    Je te dirai comment j'ai été ravi

    Et quelle est ma joie!

    Car Dieu est magnifique!

    J'étais perdu et je suis maintenant de nouveau joyeux!

    Je retrouve le grand souffle, le grand mystère!

    Et je le bénis et je le chante!

    C'est comme ça! C'est ma joie, mon allégresse!

    Je chante le grand vainqueur!

    Le grand génie!

    Mon cœur déborde!

    Sous le ciel bleu et les magnifique nuages!

    Malgré le chaos, le bruit, la haine, l'égoïsme, la nuit et la guerre!

    Mon âme est ravie et je danse!

    Existe-t-il un bien plus précieux!

    C'est inexprimable!

     J'étais sombre, malheureux, je serrais les dents!

    J'attendais, j'étais lourd et me voilà chantant!

    Et je t'apprends la fin de la guerre, de la domination physique!

    Je t'apprends la venue de l'esprit, à force d'individualités!

    A force d'égoïsme!

    Là est le tour de force!

    Là est le génie!

    L'individualisme mène à l'esprit évidemment!

    A travers RAM!

    Zelensky est le maître de RAM, de la Toile!

    Poutine est en la nuit, le monstre, l'ennemi!

    Il est le plus fort physiquement,

    Mais le plus faible par l'image!

    La haine est pourtant toujours là!

    Elle conduit à la destruction!

    Elle vient essentiellement de l'orgueil!

    Mais l'évolution continue!

    Vers les nuages et la beauté!

    La domination physique n'est plus,

    Même si elle fera encore beaucoup de mal!

    Un pas est franchi! C'est RAM qui s'étend!

    C'est l'individu qui dit son avis, partout dans le monde!

    C'est l'individualité, la conscience encore informe qui apparaît!

    C'est l'esprit prodigieux qui appelle,

    Qui travaille, qui pousse!

    O joie sereine, puisses-tu la connaître toi aussi!

    Puisses-tu toi aussi t'enchanter de ce monde resplendissant!

    Puisses-tu garder cette confiance, cette joie infinie!

    Dieu est Lumière!"

  • L'Enfant Lumière (XXXII)

    Guerre

     

     

     

     

                                           XXXII

                                      LA GUERRE

     

     

        La domination s'ennuyait! Elle avait fait le vide autour d'elle! Elle était seule dans son château et celui-ci était bien isolé, à la limites de terres froides et arides! Plus à l'est, il n'y avait que de grandes forêts impénétrables ou la steppe gelée à perte de vue! C'était la vie sauvage!

        A l'ouest par contre, la civilisation avec ses richesse battait son plein! Là était la lumière, le devant de la scène, la gloire! Là était le centre du monde, la fin du sentiment d'être à l'écart! Là était la chaleur, le firmament, le rêve, le remède face à l'angoisse! Là semblait être la solution, le sens de la vie, l'accomplissement!

        La domination pourtant était responsable de son isolement! Elle avait mis en prison tous ses opposants! Elle avait même cherché à les assassiner! Car elle seule devait triompher!  N'était-elle pas la domination? Elle faisait peur au peuple, qui n'osait plus manifester son mécontentement!

        Le pauvre qui tendait la main n'intéressait pas la domination! Quelle grandeur il y avait à se pencher sur le petit, le faible, le blessé? Quel bonheur il y avait à penser aux autres? Quelle ivresse à les respecter? La domination aimait par-dessus tout la force, la main de fer! Là était sa façon, son domaine, son chant!

        La domination n'eut plus bientôt personne à vaincre et l'ouest revint dans ses mirages! Elle se ferait craindre du monde entier! Son nom serait sur toutes lèvres! On ne parlerait plus que d'elle! Enfiévrée, elle alla rejoindre son étalon préféré: le cheval de la guerre! Elle caressa le poli noir et brillant de ses flancs puissants! Le vent de la puissance la remplit tout entière!

        Peu importe les cris, les larmes, les morts, les viols, la détresse, la fuite!  L'ennui et son angoisse n'existaient plus! Le cheval de la guerre était prêt! Tout était prévu! Le plan avait été minutieusement étudié! Les failles des adversaires étaient connues! On saurait en profiter! On écraserait! On répandrait la terreur! On détruirait tout ce qui serait devant! Enfin, on se sentirait vivre!  

        Quel mépris la domination n'avait-elle pas essuyé dans sa solitude? Les autres l'avaient narguée, réprimandée même et elle avait souri! Elle avait fait le dos rond, pour se préparer, se venger! On allait voir de quel bois elle se chauffait! Elle ferait payer tous les affronts avec usure! Elle leur montrerait à tous combien ils étaient petits, lâches, insignifiants! A son tour de mépriser!

        Des agents, telles des taupes, avaient été chargés de miner le terrain, d'envenimer les querelles, d'exciter les haines! On trouva des pantins, on les habilla, les forma et ils se proclamèrent chefs, gagnés par l'ivresse de la domination! Ils rêvaient eux aussi! Ils se voyaient déjà grands et riches! Et ils n'étaient que des pions et des esclaves!

        Puis, des boîtes de serpents furent ouvertes, pour semer l'effroi et rendre fous! Partout, le poison faisait son effet! Les serpents racontaient que la domination était en réalité un ange, un défenseur, un innocent, une victime! Ils disaient que les barbares étaient les gens calmes, paisibles, que les démocraties étaient sournoises, que l'ordre et la loi n'étaient que fiel et mensonges!

        Et on croyait les serpents! On les fêtait même! Ils justifiaient la haine, lui donnaient à boire, l'exaltaient! Partout, la domination relevait ses sœurs! Les fous allaient chantant dans les rues, devant les fumées des bombardements! Ils étaient hypnotisés par les serpents, qui ne cessaient de siffler! Plus loin, la domination se dressait lentement de toute sa hauteur, comme une ombre gigantesque! Le cheval de la guerre trépignait!

        Et déjà l'angoisse serrait les cœurs! Et déjà les gens fuyaient! Et les enfants pleuraient, ne comprenant rien! O le visage perdu, inquiet des femmes! Mais qu'importait! La domination voulait son ivresse! Elle attendait depuis si longtemps! Elle avait tellement joué les gentils et les souris! Et à quoi cela avait-il servi? On l'avait muselée davantage! Elle se voyait contrainte, humiliée pour l'éternité! Vive l'acier du glaive, la force, le pouvoir!

        Les Pierres étaient pourtant atterrées! Le soleil parfois brillait, mais quelle saveur maintenant pouvait-il avoir? La domination n'avait-elle pas raison, puisqu'elle s'imposait? Le monde n'appartenait-il pas au plus fort, n'était-il pas dépourvu de sens? Ne fallait-il pas penser qu'à soi? Malheur aux faibles! Ils étaient condamnés à disparaître! Ainsi la domination murmurait dans le cœur de chacun, qui sentait le froid du chaos!

        La domination, elle, rigolait: elle ne s'ennuyait plus! Elle racontait à qui voulait l'entendre qu'elle n'avait pas eu le choix, que c'était elle la victime, qu'elle avait agi par sagesse! Jamais elle ne veut se voir! Elle n'aime pas la Lumière! Elle n'a pas de haine! Ni même d'amour-propre! Elle n'a que des devoirs, des responsabilités! Ce sont les autres qui sont avides! menteurs! La domination n'aime pas la Lumière! Elle n'a nul mépris, sous son pied de fer! Ce n'est que la nuit qu'elle rigole! On ne peut pas tout avoir!

        La domination doit se justifier à ses yeux! La paix, elle, n'a pas besoin de dominer! Pourquoi le ferait-elle, puisqu'elle est heureuse, qu'elle a confiance, qu'elle n'a pas peur? La paix est enchantement, elle se suffit à elle-même! Sa joie, c'est l'existence de Dieu, nullement le pouvoir! Elle a confiance, c'est cela la foi! Pourquoi voudrait-elle commander?

        La guerre, c'est une tragédie, mais ce n'est aussi que de la domination pure! Ce n'est que la domination de chacun à son plus haut degré, débarrassée des lois!

        La paix s'enchante du monde! Elle est utile! Elle donne un sourire, malgré la haine! de l'espoir malgré le malheur! La paix, c'est de la force, car la foi, c'est l'absence de peur! Celui qui a confiance n'a pas peur et reste disponible! C'est la peur qui fatigue, qui use, qui conduit à la domination!

        A priori, la guerre, c'est elle la force! Le vainqueur se sent supérieur, il triomphe, mais il a provoqué la haine, qui ne rêve que de le détruire! Où est la tranquillité de la domination! Où est son bien? Dominer, pour ne plus avoir peur, c'est régner sur des esclaves, qui ne rêvent que de renverser leur oppresseur! La domination, comme la guerre, sont sans fin!

        La guerre, c'est le trouble! Celui qui croit se tient droit: que craindrait-il? Il n'est pas soumis, il est libre, car Dieu est amour! Pourquoi se troublerait-il? Il est de la rosée pour ceux qui souffrent! Il reste une lumière dans la nuit, un sujet d'étonnement! Il a la vérité, pourquoi la craindrait-il? Il est comme un lac qui mire les montagnes!

        La violence détruit, mais elle naît de nos peurs, de nos haines, de nos dominations, de nos lâchetés! Celui qui croit apprend la confiance, l'amour, la patience et il n'a plus peur, de rien! Que sa joie éclate, crève, car rien ne peut la tuer, pas même la mort! Que sa joie, éclate, perce, car il n'existe pas de limites qui pourraient l'enfermer! Dieu a-t-il des limites?

        Que celui qui aime chante! malgré la guerre! Car si la violence détruit, elle n'est pas victorieuse! Dieu est par-delà la mort et la foi ne peut mourir! La vérité rayonne éternellement et la domination s'accroche à un pieu savonné!

        Que celui qui aime se réjouisse! Il est un lac qui mire les montagnes! Il donne à boire! Il reste une lumière dans la nuit!

  • L'Enfant Lumière (XXXI)

    Haine

     

     

     

     

                                                 XXXI

                                             LA HAINE

     

     

        Qui dira la folie de RAM? Qui dira la folie des Pierres? La bulle dominatrice est aveugle et ne veut qu'elle! Elle ne cherche qu'à s'imposer, pour ne pas voir son néant! Les Pierres enrageaient, à cause de la pauvreté de l'hiver! Le froid, le gris qui régnaient, étaient comme une mer vide pour la domination! La haine se levait, faute de patience et elle crachait des flammes!

        Dans RAM, les Pierres voulaient détruire et couraient à l'assaut! C'était un véritable champ de bataille, où on s'égorgeait joyeusement, comme "au bon vieux temps"! Certains y devenaient fous, jouaient les paons, ne pensaient qu'à eux! C'était la haine qui les conduisait! Il y avait de la misère, de la peur, des enfants écrasés, la mort menaçait, mais peu importe! La haine ferme le cœur et les yeux!

        Si la domination n'est pas anéantie, abattue, la haine reste souveraine! On peut dire que la haine est le chien de la domination! Dès que celle-ci est menacée, celui-ci aboie, montre les dents et attaque! La haine protège la domination! Plus  elle est vive et plus la domination est assoiffée, en quête de nourriture, de respect, de reconnaissance! Mais peut-on apaiser la faim de certains? L'attention que l'on donnait à des Pierres semblait se perdre, tels des grains de poussière, dans un abîme de nuit!

        L'enfant Lumière connaissait le temps! Il n'était pas enfermé dans la bulle dominatrice! Il connaissait le cheval de la haine, car comment aurait-il pu l'ignorer? N'était-il pas lui-même issu des Pierres? Il connaissait la puissance de la haine, mais justement il n'en voulait pas! L'enfant Lumière savait attendre et il ne s'alarmait pas de l'hiver! Il avait confiance! Il savait que tôt ou tard viendrait sa nourriture! Le cheval de la haine ne l'impressionnait pas, car la domination ne mène nulle part! C'est une impasse, une roue pour hamsters! 

        L'enfant n'avait pas besoin de dominer, car il n'était pas inquiet! Ceux qui vivent avec de la haine ne sont pas heureux! Ils ne regardent plus le monde, ils ne s'enchantent plus, ils ne goûtent plus les plaisirs essentiels: avoir à manger, être au chaud, voir le soleil, admirer la force du vent, la courses des nuages! La haine accapare en entier l'esprit, le rend esclave, ne lui permet plus de se détendre, d'être créatif, de se renouveler!

        La haine fausse le jugement!

        Heureux celui qui aime! Heureux son éternel printemps! Heureux celui qui croit, il rira de la haine! Heureux celui qui comprend et qui pardonne, car celui-là est riche! Heureux celui qui est patient et qui aime, celui-là ne se perdra pas! Heureux celui qui quitte la bulle dominatrice, pour accueillir la Lumière!

        Heureux celui qui aime, car il vainc la mort! Heureux celui qui doute, car il saura peser! Heureux l'humble, car il saura donner! Heureux celui aime, car il n'aura pas peur... et il ne mordra pas!

        Les Pierres voulaient garder leurs illusions et donc leur mépris ou leur haine! C'est le "choix" de la bulle dominatrice! C'était la loi de RAM! Or, que dit la haine? Elle dit: "Regarde-moi! Je te suis supérieur! Moi seul existe! Ne suis-je pas fantastique!

        La haine est seule donc! Elle isole! Elle ne veut pas voir le monde autour! Elle dit: "Ici, c'est dur, c'est l'enfer! Il y a pleins d'ennemis, de problèmes!" Elle va à ses plaisirs, comme à l'échafaud! Elle a tout et elle n'est pas heureuse!

        La Lumière dit: "Regarde, je baigne toute chose! Tu es ici chez moi et donc je t'aime! Regarde, tu es au paradis! Pourquoi aurais-tu peur! Regarde comme je t'aime, comme vivre est bon! Regarde ma création infinie, donne-t-elle des bornes à ta joie?"

        Mais la haine dit: "Tout est sombre! La Lumière n'existe pas! Tout est dur!" et la bulle dominatrice s'étend! Et la haine lutte contre la Lumière!

         Heureux celui qui voit la Lumière! Il voit les limites de la haine, son impuissance, sa folie, sa misère, son piège! Heureux l'Enfant Lumière, doux est-il! Comment quitter la bulle dominatrice? Comment quitter la haine? C'est facile! Cela commence par la confiance... C'est cela l'amour... On donne, on parle, on confie, on avoue sa peur! On fait un premier pas!

        La Lumière n'est pas troublée... Elle est comme un lac de montagne et pourtant sa puissance est sans limites! Heureux celui qui apprend son temps, qui l'aime et a confiance en elle! Celui-là n'est pas perturbé par sa domination, car il possède un bien plus précieux! Qu'importe sa gloire, sa réussite, sa place, sa fortune! La domination est une chaîne et ne rend pas libre! 

        La Lumière a tout son temps et les choses s'effectuent! La Lumière n'est ni pressée, ni lente! Elle est en paix et donne la paix! Heureux celui qui est en elle et qui la connaît! La domination va par les rues, haineuse ou peureuse! Elle est prisonnière d'elle-même! Elle est son centre et veut être le centre! Elle est bientôt déçue, car personne n'est le centre, puisque tout le monde veut l'être! Alors la haine aboie et détruit!

        Ainsi étaient les Pierres dans RAM, jamais contentes! toujours à dénigrer, à trouver des coupables, à crier à la ruine, à la décadence, à la catastrophe! Et toujours des inquiétudes, un flot ininterrompu d'inquiétudes et donc de fatigues! Les Pierres vivaient en enfer et avaient tout! Comment auraient-elles pu être heureuses?

        La vanité était parmi elles! C'est une forme de la domination! Elle jugeait d'une manière péremptoire, avec hauteur et sous elle tout devenait noir, perdu, misérable, dangereux! Ainsi parlaient les Pierres éternellement! Car la domination ne mène nulle part! C'est un enfermement!

        La Lumière caresse le monde et murmure "Tu es au paradis et comme je t'aime!" Comment l'Enfant Lumière aurait-il pu être malheureux?