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  • Paschic (15-19)

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             "Eh! Mais dis donc!" Si tu m'avais dit ça, j' rais pas allé m'empaler sur les Djian!"

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    Paschic a trouvé une case dans le Labyrinthe, où il est heureux ! Il a un uniforme bleu, un chef et tient un balai ! Le chef passe le matin, forme des équipes et dit : « Vous, vous faites ce secteur ! Vous autres celui-là » et ainsi de suite ! Paschic est tranquille : il sait ce qu’il doit faire… et il commence son travail le cœur léger ! Il va ni trop vite, ni trop lentement ! C’est bien fait, en accord avec les horaires ! Quand la journée est terminée, la tâche elle aussi est finie et on peut parler d’une vie harmonieuse, en règle, avec un salaire, des cotisations… Jamais Paschic n’a été aussi paisible !

    Ses idées elles-mêmes ont changé, se sont simplifiées… Paschic est désormais d’accord avec tout le monde ! Il plaint ses collègues qui sont restés ombrageux, amers ! Mieux, il ne les comprend même plus ! Lui se distrait en jouant au tiercé, il espère gagner et cela l’occupe tout entier ! Ce jour-là est particulier, car le chef annonce la visite de la Machine dans la ville ! C’est un honneur et même un bonheur ! La parfaite sécurité qu’éprouve Paschic est bien entendu l’œuvre de la Machine et il lui en est pleinement reconnaissant ! C’est le pouvoir de la Machine qui assure la stabilité du pays !

    A l’heure dite, Paschic, libéré exceptionnellement de son travail, est sur le parcours de la Machine… Comme les autres, il est enthousiaste et crie : « Vive la machine ! Vive la Machine ! » L’ambiance est à la fête : on jette des cotillons et la Machine sourit devant sa population ! Le cœur de Paschic se gonfle de joie et il est abordé par Lapsie, qui le reconnaît et qui fait partie des collaboratrices de la machine… « Alors, Paschic, tu as l’air heureux, n’est-ce pas ? dit-elle.

    _ Oui, oui, c’est un jour merveilleux ! Vive la Machine !

    _ Ah ! Ah ! Où sont tes cauchemars d’hier ? Tu vois, en travaillant sur soi, on arrive à s’intégrer, à goûter le bonheur !

    _ Bien sûr, j’étais égoïste et aveugle ! victime de mes phobies ! J’ai maintenant quelqu’un dans ma vie… et on va sans doute se marier et avoir des enfants !

    _ Toutes mes félicitations, Paschic !

    _ Vous savez, c’est un peu grâce à vous et à la psychologie que j’ai pu m’en sortir et je vous en remercie !

    _ Merci, Paschic, mais je peux peut-être faire encore davantage pour toi ! Je vois que tu as la première barrette du balayeur… Je peux demander que tu obtiennes la deuxième !

    _ Non, c’est pas vrai ! Vous feriez ça ? Mais ce serait le paradis !

    _ On en reparle après le discours de la Machine, si tu veux bien… Sais-tu qu’il y a un feu d’artifice ce soir ?

    _ Mais oui, j’y serai avec tous ceux que j’aime ! Pour rien au monde je ne raterai ça ! »

    Paschic se rend sur la grande place, pour écouter le discours de la Machine… et son apparition déclenche une ferveur délirante ! Puis la machine impose le silence, par un large mouvement du bras… « Sororité, mes amis, dit-elle. La route a été longue, n’est-ce pas ? Mais nous voilà unis ! Nous voilà en sécurité ! Nous voilà une force ! (Acclamations!) Nous voilà animés par le même but, celui de notre bonheur, celui de la stabilité, de la paix, celui de ne constituer qu’une seul et même famille ! (Acclamations!) Naguère, l’homme opprimait la femme, mais ces temps sont révolus ! L’homme, dressé par la femme, sert aujourd’hui notre grande cause : donner un avenir radieux à nos enfants !

    Cependant, vous vous en doutez, le travail n’est pas terminé ! Nos ennemis restent nombreux et ils n’ont qu’un seul souhait : nous détruire ! Nous ne les laisserons pas faire ! Nous nous en protégerons et nous les vaincrons ! (Acclamations!) Ils sont malheureusement partout ! Il y a encore des hommes qui méprisent les femmes ! (Huées!) Ceux-là nous en faisons notre affaire, ils rentreront dans le rang ! La femme est le futur, elle doit régner ! Mais les ennemis peuvent prendre toutes les formes ! Ce sont les pays jaloux ! les idéologies décadentes, lâches, qui sapent l’autorité, la force, l’ordre ! Nous ne vaincrons pas sans ordre ! Il est primordial ! Mais l’ordre, c’est vous ! C’est vous la force, à condition que nous restions unis et que chacun fasse son devoir ! Vous appartenez au parti et vous avez votre rôle à jouer ! Je suis le chef et vous m’obéissez ! Vous êtes la main et je vous guiderai ! Vous êtes le feu et je vous dirigerai !

    Malheur à nos ennemis ! Malheur à leurs femmes et à leurs enfants ! Nous serons sans pitié, si on nous empêche d’être heureux ! Pas vrai les amis ? »

    A cet instant, Bona crie : « Vive la Machine ! Vive la machine ! » et la foule l’imite, y compris Paschic, qui hurle à tue-tête, grisé ! Il est heureux, il n’est plus seul, il fait partie d’un groupe et sa vie a un sens !

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    Paschic rentre chez lui, heureux, rayonnant : quel beau discours de la Machine ! Et tous ces gens qui sont ses amis ! Et le feu d’artifice ! Et la deuxième barrette promise par Lapsie ! Paschic se voit déjà balayeur de deuxième classe, donnant des ordres aux premières classes ! Qu’avait-il naguère à s’inquiéter, à se tourmenter ? Ah ! Quel monstre d’ingratitude n’avait-il pas été à l’égard de la Machine ! La vie est simple, quand on ne se regarde pas trop !

    Paschic sifflote et malheureusement s’égare dans une rue sombre… En fait, il n’y a pas fait attention, mais il a de nouveau changé de case dans le Labyrinthe… et le voilà dans un coin noir et humide ! Une petite voix faible s’échappe des ténèbres : « Pitié ! Pitié ! » fait-elle. Paschic s’approche et découvre un vieillard exsangue, sur des cartons ! C’est bien triste, mais Paschic ne peut pas sauver le monde… et il a bien d’autres choses à faire, notamment retrouver ses douces espérances, celles qu’il caresse à la lumière de son foyer ! « Pitié ! Pitié ! répète le vieillard.

    _ Ouais, ouais ! réplique Paschic. Mais il faut qu’ j’y aille ! Tiens, c’est tout ce que j’ai sur moi !

    _ Ne m’abandonne pas, par pitié ! J’ai été brisé par la Machine !

    _ Ah ! Ah ! Voilà le joli refrain du loser ! Moi aussi avant, je me plaignais comme toi ! Mais j’ai été guéri ! Je sais que la Machine est bonne… et on le sait quand on apprend le prix des choses… et la valeur du travail ! Le nouveau Paschic est arrivé ! Désormais, je suis responsable, bientôt chef de famille et je me dresserai dans l’aube naissante, en disant : « Voilà le jour qui commence… et c’est une joie ! »

    _ Co… Comment ? Tu ne me reconnais pas, Paschic ?

    _ Ah ? Parce qu’on pourrait se connaître ? J’ bosse, moi ! J’suis rentré dans l’ rang ! J’ suis plus un faiseur d’histoires !

    _ Mais… mais je suis ton rêve, Paschic !

    _ Hein ? Quoi ?

    _ Quand tu étais enfant, tu vivais avec moi, sous la même chaumière ! Tu t’en rappelles pas ?

    _ Pfff ! C’est loin tout ça !

    _ Évidemment, tu étais bien jeune à l’époque ! Mais nous vivions heureux ! Notre village était situé dans une vallée verdoyante… On sortait et on marchait parmi les marguerites ! Tu te rappelles du ruisseau… Il faisait tourner notre petit moulin… et les oiseaux chantaient tout autour ! Quelle vie magnifique nous était promise ! Je me souviens que tu étais amoureux d’une fille aux cheveux d’or ! Je me trompe ?

    _ Hum.. peut-être pas… Je… je revois certaines choses…

    _ Bien sûr ! Mais tu as été traumatisé le jour de l’attaque !

    _ L’attaque ?

    _ Oui, un jour, les forces de la Machine ont détruit le village ! Tout a brûlé et nous avons été séparés ! Toi, tu as été pris en esclavage… et moi, j’ai dû m’enfuir dans la forêt ! J’avais reçu un coup d’épée en plein front et j’ai erré, erré !

    _ Ce n’est pas vrai ! Mon rêve est avec moi ! Et la Machine est bonne ! Elle m’aime ! C’est grâce à elle, si je peux manger, m’habiller, ne pas être comme toi : perdu, sale et seul !

    _ Pourtant, ce que je te dis est vrai ! C’est moi, ton rêve !

    _ Tu veux me rendre triste ! Tu veux que je pleure, en pensant combien la Machine est méchante !

    _ C’est l’égoïsme de la Machine qui nous a brisés !

    _ C’est faux ! Le remède au mal est en nous ! C’est Lapsie qui me l’a dit ! Je ne veux pas pleurer sur mon rêve perdu ! Je ne veux pas de la nuit et du froid ! Je ne veux pas voir les gens haineux et égoïstes ! Je veux rêver ! Je suis heureux !

    _ A ta guise, mais la Machine ne te laissera pas tranquille ! Elle a besoin de toi comme esclave ! Tu dois nourrir son rêve, en étant soumis ! Son rêve, c’est de commander, sentir sa supériorité !

    _ Non, non et non ! Lapsie m’a dit…

    _ Elle aussi est une machine !

    _ Je veux être intégré ! être comme tout le monde !

    _ Sais-tu pourquoi la machine a détruit notre village ? Mais parce qu’elle te méprisait Paschic et elle te méprise toujours ! Elle te voit comme une lavette !

    _ Salopard !

    _ Paschic, la lavette ! Ah ! Ah ! Paschic, le demeuré ! Le paillasson de la Machine ! »

    Mais Paschic n’écoute plus ! Il court dans le noir, en se bouchant les oreilles !

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    Paschic a rejoint ses camarades travailleurs, mais, encore troublé parce que vient de lui dire son « rêve », il balaie avec deux fois plus d’ardeur, jusqu’à ce qu’un collègue lui demande : « Paschic, tout va bien ?

    _ Ouais, ouais…

    _ Dis donc, t’es un gars apprécié ici, mais tu pourrais peut-être t’engager un peu plus…

    _ Qu’est-ce tu veux dire ?

    _ Eh bien, tu pourrais adhérer au Parti…, d’abord parce que tes droits seraient défendus et ensuite, tu travaillerais à notre grand idéal !

    _ C’est quoi, votre grand idéal ?

    _ Eh bien, nous, nous sommes des travailleurs, des prolétaires et nous sommes exploités par la classe dirigeante, celle des capitalistes ! Ce à quoi on veut arriver, c’est que c’est nous, les travailleurs, qui gouvernions, que nous soyons tous égaux et des camarades ; la richesse étant partagé entre tous !

    _ Moi, je veux bien, du moment que je ne suis plus seul, et avec vous, mes camarades ! Et puis l’idée du méchant représenté par le capitaliste et qu’il faut abattre, c’est pas pour me déplaire !

    _ Bon, très bien…

    _ Non, parce que je t’ai pas dit, mais j’ viens d’ rencontrer une créature, par là-bas, dans le noir, sur des cartons ! Elle se prétend mon rêve ! Elle dit que la Machine a bousillé ma jeunesse, car, tiens-toi bien, toujours d'après elle, nous serions tous égoïstes, riches ou pauvres, depuis la naissance, du fait de notre origine animale !

    _ Quelle idée ! Nous, nous voulons le bien !

    _ C’est exactement ce que j’ai répondu ! que je ne voulais pas entendre ces salades ! Sinon y a plus d’équipe ! Faut ouvrir les yeux et se retrouver seul ! Et ça, moi, j’en veux plus ! pour rien au monde ! Tu m’assures que ce sont les capitalistes, les méchants !

    _ Promis juré !

    _ Et donc, toi, tu es un responsable du Parti, mais tu ne te sens aucunement supérieur à moi, ni même aux capitalistes ! Tu travailles uniquement pour la justice ! 

    _ Il faut bien diriger… et puis, j’ai plus d’expérience que toi…

    _ Mais tu n’as aucun plaisir à commander ? Je pourrais tout aussi bien te donner des ordres…

    _ J’imagine que oui, si tu le mérites…

    _ Ne sommes-nous pas tous des camarades ? Tu comprends, j’ voudrais surtout pas que mon rêve ait raison ! Et ta voiture, tu me la prêtes, vu que j’en ai pas ! Elle est au Parti somme toute !

    _ Doucement, doucement, c’est moi qui l’ai payé, ma voiture !

    _ Non ? T’as capitalisé, pour l’avoir ! Tu as fait preuve d’égoïsme, afin de satisfaire ton amour-propre !

    _ Ma voiture est nécessaire !

    _ Que tu dis ? Ne serait-ce pas l’heure d’une auto-critique ?

    _ Tu m’énerves à la fin ! J’ te kiffe de moins en moins !

    _ Mon Dieu, mon Dieu, mon rêve a raison : nous sommes tous égoïstes par nature… et la Machine m’a pris ma jeunesse, pour s’essuyer les pieds !

    _ Puisque je te dis que les méchants sont les capitalistes !

    _ Répète-le moi, tu veux, je suis au bord de la crise d’angoisse !

    _ Les méchants sont les capitalistes ! Le bonheur est la victoire du prolétariat !

    _ Les méchants sont les capitalistes… et le bonheur est la victoire des prolétaires !

    _ Voilà ! Ça va mieux ?

    _ Ouf ! Oui ! J’avais la vérité aux fesses, comme un chien féroce ! Et… il est parti !

    _ Allez, encore une fois : les méchants sont les capitalistes… et le bonheur est...

    _ La victoire du prolétariat ! Ah ! Ah ! Ça marche ! Mon rêve ? Enfoncé, disparu ! Dis, avec tes relations, tu peux m’avoir ma troisième barrette !

    _ Euh, faut qu’ je vois avec le chef…

    _ Non, parce qu’ j’ai absolument besoin d’une voiture !

    _ Mais si t’es promu, ça doit rester entre nous, sinon ce s’ra de la corruption !

    _ Évidemment ! Quand j’ pense que j’ai failli ouvrir les yeux ! J’ai vu l’abîme tout d’un coup ! »

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    Paschic continue à balayer tranquillement, sans s’apercevoir qu’il s’écarte de ses collègues, pour se retrouver dans une zone isolée du Labyrinthe… Tout y est étrangement calme, au point d’en être inquiétant ! Soudain tombe au sol une petite créature… Elle paraît gluante et elle s’accroche à Paschic, en disant : « Dom ! Dom ! » Paschic est pris de dégoût, mais des dizaines d’autres créatures, pareilles à la première, sortent maintenant du mur ! Et toutes n’ont qu’un seul cri : « Dom ! Dom ! »

    Paschic effrayé s’enfuie, court éperdu, mais devant lui les créatures ne cessent d’apparaître ! Il y en a pourtant une qui n’est pas semblable aux autres… Elle a une taille normale et c’est une femme et quelle femme ! Elle est sublime dans une flamme ! Tout son corps est incandescent et rien que sa vue brûle ! Elle appelle Paschic : « Oh ! Viens, Paschic ! dit-elle. Ne suis-je pas séduisante ? Ne suis-je pas synonyme de plaisir ? Est-ce que je te laisse indifférent ?

    _ Non… non... »

    Paschic baisse la tête, car il sait que s’il regarde cette femme, il sera ébloui, amoureux même ! Ses défenses pourraient céder, d’autant que quand la femme se déplace ou parle, des flammes s’échappent de son corps et viennent toucher Paschic jusqu’au fond de l’âme ! Une voix monte dans Paschic et gémit presque : « Pourquoi résistes-tu, Paschic ? dit-elle. Pourquoi refuses-tu ce plaisir ? Cette femme est magnifique ! Inutile de l’examiner ! C’est du feu ! Son corps est parfait ! Et toi, Paschic, tu remontes chaque jour la dure pente de ta conscience, de tes explications, de tes croyances ! Il faut incessamment que tu te reconstruises, que tu te justifies ! Chemin amer qui te laisse épuisé ! Alors que le plaisir, le bonheur est là ! »

    A cet instant, Paschic est interrompu par quelqu’un qui jette dans son dos : « En hésitant, Paschic, tu te fais du mal ! Tu ne va pas avec elle, car tu sais que c’est une Dom ! C’est tout ! » Paschic se retourne et voit de nouveau son Rêve, toujours sur des cartons et qui, en ce moment, s’évertue à rallumer un affreux cigare ! « C’est une Dom, Paschic, reprend le Rêve. Tu le sais ! Comme tu sais que toute cette ardeur, dont elle fait preuve, est produite par sa peur, son angoisse ! Elle est perdue, Paschic, d’où son feu ! Elle brûle, car elle veut un homme, une relation pour s’apaiser ! Or, toi, Paschic, t’es un cas ! T’es pas un Dom ! Pour eux, t’es une énigme, Paschic ! T’es le rocher au milieu de la tempête !

    _ Ouais, mais elle est… si belle, si désirable !

    _ Et elle te désire justement parce que tu n’es pas un Dom ! Tu arrives à tenir debout sans vouloir dominer ! Tu es une paix unique ! Incroyable ! Car dominer, c’est dévorant et ne guérit pas l’angoisse ! La domination est un rideau de fumée, qui détruit même ! Mais toi, Paschic, tu sais combien coûte de ne pas être un Dom ! C’est un travail sur soi de tous les jours ! Combien de renoncements, Paschic ! Combien de peurs n’as-tu pas vaincues ? Combien d’années d’errance ? Et ton amour, pour la vérité, etc. ! Alors laisse tomber, Paschic ! C’est une Dom !

    _ Mais… mais on pourrait peut-être s’aimer tout de même ! Je lui expliquerai pas à pas ! Elle me donnera son corps et moi, ma sagesse !

    _ Hi ! Hi ! Paschic, tu sens ce feu ? Il est le reflet de son angoisse ! Et toi, tu penses l’apaiser, la calmer, sans te brûler ! Tu crois qu’en te jetant dans la passion, tu vas lui apprendre tout ce que tu sais et qui t’a demandé une vie ! Mais, mon pauvre Paschic, tu vas y laisser la peau ! Elle finira par te dévorer, sans même penser à mal !

    _ Je… je…

    _ Allez, rien n’est plus fort, plus extraordinaire que de n’être pas un Dom, que de les repousser parce qu’ils ne connaissent pas la vérité, qu’ils la refusent ! Qu’ils soient attirés par toi est une preuve que tu ne te trompes pas !

    _ C’est vrai…

    _ Ils te demandent maladroitement de la lumière, du sens, en dominant encore…, alors que justement il faut abandonner sa domination pour être en paix ! T’as pas fini de les attirer, crois-moi !

    _ D’où viennent les Doms, le Rêve ?

    _ Mais du GVI !

    _ Du GVI ?

    _ Oui, du Grand Vide Intérieur, situé au centre du Labyrinthe ! Le GVI produit de l’angoisse et les Doms se multiplient ! »

    Entre-temps, la femme dans la flamme a disparu et Paschic ne peut s’empêcher d’en éprouver une certaine tristesse… « C’est pas un déchirement, Paschic, reprend Rêve qui crache. C’est un choix ! Tiens, y a un Dom qui t’ bouffe le pantalon ! »

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    « Le GVI, les Doms ! C’est bien joli tout ça, mais ça veut dire quoi exactement ? s’interroge Paschic. Et si les Doms viennent du GVI, d’où vient le GVI ? Hein ? » A cet instant, Paschic bute dans un grand gars, qui lui dit : « Mais où vas-tu comme ça, mon zèbre ?

    _ Ça t’ regarde ?

    _ Un peu qu’ ça m’ regarde ! Car on passe pas à côté de moi, sans me regarder ! C’est qu’ je compte moi ! »

    « Bon sang ! Un Dom ! » se dit Paschic, qui réplique : « Pour moi, t’es pas intéressant ! Et puis je te dois rien, j’suis libre, s’pas ! Alors du vent, l’animal !

    _ Oh ! Oh ! Comment tu m’parles ! Oh ! Oh ! On m’ parle pas comme ça ! Tu sais pas qui j’ suis ! Je suis le baron de Messygue ! Troisième du nom ! Mes ancêtres tenaient déjà la région, quand les tiens se tuaient à ramasser des pommes de terre ! Évidemment pour ma purée ! Alors on me doit adoration et soumission !

    _ Ah bon ? Mais, si je suis aussi minable, pourquoi rechercher mon intérêt ? En quoi ma médiocrité peut-elle t’aider ?

    _ Euh… Bah, j’ dirais qu’une louange est toujours bonne à prendre !

    _ Menteur ! Je te fais impression, tu vois que je ne suis pas n’importe qui et tu te dis que toi aussi tu fais partie de l’élite et qu’il est impensable qu’on ne s’en rende pas compte, en te montrant de l’indifférence !

    _ C’est vrai ! J’ai des qualités, je réussis et, ma foi, je suis assez bien de ma personne !

    _ Le problème, c’est que moi, je me moque de l’élite !

    _ Comment ça ?

    _ Je suis au plus bas sur la hiérarchie sociale ! Je n’ai aucun pouvoir… ou plutôt celui que j’ai est spirituel, intérieur ! Il est justement l’anti-pouvoir social ! Il n’est pas basé sur la supériorité, ni sur la soumission ! Je ne cherche pas à dominer ! Je trouve ça ridicule !

    _ Mais moi, j’ai besoin de ton intérêt, que tu reconnaisses ma valeur !

    _ Je sais : sans ça t’es paumé ! Mais, même en constatant que je te fais impression, tu ne veux pas suivre mon exemple !

    _ Ah non ?

    _ Non, parce qu’il faudrait d’abord que tu renonces à toi-même ! que tu places ton succès dans autre chose que ton ego ! Il faudrait que tu aies confiance sans vaincre, sans contrôle, sans te regarder dans le miroir ! C’est pas toi qui es important, c’est l’amour !

    _ Bon sang, qu’est-ce que tu es ? Une sorte de beatnik ?

    _ Tu vois ma force ? Eh bien, possède-la !

    _ Pour qui tu te prends au fond ? Tu te crois supérieur ? T’es un minable ! Mais j’ vais t’ dresser, moi ! Tu vas à apprendre à me respecter, tu vas voir qui es ton maître !

    _ Mais on ne peut pas obliger les gens à aimer ! Ce qui vient du cœur doit être libre, sinon ce n’est pas sincère !

    _ Ça, c’est ce qui a sur la papier ! Mais il suffit de se montrer persuasif et tu finiras par m’admirer !

    _ C’est ce que me disait la Machine…

    _ Comment ?

    _ Rien, rien, des réminiscences… Ne pouvant être aimé, tu vas avoir recours à la tyrannie !

    _ Exactement ! Ce qui ne cède pas doit être écrasé !

    _ Et la haine naît de la peur…

    _ La peur ? Ah ! Ah ! Parce que tu crois que j’ai peur de toi, l’avorton ? Ah ! Ah !

    _ Mais tu n’as pas peur de moi, mais de la vie ! Mais pour ne plus sentir ta peur, tu veux dominer, être le centre d’intérêt ! Si le monde est comme ta chambre, puisque tu le commandes, alors ta peur disparaît !

    _ Tu m’ fatigues ! »

    Le type siffle et d’autres gars surgissent, des Doms comme des couleuvres et voilà Paschic battu et attaché à une claie ! Le type s’approche, maintenant vêtu d’une blouse blanche ! Il caresse la tête ensanglantée de Paschic et lui dit : « Il va falloir que tu m’aimes, tu sais ! que tu m’admires ! » Il tient une tenaille et commence à arracher les ongles de Paschic ! « Aime-moi, dit-il. Trouve-moi formidable, unique, exceptionnel, magnifique ! Bon, résolument bon ! »

  • Paschic (10-14)

    R31

     

     

     

                                    "Salopards!"

                                               Zatoichi

     

                                            10

    Le docteur Cool et Paschic arrivent en voiture devant des bâtiments abandonnés et entourés par un terrain vague… « C’est là ? demande Paschic sur le siège passager.

    _ C’est là ! Évidemment, depuis le temps... »

    Paschic et le docteur Cool sortent du véhicule et marchent bientôt sur un sol jonché de gravats ! Les carreaux ont bien sûr été cassés et on retrouve ici et là des papiers, des restes de meubles qui témoignent d’une activité passée ! Plus troubles sont des pièces sombres, aux portes épaisses et qui interrogent sur leur utilité !

    « Vous reconnaissez quelque chose ? » demande le docteur et Paschic ferme les yeux, en essayant de se souvenir de son enfance, puisque ces murs sont censés avoir abrité le projet SE ! Mais tout ce que voit Paschic, c’est de la violence, accompagnée de cris, de pleurs, de prières vaines ! Combien de fois n’a-t-il pas supplié, été broyé, réduit au silence ? Combien de fois n’est-il pas mort ?

    Il frisonne et dit : « Non, rien, je ne me souviens de rien !

    _ Ce n’est pas étonnant : vous avez dû enfouir, refouler tout ça, pour pouvoir survivre !

    _ Exactement ! Mais les temps ont changé ! La parole se libère maintenant ! Regardez le mouvement MeeToo !

    _ Et vous voulez vous attaquez à la Machine ? Elle n’a pas abusé de vous sexuellement ! Quelles accusations allez-vous porter ?

    _ Mais… mais j’étais sous son emprise ! Et même celle-ci continue ! Il faut avertir les gens de la méchanceté de la Machine, ne serait-ce que pour les autres enfants, ceux qui pourraient subir le même traitement !

    _ Mais le projet SE n’existe plus !

    _ Mais il ne s’agit pas seulement de ce projet ! Vous comprenez bien qu’à l’origine de cette maltraitance, il y a un profond mépris à l’égard des autres et particulièrement à mon encontre ! La Machine est une perverse narcissique ! Son comportement est éminemment toxique !

    _ Elle aura mille témoins pour prouver le contraire ! Et c’est vous qui serez condamné, surtout en ce moment ! C’est l’heure des femmes, pas celle de les accuser !

    _ Et si j’arrivais à démontrer que le mal qui ronge la Machine nous ronge tous et toutes ! Et que c’est ce mal qu’il faut combattre, nullement un sexe !

    _ Qu’est-ce que vous voulez dire ?

    _ Je ne sais pas encore trop bien…, mais la Machine a tout de même une logique, non ? Elle méprise les faibles et s’attaque à eux ! Elle considère qu’ils ne méritent que ça ! Comment peut-on ignorer que chacun est un être humain et a droit au respect ? Qu’est-ce qui aveugle la Machine à ce point, sinon son égoïsme ? Ce que nous percevons du monde, c’est ce dont nous en avons conscience, pas vrai ?

    _ Pas faux…

    _ Pourquoi la Machine ramène tout à elle, ne donne pas aux autres une existence propre ? Comment guérir de sa peur du monde, sinon en le faisant sien ? C’est là l’origine des dictatures !

    _ Écoutez, laisser tomber ! Cette voie que vous choisissez ne vous causera que des problèmes ! C’est vous qui serez traité de malade, de paranoïaque ! Profitez du bon temps, du sexe… faites-vous des amis !

    _ Vous ne m’avez pas compris ! Le fonctionnement de la Machine est en chacun de nous… et toujours je le retrouverai sur ma route ! Si je n’en trouve pas le remède, j’en serai toujours une victime ! Et non seulement moi, mais tout le monde, car nous nous dévorons les uns les autres !

    _ Et moi aussi, je suis comme la Machine ?

    _ Un peu…

    _ Merci…

    _ Vous êtes plus jolie ! »

    Le docteur Cool a un sourire et tous deux regagnent la voiture… « Si je vous entends, Paschic, reprend le docteur, vous voudriez que la peur change de camp !

    _ Hélas, je ne crois guère que ce ne soit possible ! Il est très difficile de raisonner les gens, de les rendre lucides ! Comme je vous l’ai dit, nous percevons le monde afin aussi de nous en protéger, ce qui explique nos mensonges... et la vérité est comme un scalpel qui menace tout l’être ! « Ne donnez pas de perles aux pourceaux, de peur qu’ils ne vous déchirent ! »

                                                                                                           11

    Paschic est arrêté le lendemain… C’est Bona et d’autres femmes qui s’en chargent ! « J’ t’avais dit d’ laisser tomber ! fait Bona à Paschic, dans le véhicule qui les conduit au palais de justice. Cette fois, t’es bon comme la romaine !

    _ Mais bon sang ! Qu’est-ce que j’ai fait ?

    _ Ce que tu as fait ? Trouble à l’ordre public ! Tu remues la boue, Paschic ! Remarque, c’est pas étonnant : y a qu’ là d’dans que tu t’ sens heureux !

    _ J’ comprends pas…

    _ Non, quand tu veux pas comprendre, t’y arrives très bien ! Qu’est-ce que tu faisais hier dans cet ancien site ?

    _ J’ vois pas ce que tu veux dire…

    _ Ben voyons ! Tu peux pas rester tranquille ? La Machine, c’est d’abord une famille, Paschic ! C’est de l’ordre, le socle, la base ! Ça doit rester en place, sinon tout s’écroule ! Tu honores la Machine, tu reconnais son pouvoir… Quand elle passe, t’agites ton p’tit drapeau… Tu cries : « Vive la Machine ! », car c’est elle qui assure ta stabilité, ta sécurité et qui te donne à manger ! On ne mord pas la main qui nourrit, Paschic !

    _ Mais… mais j’ai un problème…

    _ On en a tous, Paschic, et pourtant on serre les dents ! On fait corps ! L’intérêt du pays avant tout ! 

    _ Mais…

    _ La ferme ! Fi de ton égoïsme ! »

    La voiture entre dans le palais de justice et des portières claquent ! On emmène Paschic violemment, comme s’il était un criminel et ce sont des couloirs, des bureaux, des greffes, des robes ! Paschic pénètre dans un univers bien huilé, dont il est contraint de remplir les formalités quasiment au pas de course ! Puis, il émerge dans une salle d’audience et on l’assoit sur un banc, celui des accusés, en lui pressant la tête !

    Une minute plus tard, une juge, vêtue de rouge, vient siéger en disant : « Sororité ! », ce qui fait que tout le monde se lève, avant de se rasseoir ! La juge ouvre un lourd dossier et a l’air sombre : visiblement, elle est devant un cas difficile ! « Bien ! dit-elle. Accusé Paschic, je pense que vous avez eu le temps de mesurer la gravité des accusations qui pèsent contre vous…

    _ Madame la juge…

    _ Je dois vous avouer, accusé Paschic, que je suis troublée… Comment osez-vous ne pas soutenir la Machine, dans son effort de paix, alors qu’elle se bat inlassablement pour vous ? N’avez-vous pas honte de votre égocentrisme ?

    _ Madame la juge…

    _ La Machine est sacrée ! La famille aussi ! Notre pays est sacré ! Nous devons le défendre coûte que coûte ! Et vous que faites-vous ? Vous critiquez la Machine ! Vous mettez en doute ses motivations ! Vous sapez le moral des troupes ! Vous savez comment ça s’appelle, ça ? De la traîtrise, accusé Paschic ! Vous pouvez être qualifié d’agent de l’étranger et vous encourrez une peine de quinze ans de prison, au moins !

    _ Madame la juge…

    _ Je veux bien entendre votre défense, mais soyez bref, par pitié !

    _ Ce n’est pas moi qui n’aime pas la Machine, mais c’est elle qui m’a rejeté ! Je suis d’accord d’obéir à la Machine, à condition qu’elle soit juste !

    _ Mon Dieu, qui êtes-vous pour juger la Machine ? N’est-ce pas elle qui vous a fait ?

    _ Elle n’est pas seulement ce qu’elle croit être ! En elle se cache un monstre !

    _ Suffit ! Vous nous faites perdre la tête ! Je vous condamne au Labyrinthe !

    _ Le Labyrinthe ?

    _ Oui, il vous remettra les idées en place ! Vous allez voir comme on y était bien dans la famille de la Machine ! comme la société a du bon !

    _ Mais vous ne m’avez pas compris ! Je ne demandais pas mieux que de m’y sentir bien, dans ma famille, mais c’est la Machine qui…

    _ Assez ! »

    A cet instant, on frappe Paschic avec une matraque et il s’évanouit ! Sororité !

                                                                                                            12

    Paschic est dans le labyrinthe, où il fait noir… Il avance à tâtons et d’abord explore un mur étrange, dans lequel on s’enfonce, en ne touchant rien de solide, et pourtant l’obstacle est là ! On en ressent un malaise croissant, car la raison disparaît, inefficace, travestie, retournée ! Le mur existe, mais c’est comme s’il niait son existence !

    Un visage se forme, celui de la Machine, qui parle en ne faisant qu’un avec le mur ! Il a l’air triste, contrit, déçu ! Que dit-il ? « Sois honnête, Paschic, demande-t-il. Sois au moins pour une fois honnête ! » Paschic se redresse, s’examine, est prêt à répondre ! Il n’a rien à cacher ! Mais de quoi le soupçonne-t-on ? Qu’est-ce qu’on lui reproche ?

    « Paschic, je t’accuse d’être un menteur, un paresseux, un égoïste, de tout mettre en œuvre pour me nuire ! Tu es la méchanceté incarnée ! Tu veux le mal !

    _ Ah ! Pardon ! Il y a maldonne ! C’est toi, la Machine, qui blesse, écrase et tue ! C’est toi l’ambitieuse et l’orgueilleuse ! C’est toi qui es toute à tes plaisirs, sans soucis des autres ! »

    A cet instant, le Labyrinthe s’illumine ! Une alerte retentit et des hommes, armés de matraques, se précipitent sur Paschic et le frappent ! « Pitié ! » crie-t-il, mais les coups pleuvent ! Puis, enfin, on le relève et on présente son visage tuméfié à la Machine ! « Alors, Paschic, reprend la Machine, tu as changé d’avis ? Tu reconnais que tu es menteur, fourbe et égoïste ? Tu admets que j’ai raison et tu prends conscience de tes erreurs !

    _ C’est vrai ! Je te demande pardon, je m’excuse, je suis mauvais !

    _ Bien, Paschic, tu commences à comprendre ! Tu n’es pas irrécupérable ! Sache que c’est moi qui commande et que je suis parfaite ! Je ne fais pas d’erreurs, Paschic, cela n’est pas possible ! Par contre, si on agit contre moi, on met en péril l’ensemble, la famille, le pays ! Le bonheur de tous est ma seule préoccupation, mon seul but, Paschic ! Je suis dépourvue de toute autre ambition et je n’ai nul orgueil ! Est-ce que c’est clair ?

    _ Très clair !

    _ Bien ! Tu devras suivre une période de mise à l’épreuve ! Je ne vais pas te pardonner comme ça, Paschic, d’un simple claquement de doigt, car tu m’as fait beaucoup de peine ! On ne parle pas comme ça à la Machine ! Je n’essaie que de faire le bien ! C’est pas facile et tout le monde doit m’aider ! Tu as compris ?

    _ Oui.

    _ C’est bon, tu peux t’en aller ! »

    Paschic se détache du mur, retrouve la nuit et pleure en silence ! C’est comme si on venait de lui dévorer le foie ! La vérité qui est en lui vient d’être anéantie ! Ce qu’il voit, comprend est réduit en bouillie ! Paschic est déséquilibré et titube dans le noir ! Comment peut-il résister ? Il n’y a pas d’espoir ! La Machine est l’autorité ! Pire, Paschic lui doit de l’amour ! Autant aimer le pal qui nous transperce !

    Alors que Paschic erre encore sous le choc, un vieil homme l’aborde… « Je vois que tu es bien malheureux, mon garçon, dit-il, et je peux te donner quelque chose qui va t’aider ! Ce sont les yeux de la vie ! » Le vieillard montre dans sa main deux yeux qui brillent comme des gouttes d’eau ! « Ce sont des yeux magiques, reprend l’homme, ils voient le mensonge ! Ils savent si la personne ment ou non ! Avec eux, tu pourras te débrouiller dans le Labyrinthe et tu sentiras que jamais tu n’es seul !

    _ C’est toi qui m’accompagneras, vieillard, en quelque sorte !

    _ C’est cela ! Tu garderas toujours la vérité devant toi !

    _ Mais ils disent tous que la vérité est subjective, qu’elle n’existe pas !

    _ Mes yeux te prouveront le contraire !

    _ Alors ce n’est pas moi le menteur, le mauvais ?

    _ Non, c’est la Machine, mais elle est aveugle ! »

    Paschic prend les yeux magiques et son visage s’éclaire ! « Va, Paschic, rajoute le vieillard, ma paix t’accompagne ! Sois tranquille, même quand les monstres seront sur toi ! »

    Paschic rentre ses sanglots, se console et avance de nouveau dans le Labyrinthe… Une vérité se fait jour : il est impossible de convaincre la Machine ! Elle se protège avec de la violence ! Elle écrase toute critique, comme si elle avait une sorte de crise dès qu’on l’inquiète ! La raison alors ne l’atteint plus ! L’argument demeure stérile ! Quand la peur menace la Machine, sa réaction est brutale, insensée et elle n’évolue pas !

    Voilà les réflexions du petit garçon Paschic, qui survit dans l’ombre, grâce à ses yeux magiques ! Il chantonne !

                                                                                                             13

    Plus loin dans le Labyrinthe, Paschic semble traîner sa peine, car il progresse voûté et soudain la voix de la Machine éclate ! « Bon sang, Paschic, crie-t-elle, mais redresse-toi ! Sois un homme ! On dirait une larve ! Un peu d’ virilité que diable !

    _ J’ fais c’ que j’ peux ! C’est pas facile !

    _ Pas facile ? Mais quel pou ! Quelle feignasse ! Il faut en avoir du courage dans la vie !

    _ Du courage ? Mais le véritable courage, c’est de respecter les autres ! C’est de réfréner ses appétits pour n’écraser personne ! Ce n’est pas imposer son monde, pour soulager sa peur !

    _ Comment ? Tu oses me répondre, p’tit morveux !

    _ Tu échappes à ta peur par la tyrannie ! Où est le courage là-dedans ? Moi, je m’efforce d’accepter la différence ! Je donne à l’autre toute sa réalité ! Je ne veux nullement l’asservir ! »

    Un coup de sifflet se fait entendre et de nouveau des hommes, armés de matraques, se ruent sur Paschic ! Il est rapidement submergé par les coups et il s’écroule ensanglanté ! Laissé seul, il retrouve peu à peu ses sens et se relève péniblement ! Il essuie son visage, mesure les dégâts et ose reprendre sa marche…

    La voix de la Machine le fait sursauter : « Redresse-toi, bon sang, Paschic ! Montre que t’es un homme ! On dirait un vieillard ! Un peu d’ courage ! Un homme, ça se tient droit ! Lavette ! »

    Paschic ne répond pas : il est tout à mettre un pas devant l’autre, et pourtant il s’efforce tout de même de ne pas garder le dos voûté, pour que la Machine se taise ! Il aperçoit une lumière lointaine, dans les ténèbres persistantes du Labyrinthe et il se dirige vers elle…

    C’est une femme derrière un bureau et qui dit : « Asseyez-vous, Paschic, je suis Lapsie, une psychologue qui est là pour vous aider ! » Paschic s’assoit, avec des plaies et des bosses sur le visage… « Y a pas à dire, ils vous ont bien arrangé ! reprend Lapsie. Mais n’est-ce pas un peu de votre faute ? Peut-on vivre en société sans y mettre du sien ? » Paschic a juste envie de vomir, mais il doit encore écouter !

    « En tout cas, Paschic, je suis là pour vous aider…, pour libérer votre parole ! Allez-y, dites-moi ce qui vous passe par la tête ! Soulagez-vous !

    _ Et si je vous disais que vous mentez…, enfin que vous vous mentez à vous-même ! que vous avez l’impression d’être sincère par le pouvoir que vous avez sur le patient ! Mais qu’au fond vous êtes hostile à la lumière ou à la vérité, car elles menacent votre propre domination ! »

    Un long silence se fait, durant lequel les regards de Paschic et de Lapsie s’affrontent ! Les yeux de vie de Paschic sont cependant les plus forts, car sans mensonges et Lapsie finit par baisser la tête, mais juste une seconde, car elle attaque de nouveau ! « Je pense que vous êtes paranoïaque, amoureux de vous-même ! Autrement dit, vous présentez tous les symptômes du pervers narcissique !

    _ Ah ! Ah ! Où est la psy qui voulait m’aider ! Votre profession de foi n’a pas tenu longtemps ! J’en ai marre des gens comme vous, qui s’abusent à longueur de temps et qui osent pourtant pérorer sur la vérité ! »

    _ Espèce de sale branleur ! »

    Paschic se jette subitement sur le côté, car il a vu le coup venir ! Lapsie s’est empourprée et elle a envoyé deux fléchettes, qui se fichent dans la chaise de Paschic ! A terre, il se saisit de la lampe de bureau et l’arrache, afin que la pièce soit plongée dans l’obscurité !

    Il est évident que Lapsie possède des techniques de ninjas ou de samouraïs et la vie de Paschic est en jeu, si bien que la tension devient extrême ! Les sens s’aiguisent dans le noir et Paschic perçoit le dégainer d’un sabre ! Puis, une lame luit bleuâtre en un éclair et le bureau est coupé en deux ! Paschic a senti le souffle de la mort et il se glisse éperdu contre un mur ! Une seule erreur et il sera tué ! Il se colle à la paroi, sans bouger, ni même respirer et il attend, tout le corps en alerte ! 

    Un léger déplacement d’air et l’effluve d’un parfum lui indiquent que Lapsie passe lentement devant lui ! Il déplie avec précaution le fil de la lampe et entoure le cou de son assaillante ! Elle est prise au dépourvu et il serre de toutes ses forces, jusqu’à ce qu’elle lâche son sabre et fléchisse sur les genoux ! Paschic ne veut la mort de personne, mais il ne relâche pas son étreinte, avant que Lapsie ne soit évanouie ! Alors seulement il quitte la pièce, le front en sueur et encore stupéfait par ce qui vient de se produire !

    Toutefois, le Labyrinthe continue, avec ses monstres et Paschic est maintenant en pleine forme, ragaillardi ! Le mensonge a pris un coup sur le nez ! C’est pas tous les jours et ça fait du bien ! D’habitude, Paschic, dans le doute et craintif, lui cire les pompes !

                                                                                                     14

    Paschic voit venir à lui deux silhouettes tenant une lanterne… Il s’agit d’un homme de très petite taille, affecté de nanisme, et d’une jeune femme qui louche ! L’homme est gêné par la grandeur de Paschic, si bien qu’il reste à une certaine distance, de sorte que son « handicap » ne soit pas trop visible ! La jeune femme, quant à elle, évite de regarder Paschic, car elle ne veut pas lire de la moquerie ou même de la pitié sur le visage d’autrui, lorsqu’on découvre son problème !

    C’est cependant la jeune femme qui prend la parole : « Vous êtes la première personne que nous rencontrons depuis longtemps ! dit-elle à Paschic. Ici ne vivent que des éclopés, des handicapés, des malades de toutes sortes, pendant que la majorité s’amuse à l’extérieur ! La plupart sont en bonne santé et gagnent bien leur vie, même s’ils ne sont pas contents ! Ils ne sont pas à errer dans ce Labyrinthe comme des âmes en peine, tels que nous !

    _ C’est vrai ! approuve le petit homme. Et c’est pourquoi il est curieux de vous croiser, car apparemment vous n’avez aucune tare ! Votre taille me fait envie ! Si je l’avais, je ferais des bonds de cabri ! Pensez donc, c’est comme si la vie m’avait marqué au fer rouge ! Chaque matin, il faut que je me lève et que je porte mon fardeau et bien sûr, je n’attire pas les femmes !

    _ Ne vous fiez pas aux apparences ! répond Paschic. Depuis mon enfance, je parle aux hommes sans être entendu ! comme si j’étais méprisable, ne disant que des horreurs ! Je suis le méchant de l’histoire et on m’a imposé de rejeter ma personnalité, au point que j’en suis déséquilibré et dépressif ! J’ai longtemps été haïssable à moi-même et moi aussi, chaque matin je dois me soutenir, faire l’effort de croire encore moi, car le monde me condamne au mutisme !

    _ Qu’avez-vous à dire qui soit si gênant ?

    _ Mais la vérité ! Elles est honnie par les hommes !

    _ La vérité ? Quelle vérité ?

    _ Mais que nous sommes aveugles tant que nous vivons pour notre domination ! C’est la domination qui nous sauve de la peur et qui malheureusement nous écrase ! Faire du bruit, parler plus fort que les autres, être plus riche, se répandre en chantiers, c’est dominer et il y en a une infinité de formes ! Mais toutes ont le même but : soulager notre peur et nous faire croire à un équilibre ! Si vous touchez à cette domination, la mâchoire de l’humanité se referme sur vous, comme un piège à loups !

    _ Tout de même, nous, c’est notre apparence physique qui rebute !

    _ Et moi, je sais que je ne peux pas parler ! Je ne peux compter que sur moi-même ! Je suis un étranger et il en a toujours été ainsi ! J’étais déjà seul dans ma famille !

    _ Vous pourriez peut-être trouver l’âme sœur, lui expliquer…

    _ Je vais vous étonner, mais la vérité est aussi belle que scandaleuse ! Elle est belle parce qu’elle est simple et source d’espérances ! Scandaleuse, car elle balaie la domination, qui fait pourtant le socle de nos sociétés !

    _ Mais comment faites-vous pour supporter votre solitude ? Nous, nous en bavons !

    _ Mais nous sommes seuls en vérité ! C’est bien nous-mêmes que nous voulons développer, non ? Enfant, nous rêvions de notre indépendance ! Certes, nous sommes attirés par les autres, mais nous ne voulons pas qu’ils nous diminuent ! C’est nous-mêmes que nous cherchons, même si nos relations sont nécessaires pour nous construire ! Mais encore nous avons une trouille bleue de ne pas être normaux, comme tout le monde, et nous fuyons notre solitude en nous mettant en couple ! Ainsi, nous continuons à dominer et à mentir !

    _ Alors quelle est la vérité ?

    _ Mais déjà votre souffrance n’est pas si négative que ça ! Certes, vous souffrez, surtout parce que les hommes méprisent volontiers, mais en même temps, ne pouvant dominer tout à votre aise, vous devez essayer de comprendre les choses autrement ! Le voile de la domination ne peut pas vous aveugler totalement ! Vous voilà plus humains ! La domination est la bête en nous qui triomphe ! Il existe une autre fête, celle-là éternelle et qui ne fait de mal à personne ! Mais, chut, je ne vous ai rien dit !

    _ Vous voulez parler de Dieu, de la foi ?

    _ Comme je vous l’ai dit, rien n’est plis haïssable que la vérité, car elle est contraire à la domination, qui elle-même nous masque notre peur ! Derrière chaque tyran, petit ou grand, se cache un peureux ! Toute manifestation qui attire l’attention est une domination ! N’en doutez pas ! Mais nous sommes tous pareils et nous avons tous peurs ! L’hypocrisie ou le mensonge disent le contraire et c’est pourquoi nous doutons de la vérité ! »

     

  • Paschic (6-9)

    R30

     

     

                         "J'ai apporté la jonquaille..."

                                         Touche pas au grisby

     

                                                    6

    Paschic se lève maussade, hagard et se regarde dans la glace : quelle n’est pas sa stupéfaction quand il voit son image à peine visible ! Qu’est-ce qui se passe ? Il est en train de devenir transparent, de disparaître ! Son existence même est sur la sellette, en suspens ! En proie à la panique, Paschic se demande où il pourrait trouver de l’aide et il ne voit malheureusement que le docteur Cool ! C’est le seul médecin que Paschic connaît dans cette ville, même si elle joue un jeu trouble, avec des expériences douteuses !

    Paschic hèle un taxi, se tâtant toujours le visage, pour s’assurer qu’il est encore bien là, et il file vers le centre de santé ! Mais n’y entre pas qui veut ! A l’accueil des femmes se présentent en levant le bras et en disant : « Sororité ! » Cela doit être un mot de reconnaissance et Paschic devant le guichet imite celles qui l’y ont précédé : « Sororité ! dit-il, le bras levé.

    _ Sororité ! Que désirez-vous ?

    _ Je voudrais voir le docteur Cool !

    _ Vous avez rendez-vous ?

    _ Non, car il s’agit d’une urgence ! répond Paschic, en inspectant de nouveau son visage.

    _ Un instant, je vous prie… »

    La femme téléphone, puis annonce : « Le docteur Cool va vous recevoir…

    _ Merci ! »

    Paschic se presse dans les couloirs et entre dans une pièce, dont la porte est déjà entrouverte : « Docteur Cool… fait Paschic.

    _ Monsieur Paschic ! répond le docteur de sa voix chaude et avec un sourire éclatant. Si vous êtes venue me demander en mariage, je risque de vous décevoir…

    _ Hélas, il ne s’agit pas d’ ça ! Je… je suis entrain de disparaître, ne le voyez-vous pas ! Je serai bientôt l’homme invisible ! Sauvez-moi, je vous en supplie !

    _ Allons, allons, je ne remarque rien d’anormal chez vous ! Vous avez toujours cette bonne tête d’ahuri ! Ah ! Ah !

    _ J’ vous dis que je suis en train d’ foutre le camp ! Mes atomes me lâchent et je vais me retrouver dans une autre dimension ! La mécanique quantique, vous connaissez ? Tenez, mettez votre main sur ma joue, je suis sûr qu’elle va s’enfoncer dedans !

    _ Je crois plutôt que vous souffrez d’un accès profond de dépression ! peut-être du syndrome de la cabane à son acmé ! Vous vous trouvez si peu de qualités que vous avez le sentiment de vous déliter, jusqu’à l’hallucination !

    _ Très bien, et comment on s’en sort ?

    _ Eh bien, la racine de votre personnalité n’existe pas, ou a dû être sévèrement endommagée ! En d’autres termes, vous êtes la victime d’un traumatisme très grave, remontant à l’enfance !

    _ Cela pourrait expliquer aussi mon amnésie ?

    _ Possible…

    _ E qu’est-ce qui pourrait me réparer ?

    _ Eh bien, il faudrait de nouveau revivre les événements, comprendre que ce n’est pas vous qui êtes mauvais, mais la personne qui vous a fait du mal ! Je peux vous proposer une séance d’hypnose… Cela nous permettra un premier état des lieux !

    _ Tout pour un soulagement ! »

    Paschic est invité à observer un pendule et à se détendre… Il obéit à la voix chaude du docteur Cool, ce qui n’est pas difficile, mais soudain il se cabre, connaît une oppression violente et il voit dans du brouillard un robot géant le regardant avec des yeux rouges ! Puis, le robot cherche à l’écraser et il s’enfuit, éperdu ! « Réveillez-vous, Paschic, je le veux ! hurle le docteur Cool.

    _ Hein ? Quoi ? Qu’est-ce qu’il y a ?

    _ Il est évident que vous souffrez d’un stress post-traumatique, comme si vous aviez fait la guerre ! Mais qui vous a fait mal comme ça ?

    _ La… la Machine !

    _ La Ma… chine ? Ah ! Ah ! Mais voyons, la Machine est notre bienfaitrice ! Et quel lien vous unirait à elle ? Et, puis, Paschic, la femme est incapable de terroriser ainsi ! Elle n’est pas une destructrice, même façonnée par les diktats masculins !

    _ Vous ne me croyez pas ?

    _ Pas le moins du monde !

    _ Bon ben, merci docteur… Sororité ! »

                                                                                                        7

    La sonnerie de la porte de Paschic retentit et il va ouvrir : « Docteur Cool ?

    _ Sororité !

    _ Soro…

    _ Écoutez, Paschic, dans cette ville on se dit sororité à la place de bonjour ! Il vaut mieux que vous adoptiez l’usage, pour ne pas paraître d’emblée suspect !

    _ D’accord, sororité !

    _ Parfait ! Je peux entrer ? »

    Paschic s’efface et le docteur file dans le salon : « C’est pas mal chez vous ! fait-elle.

    _ A vrai dire, j’ai du mal à me persuader que c’est vraiment chez moi...

    _ Toujours ce problème d’amnésie ? Écoutez, Paschic, je voudrais m’excuser pour hier… Je me suis montré brutale, sceptique… et je voudrais rattraper le coup !

    _ Asseyez-vous, je vous en prie… Thé, café ?

    _ Non merci ! Alors hier soir, j’ai un peu fouillé dans mes archives… Comme vous l’avez peut-être déjà deviné, je suis chef de projets scientifiques et je suis donc au courant de tout ce qui se passe dans ce domaine… En considérant vos maux, j’ai mis la main sur ceci… (Elle pose un dossier sur la table…)

    _ Qu’est-ce que c’est ?

    _ Avez-vous entendu parler du projet SE, pour Supers Enfants ? Non ? Sachez qu’on a imaginé transformer des enfants, pour qu’ils soient plus performants et plus obéissants ! Des petits garçons essentiellement !

    _ Mais dans quel but ?

    _ Mais d’abord pour diminuer la charge mentale de la mère ! afin qu’elle soit plus libre et qu’elle puisse se réaliser pleinement ! Mais ensuite on créait une nouvelle génération d’hommes, qui aurait aidé naturellement leurs épouses dans les tâches ménagères !

    _ Bon sang !

    _ Ce projet a été testé auprès d’une centaine d’enfants… et les résultats ont été spectaculaires ! Du matin au soir, les petits garçons, au lieu de jouer, récuraient, faisaient la vaisselle, balayaient, se tenaient absolument aux ordres de leur mère !

    _ Des esclaves modernes somme toute !

    _ Vous exagérez…

    _ Mais comment cela fonctionnait-il ?

    _ Hum ! C’est ici que les choses se corsent ! Les enfants étaient pucés !

    _ Quoi ?

    _ Les enfants avaient une puce dans le cerveau, avec un programme évolutif grâce à l’IA !

    _ Vous voulez dire que les enfants étaient commandés par leur puce, qu’elle commandait leur cerveau ?

    _ Oui, elle leur disait quoi faire et c’était d’aider leur maman et de leur obéir !

    _ Mais c’est dingue ! Et le libre-arbitre ? Et la constitution de la personnalité ?

    _ Hum, je présume que c’est justement pour ce problème d’éthique que le projet a été abandonné !

    _ A la bonne heure ! Mais, si vous avez raison, je devrais être pucé moi-même…

    _ Voulez-vous que nous le vérifions ? J’ai là un scanner qui va nous renseigner très vite !

    _ Allez-y ! »

    Le docteur Cool se lève et passe un petit appareil près de la tête de Paschic : « J’ai le regret de vous dire que vous êtes effectivement pucé, dit le docteur. Apparemment, vous avez bien fait partie du projet SE !

    _ Mon Dieu, il faut m’enlever ça tout de suite !

    _ C’est impossible, Paschic, sans vous ôter la vie !

    _ Ce n’est pas vrai, bon sang !

    _ Je suis désolé…

    _ Mais vous m’avez dit qu’une centaine d’enfants ont été concernés ! Comment se fait-il que je sois le seul à me plaindre ?

    _ Il se peut que dans votre cas la puce se dégrade et que votre personnalité combatte ses ordres ! Vous devez donc lutter contre vous-même en quelque sorte !

    _ Et je pourrais vaincre la puce ?

    _ Seul l’avenir nous le dira ! »

                                                                                                 8

    Paschic, en ce début de journée, rumine ses questions : « Qu’est-ce que la Machine, quel lien m’unit à elle, pourquoi suis-je amnésique, qui étaient mes parents pour que j’aie été pucé ? Il doit exister des solutions ! Je ne suis pas né pour être malheureux ! Et si je commençais par le commencement ? L’extrait de naissance ! Mon état civil ! La mairie ! »

    Paschic enfile son manteau et un taxi le dépose bientôt devant l’hôtel de ville… C’est un bâtiment austère, imposant, qui est censé représenter l’ordre, le pouvoir ! A l’intérieur, c’est comme un temple, avec un plafond très haut et des piliers, parmi lesquels on se presse en silence ! Une statue de la Machine s’élève au centre du hall et Paschic la regarde attentivement : c’est une femme de marbre, assise et qui semble dominer le monde, jusqu’à l’indifférence ! Invite-t-elle à dépasser l’égoïsme vers un idéal ? On ne saurait le dire, mais la froideur est le sentiment qui s’en dégage le plus !

    Paschic avale sa salive et s’avance timidement vers un guichet : « Sororité ! dit-il. J’aimerais avoir des informations, sur mon état civil…

    _ Sororité ! Votre nom, s’il vous plaît ?

    _ Paschic…

    _ Paschic… Voyons voir… Euh, oui, alors monsieur Paschic, vous voulez bien aller vous asseoir ? Quelqu’un va s’occuper de vous !

    _ Hein ? Euh... oui... »

    Paschic aurait bien demandé pourquoi il constituait visiblement un cas particulier, mais il préfère s’asseoir : cela ne sert à rien de demander des comptes à chaque fois ! Une fois assis, il voit arriver à lui une autre femme, qui lui dit : « Monsieur Paschic, si vous voulez bien me suivre... » Paschic suit la dame dans son bureau, où il reprend un siège… « Alors, monsieur Paschic, vous voudriez avoir des renseignements sur votre état civil, c’est bien ça ? »

    Sur la table, il y a le nom de la dame : « Lapsie ». Lapsie ? Lapsie ? C’est un nom qui n’est pas inconnu à Paschic, mais dès qu’il tente un effort de mémoire, il voit un disque tourner devant lui et il en éprouve un vertige ! « Malheureusement, monsieur Paschic, reprend Lapsie, nous ne comprenons pas vraiment votre démarche ! Nous tous ici nous venons de la Machine ! Elle est notre mère à tous ! Et nous lui devons obéissance, pour que le système fonctionne au mieux !

    _ Vous voulez dire que je suis le fils de la Machine ?

    _ Exactement ! Comme je suis également la fille de la Machine ! Toute la ville et ses habitants lui appartiennent !

    _ Mais je n’appartiens à personne ! 

    _ Pourquoi cela vous poserait-il un problème d’appartenir à la Machine ? Nous, nous en sommes fières ! Et puis n’êtes-vous pas libre, d’aller et venir à votre guise ? La Machine est là pour vous aider, nullement pour vous nuire ! Vous faites le métier que vous voulez, vous gagnez votre vie et de temps en temps, si la Machine a besoin de vous, vous lui obéissez ! C’est votre devoir ! Je vais peut-être vous étonner, monsieur Paschic, mais la Machine vous aime, comme elle aime tout le monde ! Dès que vous vous en rendrez compte, vous l’aimerez aussi !

    _ Et le projet SE ? Et la puce que j’ai dans le cerveau ? Et mes cauchemars ?

    _ Le projet SE ?

    _ Oui, le projet Supers Enfants, pour diminuer la charge mentale de la Machine ! Des enfants commandés par une puce, transformés en petits esclaves, traumatisés !

    _ Voyons, monsieur Paschic, quelle fable ! Mais où êtes-vous aller chercher une histoire pareille ?

    _ C’est officiel, une expérience scientifique !

    _ Vous croyez qu’on puce les gens ? Ne seriez-vous pas complotiste, monsieur Paschic ?

    _ Non, non, je cherche seulement à me sentir mieux…, à comprendre mes troubles !

    _ Et vous faites bien, monsieur Paschic ! S’épanouir est tellement important ! Mais peut-être cherchez-vous dans la mauvaise direction ? Je vous assure que la Machine vous aime et n’est animée que des meilleurs intentions ! Essayez de vous concentrer sur les autres, de ne pas vous appesantir sur votre ego ! Pensez à la haute responsabilité de la Machine, qui a la charge de cette ville ! Devenez performant, monsieur Paschic, et la Machine rayonnera à travers vous… et vous récompensera ! Passez du côté des gagnants, monsieur Paschic !

    _ Vous croyez ?

    _ J’en suis persuadée ! Pour l’instant, vous êtes à la traîne, trop peu combatif ! »

                                                                                                         9

    « Lapsie a raison ! se dit Paschic le lendemain. Pourquoi est-ce que je ne fais pas comme tout le monde ? Réussir, gagner ma vie, fonder une famille et… oublier tout ça ! Ah ! Ah ! Le nouveau Paschic est arrivé ! Ça va faire mal ! Et d’abord se sentir utile ! C’est la base ! Avoir une pensée positive de soi-même ! C’est dans le manuel ! Voyons voir… Je vais d’abord nettoyer de fond en comble mon appartement ! La toilette du printemps ! Oh ! La poussière tremble ! Oh ! Les moisissures vont mourir et elles ne le savent même pas ! La tragédie de l’ignorance ! »

    Paschic se met au boulot et la tâche devient bientôt titanesque : il y a toujours plus de crasse ! On déplace un meuble et elle est blottie derrière ! Mais Paschic ne lâchera rien ! Pourtant, il souffle déjà et se fatigue ! Ce dont il ne se rend pas compte, c’est que la puce de son cerveau a repris le dessus ! Il en est de nouveau esclave et dépasse ses forces !

    A un moment, il déplace un meuble beaucoup trop lourd et bien trop haut… Sa conscience lui donne un ultime message d’alerte, mais il s’acharne et le meuble lui glisse entre les doigts ! Il doit sauter sur le côté, pour ne pas être écrasé ! Le meuble, lui, se disloque sur le sol, déversant son contenu ! C’en est trop pour Paschic, qui jure par tous les diables et se désespère ! C’est la crise ! Paschic a encore été victime de son anxiété ! Mais n’est-ce pas là l’œuvre de la Machine ?

    Paschic range tout et s’écroule épuisé dans un fauteuil ! La Machine n’a-elle pas encore essayé de le tuer ? Bien sûr, c’est impropre de voir les choses comme ça, mais est-ce si sûr ? De nouveau, Paschic fait un effort de mémoire… S’il a bien servi de « cobaye » pour le projet SE, sa personnalité a été méprisée ! Elle a été détruite au profit des ordres de la Machine ! Dans ce cas, il est logique que Paschic doute de lui-même, soit fragile et capable de se blesser ! comme il vient de le faire, en dépassant ses forces ! C’est parce qu’il ne s’aime pas que Paschic se met en danger !

    Comment retrouver la paix, la solidité, le respect pour soi ? Mais en obtenant justice ! en montrant que la Machine l’a bousillé… et en expliquant pourquoi ! Mais tu n’y es pas du tout, Paschic ! La Machine t’aime ! Tout le monde s’aime ! Si Paschic y trouve à redire, c’est parce que lui-même se donne trop d’importance ! Aïe, Paschic est dans une impasse ! On tourne en rond… Paschic est cuit… et il ferme les yeux...

    La porte de l’appartement s’ouvre et deux femmes entrent, dont l’une est aussi massive que l’armoire qui vient de tomber ! Paschic se fige… La femme qui a l’air d’être le chef s’assoit en face de lui et dit : « Alors, paraît que tu cherches après la Machine ? pire, que tu serais enclin à la dénigrer ? Je m’appelle Bona et je suis au service de la Machine ! »

    Bona ? Bona ? De nouveau, ce nom dit quelque chose à Paschic, mais encore une fois dès qu’il essaie de se souvenir, il est troublé par l’angoisse ! « Nous, on est venue te dire de laisser tranquille la Machine ! reprend Bona. Tes insinuations, tu les gardes pour toi ! Oh ! Mais c’est propre ici…, un peu trop même ! Strong, et si tu mettais un peu d’ désordre ! On s’ croirait chez un maniaque ! »

    Strong, le femme imposante, se met à renverser tout ce qui tient debout, vide les étagères, écrase les livres ! « Mais arrêtez votre cirque ! s’écrie Paschic, qui reçoit un coup de pistolet dans la figure.

    _ La ferme ! réplique Bona, qui vient de frapper. La Machine aime qu’on l’aime… et elle veut pas d’histoires ! C’est sa ville ici, c’est elle qui commande ! C’est pas un minable comme toi, Paschic !

    _ Salopes !

    _ Tsss, tsss ! Tu sais pas que l’époque a changé ! Finis les gros bras qui intimidaient les femmes, qui les violentaient ! C’est nous, maintenant, Paschic qui sommes le muscle… et toi, la lavette ! C’est la femme qui décide aujourd’hui ! Elle est libre et c’est elle qui emballe ou non ! L’homme n’a plus le privilège du premier pas ! Va falloir, vous y faire messieurs ! Strong, tu vides aussi le frigo !

    _ Vive le matriarcat ! fait amer Paschic !

    _ T’as tout compris, p’tite tête ! Alors, pourquoi tu remues la boue ? Va pas chercher des noises à la Machine ! Tiens-toi à carreau et tu seras peinard ! Tu piges ou il faut te pendre dehors par les pieds ?

    _ Je pige, je pige !

    _ A la bonne heure ! Si je dois revenir Paschic, je te ferai beaucoup plus mal ! Allez, Strong, on les met ! »

    Paschic est laissé seul dans son appartement dévasté et pourtant quelque chose l’intéresse : pourquoi la Machine a-t-elle tenu à le menacer ? Si elle est innocente et que Paschic se trompe, pourquoi a-t-elle besoin de lui faire peur ? Que craint-elle ? N’est-elle pas indépendante, équilibrée et à cause de son amour, ne devrait-elle pas seulement avoir de la compassion à l’égard de Paschic ? Pourquoi le tourmenter ?

    Et si la Machine venait de se trahir, de montrer son impuissance ? Et si le projet SE était bien une réalité ? Et si la Machine était incapable de vivre en paix, sans nuire à Paschic ? Voilà qui ouvre bien des perspectives ! Paschic a l’impression d’être devant une construction colossale ! Il ne peut pas se taire ! Sororité !

  • Paschic (1-5)

    R29

     

     

     

                             "Je t'ai eu!"

                              Driver

     

                                                121

    Paschic crie : « Je vous en prie, non ! Je vous en supplie ! » On vient le chercher dans sa cellule et il est conduit dans une salle spéciale ! Placé sur un siège, il doit regarder des images étranges, notamment un disque qui tourne ! Une voix fait : « La Machine est bonne ! La Machine est une mère de famille qui ne désire que votre bien !

    _ Non, non, répond Paschic en sueur.

    _ C’est vous qui êtes pervers, Paschic !

    _ Non, non…

    _ Mais enfin ne voyez-vous pas que la société est du côté de la Machine ? Comment pouvez-vous croire que vous êtes meilleur que tout le monde ?

    _ Je ne… suis pas meilleur, mais la Machine me fait mal… Je vous en prie… A boire !

    _ Vous boirez plus tard… Vous vous croyez différent, unique ! Comment expliquer cela, sinon par le narcissisme, la paranoïa ?

    _ La Machine... me méprise…, fait mal…

    _ C’est vous qui êtes pervers, Paschic ! C’est vous le problème ! Mais nous allons extirper le mal de vous, Paschic !

    _ La Machine est… malade…, à cause de son orgueil…

    _ Très bien, expliquez nous ça !

    _ A boire !

    _ Qu’on lui donne à boire !

    _ Merci…

    _ Alors, vos explications ?

    _ La Machine… ne voit pas les autres… Elle s’en sert ! Pour elle, les autres n’ont pas d’existence propre : ils sont ses esclaves ! La Machine rapporte tout à elle !

    _ Vous êtes le seul à parler comme ça ! Les autres membres de la famille sont en accord avec la Machine ! Ils forment un groupe, Paschic, une équipe ! Ils sont soudés, mais pas vous ! Pourquoi ? Parce que vous vous croyez spécial et qu’on ne vous accorde pas assez d’attention !

    _ Ff...faux ! La Machine me fait mal, elle me méprise !

    _ Elle vous reprend, vous humilie, pour que vous rejoignez le groupe ! la sagesse du plus grand nombre !

    _ La Machine est pleine d’orgueil… et d’égoïsme, c’est la vérité !

    _ La vérité ? Et vous êtes seul à la voir ! Elle échappe au reste de la famille, à la société même ! Mais pour qui vous vous prenez, Paschic ?

    _ J’ sais pas ! Je me défends…, c’est tout ! Vous savez pourquoi la Machine m’écrase ?

    _ Non, Paschic, mais continuez à regarder l’écran !

    _ Parce que je suis le plus faible ! Elle a besoin des autres ! des gagnants !

    _ Et vous ne voulez pas en faire partie, Paschic ? Vous ne voulez pas être plus fort et que la Machine vous respecte ?

    _ C’est la vérité, la force !

    _ Vous êtes narcissique, Paschic ! Vous vous croyez le centre du monde ! Rejoignez la sagesse du plus grand nombre ! Adaptez-vous, avant qu’il ne soit trop tard !

    _ La Machine écrase, blesse, méprise, broie ! C’est la vérité ! La Machine est tyrannique !

    _ La Machine est intégrée, mère de famille, et paie vos études !

    _ La Machine est malade, enfermée dans son orgueil ! Elle n’est pas lucide !

    _ Continuez à vous concentrer, Paschic ! Le mal est en vous ! Le vice vous ronge ! Vous êtes un menteur, un fabulateur, un manipulateur ! Quelqu’un de mauvais, Paschic ! C’est cela la vérité !

    _ La Machine est égoïste… Je voudrais dormir…

    _ Plus tard, Paschic ! Quand vous aurez reconnu vos torts à l’égard de la Machine !

    _ C’est elle qui blesse…, qui tue !

    _ Vous êtes le seul à voir ça ! Pour les autres, vous êtes un ingrat ! d’un égoïsme délirant !

    _ La Machine… est dans une tour… Elle tue... ceux qui s’en échappent !

    _ Bla, bla ! Vous n’évoluez pas ! La Machine est une bonne mère, c’est la société qui le dit !

    _ Dormir…

    _ Vous ne dormez pas dans votre cellule ?

    _ Non..., cauchemars ! Peur ! So… solitude… Froid !

    _ Et vous continuez à accuser la Machine ? Vous êtes malheureux et vous ne changez pas ?

    _ Défends la vérité ! Amoureux d’elle ! Peur ! Dormir ! »

                                                                                                 122

    Paschic s’éveille dans un lit d’hôpital et il se demande ce qu’il fait là, car il ne se souvient de rien ! A cet instant, un médecin, vêtu d’une blouse blanche, entre et dit : « Ah ! Je vois que vous êtes réveillé ! Ça va mieux ?

    _ Eh bien, sans doute, mais je ne sais pas du tout pourquoi je suis ici !

    _ Vous n’avez aucun souvenir de ce qui s’est passé ?

    _ Aucun !

    _ Tout ce que je peux vous dire, c’est qu’on vous a trouvé inconscient sur le bas-côté de la route ! L’hypothèse vraisemblable, c’est que vous avez été victime d’un chauffard !

    _ J’ai des séquelles ?

    _ Rien de très sérieux… Mais vous avez reçu un choc ! »

    Paschic regarde par la fenêtre, grimace et demande : « Et nous sommes dans quel hôpital, ici ?

    _ Celui de Saint-Quentin !

    _ Saint-Quentin ? Je ne connais pas !

    _ C’est pourtant l’hôpital le plus important de la ville !

    _ Alors dans quelle ville sommes-nous ?

    _ Mais vous êtes dans la ville de la Machine !

    _ La Machine ?

    _ Mais oui… et sur vos papiers il est indiqué que vous habitez cette ville !

    _ Je… je ne me souviens de rien… lâche Paschic, maintenant en proie à une vive angoisse !

    _ Écoutez, il est possible que vous souffriez d’une amnésie temporaire, dû au choc ! Mais votre mémoire va revenir et les choses rentreront dans l’ordre ! Maintenant, excusez-moi, j’ai d’autres malades à voir…

    _ Bien sûr… Mais, oh ! docteur, quand pourrais-je quitter l’hôpital ?

    _ Eh bien, si vous vous sentez assez bien, cette après-midi même ! »

    Pashcic retrouve donc la rue quelques heures plus tard, mais il ne peut se débarrasser d’un sentiment étrange ! Il a l’impression que les gens le regardent, le surveillent même et en tout cas, ils ont une drôle d’attitude, comme s’ils étaient plus lents, retenus, avec un comportement emprunté, quelque peu artificiel, ainsi que tout le monde aurait joué un rôle !

    Paschic, malgré sa gêne, se raisonne ! Il doit encore être trop sensible ! Le choc qu’il a subi a dû le fragiliser, le traumatiser ! Il suffit de se remettre dans le bain et ça ira mieux et d’abord Paschic aurait intérêt à rentrer chez lui : il s’y changera et retrouvera sûrement toutes ses marques !

    Paschic hèle un taxi et donne l’adresse indiquée sur sa carte d’identité ! Le taxi passe par le centre, mais Paschic n’y reconnaît aucun monument et son angoisse ne le quitte pas ! Il paye le taxi et entre dans l’immeuble qui est censé être le sien ! Bêtement, il frappe à sa propre porte, puis, se rendant compte de sa méprise, il se saisit des clés qui gonflent sa poche ! La porte s’ouvre et Paschic découvre un logement qui lui semble inconnu ! Nul objet ici ne lui rappelle quelque chose et en tout cas, l’appartement est bien trop propre : s’il l’habitait, on y trouverait au moins beaucoup de livres (ça, Paschic ne l’a pas oublié !) et on y verrait quelques chatons de poussière !

    Le malaise de Paschic ne diminue pas et ne pouvant rester enfermé, il ressort pour se jeter quasiment dans un tram ! Il s’agit pour Paschic de réfléchir et aussi d’atteindre les limites de la ville ! C’est comme ça, c’est plus fort que lui : il faut qu’il voie le panneau de la Machine, sans doute pour mieux la contrôler ! Il va donc jusqu’au bout de la ligne qu’il a prise… et il descend au terminus…

    Le voilà au bord de champs de maïs et Paschic espère qu’il laisse derrière lui un peu de son cauchemar, tant l’agitation du trafic l’empêche elle-même de se faire une idée nette ! A quelques mètres devant se trouve le panneau qu’il recherche et il marche vers lui ! Il s’arrête bientôt et lit : La Machine » ! Ainsi le médecin avait raison, mais pourquoi aurait-il eu tort ? Mais Paschic ne reconnaît rien, rien !

    Il est au bord de la panique, quand la sirène d’une voiture de police retentit brièvement ! Le véhicule se place de sorte qu’il bloque Paschic et un policier en sort, qui s’approche et dit : « Monsieur, nous n’aimons pas beaucoup que les gens quittent la ville…

    _ Comment ? Je ne suis pas libre ?

    _ Bien sûr que si, mais c’est pour votre propre sécurité ! Plus loin, le gouvernement fait un certain nombre d’expériences et on nous a clairement dit qu’elles pourraient être dangereuses et qu’il valait mieux que la population reste dans les limites de la ville !

    _ Je l’ignorais…

    _ J’en suis sûr ! Tenez, je vais vous raccompagner chez vous !

    _ Non, non, je voudrais… marcher…

    _ Soyez raisonnable et profitez plutôt de mon véhicule, pendant que je suis encore bien disposé ! Ah ! Ah ! »

    Paschic monte dans la voiture et ne dit rien… Il sent qu’il émane du policier une forte tension et pourquoi a-t-il lui-même le sentiment d’être prisonnier ?

                                                                                                          123

    Le lendemain, Paschic visite la ville, mais ses questions demeurent : qui est-il vraiment, quel est son passé, qu’est-ce que la Machine, que veut-elle ? Paschic lit sur un bâtiment : « Musée de la Machine » et il se décide à y entrer ! L’intérieur est imposant et froid et Paschic achète un billet auprès d’une femme qui a l’air de s’ennuyer ferme… Puis, la visite commence par des couloirs très sombres, circulaires et qui montent, comme si on progressait dans un phare géant !

    L’exposition raconte la vie de la Machine : on la voit d’abord bébé sur des photos en noir et blanc ! Ses parents étaient de pauvres goémoniers, qui brûlaient le varech sur la côte, pour faire de la soude ! La Machine ne paraissait pas incommodée par les fumées, mais il était important de montrer de quel modeste milieu elle s’était élevée, rien qu’à la force de son caractère !

    Une scène dans une niche la représente bientôt sauver des plaisanciers, pris dans la tempête ! N’écoutant que son courage, la Machine vient les chercher avec sa barque, ce qui lui vaudra une médaille et une bourse de la part du gouvernement ! Elle pourra ainsi faire des études et devenir la chef d’un empire !

    Les panneaux, les films, les articles à la gloire de la Machine se succèdent et donnent le tournis ! Ici, la Machine est reine de beauté ! Là, elle salue les grands de ce monde ! Là-bas, elle a quatorze enfants ! Ses usines fument, son mari, Tautonus, pose sur une peau de tigre ! Paschic a l’impression d’être saoul, d’autant que l’ambiance est feutrée à l’extrême, comme si on y allait manquer d’oxygène !

    Paschic veut faire demi-tour, mais il se dit qu’il ne doit pas être loin de la sortie et il préfère continuer, plutôt que de revenir sur ses pas ! Il pénètre alors dans une salle brillante, qui contient au centre un cerveau dans un liquide bleu !

    « Le cerveau de la Machine ! explique un gardien dans le dos de Paschic, qui ne l’a pas entendu venir ! Enfin, c’est une réplique, vous vous en doutez bien ! Mais c’est exactement le sien !

    _ Dites, il n’y a pas de fenêtres par ici, car je voudrais respirer un peu !

    _ Bien sûr que si ! Vous êtes au sommet du musée et du balcon vous verrez toute la ville ! »

    Paschic repère effectivement un passage et débouche dehors, mais le panorama est invisible, caché par une épaisse couche de nuages ! Cela est encore déstabilisant et augmente le sentiment d’irréalité qui ronge Paschic ! De nouveau l’angoisse l’étreint et il n’a plus qu’un seul souhait : quitter les lieux !

    Il prend un ascenseur, qui s’arrête un étage plus bas, pour que deux hommes, à la carrure imposante et vêtus de la même manière, s’y engouffrent ! Le silence est pesant, puis l’ascenseur arrivant à destination, Paschic s’élance quand il est retenu par un des hommes ! « Un instant, dit celui-ci, simple contrôle d’identité !

    _ Quoi ?

    _ Montrez-moi votre pièce d’identité, s’il vous plaît... »

    Paschic, de plus en plus nerveux, tend sa carte… « Vous faites quoi dans la vie, monsieur… monsieur Paschic ? » Aïe, c’est la tuile ! Comment Paschic pourrait répondre à cette question ? Il ne se souvient même pas de son passé ! Il est désemparé devant les deux hommes… « Nous allons devoir faire un rapport, reprend l’homme, car, reconnaissez-le, la situation est étrange ! Vous ne savez ce que vous faites et la Machine veut savoir qui est qui et qui fait quoi à tout moment !

    _ Elle est bien bonne celle-là ! Et depuis quand devrais-je rendre des comptes à la Machine ! Ne suis-je pas un être libre, avec une personnalité propre ?

    _ Eh bien, déjà, coupe l’autre homme, on ne parle pas ainsi de la Machine ! On lui doit beaucoup de respect, car c’est elle qui est à l’origine de tout ici ! C’est elle qui vous nourrit, qui vous habille et que sais-je encore ?

    _ Si nous nous interrogeons sur votre identité, reprend le premier homme, c’est aussi pour votre sécurité, ou votre bonheur ! Nous n’aimerions pas que vous soyez malheureux, que vous échouiez !

    _ Mais échouer à quoi ?

    _ Mais dans la vie ! Il vous faut un travail intéressant… Vous ne voulez pas faire l’aumône, n’est-ce pas ?

    _ Donc, vous commencez par m’oppresser, pour faire mon bonheur, c’est ça ?

    _ Il faut corriger vos affreux défauts, monsieur Paschic ! Nous sommes là pour vous enlever toute velléité de paresse !

    _ Voyez-nous comme vos bienfaiteurs ! »

                                                                                                        124

    Paschic est sommé de se rendre à une visite médicale et le lendemain, il se présente dans un centre aux couloirs tout blancs et au personnel exclusivement féminin ! D’ailleurs, on le regarde avec un sourire en coin, gourmand, car il n’est pas laid et on va pouvoir se rincer l’œil, en l’examinant !

    Cependant, une femme, la quarantaine apparemment épanouie, lui dit : « Je suis le docteur Cool, suivez-moi, s’il vous plaît ! » Le docteur Cool a des formes attirantes et Paschic doit faire un effort pour s’en détacher, ce qui lui permet tout de même de voir qu’on pénètre dans une sorte de laboratoire… Une petite sonnerie d’alerte se déclenche dans son cerveau : qu’est-il venu faire ici exactement ?

    Deux autres femmes entourent maintenant le docteur Cool, comme si Paschic pouvait poser problème et il est invité à remonter sa manche… « Nous allons vous faire une injection, dit le docteur, car tous les habitants de cette ville l’ont reçue ! Elle est obligatoire !

    _ Et de quoi est-elle constituée ?

    _ D’un vaccin qui nous protège tous de certaines maladies ! Il est absolument sans danger... »

    Paschic se laisse faire et bientôt une torpeur, teintée d’euphorie s’empare de lui ! Il remarque de plus en la finesse du bras du docteur Cool ! En fait, il en est fasciné : il y a comme une autorité éternelle diffusée par cet avant-bras !

    « Vous aimez cette partie fuselée, n’est-ce pas ? fait la voix sensuelle du docteur.

    _ Oui… oui, répond fiévreusement Paschic.

    _ Mon autorité est renforcée par le bracelet et vous ne voyez pas bien ma peau, mais elle est comme du sable blanc, pailleté d’or ! Vous m’aimez, n’est-ce pas ?

    _ Oui, je vous aime… Je voudrais embrasser votre bras !

    _ Je sais, mais à présent je vais vous montrer ma jambe ! »

    Le docteur se courbe en avant, ainsi qu’elle voudrait lacer sa chaussure et une jambe racée donne comme un coup de fouet à Paschic ! « Je suis ton maître, n’est-ce pas Paschic ? reprend le docteur.

    _ Oui, oui, répond Paschic, brûlant de désir.

    _ Car tu voudrais embrasser ma cheville ! Et tu sais que j’ai bien d’autres trésors pour toi !

    _ Oui, oui…

    _ Et tu es prêt à faire ce que je dis, n’est-ce pas ?

    _ Oui, oui..

    _ Tu veux un sucre ? Je vais le mettre dans ta bouche !

    _ Oui, oui…

    _ Tu es si gentil, Paschic, que je vais te dire ce qu’on fait ici ! On vient de t’injecter un pur concentré de domination féminine ! Hi ! Hi !

    _ Je… je ne comprends pas…

    _ Depuis longtemps, nous nous demandons de quelle manière la femme attire l’homme ! Nous savons qu’elle concentre cette attention sur une partie de son corps, qu’elle maîtrise parfaitement, pour l’aimer particulièrement ! C’est donc un déplacement psychique, tu me suis toujours, Paschic ?

    _ Oui.. oui…

    _ Nous avons analysé ce contrôle psychique et nous en avons tiré ce mélange d’hormones… En fait, l’arme de la femme étant sa séduction, nous avons voulu développer cette arme ! afin que nous, les femmes, nous ayons enfin le pouvoir ! Tu ne m’en veux pas, Paschic ?

    _ Non.. non…

    _ Tu ne m’en veux pas, car je peux te donner du plaisir ! Pas vrai ?

    _ Oui… oui…

    _ Je suis ta maîtresse, Paschic ! fais ouah ! ouah ! »

    Mais à cet instant Paschic a comme un coup de fatigue… Ses yeux papillotent et il est attaqué par un affreux mal de tête ! « Dans le fond, dit-il au docteur, tu n’es qu’une garce ! une sale grue ! la petite égoïste à son papa !

    _ Quoi ? Mais qu’est-ce qui s’ passe ?

    _ Non mais regarde-toi ! Tu me dégoûtes ! »

    Le docteur s’empare du flacon, qui a servi à l’injection, et s’écrie : « Mais… mais il est périmé ! Qui m’a remis un flacon périmé ? (Elle regarde ses aides.) Comment avez-vous pu commettre une telle erreur ? Vous avez oublié qu’une dose trop vieille entraîne une réaction négative ? Vous ne savez pas que la femme qui ne peut plus séduire méprise ! C’est une loi et vous êtes des incapables ! »

                                                                                                             125

    Après cet incident, Paschic peut repartir chez lui, mais dans la rue le suit une voiture noire, qui vient à sa hauteur et par la vitre baissée, un homme l’interpelle : « Monsieur Paschic, veuillez monter à côté de moi, je vous prie ! » Paschic examine le passager arrière et se demande quelle décision prendre, quand deux hommes surgissent des sièges avant, avec un air menaçant !

    Paschic réplique donc : « Je ne crois pas avoir le choix ! » et il fait le tour de la voiture, pour s’asseoir auprès de l’inconnu ! « Monsieur Paschic, reprend celui-ci et comme la voiture redémarre, j’ai besoin de vous ! Mais laissez-moi faire les présentations… Je suis le Baron et voici mes hommes : Rico et Tony ! Monsieur Paschic, j’ai un métier un peu particulier… Hum ! Disons que je suis un voleur distingué ! Je ne m’occupe que d’affaires importantes, comme celle qui me préoccupe en ce moment… Vous ne me demandez pas quelle est-elle ?

    _ Disons que j’ai d’autres soucis en ce moment !

    _ Bien sûr ! Chacun va cahin-caha sur le chemin de la vie ! Mais, comme j’ai besoin de vous, je ne peux pas vous laisser dans l’ignorance ! Monsieur Paschic, j’ai décidé de faire le coup du siècle : ce soir je vide le coffre de la Machine ! Vous ne dites rien ? Votre réaction est surprenante ! Je m’attendais à ce que vous vous écriiez : « Seigneur, le coffre de la Machine ? Mais c’est pure folie ! Le paradis lui-même est moins gardé ! Etc. ! »

    _ C’est que, en ce moment, j’ai des problèmes d’amnésie… Vous savez ce que c’est : on prend un coup sur le crâne et on se dit que c’est immérité, d’autant qu’on s’appelle… Mais comment on s’appelle déjà ?

    _ Ah ! Ah ! Bien essayé, monsieur Paschic, mais le truc de l’amnésie est assez usé, vous ne trouvez pas ? En tout cas, j’ai appris la relation particulière qui vous lie à la Machine et c’est comme ça que vous pouvez m’être utile…

    _ Mon amnésie n’est pas feinte ! Je découvre cette ville, qui est pour moi inconnue ! Ce que je sais par contre, c’est que mes talents de cambrioleur sont nuls ! J’ai honte dès que je mens !

    _ Et c’est tout à votre honneur ! J’aime qu’on puisse faire confiance ! Mais, en ce qui concerne la partie technique, Tony et Rico sont parfaits ! Non, je crains un piège de la Machine…, un mot de passe en fait qui échapperait à tout analyse et qui me fermerait à jamais les portes de l’Empyrée !

    _ Vous ne me comprenez pas ! Je suis dans le brouillard ! Je fais fonctionner la corne de brume, avec un front en sueur ! Et vous me parlez de mot de passe ! Désolé, mais je vous renvoie aux cuisines ! Un vol dans la réserve, on verra ça plus tard !

    _ Vous êtes insolent, monsieur Paschic ! Rico et Tony vont s’occuper de vous !

    _ Ça va, ça va ! Rien ne vaut une petite devinette, pour retrouver la mémoire ! »

    Le soir venu, Paschic est habillé de noir, dans une combinaison moulante et on rejoint des canalisations, qui obligent de ramper ! On transpire beaucoup et c’est bien là l’un des symboles du travail ! Enfin, on arrive devant la porte du coffre et elle est colossale ! Son acier paraît indestructible, mais qu’à cela ne tienne, nos cambrioleurs l’attaque avec des mèches spéciales, qui creusent en faisant fondre !

    Après un temps qui semble un siècle, Tony s’écrie : « Ça y est ! Y a plus qu’à la tirer ! » et effectivement la porte s’ouvre sous les efforts ! « La Vache ! fait Rico. Le Baron avait raison ! On est devant un dernier obstacle !

    _ Rideau laser ! J’ dirais ! rajoute Tony. Et il ne disparaîtra qu’avec un mot de passe ! »

    A côté, sur un écran défile la phrase suivante : « Tout vient de la Machine... » En dessous, un clavier indique qu’il faut sans doute la compléter ! « A toi de jouer, la matière grise ! dit Rico à Paschic.

    _ Je vous ai dit que je suis amnésique ! Alors votre problème !

    _ C’est aussi le tien ! réplique Tony. Il nous reste quinze minutes avant la première ronde !

    _ Je crois qu’il faut le stimuler ! enchaîne Rico, qui applique son pistolet contre la tempe de Paschic !

    _ Bien, bien ! Je vais me concentrer ! »

    Paschic se répète mentalement la phrase de l’écran : « Tout vient de la Machine… «  et soudain il a une réminiscence violente ! Il voit quelqu’un qui cherche à le détruire ! Serait-ce la Machine ? Si c’était le cas, quel serait alors le lien qui les unit ? Le souvenir est de plus en plus pénible ! Paschic en éprouve une souffrance et une angoisse grandissantes ! « Alors, ça vient ? s’emporte Rico.

    _ Hein ? Oui… peut-être... »

    Paschic se dit qu’il a subi de tels dommages que la phrase doit être celle-ci et il la frappe : « Tout vient de la Machine… et retourne en elle ! » « Elle doit se prendre pour Dieu… », explique Paschic, mais ses compagnons n’écoutent pas : le rideau laser vient de s’éteindre ! Rico et Tony se précipitent, le sac ouvert, quand ils doivent brusquement déchanter, car le coffre est vide ! Sur une étagère, il n’y a que deux dossiers, nommés Haine et Mépris !

    « Qu’est-ce que ça veut dire ? » demande Tony, mais seul le déclenchement d’une alarme lui répond ! C’est le sauve-qui-peut !

  • Paschic (ou Rank) 116-120

    R28

     

     

                          ""J'ai faim!" dit Big Jim."

                                             La Ruée vers l'or

     

     

                                               116

    Une fois n’est pas coutume, la Machine, Bona, Lapsie et… Paschic sont au restaurant ! Les trois filles boivent beaucoup, quand Paschic s’ennuie déjà… « Attention ! Ta, ta, ta ! s’écrie Bona. Hier, saut en parachute !

    _ Ouh ! C’est pas vrai ! fait Lapsie.

    _ Si ! J’ai osé !

    _ Ouh ! Santé !

    _ Santé !

    _ Alors, comment c’est ? demande la Machine.

    _ Eh bien, la porte de l’avion s’ouvre… Tu vois des maisons et des champs… et faut y aller ! Go ! Go !

    _ Waouh ! J’ pourrais pas ! coupe Lapsie.

    _ Mais t’as peur et pourtant, t’y vas et quelle sensation de liberté ! Tu sens brûler ton ventre !

    _ Ah ! Ah !

    _ C’est d’abord la chute ! A toute vitesse ! Il n’y a plus que le vent et tu vois le sol se rapprocher ! Ça va très vite ! Trop vite même !

    _ La vache !

    _ Et hop, le parachute s’ouvre ! T’es tirée en arrière, puis tu descends doucement ! Y a plus qu’à poser les pieds, en douceur !

    _ Ouh ! Ouh ! Elle l’a fait !

    _ Faut oser les filles ! Faut pas laisser passer sa chance ! La vie est trop courte !

    _ T’as raison ! approuve Lapsie. Moi aussi, j’ai une grande nouvelle à vous annoncer ! Ta, ta, ta ! Je divorce !

    _ Bon sang, Lap ! Enfin ! fait Bona ! J’ t’embrasse ! Comme je suis fière de toi !

    _ Tu peux ! Je me débarrasse de lui ! Je m’en rends pas encore compte ! Depuis combien d’ temps on était ensemble ? Cinq, six ans ?

    _ Waouh ! Elle a osé !

    _ Je me suis dit la même chose que toi ! On n’a qu’une vie et le bonheur est ici et maintenant !

    _ Santé !

    _ Santé ! J’avais peur, bien entendu, à cause des habitudes ! Mais je suis de nouveau libre ! J’ai eu le courage, waoouh !

    _ Et ton mari, comment il l’a pris ?

    _ Il était verdâtre !

    _ Ah ! Ah !

    _ Il m’a dit : « Mais voyons, Lap, je t’aime ! Tu n’a pas l’ droit d’ me faire ça ! » « Je n’ t’aime plus, Karl ! lui ai-je répondu. Où est la flamme entre nous ! Je veux vivre, Karl ! Tu comprends ? Vivre ! »

    _ Ah ! Ah !

    _ C’est ce que je dis à mes patientes, reprend Lapsie. Osez ! Ayez de l’audace ! Rien de pire que d’avoir des regrets !

    _ Eh ! Oh ! Les filles ! intervient la Machine. Moi, j’ai quand même assuré ! J’ai veillé à ce que ma famille reste unie ! qu’on forme un clan ! Car y a rien d’ mieux ! C’est sacré ! Le bonheur de mes propres filles avant tout ! Et croyez-moi, ça c’est du boulot ! Combien d’ fois j’ai pas été face à l’ingratitude ? J’ai dû tout contrôler, même Tautonus ! Je suis passée par toutes les épreuves !

    _ Bien sûr, la Machine, respect !

    _ Respect !

    _ Et Paschic qui dit rien !

    _ Il boude !

    _ Il peut pas dire grand-chose, il a jamais rien d’ fait d’ sa vie !

    _ Pauvre Paschic ! C’est le méchant garçon à sa maman !

    _ Ah ! Ah !

    _ Vous voulez savoir ce qu’est le vrai courage, les filles ? coupe Paschic, la véritable audace ? Alors « ne vous souciez pas de ce que vous mangerez, ni comment vous vous vêtirez ! Car votre père qui est là-haut sait très bien de quoi vous avez besoin ! Mais rendez à Dieu ce qui est à Dieu ! » Ça, c’est fort les filles ! Ça, c’est de l’amour, comme vous ne l’imaginez même pas ! Au fond, vous êtes des branleurs ! »

                                                                                                      117

    La Machine commande un galion… Elle se réveille dans sa cabine pleine de dorures et quitte ses draps de soie ! Elle se refait une beauté devant une psyché et s’habille, aidée par Bona ! « Alors comment est le temps ? demande la Machine.

    _ Beau, vraiment beau !

    _ Et l’équipage ?

    _ Bien tenu par Lapsie !

    _ Alors tout est parfait ! On va pouvoir chasser du pirate ! « Nettoyez la mer ! », m’a dit la reine ».

    Les deux femmes montent sur le pont, la Machine dans un grand uniforme ! Au-dessus se gonfle une cathédrale de voiles, que l’équipage, entièrement féminin, contrôle sous les ordres de Lapsie ! « Lieutenant Lapsie, fait la Machine, les femmes sont en forme ?

    _ Elle sont mieux que ça, madame l’amiral, elles sont enthousiastes ! Un hourra pour l’amiral, les filles ! demande en criant Lapsie.

    _ Hourra ! Hourra ! font les filles du haut des vergues.

    _ Longue-vue ! commande la Machine, qui commence à inspecter la mer.

    _ Voile à tribord ! hurle la hune.

    _ Je me demande ce que ça peut être… fait Bona.

    _ C’est un pirate ! un va-nu-pieds ! répond la Machine en souriant. On va n’en faire qu’une bouchée ! Barre à tribord ! Hissez le cacatois ! »

    Les ordres sont répétés et on gagne sur le pirate ! « Branle-bas de combat ! ordonne la Machine.

    _ Tout le monde aux pièces ! » crie Lapsie.

    Le galion présente bientôt ses soixante bouches à feux au pirate, qui n’est qu’un brick à l’air pacifique ! Les canons tonnent et toute la mâture du brick s’envole ! Le « pirate » est condamné à se rendre et leur commandant conduit devant la Machine, qui demande : « Qui est-tu ?

    _ Paschic ! répond l’homme et immédiatement un frisson parcourt le galion !

    _ Ainsi donc, nous venons de capturer le célèbre forban Paschic ! reprend la Machine.

    _ Je me vois plutôt comme un aventurier ! rectifie Paschic.

    _ Peu importe ! La reine sera heureuse de te voir pendu ! Mettez le prisonnier aux fers ! »

    La soirée se passe en réjouissances et la Machine se régale devant un somptueux dîner ! Cependant, Bona lui murmure à l’oreille : « Il y a là un homme de Paschic, disant qu’il a un formidable secret à vous révéler ! » La Machine, d’abord contrariée, suit Bona et s’adresse à l’homme, avec un mouchoir sur le nez : « J’espère que c’est important, sinon tu iras rejoindre les requins !

    _ Ça l’est, madame ! Paschic a un trésor fabuleux, sur une île non loin d’ici ! Il suffit de le faire parler !

    _ Bien, je te récompenserai, si c’est vrai ! Comment t’ appelles-tu ?

    _ Judas, madame ! »

    Le lendemain, on conduit Paschic dans la cabine de l’amiral. « Il paraît que tu as un trésor ? fait la Machine. Amène-nous à lui et je te laisserai la vie sauve !

    _ Je ne sais pas si vous en êtes digne ! »

    Bona frappe Paschic : « Insolent ! crie-t-elle. Ce n’est pas une façon de parler à la Machine !

    _ Pour ce que j’en disais..., répond Paschic qui se masse le cou.

    _ Conduis-nous au trésor ! » répète la machine, dont les yeux brillent de cupidité !

    On mouille devant l’île en question et une barque se détache du galion. A son bord se trouvent la Machine, Bona, Paschic et quelques gardes… On touche la plage, alors que des vagues remontent inlassablement vers les palmiers ! L’île semble déserte et on entre dans la jungle ! « J’ te préviens, Paschic, fait Bona, si tu t’es moqué de nous, tu n’ repartiras pas d’ici !

    _ Attendez que je m’ repère, répond Paschic d’une voix quasi malicieuse. Il y a ce rocher en forme de crâne là-bas… C’est à une cinquante de pas après, dans une clairière !

    _ Allons-y ! » ordonne brûlante la Machine.

    On se remet en route et bientôt Paschic s’arrête, en disant : « C’est là !

    _ Vite, vite, creusez ! » fait la Machine.

    Paschic est mis à contribution et les pelles enlèvent de la terre, sous un soleil ardent ! Enfin, l’une d’elles frappe quelque chose de dur et on extrait avec peine un coffre ! On l’ouvre, mais il est vide ! « Trahison ! s’écrie la Machine, qui pointe un mousquet sur Paschic. Fais ta prière, chien galeux !

    _ Mais je ne t’ai pas trompée, la Machine ! Regarde autour de toi ! Vois cette beauté, cette nature luxuriante ! Elle te donne tout ce dont tu as besoin ! C’est cela mon trésor ! Mais tu restes aveugle ! Ce que tu veux, c’est de l’or pour parader, jouir du pouvoir sur les hommes, mais à quoi bon ? Débarrasse-toi de ton ego et tu resteras ici en sécurité et en paix !

    _ Grrrr ! »

    La Machine tire, mais un cochon effrayé brusquement la bouscule ! Elle manque Paschic qui en profite pour s’enfuir ! « Courez-lui après ! hurle la machine ! J’ veux la peau d’ ce fumier ! »

                                                                                                    118

    Qui ne connaît pas Las Vegas ? ses temples du jeu, ses décors extravagants, son ambiance électrique ? Dans un appartement d’un hôtel luxueux se joue une sérieuse partie de poker ! Sur la table, les jetons représentent des milliers de dollars et on arrive à un instant décisif ! Les visages sont tendus et il y a là l’Angoisse, une femme froide et sèche, sans doute la meilleure joueuse de poker de tous les temps, mais on trouve encore Lapsie, la Machine et Paschic !

    C’est à Lapsie de parler… Elle regarde encore ses cartes, fait une grimace et dit « Je passe ! » Ce n’est pas une surprise pour les autres, car Lapsie n’a pas les reins assez solides, mais elle est encore « lessivée » ! Elle perd sa mise et n’a plus de fonds ! Elle a le destin des joueurs médiocres, qui confondent leur peur avec la prudence !

    La Machine fait : « Eh bien les enfants, je crois que cette fois-ci le pactole est pour moi : brelan de reine ! » La Machine tend les mains, pour prendre les jetons, mais l’Angoisse l’arrête, en disant : « Tss, tss, la Machine ! Tu rêves à pleins poumons ! Regarde : brelan de rois !

    _ Ce… ce n’est pas possible ! s’écrie la Machine.

    _ Mais si… Une autre fois peut-être, la Machine…

    _ Tu… tu as triché ! Espèce de salope !

    _ Tu me déçois, la Machine… Je pensais tes nerfs plus solides !

    _ Tu jouis, hein ? Tu m’as mise à plat et tu t’ régales ! Mais t’as triché ! T’entends, roulure ! »

    La Machine se lève brusquement et saute à la gorge de l’Angoisse, qui fait un signe en direction du personnel de l’hôtel ! Aussitôt deux malabars se saisissent de la Machine, qui crie encore : « Mais lâchez-moi, les eunuques ! Je veux juste étrangler cette tricheuse !

    _ Je crois , messieurs, que la Machine a besoin d’un peu d’air frais !

    _ Mais lâchez-moi ! Je reviendrai l’Angoisse et je t’écraserai ! Je t’ ferai vomir tes tripes ! Et à vous aussi, bande de tarés ! Vous ne savez pas qui je suis ! Je suis la Machine ! »

    On entend une porte claquer, puis c’est de nouveau le silence : « Ouf ! dit l’Angoisse. Regrettable incident ! Il est dommage de jouer avec des amateurs ! Mais on plumerait qui, s’ils n’étaient pas là ? N’est-ce pas, Paschic ? J’aime ton calme, j’ t’ assure ! Tu sais perdre avec élégance !

    _ Qui t’a dit que j’avais perdu ?

    _ Mais... »

    A cet instant, Paschic montre son jeu et à la grande stupéfaction de l’Angoisse, quatre as apparaissent ! « Mais, mais ce n’est pas possible ! s’écrie l’Angoisse.

    _ C’est ce que vient de dire la Machine !

    _ Tu… tu as triché !

    _ Allons, l’Angoisse, tu sais bien qu’on ne peut pas tricher contre toi… C’est inutile !

    _ Je… je ne comprends pas… Tu as toujours perdu contre moi !

    _ C’est vrai, j’ai longtemps eu peur ! J’ai beaucoup couru, mais on évolue l’Angoisse ! On apprend à ne plus te craindre et on finit par gagner contre toi !

    _ Comment as-tu fait ?

    _ Je me nourris de ma paix… Comme d’habitude, tu as effrayé tout le monde, par tes mises vertigineuses ! Tu parais alors invincible et on perd le sens du jeu ! C’est inévitable ! Lapsie se grattait même partout ! La Machine est plus costaude, mais elle ne pouvait s’empêcher de grimacer… Pour ma part, j’ai appris que ton comportement est essentiellement du bluff ! Il suffit d’attendre, de laisser passer l’orage, en s’accrochant humblement, mais avec confiance !

    _ Tu m’impressionnes, Paschic !

    _ Mais j’espère bien ! C’est des années d’efforts, de recherches solitaires, quand les autres s’amusent et boivent !

    _ Donc, si je comprends bien, tu n’as jamais perdu de vue les cartes ?

    _ Non, malgré la peur que tu produis… Je te le dis, maintenant je ris même de toi !

    _ Très bien ! Mais… Euh… En ce moment, je suis un peu gênée… Tu pourrais me laisser une partie du butin… Je te rembourserai plus tard !

    _ Non l’Angoisse ! N’y vois pas de la dureté de ma part, mais gagner contre toi, c’est aussi s’aimer soi-même ! Il ne faut pas culpabiliser parce que toi, tu prends ton air triste ! Sinon on repart pour un tour de manège ! T’as mille astuces dans ton sac !

    _ Ah ! Ah ! J’aurais essayé !

    _ T’inquiète pas ! Tu vas t’ refaire en un tour de main ! »

                                                                                                     119

    « Aujourd’hui, Paschic, dit la Machine, je vais t’apprendre à diminuer ma charge mentale !

    _ Ah bon ?

    _ Oui, tu vas d’abord éplucher les patates, puis tu passeras la cireuse et tu nettoieras les carreaux ! Il faut que tout soit propre pour ce soir !

    _ Qu’est-ce qu’il y a ce soir ?

    _ Moi et Tautonus, nous recevons le préfet ! C’est bon pour la campagne de ton père et sa carrière ! Je te rappelle que c’est nous qui payons tes études !

    _ Bien sûr !

    _ Tu n’hésiteras pas sur l’huile de coude, hein, pour le ménage ! Et en revenant de l’école, tu passeras chez le boulanger et le poissonnier ! Ils sont au courant, c’est une commande ! Tu m’as bien compris ?

    _ Affirmatif !

    _ Cesse de faire le pitre ! Il faut que tu aides à la maison, sinon on n’y arrivera pas ! Je ne peux pas faire tout toute seule !

    _ Évidemment !

    _ J’ai vu ton professeur de maths et il m’a dit que tes résultats n’étaient pas très bons ! « Pourtant, il a le potentiel ! » a-t-il rajouté. Donc, c’est toi qui as la solution ! C’est à toi de travailler, est-ce que c’est clair ?

    _ Oui…

    _ Bon, mais on parlera de ça plus tard, car j’aurais encore besoin de toi avant le dîner, pour mettre le couvert ! Allez, au boulot ! »

    Paschic fait comme on lui a demandé : il s’empresse de préparer les patates, il balaie, il essuie, il cire, il frotte, il prend son cartable et file à l’école ! Il essaie de ne pas s’endormir pendant les cours, il rit dans la cour de récré, puis il pense au boulanger et au poissonnier !

    Il rejoint sa chambre et commence ses devoirs, en consultant sa montre, car il ne faut pas être en retard sur le programme ! Le couvert doit être mis à la minute près ! La Machine cependant est aux fourneaux et elle ne rigole pas : il ne s’agit pas de rater les plats !

    Enfin, les invités arrivent… On les débarrasse, on leur propose un apéro, on se veut parfaitement détendu ! Dans les coulisses, Paschic range les manteaux, se tient au garde-à-vous, dans le cas où il manquerait des glaçons ou une bouteille de jus, pour quelqu’un qui ne boit pas d’alcool ! Paschic n’a pas la tenue du serveur, mais il a le même rôle !

    On passe à table et les invités font part de leur admiration, pour la qualité du couvert et de l’entrée ! La Machine assure qu’elle a voulu faire simple, que ce n’est rien ! On se récrie ! On insiste sur la finesse du mets ! On loue les talents de cordon bleu de la cuisinière, on secoue devant elle l’encens et elle prend l’air modeste ! Elle s’enchante pourtant ! Elle semble avoir le nez dans la coke !

    A chaque plat, on n’en peut plus de se ravir et Tautonus s’épanouit : les premiers jalons de sa réussite sont posés ! Il est maintenant intime avec le préfet ! Il pourra compter sur son soutien ! Malheureusement, en passant, on cite le cas Paschic, qui ne travaille pas assez à l’école ! Le préfet se veut rassurant, pour un enfant qui n’est pas le sien ! Il dit : « Mais laissez-le donc ! La jeunesse d’aujourd’hui a besoin de temps ! Quand il aura choisi sa voie, eh bien, il ira à fond, j’en suis sûr !

    _ Tout de même, fait la Machine, je le soupçonne d’avoir une queue de vache dans la main !

    _ Certainement ! » renchérit Tautonus.

    On change de sujet ! « Il y a trois jours, vous ne savez pas qui j’ai rencontré ? demande le préfet. Baramut ! l’ancien ministre…

    _ C’est pas vrai !

    _ Si ! Si ! Alors, il m’a reconnu… Il m’a salué très digne…

    _ Après ce qu’il a dit sur… C’est un comble !

    _ Mais c’est un type très arrogant ! dit la Machine. Je le vois même snob !

    _ Il ne pense qu’à sa carrière ! approuve Tautonus.

    _ Bien sûr, il veut toujours aller plus haut !

    _ Encore un peu de dessert, monsieur le préfet ?

    _ Appelez-moi Jacques, je vous en supplie, sinon je vais encore me croire à la préfecture !

    _ Donc, je vous redonne un peu de crème brûlée ?

    _ Oui, elle est tellement bonne !

    _ Ah ! »

    Plus tard, les invités sont partis et il faut faire la vaisselle ! Paschic participe évidemment et il écoute : « Je crois qu’on a marqué des points ! dit la Machine.

    _ Oui, ton crabe était merveilleux ! Bon, je vais me coucher, j’ suis crevé !

    _ Bien sûr, chou ! Paschic, place bien le torchon à sécher ! Il s’agit pas de faire le boulot à moitié !

    _ Tu sais, je connais un moyen de diminuer ta charge mentale…

    _ Ah bon ? Ça ne m’étonne pas, monsieur je-sais-tout !

    _ Il suffit de diminuer tes ambitions !

    _ Quoi ? Qu’est-ce que tu as dit ? Non mais pour qui tu t’ prends, espèce de morveux ! »

    Elle se met à frapper Paschic de toutes ses forces !

                                                                                                   120

    « Jeffrey ! crie le maire, dans son bureau qui domine la ville.

    _ Oui, monsieur, fait le premier adjoint en entrant.

    _ Vous entendez ? »

    Le premier adjoint tend l’oreille, puis dit : « Non monsieur, je n’entends rien !

    _ C’est bien ça, Jeffrey, on n’entend rien ! C’est le silence ! Et je n’aime pas ça, Jeffrey, oh non !

    _ C’est curieux en effet…

    _ Mais qu’est-ce que je vais devenir, moi, Jeffrey ? Le silence, il m’angoisse, c’est comme la mort ! Mais, bon sang, où sont les bruits de mes chantiers ? Il y en a partout et on devrait les entendre !

    _ Je n’ai pas eu vent d’une grève pourtant…

    _ Tout me semble si vide soudain ! C’est comme s’il neigeait ! Je me sens subitement inutile… J’ai l’impression d’étouffer !

    _ Vous pourriez rentrer chez vous, vous reposer un peu !

    _ Chez moi ? Et qu’est-ce que je ferais chez moi ?

    _ Vous occuper de votre femme, de vos enfants…

    _ Ma femme et moi, nous sommes de bons amis, Jeffrey… Nous avons chacun notre vie… et les enfants sont grands maintenant !

    _ Un verre alors ?

    _ Mauvais pour ma santé, Jeffrey ! Voilà que je transpire et que je dois m’essuyer ! Il me faut trouver une solution et vite !

    _ Hélas, la cérémonie de la Libération a été reportée à cette après-midi !

    _ Oh, mais je m’y ennuie de toute façon ! Non, ce qu’il me faut c’est du spectaculaire, du grandiose, du démesuré, Jeffrey ! Je veux voir ma ville grandir ! Rien n’est plus beau qu’un bâtiment qui sort de terre ! Du neuf, Jeffrey, je veux du neuf ! Voilà ce qui ragaillardit le sang !

    _ La modernité…

    _ Exactement ! Vous ne le savez peut-être pas, mais je suis issu d’un quartier plus que populaire ! Je peux même dire qu’il était pauvre, médiocre, miséreux ! Nous habitions dans une arrière-cour : pas de lumière et une odeur de chou qui ne quittait plus les narines !

    _ D’où votre engagement à gauche...

    _ Bien entendu ! Je me disais : « Plus jamais ces taudis, ces logements malsains ! » Le confort et la salubrité pour tous, Jeffrey !

    _ Et vous y êtes arrivé ! Vous voilà maire et promoteur de votre ville !

    _ Et on me critique pour ça ! On dit que je suis mégalomane, alors que c’est le bien du peuple, mon seul objectif ! Aaaargh !

    _ Vous n’allez pas bien !

    _ Le cœur ! Si je reste ici, je crains une attaque ! Ce qu’il me faut, ce sont mes chantiers ! le bruit des grues, des marteaux, des perceuses ! L’odeur du béton, je veux la renifler ! Je dois voir des types en jaune, avec un casque, qui crient ou qui étudient des plans ! Les rues bouchées, les façades qui s’élèvent vont me calmer !

    _ Je sors la voiture ?

    _ C’est ça ! Je vous retrouve en bas…, le temps de me rafraîchir un peu… »

    Une Lincoln noire quitte bientôt la mairie et Jeffrey, la conduisant, demande : « Où allons-nous, monsieur le maire ?

    _ Bon sang, j’ai dix mille chantiers ! On devrait en trouver un en activité rapidement, non ?

    _ Voyons… La nouvelle gare routière, le nouveau stade, la deuxième ligne de tram, les logements en face des Impôts… On n’a que l’embarras du choix !

    _ Stop, Jeffrey ! Stop !

    _ Qu’est-ce qui s’ passe ?

    _ Reculez ! Allez-y reculez ! Qu’est-ce que c’est que ça, Jeffrey ?

    _ Un… arbre…

    _ Un arbre, Jeffrey ! Et qu’est ce que j’ai demandé ? Qu’il n’y ait plus d’arbres dans ma ville, notamment à cause des étourneaux ! Étourneaux, que d’ailleurs j’entends ! Ah ! Ils se foutent de nous, Jeffrey ! Ils pavoisent, ils médisent, ils persiflent !

    _ Les gars auront oublié cet arbre…

    _ Où est la sulfateuse ?

    _ Dans le coffre ! Mais les gens…

    _ Ils verront que j’agis pour leur bien ! Et puis à cette heure-ci, y a pas grand monde ! »

    Le maire sort du véhicule et prend un fusil-mitrailleur dans le coffre : « Bien les étourneaux, crie-t-il, la plaisanterie est terminée ! Vous êtes dans ma ville et c’est moi qui commande ici ! »

    Le maire ouvre le feu, étête l’arbre, fait voltiger les branches et des dizaines d’oiseaux tombent sur le sol ! « Ah ! Ah ! jubile le maire. J’ suis dans l’action, Jeffrey ! Je n’ m’ennuie plus ! J’ suis heureux ! »

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    R27

     

                  "Dites-moi que je la reverrai là-haut!

                    Oui, mon fils, vous la reverrez!"

                                                           Le Facteur sonne toujours deux fois

     

                                                110

    « Alors qu’est-ce que tu veux faire dans la vie, Paschic ? » La question vient d’un conseiller d’orientation, en visite dans l’école de Paschic, qui boude et a les mains dans les poches ! « Ben, répond Paschic, je veux être un agriculteur pour écraser les gens avec mon tracteur ! Ah ! Ah !

    _ Mais enfin les agriculteurs n’écrasent pas les gens !

    _ Non, mais je veux montrer ma colère, comme eux ! Car moi aussi, j’ai beaucoup à dire ! Ou bien alors, j’ s’rais pêcheur ! Je brûlerais des bâtiments, pour me réchauffer l’hiver !

    _ Ah ! Ah ! Tout ça n’est pas très sérieux, Paschic !

    _ Non, non, attendez, je veux être un internaute débile, qui déverse sa haine toute la sainte journée ! La nuance, pas pour moi ! Ou alors j’dirais que le problème, c’est le gouvernement ! J’ me tournerais les pouces !

    _ Voyons, Paschic, nous sommes là pour choisir un travail, un métier !

    _ Ah bon ? Vous voyez quelqu’un travailler dans c’ pays ? Qu’est-ce qui est difficile ? Pointer ou calmer sa haine ? Se changer soi-même ou casser c’ qui nous dérange ?

    _ Ben…

    _ Vous voyez, personne ne bosse ici ! Pourquoi, moi, j’ devrais faire plus ? Laissez-moi haïr, monsieur le conseiller ! Laissez-moi être bête et égoïste ! Vous savez c’ qui m’ fait peur ?

    _ Non…

    _ C’est la solitude de l’intelligence, de la compréhension ! Bon sang, j’ comprends qu’ les autres se débinent ! Se retrouver tout seul, ça donne froid dans le dos ! Je veux être dégueulasse, faire partie du groupe ! Vous savez, s’il y a des opérations pour enlever l’ cerveau ?

    _ Ah ! Ah ! Vous exagérez, Paschic…

    _ Être sans sentiment, la planque ! On s’ respecte, on est aux p’tits soins pour soi, mais pourquoi ne pas traiter les autres de la même manière ? Nous sommes tous humains, pas vrai ?

    _ C’est vrai, Paschic !

    _ Mais allez par là est extrêmement dangereux !

    _ Ah bon ?

    _ Bien sûr, ça conduit à la croix ! Moi, c’ que je veux, c’est être au chaud, dans la porcherie, avec les autres ! « La porte ! » j’ crierais, si jamais on veut m’ déloger !

    _ Écoutez, Paschic, je ne vous suis pas très bien… Moi, mon rôle, c’est de vous trouver une formation qui vous plairait…

    _ Ben, j’ vous l’ai dit ! J’ veux être un voyou, un paresseux, comme tout l’ monde ! Pas question d’ me lever hors de la tranchée ! En c’ moment, j’ suis pour les femmes et les agriculteurs ! Et vous savez pourquoi ? Parce que j’ suis du côté du plus fort ! Pas fou le Paschic, il regarde d’où vient l’ vent !

    _ Bon sang, Paschic, vous avez des possibilités ! Il y a bien une profession qui vous permettrait de vous développer et de devenir utile dans la société !

    _ Et mon courage, mon amour, mon dévouement, qu’est-ce que j’en fais ? C’est bien ça qui gêne, non ? Écoutez tant que ça, c’est avec moi, je demeurerais suspect ! Maintenant, si vous me dites qu’il y a une consigne pour l’intelligence, j’y cours, j’y vole ! A moi alors le groupe, l’intégration ! A moi la place dans la meute ! A moi les toasts à la haine ! Enfin au chaud ! les pieds allongés sous la table ! Qu’est-ce que je peux rêver de mieux ?

    _ Vous me désorientez, Paschic…

    _ Vous m’en voyez désolé, monsieur le conseiller ! Pourtant, ma demande est simple ! Aidez-moi à m’intégrer, débarrassez-moi de ma compréhension, de ma compassion ! Rendez-moi mon égoïsme, mon aveuglement ! Si vous y parvenez, je signerai ce que vous voulez !

    _ Euh…

    _ Il n’y a pas une formation qui enlève tout jugement, tout esprit d’aventure ?

    _ Il y a bien les partis politiques et notamment les extrêmes…, mais ce ne sont pas a priori des formations !

    _ Aïe ! En fait, vous et moi, monsieur le conseiller, nous sommes un peu comme au temps du Rideau de fer, quand un Allemand de l’Est voulait passer à l’Ouest ! Et c’est vous le passeur et moi, le transfuge ! Fournissez-moi de faux papiers, construisez-moi une nouvelle identité ! « Paschic : gueulard, haineux, sans discernement ! » Voyez, je passerais inaperçu ! Les autres vont me voir comme l’un des leurs ! Le paresseux type !

    _ J’ vais voir c’ que je peux faire ! Mais j’ vous préviens, ce sera cher !

    _ Qui veut la fin... »

                                                                                                     111

    Paschic est dans la rue et mendie… « A vot’ bon cœur, mesdames messieurs ! Donnez ce que vous pouvez ! Ayez pitié du pauvre Paschic ! Un p’tit mépris, monsieur ? Merci ! Du dédain, madame ? Merci ! N’hésitez pas à me haïr ! C’est votre monnaie !

    _ Désolé, mais j’essaie de comprendre, d’aimer ! Je n’ai rien pour vous !

    _ Pour la prochaine fois alors ! Ayez pitié du pauvre Paschic ! Merci madame ! Merci monsieur ! Non, je n’accepte tout de même pas les coups de pieds ! Juste le mépris ! La violence est hors la loi ! Respectez les clous ! Merci madame, votre haine m’accompagne ! Merci monsieur, votre haussement d’épaules fera ma journée ! Ayez pitié du pauvre Paschic !

    _ Comme on se retrouve, minable !

    _ Lapsie ! Toujours un plaisir de te revoir !

    _ Tu n’as pas honte, Paschic, de mendier ! d’avoir l’air d’un gueux ! Pouah, tu pues, Pashcic !

    _ Ta haine remplit mon escarcelle, Lapsie ! C’est Noël pour moi !

    _ Mais enfin, quand deviendras-tu un homme, un battant ?

    _ J’ai choisi la voie de la sagesse, de la vie intérieure !

    _ Mais qu’est-ce que ça veut dire ? Dis plutôt que t’as peur, que tu n’ sais pas t’imposer !

    _ La haine nous aveugle…

    _ Tu sais ce que j’aime, Paschic, c’est la force ! J’aime quand j’ gagne et quand j’entends les os de mes adversaires craquer ! Alors je suis fière d’être debout ! Tandis que toi, tu as tout de la larve ! Assisté, va !

    A cet instant, Paschic se lève et touche la joue de Lapsie ! Puis, il la prend doucement dans ses bras… Lapsie a d’abord de la répulsion, puis elle s’abandonne et se met à pleurer ! Paschic vient de lui enlever la « barre de fer » qui la faisait souffrir ! Elle est émue… et elle regarde Paschic étrangement ! « Mais…, mais d’où te vient ce pouvoir, Paschic ? s’écrie-t-elle.

    _ Je suis le maître de ma haine, et c’est pourquoi je suis fort ! Je viens de te transmettre un peu de ma paix…

    _ J’ai soudain retrouvé l’espoir… Est-ce possible ?

    _ L’effet ne durera pas…, car il est le résultat d’une longue pratique… C’est un engagement de tous les jours et qui est pourtant possible pour tous… Mais…

    _ Tu as raison, ma haine revient ! Je te vois de nouveau misérable, Paschic, et cela me fait peur ! Tu es anonyme parmi les anonymes !

    _ Et pourtant je rayonne, n’est-il pas vrai ? Mais tu préfères rejoindre le troupeau, crier avec les loups ! Tu préfères ton malheur à ma paix !

    _ J’aime le pouvoir !

    _ Il n’est que du vent ! Les mille démons qui t’effraient, je les fais danser comme je veux ! Je suis le rocher et tu n’es que tourments !

    _ J’ai bien senti ta force étrange, mais je ne suis pas prête… Je dois…

    _ Ton fardeau, c’est ta soif de réussir, de vaincre !

    _ Mais enfin quel est ton secret ?

    _ Je suis le pauvre Paschic, celui qu’on hait et méprise…

    _ Je ne comprends pas…

    _ Tu veux la justice et moi, je te dis : « Fais mille pas avec ton ennemi ! » Tu te souviens ?

    _ Je ne crois pas…

    _ Ma paix est bien réelle cependant…

    _ Il faut qu’ j’y aille !

    _ Bien sûr ! Un peu de haine, un peu de mépris, pour le pauvre Paschic ! Donnez ce que vous pouvez ! Merci madame, merci monsieur !

    _ Au revoir, Paschic !

    _ Au revoir, Lapsie ! Va porter la bonne nouvelle !

    _ Je dirai à la Machine que je t’ai vu !

    _ Dis lui qu’il n’est jamais trop tard pour avoir la paix ! Elle aussi souffre comme toi !

    _ Et si tu te trompais, Paschic ? Regarde, tu n’es rien !

    _ Je te le répète, je fais danser tes monstres ! Je suis la lumière et la paix !

    _ Et la vérité ?

    _ Comment être fort avec le mensonge ? C’est pour cela que je suis le pauvre Paschic ! »

                                                                                                   112

    Au QG du Troisième Reich féminin, c’est l’ébullition ! On attend la visite de la Machine ! Le Führer de ces dames ! Lapsie et Bona, dans leur uniforme noir impeccable, marqué par le sigle FF, pressent leurs subalternes ! « Schnell ! Schnell ! » crient-elles et les bottes astiquées vont et viennent ! Depuis longtemps, les hommes ont été dressés, domestiqués, déstructurés ! Ils ne servent plus qu’à donner leur semence et encore ! A force d’être harcelés, écrasés, broyés, ils ne peuvent plus entrer en érection, ce qui provoque le mépris des femmes !

    Cependant, certains résistent, tel Paschic, qui a rejoint le maquis ! « Heil la Machine ! » font Bona et Lapsie, quand apparaît leur chef, qui les salue négligemment ! La Machine a les traits tirés et semble vieillie ! Elle ne dort plus et on finit par se demander où est son génie de naguère ! En effet au début de la guerre féminine, elle multipliait les coups d’éclat, avait des intuitions merveilleuses ! Les lignes masculines étaient enfoncées ! L’homme courait en déroute ! Les prisonniers se rendaient par milliers !

    Mais, maintenant, on perd des batailles, on ne progresse plus aussi vite qu’avant, on a du mal à tout contrôler ! N’a-t-on pas vu trop gros ? Est-ce une folie que de vouloir éradiquer l’homme ? Le nouvel ordre féminin ne peut-il pas s’imposer ?

    La photo de Paschic est bien en vue sur le mur, car il fait partie des derniers hommes dangereux… En dessous du cliché, les récits glaçants se succèdent ! Ici, il aurait tiré la langue à une fermière ! Là, il aurait refusé d’embrasser une FF, ce qui constitue une injure ! L’esclave doit obéir au maître ! Là-bas, il aurait craché sur un portrait de la Machine !

    La Gestapo le traque sans relâche ! On parle du Monstre des Vosges et on fouille chaque tas de foin ! On interroge, intimide, torture ! On examine chaque piste et la prise de cet ennemi du féminisme ne serait plus qu’une question d’heures ! Mais la Machine n’est pas convaincue et sa colère légendaire éclate : « Je me fous de ce que les Américains puissent aider Paschic ! Je le veux à un croc de boucher ! On ne défie pas la Machine ! Et la solution finale pour les hommes, on en est où ?

    _ On a ouvert un nouveau camp… Les trains ont été multipliés par quatre !

    _ Ce n’est pas suffisant ! Le Grande femme doit régner sur le monde ! Tous les hommes sont là pour la servir !

    _ Ya ! Ya ! Meine Machine !

    _ L’émasculation de masse ! La gloire lesbienne ! Rappelez-vous votre serment : le vagin ou la mort !

    _ Heil meine Machine ! »

    Un messager claque des talons et donne un billet à Lapsie, qui dit : « Les troupes de Paschic se dirigent vers le sud ! Nous les tenons ! » Chacune s’approche d’une carte : « Ils vont tomber sur la troisième division des panzers de von Paula ! exulte Lapsie. Ils seront broyés !

    _ Prévenez von Paula qu’il n’y aura pas d’ quartiers ! renchérit la Machine. Ce chien de Paschic ne doit pas nous échapper !

    _ Et si les Américains… coupe Bona.

    _ Je me fous des Américains ! s’emporte la Machine, qui d’un coup fait sauter toutes les positions de la carte. Je veux la peau du mâle en parchemins ! Nos ennemis sont partout et ils essaient de nous manipuler, de nous diviser !

    _ Heil ma Machine !

    _ Vous savez, ce n’est pas moi qui ai commencé ! Ce sont les hommes qui m’ont déclaré la guerre ! Moi, je ne rêvais que d’une chose, rester tranquille ! Quand tout cela sera fini, je retournerai à ma peinture ! Car j’ai encore une âme d’artiste, figurez-vous ! Je suis pour la paix, mais ce sera impossible tant que l’homme n’aura pas payé le prix ! 

    _ Et les femmes intelligentes, réfractaires ?

    _ Quel sort réserve-t-on aux traîtres ? Le billot et la hache ! Comment peut-on s’opposer aux FF ? »

    Soudain la sirène d’alerte aérienne retentit et il faut se mettre à l’abri ! On entend éclater les bombes et le sol tremble ! De la poussière tombe du plafond ! On tousse et on voit de plus en plus mal ! « Himmel ! Que fait la DCA ? tonne la Machine. » Mais personne ne lui répond : c’est l’enfer sur Terre !

                                                                                                       113

    Paschic, en tenue de prisonnier et avec d’autres, doit étendre des barbelés autour du camp de la Machine… Une gardienne vient cependant le chercher et Paschic inquiet se met à la suivre… On passe des sentinelles et à la grande surprise de Paschic, il est laissé dans le bureau de la Machine ! Il a soudain peur, car les colères de la Machine sont terribles et il se demande quelle faute il a commise !

    Pourtant, la Machine apparaît apaisante : « Ah ! Paschic, je suis heureuse de te voir ! Un verre de schnaps ? » Paschic ne répond rien, tellement il est surpris ! Voyant son embarras, la Machine se montre encore plus prévenante : « Assieds-toi, Paschic ! Détends-toi ! Oublions pour un temps nos différends ! Après tout, je suis ta mère ! » Paschic s’assoit docilement, mais reste sur ses gardes… Ce qu’ignore la Machine, c’est qu’elle a conditionné Paschic jusqu’au tréfonds ! Chaque geste, chaque mot est maintenant pesé par Paschic ! Il ne sera plus jamais naturel, il est marqué à vie ! Il est caché tout au fond de lui, comme un animal craintif dans son terrier !

    Il a dû s’enfouir pour survivre ! « Tiens Paschic, tu ne vas pas me dire que tu vas refuser un bon verre de schnaps ! Ah ! Ça fait du bien ! J’ai voulu te voir, Paschic, pour t’expliquer certaines choses… Je sais que tu m’en veux… et que tu peux me voir comme un monstre, mais tu ne connais pas la vérité ! Vois-tu, nous les femmes, nous ne sommes pas libres ! Je t’avoue que je voulais même pas me marier ! Mais c’était impensable pour l’époque, surtout dans mon milieu !

    On devait se marier, Paschic, et faire des enfants ! Eh oui, c’était comme ça ! Encore un p’tit verre ? Remarque que je suis quand même bien tombée avec ton père… On a formé une belle équipe, lui et moi, et on t’a pas raté non plus ! Pas vrai ? Hi, hi ! Mais, Paschic, la société, avec ses diktats masculins, ne laisse pas de peser sur la femme ! Il faut encore qu’elle soit une bonne épouse, une bonne ménagère, qu’elle soit l’honneur de son mari, toujours là pour ses enfants, etc., etc. !

    Cela nous demande beaucoup, Paschic ! Cela nous ronge même, nous dévore ! Ainsi, sous le joug du devoir, j’ai pu m’irriter, perdre le contrôle et me montrer injuste, trop directive à ton égard ! Tu vois, je reconnais mes fautes, mais je tiens à ce que tu saches que je ne suis pas entièrement responsable ! J’étais moi-même sous emprise ! Je me débattais pour conquérir ma liberté ! J’avais aussi mes chaînes ! »

    Un silence se fait ! Paschic est abasourdi ! Il est encore dans le brouillard, dans cette sorte d’hébétude qui lui est coutumière, car il se demande toujours s’il est bien réel, s’il existe vraiment, tellement il a été enfoncé en lui-même par la Machine ! Les propos qu’il vient d’entendre enfin le pénètre et il se met à rire, à rire !

    Cette réaction imprévue gêne la Machine, qui dit : « Sans doute que le schnaps te fait trop d’effet ! J’aurais dû m’y attendre ! » « Alors comme ça, pense Paschic, je n’ai pas servi de paillasson à la Machine ? Elle ne m’a pas bousillé, au nom de ses plaisirs ? Je ne suis qu’un dommage collatéral, dans sa lutte contre les diktats masculins ? Elle n’est pas d’un orgueil épouvantable ? Ce n’est pas seulement son monde qui doit triompher ? Toute résistance ne doit pas être écrasée ? Elle ne m’a pas massacré, dès que je la dérangeais ? Se sentant opprimée, elle a opprimée davantage ? Se sentant esclave, elle a voulu des esclaves ? »

    Paschic arrête subitement de rire : il est effrayé de s’être laissé aller et de nouveau il se ferme ! Il attend qu’on le laisse partir… La Machine est à des années-lumière de la réalité ! Cependant, elle est de nouveau gênée… Elle ne comprend pas le silence de Paschic, bien qu’il soit son œuvre ! « Écoute Paschic, dit-elle, il faut que tu réfléchisses un peu à cela… C’est nouveau pour toi… Tu peux t’en aller... »

    Paschic se lève et une fois dehors, il respire ! Il regarde le camp, les barbelés, les miradors… Il repense aux sévices, aux humiliations, aux coups, aux mensonges, aux perfidies, à cette incroyable injustice qui l’a détruit, aussi sûrement qu’un char qui lui aurait passé dessus, et tout cela ne serait dû qu’aux diktats masculins, qu’à une situation pénible vécue par la Machine elle-même ?

    Paschic est partagé entre le rire et les larmes, c’est typique du voisinage du désespoir ! Mais, ce soir, il va se faire la belle ! Depuis des mois, il construit un tunnel, patiemment ! Lui, la vérité, il la veut, d’où son acharnement ! Il n’en a pas peur, comme la Machine ! Ou bien elle existe, ou bien tout n’est que vent ! Paschic ne restera pas dans la demi-mesure de la Machine, son hypocrisie, son égoïsme ! Il a trop vu le mal qu’elle fait !

    Et puis, il se rend compte que la Machine a encore parlé d’elle, qu’il a encore été question d’ sa gueule et c’est bien là le problème ! La Machine n’aurait pas été un bourreau, si elle avait dépassé son nombril, si elle avait aimé plus qu’elle, plus grand qu’elle ! Les diktats masculins ? Alors que Paschic n’est plus que du sang mêlé de boue !

                                                                                                    114

    Paschic est DA (District Attorney) et en plein procès, il interroge la Machine, qui est accusée d’avoir tué son mari ! « Madame la Machine, racontez-nous encore une fois ce qui s’est passé cette nuit-là…

    _ Ben, j’étais seule à la maison et j’ai entendu du bruit… J’ai d’abord crû qu’une fenêtre s’était ouverte, puisqu’il y avait du vent et de la pluie dehors… Et puis, j’ai vu cette forme qui se dressait peu à peu le long du mur… C’était horrible ! Elle semblait interminable, avec des bras comme des tentacules !

    _ Votre Honneur, intervient Lapsie, l’avocate de la Machine, ma cliente est visiblement très éprouvée… Serait-il possible de faire une pause ?

    _ Maître, nous avons bien conscience de l’épreuve que traverse la Machine… Néanmoins, elle est l’accusée et elle va donc continuer son récit… Poursuivez madame la Machine…

    _ Oui, votre Honneur… J’étais absolument terrifiée ! Ce n’était même pas humain ce qui me menaçait ! C’est alors que je me suis rappelé l’arme que je place dans ma table de nuit… Je m’en suis saisie et j’ai tiré !

    _ Cinq fois ! fait Paschic.

    _ Je vous l’ai dit : j’étais terrifiée ! Puis je me suis approché, car la « chose » ne bougeait plus ! Et c’est là que j’ai reconnu Edgar ! mon pauvre Edgar !

    _ Vous n’aviez pas reconnu votre mari ?

    _ Comment aurais-je pu le reconnaître ? Il m’avait dit qu’il serait à son club !

    _ Madame la Machine, depuis quand avez-vous cette arme ?

    _ Cinq ans environ !

    _ Pouvez-vous dire au jury pourquoi avez-vous acheté cette arme ?

    _ Ben, la maison est assez isolée et…

    _ N’avez-vous pas déclaré à une amie qu’Edgar vous faisait peur ?

    _ C’est vrai… Il avait changé avec le temps… Il était devenu plus autoritaire… Il me reprochait mes amies, mes sorties, mes joies ! J’ai tout sacrifié pour lui, mais rien ne pouvait le satisfaire ! Il était… il était toxique !

    _ A un tel point que vous avez acheté une arme pour vous défendre ?

    _ Objection votre Honneur ! s’écrie Lapsie. Le DA fait les questions et les réponses !

    _ Objection retenue !

    _ Très bien, reprend Paschic, je vais poser ma question autrement ! Madame la Machine, ne pensez-vous pas que l’achat d’une arme est exagéré, pour régler un problème de couples ?

    _ Edgar me dévorait ! Il me bouffait ! La prochaine étape, je le savais, ce serait des coups ! Et il n’était pas question qu’on en arrive là ! J’étais prête à me défendre !

    _ Votre Honneur, poursuit Paschic, je voudrais montrer une vidéo…

    _ Objection votre honneur ! coupe Lapsie. La défense n’a pas été informée de l’existence de cette vidéo !

    _ Que le ministère public et la défense veuillent bien approcher ! dit le juge. Monsieur le DA, est-ce vrai que vous avez caché à la défense l’existence de cette vidéo ?

    _ Mais pas du tout ! Elle se trouve page 19 dans la liste des pièces remise à la défense !

    _ Noyée dans un tas d’ saloperies ! réplique Lapsie.

    _ Maître, surveillez vos propos ! dit le juge. Monsieur le DA, êtes-vous bien sûr que cette vidéo peut faire évoluer l’affaire ?

    _ Elle l’éclairera d’un jour tout à fait nouveau !

    _ Très bien, j’autorise le visionnement de cette vidéo, mais soyez convaincant, monsieur le DA !

    _ Merci votre honneur…

    _ Très bien, le jury est prévenu qu’il va voir une vidéo, annonce le juge. »

    A l’écran, on découvre une petite épicerie, dans laquelle entre la Machine ! Immédiatement, les autres clients se mettent à genoux, pour montrer leur déférence et l’épicier ne cesse de faire des courbettes ! Il semble même donner de l’argent à la Machine ! « C’est bien vous que l’on voit sur l’image ? demande Paschic à la Machine.

    _ Euh… Oui…

    _ Tout le monde tient à vous marquer du respect, car vous êtes très connue dans ce quartier… et pas seulement celui-là ! En fait, il s’avère que les trois quarts de la ville vous appartiennent et que votre vrai nom est le Mépris ! Est-ce exact ?

    _ Edgar était toxique ! Il me menaçait !

    _ Vous vous appelez le Mépris et vous régnez sur la ville ! Mais Edgar était le problème ?

    _ C’est lui qui avait la force physique !

    _ Nous savons que vos affaires périclitent… Mais Edgar n’avait pas un sou… Cependant, vous faites actuellement la une, en vous présentant comme une femme qui a défendu sa vie, face à un conjoint violent… N’est-ce pas là une manière de vous remettre en selle ?

    _ Et alors ? Le train MeeToo profite à tout le monde et pourquoi pas à moi ? J’ai jamais eu d’ chances dans la vie ! Mais je n’ai pas tué Edgar pour ça !

    _ Non, vous l’avez tué parce que vous le méprisiez !

    _ Espèce de sale mâle prétentieux ! J’ai qu’à claquer des doigts et demain tu m’ supplieras d’ t’épargner !

    _ Je n’ai pas d’autres questions, votre Honneur ! »

                                                                                                         115

    La Machine, Bona et Lapsie fument des cigares, en sirotant leur whisky… « Non mais écoutez-moi ça ! s’écrie Bona, le nez dans le journal. « Paschic, un heureux dans la rue ! Question du journaliste : « Monsieur Paschic, comment faites-vous pour paraître aussi serein, aussi détendu ! On dirait qu’une bonne étoile vous protège ! » Réponse : « Vous voulez mon secret ? Je ne fais que ce qui m’amuse ! ainsi je garde la joie de vivre et je ne fais pas suer mes concitoyens ! » Question : « Que ce qui vous amuse ? Mais faut travailler dans la vie ! » Réponse : « Et qui vous dit que je ne travaille pas en m’amusant ! Vous connaissez la formule : « Heureux les purs, car tout leur est pur ! » 

    _ Nom d’un chien ! s’insurge Lapsie. Qu’est-ce qui faut pas entendre comme conneries ! Lui pur ? Quelqu’un pur ?

    _ C’est surtout mauvais pour les affaires, rétorque la Machine. Quelqu’un qui s’amuse sur mon territoire, c’est très démoralisant pour ceux qui sont sous ma domination ! Ça leur donne des idées…, des idées de grandeur, de rébellion !

    _ C’est encore mauvais pour MeeToo, renchérit Bona. Accorder de l’attention à c’ type, c’est moins de lumière pour les femmes ! Et puis, c’est de nouveau le mâle triomphant !

    _ J’ crois que nous sommes toutes d’accord, ajoute la Machine, il faut lui régler son compte une bonne fois pour toutes ! Je ne vais pas laisser c’ morveux me marcher sur les pieds !

    _ T’as raison, fait Lapsie. J’ai justement acheté du nouveau matériel que je voudrais bien essayer ! On va voir comment le « pur » arrête les balles ! »

    Chacune prend ses armes et on les entend les vérifier ! Pistolets, fusils, couteaux et même grenades sont embarqués et la voiture du trio démarre. Pendant ce temps-là, dans sa petite maison, Paschic se pénètre d’un oud mélancolique, en accord avec l’éclairage tamisé ! Soudain, les vitres éclatent, les tableaux tombent et des balles perforent les murs ! Les tirs paraissent incessants et Paschic, après avoir été blessé à la jambe, s’est traîné derrière le divan !

    Le silence se fait un moment, mais c’est que les filles approchent et entrent dans le salon… Elles marchent sur les débris et entendent les plaintes de Paschic ! La Machine contourne le divan et loge dans Paschic deux balles, dont l’une dans la tête ! Le travail est terminé et les tueuses se pressent vers leur voiture, alors que déjà au loin retentit une sirène ! Un voisin a dû prévenir les secours…

    Le lendemain, les filles regardent la télé et notamment le JT : « Une tuerie s’est produite hier soir, dans le quartier résidentiel de Hampshire, explique la journaliste. La victime, nommée Paschic, a immédiatement été conduite à l’hôpital, où elle combat entre la vie et la mort ! On ignore encore quelles sont les causes de ce crime et quels en sont les auteurs... »

    « C’est pas vrai ! s’écrie Bona. Vous avez entendu ? Ce fumier est encore vivant !

    _ Je lui ai pourtant mis une balle dans la tête ! précise la Machine.

    _ Ça devrait suffire, réplique Lapsie. S’il est encore vivant, c’est à l’état de légume !

    _ Il y a quand même un doute… poursuit la Machine.

    _ Dans c’ cas, y a plus qu’une solution ! fait Bona.

    _ Ah oui ? Et laquelle ? demande la Machine.

    _ Tautonus ! C’est un spécialiste ! Rien ne lui résiste !

    _ OK ! dit la Machine. Je le mets sur le coup ! »

    A l’hôpital, Paschic émerge discrètement du coma et il entend un médecin dire à un de ses collègues : « J’ sais pas comment c’est possible ! La balle dans le cerveau ne l’a pas tué !

    _ Mais il gardera des séquelles !

    _ Sans doute ! Reste à savoir à quel stade il sera diminué ! »

    Les deux médecins s’éloignent et Paschic se rendort ! Quand il se réveille à nouveau, il fait nuit et tout semble calme…, mais Paschic reconnaît soudain une voix dans le couloir : celle de Tautonus ! Celui-ci parle avec une infirmière, comme si lui-même faisait partie du personnel ! Vite, il faut trouver une solution pour Paschic !

    Il fait l’effort de sa vie ! Il avance en boitant et en suant vers son placard ! Il se saisit de son manteau et d’un bonnet, qui vont prendre sa place ! Puis, il détache les fils qui l’encombrent et les glissent sous les couvertures ! L’alerte est sûrement donnée, mais Paschic n’en a cure et il se cache dans le placard, vaste comme une salle de bains ! De là, il voit Tautonus qui entre sans tarder et qui d’une main sûre tire avec un silencieux, sur la forme du lit ! Tautonus n’a pas le temps de vérifier son œuvre et il disparaît ! Enfin, Paschic peut s’écrouler !

    Bien plus tard, quand il sortira de l’hôpital et malgré son handicap, car il ne sera plus lui-même, il sera sans pitié pour le crime !

     

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    R26

     

                         " Attention à mon Nagra! C'est Suisse, c'est précis!"

                                                                                 Diva

     

     

                                                 105

    Paschic est inspecteur de police et il interroge une suspecte… « Résumons-nous, si vous le voulez bien… Vous avez utilisé votre mari, pour vos plaisirs, jusqu’à ce qu’il en crève ! comme on tue un cheval à la tâche ! C’est bien ça ?

    _ Mais pas du tout ! On formait un couple heureux, complémentaire, uni dans la lutte, une vraie réussite !

    _ Bien sûr ! Mais ça, c’est pour la vitrine ! La vérité, c’est que vous avez transformé le pauvre gars en toutou ! Il faisait vos quatre volontés ! Il ne méritait d’ailleurs pas mieux, tellement vous le méprisiez !

    _ Sans moi, il serait resté un minable !

    _ Sans vous, il serait encore en vie !

    _ Mais pour qui vous prenez-vous ? Sale con prétentieux !

    _ Outrage à magistrat ! On commence à y voir un peu plus clair !

    _ Mais enfin que me reprochez-vous ? Mon mari est parti d’un cancer foudroyant !

    _ Mais je me fais fort de prouver que c’est votre traitement qui l’a mené vers cette issue ! Il était votre esclave, vous l’avez détruit ! J’appelle ça un meurtre par la bande !

    _ Je veux parler à mon avocat !

    _ Vous savez, les femmes tuent, mais à leur manière ! Elles n’ont pas la force physique, alors elles broient ! Ça dure des années, mais c’est efficace !

    _ Vous ne pouvez pas comparer ça à un féminicide ! Je n’ai jamais eu l’intention de donner la mort !

    _ Mais les auteurs de féminicides non plus ! Je vous assure ! Ils voient rouge... Leur haine est incommensurable, leur mépris aussi ! Et ils ne prennent véritablement conscience du drame que bien après ! quand ils ne se sont pas supprimés eux-mêmes !

    _ Tous des mauviettes… ou des assassins !

    _ C’est le mépris qui assassine, qui fait que l’autre n’a aucune valeur ! Et c’est bien votre mépris qui a tué votre mari ! »

    A cet instant, le commissaire ouvre la porte de la salle d’interrogatoire et dit : « Paschic, dans mon bureau ! » Paschic, à regret, doit abandonner sa suspecte et il suit le commissaire… « Mais bon sang, Paschic, qu’est-ce que vous foutez ? s’écrie le commissaire dans son bureau.

    _ J’essaie de coincer une meurtrière !

    _ Ah bon ? Et comment allez vous faire aux yeux de la loi ? Comment allez-vous prouver que cette femme est à l’origine du cancer de son mari ?

    _ Je vais mettre les faits bout à bout ! Il y a des témoignages, qui décrivent le comportement tyrannique de cette femme, son dédain à l’égard de son mari ! Je vais montrer comment l’état de santé de celui-ci s’est dégradé au fil du temps !

    _ Un bon avocat mettra vos éléments en pièces ! Jamais on qualifiera le cancer de meurtre !

    _ Il faut faire avancer la loi ! Elle doit prendre en compte la violence des femmes ! Elles sont aussi des tueuses !

    _ Vous me faites chier, Paschic ! Votre combat est hors de propos, il est anachronique ! Vous savez qui je viens d’avoir au téléphone ? Le préfet, Paschic ! C’est un ami de la dame et il veut sa libération immédiate ! Elle est du gratin, Paschic ! On n’y touche pas, à moins que ce n’ soit vraiment sérieux ! Vu ?

    _ Le pauvre type n’a eu aucune chance ! Elle l’a broyé et jeté comme un peau d’orange ! après en avoir bu tout le jus ! C’est un vampire, cette femme-là… et il y en a bien d’autres !

    _ Écoutez, Paschic, vous êtes un bon flic, mais un emmerdeur ! Pourquoi ne prendriez-vous pas un peu de vacances ! Vous relâchez la dame et vous repartez du bon pied !

    _ J’ai déjà pris mes congés…

    _ Pfff ! Pourquoi n’êtes-vous pas comme tout le monde, Paschic ? Pourquoi cherchez-vous la petite bête ? Vous avez un salaire convenable, vous pourriez fonder une famille…

    _ Vous voulez dire que la vie ressemble à un spot bancaire ? On s’engueule, on se réconcilie, on a des projets, on voit ses enfants grandir… et puis on meurt ! Comme c’est attendrissant ! C’est l’équilibre selon les psys ! Un monde où notre mépris quotidien n’existe pas !

    _ En tout cas, laissez tomber cette affaire !

    _ Vous savez pourquoi le chaos nous entoure, pourquoi nous crevons de soif ? C’est justement parce que nous poursuivons un mirage ! »

                                                                                                        106

    Paschic, toujours flic, apprend qu’on va décorer la Machine pour sa vie de mère exemplaire ! Il ne fait qu’un bond et décide de se rendre à la cérémonie ! Il y a beaucoup de monde, avec des cocardes partout et une fanfare ! Le maire est là, sur une tribune, et on attend la star ! Elle arrive en grosse limousine noire, avant d’emprunter le tapis rouge, et du véhicule sortent d’abord Lapsie et Bona, la main sur leur oreillette ! Elles sont là pour protéger la Machine et s’assurer que la voie est libre ! Puis, la Machine apparaît, rayonnante sous les flashes ! Elle salue son public, venu nombreux pour l’acclamer ! On crie : « La Machine ! La Machine ! » pour attirer son attention ou recevoir un autographe !

    La fanfare entame une marche triomphante et le maire souriant conduit la Machine jusqu’à la tribune ! Là, le maire et la Machine lèvent la main ensemble, comme pour montrer qu’ils sont unis dans la même lutte, celle du bien contre le mal ! La foule approuve et participe à l’engouement ! L’horizon n’est pas totalement noir, puisque la justice a aussi ses moments de gloire ! C’est ce que pensent les uns et les autres et quand le maire commence son discours, le silence se fait naturellement ! Le respect est respecté !

    « Mes chers concitoyens, dit le maire, elle est là ! Elle est venue ! (cris d’enthousiasme!) Elle est venue pour soutenir notre combat ! celui des droits de la femme contre l’oppression, les vexations de l’affreux patriarcat ! Qui mieux que la Machine peut représenter notre soif, notre idéal de vérité et d’égalité ? Car la Machine n’est pas seulement une femme, mais une mère, une mère sacrée comme elles le sont toutes ! En effet, la Machine a élevé des hommes dans un monde d’hommes et cela veut dire qu’elle a dû se battre doublement, à l’extérieur comme à l’intérieur de la famille, pour mettre à bas les préjugés masculins ! Cette femme, mes chers concitoyens, nous ne sommes pas dignes de délier ses souliers ! Elle est une égérie par excellence ! un exemple pour tous ! C’est une pionnière qui nous montre que la famille et le pouvoir ne sont pas incompatibles ! que la reine peut faire aussi bien et mieux encore que le roi ! (Applaudissements, cris d’enthousiasme!) Je suis fier aujourd’hui d’être aux côtés de la Machine, car plus nous serons nombreux et plus nous pourrons faire bouger les choses ! Qu’à jamais le nom de la Machine soit associé à celui de notre ville ! Que notre chère cité symbolise le combat des femmes libres ! Mais ce n’est pas moi que voulez écouter, c’est elle ! La fabuleuse, l’extraordinaire Machine ! (Foule en délire!) »

    La Machine prend le micro : « Salut vous tous ! (Acclamations!) Vous êtes chaud ! Comment ? Je ne vous entend pas ? Ah ! C’est mieux ! Je vous aime tous ! Mon triomphe est aussi le vôtre, car vous et moi, nous ne désirons qu’une seule chose, la vérité pour toutes les femmes ! La justice ! Nous la voulons du fond du cœur ! Car nous sommes toutes des opprimées ! Toutes ici nous avons été blessées par l’égoïsme masculin ! Toutes ici nous avons été confrontées aux abus de l’homme ! Toutes ici avons été un jour ou l’autre des victimes, des incomprises, et toutes ici avons pleuré et gardons des plaies qui ne sont pas guéries ! Ce n’est pas vrai ? (Le silence s’est installé et on entend des larmes ici et là!)

    _ Arrête ton char ! La vérité, c’est qu’ t’es une belle salope ! qui n’a pensé qu’à sa gueule tout le temps ! (C’est Paschic qui se met à crier!)

    _ Évidemment, le combat continue ! reprend la Machine (elle s’efforce d’être indifférente à Paschic!) Certains mâles continuent de nous harceler et à répandre leur venin, mais…

    _ T’es une ordure, moi, je le sais ! Un monstre d’hypocrisie ! Le monde entier doit tourner autour de ton nombril et encore aujourd’hui, t’as la gueule dans la gamelle ! L’égoïsme féminin est égal au masculin ! Pas de problèmes, l’un vaut l’autre ! Et ton mépris, bon Dieu, ton mépris incommensurable ! Mais qu’est-ce que vous avez tous ? Vous êtes débiles ou quoi ? Notre ennemi, ce n’est pas l’homme ! C’est notre propre pourriture ! C’est le mépris commun qu’il faut combattre ! »

    A cet instant Lapsie et Bona, accompagnées par des hommes en noir, s’approchent de Paschic et s’en saisissent ! « Monsieur, fait l’un, veuillez quitter les lieux ! Vous perturbez la cérémonie !

    _ Va te faire foutre ! La machine est une ordure ! Et il faut qu’on le sache ! »

    Il s’ensuit qu’on pousse Paschic vers la sortie et il essaie de se libérer, en criant encore : « La Machine, j’aurai ta peau ! Bande de fumistes ! Tas de ploucs ! Bande de couilles molles ! C’est une abomination et vous êtes ses complices ! Mais la vérité éclatera ! »

    Subitement, Paschic reçoit un choc électrique et s’évanouit ! C’est l’acte de Lapsie, qui dit à ses hommes : « Lâchez-le dans les poubelles, mais veillez à ce qu’il ne revienne pas nous emmerder ! » Les hommes acquiescent et la cérémonie reprend doucement, à mesure que les esprits se calment !

                                                                                                      107

    A la fête foraine, Paschic mâche nonchalamment de la barbe à papa et s’approche d’un forain qui crie : « Entrez dans le château de la mort, mesdames et messieurs ! Affrontez les monstres les plus épouvantables et les plus horribles, créés par la technologie la plus moderne ! Je vous garantis que vous allez trembler de la tête au pied ! A moins que vous n’ayez peur… N’est-ce pas, monsieur ?

    _ C’est à moi que vous parlez ? fait Paschic.

    _ Vous voyez quelqu’un d’autre derrière vous ?

    _ Non, mais…

    _ Mais vous êtes déjà en train de vous défiler ! C’est humain ! (Il hausse les épaules!)

    _ Ah ! Ah ! Vous insinuez que j’ai peur, c’est ça ?

    _ Je n’insinue rien ! Je vois, c’est tout ! Vous êtes verdâtre, vous transpirez ! On dirait la dernière feuille accrochée à son arbre !

    _ Un billet, l’escroc, et plus vite que ça ! Je vais vous montrer, moi, que je suis une sorte de titan imperturbable ! J’en ai vu bien d’autres !

    _ 15 euros ! Mais c’est quasiment à contre-cœur ! Je vais utiliser ma machinerie pour rien, car vous allez vous évanouir dès la première scène ! Enfin,  vous êtes sûr d’être majeur ?

    _ Ah ! Ah ! Je vais ressortir de là les doigts dans le nez ! J’aurais l’air de Surcouf sur le pont du Triton !

    _ Hein ? Mais c’est pas grave : j’ suis assuré, même s’il faut vous ramasser à la petite cuillère ! »

    Paschic à son tour hausse les épaules et pénètre dans le château ! Il entend d’abord un vacarme épouvantable, puis un type avec un casque vient vers lui ! « Il faut que vous dégagiez ! dit le type. C’est un chantier ici !

    _ Quoi ? Qu’est-ce que vous dites ? (Le vacarme redouble!)

    _ Je dis que c’est un chantier ici ! Faut dégager !

    _ Bon sang, j’entends rien ! C’est un chantier, c’est ça ?

    _ T’es un connard, j’ me trompe ? J’ te dis qu’ c’est un chantier ! Alors tu dégages !

    _ Qu’est-ce que vous faites ici ? (Paschic hurle!)

    _ La Cité du bonheur ! Deux mille logements, aux normes environnementales ? Hein, qu’est-ce que tu dis d’ ça ?

    _ Vous êtes sûr que c’est pour le bonheur des gens ?

    _ Ben, après la peinture, on verra mieux ! Pour l’instant, c’est du travail ! On bosse quoi ! C’est pourquoi tu peux pas rester là !

    _ Ouais, ouais, moi, j’ bosse pas, j’ fais pas d’ bruit, alors j’ dégage !

    _ Mais tu parles not’ langue ! »

    De nouveau Paschic hausse les épaules ! Mais une légère angoisse le prend : si la première épreuve était la plus facile, il ne sait pas désormais s’il pourra résister aux prochaines, tant le bruit l’a déjà abruti ! Mais enfin il poursuit et soudain un fumigène rougeâtre roule à ses pieds ! Il l’esquive, mais un jet de lisier le menace et en voulant s’écarter, il bute contre une gigantesque roue de tracteur ! Des hommes en salopette se jettent sur lui et lui crient : « Nous, on est en colère ! On en a marre !

    _ Mais, les gars, j’ peux pas faire grand-chose pour vous… Le forain, à l’entrée, m’a pris tout ce que j’avais !

    _ On s’en fout d’ ton fric ! Nous, on est en colère, on en a marre !

    _ Attendez, si je comprends bien, vous êtes comme moi ! Vous êtes en colère contre Poutine qui tue impunément et qui a tous les cynismes ! Vous pensez comme moi aux enfants ukrainiens morts !

    _ Non, nous…

    _ Ah, j’y suis ! Vous êtes énervés contre Trump, parce qu’il saccage la vérité ! D’ailleurs, depuis le début vous êtes au service du bien, de la vérité et vous êtes désespérés de prêcher dans le désert ! Ce qui vous attriste le plus, c’est l’hypocrisie ambiante, car c’est elle qui crée l’injustice !

    _ Ah ! Mais tu nous entends pas ! Comment nous, on va faire demain ? On sait pas !

    _ Oh ! C’est votre nombril qui vous préoccupe ! Alors ça va ! Ou plutôt vous s’rez toujours malheureux ! Et moi qui croyais que vous étiez inquiets à cause de la misère, du manque d’amour, car c’est ça la véritable misère ! l’égoïsme et l’indifférence !

    _ Eh les gars ! C’en est un du gouvernement ! un beau parleur ! On va t’en faire baver le pied plat ! »

    Paschic se dégage (après tout, il a affaire à des sortes d’hologrammes!) et il rentre dans un pécheur, qui lui met un couteau sous la gorge : « T’as pas compris que c’est moi qui commande ? fait le pêcheur. Tu percutes toujours pas ?

    _ Si ! Si ! répond Paschic qui transpire abondamment. Tu peux tuer les dauphins et vider la mer !

    _ T’as rien à m’interdire ! T’entends ! Sinon couic ! »

    Pashcic acquiesce et continue… La lumière devient glauque et un homme avec un flingue s’agite bientôt devant Paschic : « Tu sais ce qui arrive quand je ne bétonne plus ? demande l’inconnu.

    _ Vous commencez à aimer les arbres ! Ah ! Ah ! »

    L’homme regarde Paschic sans comprendre ! Il a un voile gris devant les yeux ! Paschic prend conscience qu’il est devant un fou et lentement il s’échappe ! Il croit que le pire est passé, mais plus loin des femmes l’attendent ! La gorge de Paschic se noue et s’il avance encore, c’est comme dans un rêve ! « Non mais visez-moi qui arrive, les filles ! fait l’une des femmes. C’est le patriarcat ! Queue d’âne en personne ! Alors tu veux m’ violer, le gringalet ?

    _ Non, moi, j’ai toujours été poli avec les dames ! C’est d’ailleurs c’ qui m’a perdu !

    _ Hein ? Tu critiques ! Tu chiales même ! J’ parie qu’ t’en as pas !

    _ Mais si, mais si ! Mais c’est beaucoup trop gros pour vous, les midinettes !

    _ Tu vas voir, on va t’arracher le tout et l’ bouffer !

    _ Encore si vous étiez bien roulées !

    _ Grrrr ! »

    Paschic a énervé exprès ces dames, pour filer dans leur fureur et il se retrouve dehors, face au forain ! « Alors ? lui demande celui-ci. Pas trop effrayé par la société ?

    _ Pfff ! fait Paschic. J’ai été élevé par la Machine ! Ton château à côté d’elle, c’est Azay-le-Rideau !

    _ Quoi ? Quoi ? Et qui c’est ça, la Machine ?

    _ La Machine ? Elle te transforme en copeaux et inspecte chacun d’eux, pour voir s’ils sont bien morts ! Il m’est arrivé de vivre à côté de moi, peinard, sans m’ faire repérer !

    _ Tu déconnes ? »

                                                                                                          108

    Paschic est réalisateur et aujourd’hui il tourne un épisode d’une série à succès ! Pendant que les techniciens préparent la scène, Paschic se remémore son entrevue avec le directeur de la chaîne, avant de commencer le tournage… Dans le bureau, à la moquette épaisse, on domine toute la capitale et le directeur, un homme massif, ne pouvant fumer, se vengeait sur des pistaches ! « Paschic ! s’écria-t-il en se plantant devant la fenêtre, j’ai des ordres d’en haut !

    _ Des ordres ?

    _ Enfin des recommandations ! De chaudes recommandations, si vous voyez ce que je veux dire ! Le mot d’ordre est Cohésion, Paschic ! Nous voulons, je veux, vous voulez de la cohésion !

    _ De la cohésion ?

    _ Exactement ! L’unité du pays, Paschic, voilà la clé du futur ! Que chacun, avec sa différence, se sente chez lui ! Pas d’émeutes, Paschic, pas d’ fractures ! De l’harmonie et encore de l’harmonie ! (Il s’éponge le front!)

    _ Ça veut dire quoi exactement ?

    _ Mais que toutes les minorités soient représentées ! Je veux des Noirs, Paschic ! des Arabes ! des Asiatiques ! des homos ! Il faut respecter les quotas ! Personne, vous entendez, personne, ne doit se sentir rejeté !

    _ Bien, bien, je ferai attention !

    _ Notre société est mosaïque, Paschic, il faut que la série reflète cette réalité ! Nous marchons sur des œufs, Paschic ! Le moindre faux pas et mille associations nous tombent dessus ! En ce cas, vous et moi, on saut’ra ! (Il s’essuie encore le front!)

    _ Cohésion, patron ! »

    Les techniciens ont terminé et les comédiens se placent… Paschic se retourne vers le Comité féministe installé dans son dos et qui joue aussi le rôle de censure ! Elles sont trois femmes, comme les Parques, et Paschic leur dit : « Je vous rappelle le sujet… Donc, les deux lesbiennes…

    _ Dites plutôt les deux homosexuelles…, réplique l’une des femmes.

    _ Très bien, donc les deux homosexuelles femmes se querellent quant à leur troisième PMA ! L’une veut un Noir, mais l’autre un Breton ! Elles se demandent alors lequel aurait le plus de chances de réussir !

    _ Le Noir évidemment !

    _ Voilà un beau parti pris ! Et si le Noir est breton !

    _ Mais c’est vous qui posez le problème, comme si breton s’opposait à noir !

    _ En fait, je crée une tension pour apporter un soulagement ! Une série, c’est fait pour jouer sur nos émotions ! A un moment donné, nos deux lesbiennes…

    _ Nos deux homosexuelles…

    _ Elles se rendent compte qu’elles peuvent avoir les deux, grâce à l’intervention du docteur, qui leur dit qu’un breton noir, c’est possible !

    _ Dieu merci !

    _ Vous voyez, tout s’arrange ! Cohésion ! Harmonie, paix !

    _ Dites, faudrait quand même éviter la dérive sectaire... »

    A cet instant, le comédien arabe s’adresse à Paschic : « J’ai un petit problème dans la scène du 5… Au moment même où j’apparais, le cuisinier crie : « A la soupe ! »

    _ Oui, c’est une formule familière, sympathique !

    _ Moi, je ne suis pas croyant, mais d’autres pourraient mal interpréter cette coïncidence !

    _ Quelle coïncidence ?

    _ Eh bien, on me voit et le « A la soupe » ressemble à « Allah soupe ! » Tu piges ?

    _ Euh… (Paschic s’essuie lui aussi le front!)

    _ Ça sent l’injure ! Et tu sais ce qui va suivre, hein ?

    _ Tu as parfaitement raison ! Bon sang, tu nous as évité une belle bourde ! On change la formule ! Bon, les enfants, on y va ! Chacun prend sa place ! »

    A cet instant, Paschic marche distraitement sur la queue d’un chien, celui du couple lesbien, et l’animal pousse un hurlement de douleur ! « Pardon le chien ! Pardon le chien ! s’écrie Paschic.

    _ Les excuses ne suffisent pas ! fait quelqu’un. Je suis le propriétaire de l’animal et cet incident ne serait pas arrivé, si le chien n’avait pas été gardé aussi longtemps en laisse ! J’appelle Nos Amis les animaux !

    _ Posez-moi ce téléphone ! Le chien est augmenté ! Ça vous va ? »

    La scène est tournée et c’est la pause… La comédienne star s’approche de Paschic… « Dis, Paschic, j’aime ta patience, ton calme… Ça t’ dirait qu’on dîne ensemble ce soir ?

    _ La vache, le putain de piège !

    _ Quoi ?

    _ Non, mais attends ! J’accepte et toi, tu cours vers le Comité féministe, pour lui dire que j’ai essayé d’abuser d’ toi ! Pas d’pot, ma vieille ! J’ suis pas né de la dernière pluie !

    _ Mais qu’est-ce que tu racontes ! Je suis sincère !

    _ Vas-y, continue ! Tu ouvres toute grande ma tombe ! Mais Paschic n’y tombera pas !

    _ Connard !

    _ Harmonie ! Cohésion ! »

                                                                                                    109

    Maintenant la Machine est vieille et dolente ! Elle reste le plus souvent alitée et une auxiliaire de vie veille à son bien-être ! « Aaaaatcha ! fait la Machine sur ses oreillers.

    _ Tiens, vous avez pris froid ! dit l’auxiliaire qui arrête de balayer.

    _ Oh ! S’il n’y avait que ça !

    _ Vous m’avez l’air un peu déprimée ce matin !

    _ Peut-être… Aaaatcha !

    _ Mais vous ne pouvez pas rester comme ça ! Je vais vous faire un thé, quelque chose de chaud !

    _ Au point où j’en suis !

    _ Mon Dieu, ça ne va pas du tout ! Où est la femme combattante que vous m’avez habitué à voir ?

    _ Vous avez raison, je me laisse aller…, mais le cœur n’y est plus !

    _ Écoutez, je vais augmenter le chauffage, redresser vos oreillers et…

    _ Passez-moi plutôt mon album ! Vous êtes jeune et vous ne pouvez pas comprendre ! Vous n’avez pas conscience que vous vivez votre meilleure période ! Vous vous en plaignez sûrement et pourtant elle ne durera pas ! La vieillesse vient trop vite et quand enfin vous ouvrez les yeux, il est trop tard !

    _ Vous m’intriguez… Voilà votre album… Qu’est-ce que vous voulez y voir ?

    _ Ah ! Mon époque faste ! que je croyais éternelle ! ou plutôt dont j’ignorais tout le suc, toute la valeur ! Mais j’étais si nerveuse en ce temps-là ! si préoccupée ! La carrière de Tautonus, les enfants, le patrimoine ! J’étais sur tous les fronts, aveuglée par l’action et comme je vous l’ai dit, il faut la vieillesse pour comprendre qu’on a mangé son pain blanc ! Tenez, regardez cette photo...

    _ Je vois un jeune garçon…

    _ Remarquez comme il est falot ! Hi ! Hi ! Il est presque transparent, à force d’être insipide ! C’est Paschic, l’un de mes fils, et il n’a jamais rien fait d’ sa vie !

    _ Il a surtout l’air timide… Mais il ne peut pas être aussi mauvais que ça !

    _ Comme je l’ai méprisé… et je le méprise encore de toute mon âme… et pourtant comme il me manque !

    _ Je ne comprends pas…

    _ Je sais… Moi non plus, à l’époque, je ne comprenais pas la valeur de ce minable ! Mais en réalité il m’était essentiel ! Ah ! S’il pouvait revenir, je… je le reprendrais en main ! On recommencerait comme au bon vieux temps ! Je retrouverais enfin un peu de mon lustre ancien !

    _ J’avoue que je ne comprends toujours pas… Pourquoi regrettez-vous un garçon qui apparemment ne vous a donné aucune satisfaction !

    _ Mais parce que je m’essuyais les pieds sur lui ! Il était ma bête noire ! Je le voyais comme un fléau, mais il me servait à me soulager de toutes mes humeurs ! C’est lui, plus qu’aucun autre, qui me rendait le sentiment de mon importance, de mon pouvoir ! Aaaatcha !

    _ Ne vous excitez pas trop tout de même !

    _ Avec mes autres enfants, je me sentais parfois intimidée…, mais jamais avec lui ! Un vrai doux ! Dès que je manquais de confiance en moi, j’allais l’engueuler, je l’écrasais, je le faisais pleurer, marcher à la baguette et alors le miracle se reproduisait, j’étais toute ragaillardie, de nouveau combattante ! Je reprenais goût à la vie ! J’avais un but : changer ce minable !

    _ Ce n’est pas bien…

    _ Pas bien ? Oh, comme je comprends Poutine ! Pensez, ces méprisables Ukrainiens qui ont osé s’opposer à son contrôle ! L’ivresse du pouvoir, vous ne la connaissez pas !

    _ Et maintenant, où est Paschic ?

    _ Snif ! Il a réussi à m’échapper ! Boooououh ! A présent, je vois combien il m’était indispensable ! Il me manque ! Je voudrais de nouveau l’insulter, vider ma colère sur lui ! J’irais mieux ! Au lieu de ça, mes journées me paraissent mornes ! Je suis dans l’antichambre de la mort !

    _ A la façon dont vous avez traité Paschic, il ne pouvait pas ne pas souhaiter vous quitter !

    _ Mais il m’était si utile qu’il aurait dû penser à moi ! Qu’est-ce que je vais faire maintenant ?

    _ Lui demander pardon ?

    _ Pauvre sotte ! Allez, rangez-moi cet album ! Vous êtes là en train d’ traîner, alors qu’il y a tant d’choses à faire ! Croyez-moi, ma fille, ça va pas continuer comme ça ! Une paresseuse, voilà ce que vous êtes !

    _ Je ne vous permets pas…

    _ Comment ? Mais pour qui vous vous prenez ? Vous ne savez pas qui je suis ! Je suis la Machine, vous entendez ! La première du nom ! Mon père avait deux cents hectares et trois mille serfs ! Ah ! Ça y allait en ce temps-là ! Tous des vermines ! »

  • Rank and co...

    R21

     

                 "Alors là attention, car c'est la Cour d'assises! On va savoir qui l'aime le mieux: la mère ou l'épouse?"

                                                                                               Maigret tend un piège

     

                                                          1

    Une actrice est dans son salon, avec son agent… « Bon sang, tu ne te rends pas compte ! dit celui-ci . On est en perte de vitesse ! Plus personne ne veut t’embaucher, toi, la star que tout le monde réclamait l’année dernière ! Quelle chute ! On te fuit, comme si t’avais la peste ! Tu es déjà vue comme une has-been !

    _ Tu exagères ! Je suis toujours la même idole ! le même sex-symbol ! Regarde, je n’ai pas pris un gramme ! Je fais autant baver les mec et enrager les femelles !

    _ Avec le temps que tu passes à t’occuper d’ toi, en salle de gym ou ailleurs, manqu’rait plus que ta silhouette repousse ! Mais ton visage, lui, il prend des rides ! C’est inévitable et quand on te voit avec ton p’tit chien, on devine déjà la rombière de quartier !

    _ Espèce de salopard ! Quel beau fumier tu fais !

    _ Mais enfin sois réaliste, ma chérie ! Combien de rôles on t’a proposés cette année ? Je veux parler de rôles importants, pas dans des films de série B ? Deux ! Exactement deux ! Et encore pour la moitié du cachet habituel ! Il fut un temps où je refusais les propositions à tour de bras !

    _ Mais peu importe le nombre, si c’est de la qualité !

    _ De la qualité ? Tu veux dire du genre sérieux ! Mais tu n’ comprends pas que c’est les clous plantés dans ton cercueil ! Si on te respecte, c’est que tu es déjà vieille ! Ce qu’il faut, c’est que tu déchaînes les sens ! qu’on soit ivre de toi ! Tu dois être la lumière qui cache l’angoisse ! le radeau de survie dans la tempête ! Une star, c’est comme une équipe de football !

    _ Mais je n’ai rien contre le respect, moi !

    _ Seigneur ! Alors tu veux qu’on t’applaudisse par pitié ! qu’on te salue parce que tu n’as plus d’ dents ! Tu sais que c’est un moyen de se donner bonne conscience ? On montre qu’on est humains, parce que tu n’es plus une concurrente !

    _ Tu vois le mal partout !

    _ D’accord, d’accord ! On peut te relancer par là, si tu es prête à vieillir ! Voyons, voyons… Il te faut une maladie rare, qui n’en soit pas vraiment une, pour qu’on ne crie pas à la supercherie ! Une maladie rare, car tu es aussi unique, bien entendu ! Il y en a une dont le nom m’échappe… Euh, la maladie de la femme couchée ! Non, c’est pas ça ! celle de la femme laide ! Non plus ! Il y avait le mot raide dedans, j’en suis à peu près sûr !

    _ Hum, tu veux dire qu’on ne me verrait plus dans l’ coup, qu’on me regarderait comme une infirme ? Ce n’est pas la bonne solution !

    _ Ah ! Tu vois !

    _ J’ai encore du talent !

    _ Bien sûr, chérie, mais ça ne suffit plus ! La moindre des choses est d’abord de rallier à toi le féminisme ! Il faut être au mieux avec le futur pouvoir ! que tu sois très bien considérée à la Kommandantur, c’est-à-dire sur les réseaux sociaux ! Ici, je vais faire appel à tes souvenirs… Combien de fois as-tu été violée, agressée sexuellement ?

    _ Tu veux dire quand je n’ai pas aguiché, moi-même ?

    _ Exactement, je veux du Zola, du sordide ! Je te vois en nouvelle Cosette, obligée de donner ton corps pour sauver tes dents !

    _ J’ai bien dû çà et là en calmer certains, mais j’en ai dessalés d’autres ! Si tu savais comme les hommes peuvent être godiches !

    _ Mais tais-toi donc, imbécile ! Les murs ont des oreilles ! Tu veux ma ruine ou quoi ! Le credo du moment, c’est que tous les hommes sont des porcs ! Il ne leur manque que l’occasion ! Franchement, tu m’ donne de ces suées !

    _ Bah, j’ pourrais toujours t’enfoncer, pour m’ sauver !

    _ Mais bien sûr, ma chérie, c’est l’instinct ! Mais tu n’ m’aides pas beaucoup, tu apparais plutôt comme une vamp ! Et la religion ? Ça passe d’attaquer la religion, son hypocrisie exactement ! Un prêtre, une sœur, un peu salaces, t’as pas ça dans tes souvenirs ? 

    _ Non, j’ vois pas ! On faisait le mur quand on était plus jeunes ! C’est nous qui faisions tourner en bourriques les sœurs ! Elle avaient même bien de la patience !

    _ Non, décidément, tu n’ m’aides pas ! On dirait que tu le fais exprès, pour nous couler tous les deux ! J’ai jamais vu une femme aussi insipide ! Évidemment, je pourrais te casser la gueule, et je le ferais avec plaisir, mais ça me mettrait hors-jeu, en même temps que toi, tu f’rais la une ! Aujourd’hui, le truc qui marche, c’est la victime !

    _ Oh ! Je t’en supplie, casse-moi la gueule !

    _ Tu es vraiment sérieuse ?

    _ Mais oui, si ça peut relancer ma carrière !

    _ Non, je ne peux pas : on va m’faire la peau !

    _ Lâche ! »

                                                                                                                  2

    Les mêmes avec un majordome qui rentre… « Hum, fait le majordome, il y a là une femme qui désire rencontrer madame...

    _ Nous sommes occupés ! répond sèchement l’agent.

    _ Mais, mon loup, intervient l’actrice, c’est peut-être une admiratrice, une fan ! Je ne voudrais pas passer pour fière, en rejetant tous ceux qui veulent un autographe ! Je veux rester la star accessible, simple… et même débonnaire ! Comment garder ma popularité, si je me montre hautaine !

    _ Bien sûr, bien sûr ! Il y a beaucoup à gagner, si tu parais idiote ! On te croira sans vices ! Mais des moments sont prévus pour ça… Enfin, faites entrer la dame... »

    Une petite dame, vêtue sans recherche, fait son apparition, en tenant une petite valise… « Bonjour, je vous remercie de m’accueillir, car le voyage a été assez long ! Je viens de la campagne !

    _ Mais asseyez-vous donc ! dit l’actrice. Vous devez être bien lasse ! Alors, comme ça, vous venez de la campagne, rien que pour me voir ! Quelle fidélité, quel amour, quelle dévotion ! Tu vois ça, mon loup, on m’aime dans tout le pays ! Je vous imagine dans votre chaumière, regardant mes films entre la vache et l’âne, soupirant après les lumières de la grande ville ! Puis, subitement, vous frappez sur la table de bois, tellement fort que les petits verres à liqueur tombent, et vous vous dites : « J’irai voir cette femme qui joue si bien et je la remercierai de m’avoir donné du rêve ! » Mais… mais ce n’est pas moi l’héroïne, c’est vous ! Pensez, prendre un d’ ces trains sales !

    Il y a un assez long silence…

    « Chérie, j’avoue que tu m’ surprendras toujours ! Madame habite peut-être près de l’autoroute… et ne se rappelle que vaguement ce qu’est un arbre… La campagne de nos jours est réduite à peau d’ chagrin ! Un bon arbre est un arbre mort ! Mais, chérie, tu es avant tout une actrice et il est normal que tu essaies tous les rôles (il a un geste large dans l’air) ! Mais, madame (il se tourne vers la visiteuse) sera sûrement indulgente, puisqu’elle a fait tout ce chemin pour voir son idole, son modèle !

    _ Eh bien, ce n’est pas tout à fait exact…, répond la dame. Je suis venue réclamer ma part ! Je travaille pour vous depuis le début et pourtant vous me tenez dans l’ombre ! Je pense que cela suffit ! »

    Il y a de nouveau un silence, une surprise...

    « Êtes-vous sérieuse madame, fait l’agent, ou bien devons-nous nous apprêter à appeler la police ? Ne seriez-vous pas une de ces demi-folles, qui finissent par sortir un couteau, afin d’ faire le buzz ?

    _ Bien au contraire, mon cher monsieur, je suis une femme très ennuyeuse, au point d’en être embarrassante ! C’est d’ailleurs pour cela que vous niez mon existence !

    _ Mais enfin je ne vous connais pas ! s’écrie l’actrice.

    _ Ah bon ? Mais votre orgueil, votre ambition, votre mépris, vos colères, c’est moi ! Que vous vouliez passer pour une belle personne, parce que c’est plus vendeur, je le comprends bien, mais je suis vous à 90 %! C’est bien simple, dès que vous avez le ventre plein, vous me demandez de travailler !

    _ Mais votre nom bon sang ! hurle presque l’agent.

    _ Mais je suis madame Sentiment… et vous me connaissez tous ! Et vous me refoulez tous et vous me niez tous et c’est pourquoi les problèmes ne sont jamais réglés, hein ? Regardez la société : nous sommes tous occupés à gagner notre vie et c’est tout ! Comme nous sommes braves et… hypocrites ! Car je suis derrière chacun et n’est reconnue nulle part ! Irai-je jusqu’à dire que nous sommes des fumistes ? Nous ne sommes nullement orgueilleux, nous ne haïssons pas, nous ne voulons pas le pouvoir, nous sommes doux comme des agneaux et nous nous acharnons au bien ! Permettez que j’écrase une larme ! Une société exemplaire et qui est pourtant dans le chaos ! Voilà une belle énigme !

    _ J’ai compris ! s’écrie l’agent. Combien ?

    _ Combien ?

    _ Vous êtres très forte ! Je vous demande combien vaut votre silence ! Combien pour que vous rentriez gentiment dans votre charmante retraite ?

    _ Vous ne m’avez pas bien compris ! Je ne suis pas à vendre ! Je suis lasse de toute cette bêtise, de tous ces mensonges ! Madame n’est nullement ce qu’elle prétend être ! Et c’est bien cette attitude qui fait notre malheur ! Aujourd’hui, de plus en plus de jeunes songent au suicide, parce qu’ils ne voient rien, mais absolument rien qui ressemble à de la vérité, et donc à de l’espoir ! C’est l’esbroufe continuelle ! Une vraie mascarade !

    _ Vous ne voudriez tout de même pas que je mette un frein à mes plaisirs ! répond l’actrice. D’ailleurs, je n’en ai pas ! Je ne fais que mon devoir d’actrice, j’ai des responsabilités ! Je suis engagée pour de très nobles causes !

    _ Bien sûr ! Nous sommes tous des amis et il faut faire briller la vitrine ! Mais nous continuons à avoir peur et froid ! Nous nous sentons perdus, malgré votre belle lumière !

    _ Mais si ça va mal, c’est à cause du gouvernement ! Sitôt qu’il y en aura un autre, l’arc-en-ciel de la justice brillera sur ce pays !

    _ C’est vous l’acteur ! C’est pas madame ! »

                                                                                                               3

    Le majordome reparaît et annonce : « Monsieur le maire ! » Un homme replet, avec une petite moustache, se précipite vers l’actrice… « Ah ! Madame ! dit-il. Vous ici, dans nos murs ! Je n’ose encore y croire ! Vous, la célébrité internationale, qui jette un regard sur nous, pauvres mortels ! Vous vous plaisez donc chez nous ? Notre modeste ville aurait-elle pour vous quelque charme ? (Il baise la main de l’actrice.)

    _ Ah ! Monsieur le maire, vous êtes bien trop indulgent à mon égard ! Je ne suis qu’une comédienne qui a eu de la chance...

    _ Comme vous y allez, madame ! J’ai vu tous vos films : quelle grâce, quel talent !

    _ Vous connaissez sans doute mon agent, monsieur Hector…

    _ Mais bien sûr que je connais monsieur Hector ! Car c’est avec lui que nous avons traité pour que vous soyez la marraine de notre nouvelle salle de spectacle ! C’est bien simple, je veux que ma ville soit le reflet de votre dynamisme, de votre rayonnement !

    _ Comme c’est gentil à vous !

    _ En effet, renchérit l’agent, votre ville est pleine de chantiers, à un tel point qu’y circuler devient une épreuve de force !

    _ Gêne passagère ! Nuage dans le ciel, monsieur Hector ! Le progrès est en marche… et rien ne l’arrêtera…, comme vous (il se tourne vers l’actrice), quand, dans le film Amazones, vous vous lancez à l’assaut de cette citadelle, où les méchants hommes se sont réfugiés !

    _ Oh ! Vous vous rappelez ça ? Ce n’est pourtant pas mon meilleur rôle !

    _ Certes, mais votre visage exprime… un telle tension, une telle rage, que je me vois moi aussi, dans le même état, face à la misère sociale, au dénuement, au mauvais logement ! (Il presse les mains de l’actrice, qui chaste baisse la tête!)

    _ Vous devez être un homme bon, dit doucement l’actrice.

    _ N’en pensez rien ! Je ne suis que l’humble serviteur de la nécessité ! Ici, un nouveau stade ! Là, une nouvelle gare ! Là-bas, des transports plus modernes ! Dans les airs, une nacelle qui fait voir toute la ville ! Sur mer, des polders et des laboratoires scientifiques ! Et à l’horizon, ma ville qui s’étend, s’étend !

    _ Vous n’avez pas essayé sous terre ? demande Sentiment.

    _ Je vous demande pardon ? fait le maire.

    _ Des logements, des usines sous terre, ce serait pratique ! Cela vous éviterait de détruire encore la nature ! Évidemment, il y aurait un problème de vue, mais les plus pauvres sont faciles à manœuvrer !

    _ Madame, je vous interdis de manquer de respect aux plus pauvres ! Je suis un homme de gauche et…

    _ Et vous ne voulez que le bien de votre prochain ! Et c’est pourquoi vous ne comprenez pas que vous nous tuez ! On ne peut plus bétonner ! La nature ne peut plus le supporter, en témoigne le réchauffement climatique !

    _ Mais, madame, il y a une crise du logement !

    _ Bien entendu ! Comme vous savez regarder un arbre, une fleur ou un ruisseau ! Comme vous êtes sensible à la beauté du monde ! Comme vous savez encore vous tenir tranquille, sans projets ! Comme vous n’êtes pas atteint par l’angoisse, dès qu’il n’est plus question de vous et de développements ! Comme vous savez attendre, regarder, aimer ! Comme si vous aviez donné un véritable sens à la vie ! Comme si toute votre activité frénétique ne servait pas à masquer votre vide, au détriment de la nature !

    _ Je ne sais pas qui vous êtes, mais je ne vous aime pas !

    _ Tiens, quelle surprise ! Vous ne me « kiffez » pas ! Eh ! Mais c’est que je vous arrête une seconde… et ça suffit pour provoquer votre mépris ! Quand comprendrez-vous que c’est à cause de gens comme vous que nous crevons ? Nous détruisons notre planète, parce que nous sommes incapables d’être en paix avec nous-mêmes ! Nous la dévorons, non par nécessité, mais pour calmer notre angoisse ! Que nous attaquons-nous au véritable mal ?

    _ Et il serait… ?

    _ Mais notre hypocrisie ! Qu’allez vous dire à la mort, monsieur le maire ? Que vous avez des projets de piscine pour l’enfer ? »

                                                                                                                 4

    « Vous voyez comment elle parle, monsieur le maire ! enchaîne l’actrice. Elle injurie tout le monde ici ! Elle m’a traitée d’égoïste, d’égocentrique, moi, qui ne suis que dévouée à mon art, qui ai apporté dernièrement mon soutien aux aigriculteurs !

    _ Aux aigriculteurs ? fait le maire.

    _ Mais oui, c’est comme ça qu’on dit, non ? En tout cas, je suis abasourdie par tant d’ingratitudes ! assommée par tant d’injustice ! (Elle se met à pleurnicher.) Je vous en prie, monsieur le maire, défendez-moi ! Faites taire cet intruse ! Clouer lui le bec !

    _ Ben voyons, coupe Sentiment, la ruse féminine en pleine action ! On ne sait plus quoi répondre, on a le nez dedans et on se met à pleurer ! On montre qu’on n’en peut plus, qu’on est à bout et on implore l’aide de l’homme, du muscle, pour réduire au silence l’importun, le gêneur ! Résultat : évolution zéro ! On continue à se nourrir de son mensonge et de son égoïsme, comme une souris au chaud dans son gruyère ! Et on recommence bien entendu les mêmes erreurs ! Et rien ne change jusqu’à la prochaine crise ! C’est le navet interminable !

    _ Mais enfin, monsieur le maire, réplique l’actrice, personne n’aura assez de courage, pour museler cette langue de vipère ?

    _ Mais bien sûr que si, chère madame, répond le maire qui roule des épaules. Et d’abord qui êtes-vous ? (Il s’adresse à Sentiment.)

    _ « Permis de conduire et carte grise, s’il vous plaît ! », fait Sentiment. « Veuillez sortir du véhicule et mettre les mains sur le capot ! » Le vrai maire montre le bout du nez !

    _ Cette femme dit s’appeler Sentiment, dit l’agent. Elle sort d’on ne sait où ! Sans doute une frustrée du bush, comme il y en a tant sur les réseaux sociaux !

    _ Hélas, renchérit le maire, le monde est rempli d’envieux et de ratés !

    _ A terre ! Tout le monde à terre ! (Un jeune homme encagoulé, muni d’une arme, vient de surgir dans la pièce.)

    _ Mais qu’est-ce que.. ? fait l’agent.

    _ Mes bijoux ! Ils viennent voler mes bijoux ! s’écrie l’actrice. C’est un home-jacking !

    _ Plutôt une crise ! dit Sentiment.

    _ Jeune homme, vous…, s’insurge le maire.

    _ Ta gueule, c’est toi qu’ je cherche ! répond l’agresseur. C’est bien toi le maire, non ? J’ suis là pour qu’on règle nos comptes !

    _ Mais j’ai une permanence pour cela !

    _ La ferme ! Tu nous a menés en bateau, tu nous baisés jusqu’au trognon… et avec toi parler, ça ne sert à rien ! T’es un pourri, un vendu !

    _ La violence n’a jamais arrangé les choses…

    _ Facile pour toi de dire ça ! T’as le pouvoir et t’agis en douce ! T’as pas besoin d’ t’énerver !

    _ Mais enfin de quoi s’agit-il ?

    _ T’avais promis de reconstruire notre petite salle de spectacle ! de sauvegarder notre espace culturel ! là où nous nous retrouvions pour échanger nos idées, pour faire vivre notre identité, notre idéal !

    _ C’était pas rentable ! Il eût fallu que la mairie vous finance et ce n’est pas possible ! Nous n’avons plus les moyens !

    _ Bien sûr ! C’est pas dans le cadre de tes projets pharaoniques ! ceux qui doivent faire la gloire de ta ville et donc la tienne également ! Préserver la différence, le petit ne te flatte pas, alors ça doit disparaître ! T’as boboïser tout le quartier ! L’argent et la propreté, voilà ton credo ! Dehors la racaille ! Toi, de gauche ? Mais t’es juste le roi Soleil en plus débraillé !

    _ Monsieur, intervient l’actrice, si vous avez un peu de culture, vous devez me connaître et…

    _ Ecrase la bourgeoise ! Comment ? T’es pas occupée à faire des courses, avec tes escarpins et tes p’tits sacs ? Qu’est-ce que tu connais de la vie et des bas salaires ? Le monde peut s’écrouler, du moment que ton tailleur reste chic !

    _ Mais enfin, jeune homme, coupe l’agent, qu’est-ce que c’est que ces méthodes de fasciste ?

    _ Qu’est-ce que vous avez dit ?

    _ Que vous avez tout l’air d’un fasciste !

    _ Mais… mais je déteste les fascistes ! Je les hais même… et je les combats de toutes les manières possibles ! Je suis un antifa ! (Il se rengorge.)

    _ Je ne comprends pas, dit l’actrice, quelle différence il y a entre un fasciste et un antifa ?

    _ Mais je vais te faire sauter la cervelle, si ça continue ! »