Blog
-
Les enfants Doms (XIV-XVIII)
- Le 27/08/2022
- 0 commentaire
XIV
La mort subite de Dominator choqua monsieur Nuit, comme elle ébranla tout RAM! Mais personne au fond n'avait aimé l'ancien maître de la ville, tant il avait concentré le pouvoir autour de lui et fait régner la terreur! Le Parlement reprenait sans doute ses droits et bien entendu, il y aurait une élection pour nommer un nouveau Président, car, à cause des flots, on était dans RAM comme en un petit pays!
Ce fut cette perspective que monsieur Nuit commença à caresser! Il était connu dans RAM, où sa réussite s'affichait! On savait qu'il dirigeait la plupart des chantiers, qu'il employait beaucoup de monde et mieux qu'il n'avait pas sa langue dans la poche! On s'amusait à l'occasion de son franc-parler, de ses saillies et on se reconnaissait en lui, surtout quand il attaquait les profiteurs, les rond-de-cuir incapables ou les technocrates méprisants! Il donnait de l'espoir à tous ceux qui dans RAM se sentaient en prison!
La chape de plomb qui pesait sur les plus petits n'était pas due à l'époque, aux méfaits du réchauffement climatique, à la mondialisation qui produisait une économie volatile, mais elle venait d'une classe dirigeante molle, décadente, "castrée" même, qui n'osait plus appeler un chat un chat! Voilà ce que semblait dire en substance les propos parfois scandaleux de monsieur Nuit! On l'aimait bien, car sa solution était simple: il suffisait de se débarrasser des gêneurs!
Evidemment, pour être élu, il faudrait tôt ou tard à monsieur Nuit un soutien politique, mais il songea qu'il attirerait un parti du moment que sa candidature deviendrait populaire et sa propre fortune lui permettait de commencer sa campagne! Partout où il allait il remuait les foules et avait toujours le même discours!
"On vous méprise, criait-il, et moi, je vous dis que je vous rendrai justice! Vous travaillez, vous suez à la peine et vous méritez votre salaire! Mais les politiciens, les intellectuels, les moralistes, eux, ne font rien et ils empochent votre argent! Ils vous trompent, ils vous embrouillent, avec leurs grands mots, leurs grandes idées! Moi, je dis que RAM, c'est vous! C'est vous le sang de RAM! Je vous promets que je ferai le ménage et que je vous rendrai votre dignité! Les profiteurs du gouvernement dehors!"
Nuit touchait les cœurs, mais surtout flattait les égoïsmes! Les frustrations s'enflammaient, la colère grondait, l'esprit de la revanche avait sonné! Les partisans de Nuit étaient de plus en plus nombreux et au Parlement, on finit par avoir peur! Les députés s'étaient d'abord moqué des prétentions de ce candidat sans parti, mais à présent son succès menaçait même l'intégrité de la République! Ils plaçaient en effet les institutions dans le collimateur! Le plus habile était de se le rallier, puisqu'il avait besoin lui aussi d'appuis et ce fut Morny, élu de droite, qui l'approcha le premier! Le calcul de Nuit s'avérait juste!
"Vous représentez certaines de nos idées, lui dit Morny. Nous aussi nous prônons l'individualité! Nous aussi nous nous méfions des étrangers et de ce qui n'est pas nous! Nous aussi nous voulons de la poigne et le seul bien de RAM! Fi des discours mièvres et alambiqués! Tranchons dans le vif!"
Les deux hommes se serrèrent la main et firent alliance! Désormais, le candidat Nuit avait de bonnes chances de devenir le futur Président, d'autant que pour sa sécurité il reçut un soutien inattendu! Un groupe, qui se nommait Les Loups, proposa ses services et commença proprement à chasser tous les obstacles!
XV
Andrea Fiala dormait et son Narcisse reposait sur la petite table de nuit... Soudain, il se mit en marche tout seul et une lumière étrange, veloutée et très colorée, en sortit! Elle se répandit dans la pièce, jusqu'à prendre la forme de deux êtres! C'était un garçon et une fille, avec un accoutrement d'une autre époque! On eût dit qu'ils portaient des peaux de bête, mais elles étaient découpées si savamment qu'elles formaient des tenues guerrières! D'ailleurs, le garçon avait un couteau à la ceinture et un arc enserrait la jeune fille!
Ils venaient d'un pays lointain et imaginaire, où des monstres crachaient des flammes, où on se ruait incessamment les uns contre les autres, sur des champs de bataille! C'était un monde sans pitié et pourtant nos deux voyageurs avaient le visage lisse, un teint de porcelaine, comme si le temps et les combats et les morts n'avaient aucune prise sur eux! C'était bien entendu leur origine numérique qui expliquait cela et l'un et l'autre, dans la chambre d'Andrea, gardaient cet aspect immatériel, quasi stérile et somme toute inquiétant!
"Andrea! Andrea!" firent-ils au-dessus du lit de la dormeuse, si bien que celle-ci finit par ouvrir les yeux! "Mais qu'est-ce...? Qui êtes-vous? s'écria-t-elle.
_ Du calme, Andrea, nous venons de ton Narcisse! répondit la fille.
_ De mon Nar...cisse?
_ Oui, comment me trouves-tu?"
Andrea regarda la jeune fille et fut effrayée! Elle voyait un visage de poupée, déformé, gonflé par la chirurgie esthétique, mais elle n'osa pas montrer son dégoût et elle dit simplement: "Très jolie!
_ En effet et tu sais combien j'ai de followers? Tiens-toi bien: un demi-million! Tu imagines?
_ Non, c'est... c'est fantastique!
_ Moi, j'en ai un peu moins, mais à peine! ajouta le garçon, qui paraissait asexué!
_ Je suis une influenceuse! reprit la fille. On me copie! On m'adore! N'est-ce pas magnifique? Je fais rêver et c'est pourquoi nous sommes là, pour te donner ta chance à toi aussi!
_ Tu vas devenir une star! renchérit le garçon.
_ Mais... mais je ne veux pas! répliqua Andrea.
_ Hi! Hi! Comme tu es drôle! fit la fille. Tu es tombée sur la tête ou quoi? De toute façon, Il arrive!
_ Qui ça qui arrive?
_ Mais le docteur Web, voyons! C'est lui qui s'occupe de tout! C'est lui qui a transformé mon visage!
_ Il donne aussi des traitements! rajouta le garçon. Je peux être ou le frère ou la sœur!
_ Mais... Mais..."
A cet instant, un nuage blanc s'échappa du Narcisse, grandit et le docteur Web apparut! Il était grand, quasiment chauve et en blouse blanche! Il avait l'air d'un fou, d'autant qu'il gardait l'aspect d'un hologramme! Puis il chantonna et demanda: "Elle est prête la fillette?
_ Mais... mais je ne veux pas! implora Andrea.
_ Allons, allons, ne faites pas l'enfant! répliqua le docteur. Pom! Pom! Une belle piqûre et vous vous réveillerez tel un ange! Vous serez la perfection même, car vous m'inspirez! Pom! Pom!
_ Mais laissez-moi! Laissez-moi!" criait maintenant Andrea, car le garçon et la fille s'efforçaient de l'immobiliser!
Dans un hurlement, Andrea se réveilla totalement et elle comprit qu'elle venait d'échapper à un cauchemar! Encore haletante, elle en fut cependant soulagée et elle eut même un petit rire, au souvenir de sa folie! Puis, elle se figea et se mit à pleurer! Elle songeait à tous ses enfants Doms qui étaient devenus des poupées et qui ne s'en rendaient même pas compte! Elles aussi se noieraient dans les larmes, quand elles comprendraient qu'elles se sont irrémédiablement défigurées!
XVI
Le général Mécontent monta sur l'estrade et contempla son armée! Elle n'était pas officielle, mais le général espérait que tôt ou tard elle jouerait un rôle! Un grand silence régnait et on entendait seulement le drapeau du régiment, qui claquait mollement au vent! Il représentait un soleil barré, comme s'il faisait la tête, mais quand ça soufflait et qu'il était tendu, il avait l'air vraiment en colère!
Il y avait là une centaine d'hommes et de femmes, très attentifs, car on fêtait la naissance du corps, ce qui constituait cinquante années de haine et de crispations! "Mes amis, dit le général, comme vous le savez, RAM s'enfonce toujours davantage dans le chaos! Et il y a bien longtemps que nous tirons la sonnette d'alarme! Viendra le moment où la police et l'armée régulière seront dépassées et ce sera notre tour! Tous, nous nous entraînons, nous donnons le meilleur, pour être prêts le jour J! Comment? Mais jamais nous ne sommes positifs! Jamais nous n'acceptons la nuance, la réflexion, le pardon ou quoi que ce soit qui puisse nous gêner!
Au contraire, nous faisons valoir nos haines, notre dégoût, notre irritation! Et que dire de notre mépris? Chacun d'entre vous le propage quotidiennement et de la manière la plus dure, car qu'est-ce qui existe à part nous? S'il fallait nous contraindre, marquer du respect, mais nous fondrions comme des morceaux de sucre sous la pluie! Cultivons notre égoïsme: il est notre meilleur allié! Fustigeons le monde qui nous entoure, car il est l'incompétence même! Il est le sommet du ridicule! la médiocrité incarnée! C'est une bouse cosmique, couverte de mouches sales et repoussantes et nous le verrions sans regret disparaître dans les égouts du temps!
N'écoutez pas ceux qui vous disent que tous les hommes sont pareils, qu'ils ont une épaisseur, des qualités et des défauts et que malgré tout, ils essaient aussi de bien faire! Notre haine est le centre de tout, c'est elle qui nous donne une existence et autour il n'y a que carton-pâte, malignité, malhonnêteté et vice! Seuls nous comptons! Seuls nous avons raison! Ailleurs, c'est l'abîme et la nuit! C'est l'enfer, avec de grandes chauves-souris qui sucent le sang! Qui d'entre vous voudrait connaître ça?
J'ai confiance en vous, vous ne céderez pas aux sirènes de la raison, ni de la compassion ou de la générosité! N'ayez aucune grandeur d'âme! Soyez bas! Critiquez, comme on donne des coups de baïonnettes! Répandez votre fiel, comme dans le temps on lâchait du Napalm! Traînez dans la boue vos ennemis, ainsi que les poilus se battaient dans les tranchées! Soyez secs, mesquins, pleins de venins! La vie est une tablée où vous devez impérativement étendre vos pieds sous la table! Vous en avez le droit, car vous êtes les meilleurs!
Ne vous remettez pas en question, par pitié! A quoi bon? Le doute est comme un coin planté dans le cerveau! C'est de la peine, de la misère! Soyez braves! On ne vous fera pas de cadeaux de toute façon! ceux qui veulent nous détruire sont à l'œuvre jour et nuit! Le soldat qui a peur n'est pas des nôtres! Celui qui hésite, qui butte sur les pierres du chemin; celui qui s'efforce d'aimer, malgré l'injure ou l'injustice, celui-là n'est pas notre camarade!
Je le répète, n'ayez aucune grandeur d'âme! Seul compte votre cloaque! Soyez infâme, suffisant en diable! Ainsi, vous ne verrez que vous et oublierez la mort! Votre haine est votre cœur qui bat, ne l'oubliez jamais! Je vais maintenant décorer trois de nos camarades, qui se sont particulièrement distingués!"
Le général Mécontent s'approcha de deux hommes et une femme, mis en avant et au garde-à-vous! "Soldat Gadoue, chaque jour, tu es au rendez-vous sur les réseaux sociaux! Chacun connaît ta rancœur, qui fonctionne comme une mitraillette! Reçois l'ordre de la Grande Fumisterie, avec mes félicitations! Soldat La Hargne, je t'envie ton mépris! Il éclate comme un éclair et nous sert de modèle à tous! Enfin, soldat Affreux, tu es l'honneur du régiment! Tes posts feraient vomir tous ceux qui ont un peu de conscience! Clairon, salue ces titans!"
Le clairon fut embouché et résonna haut et clair, mais le vent était tombé et le soleil du drapeau avait vraiment une tête désespérée!
XVII
Le grand-père se sentait malheureux et aussitôt il se jugea suspect! N'apprenait-on pas, par la psychologie, que la tristesse venait du refoulement, qu'il suffisait de prendre pour retrouver la joie de la société et que la haine des autres, leur jalousie, leur folie n'étaient qu'une vue de l'esprit, le fruit de l'impuissance et de la frustration? Mais le grand-père ne pouvait que contempler le désert des hommes et la psychologie, toute science qu'elle était, ne comprenait pas le mal universel!
Certes, il ne fallait jamais désespérer, car un rayon pouvait soudain venir de quelqu'un et redonner du réconfort, mais la pauvreté ambiante, cet égoïsme quotidien ne laissait pas de miner, d'épuiser, de vider! Le grand-père décida d'écrire un poème avec ses souvenirs... Le chant s'élevait en lui, un chant triste et beau et l'art n'est-il pas pour une part une plainte, celle de l'être sensible qui aspire à plus d'amour, de sentiments? L'artiste n'est-il pas un pionnier dans le domaine de l'esprit?
Le grand-père laissa aller sa mélancolie sans retenue, car elle correspondait aussi à une réalité! Le poète voyait bien les choses et qu'est-ce qu'un bonheur obligatoire? Il écrivit:
SOLITUDE
Je me sens mal aimé
Et viens ici m'asseoir,
Sur un chicot flammé,
Tout en haut d'un glissoir!
Parmi un peu de blé,
Dans mon cœur nu se glissent
Des cris d'oiseaux filés
Et la brillante hélice!
Mais encore étranger,
Je me lève et chemine,
Quand me croise un granger
Qui endurcit sa mine!
Un chicot: souche.
Flammé: qui porte des traces de flammes.
Un glissoir: couloir pour descendre les troncs.
Filé: prolongé.
Une hélice: escargot.
Un granger: fermier.
XVIII
Le Royal Hall de RAM est une immense arène dédiée à la culture et ce soir les projecteurs voltigent sur la scène! On attend le spectacle dont tout le monde parle et des milliers de personnes s'apprêtent à passer le meilleur des moments! Soudain, le silence se fait, un silence gourmand, que vient briser un puissant roulement de tambour! Tout s'éteint, pour mieux se rallumer brusquement sur la star! Elle est vêtue à l'ancienne mode, avec un frac et un chapeau haut de forme! Pour l'instant, elle tourne le dos au public et reste dans l'ombre, mais elle se tourne et son visage fardé est saisi par la lumière!
Elle commence à chanter d'une voix un peu aigre, tandis que derrière la musique éclate et tous les styles sont employés, classiques comme électroniques! La star apparaît sur des écrans géants et dans la nuit monte une ballet de faisceaux! "T'as des problèmes? fait la star. Tu t' sens pas beau? T'as envie d'être la plus belle? Tu pleures sans camarades? T'es anonyme? Personne te salue? La ville est grise? RAM ne t'aime pas? Mais moi, je t'aime! Moi, j'ai la solution! J' peux t'aider, changer ta vie! J'suis ton ami! Tu connais mon nom? Non? J' vais te le dire! Ecoute et respire! C'est Web mon nom! Pardon! Docteur Web!"
Un feu d'artifice est déclenché autour de la scène et la star en profite pour faire quelques pas de danse, sous une musique endiablée, à coups de grosses caisses, produits par des boîtes à rythme! Le public est conquis et bat la mesure! Certains se laissent aller et leur tête se balance, heureuse de rêver! "Web! je m'appelle Web! C'est mon nom! Pardon! Docteur Web! Je ferai de toi une star! Je te ferai réussir! C'est promis! je te rendrai parfait et parfaite! Tu deviendras idéal! Oh! Comme je t'aime!" De jeunes filles se mettent à crier, quand d'autres s'évanouissent!
"Oh! Ton nez t'affole! T'es dans la colle! Oh! Tes fesses sont trop grosses et les autres avec toi sont rosses! Oh! On ne voit pas tes seins et t'as l'air d'un poussin! J'ai la solution, j'ai la potion! T'es la star, t'auras ta part! Regarde!" Entre sur scène un chœur de jeunes garçons et de filles! Ils ont des collants colorés et leur visage a été transformé par la chirurgie! Ils ont l'air tous pareils, comme s'ils étaient aseptisés! "Nous sommes les Numériques! riques! riques! chantent-ils. Nous voilà diamants! Nous voilà fric! Nous voilà étoiles, sorties de la toile! Où est la frontière? Nous ne sommes plus hier! Comme dans un jeu vidéo, nous avons des idéaux!" Une fille s'avance et sa voix claire s'élève: "Je suis la plus belle, c'est moi le modèle! Je suis numérisée! Finie la risée! J'ai refait mes joues et maintenant je joue! Je suis éternelle, comme l'image et c'est grâce au mage!" Le chœur reprend: "Nous sommes les Numériques, rique, rique! Nous voilà diamants, nous voilà fric! Nous voilà étoiles, sorties de la toile! Où est la frontière? Nous ne sommes plus hier!" "J'étais diaphane! (un garçon prend la place de la jeune chanteuse) Le cœur se fane! Je voulais être une fille, ou bien un garçon! Je percevais pas le son, en robe ou en caleçon! Je voulais être moi, traînait mon émoi! (la musique s'adoucit, ainsi que l'éclairage! Des parents sont en larmes...) J'aimais pas ma bouille et j'avais la trouille! Mais, me voilà éternel comme l'image! Grâce au mage ouais! au mage Web!"
Le public à présent fredonne: "Nous sommes les Numériques! rique! rique! J' suis numérisé, finie la risée! Où est la frontière? C'était hier! Nous voilà vidéo, pleins d'idéaux! Nous voilà perfection, grâce aux potions! Nous voilà toujours sur le gril et rit notre nombril! Nous voilà éternels comme l'image, grâce au mage, au mage Web, ouais!"
De nouveau la lumière fulgure et c'est le retour du docteur Web! Son visage fardé éclate: "T'as compris? Tu vaux le prix! Oh! Viens dans la danse! Là où c'est dense! (la frénésie est entière! des gens crient, rugissent, cassent les sièges, ils n'en peuvent plus: c'est trop bon!) Oh! Viens dans la danse! Là où c'est dense! T'es numérique! T'es chimérique! T'es hologramme, fier de RAM! T'es ma poupée! J' t'ai pas loupée! T'es numérisée, finie la risée! T'es comme l'image et c'est les hommages! Web! Ouais! C'est mon nom! Canon! Je t'aime!"
La scène est envahie par de la fumée et des fleurs! Le docteur Web salue sous une immense ovation! On applaudit à tout rompre, on chantonne et on entend encore le chœur qui s'éteint doucement: "Où est la frontière? C'était hier! Où est la liberté? C'est ta puberté! Oh! Eau! Ris ma souris! Ton corps, d'accord!" Rideau!
-
Les enfants Doms (IX-XIII)
- Le 20/08/2022
- 0 commentaire
IX
Cariou était troublé... Il avait bien fabriqué le LAL, mais comment l'essayer? Il ne pouvait quand même pas tirer, comme ça, sur quelqu'un! Et si l'effet était tout autre? Cariou ne voulait pulvériser personne, ni le rapetisser, qui sait? En proie à ses réflexions, il quitta son appartement, se fiant à la marche pour trouver une solution!
De l'autre côté de la rue, il repéra un individu qu'il avait déjà vu ces jours-ci! C'était un grand type dégingandé, qui avait l'air de sortir d'une poubelle, et on ne pouvait donc pas l'ignorer! Mais alors qu'il s'interrogeait, Cariou fut frappé par une autociel, qui le projeta en arrière et il perdit connaissance!
Quand il se réveilla, il était avachi sur une chaise, dans un garage minable. Partout, il y avait de la saleté et des carcasses de véhicules! "Bravo Ortaf! fit une voix. C'est comme tu l'avais dit! Pile-poil! Il n'était que commotionné! Alors, Cariou, content de me revoir?
_ Ma... madame Birkel?
_ Tout juste, mon grand! Tu croyais quand même pas échapper à maman Birkel, non? Personne, t'entends, personne ne peux m'humilier comme tu l'as fait! Tu vois, la caisse là? On va t'y mettre gentiment... et direction l'île des Fous! Retour à la maison, Cariou!
_ Ma tante, regarde ce qu'il avait sur lui!
_ Une arme? J'aurais jamais cru ça de vous, Cariou! C'est pour tirer les lapins? Hi! Hi!"
A cet instant, on frappa durement à la porte du garage! "Va voir ce que c'est! ordonna madame Birkel à son neveu. Et débarrasse-nous de ces importuns: on a du boulot!" Ortaf déposa l'arme sur un tonneau et obtempéra en soupirant! "Il n'a pas l'air d'être un bon garçon... fit Cariou à madame Birkel.
_ Fermez-la! La famille, c'est privé!"
Mais là-bas, près de la porte, il y avait du grabuge: Ortaf était aux prises avec deux costauds! "Bon sang! s'écria madame Birkel. Il s'ra pas dit qu'on me barre la route une deuxième fois!" Elle prit un marteau et marcha sur Cariou, mais celui-ci plongea vers le LAL et tira sur la directrice! "Raté, Cariou, ah! ah! Et maintenant tu vas payer!" Le marteau s'éleva dans les airs, mais il retomba tout aussitôt... sur le sol!
Après avoir projeté une sorte de rayon sombre, l'arme maintenant semblait produire son effet! Madame Birkel poussa un grand cri et s'effondra sur les genoux! Puis, elle prit le marteau et se mit à le caresser, en disant: "Oui, mon pauvre chéri, maman est là! Elle va te protéger! Dors maintenant! Là, là..."
Derrière, les deux molosses de Dominator regardaient la scène d'un air stupéfait! "Je suppose que vous avez été chargé de me surveiller! coupa Cariou.
_ Exact! Le patron n'avait qu'une confiance limitée dans madame Birkel... et il a eu le nez creux!
_ Mais Cariou, rajouta l'autre, qu'est-ce que c'est cette arme? Comment peut-elle mettre les gens dans cet état?
_ Mais elle est factice, comme vous pouvez le voir par vous-mêmes! répondit Cariou qui passa l'arme. Elle ne tire même pas de balles!
_ Tss! Tss! Nous, ce que nous voyons, c'est la Birkel qui allait vous tuer... et qui maintenant fait la nounou avec un marteau!
_ Ouais, Cariou, on va tous chez le patron, pour parler de tout ça!
_ Ecoutez, j'ai mon bridge à cinq heures et..."
Cariou ne put en dire davantage, car une poigne comme un étau le poussait déjà vers la sortie! Quant à madame Birkel, plutôt que de voir la lumière, elle s'était réfugiée dans la folie!
X
Les proches de Ratamor étaient inquiets! Ils voyaient le professeur de plus en plus malheureux et en effet, celui-ci ne leur parlait plus beaucoup, ne mangeait plus que du bout des lèvres et semblait ruminer sans cesses des pensées douloureuses! Ainsi, quand il annonça qu'il allait faire cours dans une ancienne église, on crut à une folie et on essaya de l'en dissuader! Mais on ne voulait pas non plus le chagriner davantage et comme il s'obstinait, on le laissa faire! Les étudiants furent prévenus et s'assemblèrent dans ce lieu qui ne servait plus au culte, mais qui en gardait tout de même certains éléments!
Mais quelle ne fut pas la surprise quand Ratamor, mal rasé et tourmenté, apparut en soutane, avant de monter dans une chaire poussiéreuse! Pourtant, le bonhomme paraissait décidé, souverain même, et il fit voler ses manches en commençant! "Dieu est mort, mes pauvres amis! clama sa voix de stentor. Nous l'avons balayé du cosmos! Mais est-ce vraiment un drame? Je dirais que nous avons plutôt de la chance, car que voyons-nous grâce à nos télescopes, que comprenons-nous dans nos laboratoires? Nous sommes les témoins de la naissance de l'Univers! Et celle-ci est aussi repoussante que le nouveau-né sanguinolent!
Particules, je vous bénis, car vous êtes au commencement! Fermions, bosons, quarks, nous vous adorons! Le nouveau visage de Dieu est là devant nous, c'est le modèle cosmologique! Aimons-le, car c'est lui qui nous a créés! L'Univers est-il en rebond, comme un ballon de rugby? Avons-nous une singularité laide pour maman? Sommes-nous destinés au Big Crunch? Admirons l'inflation colossale des débuts, même si elle n'explique pas les grumeaux de la soupe, c'est-à-dire la formation des galaxies!
Je souhaite pour chacun d'entre vous que les particules deviennent vos amies, vos soutiens dans l'existence! Ne pourrions-nous pas nous jumeler avec d'autres étoiles? La matière noire n'est-elle pas à même de nous donner de l'espoir, de nous consoler de la perte d'un être cher? L'énergie noire ne travaille-t-elle pas pour nous et ne mérite-t-elle pas tout notre respect? Notre soif de comprendre, d'aimer, de bonheur infini ne peut-elle pas s'apaiser dans la mécanique quantique ou la physique nucléaire?
O bosons, ô fermions, voici la dot des hommes, voici la théorie des cordes ou des branes et combien d'autres! Prions l'immensité cosmique qu'elle nous donne des idées!"
A cet instant, deux hommes, deux ambulanciers créèrent un tumulte par leur arrivée, alors qu'ils approchaient de la chaire! "Excusez-nous, monsieur le curé, dit l'un, mais on nous a signalé un forcené ici... et qui pourrait être dangereux!
_ Le seul à être dérangé en ce lieu, c'est moi, puisque vous m'interrompez! répliqua Ratamor, qui se croyait spirituel.
_ C'est que l'appel avait l'air sérieux... et vous savez comment ça peut dégénérer!
_ Vous avez reçu un appel? Un instant!"
Le professeur descendit de la chaire et rejoignit les ambulanciers! "Qui vous a appelé? demanda-t-il.
_ Désolé, m'sieur le curé, mais ça, on peut pas vous le dire!
_ Bien sûr! Et ce s'rait pas un certain Piccolo, par hasard?
_ Eh! Eh!
_ Mais oui, c'est lui! Je vois la réponse sur votre visage!
_ Ah ouais?
_ Ouais! Vos lèvres font: "Piccolo! C'est bien Piccolo!"
_ M'est avis que vous êtes légèrement excité!
_ Excité? Ah! Ah! j'ai jamais été aussi calme! Mais Piccolo ne m'aura pas cette fois! Non, monsieur!
_ Non? Z'êtes sûr?
_ Mais qui vous êtes pour me parler comme ça! Oh! j' comprends, vous faites partie de la bande! Vous êtes des hommes à Piccolo!
_ Mais non...
_ Mais si! Piccolo est partout!
_ Il vaut peut-être mieux que vous nous suiviez, vous croyez pas?
_ Vous suivre, alors que le cosmos m'attend!
_ Y peut bien vous attendre un peu, répliqua le second ambulancier, qui jusque-là s'était tu.
_ Espèce de saligaud! Vous n'avez donc de respect pour rien!
_ Easy, easy! fit le premier ambulancier, qui essaya de saisir Ratamor.
_ Ne me touchez pas! cria le professeur. Suppôts de Piccolo!"
Il y eut une empoignade, puis Ratamor sortit digne, dans une camisole de force et encadré par les ambulanciers! Les étudiants étaient sous le choc! Dans un coin, les bosons et les fermions pleuraient!
XI
Sullivan et le Magicien s'étaient assoupis pendant la tempête et ce fut le silence qui les réveilla! Ils se levèrent, s'époussetèrent et la gorge sèche, ils cherchèrent de l'eau, mais nul robinet n'en avait! Ils retournèrent à l'extérieur et retrouvèrent les feux du soleil, qui les aveuglaient et les brûlaient! Une main en visière, Sullivan essayait de faire le point, d'avoir une idée, puisque maintenant il savait où il se trouvait, mais les rues désespérément vides, ensablées, avec leurs façades de plus en plus délabrées, ne pouvaient que l'accabler davantage et il se demanda ce que Macamo avait essayé de lui dire, par cette possibilité du programme!
Evidemment, le réchauffement climatique, la destruction de la nature avaient été jusqu'ici au centre de l'aventure de Sullivan, mais pas seulement! Macamo avait toujours conduit le PDG d'Adofusion à réfléchir sur lui-même et le comportement des autres, comme si la clé de l'avenir de l'humanité était moins une transition écologique qu'un développement spirituel! Mais ici, il n'y avait nulle âme qui vécut et on était dans une impasse, même si le triste spectacle était édifiant! Chacun avait dû se résoudre à partir, parce qu'il n'y avait plus d'eau! Pouvait-on imaginer ça?
Soudain, Sullivan reçut un coup à la face et immédiatement il sentit une violente brûlure, ainsi qu'on viendrait de le cingler avec un fouet! Il eut à peine le temps de grimacer qu'on le frappa sur l'autre côté du visage et sous la douleur, la panique s'empara de lui! Il se mit à ramper, il haletait tout en voulant atteindre un petit mur, pour se protéger et comprendre ce qui se passait! Dans l'action, il avait perdu de vue le Magicien et il espérait que celui-ci s'en sortait! Mais pour l'instant, la souffrance était tellement cuisante qu'il devait surtout ne penser qu'à se sauver lui-même!
Il y eut au-dessus de lui des bruits de vol et derrière son abri, il osa lever un peu la tête! Ils étaient trois! Deux garçons et une fille, d'après ce que pouvait voir Sullivan! Ils étaient chacun dans une bulle transparente, qui flottait dans l'air et qu'ils semblaient diriger à leur guise! Ils portaient bel et bien des fouets, ce qui fit jurer Sullivan! Mais le plus inquiétant était l'expression qu'ils affichaient! On eût dit que la haine les dévorait, au point qu'ils en fussent rougis! Mais peut-être était-ce les méfaits du soleil? Sullivan se toucha les joues, car elles étaient encore enflammées et il ressentit lui-même une violente colère!
Mais le garçon qui paraissait le plus âgé, dans sa bulle, lui fit un signe et il entendit distinctement une voix lui commander: "Viens!" Cela avait l'air de sortir de Sullivan lui-même, comme s'il n'avait plus eu de personnalité propre et malgré sa résistance, il se leva et marcha vers la bulle! L'enfant, car c'en était un aux yeux de Sullivan, avait un sourire de triomphe et brusquement, il leva la main de sorte que Sullivan lui-même monta dans les airs! Celui-ci n'était plus le maître de son corps, ni de son esprit apparemment!
Les enfants maintenant riaient, car ils se passaient Sullivan pareil à un volant de badminton! Le directeur d'Adofusion ressentait à chaque fois une attraction extraordinaire vers l'une des bulles et en même temps, il voyait qu'on était bien au-dessus de la ville et il en avait le vertige! Il était devenu le jouet de ces êtres, mais il essaya tout de même d'en frapper un! La réponse ne se fit pas attendre: Sullivan chuta comme une pierre! Les enfants ne le retenaient plus par leur pouvoir et Sullivan ne retrouvait son indépendance que pour mieux comprendre l'horreur qui l'attendait!
Mais ils le reprirent avant la fin et le coincèrent entre leur enveloppe! Sullivan étouffait, quand il se rappela que tout cela n'existait pas réellement! Il était dans le Métavers et il lui suffisait d'enlever son casque, pour se retrouver au frais dans son bureau! Seulement voilà, il n'arrivait pas à libérer ses mains et psychologiquement, il lui semblait impossible de les amener à la hauteur de sa tête dans la réalité, hors du Métavers! Il commença à crier!
Soudain, il eut l'impression qu'on lui arrachait les oreilles et d'un coup, le décor de son bureau fut devant lui! "Mais qu'est-ce que...? s'écria-t-il.
_ Ben dame, monsieur! répondit la femme chargée de l'entretien. Vous étiez là à crier comme si vous aviez une attaque ou quelque chose comme ça! J'ai arraché votre casque! C'est la seule idée que j'ai eue! J'ai mal fait?
_ Au contraire, vous m'avez sauvé la vie! A partir d'aujourd'hui, je double votre salaire!"
XII
Mélo était un original, un artiste, un musicien à sa manière! Chaque jour, avec un appareil sophistiqué, il enregistrait tous les bruits qu'il entendait! Bien sûr, il y en avait d'habituels et qui devenaient des "classiques"! Ceux-ci lui servaient par la suite de base, de tonalité de fond et par exemple le bâtiment d'en face, avec ses pompes à chaleur et son système d'aération, répandait un bruit sourd, un bourdonnement continu, qui détruisait la personnalité, comme si on n'aurait plus été que le serf d'un donjon de béton!
Mélo s'amusait encore évidemment du trafic! L'autociel, qui semblait sortir tout droit de l'enfer, à cause de sa vitesse et de sa musique fracassante, trouvait un parfait emploi chez lui, quand il voulait reproduire un effet dramatique, une tension extraordinaire! Et les variantes ne manquaient pas! La mouche: le scootciel! L'orage: la motociel! La mouche n'en finissait pas de mourir dans le cerveau! C'était d'une sensualité mécanique, qui dévorait l'auditeur, le laissait anéanti! Mais on pouvait le stupéfier avec l'orage! Imaginez quelqu'un qui se croit subitement dans un rectum, aux premières loges d'un gigantesque pet! "La voilà la modernité!" se disait Mélo!
Cependant, il était à la recherche de bruits plus incongrus, plus mystérieux, plus saisissants, n'était-il pas un créateur? Il ne dédaignait pas pour autant les nouveaux chantiers! Les pelleteuses, les bétonneuses, les meuleuses, les perceuses étaient le "pain" de sa musique et tant mieux s'il y avait en plus des alertes électroniques ou des klaxons rageurs! C'était un joyeux tumulte, dont on ne pouvait se passer, mais le frisson de la véritable nouveauté était tout de même ailleurs!
Celle-ci ne se trouvait pas plus chez les contemporains de Mélo! Hélas, s'ils avaient bien une intelligence ou une raison, ils se révélaient le plus souvent décevants! Cela n'allait guère plus loin que le cri de la bête ou le rire grossier! Mélo les enregistrait pourtant la nuit, quand ils passaient ivres sous ses fenêtres! C'était la jeunesse refoulée qui enfin s'exprimait et Mélo la remerciait de lui apporter un peu de fraîcheur! Quand il avait besoin, par exemple, de camper des cochons effrayés et qui se jetaient dans le vide, son travail nocturne prenait tout son sens!
Mais ce qui ravissait Mélo, le comblait, c''éatit le bruit dont on ne pouvait expliquer la source! C'était le pouvoir créateur à son acmé, le point d'orgue! Soudain, on entendait une machine inconnue! Et son chant était si spéciale, si bizarre qu'on pouvait imaginer qu'elle était en pleine parturition! C'était une aria épouvantable en plus! Mais son originalité était indéniable! Parfois, des humains arrivaient eux aussi à ce degré d'invention! Qu'étaient-ils en train de faire? Se brisaient-ils un os, se coupaient-ils lentement la langue? Il fallait en rester aux conjectures, car bien entendu ces manifestations étaient abritées par la vie privée!
Une fois qu'il avait rassemblé assez de bruits, avec quelques trouvailles, Mélo créait sa symphonie! Il devenait compositeur et chef d'orchestre! Il arrangeait les sons, les organisait et s'enchantait du résultat, d'abord chez lui! Il battait la mesure, rejetait la tête en arrière à telle partie qu'il savait sublime, calmait les pelleteuses, déclenchait l'orage, faisait partir la mouche, reprenait les vagissements, mettait en valeur les bruits d'abîmes, ceux d'un cosmos délirant et plein de souffrances!
A la fin, il était en sueur et il attendait justement des applaudissements, un véritable triomphe! Car ses symphonies se vendaient bien! Il s'était rendu compte que c'était le silence qui gênait ses semblables et qu'ils avaient besoin du bruit, pour apaiser leurs angoisses! Mélo donnait des concerts et il était surtout connu pour son titre: Une Journée!
XIII
Les deux gardes de Dominator poussèrent Cariou dans le bureau de leur patron et surprirent celui-ci! "Mais qu'est-ce que...? s'écria-t-il.
_ Patron, répondit l'un des gardes, y a Cariou qui a rendu zinzin la Birkel, avec cette arme!"
Dominator examina l'objet et dit: "Vous devenez bien gênant, Cariou! D'abord, je vous demande de vous occuper des enfants Doms... et ils sont toujours là dehors, menaçant la ville de quelque nouveau drame! Ensuite, j'apprends que vous avez eu des contacts avec Dramatov, qui est l'un de mes ennemis les plus acharnés... et maintenant cette arme!
_ Je n'ai rencontré qu'une seule fois Dramatov... et il a voulu me faire la peau!
_ Comme je le comprends! Car apparemment, vous n'en ratez pas une!"
Subitement, Dominator tira sur Cariou avec le LAL, mais il ne se passa rien... et pour cause! Jamais Cariou ne s'était opposé à la lumière, bien au contraire! Il l'avait recherchée obstinément, car elle seule pouvait expliquer ce qu'il voyait, établir un lien entre la beauté et la rage des hommes! "Vous voyez bien que cette arme est factice! jeta Cariou. Madame Birkel aura eu un AVC ou quelque chose de similaire!
_ Peut-être bien... Mais je dirige une ville qui ressemble à une fourmilière et vous n'avez pas l'odeur requise, Cariou! Vous êtes un élément étranger, perturbateur et potentiellement dangereux! Je me demande...
_ Si je ne dois pas subir le même sort qu'Œil d'or! que vous avez assassiné, en me faisant porter le chapeau, ce qui m'a conduit à l'île des Fous!
_ Toujours aussi direct, Cariou! Ce n'est pas politique! Le pouvoir exige de la dissimulation et vous ressemblez malheureusement à un bâton de dynamite!"
A cet instant, Dominator posa le LAL sur son bureau et se dirigea vers le bar... Cariou vit que les gardes étaient relâchés et loin de lui! D'un geste, il s'empara de l'arme et tira sur Dominator, alors que celui-ci se retournait un verre à la main! "Ah! Ah! fit le maître des lieux, avec un gros rire! Même si j'avais reçu un projectile, Cariou, il ne m'aurait pas fait grand mal! Je porte en permanence un gilet pare-balles! Sage précaution! Ah! Ah!"
Mais soudain Dominator lâcha son verre: "Vous les entendez? cria-t-il. Ils sont derrière la porte!" Les deux gardes regardèrent vers là, se demandant ce qui se passait... "Ils ont toujours voulu ma place! reprenait leur patron. Les voilà! Je les entends! Ils vont me chasser! Et je serai à la rue! A mon âge! Qu'est-ce que je vais devenir? Je pourrai pas mendier mon pain, ça non! Pourtant, je ne sais rien faire! Je suis vulnérable, comme un escargot qui a perdu sa coquille! Les voilà, ils frappent à la porte!"
Les deux gardes ne comprenaient rien et leur regard allait de la porte à Dominator, qui était visiblement épouvanté! Brusquement, celui-ci courut à la fenêtre et l'ouvrit tout en grand, en criant: "Je ne le supporterai pas, noooon!" Il se jeta dans le vide et ses deux hommes se précipitèrent vers la fenêtre, comme s'ils pouvaient encore faire quelque chose!
Cariou en profita pour s'éclipser! "Ce LAL est vraiment dangereux!" songea-t-il, tandis qu'il se glissait dans l'ascenseur!
-
Les enfants Doms (IV-VIII)
- Le 13/08/2022
- 0 commentaire
IV
Cariou était dans son appartement et il travaillait d'arrache-pied sur les notes de Macamo! Il était question de constante cosmologique, de force répulsive ou d'énergie noire, toute chose qui serait à l'origine de l'accélération de l'Univers! Macamo avait-il compris la gravitation quantique? Cela dépassait complètement les capacités de Cariou, mais il arrivait à comprendre que l'appareil de Macamo était destiné à détruire la barrière qui chez chacun pouvait empêcher le développement de la lumière!
Evidemment, on pouvait se demander quel lien existait entre la lumière de l'esprit, qui est psychique, et la lumière des étoiles! La pensée n'est-elle pas immatérielle? Pourtant, Cariou voyait bien cette lumière psychique, ou plutôt comment elle était contrainte, emmurée! Elle avait donc une existence physique et d'ailleurs la pensée, qui naît de l'activité des neurones, a-t-elle une limite précise d'avec le corps?
Bien sûr, il était encore possible que Cariou vît le monde selon son "délire", ses traumatismes ou sa paranoïa! Ici, on n'en finissait jamais de se suspecter et de couper les cheveux en quatre et c'était même là l'un des arts préférés des philosophes, afin qu'ils se sentissent objectifs! La science tranchait le débat par l'expérience, les mêmes résultats obtenus par d'autres, ce qui prouvait qu'elle disait vrai, en constituant sa fierté, mais Cariou voyait justement que sa logique fonctionnait par les faits, les réactions et les événements, au point qu'il était à même parfois de les prévoir!
D'après Macamo, un rayon d'énergie noire lutterait contre la gravitation et donc disloquerait le mur psychique et quand même matériel, qui retenait la lumière! On était là au niveau des particules, mais que se passerait-il dans l'individu, au moment de cette libération? Macamo n'en disait rien! Il s'était uniquement consacré à l'aspect technique du problème! Ce serait à Cariou d'expérimenter la chose et éventuellement de payer les pots cassés! Mais que l'on pût faire jaillir la lumière des individus faisait évidemment rêver! Cariou n'eût pas été étonné de voir tout le monde se mettre à danser et à chanter!
Après la partie théorique, Macamo avait décrit très précisément la construction de son invention et Cariou eut l'impression de se trouver devant une maquette de son enfance! Il alla faire ses emplettes, dans des magasins d'électroniques et d'informatique, puis, sous sa lampe de bureau, il s'installa pour la soudure! Des cartes étranges, des résistances colorées, des semi-conducteurs sur pattes ou des microprocesseurs griffus passaient entre ses mains et fumaient légèrement, avant de rejoindre le tout!
Enfin, au bout de la nuit, Cariou contempla son œuvre ou plutôt celle de Macamo! Et c'était une arme! à peine différente d'un pistolet! Mais par sa bouche ne sortaient pas des balles, mais un faisceau d'énergie noire! Pan! On recevrait de la constante cosmologique sur le nez! C'était somme toute un pistolet d'amour, puisqu'au service de la lumière! Cariou le fit jouer entre ses mains, puis il le brandit devant une glace! Il avait l'air d'un parfait agent secret et au matin, il acheta un holster! L'arme maintenant lui pesait agréablement sur la poitrine et le mal n'avait qu'à bien se tenir!
Macamo avait appelé son invention LAL, acronyme pour "La lumière appelle la lumière!" et il faut l'avouer, Cariou était impatient de l'essayer! Le monde devait changer et un coup de LAL par-ci par-là, enlèverait les toiles d'araignées et sèmerait des arcs-en-ciel!
V
En quittant la Tour du Pouvoir, madame Birkel était loin d'être satisfaite! Certes, elle avait la promesse de Dominator, mais la tiendrait-il et dans combien de temps? C'est bien simple, depuis son échec avec Cariou, la directrice ne vivait plus! Elle avait des cauchemars, des bouffées d'angoisse! Le monde qu'elle contrôlait n'existait plus! La grande famille de la prison, dont elle était la chef, la mère, se déchirait, lui échappait!
Il lui semblait que chaque détenu, désormais, se moquât d'elle! A chaque fois qu'elle croisait un regard, elle avait l'impression d'y lire le même message: "Cariou a été le plus fort! Vous n'êtes pas toute puissante! Arrêtez votre blabla!" Elle baissait alors la tête, effectivement vaincue, et la seule solution pour elle était de ramener Cariou à la "maison" et là, devant tous, de le faire plier! Ainsi tout rentrerait dans l'ordre!
Au fond, madame Birkel était une enfant Dom: la société devait tourner autour de sa personne ou être détruite! Mais Cariou avait ouvert une brèche dans sa bulle et la pression extérieure menaçait maintenant de l'écraser! La protection ordinaire de l'humanité, issue de la domination animale, était désormais défaillante et ne servait plus la directrice! Elle était comme dénudée face à une monstruosité, constituée par les autres, la différence, l'inconnu, l'étrangeté de la vie!
Tout auparavant était soumis à son pouvoir! C'était là l'ancienne gaine qui la protégeait! Elle se nourrissait alors de son égoïsme, comme si son influence sur les autres avait été une perfusion! Certes, elle ne s'en rendait même pas compte! Elle était là pour commander, redresser les détenus! Elle imaginait remplir son devoir, mais elle était pleine de colère, de fureur, de sadisme, car il fallait à chaque instant la satisfaire, qu'elle sentît son autorité, son importance, quoiqu'elle niât le moindre intérêt pour sa personne!
Comment pouvait-elle se tromper sur elle-même à ce point? Mais elle n'était pas heureuse et se croyait une victime! Elle aurait juré qu'elle n'avait pas une minute à elle, tant la domination est incapable de guérir nos peurs, de nous apaiser! Pour elle, c'était toujours la faute des autres! Ils n'étaient pas assez prompts, se croyaient tous le centre du monde et elle devait les corriger, les anéantir! Elle cherchait l'ivresse du pouvoir et devenait de plus en plus sombre!
Pourtant, Cariou avait fait pire, commis l'irréparable, car il avait brisé la vitrine et les apparences ne pouvaient plus être sauvées! Il était devenu impossible pour madame Birkel de se présenter tel le symbole de la réussite, de la sagesse, avec le fantôme de Cariou à ses côtés! Elle sentait son ombre froide peser sur elle et même si elle connaissait encore, à l'occasion, quelque triomphe, il finissait toujours par réapparaître, comme une marque invisible, ce qui la fragilisait, l'éteignait, d'autant que ses ennemis s'en servaient!
Mais, pour l'heure, il fallait lutter, toujours! Certes, elle ne devait pas se risquer à fâcher Dominator, en attaquant de front Cariou, mais elle voulait s'en rapprocher, devenir son ombre, pour se tenir prête à frapper et elle avait un neveu à RAM, qu'elle pouvait employer! C'était un bon à rien, qui réparait les autociels quand il en avait envie! Il s'appelait Ortaf et vivait dans son garage!
Madame Birkel le trouva comme elle s'y était attendue: Ortaf étendait son long corps sur un siège, écoutait une musique assourdissante et bizarre, tout en consultant son Narcisse, portait un tee-shirt sale, un short affreux et ses pieds nus s'épataient dans des claquettes! Le tout, bien entendu, était entouré de bouteille de bières et de carcasses d'autociels! En colère, la directrice coupa le son et s'empara du Narcisse! "Ma... ma tante! fit interloqué Ortaf.
_ Si ta pauvre mère pouvait encore te voir! Elle aurait les larmes aux yeux! J'ai du boulot pour toi!
_ Hein? Hum, c'est que je suis très occupé en ce moment!
_ Je paierai bien!
_ Ah?
_ Oui, ah! Il s'agit de suivre quelqu'un! Mais dis donc, c'est quoi cette odeur?
_ Pardon, ma tante, mais j'en ai lâché un! C'est toujours l'effet que tu me fais!"
VI
Owen Sullivan, le directeur d'Adofusion, était de nouveau dans le Métavers, mais pouvait-on encore parler, à son endroit, d'enfant Dom? En effet, Sullivan avait changé! Grâce au programme de Macamo, sa conscience s'était élargi! Il ne cherchait plus à tout prix à dominer, que ce fût par son entreprise ou sur son personnel! Il avait moins peur et donc moins besoin du pouvoir! Une sorte de confiance s'était développée en lui, au contact du Magicien, et la beauté était devenue son guide! Au final, il voyait de plus en plus distinctement les autres, tout en se sentant lui-même davantage libre!
Ainsi, détendu, il était entré dans le Métavers par une porte qui lui avait échappé jusqu'ici! Il ne retrouva pas, comme d'habitude, le Magicien près du ruisseau, mais il le rejoignit au bord d'un plateau brûlant et caillouteux! "Bon sang! Quelle chaleur! s'écria-t-il, quand il fut à la hauteur de son vieil ami. C'est une véritable fournaise!" Le Magicien ne répondit pas et ce n'était pas nécessaire, car il couvait toujours Sullivan d'un regard tendre! Celui-ci regarda autour de lui et il aperçut une forêt à l'horizon: "Si on allait se rafraîchir là-bas, à l'ombre!" dit-il et les deux hommes se mirent en route!
Le soleil tapait dur et il fallait s'économiser! On avait l'impression de cuire lentement, comme si on avançait dans la bouche d'un four! Mais enfin on approchait de la forêt et de sa promesse de fraîcheur! Mais quelle ne fut pas la déconvenue de Sullivan, quand il s'aperçut qu'il s'était trompé! Car ce qu'il avait pris pour des arbres n'était en fait que les tours d'une ville! Cependant, elles étaient vides, abandonnées et un grand silence régnait sur les rues, désormais envahies par le désert!
"Mon Dieu, qu'est-ce qui a bien pu se passer? interrogea Sullivan, qui regardait éberlué le triste spectacle! Tout le monde a fui, on dirait! On ne voit pas de cadavres en tout cas! Serait-ce la chaleur qui est la cause de ce désastre? Elle a tout desséché et il n'y avait plus d'eau! La vie n'était plus possible et les habitants sont allés voir ailleurs! Mon Dieu!" Comme pour faire taire Sullivan, le vent créa un épais tourbillon de poussière, qui obligea les deux hommes à se protéger et ils entrèrent dans un bâtiment!
Celui-ci avait dû être luxueux, car on était à présent dans un large et long couloir, mais le sable, qui entrait par les vitres brisées, finissait par s'accumuler un peu partout et le manque d'entretien rendait inexorable la détérioration! D'ailleurs, dehors maintenant, la tempête faisait rage et on ne voyait plus rien, sinon un mur rougeâtre! Les deux hommes en profitèrent pour s'asseoir, car ils étaient épuisés, mais ils n'espéraient guère trouver de l'eau, quoique la soif les tenaillât!
On entendait le vent gémir et le sable coulait ici et là, comme dans un sablier! Sullivan regardait vaguement devant lui, quand quelque réminiscence le frappa! Il y avait un cadre accroché au mur et il l'avait déjà vu! Sa place s'était imprimée dans son cerveau et il se leva intrigué! Il prit le cadre, en enleva la poussière et à mesure ses mains tremblaient, comme s'il redoutait ce qu'il était en train de comprendre! Il n'y avait pas d'image dans le cadre, mais un slogan: "Domination!" Ce message, Sullivan ne le connaissait que trop bien, puisque c'était lui-même qui l'avait écrit!
Donc, on était dans l'immeuble d'Adofusion et la ville, c'était RAM! Sullivan balbutia: "Ce... ce n'est pas possible!" et des larmes coulèrent sur ses joues noircies!
VII
Le banquier Bjop s'installa dans son vaste bureau, au sommet de la Ramania Banque, l'une des plus hautes tours de RAM! De là, on voyait toute la ville s'étendre, jusqu'à la mer! Quelle impression de puissance on avait! On dominait peut-être l'endroit le plus imposant du monde! D'ailleurs, le seul nom de Ramania Banque provoquait un séisme! Dès qu'il était prononcé, le temps s'arrêtait, les cœurs aussi! L'argent envahissait les esprits, rendait docile, serviable! C'était le maître absolu, incontesté! On obéissait à tous ses ordres, on prévenait tous ses désirs, dans l'espoir de goûter à sa source, qu'il fût un dieu clément! On était avec lui comme une vieille bigote orne un autel, sauf qu'on était plus empressé, plus malin aussi!
Bjop quitta la vue de sa baie vitrée, pour s'enfoncer dans son fauteuil, à la fois frais et cossu! Ici, tout était luxueux et de goût! On ne sentait même pas la canicule qui sévissait dehors! On respirait sous des peintures de valeur et on s'attelait à la tâche! En ce moment même, quelques étages plus bas, les traders de la Ramania Banque moissonnaient les marchés! Des milliers d'actifs étaient brassés par des algorithmes à la seconde! On parlait de tritisation, de hedge fund, de black pool! On actionnait des leviers, on misait, on ramassait! C'était à qui aurait le plus de sang-froid, serait le plus rapide, le plus clairvoyant! C'était comme un jeu! L'argent n'était même plus matériel, tout devenait virtuel! On ne savait qui était l'emprunteur, mais peu importait: on ne perdait jamais!
On pariait même contre le client, on lui souriait devant, en le poignardant par derrière! On faisait trembler les Etats! On s'amusait, goulûment! Les marchés, c'était le dernier terrain de l'aventure, du risque! Le reste était si policé, si ennuyeux! Oh! Le vertige des milliards qui rentraient! Les concurrents qui fulminaient! Pourtant, quelquefois, la "machine" s'enrayait! Le jouet tombait par terre et se cassait! On avait trop tiré sur la corde... et alors on se faisait taper sur les doigts! Le marché s'écroulait! un effet domino dévastateur! On se retrouvait aussitôt avec des pertes astronomiques! Dame, on était grand maintenant! La faillite menaçait et dans ce cas, il fallait mettre son amour-propre dans sa poche! On allait voir le gouvernement et on lui disait qu'on avait bobo! On pleurait devant lui!
On lui criait qu'une banque, telle que la Ramania banque, ne pouvait disparaître, car elle entraînerait dans sa chute la moitié du monde! Il était nécessaire de croire à ces "bobards", pour effrayer! Le lobbying bancaire était déjà si persuasif, si influent! Et les filiales, les banques de dépôt? Voulait-on qu'au guichet on refusât de rendre l'argent des comptes? Souffrirait-on des émeutes, des paniques? On tirait par le bras les gouvernants, on les suppliait de sauver la banque... et ils cédaient! Ils n'y connaissaient rien de toute façon et on les manipulait grâce à la peur! Ouf! Le contribuable nous avait encore, cette fois-ci, éviter la noyade! Et on retournait le plus vite possible au jeu!
Le marché toussait, essayait de retrouver ses esprits! Entre-temps, on avait signé quelques papiers, garantissant que nous serions plus sages! La belle affaire! Ces nouveaux règlements ne portaient que sur une infime partie de nos activités! "J'aurais pu voler la montre de Dominator, sans qu'il s'en aperçoive!" se dit Bjop! L'ivresse de la puissance revenait! Les chiffres reprenait leur danse! Tout repartait comme avant! On était heureux! La cour de récréation, celle de la nuit des écrans, battait de nouveau son plein!
VIII
"Dis grand-père, c'est quoi le respect?
_ Hein? Hum... C'est voir les autres, voir qu'ils existent!
_ Mais grand-père, nous ne sommes pas aveugles!
_ Il y a voir et voir! Mais je connais une planète, où le respect est inconnu!
_ Chic, chic!
_ Sur cette planète, les enfants, personne ne voit personne!
_ Hi! Hi!
_ Et ça commence dès le matin, à la boulangerie! Quelqu'un arrive et il marche sur les autres! "Eh! Eh! Mais on est là!" crient les gens! "Peu importe! réplique celui qui écrase. J'ai besoin d'acheter mon pain!" Evidemment, bientôt, tout le monde est en colère, car on a mal! Mais alors on dit: "C'est la faute du gouvernement, il ne pense qu'à lui! Il est toujours en vacances!"
_ Hi! Hi!
_ Puis, le lendemain, on refait la même chose! On demande au passant: "Qui c'est le roi, la reine?" "Euh..." "C'est moi, eh, patate!"
_ Hi! Hi!
_ Chaque jour, on considère que l'autre est un esclave et on exige de lui du respect!
_ Mais tu as dit que sur cette planète le respect était inconnu...
_ C'est vrai! Si chacun en veut et nul n'en donne, il n'y en a pas!
_ Oh!
_ Dans ces conditions, les habitants deviennent de plus en plus furieux et ils finissent par manifester! "Du respect! Nous voulons du respect!" clament-ils dans la rue!
_ Hi! Hi!
_ Le président de la planète est bien embêté! Il dit: "Je peux leur donner de l'argent, pas beaucoup, mais ils croiront que c'est du respect!"
_ Oh!
_ Et le président distribue de l'argent, en expliquant: "Voilà du respect, mes amis! j'espère que vous serez plus contents!"
_ Hi! Hi!
_ Les gens prennent l'argent, mais ils continuent à faire la grimace! Ils disent: "C'est pas du respect ça!" Mais ils vont quand même dans les magasins, pour dépenser leur argent! Et vous savez ce qui se passe?
_ Non!
_ Eh bien, dans le magasin ils poussent les gens! "Place! Place! crient-ils! C'est nous les rois et les reines! Vous nous devez du respect!" "Pardon! répondent les autres. C'est nous les rois et les reines... et c'est à nous que vous devez du respect!" Puis, ils se battent entre eux!
_ C'est affreux, grand-père!
_ C'est la planète sans respect, les enfants! Mais vous l'aurez compris: respecter quelqu'un, c'est l'aimer, quel qu'il soit! C'est le secret du bonheur!"
-
Les enfants Doms (XXXVIII-Quatrième partie)
- Le 06/08/2022
- 0 commentaire
XXXVIII
Dans le cosmos, constitué d'une infinité de galaxies et d'étoiles et qui s'étendait on ne savait trop comment, à partir d'une origine quasi inconnue, quelque part, vivait RAM! Chaque matin et avec une sorte de rage, ses habitants se levaient, s'agitaient, s'inquiétaient, travaillaient, mangeaient, se reproduisaient et se rendormaient! Au passage, la mort prenait sa part, mais comme si elle avait honte et elle se faisait la plus discrète possible! Rien apparemment ne devait contrarier les hommes et n'étaient-ils pas tous occupés?
RAM était pourtant dans une situation de plus en plus précaire, car le changement climatique ne lui laissait aucun répit! La ville avait déjà subi la montée des eaux et elle essuyait régulièrement des tempêtes, mais les canicules ne l'épargnaient pas non plus et semblaient toujours davantage meurtrières! Evidemment, les scientifiques aux premières loges s'alarmaient, mais le changement qu'ils demandaient était-il possible? L'homme de RAM n'avait-il pas des problèmes plus urgents? Il voyait son pouvoir d'achat fondre et l'orage de la dette ne cessait de gronder au loin! La violence partout s'exacerbait et bref, on pouvait céder à la panique, tant les urgences se multipliaient! Le monde avait l'air de glisser sur un toboggan vers sa fin!
Mais prenait-on la situation par le bon bout? L' inquiétude des scientifiques, notamment, arrangeait-elle les choses? Elle irritait, heurtait bien des gens, qui se mettaient à polluer par haine, par mépris, car ils avaient l'impression qu'on ne s'occupait pas d'eux et qu'en plus on cherchait à les diriger! D'ailleurs, ne leur manquait-on pas depuis toujours de respect et pour exister, ils niaient les évidences, imaginaient des desseins cachés, ce qui nourrissait leur colère, leur amertume!
Si RAM survivait, n'était pas écrasé ni par l'immensité, la mort ou le réchauffement climatique, n'était-ce pas miraculeux ou dû à une protection spéciale? Qu'est-ce qui rendait l'homme aussi inconscient, si ce n'était l'animal qui était en lui et qui voulait non seulement sauver sa peau, mais encore triompher, avoir raison? Même le chevalier de la science tenait à être vainqueur et c'était cela son armure, comme son épée! La domination animale protégeait l'humanité, mais elle était encore comme une enveloppe, permettant l'éclosion de la haine!
Qui avait confiance? Qui acceptait de ne pas gagner? Qui comprenait, voyait de l'ordre? Qui pardonnait à lui-même et aux autres? Qui ne réagissait pas à l'injure? Qui réparait? Qui apaisait? Qui rafraîchissait, enthousiasmait? Qui attendait, restait serein?
Après avoir appris la mort de Macamo, Cariou rejoignit Andrea Fiala, car ils avaient besoin de recueillement tous les deux! Mais Andrea devait ce jour-là aller voir son père et Cariou l'accompagna... Le père d'Andrea était un célèbre horloger et il dit à Cariou:"Vous entendez ce tic tac? Pour moi, il symbolise la causalité même! Un engrenage puis un autre! Ainsi nous avons été formés! Des éléments simples, en se combinant, donnent naissance à des systèmes plus complexes, avec des propriétés propres! Le temps produit des émergences et c'est ce que nous sommes!
_ Sans doute et notre esprit suit toujours ce chemin: la pensée émerge dans son rapport au temps! C'est ce qu'on appelle la maturité et elle est d'autant plus sûre que nous sommes patients, ou amoureux du temps, si je puis dire!"
Il fut bientôt l'heure de partir et les yeux du père devinrent alors implorants: "Tu reviens la semaine prochaine, sûr?" demanda-t-il à sa fille, qui opina. Une fois dans l'autociel, Andrea dit: "Tu vois, Jack, il termine sa vie comme la plupart, en vieil égoïste! Et pourtant il continue à jouer les affranchis avec toi!"
XXXIX
En quittant la Tour du Pouvoir, Archos l'architecte était mécontent! Certes, ces histoires d'enfants Doms étaient bien troublantes, mais ce n'était pas pour lui, Archos! C'était pour les autres, les politicards! Lui, l'artiste devait s'atteler au beau, à sa sensibilité, bref à ses plaisirs!
Archos mit son autociel en pilotage automatique et il consulta son Narcisse! Il allait sur des applis, où de jeunes filles se dénudaient pour faire le buzz! C'était comme au supermarché, il n'y avait qu'à choisir! Voyons voir... Celle-ci? Hum, un peu trop grosse! Celle-là, pas assez rembourré! Bon sang! Voilà une reine! Ouf! Tout y était! Il n'y avait rien à jeter!
Archos en avait déjà l'eau à la bouche et il utilisait volontiers la technique du malotru! "Bof! envoya-t-il. Tes seins, y sont pas un peu trop p'tits? Et tes fesses, pardon, mais c'est bien de la cellulite qu'on voit là, non? Etc.!" Il choquait et la réponse ne se faisait pas attendre: "Non, mais pour qui tu te prends? J' suis tip top! Ce qu'il te faut, c'est un bon opticien!"
Elles mordaient toutes à l'hameçon! Elles étaient si fières! Archos faisait alors le dos rond:"T'as raison, j' dois pas avoir les yeux en face des trous! Mais difficile aussi de juger sur une photo! J' vois qu' t'es une déesse, mais j'aimerais te le dire de plus près!" Et ça marchait!
Archos obtint un rendez-vous sur l'esplanade où tout le monde se rencontrait! L'architecte repéra sa proie et elle ne fut pas autrement surprise de voir un homme d'âge mûr! C'était bon signe! On embarqua dans l'autociel de la jeune fille et bien entendu, c'était un petit modèle de luxe! "Un cadeau de papa et maman!" songea Archos!
On arriva dans l'appartement de la belle et Archos suivait tous ses mouvements! Il s'enivrait des lignes pures et de la souplesse de ce jeune corps! Il regarda cependant l'intérieur en professionnel et il fut ému par cette ambiance féminine! Bien sûr, l'appartement était bien situé, lumineux et c'était encore papa et maman qui étaient derrière, mais la décoration délicate, avec des teintes violettes et roses et des plantes vertes, sans doute achetées au marché noir, enchantait Archos, qui par contraste voyait son propre intérieur comme convenu, lourd!
L'architecte respira l'innocence qui semblait flotter dans l'air, tel un parfum plein de fraîcheur! "Je vais lui dire que je suis architecte et elle va tomber dans mes bras!" se dit-il, mais il n'eut pas besoin de sa carte de visite, car la jeune femme revenait nue! Malgré son expérience, Archos en eut le souffle coupé! Les seins se dressaient altiers et le bas offrait des perspectives enchanteresses! Cependant, la peau était exceptionnellement blanche, comme si on l'avait recouverte de talc!
Archos se leva en tremblant! Il n'y avait qu'à prendre! Mais, alors qu'il faisait le premier pas, il sentit une petite morsure à la jambe! "Mais qu'est-ce...?" fit-il en se retournant et il découvrit une petite créature noirâtre, qui le fixait malgré son air aveugle! On eût dit une taupe incroyablement grande et celle-ci dit: "RAM!", en montrant ses dents jaunes! Pris par l'horreur, Archos lui donna un coup de pied, qui la projeta contre le mur!
Mais d'autres créatures apparurent et elles multiplièrent les RAM, qui devenaient des MIAM dans l'oreille d'Archos! Il regarda la jeune fille et ne lut que du mépris dans ses yeux! Il comprit qu'il était tombé dans un piège et il bondit vers la porte! Les créatures firent de même et il en était recouvert, quand sa main cherchait à manœuvrer la poignée! On retrouva son corps à moitié dévoré sur la grève et la Tour du Pouvoir accusa le coup!
Ce n'était qu'une ombre de plus, car aux commandes de la ville, on ne se faisait guère d'illusions! Le baromètre social était en chute libre! Des révoltes, sans doute très violentes, se préparaient! Pour l'instant, l'été masquait la menace et on continuait à s'amuser sur le pont! Mais les températures allaient baisser et les inquiétudes naturelles revenir! Face aux difficultés, l'égoïsme le plus forcené reprendrait ses droits!
QUATRIEME PARTIE
L'AVENIR
I
Un monstre sortit de la mer! C'était un colosse couvert d'algues, mais il semblait inoffensif! Il s'était assis sur un polder et était devenu une attraction! On venait le voir en famille et il souriait! Il disait: "Regardez mes muscles!" et il gonflait ses bras, qui avaient soudain l'air de montagnes! "J' suis quelqu'un de simple! rajoutait-il. J'en ai tellement vu! J' connais des horizons où les singes ont la bouche dorée, à cause du pollen des fleurs!"
Les femmes étaient rassurées par sa figure débonnaire! "J' demande pas grand-chose, expliquait-il. La sagesse et moi, on a un contrat! Hi! Hi!" et il s'amusait avec les enfants! Pourtant, certains jours, il était maussade et il s'irritait de l'agitation alentour! Alors arriva le drame! Il prit un homme dans son énorme main et le ramena vers lui, c'est-à-dire à la même hauteur que la plus grande grue du port!
Il secoua l'homme, le renversa, lui tapota le tête, se mit à jouer avec! De temps en temps, il lui criait dessus ou lui parlait tout doucement! Parfois, il le pressait sur son cœur, comme s'il l'aimait, mais presque aussitôt il le battait et l'homme poussait des gémissements! Puis, déçu, le géant écrasa sa marionnette, entre ses doigts, et le sang gicla sous les yeux horrifiés des spectateurs!
On appela la police, qui fut bien embêtée, car comment se saisir d'un tel individu? Mais le meurtre était bien là et finalement, après quelques sommations, on tira vers le géant, mais les balles n'eurent aucun effet sur lui! On isola donc la zone, en se demandant si l'armée aurait plus de chances, mais, pendant ce temps-là, le colosse arrivait toujours à s'emparer d'un passant et il lui faisait subir le même sort qu'au précédent!
Jack Cariou fut informé de la particularité de la situation et il décida de s'en occuper! Il arriva en secret devant le géant et le défia! Le colosse n'avait que mépris pour Cariou et il ricanait, puis, vif comme l'éclair, il essaya de l'attraper, mais, à chaque fois, il ratait son coup, comme si Cariou se déplaçait à la vitesse de la lumière! Une guerre psychique s'installa alors et elle dura plusieurs jours!
Elle passait bien entendu par des mots et Cariou fut surpris de voir comme le colosse était intelligent et sournois! A la force physique, il ajoutait un esprit puissant, ce qui faisait de lui un adversaire redoutable! Cependant, ce qui blessait le plus Cariou, c'était ce mépris souverain, implacable du géant, qui claquait comme un coup de fouet sur le cerveau! Cariou ne pouvait afficher une telle morgue, car il était bien plus scrupuleux et il se gardait de la haine, vite inefficace! Il travaillait pour la lumière et il devait expliquer, donner du sens, tandis que l'autre violemment le rabaissait, l'humiliait!
Le géant parvint même à faire douter Cariou, car il avait une manière à lui de renverser les rôles! C'était Cariou le monstre, puisqu'il attaquait, harcelait celui qui se voyait lui-même comme un humble serviteur de la sagesse (il avait déjà oublié ses meurtres!)! C'était Cariou qui voulait des histoires, être le chef, alors que le colosse n'était qu'un petit ruisseau de bonté! Il y avait de quoi perdre la tête, mais Cariou devait percer cette armure d'hypocrisie, ce brouillard de folie et il recommençait à mettre le géant devant les faits, face à ses propres contradictions!
Enfin, il trouva l'angle et c'était que le colosse en fin de compte ne parlait que de lui, ramenait tout à lui, parlait sans gêne de sa personne, se décrivait avec une entière complaisance, comme s'il avait été amoureux de lui-même et qu'il n'existait qu'à condition d'être le centre d'intérêt! Ce fut comme si Cariou avait tendu un miroir à la taille du géant, pour que celui-ci se vît tel qu'il était vraiment, dans l'impasse et la tyrannie de son égoïsme!
Mais c'était encore le dernier argument de Cariou, car il était épuisé! Il tremblait presque et il lui semblait ne plus parler que mécaniquement! Au fond, il sentait la peur le paralyser et il crut la partie perdue, quand le géant éclata d'abord d'un gros rire, ainsi qu'il aurait été d'une force inépuisable et que la vérité n'eût été que du vent! Mais petit à petit le colosse diminuait et soudain il ne fut plus qu'un poisson échoué et qui s'asphyxiait! Cariou était dans l'étonnement et il s'approcha, mais même le poisson avait disparu, pour ne laisser qu'une petite flaque, que le soleil commençait à sécher!
Cariou avait une nouvelle fois vaincu l'enfant Dom!
II
Andrea Fiala et Jack Cariou étaient dans l'appartement de Fahim Macamo et ils regardaient toutes les choses avec une tendresse triste! A chaque objet leur ami leur revenait à la mémoire et des souvenirs heureux les traversaient! "Tiens, il y a des notes de Fahim ici! dit Andrea. C'est technique apparemment... C'est plutôt pour toi, Jack!" Cariou prit le cahier et examina quelques pages... Macamo y parlait d'ondes gravitationnelles, de "perce-bulles" et de lumière enfermée! L'enfant Dom étant une sorte de trou noir psychique, il était normal que Macamo s'interrogeât sur la manière de le contrer, mais pouvait-on y arriver avec une machine?
Cariou réfléchissait... Dans un premier temps, il s'agissait de se défendre, car l'enfant Dom exerçait une pression absolue, qui ne permettait pas la cohabitation, et Cariou se libérait en opposant lui-même une domination supérieure à celle de l'enfant Dom, ce qui neutralisait celle-ci! Comment pouvait-on échapper au trou noir psychique? C'était normalement impossible, à moins de détruire physiquement l'enfant Dom! La solution, c'était d'avoir une domination infinie! que celle-ci englobât tout l'Univers! et cela voulait dire qu'elle ne fût plus limitée au seul ego! Cette domination devait servir plus grand que soi et ainsi, non seulement elle était d'une force inégalable, mais encore elle n'était plus vraiment une domination, puisqu'on ne voulait pas s'imposer!
Comment parvenait-on à ce stade? Mais il fallait combattre sa propre domination! Autrement dit, il fallait accepter de n'être rien, pour parler crûment! On ne répondait pas à l'injure par l'injure, on n'essayait pas de vaincre, on ne comprenait pas le monde, car il était régi par la domination, on faisait taire en soi toute haine, on n'espérait même pas un revanche future et... la seule raison ne permettait pas cela! Qui pouvait en effet, par le seul raisonnement, renoncer à lui-même, accepter les coups, s'efforcer d'être un élément de paix, ne pas s'inquiéter de sa situation matérielle, de sa réussite sociale, faire confiance au point de ne sembler qu'un demeuré, un raté?
"Libérer la lumière, abattre les bulles, faire jaillir le trou noir, qu'il ne soit plus synonyme de mort, voilà à quoi il faut répondre! songeait Cariou. La lumière ne vient pas de l'espace, de l'extérieur de l'individu, nous sommes d'accord, car sinon la science n'existerait sans doute pas! La lumière elle-même doit obéir aux lois de la physique, mais il n'en demeure pas moins qu'elle se développe en chacun et qu'on peut la retenir, l'enfermer, la nier, faire comme si elle n'existait pas et apparemment l'anéantir complètement!"
Cariou connaissait les murs qu'on opposait à la lumière, il les avaient vus dans les yeux des autres et ils étaient généralement constitués par la peur, la haine ou la suffisance! Mais la domination des enfants Dom était si violente, si hostile qu'elle ne permettait même pas de considérer, d'évaluer leur lumière! On devait tout de suite se protéger d'eux, ou bien alors il fallait les surprendre, dans la foule par exemple! Dans ce cas, si on était soi-même sans domination, on pouvait les regarder avec amour et le "miracle" avait lieu!
Leur lumière revenait à la surface, sollicitée par l'amour qu'on leur portait! Elle répondait à l'appel et d'un coup, le visage de l'enfant Dom se transformait! Ses défenses tombaient, les blessures réapparaissaient et toute la beauté de l'être humain, qui est faite d'esprit, était là visible! C'était un moment très fugitif, mais ineffable! L'enfant Dom cherchait la source qui venait de le rafraîchir! Pour la première fois de sa vie peut-être, on lui "parlait" et il pouvait se sentir lui-même et donc espérer! C'était le pouvoir de la lumière que d'être vraie!
"Mais est-ce qu'une machine ou un appareil pourrait faire ça?" se demanda encore Cariou et il réexamina les notes de Macamo.
III
Madame Birkel reprit pied sur le continent! Elle revenait à RAM et avait quitté l'île des Fous pour un temps! Mais quel était son but? Que voulait-elle? Prendre des vacances? Elle n'en avait pas l'air! Son visage était fermé, dur, barré par une sorte de grimace perpétuelle! Madame Birkel semblait un général revanchard en campagne! Elle ruminait une vengeance et elle prit un taxiciel, direction la Tour du Pouvoir!
Là-bas, elle connaissait quelques responsables, qu'elle assiégea immédiatement! On ne résistait pas longtemps à madame Birkel, car c'était un petit bout d'acier qui faisait peur! On voulait tout de suite s'en débarrasser, comme d'une carie et elle obtint ce qu'elle était venue chercher: une audience avec Dominator!
Celui-ci la reçut légèrement contraint! Il connaissait de réputation cette femme, qui remplissait son rôle, et il ne voyait vraiment pas de quoi il s'agissait! Mais enfin la directrice entra vivement dans le sujet: "Si je vous dis Jack Cariou, vous savez de qui je parle?
_ En effet...
_ J' veux la peau de c' fumier!"
Dominator eut un sourire: comment pouvait-on avoir une haine aussi terrible, au mépris de toute prudence? "Quel caractère!" se dit Dominator. "Mais, rajouta-t-il, qu'est-ce que vous a fait Jack Cariou, pour que vous soyez autant remontée contre lui?
_ Il m'a manqué de respect! Il m'a outragée! C'est un fat! un arrogant! un vicieux qui pis est! Je n'ai pas eu le temps de le remettre dans le droit chemin! Vous me l'avez enlevé subitement! Redonnez-le moi et... lentement... lentement, je l'écraserai comme de la pâte à modeler!
_ J'ignorais qu'il vous avait tant malmenée! répliqua Dominator, d'un ton un tantinet goguenard. J'avoue que cela m'étonne du personnage, car il m'a toujours paru poli, d'une grande correction!
_ Pfff! De la poudre aux yeux! Il sait tromper son monde! Et il le fait d'autant mieux qu'il se croit supérieur! Vous n'allez pas me dire que vous l'avez trouvé docile? Un sournois, une vipère, une injure sur pattes, voilà ce qu'il est!
_ L'ennui, madame Birkel, c'est que pour l'instant Cariou m'est utile... et je ne peux pas vous le donner!"
Jusqu'ici l'entretien se déroulait debout, à bâtons rompus, mais la directrice subitement demanda: "Je peux m'asseoir?
_ Mais comment donc!
_ Voilà, Cariou, à la prison, s'est lié à un autre détenu, Amir Youssef! J'ai pu le faire parler, grâce à une machine à haine que je possède...
_ Je sais...
_ Cariou devait porter un message de Youssef à Yumi Tanaka, une partisane de l'Extrême-gauche, qui elle-même travaille pour un certain Dramatov! Vous connaissez?
_ Un peu, mais vous m'intéressez...
_ Vous savez bien que ces oiseaux-là ne rêvent que de détruire le pouvoir, qu'il juge oppresseur et au service des riches, pour mettre le leur évidemment! Et si Cariou, au lieu de vous servir, était de mèche avec eux et que sous ses airs de fils de bonne famille, il œuvrait en réalité à votre perte!
_ Ce n'est pas à exclure effectivement... Ecoutez, quand je n'aurai plus besoin de lui, il sera à vous, c'est promis!"
Un sourire éclaira le visage de la directrice et elle s'en alla toute à ses futurs projets! Elle entendait Cariou la supplier, douce musique!
-
Les enfants Doms (XXXIII-XXXVII)
- Le 30/07/2022
- 0 commentaire
XXXIII
"Dis, grand-père, c'est quoi un talus?
_ Un talus? Mon Dieu, vous ne savez pas ce que c'est?"
Les deux petits enfants, le frère et la sœur, firent non de la tête! "C'est vrai qu'il n'y en a plus! reprit le grand-père. Mais un talus, c'est comme un grand rempart de terre, avec de l'herbe et des arbres dessus! Cela sert de limites pour les champs ou de bords pour les chemins!
_ Mais pourquoi il n'y en a plus, grand-père?
_ Mais c'est parce que les "chasseurs de talus" les ont exterminés!
_ Les chasseurs de talus!?
_ Oui, chaque année, des chasseurs de talus détruisaient les talus! Il y avait d'abord des agriculteurs qui disaient: "Mon champ est trop petit! Mon tracteur y circule mal, il n'a pas assez de place, et c'est à cause du talus!" Et voilà l'agriculteur défonçant le talus avec son tracteur et le faisant disparaître! Ou bien aussi le dimanche, il s'ennuyait et il fallait qu'il s'occupe, pour se calmer! Et il prenait sa tronçonneuse pour couper tous les arbres du talus!
_ Oh Le méchant!
_ Oh! Mais il expliquait que c'était pour donner une nouvelle jeunesse aux arbres, qui devaient repousser! L'agriculteur se voyait comme un bienfaiteur! Mais ce n'était pas le pire des chasseurs de talus!
_ C'était qui le pire, grand-père?
_ Eh bien, quand tous les talus étaient pleins de verdure, avec des oiseaux dans les arbres, des insectes sur les fleurs et des lapins sous terre, l'employé municipal passait avec sa machine!
_ Han!
_ Oui, il était chargé d'entretenir les chemins, mais la machine ne réfléchissait pas et elle coupait tout droit tout ce qui dépassait! aussi ras que dans le jardin d'un château! comme si un indien avait scalpé la nature!
_ Oh!
_ Oui! Et les oiseaux, et les insectes, et les lapins voyaient leurs maisons détruites! Ils devaient prendre leurs petites valises et chercher un autre endroit où vivre! alors que les bébés étaient déjà là et que les fleurs leur souriaient!
_ C'est bien triste, grand-père!
_ Vous ne croyez pas si bien dire les enfants, car les talus protégeaient du vent les cultures et ils retenaient l'humidité, en favorisant la vie! En les détruisant, on a augmenté le réchauffement climatique, à l'origine de la montée des eaux et de notre situation actuelle!
_ Mais est-ce qu'on reverra des talus un jour, grand-père? Car nous, on voudrait bien retrouver les oiseaux, les lapins et les insectes!
_ Oui, on voudrait plein de fleurs partout! Et que ça sente bon!
_ Mais je l'espère, les enfants! Car sur les talus, on trouvait aussi des mûres, pour faire de la confiture!
_ C'est comment les mûres, grand-père?"
Le vieux ferma les yeux et songea: "Dans cette "bonne" ville de RAM, il y a encore beaucoup de chasseurs de talus et qui vivent impunément! Il faudra régler les comptes un jour!"
XXXIV
Dans la Tour du Pouvoir, la discussion allait bon train! Il y avait là, autour de Dominator, non seulement le duc de l'Emploi, monsieur Nuit, Archos l'architecte, mais aussi les élus Morny, Durin et quelques autres! On venait d'apprendre le massacre récent: huit morts et deux blessés grièvement! "Mais comment est-ce possible? répétait Morny. Comment une telle sauvagerie est-elle possible?
_ Evidemment, vous allez dire que c'est parce qu'il n'y a pas assez de sécurité! jeta Durin.
_ Quoi? Mais je suis sous le choc, c'est tout! Comment osez-vous?
_ Les enfants, les enfants! fit Dominator. L'heure est à l'union sacrée! On retrouvera nos querelles plus tard!
_ D'accord! opina monsieur Nuit. Mais pourquoi cette réunion?
_ Parce que les choses sont plus compliquées qu'il n'y paraît! Il y a comme un abîme entre une certaine jeunesse et la société! Et, ce n'est pas seulement des actes fous, comme celui qui vient d'avoir lieu, qui le montrent! Comme vous le savez tous, il est de plus en plus difficile d'embaucher! Pourquoi un tel désintérêt? Qu'est-ce qui trotte dans la tête des jeunes? A quoi peut-on s'attendre demain? Je vous avais parlé d'un spécialiste, d'un gars qui semblait s'être déjà penché sur la question... Eh bien, il arrive..."
En effet, Cariou entra, pas avant tout de même de s'être rafraîchi, et il salua brièvement les uns et les autres, alors que Dominator le présentait: "Voici, Jack Cariou, messieurs, et il va nous parler des enfants... Doms!
_ Quoi? fit monsieur Nuit.
_ Des enfants Doms! reprit Dominator, avec Dom pour dom... ination, car notre jeunesse serait issue de la domination animale qui est en nous! C'est bien ça, Cariou?
_ Ecoutez, dit le duc de l'Emploi, en consultant sa montre, on m'attend sur un site, pour une affaire très importante...
_ Un moment duc, fit Dominator, la situation est telle qu'on ne peut plus l'éluder! Il nous faut essayer de comprendre... et de négliger aucune piste!
_ Mais ça commence comme un mauvais feuilleton! se plaignit le duc.
_ D'abord, je voudrais vous dire que vous êtes tous ici responsables de ce qui se passe! dit brusquement Cariou.
_ Allons donc! s'écria monsieur Nuit!
_ Les enfants Doms sont dans leur monde, parce qu'ils ont peur et qu'ils ne trouvent aucun repère dans le vôtre!
_ Ils ne veulent pas travailler, c'est tout! répliqua monsieur Nuit. S'ils avaient eu un père comme le mien, ils fileraient droit maintenant!
_ Monsieur Nuit, vous êtes promoteur, c'est ça? Vous vous occupez aussi de la construction et vos chantiers fleurissent partout, dès que c'est possible?
_ Naturellement! Il faut que chacun puisse se loger!
_ Exactement! appuya Archos.
_ Mais où voulez-vous en v'nir? demanda le duc à Cariou.
_ A ceci! Donc, monsieur Nuit, vous agissez pas pur altruisme! Vous n'avez pas d'ambitions, ni ne voulez devenir plus puissant! Vous n'avez pas d'angoisses non plus! Vous êtes le type souriant, qui respecte la nature et qui aime les enfants!
_ Mais évidemment que j'ai des angoisses, des ambitions!
_ A la bonne heure! Et pourtant vous vous présentez comme une surface lisse, n'obéissant qu'à la nécessité, comme si ce que vous représentez était immuable! Or, c'est précisément votre pouvoir ou votre ascension qui donnent un sens à votre vie! Comment voulez-vous que les enfants Doms s'y retrouvent? Ils sont effrayés par la vie, ils souffrent et ne savent pas pourquoi! Ils voudraient des réponses et être rassurés! Et vous, qu'est-ce que vous faites? Vous leur mentez! Pire! Vous détruisez la planète, vous enlevez tout espoir, sans rien donner en échange! Même pas vos peurs!"
XXXV
Cariou venait de semer le doute dans les esprits, mais il continuait: "En fait, les enfants Doms ne font que suivre votre exemple: ils ne se consacrent qu'à leur ego! sauf que pour eux la situation est extrême! Une société sans queue, ni tête! Un confort absolu, malgré un endettement vertigineux! Une planète qui brûle, face au vide sidéral! Mais aussi des conditions plus spécifiques! L'ère de la communication et des écrans numériques, avec un seul muscle qui travaille véritablement: le cerveau!
_ On dirait que vous parlez de mutants! coupa monsieur Nuit.
_ C'est un peu ça en effet, car les enfants Doms apparaissent dès le plus jeune âge! Certains ne sont même pas adolescents! Mais voici comment les choses se présentent... Imaginez qu'entre chacun d'entre nous existe un espace-temps psychique! Chaque personnalité est une étoile, avec sa masse propre, et il est vrai que nous nous influençons mutuellement! Mais les enfants Doms sont comme les trous noirs, ils attirent à eux tout ce qu'il y a autour! Leur domination se veut totale! Tous les autres sont des esclaves!
_ Mon Dieu! fit Archos.
_ Les enfants Doms, reprit Cariou, ne comprennent pas l'opposition! Ils deviennent méchants dès qu'on les menace et quoi d'étonnant, puisque leur pouvoir est leur seule protection! On comprend aussi pourquoi ils ne veulent pas travailler, car c'est s'humilier, reconnaître une autre autorité que la leur! L'enfant Dom est dans sa bulle et il est forcément manipulateur et dangereux!
_ Ce sont des bombes à retardement... lâcha Archos.
_ Mais Cariou, demanda Dominator, quelle solution préconisez-vous? Avez-vous un remède?
_ Bien sûr! Il vous suffit de dire, vous tous, aux médias que vous regrettez vos actions passées, que vous n'avez agi que par orgueil, pour vous faire valoir, vous sentir supérieurs aux autres, grâce à votre réussite! Bref, vous ne voulez plus de votre égoïsme et vous allez changer totalement!
_ Ah! Ah! firent soudain tous les autres!
_ Ah! Ah! répondit aussi Cariou et le rire devint général.
_ Vous n'êtes pas sérieux! dit enfin monsieur Nuit.
_ On ne peut plus! répliqua Cariou. Mais je ne me fais guère d'illusions! Il faudrait d'un seul coup que vous deveniez lucides! Vous en êtes incapables! Vous préférez la haine et détruire celui qui vous gêne! On ira donc vers la catastrophe! C'est toujours comme ça! On ne découvre la joie, la paix de la solidarité que quand nous ne pouvons plus faire autrement!
_ Mais n'y a-t-il pas des moyens intermédiaires, des approches moins radicales? voulut savoir Dominator.
_ Si bien entendu! Il y en a toujours! Par exemple, mon ami Macamo réalise un programme pour Adofusion, qui a déjà prouvé qu'il pouvait aider et changer les enfants Doms!
_ Macamo, vous avez dit? interrogea Dominator. Dites donc Cariou, où étiez-vous ces derniers temps?
_ Euh... sous RAM, où on voit de drôles de choses, soit dit en passant!
_ J'ai malheureusement une triste nouvelle à vous annoncer... Il y a eu du grabuge chez Adofusion, dont je connais bien le PDG Owen Sullivan... Des manifestants ont bousculé du monde et provoqué la mort de deux personnes, dont Macamo! Je suis désolé..."
XXXVI
L'enfant Dom était de nouveau avec le Magicien et tous deux allaient sur un chemin caillouteux, au bord d'une vasière... Il n'y avait apparemment rien! Des joncs hérissaient la vase et ondoyaient mollement sous le vaste ciel! Cela donnait un sentiment de vide et d'abandon!
On marchait parfois dans de la boue ou sur des restes d'huîtres, qui semblaient renforcer l'aridité du lieu! De temps en temps, un ruisseau sale s'écoulait péniblement d'un petit mur de pierres, recouvert d'un lichen ocre! C'était encore plus pauvre, désolant!
On croisa une épave, dont il ne restait vraiment plus grand-chose! Les membrures noircies étaient à peine visibles sous la salicorne! Un goémon verdâtre et séchée étoilait là-dessus, ainsi que des toiles d'araignées!
On trouvait même quelques sacs plastiques accrochés à des branches, elles-mêmes poussiéreuses! Que faisait-on là? L'enfant Dom s'impatientait! Où étaient les merveilles du ruisseau qui courait dans l'ombre, où les premières aventures avaient eu lieu?
L'enfant Dom se souvint qu'il était resté des heures à regarder l'eau couler! Il était fasciné par une petite chute! L'eau formait un voile translucide et chantant, jamais tout à fait le même! Il était plein de fraîcheur et semblait raconter une histoire! Il avait comme hypnotisé l'enfant Dom, mais ici?
Le chemin avait l'air ne jamais en finir et toujours cette boue, ces pierres, cette désolation! Même un petit crabe qui passait par là n'égaya pas l'enfant Dom! Finalement, celui-ci explosa: "Mais où on est là? demanda-t-il au magicien. Jusqu'où il faut aller? C'est pour éprouver mes nerfs, c'est ça? J'en ai marre! Mais vraiment marre! Ce sont toujours les mêmes qui trinquent! Les autres se les roulent! Y font pas d'efforts! J' suis le dindon de la farce!
Y a rien là-haut! C'est vide! Ah! Pour suer, je sue! Quand il en faut un, je réponds toujours présent! C'est écrit pigeon sur mon front, sûr! Bon sang, je me fais pitié à moi-même! Je suis sur tous les coups, je donne de moi-même à 100 % et résultat: nada, rien! Les autres se gavent, ils s'empiffrent et moi qu'est-ce que j'ai? Quelle est ma part? Des cailloux, du vent et de la boue!
La société fête des minables! Nous le savons tous les deux! Y valent pas un clou, tous ceux qui sont sur les affiches, dans les médias! Quand viendra mon jour? Hein? Y faut bien que le travail paye! Et mes sacrifices, hein? Et ma patience? Et mon amour? J' prends les injures et j' dis merci! Serait p't' être temps de renvoyer l'ascenseur, non?"
L'enfant Dom maintenant n'était plus qu'une plaie béante! Il souffrait ainsi qu'on l'aurait frotté avec du sel! Toutes les injustices qui l'avaient meurtri étaient de nouveau à la surface! Il avait quasiment les larmes aux yeux, mais le Magicien ne disait rien et son regard restait calme!
Soudain, un oiseau poussa un cri plaintif et s'envola! De son plumage tombèrent quelques gouttes, qui scintillèrent tels des diamants! L'eau grise, où se mêlaient la mer et la rivière, les reçut avec une délicatesse infinie, puisque des ondes s'ouvrirent comme des fleurs! Un nuage couvrit le soleil et un manteau noir glissa sur la vase, ce qui mit en valeur ses bords pailletés d'or!
Une sensation nouvelle gagna l'enfant Dom: il éprouvait le temps! C'était cela: il sentait tout le poids du temps, comme si celui-ci eût été là lui-même! comme si la reine Beauté regardait l'enfant Dom, avec amour! Jamais peut-être celui-ci au fond n'avait été aussi près d'elle! Au contact du vide, le temps était devenu palpable et l'enfant Dom en fut d'un coup apaisé!
Sans doute était-il encore un peu las, mais il n'était plus triste, plutôt serein et le Magicien et lui prirent le chemin du retour! Ils arrivèrent à un pont, sur lequel battait son plein le trafic! Toutes sortes de véhicules se poussaient et certains conducteurs s'énervaient! Ils klaxonnaient ou tentaient des manœuvres dangereuses! Là-dessus, des motos venaient vrombir, telles des guêpes excitées, ce qui augmentait l'impression de chaos et la tension ambiante!
"Mais nous sommes complètement dingues! fit l'enfant Dom au Magicien. Complètement tarés!"
XXXVII
Le professeur Ratamor allait mieux! De s'être confié au psychologue Gonflux l'avait requinqué! Il avait le sentiment de ne plus porter seul son fardeau et il reprenait ses cours avec ardeur! Il attaquait même des théories qui lui semblaient fausses et qui pourtant triomphaient dans le monde scientifique! Il voyait des collègues recevoir des prix, alors qu'ils racontaient quasiment n'importe quoi! Jusqu'ici Ratamor avait tant douté de lui-même qu'il n'avait fait que subir! Mais à présent, devant ses étudiants et fort de cette nouvelle énergie qu'il sentait, il démontrait sans pitié l'énormité, la stupidité de ces théories!
Il disait: "Prenez la théorie A, par exemple! La théorie la plus en vogue en ce moment! Elle n'a pas moins de mille variantes! Elle s'étend à mesure qu'on lui présente des objections! Une vraie pâte à modeler! Et rien ne gêne ces messieurs! Les calculs les placent pourtant devant des difficultés insurmontables et aucun résultat expérimental ne vient confirmer leurs hypothèses! Peu importe! Ils ont réponse à tout! Ils transforment le réel au gré de leurs phantasmes! Ce n'est plus de la science! C'est de la vanité pure et simple! Eh bien, cela ne passera pas par moi, Ratamor! Je serai peut-être le dernier à tenir la tranchée, mais jusqu'au bout j'aurais résisté à cette mélasse!"
Il y eut comme une rumeur admirative dans l'amphithéâtre... Chaque étudiant se sentait fier d'avoir un professeur aussi scrupuleux et courageux! Mais Ratamor reprenait: "Et la théorie B? Mais elle n'est pas meilleure, loin s'en faut! Elle se voudrait théorie du tout et elle réunit les grands noms du moment! Mais là encore on prend des vessies pour des lanternes! Les contradictions, les aberrations y sont nombreuses, mais, comme c'est devenu une habitude maintenant, on aménage, on sélectionne, on méprise! Oui, on piétine la simple vérité! On ignore la modestie, la valeur du travail! On est les champions de l'esbroufe!
Mais le petit soldat Ratamor veille! Il dira aux généraux ce qui ne leur plaira pas! Il troublera leurs fêtes! Car il est le défenseur de l'ordre, du sérieux! Et...
_ Professeur Ratamor!"
C'était la voix de Piccolo et Ratamor s'arrêta net! "Courage! se dit-il. Je ne peux pas partir en guerre contre mes collègues et en même temps avoir peur d'un gamin! Cette fois-ci, je ne vais en faire qu'une bouchée! N'ai-je pas raison dans mon combat? La rigueur scientifique est nécessaire, que puis-je craindre?"
"Oui, Piccolo! fit Ratamor. Vous avez encore quelque chose qui vous gêne? Vous voulez ouvrir la fenêtre peut-être?"
Des filles pouffèrent, mais il en fallait plus pour arrêter Piccolo et il se lança! "Professeur, dit-il, visiblement, vous avez le discours d'un homme en colère! Mais, même si on comprend vos sentiments, n'est-ce pas vous surtout qui souffrez?
_ Mais, mais bien sûr que je suis en colère, Piccolo! Bien sûr que je souffre, quand je vois la science aussi malmenée, travestie par des gens qui paradent!
_ Evidemment, professeur, mais n'y aura-t-il pas toujours des théories de pacotille et des profiteurs? Si vous étiez si sûr de la vérité, ne seriez-vous pas persuadé que toutes ces fariboles, tout ce cirque finiront par disparaître? Et alors ne garderiez-vous pas toute votre tranquillité, votre sérénité?
_ Mais... mais où voulez-vous en v'nir, Piccolo?
_ N'est-ce pas plutôt votre ego qui souffre, professeur? qui a soif de dire qu'il sait, qu'il existe? Et au fond n'êtes-vous pas la preuve que la science, comme la plupart des autres choses, passe à côté de l'essentiel, à savoir la paix de l'esprit, seule bienfaitrice!
_ Mais... mais Piccolo, pourquoi vous salissez tout, vous bousiller tout? Pourquoi êtes-vous si méchant?
_ Mais ce que je dis, c'est aussi pour votre bien, car vous avez l'air d'avoir mal!
_ Pour... pour mon bien? Mais, si j'ai mal, Piccolo, c'est à cause de vous!"
Déjà Ratamor montait vers Piccolo, mais il fut arrêté par d'autres étudiants, qui voulaient l'empêcher de faire une bêtise! Eux aussi détestaient Piccolo, mais le plus important était leur professeur!
-
Les enfants Doms (XXVIII-XXXII)
- Le 23/07/2022
- 0 commentaire
XXVIII
Un peu plus haut, Cariou eut la surprise de découvrir un salon légèrement cossu, construit en englobant la pente! On devait donc le traverser, pour atteindre un niveau supérieur, tandis qu'un homme, à l'air avenant, se levait déjà derrière un bureau, pour accueillir Cariou!
"Une visite! s'écria l'homme qui en imposait, avec sa soixantaine! Je suis toujours heureux de découvrir des visages nouveaux!" Cariou regardait autour et il voyait beaucoup de livres. L'homme devait aimer l'étude et il rajouta: "Est-ce indiscret de vous demander le motif de votre visite?
_ A vrai dire, je ne m'attendais pas à vous trouver sur ma route..., mais enfin je vais vers la lumière!
_ Un idéaliste! J'en étais sûr! Vous avez l'allure noble, enthousiaste! En un mot, vous êtes beau, si je peux me permettre! Mais asseyez-vous, asseyez-vous! (L'homme désignait deux fauteuils.) J'adore les idéalistes! Ne le prenez pas mal, si j'utilise ce mot, mais je trouve les matérialistes si... terre à terre, si mercantiles! Ils ne songent qu'à leurs intérêts, fi! Excusez-moi!"
L'homme se leva et se dirigea vers une imprimante, qui venait d'éjecter une page. Il la parcourut rapidement, puis il la jeta dans le gouffre! Cariou l'observa un instant et elle volait de-ci, de-là, avant de disparaître plus bas! "Où en étions-nous? reprit l'homme en se rasseyant. Ah oui! Comment vais-je vous l'annoncer?
_ M'annoncer quoi? demanda Cariou.
_ Mais que la lumière n'existe pas! Oh! Oh! Oui, je sais, vous êtes choqué! Pour vous la lumière existe et il va falloir un certain temps, et bien des efforts j'en ai peur, pour reconnaître le contraire! La vérité est toujours difficile à accepter! Excusez-moi!"
L'homme se leva de nouveau et rejoignit l'imprimante, qui sortait une nouvelle feuille. Comme précédemment, il la relut sans s'attarder, puis il la laissa tomber dans le vide! "Je reste toujours très occupé! expliqua-t-il à Cariou. Même à la retraite, j'ai encore une vie très active! mais qu'est-ce qui vous fait croire que la lumière existe?
_ Mais je la vois!
_ Vous la voyez? Mais vous seriez bien le premier!
_ Je comprends ce que vous voulez dire... Disons que je pars de la nature et de sa beauté extraordinaire!
_ Eh oui! Et vous faites monter votre rêve jusqu'à nous! Vous êtes un être sensible et... c'est admirable! Je ne me moque pas de vous..., mais la réalité est beaucoup plus crue! Les gens sont égoïstes et il n'y a pas de miracles, pas de magie, ni de merveilleux! Il faut se camper bien droit devant sa destinée et la mort! Donner son fruit et partir! C'est plus courageux! Plus utile aussi!
_ Je ne crois pas que vous vous rendiez compte à quel point les gens sont égoïstes!
_ Non? Tiens? Voilà une réponse... ou plutôt une réflexion qui n'est point banale! Alors, selon vous, ce serait moi, le naïf, le rêveur, l'idéaliste en somme?
_ D'une certaine manière, oui... Qu'est-ce que vous faites avec ces pages, qui sortent de l'imprimante?
_ Eh bien, je... (A ce moment, l'homme se rapprocha de l'imprimante et après quelques secondes, la feuille fit encore le papillon blanc!) J'écris mes mémoires, figurez-vous, dans lesquelles je continue, bien entendu, à exposer mes idées sur la vie!
_ Bien entendu! Et autrement dit, vous vous servez encore de vos contemporains, pour vous sentir moins seul et important! Et vous appelez ça, se camper bravement devant l'éternité!
_ Mais il est de mon devoir de concourir au progrès de l'humanité! Ma place dans la société est une preuve que j'avais quelque chose à dire!
_ Je n'en doute pas! Mais vous trompez votre solitude en dominant les autres, en faisant autorité sur eux! Vous trouvez votre égoïsme si naturel que vous ne le voyez même pas! Et tellement préoccupé par vous-même, vous passez à côté de l'essentiel!
_ Oh! Je n'ai vraiment pas de chances! Et quel serait-il cet essentiel?
_ La beauté est cet essentiel! Mais on ne la voit que si on est un enfant!
_ Vraiment?
_ Mais vous êtes quelqu'un d'important, qui s'est pris en main et qui sait! L'enfant admire et ne comprend pas les grandes personnes! Il ne recherche pas sa propre gloire, mais il aime c'est tout! Il n'est même pas préoccupé par son courage ou sa destinée, comme vous dites! Il aime et admire, c'est sa joie!
_ Il doit s'attendre à bien des malheurs!
_ Nul ne sait mieux que l'enfant combien le monde est dur! Aucun mal ne lui échappe! Mais le véritable malheur, c'est de vouloir être une grande personne... C'est un travail colossal! qui écrase bien des individus et qui conduit à bien des tristesses! L'enfant n'est jamais seul et il s'enchante! Il est léger!
_ Je crois que nous n'avons plus rien à nous dire!
_ En effet, nous sommes à sec, car je ne vous admire pas! Vos pages qui volent, c'est votre plumage!
_ Vous allez tomber de haut!
_ Mais il n'y a aucun piège! Au revoir!"
XXIX
Cariou sentait toute sa liberté et combien tout était possible! Il ne voyait aucun frein, aucune limite et sa perception de l'infini, même si elle était fragile, le remplissait d'un espoir intense, le comblait de bonheur! Cariou volait presque vers la lumière, mais soudain il s'étala de tout son long!
"T'as pas vu la chaîne et tu t'es pris le pied, d'dans! fit une voix au-dessus de lui. Gros nigaud, va! Mais tu courais! Tu t' croyais tout puissant, hein? Mais c'est moi, l' gardien, ici, mon pote!"
Cariou prit la position assise, en se malaxant la cheville et il regarda celui qui se disait le gardien! C'était un vieil homme, au corps noueux et aux traits secs, ce qui lui donnait un aspect vigoureux et il prit place sur une chaise, en face de Cariou. Puis, il cracha sur le côté!
"J' comprends pas! dit Cariou. Vous êtes le gardien de quoi? La lumière n'est à personne!
_ Où est-ce que tu as vu ça, mon garçon? Oh! Je vois! Tu es un de ces intellos qui croit tout savoir! Mais, moi, aussi, j'en sais des trucs!
_ Mais je n'en doute pas! Et d'ailleurs, je suis toujours content d'apprendre! Mon ignorance ne me dérange pas, car je la reconnais volontiers! Je n'essaie pas d'être le meilleur! Mais la lumière est à tout le monde et vous pouvez vous-même l'aimer, la posséder, en jouir! Seule elle rend heureux!
_ Mon Dieu, quel charabia! Tu viens de Mars, j' parie! Et t'es sous le coup de l'émotion d'un atterrissage forcé! Ah! Ah! Mais y s' trouve que j'aime bien mon coin tel qu'il est! avec pas trop de monde devant! J'aime pas les gars dans ton genre, qui la ramène tout l' temps, qui bouche le paysage!
_ Ah bon? On vous doit des comptes?
_ T'as pigé, p'tit! J' suis le gardien!
_ Donc, on ne peut pas être heureux en votre présence!
_ Si! Mais en restant discret, poli!
_ On doit se limiter par peur, c'est bien ça?"
L'homme, pour toute réponse, cracha! " Y aurait bien une autre solution! reprit Cariou.
_ Dis toujours!
_ Mais pourquoi vous ne vous épanouissez pas vous-même? Pourquoi n'allez vous pas vous-même chercher la lumière? Elle vous ferait rire comme un enfant, vous remplirait tellement d'énergie que toute haine vous paraîtrait ridicule! En tout cas, toute jalousie vous serait inconnue! Au contraire, la lumière se réjouit de se voir ailleurs, chez d'autres!
_ Tu continues à pas être clair, mon garçon! Mais si tu crois que j' suis jaloux d' toi, tu t' fais des illusions, ah! ah!
_ Vous êtes un tyran! J' comprendrais vot' réaction, si j'en étais un autre! mais ce n'est pas le cas! Je ne veux triompher de personne! J' suis comme une fontaine: ce que j'ai en moi ne demande qu'à sortir! C'est la vie qui pousse!
_ Mais c'est parce qu' t'as été mal éduqué! Et c'est pour ça que j' suis là! pour t'apprendre les bonnes manières!
_ Mais pourquoi vous ne vous ouvrez pas à la lumière? Elle vous donnerait autant qu'à moi!
_ C'est compliqué... J'ai pas fait beaucoup d'études... et on se moque vite de moi! J'ai le cerveau pourtant, j'suis pas plus bête qu'un autre!
_ C'est par peur alors que vous ne voulez pas de la lumière? C'est pour vous défendre que vous êtes dur?
_ Tu recommences à m'embrouiller! Le tout, c'est que tu restes bien sage! que t'évite de t'agiter! Sinon, je vais être encore obligé de sévir!"
L'homme sortit un poing d'acier de sa poche... "Ecoutez, je vous ai mal jugé, expliqua Cariou. C'est vrai que j' dépasse souvent les bornes! Vous avez raison! Ah! Ah! j' veux être le chef, le numéro un! Faut qu' je sache où est ma place! Et c'est là que les gens comme vous ont tout leur rôle! Vous rétablissez l'ordre, l'harmonie!
_ C'est pas faux!
_ Et je vais donc faire demi-tour et m'en retourner! C'est vous le gardien ici, j'ai pigé!"
Cariou se releva lentement, tête basse, comme tout penaud d'une méprise et il commença à redescendre... "Au revoir!" dit-il à l'homme, qui se contenta juste d'opiner sèchement!
XXX
Cariou n'avait pas voulu affronter le "gardien", parce qu'il ne s'agissait pas de détruire, ni de vaincre! La lumière n'est nullement de la haine, mais de l'amour et de la compréhension! C'est bien pour ça qu'elle rendait heureux! Elle donnait du sens, créait de l'harmonie et chassait la peur! "Mais combien d'homme et de femmes ne sont-ils pas des gardiens? se demanda Cariou. Car depuis ma montée ici je n'ai rencontré que des gardiens! Ils l'étaient tous à leur manière! Mais qu'est-ce qui définit le gardien?
Il ne connaît pas la lumière et empêche les autres de l'atteindre! Il dit que c'est impossible, que la lumière n'existe pas, que le plus urgent, c'est de gagner sa vie, que les désillusions ou la maladie surviennent tôt ou tard! Il y a mille raisons données par le gardien, qui barrent la route de la lumière! Il fait peur pour qu'on rebrousse chemin! Sa haine est palpable et sert d'éteignoir, car la lumière, en apaisant, préserve l'énergie, la vitalité! Celui qui vit dans la lumière rayonne, sa joie est visible et il ne prend pas au sérieux le gardien, qui veut alors le détruire!
Evidemment, la domination est à l'origine du gardien, il ne saurait en être autrement! Le gardien n'est qu'un Dom, avec une domination plus sociable que celle de l'enfant Dom! Mais puisque le gardien vit grâce à sa domination, il ne peut supporter qu'on la menace, qu'on ne la respecte pas! Mais comment la lumière, qui est infinie, pourrait-elle "trembler", se "coucher" devant le gardien! Comment pourrait-elle dire au gardien qu'il est le maître? Comment un nuage ou une fleur pourraient se restreindre au monde du gardien? Cela n'a pas de sens!
Le gardien, voyant qu'on lui échappe, hait donc et d'abord par peur, car la lumière enlève tous les repères du gardien, anéantit sa domination, sa raison de vivre et cette logique est maintenant bien connue! La peur produit l'agressivité et c'est encore celle-ci qui empêche le gardien de chercher, de vouloir la lumière! Il faut sortir du "rang", affronter l'inconnu et d'autres gardiens, etc.! Mais ce n'est pas seulement la peur qui fait que le gardien demeure le gardien!
La domination, se sentir supérieur, important, est évidemment une source de plaisir et la tentation, c'est de ne jamais abandonner son pouvoir; c'est de tout faire pour continuer à goûter sa réussite ou sa sécurité! Il ne viendrait même pas à l'esprit du gardien de renoncer, de perdre et pourquoi le ferait-il, puisqu'il n'aime pas la lumière! Dans un couple, on peut s'améliorer, grandir, consentir à des sacrifices, par amour pour l'autre, mais ce n'est pas encore la lumière, cela reste tout de même égoïste, car en dehors du couple qu'existe-t-il?
Donc, le gardien ne veut ni le bonheur pour lui, ni pour les autres! En cela, il n'est pas excusable! Il ne veut pas du soleil et il dira qu'il n'y a que de l'ombre! Voilà le gardien, son poison! C'est la haine qui signale le gardien! C'est son chien, ses crocs! On ne passe pas! On admire le gardien, sinon on meurt! Le gardien parle de liberté, de raison, mais il rêve de vous faire cuire à la broche, avec de la sauce!
Sacré gardien!"
XXXI
Cariou trouva assez facilement un autre chemin, pour rejoindre la lumière, car il n'en était plus très loin! Il en éprouvait déjà d'ailleurs la douce chaleur! Il connaissait cette paix ineffable, inaltérable, immarcescible! Qu'est-ce qu'on peut craindre, quand on n'est plus esclave de sa domination? C'est une histoire d'amour, de confiance! C'est un pas vers la lumière, c'est beaucoup de doutes, beaucoup d'errances et beaucoup de chagrins, car les gardiens veulent détruire la lumière et ceux qui la représentent!
Ainsi Cariou sentit bientôt un sentiment très désagréable l'envahir, une souffrance pénible, alors qu'il avançait vers la lumière! Il en fut étonné et amer, car il s'attendait à une parfaite tranquillité, nullement à une gêne! Mais la lumière révélait ses blessures, elle y coulait comme du feu, elle réveillait toutes les hantises anciennes! Elle éclairait le cerveau et ce que voyait Cariou l'effarait, ainsi qu'il eût contemplé le massacre interminable d'un champ de bataille!
Son cerveau, invité à la paix, ne pouvait pourtant tenir en place et il est vrai que nous avons peur du vide et que nous cherchons incessamment quelque chose à faire! Mais Cariou voyait tous les instruments de torture, dont son esprit "disposait", et il y avait là de quoi le tuer des milliers de fois, de le briser en deux, puis en quatre, puis en dix, de le réduire en poudre, en cendres et de le balayer par la suite, afin que même dans le vide cosmique il n'en y eût nulle trace, nul souvenir!
C'était beaucoup trop, mais d'où cela venait-il? Mais les gardiens s'étaient acharnés sur lui! Il représentait un obstacle incompréhensible, une borne insondable! Il semblait défier toute domination, alors qu'il n'était encore qu'un enfant! On l'avait donc malmené par peur d'abord, épouvanté par cette étrangeté, mais par sadisme aussi, pour se sentir toujours le plus fort! On avait voulu le soumettre de toutes les manières possibles, quitte à le culpabiliser outrageusement, absurdement! On ne lui avait laissé aucun répit, on avait cherché la moindre faille, mais inexplicablement, il avait résisté!
Au fond, il ne pouvait changer sa nature, mais, s'il semblait à l'extérieur intact, imperturbable, à l'intérieur il était dévasté! Malgré les apparences, il n'était plus qu'une pâte molle, un esprit sanglant, un être hébété! A force d'être coupé au scalpel, son cerveau n'était plus qu'un amas informe et Cariou se demanda par quel miracle il était encore vivant! Qu'est-ce qui tout du long avait pu lui garder une cohérence? Sa raison avait l'air d'un cheveu!
Cariou avait bien conscience qu'il pouvait à tout moment de nouveau se détruire, se mettre en guerre contre lui-même et qu'il n'y avait que le temps pour cautériser tout cela! L'injustice qu'il avait subi lui apparaissait tel un abîme! Mais il s'excusa alors pour certains aspects de son comportement, car il ne mesurait même pas combien la dépression pesait, agissait sur lui! Ses traumatismes avaient encore une action souterraine et il était un peu comme ces jeunes feuilles, qui, au soleil, ont l'air flétries et mêmes mortes, avant de luire totalement!
Il eût dû encore être rempli de haine, à l'égard de tous ceux qui l'avaient meurtri aussi durement, mais la lumière, en lui expliquant les choses, l'apaisait, ne serait-ce que parce que les peurs et la violence se transmettent de génération en génération! La lumière lui donnait bien plus qu'il ne pouvait l'imaginer et le faisait vainqueur, d'autant qu'autour on restait tendu, inquiet et agressif! Sa vengeance, c'était sa joie!
Il en était là de ces réflexions, quand il se sentit tiré par les épaules et il émergea en pleine rue de RAM! Il avait été hissé par une bouche et il se retrouvait aux pieds des deux armoires à glace de Dominator! Il cligna des yeux, ne pouvant croire ce qu'il voyait! "Comment vous m'avez retrouvé les gars? finit-il par demander.
_ On a des indics partout! fit l'un.
_ Le patron veut vous voir! dit l'autre.
_ Bon!"
Cariou tendit la main et on l'aida à se relever! Puis, on monta dans l'autociel et en vol, Cariou soudain s'inquiéta: "Mais dites donc les gars, est-ce que les filles vous ont...?
_ Non! répliqua sèchement celui qui pilotait.
_ On a eu droit aux verges!" lâcha l'autre.
Cariou regarda les deux hommes et éclata de rire! Ils étaient assis sur des coussins, ce qui prouvait qu'ils avaient encore mal!
XXXII
L'enfant Dom Stan Harris était devenu plus sombre, plus amer! Il ne s'enchantait plus de brûler une bibliothèque ou de vandaliser un lieu publique, comme s'il défiait sportivement la société! Il trouvait maintenant cela enfantin, car c'était surtout pour épater la Toile et donc des ados! Harris se sentait plus mûr et voulait être mieux considéré! Quant à scandaliser les pauvres gens, en martyrisant les animaux, c'était sale et trop bizarre! Il n'était pas un retardé mental tout de même!
En fait, la disparition brusque d'Œil d'or l'avait quasiment laissé orphelin! Tant qu'il avait travaillé pour ce personnage, qu'il savait haut placé, il n'avait pas eu l'impression de se diminuer, mais au contraire il se croyait faire partie de l'élite, d'être un affranchi, un maître du jeu! Il jouissait de ce rôle important et secret! Mais la mort d'Œil d'or avait été un choc et du jour au lendemain, il s'était retrouvé sans but!
Pour gagner sa vie, il avait essayé plusieurs postes, serveur, animateur, vendeur, mais à chaque fois il n'était pas resté longtemps, soit il ne supportait pas le patron, soit il était humilié par son faible statut social! Il était placé devant une réalité qui le décontenançait! Il volait aussi, pour ses besoins, mais il n'était pas une fripouille et il n'exultait pas devant le butin! Il était pris par une étrange mélancolie, car n'était-il pas un étranger dans le monde qui l'entourait?
Il eût voulu arrêter le flux des choses, être le centre d'intérêt! Or, la vie était trop grande, trop rapide, trop indifférente! Chacun avait ses plaisirs, allait à ses affaires et le plus souvent ce n'était que niaiseries! Cette fille souriait et elle était moche! Ce cadre pressé roulait des mécaniques et n'était qu'un pantin! Cet homme était méprisant et son ventre tombait presque par terre! C'était la même pièce médiocre, rejouée chaque jour et en tout cas, personne ne pensait à Stan Harris!
Où était le problème? Il n'avait sans doute pas le bagage suffisant, ni surtout les relations pour rejoindre la Tour du Pouvoir, devenir l'un de ces employés qui gravissaient les échelons, jusqu'à se rendre indispensable dans l'ombre des plus grands! Il était condamné à la rue, à l'anonymat! Il était à la merci de l'injure et de la laideur! Il restait seul, car tôt ou tard il faisait fuir les autres et il ne comprenait pas bien pourquoi, mais cette solitude le minait, le désagrégeait, ainsi que le mouvement, devant lui, eût été comme la mer, quand elle se retire en creusant sous les pieds!
Il ressentait une angoisse qui le terrifiait! Il était tout le temps en sueur et devait se cramponner au sol, comme s'il risquait d'être éparpillé brusquement, en une poussière qui se serait dissoute dans l'espace! Il serrait les dents et regardait de plus en plus méchamment les gens! N'étaient-ils pas égoïstes, petits, mesquins? Si lui souffrait, pourquoi pas eux? Il allait leur donner une leçon, leur montrer qui était le maître! On ne s'occupait pas de lui, il détruirait donc! Sa haine était devenue incommensurable!
Il quitta le banc, où il était assis, ouvrit son manteau et libéra le fusil à canon scié, qu'il y avait caché! Ses poches étaient pleines de cartouches, il y avait de quoi faire! Il attaqua bravement, sans pitié et il tira brusquement sur une maman, qui passait avec son enfant! Les deux s'écroulèrent, pleins de sang, et aussitôt la stupeur s'empara des témoins! Un homme, plus vif que les autres, tenta d'intervenir, mais il reçut en pleine poitrine la nouvelle décharge! La panique gagna alors tout le monde et on courait dans tous les sens pour se cacher! Harris continuait à faire feu et il fallut encore dix minutes, avant d'entendre les premières sirènes de la police!
Harris prit conscience que la situation changeait, mais peu lui importait, au contraire! Il s'était mis derrière un pilier, pour recharger son arme, et il se disait qu'il allait en faire voir aux flics aussi! Il vendrait chèrement sa peau et beaucoup de veuves pleureraient ce soir! Il quitta son pilier et sa cervelle vola en éclats! Il venait d'être abattu par un tireur d'élite et avait été tué sur le coup!
Dans la rue, il y avait des gémissements, des morts et du sang qui coulait! C'était une vision de cauchemar!
-
Les enfants Doms (XXIII-XXVII)
- Le 16/07/2022
- 0 commentaire
XXIII
Le professeur Ratamor était dans le bureau de son collègue, Gonflux, le psychologue de l'Université! Cet endroit pouvait très bien se transformer en un cabinet, avec sa porte capitonnée, ses peintures paisibles et son grand divan en cuir! Gonflux y accueillait quiconque le désirait et il écoutait la souffrance, dans le but de la soulager!
Il avait été surpris par la demande de Ratamor, mais maintenant il s'efforçait de mettre à l'aise son visiteur et bien entendu, il avait recours à sa méthode habituelle, qui était de rester silencieux lui-même, comme s'il n'existait pas, afin de libérer la parole, suivant le principe des vases communicants, pour ainsi dire, le plein ne trouvant aucune autre solution que de remplir le vide, c'est-à-dire l'oreille!
Ratamor, de son côté, était de moins en moins sûr de lui: que faisait-il là, chez un collègue en plus? Mais il avait été poussé par le désespoir, il ne devait pas le nier et peut-être qu'au final cette consultation apporterait quelque bien! Cependant, il était gêné par le comportement de Gonflux, qui certes était prêt à écouter, mais qui aussi respirait désagréablement, donnant l'impression d'un nez bouché, et qui surtout avait une fois produit un bruit terrible, comme s'il venait de se casser une dent!
Enfin, le vin était tiré et il fallait le boire, et Ratamor commença: "C'est au sujet d'un étudiant, nommé Piccolo..." Gonflux n'eut aucune réaction et Ratamor poursuivit: "Il veut ma peau, j'en suis sûr!
_ Doucement, doucement, Ratamor! Je te signale, et tu dois t'en douter, que l'affaiblissement psychique conduit volontiers à la paranoïa! Tu exagères sans doute et sitôt que tu auras repris... du poil de la bête, tu riras de tes frayeurs!"
Gonflux n'avait pu s'empêcher d'intervenir, mais il voulait rassurer! " Peut-être, mais ce type est un vrai poison! reprit Ratamor. Il vient de l'enfer, je le sens! Tu crois qu'on paye d'une manière ou d'une autre ses fautes passées!
_ J'avoue que je ne reconnais plus le professeur Ratamor! Le scientifique, le matérialiste exemplaire! Tu divagues, mon cher! Mais explique-moi pourquoi il t'en voudrait personnellement?
_ Je suis fatigué, si fatigué! Il est là dans l'amphi, il attend son heure! J'ai l'impression de voir tout le temps son sourire narquois! Je sais que sa question va venir et cela me rend malade!
_ Mais enfin qu'est-ce qu'il te demande pour te désarçonner à ce point! C'est bien toi le maître, non?
_ Justement!
_ Justement quoi?
_ Il dit qu'il y a une relation entre le pouvoir et la beauté! Autrement dit, plus on a une position dominante, comme celle du maître, et moins on juge la beauté essentielle!
_ Intéressant!
_ Intéressant? C'est tout ce que tu trouves à dire? Ah, parce que tu crois que tu n'es pas concerné, comme si tu n'occupais pas toi-même derrière ce bureau une position de pouvoir?
_ Je suis à l'écoute de mes patients...
_ Allons, allons, tu n'éprouves donc pas une secrète satisfaction de me recevoir, moi, Ratamor, un de tes collègues?
_ Comment t'as dit qu'il s'appelait ton étudiant? Piccolo? Aussi mauvais qu'un cancrelat, j' parie! Faut l'écraser, c'est tout!"
XXIV
Cariou cherchait toujours à s'orienter et il guettait le moindre bruit, le plus petit signe qui aurait pu le renseigner sur la direction à prendre! Soudain, il se figea, car il venait de voir une ombre furtive! Il doutait de sa vision, tellement cela avait été rapide, mais maintenant il distinguait parfaitement un rat, quasiment aussi gros qu'un chat!
Cariou était caché dans son boyau et il observait tout à son aise l'animal! Qu'allait faire celui-ci? N'était-il pas en route vers la surface, pour faire ses délices d'une poubelle? En un bon, le rat atteignit une niche, d'où il surveilla les alentours, puis encore un saut et il disparut par une bouche située à plus de trois mètres de haut! Si Cariou ne l'avait pas vu de ses propres yeux, il ne l'aurait jamais cru! Même un chat n'aurait pas réussi ce qui avait paru comme un simple jeu!
"Un jour ou l'autre, nous devrons combattre "pied à pied" les rats!" se dit Cariou, qui à présent considérait la bouche... Elle n'était pas inaccessible, car d'anciennes attaches de fer pouvaient servir de prises et Cariou se hissa tant bien que mal! Il était en train de grimacer quand, par l'ouverture, il reçut de l'air frais! "Ce n'est pas possible!" s'écria-t-il et galvanisé, il se glissa dans un conduit étroit, qui imposait de ramper, mais dont on apercevait la sortie!
Ce que découvrit Cariou le stupéfia! Il était dans un puits, immense et apparemment sans fond! Tout était noir vers le bas, mais le haut effectivement s'éclairait, sous un toit translucide! La lumière du jour! Il y avait du progrès! Mais les parois étaient abruptes... Pourtant, il y avait en face une rampe, qui montait en colimaçon, autour du vide, et qui devait normalement passer sous Cariou! Il baissa la tête et jugea qu'il suffisait de se laisser glisser, pour l'atteindre!
Il y eut encore un peu de gymnastique et de sueur, mais enfin Cariou fut sur la rampe, d'où on sentait le vide quasiment tel un bruit! La voie était cependant assez large, pour deux personnes, et Cariou s'aperçut qu'il n'était pas seul, mais que d'autres montaient comme lui, quoique leur allure terne, fermée, les eût rendus invisibles jusque-là! Il s'intéressa au premier d'entre eux et lui demanda peut-être maladroitement: "Alors vous aussi, vous grimpez vers la lumière, hein?
_ Sachez que je n'en ai rien à faire de la lumière! lui répondit celui-ci. Je sais ce que je vaux et combien on me doit! Si seulement on m'écoutait!
_ Mais... mais..."
Cariou n'eut pas le temps de finir sa phrase, car l'homme ouvrit soudain de grands yeux! Ce fut comme si le vide le saisissait, le tirait en arrière et Cariou voulut l'aider, mais déjà il chutait et l'ombre du fond l'engloutissait! Son cri avait retenti et Cariou contre la paroi essayait de se calmer! A cet instant, un autre individu montait et Cariou le regarda: c'était le même homme que celui qui venait de tomber! Il avait un visage tout semblable!
Cariou, d'un voix encore tremblante, lui dit: "Vous... vous avez vu? Quelqu'un... Il vous ressemblait d'ailleurs!
_ Impossible! Je suis unique! Laissez-moi passer! Je sais ce que je vaux et combien on me doit!
_ Mais... mais...
_ Il n'y a pas de mais! On m'attend!"
L'homme s'arrêta là, car, comme le précédent, il fut aspiré par le vide et l'horreur lue dans ses yeux disparut elle aussi! "Ils tombent et ils remontent! Il y a quelque chose dont ils sont prisonniers apparemment!" se murmura Cariou, qui se mit à escalader la rampe avec entrain!
XXV
Andrea Fiala venait d'apprendre la mort de Macamo et elle était triste! Elle avait peur aussi... Elle avait peur de la bêtise, de l'obstination, qui conduisait à la violence! "Car derrière nos rages et nos colères se cachent toujours notre domination, la soif de notre égoïsme!" pensait-elle. Au souvenir de Macamo, elle en voulait à ceux qui cachent leur ambition, toute l'avidité de leur amour-propre, sous l'étendard de la justice sociale! En se faisant le défenseur des plus faibles, on pouvait exprimer toute sa rancœur, toute sa haine impunément!
On faisait croire qu'on était transparent, juste au service de la justice! On abusait et les autres et soi-même, sous les airs du chevalier blanc! On avait toute liberté pour se laisser aller, ne pas se contraindre et on n'évoluait pas! La preuve, c'est qu'on s'emportait à la moindre déconvenue, car on était encore un enfant! "Il n'y a pas de sagesse sans patience, sans prendre conscience de l'immensité des choses et de leur complexité!" songeait Andrea.
Mais on excusait encore ses emportements, car on parlait au nom du pauvre et de ce côté n'y avait-il pas urgence? On s'admirait, on s'écoutait parler, on enflammait les autres pour mieux se grandir et on semait les germes de la violence, de la révolte qui n'était au fond que celle de la domination frustrée! On voulait le pouvoir, le contrôle du monde et on ne guérissait pas de sa peur!
Andrea, pour se consoler et penser toujours à Macamo, lui semblait-elle, se mit à écrire sur l'économie: "Un pays fonctionne grâce à ses services, son administration et sa protection sociale! Pour payer cela, il faut des cotisations et des impôts! Des salariés et des entreprises sont donc nécessaires! L'argent doit circuler et être motivant! Ceux qui prennent le patronat pour ennemi se coupe la moitié du corps!
Le communisme n'a jamais été viable économiquement! Il n'est pas rentable et s'il a survécu aussi longtemps, c'est en exploitant sa population! Jamais un régime n'a autant asservi les gens, alors que son but était la fraternité! La réserve d'or de Moscou vient des milliers de morts de la Kolyma! On a écrasé l'être humain et son souvenir même s'est effacé!
C'est toujours la domination qui nous pousse et on se trompe sur soi en se donnant un ennemi, en l'occurrence le riche, le profiteur, la capitaliste! Si celui-ci existe, c'est parce qu'il est en chacun de nous! On ne peut pas comprendre cela, si on ne lutte pas contre soi-même! On reste dans une illusion et illogique, tant qu'on ne se voit pas tel qu'on est!
Le libéralisme permet le développement du pays, mais ses abus sont les nôtres! Le puissant qui n'en a jamais assez, qui veut échapper à l'impôt et qui méprise plus petit que lui, c'est le syndicaliste qui hait parce qu'il n'est pas le maître! C'est le marginal qui roule des mécaniques avec sa canette! C'est le SDF qui en tue un autre pour s'emparer d'un manteau! C'est le commerçant qui joue les notables!
C'est tout la bulle de la domination, sa maladie qui place la société dans une impasse! Certes, pour corriger nos comportement, il y a les lois et on voit comme elles doivent évoluer face à l'évasion fiscale des multinationales! Mais ce sont toujours d'autres nous-mêmes que nous fustigeons! Ce sont nos frères que nous voulons abattre! Mais, si nous sommes autant dangereux et repoussants, pourquoi ne changeons-nous pas?"
XXVI
Cariou montait, montait, mais il n'adressait plus la parole au même personnage, qu'il dépassait régulièrement! Il ne voulait pas que celui-ci, par ses propos, fût entraîné dans le vide! Bien que cela parût sans danger, la scène ne laissait pas d'être insoutenable!
Mais bientôt il y eut d'autres personnes... Elles étaient contre la paroi et elles ne bougeaient pas! Elles avaient l'air hostiles, narquoises... Elles semblaient défier celui qui arrivait! Cariou essaya de passer sans s'arrêter, mais il fut aussitôt interpellé! "Où c'est qu'on va comme ça? jeta l'un.
_ Mais je monte, répondit poliment Cariou._ Ah! Ah! Il monte!" se moqua l'individu et tout le monde éclata de rire.
"Mais y a rien là-haut! s'écria un autre.
_ Mais je vois de la lumière et j'ai besoin d'air! répondit Cariou.
_ Tu veux faire l'important, c'est tout!
_ Ouais, le gars se croit meilleur que nous!
_ Mais pas du tout! répliqua Cariou. Et d'ailleurs je ne vous connais pas..., mais c'est peut-être ça le problème, non?
_ Qu'est-ce que tu veux dire?
_ Ben, pourquoi vous montez pas tous vers la lumière, pour respirer, vous éclater!
_ Pfff! C'est pas meilleur qu'ici! Et nous, on est bien ici, hein, les gars?
_ Ouais! Ouais! firent les autres en opinant fortement.
_ Mais si vous étiez heureux, vous ne seriez pas agressifs! répondit Cariou.
_ Mais on n'est pas agressif! C'est toi qui fais toute une histoire!
_ Ah bon, je peux monter librement? J'ai passé le contrôle?
_ T'es véritablement un bouseux!
_ Et si je vous aidais les gars? renchérit Cariou. Car visiblement vous n'avez pas de jus!
_ Eh! Y a le benêt qui veut nous aider les gars!
_ Ah! Ah!
_ Vous savez pourquoi vous n'avez pas d' jus?
_ D'où tu tiens qu'on n'a pas de jus, comme tu dis!
_ Mais vous êtes là amorphes, comme paralysés, d'où votre haine! Vous n'avez pas la force de monter et au lieu de chercher pourquoi, vous empêcher les autres de le faire!
_ D'accord, l'affreux! Alors t'as la science infuse et tu vas nous éclairer!
_ Mais justement, votre problème, c'est que vous ramenez tout à vous! Vous n'aimez pas les autres! Vous voulez vous imposer et cela vous tourmente! Vous ne savez pas vous reposer, car votre réussite vous mine! Or, qu'est-ce que ça peut faire? Pourquoi vous ne vous enchantez pas de la vie?
_ Mais y a des tas de choses graves! Y a des gens qui souffrent!
_ Et c'est vos gueules fermées et patibulaires qui vont les aider, leur redonner de l'espoir?
_ Oh! Oh! J'ai jamais dit que t' avais le droit de nous gonfler!
_ Que Sa Seigneurie m'excuse, d'autant qu'elle a peur!
_ Peur? Peur de quoi?
_ Mais peur de la lumière, de la liberté, de la grandeur!
_ Barre-toi! J' sens que je vais devenir violent!"
Cariou hocha la tête et passa devant les autres, qui soit baissaient la tête, soit le regardaient avec haine!, Puis, ce fut des femmes qui l'agrippèrent, en disant: "Ne va pas plus loin, c'est dangereux! Reste avec nous! Tu verras, on prendra du bon temps!" Cariou se débattait et regardait ces visages abîmés avec compassion! Il eût envie de les ranimer, de leur redonner de la confiance et de la joie, mais ces femmes étaient comme les hommes précédents: elles ne voulaient pas évoluer! Elles étaient vissées à elles-mêmes, comme les balanes à une coque! C'était un abîme et on ne pouvait les sauver!
Cariou se libéra, avec un frisson et reprit son ascension! "Quelle folie! se dit-il. Elles pourraient être heureuses!"
XXVII
Cariou se sentit soudain las, car tous ces combats, pour gagner la lumière, l'avaient épuisé! Il se rendit compte qu'il marchait dans une sorte de colle et qu'il devait arracher chacun de ses pieds! Il continuait pourtant d'avancer, au prix de grands efforts, et il voyait à côté des horreurs, car certains étaient restés figés, incapables de se dégager et il ne restait plus que leur squelette!
Cariou ne s'en laissa pas démonter, même si les crânes autour racontaient chacun une histoire! Qu'aurait pu dire celui-ci? Qu'il avait une maladie, qui l'avait empêché d'aller plus loin? Et celui-là? Qu'on ne lui avait pas donné le bon coup de pouce, qu'il n'avait jamais rien reçu? L'air était plein de l'écho des morts et à les écouter, on se serait perdu soi-même!
Cariou avait appris la patience et les terreurs de la nuit l'avaient fortifié! Il n'allait pas s'apitoyer sur lui-même et la haine n'était pas pour lui! Il perçut un sol plus ferme et il passa le bourbier! C'était plus fort que lui, comme si un souffle le transportait, le soutenait! La vie apparemment débordait de sa personne, voulait s'étendre, se répandre et il échappait à tous les obstacles!
Plus loin, il y avait un certain tapage: c'était des livres animés, qui parlaient, discutaient! Cariou s'approcha pour écouter et l'un disait: "La substantialité est dans le matérialisme! Attention! Je ne dis pas que c'est coexistant! Mais plutôt analogique! Ce serait une sorte de réalité repliée, diffuse, parallèle! Voilà le but! La solution!" Les autres livres s'agitèrent, opinèrent, échangèrent!
C'était un beau brouhaha, mais qui n'intéressait pas Cariou et il s'efforça de passer discrètement! "Vous là! fit le livre qui avait parlé. On ne vous intéresse pas! Vous vous sentez peut-être supérieur?
_ Non, non, répondit Cariou, mais j'ai autre chose à faire!
_ Autre chose à faire! Voilà qui est amusant! Nous réfléchissons ici sur le sens de la vie et monsieur a autre chose à faire!"
Les autres livres furent alertés et prirent un air sévère, à l'égard de Cariou! "Oh! mais vous êtes beaucoup trop savants pour moi! répliqua Cariou! Dès que je dois forcer un peu mon esprit, je deviens idiot!
_ Mais c'est déjà très bien de le reconnaître! (Les autres livres approuvèrent.) Mais si vous voulez, je peux me montrer infiniment plus simple...
_ Non, vraiment non, je vous en remercie, mais cela ne m'intéresse pas!
_ Et qu'est-ce qui vous intéresse alors? manger, le sexe, respirer peut-être? (Les autres livres rirent.)
_ Mais vous n'avez pas besoin de moi, n'est-ce pas? Des gens aussi importants que vous ont déjà tant à faire! Je vous demande de me laisser dans mon ignorance crasse, s'il vous plaît!
_ Eh bien soit! La lie reste la lie!"
Cariou allait s'en aller, quand un livre l'accrocha au passage: "Tu n'aimes pas le maître? fit-il. Pour qui tu te prends?" et il gifla Cariou avec ses pages! Cariou recula, choqué, puis il dit: "Vous savez la violence est toujours un signe de bêtise, d'impuissance! Si vos idées étaient justes, vous seriez en paix avec vous-mêmes!
_ Il n'a pas tort! intervint le livre maître. Ne vous occupez pas de lui (il désignait Cariou)! Venez plutôt voir mon dernier prix!"
Tous les livres se groupèrent autour du maître, pour regarder un objet brillant, pendu à sa couverture et Cariou en profita pour s'éclipser! Il se caressa la joue, car il sentait encore la gifle! "Des coqs! songea Cariou. Ce sont de véritables coqs!" L'amertume l'effleura, mais il n'en continua pas moins son ascension et il regardait la lumière, quand un homme de deux mètres de haut, se dressa entre elle et lui!
"Où vas-tu?" demanda le géant, qui portait une robe. Sa voix était douce, mais toute son allure dégageait une menace! "Je vais vers la lumière, répondit Cariou.
_ C'est bien, très bien même, car rares sont ceux qui font comme toi de nos jours!
_ Oui, oui, mais excusez-moi, je suis pressé d'arriver!
_ Halte, malheureux! (Le géant bloquait maintenant le passage.) La lumière est sacrée et elle demande de l'humilité! On ne va pas à elle comme ça! Il faut être pur! A genoux et prions, pour que la lumière accepte ton âme!
_ Ben non, la lumière est mon amie et je l'aime comme elle m'aime! J'ai pas besoin de prier et je vous prie de me laisser passer!
_ Co... comment? Tu me réponds sur ce ton?
_ C'est vous qui manquez de simplicité... et qui n'êtes pas pur! Vous vous faites le gardien ici et la lumière n'aime pas le pouvoir!
_ Mais... mais il faut bien que quelqu'un fasse respecter le sacré!
_ Mais non, le sacré arrivera bien à s'occuper de lui-même! Vous ne doutez pas du pouvoir de la lumière tout de même!
_ Non, bien entendu!
_ A la bonne heure! Vous savez, parler de la lumière avec amour, c'est très bon et ça fait même du bien! Mais devenir agressif en son nom, tsss! tsss!
_ Mais tu me fais la leçon, ma parole! J'ai l'impression que tu manques de discipline! (Le géant se saisit d'un bâton.) Quand la viande est trop ferme, on la bat un peu, pour l'adoucir!
_ Ne me tentez pas! Je serais obligé de vous donner une fessée!
_ La mesure est comble! C'est l'heure du châtiment!
_ Pauvre lumière!"
A ce stade, Cariou se jeta sous la robe du géant et passa en dessous! Avant même que l'autre ne tournât son immense masse, Cariou lui projetait ses deux pieds dans le derrière! Le géant fut surpris et piqua vers l'avant, puis il se mit à rouler sur la pente! "Sacrée chute!" murmura Cariou et il s'épousseta, pour repartir de plus belle!
-
Les enfants Doms (XVIII-XXII)
- Le 09/07/2022
- 0 commentaire
XVIII
Cariou s'attendait désormais à voir le tunnel remonter, puisque certains apparemment vivaient par ici et avaient besoin de courses, mais on avançait toujours à la même hauteur, avec le même éclairage désespérément monotone, ce qui à force finissait par angoisser, car on avait l'impression que c'était interminable!
Soudain, Cariou tendit l'oreille: il entendait de la musique, enfin un battement sourd... On eût dit du tam-tam électronique! Il y avait là quelque chose de tribal et d'impérieux! comme si on appelait à la guerre dans le cosmos! Essayait-on de réveiller quelque force maléfique? Un sentiment inquiétant submergea Cariou, qui pressa le pas! Paradoxalement, il voulait maintenant connaître à tout prix le danger qu'il suspectait! Il fallait qu'il l'analysât!
Il fut devant une vieille porte en fer, bien rouillée, mais elle s'ouvrit quand il en abaissa la poignée et la tira vers lui! Dès lors, la musique devint épouvantable! Elle perçait les oreilles et plongeait dans une sorte d'enfer! Peu à peu, un spectacle s'offrit à la vue de Cariou et il profitait d'être dans l'ombre, pour rassasier ses yeux! Dans un immense salle, des hommes et des femmes dansaient! Mais ils avaient tous les mêmes mouvements, bien disciplinés! Leur coordination était parfaite et rappelait les défilés militaires!
C'était déjà assez stupéfiant, mais ce qui glaça Cariou, c'était que chacun avait un masque de loup! Cela donnait à la scène un aspect terrifiant! Des lumières changeantes éclairaient des museaux, des dents, une peau grise, des yeux de braise! La vigueur des danseurs devenait cruelle, sinistre! Tout d'un coup, la musique cessa et les corps s'arrêtèrent! Un homme-loup, vêtu d'une cape brillante, monta sur un estrade et commença un discours!
"Le monde s'écroule! Guerre là-bas, violences ici! Partout le chaos règne, comme si nous étions la proie de forces obscures! Décadence, corruption! La nuit s'avance et il n'y a nulle lumière! Qui mettra de l'ordre, sinon nous-mêmes? Veut-on nos familles traînées dans la boue, dans le besoin? Veut-on notre pays envahi par des étrangers? Veut-on disparaître? L'ordre c'est nous! La salut c'est nous! Nous les loups!"
A cet instant, l'assemblée, surtout constituée de jeunes, se frappa le cœur en scandant: "Loup! Loup! Loup!" Puis d'un geste, l'orateur fit revenir le silence et il reprit: "La nature nous l'apprend, c'est le plus fort qui règne! C'est lui qui fait la loi! C'est lui qui fait l'ordre! Or, nous sommes les plus forts! Nous n'avons pas peur! Nous rétablirons l'ordre, c'est notre destinée, à nous, les loups!"
De nouveau, l'auditoire se mit à crier: "Loup! Loup!", mais soudain il y eut un long hurlement discordant! C'était une alerte et la lumière se braqua subitement sur Cariou: il était découvert! Instinctivement, il recula... Son sang battait à tout rompre! Il regarda autour de lui et aperçut une échelle, fixée au mur et qui montait dans une sorte de boyau! Il courut vers elle et commença à monter!
Il avait l'impression d'agir au ralenti, tellement il se sentait lent et nerveux! Peut-être l'imaginait-il, mais il lui semblait entendre des grognements sous lui et en tout cas "Loup! Loup!" résonnait partout! On lui saisit un pied et l'épouvante le gagna, mais il était en position de force et il écrasa une main, sans vergogne! Il jeta même un coup d'œil vers le bas, avant de frapper à la tête son poursuivant le plus proche, et il dut surmonter son dégoût, car le masque de bête était effrayant!
Il avait détendu son pied le plus durement possible et son adversaire, sous le coup, lâcha prise et s'écroula sur ceux qui le suivaient! Cariou en profita pour monter plus à l'aise et en haut il tremblait moins! On était à un étage supérieur et l'ouverture de l'échelle se fermait avec une trappe, que Cariou rabattit immédiatement et verrouilla grâce à une barre de fer! Mais il ne se sentait nullement en sécurité: "ils" pouvaient surgir à tout moment!
Une autre échelle commençait tout près et Cariou l'emprunta. De nouveau, il dut se concentrer, se calmer et il émergea devant un tunnel plus étroit. Il n'y avait là aucune fermeture pour l'échelle et Cariou s'enfonça sans tarder dans cet autre "tuyau"! Il devait se tenir courbé et il avançait tel un singe! L'obscurité n'était pas totale, car des vapeurs montaient de grilles, comme si le sol avait été ajouré!
En sueur et sale, Cariou s'arrêta... Il avait assez couru, lui semblait-il et seulement à ce moment-là, il se rendit compte du silence! "Eh bien, on n'a pas fini d'en voir!" se dit-il et il éclata de rire, mais c'était nerveux!
XIX
"Dis grand-père...", mais le grand-père n'écoutait pas! Il rêvait à un poème, qui racontait sa solitude, sa tristesse, mais aussi sa résistance face à la folie du monde, son ignorance et sa vanité!
Le poème utilisait un univers dans lequel le grand-père se plaisait à cet instant! Son imagination y trouvait son compte, car on n'écrivait pas des poèmes pour donner des leçons! Il fallait sentir le souffle de l'esprit, sa puissance et c'était aussi cela qui emportait le lecteur, l'éclairait! Le grand-père devait d'abord aimer ce qu'il faisait, s'il voulait intéresser les autres!
Peu à peu les vers se formaient derrière ses yeux fermés et leur résonnance aidait à leur création, comme un alpiniste met un piton, puis un autre! Cela n'avait rien d'artificiel, bien au contraire, c'était un chant, une musique, avec pour seul instrument le cerveau!
L'AZTEQUE
Aux ramées de la jungle,
Le jour brumeux se prend
Et un oiseau qui cingle
Lance un cri térébrant!
L'herbe éteint la terrasse
Du grand téocalli,
Effaçant de la race
Du soleil les folies!
Pourtant, après un porche,
Plus loin que les serpents,
Un homme au feu des torches
En rayons se répand!
XX
L'enfant Dom était de nouveau en compagnie du Magicien et ils cheminaient sous le couvert... Des taches de lumière parsemaient l'ombre des talus, ainsi qu'une piste de danse et toute la nature semblait fêter l'été! Des oiseaux chantaient à tue-tête et passaient de buissons en buissons, quitte à frôler les deux hommes! On avait un sentiment de profusion, de joie commune, d'effervescence générale!
La vie était partout! triomphante! Dans le chemin pleuvait du pollen, tellement qu'il paraissait de la neige! Les hirondelles "valsaient" sur les blés mûrs, qui s'orangeaient de lumière, ou bien elles buvaient à la rivière, découpant la surface comme des ciseaux! Ici, tournoyaient dans l'eau des points d'or et puis soudain un grand plouf: un poisson avalait des insectes, ainsi qu'il eût pu quitter son élément!
Chaque fleur était un point coloré et il eut fallu une vie pour décrire la délicatesse de celle-ci ou de celle-là! La lumière rendait transparent le pétale rose, comme s'il avait été caressé, ou bien faisait éclater ce pissenlit, tel un soleil sauvage! Magnificence était le mot qui venait à l'esprit! Dans les calices, des blancs se fondaient dans des jaunes! Les bleus les plus vifs surgissaient sans nuire à l'harmonie! Des bourdons rayés récoltaient avec une persévérance sourde!
Il était impossible de ne pas voir à chaque fois quelque chose de nouveau! Il suffisait de regarder et on était surpris! Des milliers de petites histoires se déroulaient, pour le même concert, celui de la vie, étonnante, merveilleuse, incroyable! L'enfant Dom découvrait, ouvrait de grands yeux, sous l'œil bienveillant du Magicien! Il semblait se rassasier d'un "plat" oublié, perdu! Il apprenait à respirer, à respecter, à aimer! Il goûtait le silence, l'attente, les mouvements! Il se reposait, il se réconciliait avec lui-même et le monde! C'était plus fort que lui, car toute la nature chantait et l'emportait!
Il avait l'impression d'être dans un immense navire, mais soudain au moment où il s'y attendait le moins, il se retrouva en plein dans une rue de RAM! Il fut saisi, bien que le Magicien ne l'eût pas quitté! C'était sale, bruyant et agressif! Il y avait des tas de choses aux couleurs criardes et qui violentaient la vue! D'un coup, c'était devenu irrespirable, tendu! Mais surtout, l'enfant Dom regardait ses contemporains! Il n'y avait aucune joie chez eux! Ils allaient le visage fermé!
Certains levèrent les yeux sur lui et il vit de la peur, de l'effarement, une détresse infinie! "Mais qu'est-ce...?" se demanda-t-il, mais d'autres passaient pesamment, traînant, comme s'ils étaient les victimes de quelque catastrophe nucléaire! Cela paraissait incompréhensible à l'enfant Dom, mais peu à peu, devant sa surprise et la différence qui émanait de lui, il sentit qu'on le haïssait! Des gens maintenant le fixaient de haut, avec agressivité! Ils étaient pleins de mépris!
"Mais ce n'est pas possible! s'écria l'enfant Dom tourné vers le Magicien. Comment pouvons-nous vivre ainsi? Tout à l'heure, il y avait toute cette beauté, cette harmonie même! J'étais dans une paix magnifique! Et maintenant, je ne vois que misère, haine et saleté! Comment pouvons-nous nous manquer autant de respect? être aussi aveugles, aussi fous?"
A cet instant, Owen Sullivan se rendit compte qu'il avait abandonné le Métavers et qu'il regardait Macamo! Il y avait dans ses yeux une profonde incompréhension et un sentiment de révolte! "C'est parce que nous sommes perdus! répondit Macamo. Nous ne savons pas où nous sommes et nous nous piétinons! C'est pourquoi nous devons aimer les autres, car ce n'est qu'en les rassurant que nous pouvons les changer!
_ Mais la haine... La haine!
_ Oui, elle est dure! Mais plus vous grandirez et plus vous aurez pitié d'elle!"
XXI
Dominator était de plus en plus inquiet! Les situations économiques et sociales se dégradaient à grande vitesse! Une ancienne angoisse, datant de l'enfance revisitait le maître de RAM! C'était celle produite par l'insécurité, l'instabilité! En effet, si Dominator perdait le pouvoir, à cause des troubles actuels, il se retrouverait à la rue, pour ainsi dire! Il n'avait pas de formation, de métier et s'il avait bien essayé d'amasser un petit pactole, celui-ci avait disparu lors d'une escroquerie boursière!
L'homme avait l'impression d'être à nouveau l'enfant vulnérable, en proie à la faim et à la cruauté du monde, qu'il avait été! Il n'avait pas le choix, pour ne pas être renversé, il devait composer avec le Parlement! Celui-ci avait été jusqu'à présent à sa botte! Dominator avait aidé des hommes puissants, dans leurs affaires, et ceux-ci, par leur influence, avaient su diriger l'Assemblée! Mais cette époque était révolue! L'argent devenait rare ou bien on ne s'en sortait que grâce à la fraude fiscale!
Les alliés de Dominator jonglaient avec les règlements, étaient aussi fuyants que des poissons, pour ne pas payer d'impôts, mais le prix à payer, c'était qu'ils n'étaient plus aimés et qu'ils avaient perdu toute crédibilité, auprès des habitants de RAM! Les partis traditionnels reprenaient les rênes du Parlement, d'autant qu'ils étaient poussés par l'insatisfaction générale! Il fallait traiter avec eux, pour trouver une solution à la crise! La transparence calmerait la population, qui verrait elle-même qu'il n'y avait pas de solutions miracles!
Dominator soupira... Il se rappela l'histoire des partis, pour retrouver comment leur parler au mieux! La droite était issue de l'ancienne monarchie, qui avait le pouvoir et l'argent! C'était donc le parti des conservateurs, qui ne voulaient pas que la situation change, puisqu'elle leur convenait! Mais c'était encore le choix des ruraux, qui préféraient l'ordre à l'agitation de villes!
La gauche, au contraire, venait du peuple asservi et de sa révolte contre les puissants et les nantis! Elle voulait la justice sociale, l'égalité et elle gardait la hantise d'être à nouveau exploitée! On voyait dans ses rangs des réformateurs sincères, mais aussi toutes sortes d'agitateurs, de mécontents incurables, qui ne rêvaient que de destruction! La droite et la gauche étaient comme chiens et chats et Dominator se voyait mal jouer les arbitres!
Mais enfin il avait convoqué les représentants des deux partis et il les invita à s'asseoir! Il y avait là Morny pour la droite et Durin pour la gauche. Ils étaient à l'image de leurs convictions: Morny, avec sa cravate, semblait les convenances incarnées, tandis que Durin, plus débraillé, voulait montrer qu'il n'était pas soumis! Ils se combattaient depuis des siècles, comme si l'égalité existait ou que l'injustice était supportable!
"Messieurs, dit Dominator, je vous ai exposé la situation et vous voyez comme elle est grave! Nous ne pourrons pas en sortir, sans solutions communes!
_ Vous oubliez une chose, dit Morny, c'est la montée de l'extrême gauche! C'est elle qui est déjà dans la rue, en train de casser!
_ Pardon, pardon! fit Durin. Mais cette violence est une réaction face au mépris de la droite, sous l'influence grandissante d'une extrême raciste!
_ Allez vous plaindre! répondit Morny. Quand nous avons proposé la nouvelle loi pour le pouvoir d'achat, vous avez voté contre!
_ Et comment, puisqu'elle n'entamait en rien vos privilèges!
_ Une minute! Nous payons nos impôts comme tout le monde!
_ La belle affaire! Ils ne sont pas en proportion de vos fortunes! Le peuple, lui, tire la langue!"
Les deux hommes continuaient, mais Dominator, malgré lui, s'était assoupi!
XXII
Des manifestations violentes éclataient un peu partout dans RAM et devant le siège d'Adofusion, quelqu'un s'écria: "Voilà la maison des exploiteurs! Voilà où va l'argent! Entrons et détruisons ce fief du capitalisme!" Il y eut de l'approbation et on força les portes! Les gardiens et des employés durent reculer! Le chaos était indescriptible: pendant que la majorité poussait, d'autres cassaient sur les côtés!
A cet instant, Macamo sortit de l'ascenseur et avant même de comprendre quoi que ce fût, il se retrouva coincé contre le mur! Il se débattit, pareil à des collègues, mais une vague le fit chanceler et il ne pouvait plus respirer! Enfin, le service de sécurité parvint à chasser les manifestants, tandis que des sirènes de police retentissaient! La situation se calma et on procéda à quelques interpellations, mais le bilan était très lourd!
Il y avait deux morts, dont Macamo, et d'autres étaient dans un état grave! On vint avertir Owen Sullivan, qui fut frappé comme par la foudre, car Macamo était devenu un ami! Après avoir constaté lui-même l'ampleur du drame, Sullivan eut soudain besoin de retrouver le Métavers et le monde de Macamo, pour avoir ainsi l'impression que celui-ci était toujours vivant!
D'ailleurs, le Magicien n'était-il pas devenu la réincarnation de son créateur, si bien que l'enfant Dom pleurait à grosses larmes à côté de lui? Le duo était de nouveau assis au bord du ruisseau, comme il l'avait été tant de fois auparavant, mais l'enfant Dom était désormais terrassé par le chagrin! Il avait le sentiment d'un vide inexprimable, déchirant! L'amertume était en lui à son comble et créait un dégoût infini! L'enfant Dom n'était plus qu'une plaie, une plainte, un océan de tristesse!
Le Magicien ne disait rien, il attendait... Sullivan sanglotait encore... L'injustice continuait de le tarauder... Plus loin, on entendait le frémissement de grands peupliers, comme si la mer avait bercé toute chose! Le silence, la paix peu à peu entrait dans l'enfant Dom et juste à ce moment-là, une demoiselle se posa sur son genou! Elle avait l'air de dire: "Alors ça va pas? On a du chagrin? Pauvre garçon!"
L'enfant Dom lui sourit, même s'il la savait indifférente, mais c'était plus fort que lui, car elle était trop jolie, trop drôle aussi! On avait toujours l'impression qu'elle et ses congénères sortaient d'un conte de fées! L'enfant Dom soupira et regarda autour de lui... Il avait cessé de pleurer, bien que sa colère demeurât! Le ruisseau pourtant lui murmurait quelque chose d'apaisant et c'était un secret!
Soudain, l'enfant Dom prit conscience que la beauté n'était pas un plus, un atout supplémentaire, mais que l'homme était en elle tout le temps! C'était les tribulations, les égarements de la société qui pouvaient faire croire le contraire! On ne quittait pas la nature, ni la beauté! Macamo n'était pas perdu, il était toujours là!
C'était la peur qui créait l'égoïsme et qui rendait méfiant! La véritable mort était le refroidissement du cœur, le culte de soi! Le drame, c'était la haine, la méchanceté! Cela parut si évident à l'enfant Dom qu'il s'endormit!