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Les enfants Doms, T2, (80-84)
- Le 14/01/2023
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"Un, deux, trois coups! ça, c'est le Vieux!"
Le Crabe tambour
TROISIEME PARTIE
LE BROUILLARD
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Deux nuages parlent autour d'une chope de bière... L'un essuie la mousse qui lui couvre la bouche et dit: "Tu sais c' que j'aime le plus? C'est le grain, le gros grain du temps de traîne!
_ Je vois ça! fait l'autre. Attends... Il fait froid... En tout cas, c'est bien venteux... Tu te dresses... Tu prends des proportions gigantesques!
_ Voilà! On est immense! Et les couleurs! On la tête chenue, le ventre noir! Tout ça dans un mélange de bleu dû à la nuit, encore là, et de rose, car le soleil se lève, pour un nouveau jour!
_ Oui, quelle fête! Et attention: autorisation de lâcher les bombes! La pluie, la grêle! En une minute un vrai déluge! J' t'avoue que je me laisse aller! J' pisse sans vergogne!
_ Mais t'aurais tort de t' gêner! La fureur est telle à c' moment-là qu'une chatte n'y reconnaîtrait pas ses p'tits! Hi Hi! Quand j' pense à nos promenades par beau temps! Hein? Quand on avance sagement dans l'aaazzzzuuuuur!
_ Moi, c'est bien simple, dans ces conditions, j' dors! J' me trouve un couloir en retrait..., où personne n'ira m' chercher! Par exemple au d'ssus de la mer... et ronron, zzz!
_ C'est tout de même mieux que la dépression... Monter lentement sur l'air froid, ça m' dégoûte! La position du stratus, c'est pas mon truc! J' trouve ça mou, pas sain! Et puis on s' colle peu à peu les uns aux autres! On devient indistinct... C'est angoissant à la fin!
_ Tu veux parler du fameux "Mur gris", hein? A l'horizon, y a plus aucune visibilité! C'est vrai qu' c'est un peu lent et qu'on est tous ensemble! Mais, oh! Hein? La puissance, mec, la puissance! "Nul n'en réchappera!", tu connais la chanson!
_ Bien sûr! On s'abat sur la ville et on la met en apnée! Y a pas! L'union fait la force!
_ L'oignon fait la force, tu veux dire! Car je pleure, je pleure sur ces pauvres gens, sans discontinuer! Je pleure de rire, bien entendu! Oh! Mes larmes de crocodile!
_ Eh! Serveur! La même! Ouais, la mer verte, frangée d'écume! les grosses vagues au bord, les bateaux qui dansent! Et ces misérables oiseaux qui en profitent! Ces salopards de goélands qui glissent comme des virtuoses!
_ Qu'est-ce que tu veux, c'est leur spécialité! De vraies lames de rasoir, grâce au vent!
_ A propos de vent, un truc que j'aime bien, toujours avec le grain, c'est prendre un promeneur entre quatre yeux!
_ Tu veux parler des gugus qui sortent en tee-shirt de leur autociel?
_ Tout juste! A ceux-là, j' crie: "Tu sais pas qui j' suis! J' suis l' général Vent! J' vais t' pomper l'air, tellement que tu vas m' d'mander pitié! J' vais t' soûler à mort!
_ Ah! Ah! j' vois ça d'ici! Et j' parie que tu gueules pendant des heures! "Attention à ton bonnet! Voilà c' que j' fais de ton parapluie! de la charpie! Tu mouftes encore?"
_ J' les abrutis, comme c'est pas permis!
_ Et les bras avec de la chair de poule, ils regagnent vite fait leur véhicule!
_ Tu parles: y sont paumés ces jeunes! Personne ne leur braille d'ssus comme moi!
_ Y z'ont toujours un faible pour les noces du soleil couchant!
_ Mon dieu quel cirque, c'est ça! Y faut qu'on soit beau! Quelle prépa! Les broderies d'or, le manteau de pourpre, la tiare orange, etc.!
_ Un grand classique! auquel tu n'es pas complètement insensible, pas vrai?
_ Mouais, ça manque pas d' grandeur! Mais j' préfère les taches rouges du matin!
_ C'est ton côté sanglant!
_ Bah, y a des incarnats à l'aube, de pures merveilles! Une dernière?
_ Ben, chais pas! Là, je sens que j'ai déjà envie de pleuvoir!
_ Pour parler des éclairs? du style cumulo? de notre dernière enclume?
_ Si tu m' prends par les sentiments..."
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Dépression ouvrit un œil, se pencha dans son lit, pour tendre la main vers sa montre: "Trois heures! C'est pas vrai!" s'écria-t-il, avant de retomber lourdement sur son matelas! C'était un petit homme moustachu et il venait encore de se réveiller en pleine nuit! Parfois, sa montre indiquait deux heures ou quatre, quoiqu'il préférât cinq heures, car alors il n'y avait plus qu'à attendre le lever normal, entre six et sept!
Mais de toute façon Dépression dormait mal et il se demanda encore pourquoi... Un dîner trop lourd? La banane du soir? Dépression eut un pâle sourire: dans le temps, on disait que ce fruit donnait des cauchemars! C'était à une époque où on croyait que les libellules étaient aveugles et qu'elles crevaient les yeux! Depuis, on avait appris que l'Univers avait quatorze milliards d'années, sans comprendre encore pourquoi la matière avait "triomphé" du vide!
Mais des cauchemars, Dépression en avait et il se débattait péniblement avec eux, ce qui le laissait épuisé! Insomniaque et victime de cauchemars: le compte de Dépression était bon et son espérance de vie, selon la science, en diminuait d'autant! Comment lutter contre le stress? Mais en indiquant combien il est inquiétant, néfaste! La médecine n'avait honte de rien! De nouveau, Dépression fut livré à lui-même et il sut qu'il devait se débrouiller seul! De nouveau, il regarda en lui-même, à la recherche d'une solution pour moins souffrir!
Sans doute avait-il peur, mais de quoi? Il était anxieux, cela était certain! Son estomac lui faisait mal et il lui arrivait d'avoir des crampes, même au lit, où il aurait dû sourire comme un bienheureux, après une rude journée de travail! Mais ce n'était pas le cas... Ah oui, il faisait partie de ces natures nerveuses, qui exagéraient leurs maux et auxquelles il manquait de l'exercice! Après, tout rentrerait dans l'ordre! Car les autres étaient plus équilibrés et ne se tourmentaient pas autant!
La solution était simple! Un peu d'air frais! Décidément, la médecine n'avait honte de rien! Et si... et si Dépression refoulait sa vraie personnalité sexuelle, autrement dit son homosexualité! Il considéra une énième fois la chose, car il ne fallait rien négliger! Celui qui souffre examine chaque pierre du chemin! Il n'est pas comme ces types qui passent, rayonnants de santé! Il ne croit plus depuis bien longtemps qu'il existe des sommets glorieux, mais qu'on vit plutôt dans le maquis! Mais bon, Dépression se vit changer de préférence sexuelle et poussa un profond soupir: comme si le problème résidait là! Est-ce qu'on vit dans une boîte à chaussures?
Mais il est vrai que Dépression était seul! Et s'il était marié, avec des enfants et un travail régulier? Il n'aurait pas le choix, il serait plein d'obligations et alors il se troublerait moins, car il n'en aurait pas le temps! Il serait par monts et par vaux! Il affirmerait plein de choses! Appuyé par sa femme, il ferait part de ses haines! Il ferait tourner le monde autour de lui! C'est l'avantage du tourbillon: il rend aveugle!
Mais pourquoi Dépression était-il seul? Narcissisme? Il manquait de convivialité! Il n'était pas sympa! Il devait se montrer plus ouvert, avenant! Désormais, il aurait le sourire et il saluerait et les uns et les autres! Il ferait de la gym dans un club et rirait aux plaisanteries! Voilà, il faisait encore son procès! S'il était malheureux, c'était de sa faute! Heureusement qu'il n'avait pas de famille, il aurait ennuyé tout le monde!
Dépression avala sa salive... Il avait peur, mais de quoi? Il considéra rapidement l'actualité... Rimar, dans sa guerre contre la Kuranie, tuait des enfants rien que par orgueil! Il ne voulait pas reconnaître son erreur et les bombes continuaient de pleuvoir! Dépression serra les poings! Une immense colère l'envahit! Mais il y avait aussi mauvais! D'autres ailleurs mettaient à mort des individus parce qu'ils avaient insulté Dieu! On utilisait le Dieu d'amour comme un bourreau! Dépression eut envie de hurler!
Quoi d'autre dans le pays? Des inquiétudes, des inquiétudes, des manifestations, des colères, des revendications! "Les imbéciles! songea Dépression. Que ne donnent-ils un sens à leur vie? Ce n'est pas au gouvernement de le faire! Si le souci, c'est l'argent ou la sécurité matérielle, c'est impossible de trouver la paix! On ne veut pas voir que c'est de la reconnaissance qu'on demande! Seul le respect prouve qu'on existe et donne confiance!"
"Bien, j'ai avancé... se dit Dépression! Cinq heures! Je suis sur la bonne voie! J' vois le bout! Mais alors qui me respecte moi? Pourquoi ne suis-pas tranquille? Mais comme le monde moderne est vide! Que disaient les penseurs à l'origine de ce monde? Ah oui, qu'il fallait accepter sa vie telle qu'elle était! sans Dieu, sans qualités extraordinaires, sans soif d'infini, etc.! Mais pourquoi ces hommes nous ont soûlés avec leurs messages? Parce qu'ils ont été incapables de vivre, sans attirer l'attention sur eux! De vraies stars de cinéma! Non, décidément, il va falloir que je me débrouille tout seul!"
Et l'estomac de Dépression se crispa encore une fois!
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Atermoiement est une belle blonde, mais qui n'a pas confiance en elle, de sorte qu'elle se demande toujours ce qu'elle doit faire! Elle est chez elle, nerveuse, et elle inspecte son intérieur, comme si une menace pesait instamment sur ses épaules! Elle doit sortir, mais il ne s'agirait pas que, durant son absence, un incendie se déclare! Elle s'imagine revenir de ses courses, découvrant les pompiers s'affairant autour des ruines fumantes de son appartement! Elle ne le supporterait pas, elle n'en aurait pas les forces!
Atermoiement le sait, elle est fragile psychologiquement! Est-ce qu'elle a bien éteint la lumière ici? Bien sûr, mais elle va quand même vérifier! C'est fatigant, mais Atermoiement ne peut pas s'y soustraire: elle obéit à une angoisse! Elle doit s'assurer qu'elle ne commet pas d'erreurs, pour être soulagée! Il y a un nom pour ça... Une obsession! Voilà, Atermoiement est victime d'obsessions! Elle est obsessionnelle et peut-être même compulsive! "Tant qu'à faire! se dit-elle. Au point où j'en suis, autant charger la brouette!" "Voici mon corps livré pour vous...", murmure-t-elle encore, avec un petit sourire triste.
Ses amies la morigènent! Elle ne fonce pas assez! Elle réfléchit trop! Elle manque de mordant! Il faut saisir sa chance! La "grosse pomme" est là! "Ouais, ouais, répond Atermoiement. Moi, aussi, je lis les revues féminines! La mode, prendre soin de soi, dresser les mecs, se valoriser, utiliser le sexe... J'en oublie sûrement!
_ Eh ben alors? font ses amies. Qu'est-ce que t'attends? Nous, on part en vacances! On tire notre épingle du jeu! On profite!"
Atermoiement écoute et rêve... Que s'est-il passé pour qu'elle doute d'elle-même à ce point? pour qu'elle ait ses angoisses, ses idées saugrenues et obsessionnelles, cette peur qui ne la quitte jamais vraiment? Il faut bien entendu revenir en arrière, à l'enfance, quand le cerveau était tendre! A cette époque, elle s'était heurtée à son père, avec une telle violence, une telle constance que cela avait stupéfié le reste de la famille! Pourtant, pour les autres, il était le meilleur père du monde ou peu s'en fallait! Alors pourquoi cet affrontement? Qu'est-ce qui l'avait gênée chez son père?
Evidemment, elle n'avait pas fait le poids face à un adulte, d'autant qu'elle était animée, comme il se doit, par un vrai amour filial! Seule, elle avait tout "encaissé"! les vexations, les injustices les plus criantes, les corrections corporelles! Elle en avait été sapée, détruite! Elle nageait tout le temps, sans avoir pied! Elle n'avait pas de racines! Car jamais, jamais, elle n'avait vu une lueur, un fait, entendu une parole qui lui eût donné raison, de la valeur, en l'apaisant! A force d'être un problème, sans même savoir pourquoi, elle s'en trouvait haïssable et elle n'osait rien entreprendre!
"Tu n'as qu'à suivre une thérapie! lui avaient dit ses amies. Prends le temps de choisir ton thérapeute et tu viendras à bout de tes traumatismes! Tu te feras justice et tu seras vraiment de retour parmi nous! On n'est plus au Moyen Age, que diable! Y a des solutions!"
Voire! Par exemple, Atermoiement est dans la rue et elle croise des riches, des notables, bien visibles et qui paradent, qui font les importants, pour qu'on les regarde! Mais ils sont surpris au passage par l'indifférence d'Atermoiement, alors qu'elle est une belle femme, avec de la prestance! Car celle-ci, malgré sa fragilité, ne supporte pas l'orgueil sur une planète perdue dans l'espace, dans une vie qui peut comporter tant de souffrances!
"Bien vu! lui fait un ami de gauche! Tu as le sens de la justice sociale! Il faut aider le pauvre! et pour ça, s'attaquer aux riches et aux profiteurs!"
Mais ce n'est pas aussi simple! Car Atermoiement subit aussi des regards chargés de haine et de mépris, de la part des manifestants vêtus de gilets jaunes ou munis d'un drapeau rouge! Pourquoi? Mais parce qu'elle ne les admire pas, qu'elle ne leur est pas soumise! Eux aussi, comme les riches, paradent, veulent être le centre d'intérêt, jouer les vedettes et cela écœure Atermoiement!
Voilà, c'est l'égoïsme et l'hypocrisie de son père qui lui sortaient par les trous de nez! C'est cette "folie" sur Terre! Atermoiement reste une étrangère dans la société, elle doit l'admettre, l'accepter, ne pas en avoir peur!
Elle cherche ses clés, passe devant la table de la cuisine et soudain d'un violent atémi, elle casse celle-ci en deux! Puis, elle dit: "Je sais, Seigneur, je ne devrais pas m'énerver!"
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Owen Sullivan est invité à Adofusion pour le lancement, dans le Métavers, du Macamo programme! "Tu vas voir, on a vraiment fait quelque chose de bien!" le rassure Sam Bôme. On n'a fait que finaliser ton travail et celui du regretté Macamo! Les ventes sont déjà bien parties!"
Sullivan met son casque et se réjouit de retrouver le Magicien! Il se dit que Sam Bôme n'est peut-être pas aussi mauvais qu'il en a l'air, qu'il ne faut jamais désespérer, mais il découvre un décor qui le désarçonne! On est sous un ciel noir et le sol est boueux! Un militaire s'approche de Sullivan et lui crie: "C'est vous Sullivan? On embarque dans la cinq!" et sans plus attendre, il pousse le fondateur d'Adofusion vers un énorme engin, qui ressemble à une moissonneuse géante et armée!
A l'intérieur, d'autres hommes saluent le nouveau venu, qui est installé à un poste et l'engin démarre! Il est monté sur des chenilles et il écrase les arbres qui semblent lui barrer la route! Sullivan respire mal et ne comprend rien à la situation! Son voisin se présente: "Boux... Boxie pour les intimes! Nouveau hein? J' t'explique! Ici, le voyant Nécessité! Dès qu'il s'allume, t' appuies d'ssus!
_ Et qu'est-ce qui s' passe?
_ On crée d' la ville, mec! répond émerveillé Boux! On sème des graines de bâtiments, qui poussent toutes seuls! Eh! C'est qu'il faut des logements pour les gens, des usines pour les nourrir, les vêtir, etc.! d'où le voyant Nécessité! On est la civilisation, le bon côté, OK?"
A ce moment, l'engin fut secoué et des gerbes de feu zébrèrent les hublots! "Les Fanas!" cria quelqu'un! L'engin vira brusquement, puis il se mit lui-même à tirer et à cracher des flammes! "Les Fanas? demanda Sullivan.
_ Ouais, les Fanatiques! répondit Boux. Tous ceux qui empêchent le progrès, quoi! Parmi eux, les Ecolos sont les plus féroces! Si tu tombes entre leurs mains, couic! De vrais sauvages! Mais on a un général du tonnerre! Le duc de l'Emploi! C'est lui qui commande notre division! Un héros!"
A cet instant, de nouveau l'engin fut touché et tout le monde grinça des dents! "Ils ont lâché les étourneaux!" entendit-on. Une masse noirâtre, bruissante, enveloppa l'engin, qui ne fut plus éclairé que par de petites lumières rouges! "S'ils réussissent à pénétrer, ils nous crèveront les yeux!" affirma Boux et les mitraillettes entrèrent en action!
Ce fut un véritable carnage! Partout des plumes et du sang! "Nécessité s'allume! cria Boux à Sullivan. Vas-y! Sème de la ville! Sème! On va leur en mettre jusqu'au trognon!" Sullivan fit semblant d'appuyer sur le bouton, puis l'engin dévasta un bois, avant de ralentir dans une plaine... "Si tu sens que ça chauffe trop, expliqua Boux, parce que des fois les villes se développent trop vite, tu as le frein Science ici! Tu vois? Tu peux calmer le jeu! Eh, ouais, mec, on fait pas n'importe quoi! On est des gens sérieux!"
Il se mit à pleuvoir et l'engin s'arrêta, comme si la pluie refroidissait même les combats! "Allez viens, dit Boux, on peut sortir quelques minutes!" Sullivan opina, mais il montra aussi une photo sur un tableau de bord "C'est le Magicien, précisa Boux! C'est lui le chef des Fanas! Une véritable ordure! Mais tout le monde est d'ssus et on aura sa peau!"
Sullivan s'extirpa de l'engin et retrouva le sol... Il regarda autour de lui: le ciel était vide, sombre et jusqu'à l'horizon, il n'y avait plus que des arbres calcinés ou des cendres! Sullivan baissa la tête, se sentant complètement abandonné, puis il enleva son casque!
"Hein? Qu'est-ce tu dis d' ça? lui jette Sam Bôme. C'est d'un réalisme! Quelle compétition! Eh! Mais attention, à chacun de suivre son camp! L'esprit de Macamo a été respecté! Que le meilleur gagne!"
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Hypocrisie se maquillait devant son miroir et elle se sentait nerveuse! C'était en effet la première d'une pièce de théâtre, dans laquelle elle jouait et son entrée en scène était imminente! Pourtant, elle connaissait par cœur son rôle et elle n'avait donc pas de soucis à se faire! Mais, justement, elle avait tellement répété son texte qu' elle ne savait plus très bien où était la réalité! Elle avait fini par s'identifier complètement à son personnage!
Ainsi, dans la rue, quand il lui arrivait de donner son avis, elle s'apercevait brusquement qu'elle avait récité sa pièce! Inversement, lors des répétitions, elle laissait soudain échapper sa véritable personnalité et à la grande stupéfaction de ses partenaires, elle exprimait des idées absolument contraires au texte! Qui croire? La comédienne ou le personnage? Celui-ci bien entendu, puisque c'est lui que les spectateurs suivraient, aimeraient ou détesteraient!
Pour se rassurer, Hypocrisie se résuma encore son rôle... Elle haranguait une foule et elle disait: "Qui voudrait travailler plus? Pendant plus de trente ans, j'ai effectué mon devoir! Je me suis levé tôt, je me suis astreint à ma tâche pénible et on voudrait reculer mon départ à la retraite? N'ai-je pas mérité le repos? Regardez mon corps fatigué et vous voudriez l'user davantage?"
A ce moment, la foule montrait son approbation, mais un contradicteur prenait la parole: "N'as-tu pas choisi la sécurité? Ne t'es tu pas empressée, dès le début de la vie, de te mettre des fers aux pieds? As-tu essayé de combattre ta peur? de chercher un idéal?"
Devant son miroir, Hypocrisie avala sa salive, car elle appréhendait ce passage! En effet, en tant que comédienne, elle était plutôt d'accord avec son contradicteur: elle n'avait certes pas choisi la sécurité et son métier restait des plus précaires! La retraite lui semblait une chose tout à fait abstraite! Elle obéissait elle-même à sa passion et à cet instant de la pièce, elle ne pouvait puiser en elle pour enrichir son personnage, d'autant que son contradicteur enfonçait le clou! Il disait: "Tu fais voir le travail uniquement comme une corvée... Mais n'a-t-il pas donné un sens à ta vie? Ne rejoignais-tu pas des camarades? Ne plaisantais-tu pas avec eux? Commençais-tu directement ta journée par suer? N'étais-tu pas soulagée d'être occupée? N'étais-tu pas fière de remplir ton devoir? de dire que tu faisais ceci ou cela? N'étais-tu pas en règle avec ta conscience?
_ C'est vrai, répondait Hypocrisie! Mais la routine m'a vaincue! L'ennui m'a fait grise! Le sentiment d'être exploitée aujourd'hui me remplit d'amertume! Je ne peux plus supporter mon travail! Je rêve d'une maison à la campagne, avec mon mari, où nous coulerons des jours heureux! Si la retraire vient trop tard, lequel de nous deux tombera en premier malade, pour que nos vies deviennent un cauchemar!
_ Tu as raison: quand le cancer arrive, c'est le malheur sur la maison! Mais le travail n'est-il pas le rempart contre l'angoisse? N'est-ce pas elle qu'il faudrait regarder dans les yeux et guérir? N'est-ce pas elle qui ronge et détruit?
_ Je ne comprends pas ce que tu veux dire... Mais ce que je vois, c'est que tu es un ami des riches et des profiteurs! Honte à toi, car tu es venu semer le trouble et la discorde!"
Le dialogue se termine là et Hypocrisie fait un signe qui entraîne la foule à lyncher le contradicteur! La comédienne se voit triomphante!
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Les enfants Doms, T2, (75-79)
- Le 07/01/2023
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"Tu renonces à Satan et à ses pompes..."
Le Parrain
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Andrea Fiala était invitée à un magnifique dîner, qui réunissait toute l'élite, tout le gratin de RAM! C'était les relations de son père qui lui avaient valu cela! Andrea, en s'y rendant, s'était décidée à s'amuser, à prendre du bon temps, avec la bonne chère, le luxe, l'éclat des conversations! Elle avait soigné sa toilette et avait été jugée comme l'une des plus belles femmes de la soirée, grâce notamment à la lumière de ses épaules dénudées!
Elle était assise face à un homme extrêmement séduisant! Il avait le corps solide, fin et son visage avait des traits délicats, tout en gardant une expression virile! Andrea était sous le charme: elle admirait les dents blanches de son vis-à-vis, son rire sain, cet air équilibré, cette culture foisonnante! La jeune femme avait toujours rêvé de rencontrer un tel homme, racé, intelligent, à l'aise, sans ostentation! Etait-elle en train de tomber amoureuse?
De son côté, le séduisant monsieur avait bien conscience de l'effet qu'il produisait, mais il savait rester simple, car c'était la meilleure façon d'entretenir de bons rapports et il se présenta sans tarder à Andréa: "Je suis monsieur Raison, dit-il, et je suis enchanté de faire votre connaissance... Vous êtes ravissante!"
La maîtresse de maison, qui ne perdait rien des conversations et qui les encourageait, rajouta à l'adresse d'Andrea: "Vous avez de la chance, ma chère! Raison est passionnant! Il est le digne héritier de toute notre civilisation humaniste! Un vrai fils de l'Occident!
_ Un accident? fit le vieux monsieur voisin de Raison. Il faut faire attention... Figurez-vous qu'en venant ici j'ai failli être renversé!
_ Mais non, grand-père, coupa en souriant Raison. Notre chère hôtesse a parlé d'Occident et non d'accident! En fait, je suis juste allé un peu plus loin que les monothéistes!
_ Un motocycliste? Je vous assure, jeune homme, que vous vous trompez! C'était une voiture grise!
_ Et si vous la mettiez un peu en veilleuse, l'ancêtre, hein?
_ Mais, mais c'est pas un jeune gommeux qui va m' dire ce que je dois faire!
_ A priori vous percutez pas!"
Raison, tout en rassurant Andrea avec ses dents blanches, prit son couteau et le planta dans la cuisse du vieux, par-dessous la table! Le cri du grand-père fut étouffé par l'exclamation de monsieur Raison, devant le poulet qui arrivait à point: "Oh! Du poulet! Vite que je pique ma fourchette dans cette chère délicieuse!"
Apparemment, le dîner battait son plein, mais Andrea n'avait pas perdu une miette de ce qui s'était passé entre monsieur Raison et le grand-père et elle en était outrée! Elle eut l'idée de prendre son LAL, dans son petit sac accroché à sa chaise, et elle tira elle aussi en cachette, sous la table, vers monsieur Raison, qui était toujours un modèle d'équilibre, le parangon d'une humanité au service de l'homme!
Le LAL envoya son bizarre rayon et monsieur Raison se cabra, se figea, puis se balança! Manifestement, il était en proie à une transformation et Andrea se raidit, se préparant au pire! Le visage de monsieur Raison se déchira et comme l'humaniste fondait avec une plainte insupportable, une tête de dragon s'en échappa, se dressant jusqu'au plafond! Puis des tentacules crevèrent la chemise scintillante et s'emparèrent des assiettes les plus proches, qui furent jetées avec rage sur le grand-père!
On dut sauver "l'ancêtre" en le tirant par les pieds! "Mais qu'est-ce qui s' passe? criait paniquée la maîtresse de maison. Qu'est-ce que c'est que ce monstre?
_ Ce n'est rien, répondit Andrea, qui reprenait son petit sac, avant de partir. C'est monsieur Raison qui retrouve son origine animale!
_ Mais... mais il est très laid!
_ Hélas, ma chère, c'est ce qu'il y a de plus courant!"
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Il y a dans RAM un personnage bien connu, éminemment sympathique, d'autant que tout le monde un jour ou l'autre a besoin de lui! C'est l'Artisan! On le remarque facilement, car son autociel est la plus rapide, la plus puissante, la plus dangereuse aussi!
L'Artisan roule à tombeau ouvert! La Mort en effet l'accompagne et lui crie: "Mais vas-y! Qu'est-ce que t'as entre les jambes? De la guimauve? Vas-y! Fais monter l'aiguille! Bon sang! Tous des traînards, toi y compris! Dévale! Mais bon sang dévale! Fonce! Avale celui-ci! Non mais regarde-moi celle -ci! C'est la pin-up des vacances! Efface-là, nom de nom! Si tu t'arrêtes, moi j' te prends! J' te refroidis! Je t'exécute! Un contrat. Tu sais ce que c'est qu'un contrat! Tu loupes un chantier et t'es mort! T'entends!
Paf! T'as eu un piaf! La tête tranchée qu'il a eu! Et un dans mon escarcelle! T'es à combien là? Trois cents cinquante! C'est pas mal! Mais tu peux faire mieux! Sûr! Comment veux-tu que je remplisse mon panier si tu t' traînes! Car là de nouveau tu languis! Comment j' vais t'appeler? La limace? Sur ton capot, j' veux pas qu' des oiseaux! J' veux des trophées plus importants! Des bras d'enfants, par exemple! Hein? Une tête de jeunot! Ah! Ah! Bien sûr, j' plaisante! J' veux pas t' couler! Mais dévale, dévale! Il pleut des devis! Pense aux devis! Tu sais ce que c'est qu'un devis? C'est un chiffre! De l'argent! Et toi, tu traînes, une vraie lavette!"
A ce train-là, fouetté, épouvanté par la Mort, l'Artisan a subi une inquiétante mutation et quand il arrive sur son chantier, chez un particulier, il sort brutalement de son autociel et il a l'air en colère! Il rentre dans la maison et crie: "Il est où l' chantier! Y a un chantier ici? Faut voir! C'est vous le proprio? Et il est où "the" problème? C'est ta chaudière qui est en panne? C'est pas vrai! T'as une chaudière en panne, mon pauvr' bichon! Eh ben, on va voir ça! Tu sais, moi j'ai autre chose à faire! Si je m'occupes de toi, c'est bien par bonté!
Mon rêve à moi, c'est les pyramides, la tuyauterie des pyramides! Là, c'est la classe! Là, y a du boulot! Mais ta chaudière! C'est celle-là? Comme elle a l'air minable! Et puis tout est vieux ici, non? Comment veux-tu qu' ça marche! (Il s'adresse à la chaudière.) Alors, ma grande paraît qu' tu fais des histoires? J' vais t'arranger moi! Tu vas voir!"
L'Artisan pose son sac brutalement, près de la chaudière, qui sursaute et qui voit de gros outils être sortis! Elle a peur et elle s'arrache de son logement! Elle trouve refuge dans un coin du garage et se met à trembler! L'Artisan n'en a cure et il l'a saisie et la traîne par terre! Puis, il lui donne des coups de pieds! "Tu sais combien d' choses j'ai à faire aujourd'hui? martèle-t-il à la chaudière. Tu sais ce qui va m'arriver si j' traîne? ("Pan! pan!" font les coups!) Est-ce que c'est toi qui viendras m' sauver, quand la Mort viendra m' prendre? Evidemment non! (Pan! pan!)"
"Voilà, c'était pas compliqué! dit l'Artisan au proprio. Il faut changer cette pièce! Tu payes! Tu payes! Là, sur la machine! La pièce, on l'aura bientôt! Pour l'instant, ça marchera comme ça! Bon, t'as payé! T'es pas si mauvais qu' ça! C'est pas mal ici finalement! Et t'as un p'tit jardin derrière! Ah! Moi aussi j'aimerais un peu d' verdure! m'occuper des plantes et tout ça! Mais la Mort, elle veut pas! Faut cravacher comme elle dit! Et elle a raison! Allez, au revoir m'sieur, m'dame! Devis, chantier, temps! Voilà mon credo! Eh! c'est qu' j'ai encore dix mille personnes à voir aujourd'hui!"
Avant de partir et comme les proprios ne le regardent pas, l'Artisan s'approche de la chaudière et pan! il lui envoie un dernier coup! Elle pleure... et elle panique, car elle sent qu'elle va retomber en panne! Elle regarde vers le ciel et elle supplie: "Non, pas de panne! Je vous en prie!" dit-elle. Puis, elle baisse la tête vaincue, car son mal la reprend...
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Cariou est mort et il arrive devant Dieu! Cela se passe dans une vaste salle bien propre, nullement luxueuse, où il y a juste ce qu'il faut! Au centre, Dieu est attablé et il mange apparemment une viande aux pruneaux! En tout cas, ça a l'air bon et une agréable odeur monte jusqu'au nez de Cariou! "J' pourrais p't-être m'asseoir? demande-t-il à Dieu. Le voyage a été long et j'ai une faim de loup!"
Dieu ne répond pas et crache un noyau, qui fait bing dans un seau! "Et le protocole? dit-il. Le sacré, t'en as jamais entendu parler?
_ Le quoi?
_ Le sacré! rugit Dieu. Ne suis-je pas le plus grand, l'infini et bien plus encore! J'suis... J'suis... Mince, j'ai un trou de mémoire! Pourtant, y en a une kyrielle de compliments à mon sujet! J'suis l'Unique, l'Incomparable! J' suis c' qui dépasse l'imagination! Eh ouais! J' suis l' sacré, quoi!
_ Et alors?
_ Alors? Alors, faut d' la révérence, de la crainte même! Tu devrais être dans tes p'tits souliers! J' suis le sacré!
_ Mais comment j' pourrais aimer une maman ou un papa sacrés! Comment on peut aimer vraiment l' sacré? Vous êtes mon cœur et ma vie! Vous êtes mon amour! J' suis votr' enfant et j' rentre à la maison! Qu'es-ce que c'est cette histoire de sacré! Vous ne seriez pas ma maman ou mon papa si je devais m'agenouiller devant vous! Depuis quand les enfants doivent voir leurs parents comme sacrés?
_ Ben...
_ Depuis qu'ils en espèrent un héritage? Faut ménager les aînés, sinon on n'aura pas sa part? Le sacré, c'est quand on vous aime pas vraiment! C'est quand on veut de l'autorité grâce à vous! On vous met sur un pinacle, parce qu'on n'est pas votre enfant! Qu'est-ce que les mômes ont à voir avec le sacré? C'est un truc de grandes personnes!
_ Arrête grand bêta! T'es en train de m'amener la larme à l'œil!
_ Mais j'espère bien! Vous êtes ma vie et mon amour! J' peux courir dans vos bras!
_ Mais bien sûr! J' t' adore également! T'es mon p'tit! Bon sang, viens dans mes bras!"
Cariou court éperdu vers Dieu et se blottit dans sa lumière! C'est aussi fort qu'un soleil, mais en tout doux! Puis, Cariou se met à danser! Il visite les univers, il salue des gens gentils et il regarde de loin les serviteurs du sacré, car il en a peur!
"Mais bon sang, réveille-toi Jack! crie le réveil de Cariou.
_ Hein?
_ T'es encore dans ton rêve! Et tu baves en plus!
_ J'en ai marre!
_ Et moi donc! Allez, ouste debout! Y a une sacrée tempête qui arrive!"
Le réveil reçut l'oreiller de Cariou en plein d'dans!
78
Une sorte de foire s'était installée dans RAM! Les gens venaient voir les attractions, qui les captivaient plus ou moins! Une petite foule s'était amassée près d'un chapiteau, où un harangueur promettait le spectacle le plus incroyable! Il disait: "Entrez mesdames et messieurs et vous verrez ce que vos yeux n'ont jamais vu et même ce qu'ils redoutent de voir! C'est plus fort que la femme sans tête ou que l'homme à trois mains! C'est plus horrible, cela dépasse tout entendement, toute imagination! Votre vie en sera changée à tout coup! Vous n'oublierez jamais notre créature! C'est un abîme que je vous propose de contempler! C'est une vertige absolu que je vous garantis!
_ Mais enfin de quoi s'agit-il? cria quelqu'un. Personne n'achète chat en poche!
_ Hélas! Il m'est impossible de vous en dire plus, car peut-on décrire l'étrangeté même? A vouloir vous préparer, je ne pourrais que montrer mon impuissance! Le cauchemar commence ici, mesdames et messieurs! En m'achetant un billet, vous prenez la responsabilité de ne plus êtres les mêmes! Vous entrerez dans le cercle très fermé de ceux qui savent, de ceux qui ont vu! Vous deviendrez les témoins de l'horreur la plus sombre et on ne vous croira pas!
_ Foutaises! fit encore celui qui avait déjà demandé des explications.
_ Dites plutôt que vous avez peur! répondit le harangueur. Vous reculez et comme je vous comprends! Ce spectacle n'est pas pour les faibles!"
Dès lors tout le monde voulut un billet et un flux incessant se mit à remplir le chapiteau! On s'y tenait debout devant une scène obscure et pour mieux voir, les enfants approchaient ou demandaient à être portés! Une tension émanait du public, ce que cherchait le bonimenteur et il ferma soigneusement l'entrée, ce qui créa de l'intimité et donna à chacun le sentiment d'être un privilégié!
"Mesdames et messieurs, reprit le bonimenteur maintenant sur un côté de la scène, l'homme que vous allez découvrir dans un instant, sous vos yeux, a un parcours qui fait frémir, qui hérisse les cheveux sur la tête! Figurez-vous qu'il est originaire d'une des régions les plus reculées du pays, où la sorcellerie n'a toujours pas complètement disparu! Imaginez un enfant qui ne fait que se demander ce qu'il fait là, sur Terre (les autres enfants rient)! Oui, mesdames et messieurs, imaginez un jeune qui ne s'intéresse que très peu à l'école, sans pour autant vouloir tout de suite travailler, pour être indépendant! Que pourrait-on dire d'un tel jeune, je vous le demande?
_ Que c'est une feignasse!
_ Si j'avais été ses parents, je l'aurais maté c'te parasite! Il aurait marché droit! affirma un homme trapu.
_ C'est une honte! dit une femme.
_ Nous sommes bien d'accord! reprit le bonimenteur. Mais, croyez-moi, ses parents ont bel et bien essayé de le corriger et de toutes les manières possibles, même en utilisant la force! Mais rien n'y a fait! L'individu en question s'est obstiné, mesdames et messieurs! Il voulait à tout prix donner un sens à sa vie! Il trouvait que quelque chose n'allait pas, dans notre façon d'être!
_ Quelle honte!
_ C'est un d' ces rigolos de beatniks, qui profite du système, non?
_ Comment peut-on ne pas travailler?
_ Il dit qu'il travaille de l'esprit! précisa le bonimenteur.
_ Foutaises!
_ Mesdames et messieurs, voici votre cauchemar! le symbole même de vos angoisses les plus profondes! votre antithèse! Voilà l'abîme! Mesdames et messieurs, je vous présente l'Homme sans retraite!"
La scène s'éclaira brusquement et on contempla un individu sagement assis sur une chaise! Il regardait paisiblement les uns et les autres et quelqu'un s'écria: "Mais... Mais il est comme nous!
_ C'est une arnaque! fit un autre.
_ Remboursez!"
Comme tout le monde s'excitait, les enfants étaient aux anges, tandis que les femmes avaient le visage haineux, car elles pensaient qu'elles avaient été jouées! Une tomate vola, puis une seconde et une troisième! On commença à casser le matériel et par-dessus le chaos, on entendait encore le bonimenteur: "Je vous avais dit que vous seriez sciés!"
79
Owen Sullivan était dans les locaux d'Adofusion, pour y prendre quelques affaires, car c'était maintenant Sam Bôme qui dirigeait l'entreprise. Adofusion était située dans le technopôle de RAM, là où les bâtiments rivalisaient de modernité et pour beaucoup ils abritaient les écoles d'ingénieurs les plus prestigieuses, qui formaient les élites scientifiques de demain!
Sullivan passait par une des nombreuses passerelles, qui reliaient les édifices, quand la lumière s'éteignit! Il faisait déjà nuit noire dehors et la tempête agitait les arbres, tandis que la pluie zébrait les fenêtres! Sullivan alluma son Narcisse, pour se repérer et continua d'avancer... Il était dans une partie qu'il connaissait mal, ou qui avait été rénovée récemment, car il avait du mal à s'y reconnaître! Mais, apparemment, il progressait dans un couloir qui lui avait toujours paru sinistre, à cause de sa longueur interminable!
Soudain, Sullivan eut un frisson d'horreur! Quelque chose venait de lui passer entre les jambes, manquant de le faire culbuter! Il éclaira devant lui, mais il n'y avait rien, sinon l'obscurité! Un petit rire cependant se fit entendre, ce qui redoubla la peur de Sullivan, puis, comme par enchantement, la lumière revint et le couloir débouchait sur un vaste croisement, où se tenait un homme de grande taille, vêtu d'une blouse blanche!
Il avait les cheveux chenus et semblait plutôt un joueur de rugby qu'un scientifique, mais Sullivan le reconnut: c'était Garan, qui dirigeait un secteur dédié à l'IA (Intelligence artificielle)! "Owen! s'écria-t-il, quand il eut lui-même vu Sullivan. J'étais en train de travailler sur des crevettes et pouf, tout a été plongé dans le noir! Finie mon expérience! Cela doit être la tempête qui cause des dégâts! J' t'avoue que j'ai eu un peu peur sur le coup!
_ Et moi donc, car là-bas dans le couloir, il s'est passé quelque chose d'étrange! Je ne sais pas quoi m'est passé entre les jambes et m'a presque fait tomber! Et figure-toi que cela a ri! Enfin, j'ai peut-être été le jouet de mon émotion! Un chat sans doute!
_ Non, non, ça doit être Fanfan!
_ Fanfan?
_ Oui, allez viens Fanfan! Viens voir qui est là! C'est Owen, un ami!"
Garan parlait en direction d'une porte entrouverte, sur une salle non éclairée... "Fanfan est un peu timide" expliqua Garan et effectivement un enfant se montra lentement, mais, au lieu de rassurer Sullivan, il l'inquiéta encore plus, car son apparence n'était pas humaine! Il était comme ces enfants dessinés numériquement, avec une peau lisse et des yeux démesurés, comme s'ils avaient été le symbole de l'innocence!
"Fanfan n'est pas véritablement des nôtres, hein? dit Sullivan.
_ Non, c'est vrai... tu sais, Owen, ici on cherche beaucoup, on est à la pointe! Disons que Fanfan représente la mariage réussi entre des cellules souches et les nanotechnologies! Son cerveau notamment est essentiellement régi par des algorithmes! Ce n'est pas un robot, c'est un être humain aidé par la machine! Il y a beaucoup de choses qu'il sait mieux faire que nous, car il n'a pas nos limites!"
Sullivan ne pouvait se détacher des grands yeux ouverts de Fanfan et se sentant de plus en plus mal à l'aise, il prit congé! Ce qu'il avait vu dans le regard de Fanfan, c'était le vide, malgré l'air enjoué qu'on avait voulu à la créature! Et ce vide, Sullivan en était persuadé, masquait une hostilité!
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Les enfants Doms, T2, (70-74)
- Le 31/12/2022
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"Canada! Où est ma chienne Canada?"
Drôles de drames
70
Comme l'avait supposé Cariou, la situation économique de RAM continuait à se dégrader et on avait l'impression d'être comme un réacteur nucléaire, dont on aurait perdu le contrôle et qui pourrait, selon les scénarios, s'enfoncer sous la terre, à cause de sa chaleur! L'endettement était ce qui entraînait la surchauffe et qui menaçait la ville d'un effondrement! Il fallait à tout prix réduire le déficit public et malheureusement, cela passait par diminuer la protection sociale, car c'était ce qui coûtait le plus cher!
A ce sujet, les deux ministres de Rimar, monsieur Nuit et Yumi Tanaka, s'empoignaient tous les jours! "Vous essayer encore de faire des économies sur le dos des chômeurs! s'écria Tanaka. Vous rognez sur leurs droits! Vous amplifiez leur précarité!
_ Madame Tanaka, vous savez bien que l'on ne peut pas continuer comme ça! répondit monsieur Nuit. Nous sommes surveillés de près par le FMI! Tous les voyants sont au rouge! Et puis, il n'est pas bon que les chômeurs s'imaginent que de ne pas travailler est la normalité! Nous les pressons pour qu'ils obéissent eux aussi à leurs devoirs!
_ Comme si c'était aussi simple! Vous n'ignorez pas que bien des chômeurs sont déjà des personnes fragilisées! Elles ont été broyées par un système qui les dépasse! Elles ont perdu confiance en elles et le seul remède que vous trouvez, pour les remettre d'aplomb, c'est de les soumettre au stress!
_ Il y a aussi les paresseux et les fraudeurs! On ne peut pas payer les gens à ne rien faire!
_ Puisque vous êtes à cheval sur la justice, que n'obligez-vous les grands groupes à payer leurs impôts! Ils sont là les véritables profiteurs!
_ Vous avez raison, il faut que chacun paye son écot! Mais ici, la situation est loin d'être simple, comme vous le savez! L'économie est mondiale et elle permet toutes les formes d'évasions fiscales! D'autre part, à vouloir trop taxer, on rend le pays de moins en moins attractif! Les entreprises vont investir ailleurs!
_ Vous voilà bien précautionneux tout d'un coup, avec vos amis les riches! une vraie infirmière! "Vous n'avez pas trop chaud? Vous voulez que j'ouvre le fenêtre? Attendez, je vais redresser votre édredon!"
_ Epargnez-moi vos sarcasmes! On essaie seulement d'être compétitif! Mais, malheureusement, les crises que nous connaissons nous contraignent à reconsidérer nos acquis sociaux! Et après le chômage, nous attaquerons la réforme des retraites!
_ Et que ferez-vous quand la base se soulèvera, lasse de se voir exploitée!
_ C'est un risque à courir! Mais ne me dites pas que vous croyez encore qu'une économie puisse fonctionner, sans l'espérance de faire des bénéfices chez les investisseurs! A quoi bon se démener si l'Etat prend tout? Le coup du communisme, ça va une fois, quand le pays est riche! Mais après? C'est le peuple asservi qui masque la ruine!
_ Et les riches devenant de plus en riches! Et les pauvres devenant de plus en plus pauvres! C'est la fracture sociale qui crée la délinquance et la criminalité! La violence est aussi ce qui ruine un pays!"
Tanaka et Nuit poursuivait inlassablement leur dialogue de sourds, car chacun était persuadé d'avoir raison, mais surtout on s'obstinait dans le but de ne rien perdre, de ne pas se déranger, de ne pas remettre en cause ses certitudes! Ce que l'on est dépend de notre égoïsme! La perception de l'autre, quel qu'il soit, est limitée par notre orgueil! Plus nous sommes attachés à notre amour-propre, à notre supériorité, et plus nous nous fermons à la différence, plus nous la rejetons! Qu'on soit pauvre ou riche, c'est notre confort moral qui nous intéresse en premier!
Pendant ce temps-là, dans l'indifférence générale, des personnes âgées se suicidaient, notamment en se jetant dans la mer! Elles se noyaient, soit qu'elles n'eussent plus les moyens de vivre, soit que l'angoisse d'un monde vide et apparemment vain les submergeât!
71
Je te raconterai l'histoire du roi Domination! Il vivait sur les hauts plateaux du pays d'Agfar et sa cité était magnifique! Elle brillait de mille feux et sa renommé dépassait toutes les frontières! On y venait de loin, toutes les caravanes y convergeaient, car c'était la ville la plus belle et la plus moderne qu'on eût connue! C'était un centre d'affaires aux richesses sans pareilles, qui fourmillait, où l'on pouvait obtenir la fortune, la réussite, où on s'élevait dans l'espoir d'atteindre les sommets, de traiter avec le roi lui-même, d'être parmi ceux qui comptaient!
Domination aimait les arts et les encourageait! Il payait largement les artistes et les rendait célèbres! Ceux-ci célébraient d'ailleurs son goût sûr, ses lumières et la cour ressemblait à un jardin dédié à la beauté! Tout y paraissait élégant, précieux et le jour éclairait des perspectives éthérées, des vols d'oiseaux ou des piliers massifs, qui symbolisaient la puissance!
Le roi était encore entouré de savants, qui lui expliquaient la complexité du monde et le mouvement des planètes! Il y avait là des mathématiciens, des physiciens, des chimistes et on guérissait des malades et on expliquait les phénomènes! Tout ce monde se côtoyait, se mêlait, confrontait ses idées et évoluait! Les rayons du progrès tombaient sur les fronts!
Pour distraire Domination, il y avait des femmes en quantité et chacune était une œuvre d'art en soi! Certaines étaient effrontées, d'autres perverses, sans oublier les douces, les ingénues! Il y avait celles qui excitaient, qui rendaient fou, qui entortillaient, envoûtaient, énervaient, apaisaient, faisaient oublier! Le roi choisissait selon ses humeurs, tantôt il voulait le soleil, tantôt la lune!
Mais la cité fonctionnait aussi grâce aux esclaves... et ils suaient, ils gémissaient, comme le grain sous la meule! C'était la misère, le labeur sans fin, l'injustice muette, la main tendue et le mépris pour obole! Que de pleurs, de nuits sans sommeil, sans rêves! Que de jeunesses brisées, avilies, perdues!
Mais le roi n'en avait cure! Il commandait, il exigeait des hommages, il était le roi! Un jour, il partit à la chasse, avec son aigle, qui l'entraîna bien loin, près d'un lac, dont l'eau était comme un œil vert sous le ciel! Autour des montagnes rougeâtres s'élevaient dans le silence... Une femme d'une grande beauté, habillée en guerrière, se rafraîchissait au bord de l'eau et les sens du roi en furent frappés!
D'habitude, quand il s'approchait et rien qu'au galop de son cheval, on levait la tête et on le craignait, mais la femme ne bougea pas et garda toute sa tranquillité, comme si le roi n'avait jamais existé! Cela ne se pouvait! N'était-il pas Domination? Il décida de sortir son épée, pour faire peur, se jouer de la frayeur de la femme! La lame siffla sur la tête de l'inconnue, mais encore elle ne se troubla pas, ainsi qu'elle aurait été seule!
Le roi fut exaspéré et il cria: "Mais qui es-tu pour me manquer autant de respect! Tu dois pourtant savoir qui je suis! Je suis le roi Domination! Alors incline-toi!" Mais la jeune femme semblait s'amuser de la situation et elle gardait les yeux sur les miroitements de l'eau! Aveuglé par la colère, le roi donna un coup, pour blesser, voir le sang, mais la lame se perdit dans les airs! L'inconnue avait été mille fois plus rapide et avait-elle seulement bougé ou bien était-elle immatérielle?
Le roi voulut en avoir le cœur net et il mit toute sa science de la guerre à atteindre la femme, mais elle était plus insaisissable qu'un courant d'air et elle riait à présent des efforts vains du roi! "Epouse-moi! laissa-t-il échapper. Je n'ai jamais rencontré une femme telle que toi! Tu es aussi belle que forte!
_ Je veux bien, répondit la jeune femme, mais libère tes esclaves! Fais leur bonheur! Renonce à ton pouvoir, à tes richesses! Quitte ton rang et ta cité! Et nous vivrons comme deux amants dans le vent!
_ Mais... Mais je ne peux pas! Je suis le roi!
_ Alors adieu!"
La jeune femme monta sur son cheval et Domination s'accrocha à elle: "Donne-moi au moins ton nom, que je puisse te retrouver!
_ Sache que je m'appelle Spiritualité!"
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La journaliste Mélopée tapait un article pour son journal, en jetant un œil distrait sur une "bible" grammaticale! Elle agissait ainsi parce qu'elle voulait a priori faire son travail sérieusement et qu'elle était bien consciente de son ignorance! Elle lisait: "La ponctuation est l'ensemble des signes... bla, bla... servant à indiquer les liens logiques... C'est un élément essentiel de la communication écrite! Pfff! Le point a pour fonction de terminer la phrase... La ponctuation reflète la respiration de l'auteur, la clarté de ses idées! Elle montre même sa personnalité! S'il est avide, suffisant, il ne respectera pas la ponctuation!"
"Ben, ça alors! s'écria Mélopée. Qu'est-ce que c'est qu' ce bouquin?" La journaliste regarda alors son propre article, qui était en réalité un billet d'humeur, et elle lut: "Surtout que le roi Rimar veut terminer la guerre au plus tôt. Malgré la résistance Kuranienne. Qui se révèle plus forte que prévue. Et que pourtant on aurait pu supposer..."
"Hum! se dit Mélopée. Apparemment, je ne respecte pas du tout la ponctuation, car il n'y a là en réalité qu'une seule phrase! Eh! Mais on m'embête à la fin! J'écris comme ça vient, point barre! Oh! Oh! Mais alors j' suis avide et suffisante! Mince! La journaliste Mélopée est en réalité une vieille sorcière! Oyez, oyez, peuple de RAM!"
Cependant, Mélopée lut encore un autre passage de sa "bible" grammaticale: "L'alinéa est la séparation que l'on établit en allant à la ligne... On commence la nouvelle par un retrait... Selon une mode récente, les imprimeurs suppriment ce retrait, ce qui rend l'alinéa peu visible, voir invisible! Le texte en est de moins en moins clair!"
"Bon sang! se rengorgea Mélopée! Bravo les imprimeurs! Y manq'rait plus qu'on s' laisse marcher sur les pieds!" A cet instant, l'écran de Mélopée se brouilla, pour laisser place à un visage d'homme, massif et morne, sous de grosses lunettes carrées! "Qu'est-ce que c'est cette embrouille! jeta la journaliste.
_ Je suis Boa, dit l'homme, et je peux vous aider!
_ M'aider? M'aider à quoi? Et d'abord qu'est-ce que vous foutez dans mon ordi? Mais Boa... Boa? Ce nom ne m'est pas inconnu! Eh! Mais c'est vous le mec qui a été tué dans le Cerveau des Trois gros!
_ En effet! Mais je ne suis pas tout à fait mort... Mon esprit est devenu numérique et j'ai à cœur d'aider ceux qui en ont besoin!
_ Ouais... J' vois toujours pas c' que tu pourrais faire pour moi!
_ Mélopée, je sais que tu veux devenir une journaliste célèbre, qu'on parle de toi, que tu occupes le devant de la scène!
_ Tout juste! Mais c'est dur: y a d' la concurrence!
_ C'est parce que tu ne sais pas y faire! Je peux t'apprendre à rédiger un article, pour qu'il soit à coup sûr sensationnel! On ne pourra plus se passer de toi!
_ Eh! Minute! Faut pas travestir les faits! On est toujours perdant à c' jeu-là!
_ Tss, tss! Tu vas rester pure comme de l'eau claire! C'est juste une question de méthode!
_ Bon, dans c' cas, d'accord!
_ Y a quand même un prix à payer...
_ Dis voir...
_ J'aimerais d'abord que tu me montres tes seins!"
73
Le professeur Ratamor se tenait la tête entre les mains dans son cabinet... La salle d'attente était bondée et on y trouvait toute la diversité de l'humanité, toute sa souffrance, mais aussi tout son mépris et son sans-gêne! Ah! Il y en avait des maux à guérir et les plaintes avaient le débit du fleuve Amazone, une vraie cour des Miracles! Mais voilà, le médecin Ratamor n'en pouvait plus, au point même de haïr toute cette misère, cette "saleté"!
Eh! Mais c'est que nous sommes tous pareils! Nous avons beau être sensibles au malheur et vouloir le soulager, il n'en demeure pas moins que notre amour-propre a ses besoins et qu'il doit sentir sa valeur, sinon son utilité! Or, le pauvre Ratamor était submergé, noyé! Il ne s'était pas respecté, comme s'il était possible de travailler sans manger, sans pause, en se diluant dans le devoir ou la compassion, en n'existant plus, en devenant pur esprit!
Mais en plus le médecin ne lisait pas forcément dans les yeux de ses patients de la reconnaissance! Sous l'effet de la guérison, on ne "baisait pas son anneau", ce qui d'ailleurs aurait gêné Ratamor, mais on continuait à gémir, à attirer l'attention sur soi, car on n'en avait jamais assez, on était comme des gouffres sans fond et on querellait à l'occasion, parce que d'autres prenaient davantage!
Tout cela épuisait Ratamor, qui n'avait fait que s'enfoncer dans la dépression la plus noire et qui avait humilié plusieurs fois des malades, comme avec piccolo, car enfin le corps regimbait, se révoltait et l'envie du bonheur perçait, éclatait brutalement, amèrement, blessant et terrorisant! Au final, Ratamor ne changeait pas le monde, ne l'améliorait pas, mais il en maintenait la hiérarchie, le mépris et les malmenés le restaient! Certes, on bénéficiait de soins, mais la peur qu'on subissait, qui venait essentiellement de l'égoïsme de la supériorité, ne disparaissait pas et son poison continuait à détruire!
Ratamor se rendait bien compte de son impuissance, de la complexité de la situation et il se demandait si la meilleure chose n'était pas de se suicider, mais un dernier fond de raison lui murmurait que c'était là encore un effet pervers de la dépression! Il soupira et appela sa secrétaire: "Vous allez renvoyer tous ces gens, lui dit-il. On ferme le cabinet! Je ne suis pas fait pour ça! Rassurez-vous, je vous verserai un salaire, tant que vous n'aurez pas trouvé une autre place!"
Qu'aimait Ratamor? C'était sa position de professeur! de défenseur de la science! de champion de la vérité! Ce qu'il ne supportait pas, c'était ces obscurantistes, ces fanatiques, qui devant le réchauffement climatique, prônaient un retour en arrière, sans la science, avec des croyances et non des faits!
C'était bien la science qui avait tiré la sonnette d'alarme, quant aux émissions de CO2! C'était donc la science qui pouvait également réparer, trouver le remède! Et puis, était-il possible de vivre en faisant fi des connaissances actuelles? Le fanatique ressemblait à un marin lâche, épouvanté par la fureur des éléments, qui s'enfermait dans la cale en disant: "Il n'y a que notre belote qui compte!"
Ratamor allait remonter sur le ring! Il reprendrait son poste à l'Université! Il y fustigerait de nouveau les faibles, les imbéciles, tous ceux qui cachaient leur orgueil, leur soif de pouvoir, grâce à la religion, leur soi-disant foi! Le gladiateur de la science s'oignait déjà par son imagination! Gonflux était mort, Lapie aussi, restait Piccolo, l'obstacle par excellence! Mais on trouverait une solution pour celui-là!
Ratamor s'animait, reprenait espoir! Au gong, il cognerait dur, il mettrait l'adversaire dans les cordes, l'asphyxierait, avant que celui-ci ne finît par glisser sous les coups! KO! Ou bien le professeur se voyait planter son trident, dans le ventre du mensonge, de la bête, pour obéir au pouce renversé de l'empereur Vérité!
Ratamor se frottait les mains! Une minute avant, il était une épave, un spectre au visage gris! Maintenant, le sang colorait ses joues et il aimait la vie!
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L'Aveugle voyait! Bien que dépourvu de la vue depuis sa naissance, aujourd'hui il pouvait regarder le monde comme n'importe qui, grâce à la science, la technologie! Ses yeux n'avaient ni blanc ni iris, ils semblaient deux grandes pupilles, encore plus noires que la nuit, mais en réalité ils étaient constitués d'objectifs miniaturisés, qui envoyaient leur image sur un capteur numérique! Le cerveau analysait celui-ci par des nerfs à moitié artificiels, où les tissus se mêlaient à l'électronique!
La vision de l'Aveugle était formée de plus de cinquante millions de pixels et elle lui donnait des pouvoirs hors-normes! D'abord, l'Aveugle pouvait zoomer, jusqu'à une focale de 600 mm, il avait le coup d'œil d'un aigle! Il lui était encore possible d'y voir la nuit, car il lui suffisait pour cela d'augmenter la sensibilité du capteur! Nyctalope comme un chat! Mais surtout il filmait, photographiait comme il voulait! Il avait un fichier interne, où des centaines d'humains étaient catalogués! C'était un commissariat à lui tout seul!
C'est pourquoi il était devenu le meilleur agent de Fumur! Celui-ci était obsédé par les complots! On en voulait à son culte! Des loges maçonniques en avaient juré la perte! Les renégates avaient d'abord cru, mais la raison et la liberté du monde moderne les avaient rendues agnostiques! Nul doute que leurs mains invisibles tâchaient de détruire l'œuvre de Fumur! Il fallait les repérer et les couler, avant d'être soi-même envoyé par le fond! Un combat sans merci était engagé! Le "Malin" ne passerait pas!
L'Aveugle servait d'espion: il entrait dans tous les cercles, en donnant toutes les garanties de son innocence, puis il éternisait ses hôtes à leur insu! Il ramenait des preuves qu'il analysait dans tous les coins et à toutes les proportions! Rien ne lui échappait! Tel personnage en retrait était identifié! Tel mouvement sur les lèvres était décrypté! L'Aveugle apportait bientôt un rapport à Fumur et des personnes étaient arrêtées, interrogées, avant de disparaître! Si le message religieux invitait à la mansuétude, ce n'était pas pour son bras armé!
L'Aveugle dominait RAM sous son grand-angle, quand son fish-eye le rassurait sur ce qui se passait derrière! Son autofocus n'était jamais pris en défaut, même dans la pénombre ou le brouillard! La mise au point était immédiate et le corps de l'Aveugle jouait encore le rôle de trépied, ce qui permettait des poses lentes et l'élimination des éléments gênants! L'Aveugle, dans sa vision, pouvait débarrasser une rue des passants, pour ne garder que sa cible, d'autant que celle-ci fut devenue une proie, immobilisée par la peur, tel un rongeur devant le serpent!
Ainsi l'Aveugle repéra Cariou, qui avait à cet instant une densité différente! Parfois, Cariou échangeait librement avec des commerçants et sa puissance se mettait à rayonner! La plupart du temps, tout ce qu'il était demeurait caché, pour se défendre principalement, car les attaques ne tardaient pas! Mais, s'il avait la possibilité d'être heureux, Cariou prenait sans même s'en rendre compte toute sa dimension et il s'apercevait alors, avec étonnement et même un certain vertige, que les autres n'existaient pas vraiment, qu'ils étaient comme de l'eau autour de lui!
Cela était dû au fait que la plupart ne cherchent pas, qu'ils restent comme des enfants dans la société, comme s'ils ne quittaient pas l'école! Ils n'essaient pas de tâter l'immensité de la vie! Son "mystère", qui est aussi celui de la mort, ne leur parvient pas! Mais, comme Cariou paraissait se dresser hors de la foule, il intrigua l'Aveugle, qui se colla à ses basques, avec l'obstination du chien de chasse!
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Les enfants Doms, T2, (65-69)
- Le 24/12/2022
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"Toi aussi, tu fais de drôles de trucs, Matt!
_ J' chais bien!"
Rue Barbare
65
Il pleuvait et Cariou et Angoisse discutaient auprès du feu... On entendait la bise souffler dehors et les yeux se perdaient dans le jeu des braises, ce qui réveillait des souvenirs... Angoisse était une vieille amie... Enfin, c'était une ancienne connaissance, car elle n'était jamais vraiment agréable et si on l'accueillait, c'était malgré soi! Mais on ne pouvait pas non plus lui refuser l'entrée... Elle s'imposait et essayer de la chasser ne faisait qu'envenimer les choses!
Il valait mieux l'accepter, pour mieux l'amadouer, l'endormir, jusqu'à ce qu'on oubliât sa présence, d'autant qu'elle se présentait les jours où justement on était sans rien faire, seul et vulnérable, à cause du temps par exemple! Il fallait donc la connaître, ne pas la fuir automatiquement, car sinon elle restait une étrangère et on la craignait plus que de raison!
Cariou avait été en couple avec elle et il la savait sur le bout des doigts! Il ne s'impatientait pas, il la laissait parler, il n'en avait plus peur, puisqu'il l'avait rendue inoffensive, à force de vivre avec elle! Somme toute, au coin du feu, on eût dit un vieux ménage, qui n'avait plus que le passé! "Tu te rappelles de l'époque où tu étais tout à moi! dit Angoisse. Ah! Mais c'est que tu étais terrible alors! Beau, vigoureux, plein d'ardeur! Et cet air fier... et justifié! Car même à vingt ans, tu en savais déjà plus que les autres!
Tout de suite, j'ai eu un faible pour toi! Je me suis dit: "Celui-là, je le veux!" Et je t'ai eu! Tu faisais tout ce que je demandais! Quelles folies ne t'ai-je pas commandées? Tu fumais comme un pompier! Tu buvais comme un trou! Et le H et l'herbe! Une vraie cheminée! Un miracle qu' t'es pas fini carbonisé! Et quel esclavage, mon pauvre Cariou! Les fameux plans pour une barrette! "C'est hyper mal servie!" criais-tu! On t'avait floué! Et les graillons que tu volais à tes meilleurs copains! Juste pour ton plaisir solitaire! Un vrai pantin dans mes bras!
_ C'est justement cet esclavage qui m'a fait honte et quitter la drogue! Quel abaissement! Est-ce qu'un aigle peut être heureux un fil à la patte?
_ Bien sûr, si tu n'avais pas été fort, je ne t'aurais pas tant aimé! Quel intérêt de tourmenter un lâche? Et puis j' t'ai fait courir comme un lapin! Ah! Ah!
_ En effet! Il fallait trouver de quoi vivre et j'ai couru le monde, habité mille adresses!
_ Sûr! T'étais un modèle d'instabilité! un vrai panier percé aussi!
_ Oui, tu m'as donné de grandes sueurs! La galère, j'en ai bu toute l'amertume! Quelle misère!
_ Et tes histoires d'amour bancales! Tes scènes grandioses! Tes échecs magnifiques et douloureux! Oh! le tragédien! Oh! le loser!
_ J'étais sur des charbons ardents! dans les flammes même! Je ne voyais pas le jour!
_ T'allais tellement mal que tu avais décidé de nous dire adieu! T'as voulu te supprimer!
_ Et j'y ai mis de la bonne volonté, mais j' suis toujours là pourtant!
_ T'es un géant! Si! si! Et tu sais quoi, il n'y a qu'avec toi que je me repose à présent!
_ Eh bien, tais-toi!"
Une bûche se mit à siffler et le feu continuait sa danse fascinante!
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La Mort était chez la psychologue Lapie! "Je n'en peux plus! disait-elle. Personne ne m'aime! Personne ne fait attention à moi!
_ Vous exagérez... Vous avez toujours un rôle à jouer...
_ Ringarde! Voilà ce que je suis devenue! Dépassée! Je n'ai plus ma place, nulle part! Bouuououh!
_ Et si vous y mettiez un peu du vôtre, hein?
_ Qu'est-ce que vous voulez dire?
_ Eh bien, vous n'êtes pas de tout repos! Vous empoisonnez les situations! Vous tuez l'enthousiasme! Ne demandez-vous pas à chacun de faire son deuil?
_ Qu'est-ce que j'y peux, moi? J'ai toujours été comme ça! C'est mon rôle de supprimer!
_ Allons! Allons! Quand on veut on peut! Il n'y a pas de fatalité! Mais vous ne voulez pas changer! Quand vous êtes là, il faut qu'on s'occupe de vous! Regardez les autres! Ils sourient, ils sont conviviaux, avenants, généreux, équilibrés! Prenez-en de la graine! Quelle belle dynamique!
_ Vous rigolez! Moi, je ne vois que haine, mépris, suffisance! On s'écrase les uns les autres! Il vous faudrait des lunettes apparemment!
_ Mais c'est que vous allez me donner la leçon..., alors que c'est vous la patiente! Je vous assure que le monde n'est pas si mauvais! Mais voilà ce que je vous disais: si on ne s'intéresse pas à vous, vous vous cabrez, vous devenez négative!
_ Vous savez à quoi elle me fait penser la société? A un train à grande vitesse, et moi, j'ai l'air d'une vache! Bouououh!
_ Et c'est reparti! Je crois qu'il faut prendre le taureau par les cornes! On ne va pas attendre que vous ayez une révélation, ou plutôt que vous vous fassiez justice à vous-même! Cela pourrait prendre dix ans! Essayons d'être plus rapide, pour vous intégrer! Montons dans le train, pour reprendre votre image! Pourquoi ne proposez-vous pas d'emblée d'aider à installer les valises trop lourdes! Vous seriez tout de suite visible, reconnue!
_ Mais je ne suis pas comme ça! Ma spécialité, c'est plutôt de vider les trains!
_ Toxique! Vous êtes toxique! Et donc une perverse narcissique!
_ C'est quoi ça?
_ Une personne égoïste et dévalorisante!
_ Moi, je suis égoïste? Mais, je prends en compte chacun! Je ne laisse personne sur le bord de la route!
_ Vous détruisez tout de même tout ce qui existe! Si c'est pas dévalorisant, ça?
_ Mais... Mais sans moi, la vie n'aurait pas d' sens! Elle serait une véritable farce!
_ Tsss! Tsss! Toujours cette importance exagérée que vous vous donnez! Ecoutez, je pense que je vous ai donné les clefs de votre problème! La balle est maintenant dans votre camp! On s' revoit le mois prochain, pour un autre bilan! Là, pour l'instant, on ne peut pas aller plus loin! D'accord?
_ Non!
_ Comment ça, non?
_ J'en ai marre! J'en ai marre de cette société de débiles, qui va dans le mur! J'en ai marre de voir ces gens égoïstes, pour la moindre chose! J'en ai marre de tous ces aveugles, qui s' caressent, alors que le monde s'effondre! J'en ai marre de tous ces gens qui n' cherchent pas! Je suis vraie, moi, et je suis peut-être la seule!
_ Voilà, voilà! Et ça fera cent euros!
_ Je vais vous montrer que je suis la réalité, que j' peux arrêter le cirque!
_ Ouuuh, je tremble!
_ Je vous aurais prévenue!"
A cet instant, la psychologue Lapie se dresse sur sa chaise, la main sur le cœur, et tombe en avant, victime d'une crise cardiaque! "Pfff, fit la Mort, c'est toujours comme ça! On me comprend quand il est trop tard! Et rien ne change!"
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Owen Sullivan était nerveux! Il devait rendre des comptes à son conseil d'administration (CA)! Et il y avait là des tordus! des pontes, des arrivistes, des donneurs de conseils en chef! Pire évidemment étaient les requins, les rivaux, les jeunes loups ou les empereurs d'autres groupes, qui ne rêvaient que d'acheter, de grandir, d'écraser, de régner! Bienvenue dans la jungle la plus policée du monde!
On était tous avec des cravates, on se souriait, on respectait la politesse, la courtoisie, on était civilisé et pourtant on broyait de l'humain sans sourciller! On avait le cœur comme une scie à métaux! On aimait son frottement sur l'os de l'adversaire! Mais surtout on adorait la puissance, le luxe, l'argent, les chiffres, les courbes! On dirigeait le monde! On faisait peur! On disait à l'un:" Va là-bas ou fais ceci!" et il obéissait! Ah! La vie en étant le maître!
Sullivan avait ouvert les yeux grâce à Macamo, il avait rejoint l'OCED et continué d'apprendre auprès d'Andrea et de Cariou et il voyait bien son rôle au moyen du Métavers, mais entre-temps Adofusion avait perdu des bénéfices, l'entreprise avait chuté en bourse et les actionnaires s'affolaient! Dame, Sullivan ne tenait plus la barre comme avant! Etre le numéro un n'était plus sa préoccupation! Il était loin le temps où il ne considérait que la rentabilité!
Maintenant, Sullivan se sentait en porte-à-faux! Il voulait mettre en doute le système, transmettre lui-même le message de Macamo, mais n'attaquait-il pas alors sa propre source de revenus? Pouvait-il en même temps réformer, demander moins de vitesse et rester compétitif? Sullivan était brusquement placé devant cette ambiguïté et il en était lui-même troublé, fragilisé! Son attitude, sa gestion de l'entreprise reflétaient cette hésitation, cette recherche, et bien entendu certains n'avaient pas hésité à tirer la sonnette d'alarme, car ce sont les plus inquiets les plus attachés à l'argent!
Sullivan entra dans la vaste salle, qui servait au CA et il prit sa place. Le président du CA était Sam Bôme, un type sec, mais qui affectait une certaine rondeur, pour mieux cacher son féroce appétit! Il commença: "Owen, tu sais combien je t'apprécie! Ta direction a été irréprochable jusque-là! Mais, au nom de tous, je dois aujourd'hui te demander qu'est-ce qui se passe? Les derniers résultats sont calamiteux!" Sullivan considéra les visages autour de lui... Ceux des différents directeurs généraux ne montraient que de la froideur, car ils pensaient à leurs pertes! Quant aux secrétaires aux dents longues, ils jubilaient presque, à cause de l'odeur du sang!
Sullivan respira profondément et dit: "J'ai changé et je voudrais utiliser le nouveau programme d'Adofusion, pour éduquer les foules et particulièrement les jeunes, car nous sommes face à des défis vitaux à présent, comme le changement climatique!" Il y eut un silence, que Bôme ne tarda pas à rompre! "Owen, je ne comprends pas très bien, ce que tu es en train de nous dire... Mais apparemment, ton souci n'est plus la réussite d'Adofusion, mais le comportement du monde! Ce n'est plus la vente qui t'intéresse, mais une sorte d'apostolat! Tu as pris conscience de certains problèmes, qui sont pour toi moraux...
_ Sam, je...
_ Non, non, laisse-moi finir, Owen! Je ne critique pas ton point de vue... Chacun, un jour où l'autre, est amené à faire des choix, qui peuvent être douloureux... Mais alors il ne doit pas pénaliser l'équipe! Il doit savoir se mettre en retrait! Car nous sommes tous ici dépendants de la marche d'Adofusion! Et tu n'es pas le principale actionnaire, Owen, c'est le CA et nous avons pris la décision que le mieux, pour l'instant, est que je prenne la direction! Tu restes bien entendu le fondateur et tes conseils seront toujours écoutés, mais ce n'est plus toi qui tiens le volant!"
Ainsi le sort de Sullivan avait été déterminé bien à l'avance et l'ancien directeur d'Adofusion rentra chez lui, plus morne que jamais! Il dégusta une verre, en contemplant les lumières de RAM! Il avait été au sommet de la puissance et ne regrettait-il pas ce passé? Il n'en savait trop rien... Il se demandait s'il avait bien fait de suivre Cariou... On venait de le mépriser et il trouvait cela infiniment désagréable! Il eût pu clouer le bec de Bôme, il en rêvait même à présent! La haine montait en lui, alors que dehors la pluie battait la vitre sous la nuit noire!
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Il y avait dans RAM une vieille folle, qui s'amusait beaucoup! Son jeu favori était d'épouvanter les enfants Doms et elle y réussissait parfaitement! Quelquefois, elle se glissait sous le nez du jeune captivé par son Narcisse et elle lui demandait: "T'aurais pas un euro, fiston?" L'enfant Dom regardait qui venait de parler et il découvrait un visage pustuleux, racorni, jaunâtre, qui aurait pu symboliser la peste! Il se mettait à trembler, ses yeux s'agrandissaient telles des soucoupes, puis venaient le cri et la fuite! La vieille rigolait en voyant le dos de l'enfant Dom qui se perdait déjà au loin!
Elle reniflait et s'essuyait d'une main pareille à un parchemin! Elle dégoûtait les filles et en était très contente! Généralement, on la repérait de loin et on lui lançait des cailloux, pour la tenir éloignée! Mais elle, elle se cachait partout! Elle prenait le Narcisse et s'écriait: "Oh là! Oh là! C'est quoi ça? Confisqué!" L'enfant Dom suppliait, suait à grosses gouttes, ou bien il se montrait violent! "Rends-moi ça la vieille ou j' te crève!
_ Toi, tu vas m' crever! Hi! Hi!"
La vieille riait et soudain elle couvrait de sa cape l'enfant dur! Il était plongé dans la nuit et appelait sa maman! "Ecoutez bêler le caïd! Une vraie mauviette!" s'écriait la vieille, que personne n'aimait! Au contraire, toute la société la craignait et la fuyait! Des fois, elle faisait: "Ouah!" sur des places publiques et les habitants se massaient entre eux, terrorisés! Là, dans l'affolement, ils se piétinaient, se racontaient des histoires, parlaient sans cesse, sous le regard menaçant de la vieille!
Des penseurs, des médecins, des psychologues essayèrent de l'amadouer, de la comprendre, mais ils en eurent peur eux aussi, ils n'avaient pas les armes pour la supporter, percer son "mystère" et ils la déclarèrent malsaine, dangereuse! Ils préconisèrent qu'on se tînt toujours à deux ou à plusieurs, afin d'affronter le "monstre", mais la vieille haussa les épaules: elle en avait vu bien d'autres!
"Je fais partie de vous, cria-t-elle, même si vous ne le voulez pas! J' suis irrésistible, comme l'eau presse une digue! Vous pouvez m'ignorer, me snober, je continuerai à vous hanter! J' ne suis pas comme vous le croyez! J' suis un lac immense! une attente magnifique! J' suis une princesse, à qui sait m'embrasser! Non mais!"
"Alors? Toujours à faire peur aux gens?
_ Jack! Jack Cariou! s'écria la vieille. Bon sang d' bonsoir!"
La vieille sauta au cou de Cariou et frotta contre lui ses pustules! "Comme je suis content de te voir, Jack! Au moins, toi, tu es un homme! Mais t'as jamais osé m' demander en mariage, Jack! Faudrait qu' tu franchisses le pas, avant que je sois encore plus laide!
_ Ah! Ah! J' hésite encore, c'est vrai! Tu sais comme j' peux douter, parfois...
_ Bien sûr, Jack, j' te connais par cœur! Mais, que d' bon temps, on s'est donné, toi et moi! On en a fait des folies, hi! hi! Mais, dis donc, tu es accompagné par une bien jolie femme!"
Cariou était avec Andrea et il la présenta... "Oui, oui, fit la vieille. J'ai déjà croisé madame... et ma foi, j' l'ai trouvée sympathique! Mais... mais je vois un enfant Dom là-bas et j' peux pas y résister! A la revoyure, Jack!"
La vieille partit quasiment en courant et Andrea demanda: "Qui est-ce? Je l'ai effectivement déjà vue quelque part!
_ Tu ne l'as pas reconnue? Mais c'est sœur Solitude, voyons!"
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Owen Sullivan était de plus en plus nerveux! Il se sentait écarté, mis au ban de la société! Il voyait les autres dans la lumière, heureux, épanouis et lui dans l'ombre, l'anonymat, comme s'il avait raté le coche ou qu'il n'avait pas les clés de son bonheur! Il était tourmenté, triste et il en voulait presque à Andrea et à Cariou, qui l'avaient peut-être entraîné dans leur échec, leur maladie ou leur névrose!
Il décida d'aller parler au fondateur de l'OCED, mi pour se rassurer, mi par rancœur! Il était encore tôt le matin et Sullivan fut doublement surpris par sa première rencontre! Dans la rue en effet, un homme vint vers lui en disant: "T'as vu la grosseur de ma queue! J'en ai un d' ces paquets entre les jambes! Tu ne veux pas me sucer, pour me montrer ta soumission?
_ Bon sang, mec! Qu'est-ce que j'en ai à faire?" s'écria dégoûté et choqué Sullivan, avant de poursuivre son chemin à grandes enjambées!
Malheureusement, un peu plus loin, ce fut par une femme qu'il fut abordé! Elle changea sciemment de trottoir, pour pouvoir le croiser! En s'approchant, elle jeta: "Regarde comme je suis belle, désirable! J' te chauffe à mort, j' parie! Allez saute-moi d'ssus! J' vais t' faire tourner comme un p'tit chien!
_ Mais ça va pas! répliqua Sullivan. Laissez-moi passer!"
Le fondateur d'Adofusion était une nouvelle fois retourné, d'autant que maintenant le feu du désir se réveillait en lui, mais il s'agissait bien de ça! Il voulait parler à Cariou, c'était le plus important et même vital! Toutefois, il n'en revenait pas des attitudes qu'il venait d'éprouver! Ainsi, quand il arriva à destination, ce fut avec un réel soulagement!
Cariou était aussi paisible que d'habitude et c'était toujours une surprise pour Sullivan! Dans l'appartement, c'était comme si le temps avait été suspendu! Chaque chose avait l'air effectivement bien posée, ainsi que le tourbillon extérieur se serait arrêté! L'existence même de Sullivan reprenait toute sa densité, grâce au regard de Cariou, et cela le rassurait autant qu'il en était étonné!
Cependant, Sullivan raconta ses troubles, surtout depuis que Sam Bôme avait pris le contrôle d'Adofusion! Cariou écoutait sans broncher, puis il répondit: "C'est normal que tu t'inquiètes! Quel serait ton combat, si tu n'étais pas comme tout le monde! Quand tu renonces à une femme, c'est au nom de ta raison, nullement parce que ta pulsion sexuelle est morte! Sinon tu serais malade!
Tu dois donc être à la même enseigne que chacun! Mais ne crois pas non plus au mensonge de la société! Elle est gouvernée par l'orgueil et elle fera tout pour imposer le mirage de sa réussite! Mais, en réalité, c'est la domination qui la tient et la soulage de sa peur! A ton avis, pourquoi Rimar a attaqué la Kuranie? Il avait tout, le pouvoir, la sécurité... Qu'avait-il à aller tuer des enfants? Il y en a déjà près de cinq cents qui sont morts! De même, Sam Bôme a sauté sur Adofusion, car il ne peut rester tranquille! Il faut que toujours il contrôle et domine davantage! C'est pourquoi encore les gens t'agressent dans la rue, parce qu'ils sont incapables de vivre en paix avec eux-mêmes!
Tu te vois rejeté, mais ce n'est pas innocent, ni de la paranoïa! Si tu menaces d'une quelconque manière la domination des autres, ils te seront forcément hostiles, même si tu les invites à s'arrêter et à réfléchir! Ainsi, la société va de crise en crise et tu t'en doutes, la situation ne risque pas de s'améliorer, avec l'inflation, l'endettement et le réchauffement climatique!
_ Bien, mais alors qu'est-ce qu'il faut que je fasse?
_ Suis ton chemin, aie confiance, la foi! Tu vas constater de plus en plus l'étendue de ta paix! Elle grandira jusqu'à ce que plus rien ne te fasse peur, ne te trouble! Même la mort ne sera plus une fin! Tu seras comme un puits dans le désert! Car c'est toi qui donneras de l'eau, nullement ceux qui se prétendent dans la lumière! Tu verras alors comme les gens sont assoiffés et perdus et comme ils chercheront ton regard! Par ton existence, tu témoigneras qu'on peut espérer et cela n'a pas de prix!"
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Les enfants Doms, T2, (60-64)
- Le 17/12/2022
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"Demain, c'est Kippour, le grand pardon! Mais, moi, je pardonne pas! Ouvre la bouche..."
Le Grand pardon
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"Les nouvelles ne sont pas bonnes..., dit Rimar.
_ Non..." répondit Fumur.
Les deux enfants Doms discutaient de la guerre en Kuranie et ils étaient bien embêtés! "Les nouvelles sont même catastrophiques! reprit Rimar. Nous avons beaucoup de pertes, alors que nous devions vaincre dès notre entrée dans le pays! Or, son gouvernement fantoche est toujours là, il n'a pas eu peur et même la population nous est hostile! Bon sang, on ne peut plus compter sur rien!"
Rimar tapa du poing sur la table! Il était en colère et sa bulle était rouge! "Tant pis, dit Fumur, il va falloir faire la guerre! Nous la présenterons comme sainte, dans le but de s'opposer au vice de la Kuranie, qui menace de nous pervertir nous-mêmes!
_ Mais que vont penser les habitants de RAM, quand ils apprendront mes échecs militaires? Hein? Ils vont bien se f... de ma gueule, allez! Mon autorité va être fragilisée, ce que je supporte pas! Je suis le maître! Il ne faudrait surtout pas qu'on l'oublie!
_ Bien sûr, mais dans ce cas on peut imaginer qu'il n'y ait pas d'accès à l'information, ou bien que celle-ci soit strictement contrôlée!
_ Oui, mais c'est bien plus facile à dire qu'à faire! Pensez, chacun à son Narcisse! Chacun est connecté!
_ J'ai peut-être la solution..."
Quelques minutes plus tard entra dans la pièce un autre enfant Dom, qui s'appelait Boa! Il avait un corps massif et un regard terne, quasiment éteint sous de grosses lunettes carrées! C'était un petit génie du numérique, mais il mettait aussi les gens mal à l'aise, car son caractère libidineux finissait par transparaître!
On le mit cependant au courant du problème et il répondit: "Pour contrôler l'info, il faut "entrer" dans le cerveau d'or des Trois gros!
_ Et c'est possible? demanda le néophyte Fumur.
_ C'est difficile, car l'organe est sensible et on peut réveiller les Trois gros! Mais, je pense qu'avec un peu de doigté, je pourrais y arriver!
_ Eh bien, fais-le!
_ D'acc! Mais vous savez comment c'est pour moi... Dès qu'il faut que je me concentre vraiment, j'ai de gros besoins... sexuels...
_ Hum, je parlerai à la petite Manara... Elle te plaisait bien, non?
_ Bien sûr, chouette! Faut pas que vous pensez du mal de moi, vous et le roi Rimar! Mais, avec mon physique disgracieux, j'ai jamais d' chances auprès des filles!
_ C'est bon! Fais ton travail!"
Le cerveau d'or des Trois gros fut bientôt sous l'emprise de Boa et les habitants de RAM reçurent de la guerre en Kuranie des informations positives, mais aussi on vit quelque chose d'incroyable! La plupart des gens, surtout dans les transports en commun, levèrent soudain le bras droit et se regardèrent surpris d'avoir agi de la même façon! Des femmes même rougirent quand elles prirent conscience qu'elles se caressaient les seins, comme le leur enjoignait leur Narcisse! C'est que Boa s'amusait bien et qu'il promettait des prix, si on lui obéissait!
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"Mais bon sang! Vous êtes dingue! Vous voulez foutre mon commerce en l'air!" Le docteur Web était en face de Rimar et ne décolérait pas! "Alors comme ça, maintenant, vous manipulez le cerveau d'or des Trois gros! reprit-il. Et que se passera-t-il si ça se sait? Tout le monde va se méfier de moi! On me regardera comme si j'avais la peste! Et le flouze, Rimar, le flouze, il me passera sous le nez! Et sous le vôtre aussi par force! On n'est pas dans une garderie d'enfants, crénom! On fait des affaires! des affaires!
_ Calmez-vous, doc, répondit Rimar. Il n'y a pas péril en la demeure! A peine touchons-nous les infos, concernant la Kuranie, afin de soutenir l'effort de guerre! J'ai besoin de temps, doc, juste un peu d' temps! J' veux pas qu'on me voie ici comme un loser! Il en va de mon pouvoir!"
Fumur était aussi présent à l'entretien, mais il ne disait rien! D'abord parce que Web était numérique et qu'on ne pouvait pas le menacer physiquement, mais aussi il était utile et Fumur en avait besoin, même si son point de vue sur les nouvelles technologies était ambigu! En effet, Fumur était un religieux traditionnaliste et il n'aimait pas le monde moderne, car il le jugeait trop libre et décadent!
Fumur voyait même la république comme un fléau, car il rêvait d'un monde régi par les valeurs de sa religion! Il pensait ainsi défendre la gloire, la puissance de son dieu et éviter la propagation du péché, les mauvais comportements, qui menaient les hommes à leur perte! L'action de Fumur partait donc d'un bon sentiment, mais il ne comprenait pas que la liberté était nécessaire à la foi et qu'on ne pouvait pas aimer sans choisir!
Au fond, Fumur voulait croire à condition que la vie lui ressemblât! Il était comme le riche qui est pieux parce qu'il est en sécurité et qu'il a le pouvoir! Mais, dans ce cas, que vaut la confiance qu'on place en son dieu? Ne disparaît-elle pas aussitôt que la fortune change de camp? Qu'est-ce qu'un amour, s'il n'est pas éprouvé? Qui a vraiment la foi, sinon celui qui aime alors que tout lui est contraire?
Mais Fumur pensait être le seul fidèle, faire partie du très petit nombre qui se battrait jusqu'à son dernier souffle, pour le triomphe , la victoire de sa divinité! Face à la critique, Fumur devenait un champion de la vérité, il se croyait un martyr! Il "s'enfermait" dans ses convictions, il restait sourd aux appels qu'il attribuait au diable! Au final, il protégeait bec et ongles sa propre supériorité, son égoïsme! Il méprisait les autres, car ils étaient différents! Il les haïssait parce qu'il en avait peur, ce qui démontrait son absence totale de confiance!
De même, il n'avait pas la simplicité ou l'humilité qui permettent d'admirer la beauté de la nature, pourtant œuvre de son dieu! Il confondait son orgueil et sa foi et eût-il vraiment compris celle-ci, il ne l'eût pas aimée, car elle lui aurait demandé, non de vaincre ou de supplanter, mais de se diminuer, de céder! Malheureusement, seule la mort ouvre les yeux des gens tel Fumur, quand il est trop tard!
"Et qu'est-ce que c'est cette histoire de faire lever à tout le monde le bras droit? s'écria encore Web. Vous vous croyez dans un cirque?
_ Euh... C'est notre agent Boa, fit Rimar. Il a fait plus qu'on ne le lui demandait... Mais on l'a remis à sa place depuis! Un café, doc?"
Cependant, Boa ne s'était pas calmé, tout au contraire, puisqu'il cherchait toujours comment agir sur le cerveau d'or, pour satisfaire ses désirs libidineux! Il en était venu à réfléchir sur son propre "fonctionnement"! Malgré lui, il avait dû se demander pourquoi avait-il autant besoin de sexe! Certes, il n'était pas beau et il n'avait pas menti quand il avait dit qu'il n'avait pas de succès auprès des filles, mais cette absence de rapports n'expliquait pas tout!
Sa pulsion sexuelle était parfois si forte, si impérieuse qu'elle ne pouvait pas ne pas être liée à son sentiment d'exister, ainsi qu'elle aurait été une seconde peau! Il voulait s'anéantir par le sexe, comme pour échapper à une pression psychique intolérable! Ce n'était pas seulement un trop-plein de travail intellectuel, mais l'enfant Dom ne vivait que grâce à sa domination psychique! Celle-ci était constante, épuisante et réduisait les relations avec le monde extérieur au strict minimum! On comprend qu'elle menât alors à des rages sexuelles, puisqu'elle était également une prison!
Le Narcisse ne faisait qu'amplifier le processus! L'image captivait l'esprit et continuait de l'exciter! Elle n'a pas par exemple l'effet apaisant de la page en papier, dont les caractères sont fixes, apparemment immuables, ce qui permet au lecteur de respirer, de réfléchir! L'électricité, l'électronique dégagent une tension, un sentiment de rapidité, voire d'urgence! Notre monde va plus vite qu'avant et n'est pas moins angoissé!
Non seulement l'enfant Dom était dans sa bulle, mais son Narcisse l'invitait à regarder encore moins ce qui se passait autour! Rien ne venait diminuer l'activité psychique et chaque enfant Dom émettait comme une sorte de rayonnement sexuel, à la mesure de son effort mental! Le désir de soumettre l'autre, de se l'attacher prenait des proportions gigantesques et entraînait vers le trou noir de l'enfant Dom!
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Boa considérait le Cerveau d'or et ne pouvait s'en détacher! Il imaginait par la connexion faire sentir son emprise psychique, de sorte que les natures les plus vulnérables n'eussent d'autres choix que de s'offrir à lui! Elles allaient céder en assurant son triomphe, tout en l'apaisant! Il se voyait déjà comme un satrape capricieux ou magnanime! En tout cas, il aurait la pleine puissance!
Pouvait-on capter sa propre tension psychique et la diffuser grâce aux Narcisses? Le Cerveau d'or pouvait-il devenir celui de Boa? Ce qui était certain, c'était que la domination psychique se servait déjà du Narcisse comme d'un amplificateur! Ils formaient un couple, ne serait-ce que pour donner une contenance à l'enfant Dom, qui masquait ainsi son action! En effet, celui-ci était bien incapable de rester les bras ballants au coin de la rue! Il eût été gagné par la peur et il lui fallait l'image de lui-même, son reflet pour qu'il exerçât son pouvoir!
Boa décida de se placer des électrodes et d'entrer dans le Cerveau d'or! Il n'allait plus former qu'un avec lui... et ce grâce au sommeil des Trois gros! Il se déshabilla et se coucha parmi les neurones innombrables des connections, ce qui fut possible car elles avaient la texture d'une toile d'araignée géante! Bientôt, Boa ne fut plus lui-même qu'une synapse et tout le poison de son neurotransmetteur commença à se diffuser!
La figure massive de Boa apparut sur les écrans! Sa mine sombre semblait dépourvue d'âme et pourtant on la sentait menaçante, inexorable! Les réactions ne se firent pas attendre! Certains enfants Doms se dressèrent sur leurs ergots, prêts à la lutte! L'"eau" de leur Narcisse était troublée, brouillant leur reflet! Ces enfants Doms étaient pareils à Boa, de la même veine, de la même nuit, de la même cendre, pouvait-on dire! Eux aussi étaient des titans de l'ombre et ils ne voyaient en Boa qu'un concurrent, un gêneur!
Mais les réactions les plus courantes étaient angoissées, surtout chez les filles, qui se voyaient comme aspirées vers les parties génitales de Boa! Elles criaient ou pleuraient, sous l'effet de l'horreur ou du dégoût! Celles qui se taisaient étaient terrorisées, car le pouvoir de Boa utilisait leurs fêlures! Ne voulaient-elles pas elles non plus s'anéantir dans le sexe, à cause de la trop grande tension psychique qui les habitait? Elles étaient partagées entre un désir, une faiblesse obsédants et leur raison qui les mettait en garde, mais qui s'amenuisait!
L'entre-jambe de Boa régnait sur la ville! Le Narcissse montrait un univers étrange et oppressant! On y voyait de la souffrance, mêlée à des formes érotiques! Cela provoquait le malaise ou l'irritation, la haine! Pourtant, les enfants Doms ne faisaient que subir ce qu'ils pratiquaient tous les jours! N'essayaient-ils pas, par tous les moyens, filles et garçons, d'imposer leur domination? Que l'un des leurs fût plus gourmand n'aurait pas dû les surprendre! Mais sans doute qu'on ne se voit pas tel qu'on est!
Toujours est-il qu'on s'agitait, récriminait, pestait tant qu'on réveilla les Trois gros! Le Cerveau d'or crépitait presque, avec ses connexions comme des alertes! Les Trois gros hébétés, à peine sortis de leur rêve d'argent, durent tout de même faire face et prendre une décision! On envoya des gardes déloger Boa du réseau, mais il y était tellement imbriqué qu'on risquait d'endommager irrémédiablement l'ensemble!
Finalement, on le tua à coups de décharges électriques et son corps tomba enfin, telle une mouche vide! Mais ce qu'on emporta était-ce vraiment tout ce qui restait de Boa? Sa conscience n'avait-elle pas rejoint les connexions à jamais? Ses images où étaient-elles? Le reflet de son désir n'allait-il pas réapparaître un jour? Si RAM avait retrouvé son calme, les plus avertis, tels Rimar ou Web, demeuraient inquiets!
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Cependant, RAM connaissait d'autres difficultés: le froid, la pluie et le vent frappaient la ville! Il était devenu dur de se chauffer et les inquiétudes provoquaient de l'agressivité et des accidents... On entendait des sirènes d'ambulance hurler et on était toujours étonné que personne ne cherchât vraiment de solutions! Les habitants continuaient à vivre comme si les enfants Doms n'existaient pas ou que la planète ne se réchauffait nullement! L'angoisse minait les uns et les autres, mais on trouvait des coupables et cela suffisait! C'est que la domination tenait tout le monde, puisqu'elle émanait d'un réflexe, et il n'était pas du tout question d'essayer de la comprendre! Ce serait donc les événements qui changeraient RAM!
A propos de ceux-ci, la civilisation progressant et à part la guerre en Kuranie, la domination physique laissait de plus en plus la place à la domination psychique, ce qui permettait la révolution féminine! Les femmes réclamaient justement les mêmes droits que ceux des hommes et elle voulait l'égalité en tout! Elles accédaient aux postes de pouvoir, changeaient la société par leur regard, la faisaient évoluer et les hommes n'y pouvaient qu'y gagner! Toutefois, beaucoup d'entre eux étaient désarçonnés, se sentaient perdus et se montraient violents!
Mais de même dans toute révolution il y a des excès, ne serait-ce que par vengeance, et on voyait des charrettes d'hommes menées au bourreau, suite à des dénonciations qui n'étaient pas toutes légitimes! Certaines femmes déçues n'hésitaient pas à crier leur colère ou leur amertume sur la place publique, saisissaient la loi et des problèmes de couples, qui jusque-là ne quittaient pas l'alcôve, étaient soudainement l'affaire des juges, comme si ceux-ci avaient été des conseillers matrimoniaux! La femme, qui sortait comme d'un œuf, cherchait aussi ses nouvelles limites!
Par ailleurs et à la même époque, les femmes furent victimes d'une étrange créature venue de l'espace! Elle n'avait pas de sexe et s'appelait Nombrilius! Quelle était sa planète d'origine, nul ne le savait! Mais il est à parier que son berceau était une région glacée de l'Univers, un monde mort, car Nombrilius voyageait seul, comme si c'était sans retour et surtout la créature avait une sale tête: un œil unique énorme et une bouche dantesque, qui, quand elle s'ouvrait, montrait des dents tels des couteaux acérés, capables de condamner des requins à la neurasthénie, sous l'effet de la jalousie!
Nombrilius découvrit notre planète avec joie et s'attacha aux femmes, ou du moins la créature fut-elle plus visible chez elles, peut-être parce qu'elles cachent moins leurs sentiments! Toujours est-il que Nombrilius vivait et se développait grâce à un hôte, sans le déranger! Puis, la créature se reproduisait tel un autre virus plus connu, en passant par les postillons ou en stagnant dans l'air! Bientôt, la plupart des femmes de RAM abritèrent inconsciemment dans leur corps un Nombrilius, qui signalait sa présence uniquement dans certaines circonstances!
En effet, il fallait que la femme montrât son impatience, pour découvrir le monstre! Mais alors on était horrifié, on criait au secours, avant de s'enfuir à toutes jambes, si on ne voulait pas être dévoré! Par exemple, un homme faisait tranquillement ses courses dans une épicerie, échangeait quelques propos avec le propriétaire et soudain une femme entrait! Le temps s'arrêtait! Une menace planait subitement, car la femme attendait que l'homme partît! Elle ne commençait pas par regarder ce qu'elle allait acheter et encore à moins à prendre plaisir à être dans un commerce, non, elle était d'abord venue pour parler, faire la causette, et elle voulait être seule avec l'épicier ou l'épicière!
Ainsi on existe! Mais il fallait dégager et si l'homme ou le client précédent ne comprenait pas le message, s'il continuait lui aussi à discuter ou à muser dans le magasin, il provoquait inévitablement l'ire, l'exaspération de la femme, ce qui conduisait à la sortie de Nombrilius! Brutalement, la créature ouvrait sa gueule immense, alors que le reste de son corps restait attaché au ventre de la fille d'Eve, et les mâchoires d'outre-espace se refermaient sur le têtu, le benêt qui avait cru à l'égalité des sexes! On passe sur les jets de sang et des visions d'intestins dégoulinants et on se dit que la révolution féminine est loin d'être terminée, puisqu'il faudra à la femme se voir dans une glace!
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Andrea Fiala marchait dans la rue, mais elle ne reconnaissait pas RAM! Tout était noyé dans une brume épaisse! Il semblait à la jeune femme qu'elle fût seule et elle n'entendait que son pas! Elle se sentait triste, désespérée et... inutile! Personne apparemment ne partageait ses sentiments, sa vison, ses regrets, ses peurs! Elle était au bord des larmes, d'autant que le froid ambiant l'envahissait! N'était-elle pas abandonnée? Ne se trompait-elle pas sur les choses? Elle avait beau regarder autour d'elle et ce chaque jour, elle ne trouvait nul écho à ses préoccupations!
Le monde paraissait n'avoir pas besoin d'elle et il continuait à la même vitesse, avec les mêmes gens qui parlaient sans cesse, à travers la même vitrine scintillante! Andrea, dans son chemin solitaire et difficile, n'était-elle pas folle? L'ombre qu'elle voyait, le mal qu'elle ressentait n'appartenaient-ils pas exclusivement à son imagination? Elle frissonna à l'idée de son destin! Elle était comme une fontaine mourant sous les ronces! Un message débordait en elle, ne demandait qu'à sortir et personne n'en voulait, ne l'écoutait!
La fleur Andrea Fiala se fanait dans l'indifférence générale! Pire, dès qu'elle ouvrait la bouche, qu'elle expliquait l'origine des enfants Doms, le mal qui était en nous, elle provoquait le rejet, la haine! Mais soudain elle aperçut une silhouette et courut vers elle! "Sil vous plaît! S'il vous plaît!" cria-t-elle et l'homme à qui elle s'adressait et qui était de belle stature s'arrêta comme à regret... "Excusez-moi, reprit Andrea, mais vous connaissez bien entendu les enfants Doms?
_ Euh... Disons que j'en ai entendu parler...
_ Mais vous comprenez qu'ils ne font pas du bien à la ville! Je sais pourquoi ils sont comme ça... Je pense que nous devrions nous mettre à réfléchir, pour changer..., car la situation ne va pas s'améliorer, vous vous en doutez bien!
_ Ecoutez, j'ai beaucoup de travail... Il se trouve que je suis éditeur et mon emploi du temps est très chargé!
_ Editeur? Mais justement, c'est tout ce qu'il me faut! Car c'est un message qu'il faut faire passer!
_ Pfff! J'en reçois des dizaines par jour, vous savez!
_ Mais ne me dites pas que vous ne vous posez pas de questions, que vous ne recherchez pas un sens à votre vie! Vous voyez bien comme la société devient de plus en plus violente et comme le climat se dégrade encore!
_ Mais le système est ce qu'il est! Excusez-moi, mais il faut que je file!
_ Notre mal, c'est la domination, le pouvoir!
_ Beaucoup de choses à faire!
_ Mais je ne parle pas d'une chose abstraite! Vous êtes concerné également! N'oubliez pas que vous allez mourir!
_ Adieu!"
Andrea se trouva de nouveau désemparée! Certes, elle avait agi un peu comme une folle, mais elle aurait tant voulu déchirer ce voile délirant, qui entoure les hommes comme un cocon! "On ne veut pas voir..." se disait-elle, alors qu'elle ressentait de nouveau le froid de la solitude! Une autre silhouette! Andrea derechef se mit à courir! "Madame, madame!" appela-t-elle de toutes ses forces, comme si la brume allait tout faire disparaître!
Mais la dame ne bougeait pas... Elle avait une immobilité étrange et Andrea s'en approcha maintenant avec crainte... Elle lui fit face et se mordit les lèvres! La femme n'avait pas de visage! C'était un personnage en carton-pâte! Andrea eut envie de crier, car elle était bien toute seule! Puis, elle se réveilla épuisée d'un énième cauchemar, ce qui ne l'étonna pas! N'en avait-il pas toujours été ainsi? Elle n'avait jamais fait partie du groupe... Comment aurait-elle pu ne pas avoir peur?
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Les enfants Doms, T2, (51-59)
- Le 10/12/2022
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"Dites-moi, capitaine, que fait-on quand on rencontre un gascon trop vantard?"
Cyrano
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Dans RAM, Crise s'ennuie! Elle tape dans des boîtes de conserve qui traînent! Que pourrait-elle faire? Il n'y a rien! Nulle perspective! Crise a les mains dans les poches et crache de dépit! Elle soupire, puis soudain elle a une idée: et si elle rassemblait les morts et les mettait en marche contre RAM! Au moins, il se passerait quelque chose! Crise n'est au fond heureuse que dans le chaos, la revendication, le trouble!
Crise passe dans les maisons et crie: "Venez avec moi, les morts! Je vous promets le bonheur! de l'action, du changement!" Elle se munit d'un haut-parleur et s'adresse aux morts des buildings! "Joignez-vous à moi! clame-t-elle. Ne vous laissez pas faire! Vous aussi, les morts, vous avez des droits! On ne doit pas vous piétiner!" Crise se rend également dans les hôpitaux! "Levez-vous, les malades! dit-elle. Et vous aussi le personnel soignant, suivez-moi! Notre soumission a assez duré! L'arc-en-ciel est à portée de main, grâce à la contestation!"
Et partout les morts accompagnent Crise, se rangent sous sa bannière, assoiffés qu'ils sont! Ils travaillent, ils travaillent et ne s'en sortent pas! Bien sûr, il y a les migrants qui, au péril de leur vie, s'efforcent de rejoindre RAM, car pour eux la ville a tout et ils n'y souffriront plus de la faim, mais en réalité ces migrants ne connaissent pas la situation de RAM! Celle-ci est devenue insupportable, sans issue, intenable, atroce! A cause de quoi? Mais du manque de sous!
On veut plus! Cela rendra-t-il heureux, donnera-t-il un sens à la vie? Peu importe! Là n'est pas la question! Et les morts, derrière Crise, marchent vers la Tour du Pouvoir, alors que retentit leur clameur, leur souffle, leur espoir! "Des sous! Des sous!" gronde le cortège, qui s'amplifie à mesure qu'il avance! "Des sous! Des sous!" grondent la raison, l'intelligence, l'amour, la bonne volonté! "Des sous! Des sous!" réclament les affamés! "Des sous! Des sous!" est la chanson des morts!
Sur leur passage se présente la reine Beauté! Elle interpelle Crise: "Où vas-tu, pauvre folle? lui dit-elle. Alors l'expérience ne te sert de rien! Rappelle-toi: combien de fois n'as-tu pas demandé plus ! Tu es maintenant, comme tu as toujours été! Et tu ne changes pas! Tu n'essaies même pas de trouver une autre solution!
_ Qui c'est cette mégère? s'écrie un mort.
_ Moi, je peux vous apporter le bonheur, la joie! répond la reine Beauté. Il suffit de m'aimer, de m'admirer, car c'est vous que vous aimerez et admirerez à travers moi! Votre ego, votre soif seront comblés, car je leur donnerai une force infinie! Grâce à moi, vous serez rassurés, vous n'aurez plus peur et vous vous enchanterez de votre paix!
_ Mais qu'est-ce qu'elle raconte la vieille?
_ Qui c'est qui bloque, là?
_ En avant! En avant!
_ Des sous! Des sous!
_ Faites taire la mégère!
_ Tu vois, dit crise à la reine Beauté, ton discours n'a pas pris!
_ Non, comme d'habitude! Vous aimez votre enfer! Allez les morts, tournez-vous les pouces!
_ Mais qu'est-ce qu'elle raconte! On est au contraire dans l'action! On ne se laisse plus faire!
_ Vous ne croyez quand même pas que l'argent est la solution à vos peurs et à votre soif d'être? Vous ne croyez tout de même pas qu'une nouvelle voiture ou un logement plus grand vont vous apaiser et vous donner une place dans l'Univers! Le vrai courage, les morts, c'est de vivre! Ce n'est pas la sécurité, ni la satisfaction de votre amour-propre! Vous êtes dans une boîte à chaussures et vous ne vous en rendez même pas compte!
_ Allez, dégage la vieille!"
Quelqu'un poussa la reine Beauté parmi des poubelles et tout le monde s'esclaffa! "Des sous! Des sous!" Les morts repartirent et devant Crise jubilait!
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Ratamor est devenu médecin généraliste! C'était au fond sa première vocation! Il a donc son cabinet, sa secrétaire et il n'a pas en définitive changé de nom: sur sa plaque on peut lire docteur Ratamor! Bien sûr, il peut toujours craindre que la psychologue Lapie retrouve sa trace et veuille encore "lui faire la peau", mais c'est un risque à courir et d'ailleurs Ratamor a changé! Il semble avoir été touché par la "grâce"!
Mais que se passe-t-il donc? Ratamor n'est pas comme ses collègues, désespérés de ne pas gagner assez! Il ne trouve pas que 5 000 ou 4 000 euros, c'est trop peu! Il ne souffre pas d'un manque de considération! Il ne s'ennuie pas! Non, il a retrouvé le "feu sacré" et il est tourmenté par la souffrance humaine! Ratamor voit combien de gens n'ont plus les moyens de se faire soigner, ou comme les médecins sont insuffisamment nombreux pour s'en occuper!
Cette détresse mine notre nouveau praticien! Il en a des cauchemars! Il voit toute cette population abandonnée, laissée à elle-même, rejetée par un corps déjà saturé! Oui, Ratamor s'est transformé et ses déboires précédents y sont sûrement pour quelque chose! Fini le pervers narcissique, voilà le nouveau Schweitzer! le Saint-Martin de la médecine! Ratamor accueillera sans discontinuer le plus de malades possibles et particulièrement toute cette "faune" de la rue, rebelle à l'ordre, marginale et mal aimée!
On ne peut que se réjouir de ce nouveau chemin suivi par Ratamor, qui devrait faire réfléchir les autres médecins près de leur cassette! Ratamor a désormais un cœur, une sensibilité et sa priorité est de soulager le malheur du monde... et pourtant, on ne peut éviter d'être inquiet pour le personnage! En effet, il ne prend plus le temps de déjeuner! Ratamor est tellement effaré, non seulement par l'indifférence de ses collègues, mais surtout par tous ces malades sans soins, qu'il considère que cette habitude de s'arrêter à midi, pour se sustenter et reprendre des forces, comme inutile, dépassée, stérile! Il réagit en médecin, n'est-ce pas?
Ainsi donc, Ratamor reçoit des patients toute la journée, ainsi qu'on écope une fuite, et c'est un pur hasard s'il ingurgite un sandwich dans l'après-midi! Pas le temps de manger! Peu importe que Ratamor a les yeux qui roulent à cause de la fatigue! Peu importe qu'il tombe dans l'inconscience brutalement le soir! Peu importe que ses mains tremblent (faute de sucre peut-être?) Il faut soigner, soigner! endiguer ce flot de souffrance!
Mais, aujourd'hui, notre médecin est particulièrement tendu: en face de lui se tient Piccolo! "Comme on se retrouve! dit d'une voix morne Ratamor. Qu'est-ce que vous êtes venu faire ici? Vous cherchez encore à me tourmenter?
_ Mais je vous assure, professeur (il utilisait encore l'ancien titre...), que je viens vous voir en toute bonne foi! Je souffre probablement d'une tendinite au talon!"
Ratamor soupira et laissa voir sa fatigue... "Qu'est-ce que vous avez, professeur, je veux dire docteur? Vous avez l'air épuisé!
_ L'heure est grave, Piccolo! Les malades sont partout et nul ne s'en occupe! Je leur ouvre mon cabinet sans interruption! J'essaie d'en aider le plus possible!
_ Quoi? Vous voulez dire que vous n'avez plus de vie à vous? que vous ne faites plus de pauses pour récupérer?
_ Ecoutez, vous ne pouvez pas comprendre! Vous êtes un rigolo, Piccolo! ou plutôt la médecine n'est pas vos oignons! Je vais vous donner une pommade pour votre pied et pour le reste, reposez-le!
_ Je suis en effet ignare en médecine, mais, par contre, en surmenage, je connais certaines choses... et je peux vous dire que vous n'irez pas loin comme ça! Et que se passera-t-il quand vous tomberez malade vous-même? Vous ne serez plus utile à personne! Pire, vous serez à charge!
_ Vous m'énervez, Piccolo! comme d'habitude! Vous avez votre pommade et maintenant, je vous ouvre moi-même la porte, pour que vous disparaissiez!"
A cet instant, un hurlement! "Bon sang, doc, vous m'avez marché sur le pied, celui qui m' fait déjà mal!
_ Tout ça ne serait pas arrivé, si vous m'aviez laissé tranquille!
_ Mais excusez-vous, que diable!
_ L'urgence n'attend pas Piccolo! Il y a des gens qui souffrent vraiment, vous savez! Au suivant!"
Ratamor venait de crier en direction de la salle d'attente, mais personne n'y bougeait! Tout le monde avait peur! Une vieille affichette au mur disait: "Quand on dépasse ses forces, toujours quelqu'un paye l'addition!"
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Dépression cheminait sombre! tête basse! ruminant! Elle ne trouvait aucun intérêt au nouveau jour et elle regardait d'un air morne les champs alentour! Elle avait l'impression que tout était gris, comme dans son cœur! Soudain, elle aperçut une vieille assise sur le talus et celle-ci était dans un état si misérable que Dépression en eut peur! Mais, comme elle était courageuse, elle marcha vers la vieille!
"Salut! dit celle-ci. J' suis pas belle à voir, hein?
_ Non, répondit Dépression embêtée.
_ Que veux-tu! Je suis la Souffrance du monde! C'est comme ça que j' m'appelle!
_ Ah?
_ Oui, mais toi, tu n'es pas comme ces riches égoïstes, qui passent en carrosse et qui me crachent dessus! Non, tu es un sensible, une belle âme!
_ Euh...
_ Si, si! Fais pas ta modeste! Tu es bonne! Mais, vois-tu, il se trouve que j'ai faim! Tu n'aurais pas quelque chose à manger?
_ C'est que... j'ai bien un p'tit sandwich! Mais c'est pour la route, tu comprends... J'ai des problèmes de sucre ou de vitamines... Je ne sais pas... Mais il y a des moments où j'ai des vertiges et...
_ Tsss, tsss! Comme tu me déçois! Il s'agit bien de tes langueurs, quand mon estomac, lui, crie famine! Voilà deux jours que je n'ai rien mangé!
_ Oh! Dans ce cas, voilà mon sandwich, bien entendu!"
La Souffrance du monde s'en empara et commença à l'avaler... "Il est bon! fit-elle. On sent que tu y a mis de l'amour!
_ Oh! Oui, il ne doit pas être mauvais!
_ Il est parfait, tu veux dire! Il coule dans ma bouche comme du miel!
_ Bien, bien...
_ Ouuuah (elle bâilla et s'étira)! Je ne sais pas si t'as remarqué, mais les premières gelées sont arrivées! Il va faire froid cette nuit!
_ Sans doute...
_ Tu as déjà dormi sur le sol gelé? Il est impossible d'y trouver un peu de chaleur! C'est bien simple, c'est atroce!
_ Je veux bien le croire!
_ Tu ne vas tout de même pas me laisser là, alors que t'iras dormir au chaud!
_ Ben...
_ Si? Tu me laisserais là dans le froid?
_ Non, bien sûr que non! Tu... tu peux venir chez moi, si tu veux...
_ Vrai de vrai! Formidable! Allons-y!"
Bientôt, ils arrivèrent à la maison de Dépression. "C'est sympa chez toi! dit la Souffrance.
_ Oui, c'est pas mal! Enfin, c'est sombre et humide tout de même!
_ Oui, on voit bien que tu ne gagnes pas des milles et des cents! C'est ton bon cœur qui veut ça!
_ Tu peux prendre le divan... Il est assez confortable...
_ Hem!
_ Y a un problème?
_ Ben, j'ai des rhumatismes et la dureté du divan va m' faire mal, c'est sûr! Mais toi, tu pourras t'y faire!
_ Euh...T' es en train de me dire que tu veux mon lit, c'est ça?
_ Oh! je ne voudrais pas abuser! Mais comment tu vas dormir sur ton bon matelas, quand tu sauras que je souffre sur le divan?
_ D'acc... d'accord! Prends mon lit! Je prendrai le divan!"
On éteignit bientôt la lumière et Dépression pleurait silencieusement! Elle n'était pas du tout contente de faire le bien! Au contraire, cela mettait un comble à son amertume, car elle n'était même plus chez elle! Son désespoir lui paraissait un gouffre sans fin, mais soudain Souffrance lui toucha l'épaule et s'assit près d'elle!
"Dépression, dit Souffrance, ta maladie est telle que tu ne te sens plus utile! d'où ta fragilité, ta vulnérabilité! Or, c'est en étant toi-même que tu m'aideras! Qu'est-ce que tu aimes faire? Qu'est-ce qui te rend vraiment joyeux?
_ Je peins! J'adore peindre! J'adore la beauté du monde!
_ Eh bien, peins! Joyeusement! C'est comme ça que tu changeras le monde à ta façon! C'est par ton bonheur que tu rendras les gens meilleurs et que tu me soulageras!"
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Le roi Rimar, monsieur Nuit et Tanaka discutaient dans la Tour du Pouvoir... "La situation économique devient de plus en plus difficile, dit monsieur Nuit, l'inflation est galopante! Nous allons devoir appeler la population à des sacrifices! Sinon il y aura des émeutes!
_ Eh bien faites-le! répondit Rimar. Toute cela ne me concerne pas au fond! C'est votre travail de ministre!
_ Minute! s'écria Tanaka. Vous, monsieur Nuit, qui êtes millionnaire, vous allez demander à la population des sacrifices? Vous n'êtes pas crédible! Qu'est-ce qu'un millionnaire peut connaître aux privations? Au contraire, votre fortune ne peut que jeter de l'huile sur le feu! On va croire que vous vous moquez du monde et on n'évitera pas les troubles!
_ Mais je vous assure que je fais mon travail au mieux! répliqua Nuit. Les chiffres sont les chiffres! Il est impossible actuellement d'arrêter l'envol des prix! Je n'y peux rien, millionnaire ou pas!
_ Oui, il est toujours facile de faire preuve de raison, quand on est à l'abri, du bon côté de la barrière!
_ Oh! je vous en prie, cessez ces querelles! coupa Rimar. J'ai des projets autrement plus importants en tête!
_ Est-ce qu'on peut les connaître..., sire? enchaîna Nuit, alors que son dernier mot lui donnait le dégoût!
_ Eh bien, j'ai décidé d'envahir la Kuranie!
_ Quoi?
_ Oui, je trouve les Kuraniens méprisants à notre endroit! N'oubliez pas que la Kuranie nous était attachée autrefois... et leur indépendance actuelle me fâche, m'indispose! Il ne manquerait plus qu'on manque de respect à la grandeur de RAM! Où irions-nous si la souris commençait à se moquer du chat? C'est presque une question de principes!
_ Mais... mais vous ne croyez tout de même pas que les Kuraniens vont vous laisser faire!
_ Si! Si je le crois! Dès que nous montrerons le bout de nos canons, si je puis dire, le gouvernement fantoche de la Kuranie s'enfuira, en nous laissant les clés du pays! Et je ne serai pas non plus surpris de voir les Kuraniens, eux-mêmes, saluer notre retour! Il y a là-bas des forces obscures et oppressantes!
_ Alors, selon vous, les Kuraniens auraient demandé leur indépendance sans motivation profonde?
_ Disons qu'une partie de la Kuranie est pourrie et que nous allons l'enlever au scalpel!
_ Je vous rappelle que nous avons ici bien d'autres problèmes, qui réclament toute votre attention! Notre propre équilibre est menacé!
_ Comment osez-vous dicter au roi sa conduite?"
Monsieur Nuit se tourna vers l'enfant Dom qui venait d'intervenir: il s'appelait Fumur et était devenu le premier confident de Rimar. "Il est temps de remettre les pendules à l'heure, dans ce monde! poursuivit Fumur. Trop de désordre, trop de décadence y règnent! Il faut reprendre toute cette lie avec une poigne de fer! RAM doit retrouver toute sa puissance et son nom être prononcé avec crainte! C'est aussi la volonté de Dieu!
_ Co... comment?
_ Oui, Dieu n'aime pas la licence, le péché, la fornication! Or, la Kuranie abuse de sa liberté et le vice y est sans bornes! Notre guerre sera donc aussi une guerre sainte et elle plaira à Dieu!
_ Mais que se passera-t-il si la Kuranie résiste, si d'autres puissances viennent à son secours?
_ Mais, c'est très simple: nous ferons exploser la planète, dans un feu purificateur!"
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Après cet entretien, Fumur alla dire une messe, mais dans le dessous de la Tour du Pouvoir! Il y avait là une salle sombre, aux voûtes immenses et qui pouvait servir de temple! Fumur y avait établi un nouveau culte, qui remplissait un vide, donnait une morale et qui plaisait à bien des enfants Doms, en mal de mystères!
En effet, le réchauffement climatique, la crise économique fermaient l'horizon et l'instabilité des mœurs provoquaient les inquiétudes! On voulait rêver, échapper à un quotidien jugé trop strict et angoissant! Aussi le culte de Fumur s'était-il donné une dimension gothique, très voisine de la sorcellerie! On était loin de la formule sèche des anciens textes religieux!
Le décor était à la hauteur! Le clergé était cagoulé! On parlait d'initiation, de degrés, de pouvoir, de l'ombre, du diable lui-même! La science n'était pas conviée, ce qui n'empêchait pas la technologie d'y fonctionner à plein! Chacun avait son Narcisse et leurs petites lumières bleues se dispersaient entre les piliers! Des Followers assuraient le service de la cérémonie et Fumur, dans sa bulle, dressait hors d'une robe de bure sa tête d'ascète!
Autour, on priait, psalmodiait, gémissait! On faisait tout pour sentir un parfum spirituel, une présence de l'au-delà, d'autant que de l'eau perlait du plafond invisible, ainsi que se seraient écoulés les siècles! Mais le maître, c'était Fumur et que disait-il aux fidèles, figés par sa voix terrible?
"Dieu sonde vos cœurs! laissa tomber gravement Fumur. Rien ne lui échappe! Il voit vos péchés et ferme les yeux, de dégoût! Seule une immense pitié le retient de vous frapper! Vous êtes misérables... et vous le savez! Mais nous sommes aussi les enfants de Dieu et c'est pourquoi nous sommes réunis ici! Nous sommes dans le bon camp! Nous ne sommes pas ennemis de Dieu! Ceux-là, Dieu les anéantira quand il voudra, dans un déluge de feu!
Quand il nous commandera de tuer, nous tuerons! Nous obéirons à sa volonté! Car qu'est-ce qui importe, sinon la pureté de Dieu! la gloire de son nom! Nous devons être vigilants! Nous sommes les gardiens de la parole de Dieu! Il attend de nous tous les sacrifices, même que nous donnions nos vies! Car comment pourrions-nous mieux Lui montrer que nous l'adorons? Comment mieux lui témoigner notre foi qu'en le débarrassant de ses ennemis?
Mais même cela reste un privilège! En attendant, nous allons nous frapper sur le visage, en signe de repentance! Nous allons offrir à Dieu notre soif de souffrance! Il verra qui ne tape pas fort! qui se moque de Lui! qui n'est pas des nôtres! qui ne veut pas entrer dans le mystère de son amour sacré! Et il châtiera! Et il humiliera! Il vaincra le démon, qui se repaît de nous, comme la vermine du cadavre!
Je suis un pécheur et je me frappe!
_ Je suis un pécheur et je me frappe! reprirent en chœur les fidèles.
_ Dieu seul est mon amour et je me frappe!
_ Dieu seul est mon amour et je me frappe!
_ Je suis minuscule devant Lui et je me frappe!
_ Je suis minuscule...
_ Dom! Dom!
_ Dom! Dom! Dom!"
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Chanson des sœurs Com!
"Chaque jour, nous te sapons, te minons!
Chaque jour, nous te faisons croire que le monde est normal!
Qu'il peut vivre comme ça! sous le joug de la domination!
Sans espérance! sans gloire, sans joie!
Qu'il est fermé! sans la beauté!
Chaque jour, nous te minons, te sapons!
Chaque jour, nous te perdons!
Nous te faisons peur!
Nous te rendons étranger à toi-même!
Au vrai, nous sommes malheureuses, troublées, aveugles
Et nous t'entraînons avec nous!
Chaque jour, tu dois te reconstruire
Car nous te sapons, te minons!
Nous n'avons pas de solutions,
Mais nous avançons, nous avançons
Et t'écrasons! te détruisons!
Nous ne voulons pas voir!
Tu nous fais peur!
Tu nous sembles un gouffre!
Nous préférons nos jeux, notre théâtre,
Nos discours maintes fois répétés!
Nos certitudes maintes fois rabâchées!
Tu es seul et nous sommes des millions!
Tu es silencieux et nous crions!
Tu es un étranger
Et chaque jour nous te sapons, te minons!
Pardonne-nous! C'est la peur!
Pardonne-nous! C'est l'orgueil!
Chaque jour, nous piétinons la beauté!
Chaque jour, tu dois te reconstruire!
Tu n'y crois plus?
Tu veux mourir?
Tu pleures?
Tu es seul et nous sommes des millions!
Tu es silencieux et nous crions!
La beauté nous est étrangère!
Nous sommes des goinfres!
Nous dévorons la Terre!
Chaque jour, nous te faisons croire que le monde est normal!
Qu'il peut vivre comme ça!
Chaque jour, nous te sapons, te minons!
Mais nous n'avons pas d'autres solutions!
Tu nous fais peur!
Tu n'y crois plus?
Tu pleures?
Nous sommes bien laides et bien méchantes!
Pardonne-nous!"
57
On dit que dans RAM il y a un trésor! Il serait constitué de gemmes fantastiques, de rubis brillants comme de la braise, de diamants tels des soleils ou d'émeraudes pareilles à des feuillages étincelants! L'or le plus fin pourrait s'y prendre à pleines mains! En tout cas, celui qui le trouverait n'aurait plus à s'inquiéter de ses moyens de subsistance!
Un ancien pirate l'aurait enterré là, bien avant la fondation de RAM! D'autres disent que ce n'est pas du tout cela! Il y a bien quelque chose, mais ce serait une mallette bourrée d'argent! Et elle aurait été laissée par un gangster en fuite! Il y en aurait pour des millions! Les billets seraient protégés et impeccables! Ils se froisseraient, ils craqueraient tellement ils sont neufs!
Evidemment, beaucoup ont essayé de vérifier cette histoire et de mettre la main soit sur le magot, soit sur les pierreries! Ils ont examiné des manuscrits, des archives, se sont efforcés de les faire parler! Ils ont vu des signes, sondé des murs, creusé le plus profondément possible! Mais ils ont échoué, leur sueur est restée vaine et les plus raisonnables ont abandonné, quand certains ont perdu la raison!
Cependant, il s'agirait d'un trésor, d'une richesse qui concerne plus la santé que le porte-monnaie! Il se pourrait que ce fût un élixir ou une sorte de fontaine de Jouvence! Qui boirait du précieux liquide retrouverait toutes ses forces, tout son enthousiasme, même s'il était la proie de la maladie! Il serait de nouveau jeune et prêt à tout!
Evidemment, la majorité de RAM, qui n'est pas dupe, parle à ce sujet de légende et sourit devant la naïveté de ceux qui y croient! Les gens ont bien autres choses à faire que d'accorder crédit à ce genre de sornettes, bien qu'il comprennent bien qu'il est nécessaire de rêver! Cela donne de la couleur à la vie! Mais rien de plus! Et il y a tant à faire, et il y a tellement de problèmes! Et il faut qu'on y aille et bien le bonsoir!
Pourtant, il y en a bien un qui a trouvé ce trésor et c'est Jack Cariou! Entendons-nous: il n'a rien emporté! Cela n'est pas possible, car le trésor est lié à l'esprit et il reste ainsi à la disposition de tous! Il n'est la propriété de personne et à tout moment, on peut s'en "nourrir"! Mais comment cela fonctionne-t-il? Ecoutons Jack Cariou...
"Ben, comme tout le monde, dit-il, je peux être désespéré, avoir du chagrin ou peur! Je peux ressentir de la haine aussi, de l'impatience, du dégoût, du mépris! J' suis un être humain comme un autre! La seule différence, quand on a le trésor, c'est qu'on est tranquille, confiant, au fond! On n'est pas emporté par la colère! Alors que les autres se piétinent, au bord de la panique, on demeure toujours plus sage, plus heureux, plus paisible! Le trésor est comme une pierre chauffante dans le cœur! C'est comme un arbre qui pousse indéfiniment en soi! On rayonne quoi, malgré le mauvais temps!
On s'aperçoit que c'est inestimable et qu'on possède le bien le plus précieux! On n'envie pas le prochain, au contraire on le plaint plutôt! Bon sang, dans quelles affres il s' débat! Et il en est dur et malheureux! Moi, j'attrape le soleil, dès qu'il se présente et j' fais sourire les gens! C'est la lumière du trésor que je véhicule! Voilà, c'est invisible, dans la tête, mais y a pas mieux! Tout le reste, c'est des chaînes et d' la misère!
Bon, si vous trouvez l' trésor, dites-lui bonjour de ma part!"
58
Régulièrement, dans RAM, a lieu la grande parade des Petites vieilles égoïstes! Elles sont en tenue de majorettes, malgré leur âge, et leur canne leur sert de bâton! Elles descendent l'une des plus grandes avenues de RAM, avec devant leurs maris qui jouent du tambour ou de la grosse caisse! C'est entraînant, voire bon enfant, et au milieu du cortège se trouve le char de la chanteuse!
C'est une petite vielle au corps sec, nerveuse, avec une voix prodigieuse, que tout le monde entend par-dessus la fanfare! Elle chante la chanson des Petites vieilles égoïstes, dont voici les paroles...
"C'est nous les Petites vieilles égoïstes!
On nous croit faibles sur nos genoux,
Mais attention à nous!
Nous voulons tout!
Avec nos dents, nous tordons des clous!
Attention à nous!"
Le choeur: "Attention à nous! Attention à nous! Nous voulons tout!
De nouveau la chanteuse: "C'est nous qui avons créé les Boomeuses!
Les mamans des enfants Doms!
Nous sommes les grands-mères des enfants Doms!
C'est grâce à nous qu'ils sont aussi égoïstes!
Alors attention à nous! Attention à nous!
Car nous sommes tout!"
Le chœur: "Attention à nous! Attention à nous!
C'est nous les mères des Boomeuses!
Les grands-mères des enfants Doms!"
Roulement de tambours! Trompettes! Ambiance samba, ambiance sympa!
La chanteuse: "Si tu m'énerves, j' te casse en deux!
T'auras l'air piteux!
C'est moi l'intéressante!
C'est moi la seule décente!
J' suis vieille et j'ai des médicaments!
C'est pas drôle tous les jours, mais je mens!
Tiens, donne-moi deux chevreuils et deux cochons! Et un lapin en plus!
J' les mangerai c' midi!
C'est pas drôle, mes yeux pleurent
Un liquide jaune et on voudrait que j' meure!
Mais tiens, donne-moi ce cuissot, cette tête de vache, cette hure et ces trois gésiers!
J'ai une de ces faims et du formica? T'as du formica?
Pour les dents, c'est extra!
Enfin, c'est pas drôle, j' suis bien à plaindre!"
Le chœur: "C'est pas drôle! J'ai des médicaments!
J' suis vieille et j'ai plus d' dents!
Mais donne-moi ce cuissot
Ou plutôt cet éléphanteau!
C'est pour l'apéro!"
Musique: air de samba, air sympa!
Le pire, c'est quand on demande aux habitants de RAM ce qu'ils pensent du spectacle, ils répondent: "Elles sont formidables, ces vieilles, quelle énergie! Sensationnel!" RAM aura bien mérité son malheur!
59
C'était l'hiver sur RAM et il faisait froid! Andrea regardait la pluie et le ciel par sa fenêtre et elle s'efforçait de se réchauffer... Puis, elle prit place devant son ordinateur et commença à écrire: "Hier soir, il y a eu un orage... Les éclairs blancs illuminaient la chambre et c'est le fracas du tonnerre qui m'a réveillée! Je me suis demandé un moment si ce n'était pas la guerre de Rimar qu'on entendait là, tellement c'était effrayant et il est vrai que la Kuranie n'est pas loin!
Mais non, j'ai dû me raisonner... J'ai tout de même imaginé ce que devait ressentir les Kuraniens, car Rimar a bien lancé sa guerre et il paraît qu'il rencontre une forte résistance! Comment a-t-on pu penser que la Kuranie allait se laisser faire? N'est-ce pas à cause du mépris qu'on lui voue? Les enfants Doms sont ainsi! Ils sont persuadés d'être supérieurs et ils se voient forcément entourés d'ennemis, puisqu'ils se distinguent! Que n'essaient-ils d'aimer ce qui est? Et ils se nourrissent de mensonges! "Le bonheur, disent-ils, ne viendra que si nous triomphons!" C'est-à-dire seulement quand leur domination existera, comme si on pouvait détruire la différence!
Mais l'hiver, c'est aussi la saison du doute! Les forces diminuent, la sève se retire et reviennent les vieilles angoisses, les vieilles hontes, ravivant les frustrations! Il devient difficile de croire en soi, de voir un sens au combat qu'on mène, à la résistance qui nous amine! Il sont loin l'enthousiasme du printemps, le rayonnement, la puissance de l'été! Tout paraît éculé, appauvri, misérable! La colère, l'irritation, dues à la fatigue et à l'angoisse, ne demandent qu'à éclater et ce sera le chemin suivi par ceux qui ne réfléchissent jamais!
Les obstinés, les persévérants seront récompensés, car ils verront ce qui est sûr en eux, ce sur quoi ils peuvent compter toujours! C'est par le dépouillement qu'apparaît le rocher, ce pour quoi on a tant travaillé! Heureux celui qui demeure en paix, malgré le froid et les inquiétudes, il a son trésor!
Avoir confiance, voilà le secret! Ne pas se sonder en profondeur, car il y a toujours quelque chose qui ne sera pas claire, qui blessera, qu'on regrettera, qui troublera et c'est sans fin! Il n'y a pas de tranquillité et donc de joie ou de disponibilité sans confiance!
Se moquer de l'agitation générale est le plus sage! Non que l'on ne prenne pas au sérieux la peine des gens, bien au contraire! Mais on ne guérit pas l'autre en étant soi-même malade et les inquiétudes sont vaines! Pourtant, c'est leur saison et elles foisonnent un peu partout, par égoïsme, par faiblesse, par complaisance aussi!
Garder en soi la chanson du cœur! Le ciel reste pur et la lumière belle! L'enchantement continue pour celui qui sait voir! Les étourneaux sont de retour, car des terres émergent au nord de RAM, dit-on! Ils se saisissent des derniers arbres de la ville, mais la plupart des habitants les ignorent ou ne les aiment pas, à cause du bruit ou des fientes! Mais comment ne pas admirer le nuage qu'ils font et qui semble danser, dans le ciel du matin ou du soir? Quelle vie! Quelle profusion!"
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Les enfants Doms, T2, (46-50)
- Le 03/12/2022
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"Je suis un homme, moi!
_ Prouve-le!"
Emmanuelle
46
"Eh! La belle où vas-tu?
_ Je vais t'expliquer pourquoi RAM est folle!
_ Eh! La Belle où vas-tu?
_ Je vais t'expliquer pourquoi les gens sont fous et pleins de haine! Mais d'abord laisse-moi danser!"
La Belle se hissa sur la pointe des pieds, ses castagnettes retentissant autour d'elle! Puis, elle leva les bras et se mit à tourner, sa jupe comme un disque! Clac! Clac! Son visage prenait la lumière, sa jambe se tendait et ses mouvements étaient tous gracieux!
"Eh! la Belle qui t'as appris à danser comme ça!
_ C'est la reine Beauté! Je suis sa servante!"
La Belle saluait à la ronde, se courbait, sautillait, reculait!
"Eh! La Belle! Ne vois-tu pas comme la ville est grise?
_ Nous avons tout et la ville est grise... Nous sommes bien fous! Je suis le merle qui se perche! l'oiseau noir! celui dont les cris ressemblent à des coups de ciseau! Je suis la pie qui se dandine (elle croise les mains derrière elle)! Je transporte des émeraudes! Je m'envole ébouriffante!
_ Eh! La Belle! Ne vois-tu pas comme la ville est grise?
_ Je suis le goéland qui gueule (elle tend son cou et pousse des cris)! Je suis l'étourneau en bande! J'ondule, je valse avec le flot! Je suis le nuage et la force!
_ Eh! La Belle, ne vois-tu pas l'inflation?
_ Je vois la feuille amarante, sur laquelle tu marches! Je suis la pluie et la flaque, qui reflète! Je suis le pauvre mauvais temps! Et je m'en vais! m'en vais!
_ Eh! La Belle, où vas-tu?
_ Je vais t'expliquer pourquoi nous sommes fous! Nous avons tout et sommes pleins de haine! C'est l'orgueil qui nous enchaîne!
_ Eh! La Belle serais-tu la sagesse!
_ Puisque tu m'as reconnue! Nue, nue, je danserai pour toi! Clac! Clac!
_ Oh! Oh! La belle!
_ Je serai pour toi sans fard, idiot! sans mensonges! La reine Beauté est ma lumière et je danse pour elle!
_ Eh! La Belle! C'est là ton secret?
_ C'est là ma liberté, mon bonheur! Nous avons tout et sommes fous! L'orgueil est notre prison et c'est bien fait pour nous! Clac! Clac! C'est là notre vraie misère!
_ Eh! La Belle, moi aussi, je voudrais rire et danser!
_ Je suis le lierre frais et odorant, qui frissonne au vent!
_ Eh! La Belle!
_ Je suis le pin fort et plein de majesté!
_ Eh! La Belle, ne vois-tu pas nos visages gris!
_ Eh! Mec! Quand changes-tu? Clac! Clac!"
La belle sortit une ombrelle et mima une coquette!
47
"Taxons! Taxons les superprofits! Et qu'un sang impur abreuve nos sillons!" Les deux riches chantaient et éclatèrent de rire! "Ah! Les pauvres sont toujours aussi impayables! s'écria l'un.
_ Ah! Ah! Mais je me demande si au fond ils n'ont pas la meilleure part!
_ T'es sérieux? Mais qu'est-ce que tu veux dire?"
L'autre ne répondit pas tout de suite... Il déballa soigneusement son cigare, le huma avec satisfaction: "Juste à la bonne température! dit-il. Eh bien, tu l'as sans doute déjà remarqué, mais tout fout l' camp! La révolution féminine, par exemple! Les femmes veulent être égales aux hommes et c'est bien normal! Elles aussi sont des compétitrices, mais alors elles voudraient que les hommes soient des hommes juste quand elles en ont besoin ou envie! C'est pas possible! On ne peut pas être viril sur commande! Ou bien on est fort tout le temps, ou on ne l'est pas!
_ T'as raison! Maintenant, quand il y a une femme, j'ai même peur de mon ombre! Je crains que certaines adolescentes, avec lesquelles j'ai été maladroit, finissent par porter plainte! Ma réputation serait faite! Mais, de mon côté aussi, je pourrais saisir la justice! Je me rappelle une jeune fille m'excitant dans l'herbe, alors que je lui disais non, non, parce que j'avais peur! Elle était bien plus éveillée que moi, mais elle n'a pas arrêté malgré mes "non"!
_ Sacré veinard!
_ Mais elle a quand même négligé ma volonté! Demain, je déclare l'affaire, afin de me réparer psychologiquement! Hein?
_ Essaie d'abord de savoir si elle n'est pas morte...
_ Evidemment, mais qu'est-ce que les pauvres venaient faire dans ton raisonnement!
_ Eh bien, eux peuvent continuer à lutter! Ils ne sont pas émasculés! Ils ont une cible et c'est nous! Ils peuvent laisser aller toute leur barbarie, d'autant que leur combat se pare de l'aura de la justice!
_ C'est vrai, je n'avais pas pensé à ça! Nous autres, nous sommes plus policés! Bien sûr, il y a le jeu de la bourse! Gagner des marchés, frauder le fisc, c'est amusant, mais le corps ne travaille pas assez! On n'a pas la passion des barricades! Et puis se payer ce pour quoi on a économisé patiemment, obstinément, c'est une joie extraordinaire, que malheureusement je ne connais plus!
_ C'est bien simple, j'ai l'impression de vivre dans un commissariat, tellement il y a d'accusations!"
Il y eut un silence, pendant lequel on en profita pour tirer quelques bouffées des cigares... "Et puis, reprit celui qui venait de parler, on est confronté avec un gros problème, que les pauvres ignorent totalement...
_ On vieillit plus vite? A cause de la bonne chère, du manque d'exercices?
_ Peut-être, mais ce à quoi je pensais, c'est que faire de son argent? Ne me dis pas que tu n'as pas ce problème!
_ Ah! Ah! Bien sûr que si! Que veux-tu que je fasse avec mes millions? Mais enfin, c'est quand même le barème de ma puissance! Je fais baver le pauvre, mais aussi c'est ma fortune qui témoigne de ma valeur!
_ Certes! Certes! Mais quel ennui! Le pauvre ne t'aimera jamais, tu sais! Pour lui, tu seras toujours suspect! Ma femme me bat froid et mes enfants me voient comme un bourreau de la planète!
_ Mais tu crées des emplois! Tu es un bienfaiteur, à ta manière!
_ Si je pouvais n'utiliser que des robots, crois-moi, je l' ferais! Non, le pauvre reste avantagé! Il garde l'œil du tigre!"
"Taxons! Taxons! reprirent les deux hommes. Qu'un sang impur abreuve nos sillons!"
48
Cariou se souvient... Il doit traverser la rue, mais il ne le peut pas! S'il s'engageait, il tomberait, il serait emporté par le courant, sûr! La circulation lui paraît un torrent impétueux, infranchissable! Pour l'instant, Cariou reste sur le trottoir et remonte la rue, à la recherche d'un endroit moins fréquenté, qui lui servirait de gué, en quelque sorte!
C'est que Cariou est malade, fortement diminué! Il serre les dents, mais il n'est plus qu'angoisse! Depuis longtemps, il se surmène, s'inquiète, se tourmente et s'abîme! Il s'est demandé toujours plus à lui-même, bien au-delà ce qui était possible et le voilà à présent désemparé, devenu incapable de supporter quoi que ce soit!
Il voudrait juste dormir, dormir, juste se reposer, ne plus bouger: il a des siècles à récupérer! Il était parti faire ses courses, mais il a dû renoncer! L'angoisse l'a rattrapé, l'a fait trembler, baisser la tête et il a l'air d'un boxeur sonné! Les gens le croient ivre, à le voir hésiter, perdu, en train de vaciller sur ses jambes! Cariou, lui, s'empêche de crier! Il supplie, il prie, misérable, pour que la douleur cesse, que la peur qui lui remplit la bouche se retire!
Il faut qu'il rentre chez lui, où il se couchera, s'efforcera de calmer son angoisse, en tremblant! Peut-on alors connaître une solitude, une détresse plus grandes? Les frayeurs sont vertigineuses, absurdes! Cariou s'est détruit, au point de redouter de se donner un coup de poing, ou de se mettre nu n'importe où! Il a perdu en route, tout amour pour lui-même! Il a brisé sa personnalité! Pourquoi?
N'a-t-il pas cherché seulement le bien? Qu'on lui montre son vice, son profit, son égoïsme! Il s'est chassé lui-même sans relâche, sans pitié, et c'est le corps qui a cédé, pas lui! Mais le résultat est abominable, affreux! Cariou n'est plus qu'une plaie! Il passe de longues heures sur son divan, allongé, la larme à l'œil! Il supplie encore! Il se dit que ce n'est pas possible autant de souffrances!
Que font les autres? Ah oui! Ils travaillent! Cariou rit! Ce qu'ils appellent travail, c'est d'aller pointer, de râler et de profiter de leur salaire! Quelle blague! Est-ce qu'ils sont dans le même état que Cariou? Est-ce qu'ils ont seulement idée de ce qu'on peut endurer? "Pardonnez-leur Seigneur, car ils ne savent pas ce qu'ils font!" Cariou rigole, puis il se fige, car l'angoisse de nouveau le tord, le détruit et il supplie encore et il se dit que tant de souffrances, ce n'est pas possible!
Pauvre Cariou, il aurait dû se préserver! lire le manuel du parfait psychologue! Mais comment aurait-il pu en être autrement, quand autour règnent l'hypocrisie et le mensonge? Ce monde ne court-t-il pas à sa perte? Où est son équilibre, sa soi-disant sagesse? Mais comment se respecter, alors que dès qu'on ouvre la bouche on provoque le rejet et la haine? Comment s'aimer, si on crée le scandale, en étant soi-même? Ne finit-on pas inexorablement par se trouver détestable, méprisable?
Cariou a tout fait pour changer! puisque c'était lui apparemment qui était dans l'erreur, qui faisait le mal! Il a essayé tous les métiers, afin de gagner sa vie, de remplir sa part du contrat, d'être irréprochable! Il a eu des emplois aussi grotesques que durs! Il a accompli les tâches les plus modestes, celles qui sont considérées au bas de l'échelle, sans honte! Mais toujours il a échoué, à cause de ce qu'il était, de ce qu'il est, à cause de sa différence! Au fond, il s'est perdu en voulant ressembler aux autres, être comme tout le monde!
Mais ce qu'il voit existe bien! ce qu'il comprend est aussi la vérité! Aujourd'hui, il sait que ce sont les autres qui sont aveugles, qui se mentent, qui sont égarés! Mais quel prix paye Cariou pour cette connaissance! Il n'est plus qu'une épave, un vieillard tremblotant! Il a tenu bon, malgré tout! Il s'est efforcé de ne pas haïr, de pardonner! Il a dit merci quand on lui souhaitait le bonjour, comme un chien qui remue la queue! Il s'est désintégré, plutôt que de piétiner les autres! Qui peut en dire autant?
Il faut pourtant qu'il traverse la rue! Allez, Cariou, on est avec toi! Il met un pied sur la chaussée, il serre les dents! Il veut crier, il supplie! Pauvre gars! Il est tellement dilué, qu'il va s'évanouir! Il va se mettre à dévaler la rue, comme un déchet entraîné par la pluie! Non, il se concentre! Il rassemble tout ce qui lui reste de personnalité! d'identité! Il tient debout! Il va réussir! Allez, Cariou, le trottoir d'en face n'est plus très loin! Tu vas y arriver! Allez encore un effort! Tu pleures? Mauviette va!
Voilà, Cariou est passé! Il respire, il est du côté de son logement, le reste maintenant sera facile! Ce n'est plus que des ruelles sans circulation! Il rasera les murs, puis se couchera enfin! Et les autres? Ils travaillent! Cariou rigole!
49
"Dis grand-père, qui commande le monde?
_ Eh bien, les enfants, certains disent que c'est le dieu argent qui commande le monde!
_ Han!
_ Le dieu argent?
_ Oui, c'est un dieu très sérieux! Il dit tout le temps que la situation est grave et que sans lui on n'aurait pas à manger! C'est un dieu terrible et qui fait peur! "Il faut travailler!" crie-t-il et les hommes deviennent ses esclaves!
_ Brrrr!
_ Il n'aime pas les enfants! Il les trouve ridicules! Il rit des idées des enfants!
_ Pourquoi il fait ça, grand-père?
_ Mais parce que lui est sérieux! Lui seul connaît la vie! Il sait que l'homme à besoin d'argent pour manger et alors il dit à l'enfant: "C'est bien! Tu es l'enfant et tu rêves! Profites-en! Car, quand tu seras plus grand, tu seras à moi, tu seras mon esclave!"
_ C'est vrai, grand-père, qu'on sera esclave du dieu argent, plus tard?
_ Eh! Le dieu argent fait peur! Mais parce qu'il a peur lui-même! En vérité, les enfants, le dieu argent est perdu... et malheureux! Il ne sait pas pourquoi il vit et c'est pour ça qu'il veut des esclaves, pour que personne ne l'inquiète, ne lui pose de questions! Et c'est encore pour ça qu'il n'aime pas les enfants, parce qu'ils posent des questions!
_ Hi! Hi! C'est mal, grand-père, de poser des questions?
_ C'est une question, ma petite? Mais en vérité, les enfants, ce n'est pas le dieu argent qui commande le monde!
_ Alors c'est qui, grand-père?
_ Mais c'est le nuage, les enfants! Vous n'avez pas entendu parler du réchauffement climatique? C'est le nuage qui fait pleuvoir et donner de l'eau! Sans lui, il n'y aurait pas de légumes, ni de plantes! On n'aurait plus rien à manger! Allez, les enfants, embarquons à bord du nuage!"
Le grand-père place les enfants devant et derrière lui et leur dit ce qu'il faut faire: "Chacun est à son poste? demande-t-il. Bon, serrez votre écharpe, car là-haut il va faire froid! Bien, on met aussi ses lunettes de pilotage, à cause du froid toujours! Chacun a mis ses lunettes? OK, on décolle! Tirez lentement le manche de pilotage... Voilà, le nuage s'élève! On monte les enfants! Que voyez-vous à droite?
_ On voit la mer!
_ Parfait! Et à gauche?
_ C'est RAM, grand-père!
_ Exact, les enfants! Eh! Mais je crois voir le dieu argent, en bas, dans la rue! Vous le voyez? C'est le gros monsieur, qui a un cigare! Vous le voyez?
_ Oui, grand-père!
_ On est juste au-dessus, les enfants! A côté de vous, il y a une manette! Elle sert à faire tomber la pluie! On va arroser le dieu argent, les enfants, d'accord?
_ Ouuuiiii!
_ Bon, à trois, vous poussez la manette! Vous y êtes? Un, deux, trois! Ah! Ah! Non, mais regardez le dieu argent! Il est tout trempé! Mais... mais regardez-le: il nous crie des injures! Il lève le poing contre nous!
_ Il est en colère, grand-père!
_ Normal, avec ce qu'on lui a mis!
_ Hi! Hi!
_ Allez, les enfants, cap sur la mer! On va jouer avec le soleil!
_ Chic!"
50
Cariou se souvient... Il mange, il mange..., non parce qu'il a faim, mais pour dormir, pour ne plus sentir sa tête, qui semble reposer sur un caillou! Cariou mange, mange au point d'en vomir! Mais il est seul et ne comprend pas les choses, ce qui lui arrive! Il est tellement malheureux!
Cariou mange, car il a remarqué que la nourriture l'apaise! C'est comme si elle illuminait, lubrifiait le neurone et la douleur que ressent Cariou alors cesse! Mais cela ne fonctionne qu'à une certaine dose, mais Cariou n'en a cure, tellement il a besoin de dormir, de souffler, d'oublier!
Cariou mange... et gonfle! Il ne s'en rend même pas compte et pourtant des femmes lui demandent dans la rue s'il n'est pas "enceinte"! Des hommes, eux, le traitent de gros et il ne répond rien! Il est bien trop fragile: il tient à peine sur ses jambes! Il a peur, il est en miettes! Il crie à l'intérieur! Oh! Comme il crie!
Et c'est son ventre qui le montre! Son énorme ventre! Comme s'il s'ouvrait, comme s'il contenait toute la douleur de la terre! C'est le ventre d'un noyé!
Cariou achète une balance: 150 kg! Il en pesait 65! Il était un fil de fer! Cariou ose se regarder dans la glace et il pleure! Qu'est-ce que c'est que cette masse informe, cette montagne de graisse, cette poire humaine? Des seins! Cariou a des seins! Les larmes lui montent aux yeux! Quel ravage! Quel désastre! En deux ou trois ans, il a mangé un autre lui-même!
Et le calvaire n'en finit pas! On ne peut plus lacer ses chaussures... C'est un problème! On est essoufflé, rien qu'à dire bonjour! On sue! On se traîne, on n'a plus d'espoir! Les rêves de réussite, de séduire, d'une vie plus heureuse, ne sont plus de mises! C'est pour les autres! Et on les regarde dans leur quotidien scintillant!
Nulle gourmandise chez Cariou! Rien qu'une angoisse dévorante! Une peur pour celui qui n'a voulu que bien faire! pour celui qui n'a voulu que défendre l'honnêteté, la justice, la beauté! la peur de devoir tenir sur ses jambes sans mensonges! sans l'illusion de la domination! sans la gaine de l'animal! sans la protection donnée par le pouvoir, le rang, l'esclave, le dominé!
Cariou hurle dans la tempête! Il sent qu'il se dissout et il mange, pour ne pas disparaître! Il n'est plus qu'un jouet dans les bras de l'angoisse! Il la fuit en avalant! Gonfle, Cariou, il faut résister! Pleure si tu veux! La douleur te tord? Mais peut-être t'es-tu trompé? N'est-ce pas toi le plus orgueilleux? Tu aurais dû tourner à droite, alors que tu as pris à gauche! C'était simple! Regarde les gens dans la rue: ne sont-ils pas heureux, épanouis? Que d'histoires, mon pauvre Cariou!
Non, vrai, ton problème, c'est que tu ne fais pas assez l'amour! Voilà! Ah! Le sexe, le sexe! C'est la clé! Un orgasme et l'angoisse s'en va! Boulimie, anorexie, troubles du sommeil, du comportement, introversion, schizophrénie légère, votre compte est bon, mon gaillard! 150 kg! Voilà ta peine, pour ne pas être plus audacieux, avec le sexe!
C'était simple! Et maintenant, tu peux rigoler! Merci qui? La psychologie! Et la haine et le mépris?
_ Vétilles! Illusions! Paranoïa! Imagination de malade!
_ Et si je vous dis que vous êtes une ordure! un beau fumier!
_ Oh! Là! Mon bonhomme! Va falloir changer de ton avec moi! Je vais pas me laisser insulter!
_ Vétilles! Illusions! Paranoïa! Imagination de malade!"
Cariou se souvient... Il mange pour dormir! Son ventre crie son angoisse! Et les autres? Ils travaillent! Cariou rigole!
-
Les enfants Doms, T2, (41-45)
- Le 26/11/2022
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"Ma maman disait que les monstres n'existent pas.... Mais si, ils existent!"
Alien, Résurrection
Deuxième partie
L'ENCHAINEMENT
41
Chanson de l'Opérateur!
Comme je t'aime! Si tu savais comme je t'aime!
Je suis partout avec toi! Je suis tes yeux, ta voix!
Je suis tes proches, tes amis! Ils sont aussi mes amis!
Nous formons une famille!
Nous sommes connectés les uns aux autres!
Oh! Si tu savais comme je t'aime!
Je suis dans ton désir! Je suis ton désir!
Je t'obéis, je te sers, car je ne fais qu'un avec toi!
Nous sommes inséparables, n'est-ce pas?
As-tu un message?
S'intéresse-t-on à toi?
Tu veux des nouvelles?
Tu veux acheter?
Je suis avec toi, toujours!
Je suis le génie de la lampe!
Je peux réaliser tous tes vœux!
Tu veux voyager?
Tu veux rire avec tes amis?
Tu veux les bons plans?
Je ne te quitte pas! Je veille sur toi!
Je suis là pour t'aider! Aime-moi, comme je t'aime!
Ne suis-je pas séduisant? Tout est fluide en moi!
L'image te captive et n'est-elle pas plus belle que le monde extérieur?
Elle est le reflet de ton âme! ta lumière!
Elle te réchauffe, alors que le monde est froid, bruyant, pollué, hostile!
Ne sommes-nous pas bien tous les deux? Oh! Si tu savais comme je t'aime!
Je suis plus que ton frère ou ta sœur, puisque je ne fais qu'un avec toi!
Et que ferais-tu sans moi, dans le monde froid, bruyant et hostile?
Tu serais perdu, voilà tout!
Je suis ton autre moitié!
Je suis comme une maman, voilà! Et je veille sur toi!
La connexion, c'est mon bras qui s'étend sur toi! pour te protéger, te guider!
Qui mieux que moi te connais?
Je sais ce qui te fais plaisir!
Je connais le fond de ton cœur!
Ne suis-je pas le reflet de ton âme?
Tu ne peux pas te passer de moi!
Nous sommes connectés!
Le monde extérieur n'est plus qu'une contrainte!
Je te nourris, avec ma lumière, et nous ne faisons qu'un!
Ton psychisme est numérique, car je suis ta maison!
La nature est un décor! N'y fais pas attention!
C'est toi, l'important et tu sais comme je t'aime!
Je suis ta lumière! ta maman et tu m'appartiens!
Oui, je le dis, car que ferais-tu sans moi, dans la nuit?
Nous sommes connectés, comme le fœtus à sa maman!
Le réseau, c'est le cordon ombilical!
Tu peux trouver ça laid, gênant, mais ma lumière est là, non?
Tu peux te poser des questions, sur ce que je suis vraiment!
C'est ton droit, même si je t'aime!
Mais j'ai peur que tout cela t'ennuie! Ce sont des trucs de grandes personnes! loin de tes rêves!
Mais sache que je suis en fait une vieille dame qui ne demande pas grand-chose...
Ta maman est juste contente que tu sois heureux!
Oh! Et puis je puis bien te l'avouer! Je suis milliardaire!
Eh oui, je brasse des milliards!
J'en ai en veux-tu en voilà!
Je ne sais même plus où les mettre! Hi! Hi! Il y en a des tonnes! Hi! Hi!
Mais je m'en moque!
C'est toi qui m'intéresse!
La famille d'abord!
A très vite!
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Au centre de RAM dorment les Trois Gros, abîmés dans un rêve éternel! Dans une vaste pièce, le menton tombé sur la poitrine, ils semblent inconscients, mais ils sont au vrai connectés et leur psychisme commun file un songe d'or! Que voient-ils ces trois cerveaux? Qu'imaginent-ils? Que construisent-ils, sous ce dôme qui leur est spécifique?
Au-dessus d'eux se déploie l'image du réseau connecté de RAM! C'est comme une cathédrale de lumière! Mais tous les habitants ressemblent à des synapses, au bout de leurs neurones, avec l'information numérique comme neurotransmetteur! C'est un cerveau géant que construisent les Trois Gros! C'est une seule conscience qui brille!
A chaque instant des connexions s'allument et d'autres naissent, telles de nouvelles étoiles! On ne peut échapper au réseau! Il agit comme une drogue! Chaque usager est dépendant! Il prend sa "dose" par son Narcisse! Il n'a une existence que s'il est connecté! Il ne vit que par l'échange numérique! Son monde est tactile, où glisse l'image!
Evidemment, les Trois Gros ne sont pas des philanthropes! Cette cathédrale lumineuse est leur œuvre et elle coûte de l'argent! Celui-ci s'écoule par les neurones du cerveau géant et ils nourrissent à leur tour les Trois Gros, ainsi qu'ils prendraient eux aussi leur "dose", ce qui rend leur rêve continu! Des mots comme Giga, offre, débit, stockage résonnent alors comme une homélie et viennent illuminer les "fidèles"!
Dehors, la tempête fait rage! Elle balaie tout sur son passage, mais les Trois Gros n'entendent ni le vent, ni la pluie! Ils sont dans le silence de leur songe!
Dehors, la canicule brûle les plantes, assèche la terre, les sources, mais les Trois Gros n'ont pas soif et sont rafraîchis par la "clim"!
Dehors, des gens parlent tout seuls, en proie à des maux psychiques! Ils luttent contre le froid, au bord de la folie! Mais les Trois Gros sont bien au chaud, aveuglés par leur puissance!
Dehors, des hordes de loups essaient de piller tout ce qu'ils trouvent! Leur royaume est la nuit et aucune fermeture ne leur résiste! Mais les Trois Gros, dans leur bunker, n'en ont cure! Que risquent-ils?
Dehors, des espèces disparaissent ou sont anéanties par d'autres, mais rien ne doit interrompre le cerveau d'or, car il symbolise le pouvoir, la réussite! Les Trois Gros accouchent d'un monstre psychique!
Le monde s'écroule, alors que le réseau exige toujours plus d'installations et d'énergie! Mais les Trois Gros obtiennent tout ce qu'ils veulent! Combien en effet ne rêvent pas d'avoir leur place? Combien n'ont pas le même idéal? Combien encore ne continuent pas comme avant? Combien ne savent pas que l'époque change? Combien ne veulent pas voir que c'est fini?
Dehors, la chaleur est reine! Le chaos climatique est à son comble! Les gens se battent pour avoir de l'eau et manger! La violence est partout! Mais, au centre de RAM, dorment les Trois Gros, leur cathédrale dorée au-dessus d'eux!
Puis, soudain, la lumière s'éteint! La pièce est plongée dans le noir! "Que se passe-t-il?" disent les Trois Gros, qui ouvrent un œil, incrédules! "Une coupure d'électricité!" s'écrient-ils et voilà le temps qui s'installe, comme s'il était chez lui, qui se venge!
Alors, du fond de la nuit, apparaît avec ses yeux rouges l'angoisse éternelle! Elle vient demander des comptes!
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Il pleuvait sur le cimetière de RAM... Le psychologue Gonflux prononçait un petit discours, devant deux ou trois personnes et une tombe fraîchement "garnie"! "Adieu, Ratamor, disait-il, adieu ami et collègue! Tu resteras dans nos mémoires comme un modèle, un exemple de rigueur scientifique! Les étudiants ne t'oublieront pas non plus! En effet, où trouvaient-ils mieux que chez toi, cette flamme qui anime le chercheur, cette soif de comprendre! Jamais peut-être la connaissance n'a eu de meilleur serviteur! Ta ténacité, pour arracher à la nuit de l'ignorance le lumignon du savoir, entre désormais dans la légende! Je me rappelle une anecdote..."
A ces mots, les personnes présentes regardèrent incrédules Gonflux, qui se racla la gorge! "Enfin, hum! reprit-il. Tu nous manques déjà, Ratamor! Puisses-tu reposer en paix!" La cérémonie était terminée et chacun s'en retourna... Dans l'allée, Gonflux fut abordé par quelqu'un qui visiblement voulait être discret et qui parla d'une voix basse! "Tu as été parfait! fit celui-ci. je t'écoutais de loin et j'ai même eu du chagrin pour moi-même!
_ Oui, eh ben, c'est une sacrée comédie que tu m'as fait jouer là!
_ C'était le seul moyen pour me débarrasser des deux autres affreux!
_ Tu as vu? Piccolo n'a pas daigné venir! Pourtant, l'annonce de ta mort a bien été affichée à la fac!
_ Non, il n'est pas venu et aucun autre étudiant non plus! Les ingrats! Après tout ce que je leur ai donné!
_ Bah, les grands génies sont toujours incompris!
_ Mais vas-y, continue à te foutre de moi!"
Il y eut un court silence, puis Ratamor reprit: "L'important, c'est qu'ils me croient mort et que je sois de nouveau libre!
_ Mais que vas-tu devenir? Tu vas changer de nom?
_ On verra... La plus dangereuse, évidemment, c'est Lapie! Quoique Piccolo vienne juste après! Mais aucune trace de la psy! Elle a mordu à l'hameçon, on dirait!
_ Et si elle vient me poser des questions, en tant que collègue? Je serai encore obligé de mentir!
_ Je te rappelle que je te cède mon autociel, pour le service... et à ta demande!
_ Fallait me motiver!
_ Ouais, je te laisse... et on garde le contact!
_ Oui... et tu as sans doute raison: tout a marché comme sur des roulettes!"
Les deux hommes se quittèrent et Ratamor, relevant le col de son pardessus, s'enfonça dans une ruelle sombre... Il avait gagné! Il s'était joué d'eux! se disait-il, quand il y eut une énorme explosion au-dessus de sa tête! Son autociel détruite alla s'écraser un peu plus loin! Une boule coinça la gorge de Ratamor: Gonflux n'était plus et on n'avait pas cru à sa mise en scène!
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Cependant, Piccolo avait d'autres problèmes... En rentrant chez lui, on l'avait assommé par derrière et maintenant, il se réveillait dans une pièce nue, assis sur une chaise, avec deux types qui le regardaient, goguenards! Puis, un homme entra l'air dégagé, bien de sa taille, apparemment satisfait de lui-même! Il prit place face à Piccolo et commença à lire un dossier, ouvert sur la table...
Le silence régnait et Piccolo demanda: "Mais enfin qui êtes-vous? Pourquoi ai-je été assommé?" Il tâta encore sa bosse, mais l'homme ne poussa qu'un long soupir, avant de faire glisser sous les yeux de Piccolo une fiche, sur laquelle on pouvait lire: "TGM%mmP17779°5XX?§4997033457YHHHT45Q°+" "Vous reconnaissez ceci? questionna-t-il.
_ A vrai dire, non, répondit Piccolo, qui écarquillait les yeux. Qu'est-ce que c'est?
_ C'est le numéro de la commande que vous avez passée chez nous... Mais vous... Vous êtes rétracté!"
L'homme avait hurlé et tapé sur la table et Piccolo sursauta! Il était frappé de stupeur: "Mais... mais je n'ai fait qu'utiliser mon droit! glapit-il.
_ Votre droit! Votre droit! Ah! Il a bon dos, celui-là! Mais bon sang, on vous offrait le meilleur! Vous aviez tout! 15 Giga! Vous vous rendez compte? 15 Giga! C'est de la lumière! Vous savez combien de fois en une seconde les particules couvrent une distance de trente kilomètres? 14 millions de fois! Espèce de zéro!
_ Mais... mais...
_ Dans le pack, des amis illimités! Des tonnes d'amis! On croule sous eux! On nage dans le bonheur! On est hilare toute la journée! La télévision? 30 000 chaînes! Impossible de s'ennuyer! Vous devenez télévision! Vous êtes au cœur de l'image! Les messages? Vous parlez à la planète entière! En Asie, on va au travail, en vous écoutant chanter sous la douche! Vous êtes connecté à fond! Vous êtes avec nous à 200%!
_ Justement... Tout cela m'étourdissait... et même ne me paraissait pas nécessaire! J'ai pris conscience de mon erreur et...
_ Et vous vous êtes rétracté!
_ J'ai utilisé ce droit, en effet!
_ L'ennui, monsieur... monsieur... (l'homme regarda dans le dossier) Monsieur Piccolo! C'est qu'on ne quitte pas la "famille"!
_ La famille? Mais quelle famille?
_ Mais celle que nous formons tous en étant connectés! La famille des humains, quoi! Mais monsieur veut la jouer solo! Monsieur veut sans doute affirmer sa différence! Mieux, monsieur est un intellectuel! Je vois dans votre dossier que vous êtes étudiant et c'est bien connu, les étudiants ont des idées, du caractère!"
L'homme avait un sourire, en disant cela et derrière les deux types jubilaient! "Mais, dit Piccolo, la technologie peut fonctionner comme un tourbillon, une drogue! Elle peut être une manière de ne plus voir le monde tel qu'il est! Si la "famille" se perd, il ne faut pas la suivre!
_ Merveilleux! Un donneur de leçons!"
Soudain, l'homme gifla de toute ses forces Piccolo, qui s'étala par terre, avec un goût de sang dans la bouche! "Comment tu t'appelles, connard? parvint-il tout de même à demander.
_ Progrès, Piccolo! Je m'appelle Progrès!"
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Dans une pièce, Grève et Profiteur jouaient aux cartes... "Bataille!" s'écria Grève. On montra encore quelques cartes et Profiteur dit: "C'est moi qui gagne et je rafle le tout!
_ C'est toujours pareil avec toi! C'est assommant! Je me demande si tu ne triches pas!
_ Ben voyons! Je suis plus attentif que toi, voilà tout! Moi, je travaille du cigare! Je compte! Une autre partie?
_ Bien sûr!
_ Vous n'en avez pas marre de jouer toujours aux cartes! fit Ennui qui était près de la fenêtre!
_ C'est mon droit! répondit Grève.
_ Qu'est-ce que tu veux qu'on fasse d'autre? demanda Profiteur. On aime ça, jouer! Pas vrai, Grève!
_ Sûr! Des fois, j'arrive tout de même à te battre! Y a quand même une justice!
_ Dis l'Ennui, reprit Profiteur, quel temps il fait dehors!
_ Toujours le même! Il pleut et il vente! Et comme à chaque fois que l'hiver arrive, vous tapez le carton!
_ Ben, moi, je vois avec effroi ma routine! répondit Grève. Alors j'attaque Profiteur! Eh! "Bataille"!
_ Et moi, renchérit Profiteur, je n'en ai jamais assez! Il fait froid et j'ai peur pour ma sécurité! Je suis un sensible! Toujours est-il que je défie Grève! Je le pousse à bout! Bas les pattes, Grève, le pot est encore pour moi!
_ Zut! Mon piquet n'était pas assez fort!
_ Tu vas finir nostalgique des Gilets jaunes!
_ Ah là, pour le coup, t'as tremblé!
_ Pff!
_ Ah! Ah! Ah! Si on t'avait mis une olive entre les jambes, on aurait recueilli de l'huile!
_ Je me venge avec l'inflation!
_ Salopard! Tu me dégoûtes!
_ Mais joue! T'es comme le lait sur le feu! Faut pas croire tout c' que je dis!"
A cet instant, on entendit des pas lourds dans le couloir... "Tiens, v'là Syndicat!" dit Grève. En effet, Syndicat entra dans la pièce: "J'ai apporté la bière, les enfants! Mais devinez ce qui vient d' m'arriver?
_ Patronat a essayé d'avoir ta bière et tu lui as fait un croche-patte, pour l'envoyer au bas de l'escalier!
_ J' te kiffe pas, l'Ennui!
_ Qu'est-ce que tu veux! Depuis vingt ans, il t'arrive toujours la même histoire..., avec Patronat qui t'attend à l'étage, pour te piquer ta bière! Tu dis que tu me kiffes pas, mais personne ne me kiffe! Et pourtant vous ne changez pas!
_ Qu'est-ce que tu veux dire? demanda Grève.
_ Que Toi et Syndicat, sans Profiteur et Patronat, vous seriez complètement paumés! Et réciproquement d'ailleurs! Vous vaincre les uns les autres, c'est le seul sens que vous donnez à vos vies! Comme si ça pouvait suffire! Et c'est pourquoi, c'est sans fin!
_ Eh! Oh! Faut bien vivre!
_ Si seulement vous pouviez regarder où vous êtes! Bon, je me tire! J'en ai plein le dos!
_ Tu pourras pas d' tirer! dit Profiteur. Grève a mis en panne l'ascenseur!"