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  • L' attaque des Doms (130-134)

    R74

     

     

                    "Simon est de retour à la maison!"

                                          Code Mercury

     

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         Paschic arrive dans un territoire psychique bien inquiétant… Cela commence par des squelettes, qui émergent du sable et qui semblent toujours crier, avec leur bouche ouverte ! Puis, viennent des monceaux de cadavres, les un sur les autres, comme épuisés, anéantis ! Enfin, ce sont des gémissements, des pleurs de gens accablés, désespérés ! Paschic se gratte la tête : où est-il ? Pourquoi cette vision de cauchemar ?

    Il lève alors les yeux et découvre un mur gigantesque, qui s’élève jusqu’aux nuages ! C’est donc au pied de ce mur que tant viennent échouer et mourir ! Ils ne peuvent aller de l’autre côté, pour trouver de l’eau et de la nourriture ! Et ils sont dans l’impossibilité de faire demi-tour, car ils n’ont plus de force ! Leur errance, avant d’arriver là, a déjà été sans doute sans fin et torturante ! Certains montrent de vieilles blessures, des infirmités et restent prostrés, devant la masse du mur !

    Paschic a l’air en forme, par rapport à tous ceux qui l’entourent, et il décide d’attaquer le mur, d’en faire l’ascension ! Bientôt, il trouve du matériel : pitons, cordes, chaussures et il s’approche de la paroi... « Beaucoup d’autres ont essayé et ils ne sont jamais revenus ! lui fait un vieillard à côté.

    _ Je sais, répond Paschic. Mais moi, c’est différent ! Je suis un agent de la Chose et rien ne peut m’arrêter !

    _ Un agent de la Chose ?

    _ Ce serait trop long à t’expliquer, l’ami ! Souhaite-moi seulement bonne chance ! »

    Paschic commence son escalade, sans peine, car il a l’habitude de ce genre d’obstacles, mais à la fin de la journée, il est plus soucieux : « C’est comme si le mur s’élevait, à mesure que je grimpe ! se dit-il. Si c’est vraiment le cas, je vais avoir un problème! »

    A la nuit, il s’installe dans son hamac et il regarde les étoiles, que le mur ne parvient pas à cacher ! Pourtant, son regard revient toujours au faîte du mur, apparemment glacé et même menaçant! A l’aube, il reprend son ascension, mais il est soudain attaqué par des femmes à demi-folles, qui sortent du mur ! Elles sont en furie, hors d’elles, se prenant les cheveux dans les mains ! Elles insultent Paschic, tout en essayant de lui donner des coups de pieds ou de le griffer ! Elles sont odieuses et crachent du poison : un liquide noirâtre et nauséabond !

    Paschic est obligé de se défendre et il attrape une des femmes, en lui serrant le cou, jusqu’à l’évanouissement ! Puis, il la lâche et elle tombe, vertigineusement, au pied du mur, qui est si bas qu’on le distingue à peine ! A cette vue, les autres femmes s’arrêtent, grondent, murmurent et finalement, elles poussent une longue plainte, lugubre, sinistre, qui a l’air d’un appel !

    A côté de Paschic, le mur se descelle et un guerrier gigantesque s’en extrait ! On l’a dérangé ! On le lit sur son visage et on comprend qu’il sera sans pitié ! Il donne des coups, destinés à écraser Paschic, qui se balance de droite à gauche ! Il n’est pas possible de continuer une telle lutte et Paschic se laisse glisser sur sa corde, pour redescendre ! Dix fois, il manque de finir sous le poing d’acier ! Il ne fallait pas importuner le guerrier et là-bas, les femmes harpies regardent la scène, avec satisfaction, comme si elles étaient vengées de quelque affront insupportable !

    Jamais Paschic n’est allé aussi vite ! La corde lui brûle les doigts, les jambes ! Le mur résonne des coups sourds et tremble ! Enfin, Paschic se laisse tomber sur le sol, alors que plus haut enfin le calme revient ! Paschic n’est-il pas en effet vaincu ? Il a osé se croire meilleur que le mur, il s’est imaginé pouvoir le dépasser, et le voilà roulant dans la poussière, comme tous les autres ! Il n’a plus qu’à assimiler son échec maintenant !

    «  Je te l’avais dit ! lui jette le vieillard. Nul ne peut vaincre le mur !

    _ Tu as raison l’ancien : le mur est vivant et il se défend ! En fait, j’ai l’impression que s’il se laissait vaincre, il s’écroulerait immédiatement !

    _ Il n’y a pas d’espoir !

    _ Pourquoi dis-tu ça ? Le mur est le mur, c’est entendu, mais qu’est-ce qui nous empêche de l’ignorer ? Le mur a besoin de nous, mais pas l’inverse !

    _ Et qui va nous nourrir, nous rendre justice, veiller sur nous ?

    _ Mais moi ! ou plutôt la Chose que je sers ! Venez avec moi, je vous parlerai et vous apprendrez à vous moquer du mur ! »

    Des gens autour, malgré leurs blessures et leur affaiblissement, tendent l’oreille et se mettent sur leurs jambes, avant de suivre Paschic ! « Je vous apprendrai à rire du mur ! continue à crier Paschic. Je vous apprendrai à le voir ridicule et malheureux, car c’est ce qu’il est ! »

                                                                                                                   131

          Paschic souffre toujours de son passé ! Il a beau être plus sûr de lui, il a des douleurs qui témoignent de ses combats précédents et de la destruction qu’il a subi ! Notamment, la peur chez lui a causé une inflammation chronique du côlon, appelé intestin irritable ! A force de stress, les contractions coliques sont devenues trop fortes ou mal synchronisées et si les examens ne révèlent rien d’alarmant, les effets de cette affection n’en sont pas moins sérieux, voire redoutables ! Ce sont des insomnies, une fatigue chronique, de la dépression, des problèmes pour se nourrir et même l’obésité peut paraître une manière de soulager les maux, car la nourriture semble calmer le désordre nerveux de l’intestin !

    C’est pourquoi Paschic, comme tant d’autres Doms, a gonflé jusqu’à faire le double de son poids et que le chemin, pour retrouver la ligne, est long et dur ! Il n’est pas possible sans faire la paix avec soi-même ! On ne peut pas vraiment maigrir, si on continue d’avoir peur, car les maux du côlon restent tout aussi vifs ! Le stress est éminemment destructeur et l’intestin irritable, comme d’autres « maladies », ne peut que se répandre, touchant de plus en plus d’individus, puisque l’anxiété est le lot de notre époque sans repères !

    Mais ce n’est pas seulement une affaire personnelle ! Ce n’est pas seulement à l’individu de reprendre confiance en lui-même et de s’apaiser, mais c’est le fonctionnement général des Doms qui est à considérer, à comprendre et à changer ! Car tant que nous nous « nourrissons » de la domination, il nous faut des victimes, qui nous rassurent sur notre valeur et notre supériorité ! C’est-à-dire que nous broyons et méprisons des gens, pour échapper à nos propres peurs ! Nous nous servons des autres, pour nous faire croire que nous arrivons parfaitement à vivre et en tout cas mieux que les autres !

    Que se passe-t-il alors pour ceux qui sont blessés, détruits, écrasés, pour les faibles ou les doux ? Mais à eux la peur et les chagrins bien entendu ! à eux les désordres nerveux, les inflammations, les douleurs ! pendant que les plus forts paradent et triomphent ! Mais pas pour longtemps ! Eux également finissent par succomber sous la botte d’un plus fort, etc. ! On est dans une impasse, car nous nous méprisons et nous nous piétinons les uns les autres ! C’est une chaîne sans fin ! Ainsi, pour calmer ses angoisses, la Machine a anéanti Paschic, l’a traqué dans les moindres recoins, parce qu’il s’est retrouvé malgré lui, encore enfant, tel un obstacle sur sa route ! Notre logique nous condamne, puisque plus nous sommes inquiets et plus nous voulons vaincre l’autre ! Nous sommes nous-mêmes à l’origine des maladies nerveuses, qui nous accablent ! Elles viennent de notre mépris !

    C’est donc la domination qui est à bannir ! Il nous faut une autre raison de vivre que celle de nous sentir supérieurs au voisin ! C’est tout le sentiment de notre réussite qui est à remettre en question ! Car, rappelons-le, dominer ne guérit pas les peurs ! d’autant que ceux qui sont dominés ont droit eux aussi à une vie propre et qu’ils cherchent leur totale indépendance ! C’est pourquoi encore le Dom, qui voit qu’on lui échappe, devient monstrueux, car la liberté du dominé le renvoie à ses peurs, qu’il juge insupportables, terrifiantes ! Le Dom peut alors essayer de détruire de toutes ses forces, voire de tuer !

    Mais comment arrêter de vouloir dominer ? Comment se sentir en sécurité, sans pouvoir, ni domination ? Car ce n’est qu’à ce prix que nous pouvons regarder sereinement les choses ! Encore nous faut-il un peu de sécurité, avant de respecter les autres, de voir leurs différences ! Sinon c’est l’égoïsme qui nous conduit aveuglément ! Mais où puiser la force de ne plus dominer ? de nous regarder en face, sans nous croire le chef ou le caïd de l’endroit ? Comment nous tenir sur nos jambes, en prenant conscience que nous ne sommes pas le centre du monde, ni que nous avons le droit de mépriser notre prochain ?

    Ce sont ces questions que nous devrions nous poser, mais au contraire nous nous enfonçons dans notre domination ! Nous ne faisons que suivre notre instinct animal, sans soucis de l’histoire ou de l’expérience ! Nous avons recours aux nationalismes, au repli sur soi et au rejet de la différence, ce qui crée une situation favorable à la guerre ! Nous nous fermons sur nous-mêmes, construisons des murs, persuadés que nous serons protégés ! Nous nous confions naïvement à des dictateurs, comme s’ils étaient des parapluies chaleureux et altruistes ! Nous misons sur l’égoïsme et cultivons nos haines ! Nous continuons à vouloir être les plus forts et méprisons les plus faibles !

    Pire, nous ne cessons de détruire la nature et sa beauté, qui est pourtant le seul marchepied permettant d’échapper à la domination ! Nous mettons une sorte de rage à clouer notre cercueil, car rien que le fait de rester tranquilles nous angoisse ! Les maladies nerveuses nous rongent, bien plus que nous l’estimons, et réduit à néant le confort de notre civilisation ! Nous souffrons sans vouloir les remèdes !

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          Les Doms ne sont pas tendres avec les jeunes, car leurs peurs les guident ! On presse l’enfant, on lui fait craindre l’avenir et l’échec ! Les résultats doivent suivre et l’enfant est contraint très vite de choisir sa filière, un métier, etc. ! Tout le poids du monde moderne, son stress, son asphyxie même, car nous sommes incapables de nous regarder en face, ni de nous parler normalement, lui pèsent sur les épaules ! Il sue déjà et ne semble heureux qu’avec son téléphone ! Par bien des côtés, il ressemble à un esclave, qui paye la lâcheté de son maître et son ambition ! Comme la domination ne permet pas de comprendre la vie, le Dom attire l’enfant dans sa frénésie, son flot d’inquiétudes, sa peur du monde extérieur !

    Plus le parent Dom est attaché à l’effet qu’il a sur les autres, à sa position sociale et à son sentiment de supériorité et plus l’enfant est discipliné, corrigé, surveillé, étouffé ! Il est comme dans une caserne, avec un entraînement militaire, le reste du monde constituant une menace ! C’est ce qui est arrivé à Paschic, sous l’autorité de la Machine ! Mais qu’est-ce qui a fait qu’il s’est opposé à la Machine ? Pourquoi n’a-t-il pas été soumis et cédé complètement à la peur ?

    C’est une individualisation particulière, qui a permis à Paschic d’avoir une notion précoce du bien et du mal, du mensonge et de la vérité ! Car le Dom vit non seulement dans l’ignorance, mais encore grâce à l’hypocrisie ! Il nie absolument ses plaisirs, ce qui lui donne la possibilité de se voir comme bon, remplissant ses obligations et à même d’en demander autant aux autres ! La réalité est pourtant toute autre ! Le Dom satisfait en premier lieu son orgueil et son égoïsme, quitte à mépriser tout le monde !

    Toujours est-il que Paschic très tôt a trouvé une forte opposition entre la beauté, le calme de la nature et l’agitation et la méchanceté des Doms ! C’est la nature qui a conforté Paschic dans sa position, son combat ! C’est la beauté qui lui a fait comprendre qu’il existe autre chose que la malhonnêteté, l’aveuglement et la folie des Doms ! Elle a été et reste son guide, tandis que le Dom se raccroche désespérément à sa domination ! Car le Dom ne supporte pas qu’on s’affranchisse de la condition d’esclave, qui est la sienne ! Le Dom est soumis et il veut que tout le monde le soit ! Il y a une hiérarchie et le Dom veut que chacun y trouve sa place, parce qu’ainsi il peut exercer sa domination sur un certain nombre, même si lui-même courbe l’échine devant ceux qui sont au-dessus ! Le Dom est un raté, qui demande à ne voir que des ratés !

    Le Dom, qu’il soit un homme ou une femme d’ailleurs, exècre la Lumière et la liberté qu’elle permet ! La femme Dom rappelle impérieusement à Paschic combien elle est séduisante et combien donc elle compte ! Elle attire le regard de Paschic, quoi qu’il fasse ! Il doit obéir et la regarder ! C’est une domination ! C’est comme si la femme Dom déchirait l’espace, en disant : « Je suis là ! » Elle s’impose comme centre d’intérêt ! C’est vital pour elle ! C’est un mini trou noir !

    Le Dom masculin a la même action : lui aussi commande une soumission et qui est aussi de caractère sexuel ! On domine l’autre, si on le trouble dans sa virilité ! C’est la « queue » qui sert de bâton, pour humilier ! On veut des esclaves sexuels, pour réaffirmer sa valeur sociale ! On n’a que ça ! Il n’y a pas eu de recherche, ni de révolte ! On a eu peur et on a épousé le « carton-pâte » de la société ! Et on fait payer cette soumission, en la voulant pour tous ! On a été lâche et il n’est pas question qu’il y en ait un de courageux ! On s’est couché et personne ne doit se tenir droit ! On n’espère plus et le désespoir doit régner ! C’est la seule consolation qui reste, la dernière illusion ! C’est la domination à bout de souffle et qui trouve ses ultimes bulles d’air dans la boue qu’elle répand !

    Comment alors les jeunes pourraient ne pas avoir peur ? Comment pourraient-ils croire au bonheur ? Les villes s’étendant toujours plus, elles privent les jeunes d’un accès à la beauté, comme si la « liberté » même de la nature n’existait plus ou était répréhensible ! Le fossé est comme consommé, entre le béton et l’arbre, entre la ligne droite et la fantaisie ! Les villes constituent un monde dur, peuplé de Doms tout aussi rigides et piégeux ! Les règles des Doms s’abattent sur les jeunes, qui n’ont qu’un recours : les « likes » de leurs réseaux sociaux !

    Personne d’autre apparemment ne leur parle ! alors que Paschic vivait dans la lumière du feuillage, entouré de papillons ! alors que la truite venait lui dire « bonjour » ! La beauté parle incessamment ! Elle explique le sens de la vie, par son opposition au « grand n’importe quoi » des Doms ! Celui qui s’en nourrit garde le courage et se préserve du mensonge ! Il acquiert la paix ! Le Dom est perdu, mais cela ne l’excuse pas ! Le Dom est méprisé, mais ce n’est pas une raison pour qu’il méprise à son tour !

                                                                                                                  133

          Dès le départ, Paschic et la Machine se sont affrontés ! L’argument de la Machine est connu de tous : « Il faut travailler, pour gagner sa vie ! C’est une nécessité ! La vie n’est pas faite pour rigoler ! Personne ne fera de cadeau ! Un euro, c’est un euro ! Pas de place pour les rêveurs ! Il y a les factures à payer ! Les études, ça coûte cher ! Etc. »

    Tout le monde est en effet confronté à cette réalité ! A part les millionnaires, chacun connaît la peur du lendemain ! C’est le prolongement naturel des besoins de l’animal, qui lui aussi chaque jour doit lutter pour se nourrir, défendre son territoire et se reproduire ! Étrangement, nos sociétés modernes devraient nous soulager au quotidien, mais au contraire assurer notre survie est devenu quelque chose d’obscur, de fortement angoissant, une source intarissable de tourments ! Les loyers, les factures, toutes les taxes, tous les événements nous enchaînent et nous minent, à un tel point qu’ils nous arrivent d’envier la simplicité des animaux, quoiqu’ils s’entre-tuent et qu’aucune loi ne les protège !

    Mais, toujours est-il que la Machine, dans son discours, avait de quoi désarçonner Paschic et le faire rentrer dans le rang ! Le problème, c’est que Paschic s’est rendu compte que la Machine se servait de lui, le méprisait pour se donner de l’importance, se sentir supérieure ! Qu’est-ce que cela avait à voir avec le « contrat social », avec la nécessité du travail, le devoir ? On était là apparemment dans une dimension qui ne concernait pas les nécessités de la vie, le besoin de se nourrir ou de se loger ! Où le mépris qu’on fait subir aux autres apparaît sur la fiche de paye ? Quand la CAF prend-elle en compte le fait qu’on s’essuie les pieds, sur le dos de son voisin ? Si la société est juste, elle doit non seulement compter les cotisations pour la retraite, mais encore toute la méchanceté dont nous sommes capables tous les jours !

    Pour Paschic, le discours de la Machine n’était pas cohérent ! Elle parlait incessamment de nécessités, de devoirs et en même temps, elle méprisait, utilisait Paschic, pour ses plaisirs, pour la satisfaction de son égoïsme ou de son orgueil ! Pour Paschic, elle n’était pas crédible, d’où l’affrontement ! L’enfant voulait dénoncer le mensonge de sa mère ! Mais, comme s’en est aperçu bientôt Paschic, le problème s’étend à toute la société ! Le conflit qui l’opposait à la Machine n’a fait que continuer face au monde des adultes, car le comportement de la Machine n’a rien d’unique et il pose une question de fond, qui peut s’exprimer ainsi : qu’est-ce que le mal, d’où vient-il ?

    Car il s’agit bien du mal ! Mépriser un enfant, se servir de lui, lui mentir, c’est mal ! En fait, c’est comme si le mal n’existait pas dans nos sociétés (à part dans les faits divers) et pourtant il nous frappe incessamment ! Il sévit et nous détruit ! Mais il n’est inscrit nulle part ! Il n’a pas d’existence officielle ! Il est là sans être là ! Mais pour Paschic, il était le gros point d’interrogation, puisqu’il en était victime ! Il lui fallait expliquer sa souffrance, afin d’en être soulagé ! Paschic voulait bien être le petit soldat, réussir ses études, avoir un métier, ne plus dépendre de la Machine, à condition que le terrain soit clair, qu’on ne reçoive pas une balle dans le dos, que le plaisir soit reconnu, que l’ambition dise son nom, que le mépris ait sa place ! Il n’est pas possible de rêver du bonheur ou de la paix, si les choses ne sont pas franches, si les fondations sont meubles, changeantes, fausses !

    Donc, voilà Paschic au travail (sans salaire malheureusement !) et se demandant ce qu’est le mal et d’où il vient et ne rencontrant aucune réponse ! Mais n’est-ce pas là le seul vrai travail, le seul qui devrait nous intéresser ? Pourquoi nous broyons-nous, nous méprisons-nous ? Pourquoi nous haïssons-nous ? Paschic a les manches retroussées et ne compte pas ses heures ! Il est à la tâche du matin au soir, sans cotiser ! avec toujours le souci de trouver de quoi vivre !

    Dans le même temps, son affrontement avec la Machine atteint des sommets ! Il n’est pas question pour celle-ci de lâcher du pouvoir, ni encore moins de reconnaître son mépris ; comme la société elle-même reste aveugle, alors qu’elle croule sous les problèmes et semble se cogner la tête contre les murs ! Pour Paschic, ce sont des coups de boutoir interminables, un broiement quasi complet de son cerveau, car la Machine cherche, piétine, écrase jusqu’à plus soif !

    Paschic, dans sa quête de la vérité, doit rompre tout lien avec la Machine, pour ne plus en souffrir et avoir du recul ! Il est comme l’animal, qui pour survivre dévore son membre pris au piège ! Inutile de dire que la route de Paschic est extrêmement douloureuse, que son enfance a été abrégée précocement, qu’il est définitivement différent parmi les Doms et qu’il n’a plus depuis longtemps leurs illusions !

    Mais c’est la beauté de la Chose qui l’a rendu ferme ! qui lui a montré qu’il y a une harmonie supérieure et infinie ! Cette assurance a permis à Paschic de tenir debout, malgré la destruction de la Machine et des Doms, malgré les inquiétudes de la vie… et les fruits sont venus ! Paschic sait aujourd’hui d’où vient le mal et comment le combattre ! C’est là son salaire !

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         Inutile de dire que si on ne connaît pas la nature du mal, on continue à le faire et on sème la souffrance et la haine ! Et c’est là que les choses se corsent, car la Machine a quasiment détruit Paschic, en se croyant dans son bon droit, comme s’il était injuste de s’élever contre elle et de contester son autorité ! D’ailleurs, à chaque fois que Paschic arrivait à placer la Machine devant son injustice et ses contradictions, elle faisait appel à Tautonus, pour qu’avec sa force physique il réduise au silence Paschic et lui inspire de la peur ! Dans ces conditions, la Machine s’est évitée la connaissance, la remise en question et elle n’a pas évolué, mais au contraire elle a même cherché à blesser Paschic, à lui nuire bien après son départ de la maison familiale et ce jusqu’à un âge mûr !

    Pour comprendre cet acharnement, il est nécessaire de se mettre dans la tête du Dom ! Sa préoccupation, c’est lui ! Il s’aime et s’admire ! Pour cela, il a besoin de repères, comme sa position sociale, mais aussi de toutes les personnes qu’il contrôle ! Plus le Dom a du pouvoir et plus il a d’« esclaves » ! Le mot est à peine trop fort, même dans le cas de Paschic et de la Machine ! Paschic a toujours été là pour « servir » la Machine, pour être son faire-valoir si besoin était et il est vrai que l’enfant reflète la réussite de la famille et c’est pourquoi il doit être exemplaire ! Il fait partie de la vitrine ! Plus le Dom est dominateur et moins l’enfant a son mot à dire et s’il se rebelle, s’il s’obstine, il devient l’« esclave » en fuite, l’esclave marron ! Il faut à tout prix le rattraper, le mâter, le punir, mais aussi le dénigrer, afin que tout l’édifice familiale n’en soit pas ébranlé et que des idées de révolte ne se propagent pas chez les frères et les sœurs !

    Pourtant, c’est moins la cohérence du groupe que l’orgueil du Dom qui est le souci ! On a fait injure à ce dernier ! Paschic a, semble-t-il, personnellement attaqué la Machine ! Il a le « diable » au corps ! Il n’a pas la reconnaissance du ventre ! On est scandalisé, car on ne voit pas le mal de la Machine, et on ne veut pas le voir, parce qu’il permet les autres ambitions de la famille ! Les Doms se serrent les coudes !

    Mais le message de la Machine est clair ! Elle répète à Paschic : « Je vais te dresser, moi ! » L’idée même qu’on puisse s’opposer à elle fait suffoquer la Machine ! Elle n’en revient pas ! Il faut rappeler que derrière la domination du Dom, il y a une peur viscérale du réel (il ne saurait en être autrement!) et que la menace réveille celle-ci, provoquant une haine aveugle, démesurée ! Paschic a représenté pour la Machine toute l’épouvante du dehors, ce qui est extérieur à la famille ! Il a ouvert une brèche, que la Machine a essayé de refermer, en détruisant Paschic !

    Toute cette colère prouve bien que l’équilibre des Doms est faux ! S’il était solide, il ne craindrait pas la différence, l’opposition ! Mais on comprend aussi que, dans ces conditions, l’Autre demeure indistinct et qu’il n’est pas considéré comme une personne ! Il garde le statut d’esclave ou de monstre !

    En fait, la « perte » de la domination amène un état de conscience plus élevé ! Mais ce n’est pas seulement une pensée nouvelle, c’est une transformation totale, de tout l’être ! C’est un rapport au monde absolument différent ! Il n’y a plus d’assurance, en comptant ses « esclaves », mais, au contraire, on se tient debout sans dominer personne ! C’est une mue entière ! Et on ne peut y arriver qu’en s’engageant à lutter contre sa propre domination, grâce à la foi et à l’Évangile notamment !

    En effet, comment prétendre avoir confiance, si on veille à sa sécurité et à sa notoriété ? Qu’est-ce qui nous manque dans ce cas, sinon un peu plus de pouvoir et d’argent ? On ne connaît pas Dieu, en restant un Dom ! C’est impossible ! On ne peut pas aimer les autres, si on continue à les voir comme ses esclaves ! La connaissance de Dieu vient quand on accepte de « perdre », de ne pas se voir important parmi les hommes ! Ce n’est pas qu’on veuille se faire du mal, mais on cherche avant tout la vérité, la lumière ! On exerce son amour, sa confiance !

    Mais voilà encore pourquoi le Dom tient tant aux règles et aux dogmes religieux ! Ceux-ci lui donnent l’impression qu’il « croit » ! En respectant les rites, le Dom s’évite de douter et de « s’anéantir » lui-même ! Il garantit son pouvoir, en se donnant bonne conscience, puisqu’il obéit au texte, à la tradition ! Pire, il est capable de haïr s’il voit son ordre religieux menacé, méprisé ! Où est alors sa confiance en Dieu ? Nulle part ! La foi véritable enlève toute crainte et donc toute haine ! C’est la confiance qui permet au Dom de se séparer de sa domination et d’atteindre une individualisation complète ! Moins nous dominons et plus nous avons conscience de nous-mêmes ! Moins nous traitons les autres comme des esclaves et plus nous sommes distincts nous-mêmes ! Tant que nous dominons, nous restons dans le brouillard de nos peurs et de nos haines !

    Inutile de dire que la Machine a échoué sur ce chemin-là, mais c’est le cas de la plupart des Doms ! Certes, tout le monde n’est pas Paschic ! Chacun a son destin, son caractère, ses possibilités et il ne s’agit pas d’imposer une voie, ni de juger ! Mais on ne peut pas non plus ignorer la domination et la « prison » qu’elle constitue ! On doit enfin se rendre compte, à la lumière de ce qui a été dit, combien il est difficile de faire reconnaître ses erreurs au Dom et d’en obtenir justice, puisque la domination est comme une seconde peau ! Paschic s’est donc résolu à rester le paria de sa famille, avec la « solitude » que cela implique !

  • L' attaque des Doms (125-129)

    R72

     

     

                    "Vous voyez cette pièce d'or? Elle sera pour le premier qui voit Moby Dick!"

                                                                                     Moby Dick

     

     

                                              125

         Domopolis n’est que le reflet de la domination des Doms ! Plus nous voulons dominer et plus Domopolis s’étend, en écrasant la Chose, et plus celle-ci nous menace et plus nous sommes violents et dominateurs ! C’est une impasse et les Doms prennent peu à peu conscience qu’ils ne peuvent plus vivre comme avant !

    Mais nous sommes nombreux et la situation est complexe ! Il ne s’agit pas de s’opposer radicalement, frontalement à la domination, ni aux Doms, même si le danger apparaît urgent ! Il faut que les Doms puissent se nourrir, travailler, avoir le sentiment de la sécurité et de se développer, de s’épanouir, et pour cela ils vont dans des directions très différentes, qui sont celles qui leur conviennent !

    Si on veut le monde selon ses goûts, ses priorités, surtout quand on est sûr d’avoir raison, alors on se met à détruire ceux qui font obstacle et on répand la haine ! On sème le chaos et on fait que les Doms se dressent les uns contre les autres ! On arrive à un résultat inverse de celui qu’on espérait ! Des gens notamment polluent par haine, pour bien montrer combien ils méprisent ceux qui veulent sauver la planète !

    Il est donc nécessaire de se pacifier soi-même, pour accepter la complexité du monde ! Il s’agit de savoir à quoi on est bon, qu’est-ce qu’on aime et ne pas dépasser ses propres limites ! Dans ce cas, on ne ne perd pas de forces, on continue d’aimer la vie et de se montrer patient et compréhensif, à l’égard de la différence ! Cette connaissance vient essentiellement du renoncement ! Celui qui veut à tout prix satisfaire son amour-propre, en voulant triompher du mal ou de la bêtise, celui-là est comme monté sur un cheval fou, et il s’épuise rongé par la haine ! Il faut savoir renoncer, car c’est grandir !

    Ce n’est pas qu’on doive abandonner la bonne cause, laisser faire l’injustice, mais on doit être à même de rigoler de son amour-propre, de pouvoir mépriser sa domination, de n’être pas dupe du pouvoir et de sa séduction ! Or, c’est sur ce point qu’achoppent la plupart des Doms, alors qu’ils semblent animés des meilleurs sentiments ! Certains travaillent à la justice sociale et d’autres prônent le respect pour le pays, mais ils restent haineux et aveugles, puisqu’ils sont menés avant tout par leur domination, leur orgueil ! Propres à s’enflammer et ne renonçant jamais, ils ont bientôt du venin plein la bouche et se révèlent incapables d’évoluer, figés dans le même discours !

    Il faut savoir perdre, pour être intelligent ! Mais comment renoncer, tester sa confiance, guérir de ses peurs sans amour, sans attachement, sans persévérance ! Le chemin de la foi permet la compréhension, mais celui de la domination, qui chante le triomphe de la force et la mort des faibles, est une illusion ! Heureux celui qui voit Dieu s’occuper du monde, et qui est confiant, celui-là s’est débarrassé de son ego, qui est parti au fil de l’eau ! Celui-là ou celle-là se rit de ses inquiétudes, dues à l’ego, et s’enchante de la puissance de Dieu ! Il est dans l’étonnement d’un « gouvernement » aussi vaste, aussi profond !

    Heureux celui qui se réjouit simplement de la lumière, qui fait le jour et réchauffe le monde ! Le tyran, lui, chaque jour, cherche à s’enivrer de sa puissance et il s’agite constamment ! La domination est comme de l’eau dans les mains : elle ne cesse de fuir, et il faut instamment la « réveiller », sinon les peurs reviennent ! Cela conduit à l’ivresse de la haine et du mépris ! La domination s’aveugle par le spectacle, puise dans l’écrasement de l’autre sa satisfaction ! « Mort à la faiblesse ! » crie-t-elle, pour échapper à l’angoisse qui la talonne ! Heureux celui qui n’est pas dupe et qui voit la vanité des efforts de la domination, sa stérilité !

    La véritable force n’est-elle pas la sagesse ? Celui qui sourit et qui reste serein n’est-il pas plus solide que celui qui hurle et qui gesticule ! Celui qui sait se taire et attendre ne rassure-t-il pas plus que celui qui veut être le centre de tout ? Que de turpitudes dans ce cas ! Celui qui est patient et qui a confiance en Dieu qu’a-t-il à prouver ? Quelles sont les inquiétudes de son ego, puisque son amour, c’est Dieu ?

    Tout le monde connaît l’angoisse, mais le tyran dit que non, que c’est pour les faibles, car c’est son orgueil qui le fait parler ! Le tyran sent sa force, assis sur les faibles, en se moquant d’eux ! Le sage sent sa force, en riant de la haine et des plaintes de son ego ! Jamais la domination ne guérit de sa peur et la mort ne lui apporte qu’amertume et regrets ! Le sage chante Dieu en mourant, stupéfié par la puissance divine !

                                                                                                                          126

          La Chose purifie ! Certes, les animaux et les plantes s’entre-tuent et il est difficile de travailler la terre, pour s’en nourrir, mais la Chose purifie ! Les fleurs et les feuilles « boivent » le soleil et les oiseaux chantent à tue-tête, pour fêter le retour de la lumière et de la chaleur ! C’est le retour de la procréation et du renouvellement ! C’est la « joie » de la vie, toujours impatiente de repartir ! C’est une force qui ne se commande pas et que chacun peut ressentir ! Heureux celui qui en est le spectateur, l’admirateur : celui-là a déjà quitté son ego !

    Que nous apprennent les animaux ? Mais que nous sommes comme eux, « embarqués » dans la vie, sur une toute petite planète perdue dans l’espace (mais ça ils ne le savent pas!) ! Ils sont nos frères et quand il se réjouissent de la lumière, nous aussi ! Sans les animaux, nous ressentirions une solitude atroce, qui nous anéantirait et c’est pourquoi leur présence est si précieuse dans les villes ! Sans les animaux, nous serions comme des damnés attachés à notre nombril !

    Heureux celui qui est attentif à la Chose ! Il s’arrête, s’assoit et regarde ! Il « prend » le temps de la Chose ! Il s’en pénètre… Muettes deviennent ses questions, ses troubles, ses ressentiments ! Peu à peu, il n’y a plus qu’une contemplation, qui ne demande rien ! La beauté captive, distrait, enchante, console… et purifie, en emportant tout ce qui n’est pas elle ! La lumière est souveraine : son éclat fait fermer les yeux, mais ses jeux dans l’ombre sont merveilleux, infinis ! Le vent anime le tout ! Ici, tout n’est que secrets, attention, amour, confidences pour celui qui sait et qui veut voir ! L’agitation de la ville n’existe plus !

    C’est entendu : nous ne pouvons nous fondre dans la Chose et ce n’est d’ailleurs pas notre destin ! Nous vivons parmi les hommes, avec nos besoins d’hommes, mais il nous est toujours possible de rejoindre la Chose et de l’admirer ! Moins l’ego est fort, plus il est confiant et plus la Chose le comble de sa beauté ! Plus le cœur est simple et plus la Chose l’enseigne !

    La Chose purifie ! à sa manière, avec sa paix sereine ! Dieu n’est ni pressé, ni endormi ! Dieu rit et l’enfant aussi ! La Chose est absolument gratuite ! Certes, si la Chose était totalement sauvage, nous y serions des étrangers aujourd’hui, mais la Chose évolue tout comme nous ! Elle subit notre influence, mais nous ne la domptons pas ! Nous n’en sommes pas les maîtres, car elle a sa vie propre et elle peut redevenir sauvage, dès qu’elle a le champ libre ! Sa force nous dépasse et ainsi sa beauté aussi ! Nous avons tout à apprendre d’elle ! Elle a la clé de notre paix ! Elle témoigne de la bienveillance divine ! Perdu est celui qui l’ignore, la méprise et qui l’écrase ! Triste et sombre est le Dom ! Malade est-il bientôt ! En guerre croit-il trouver la solution !

    La Chose purifie, en enseignant la sagesse ! Plus les épaules sont larges et plus la lucidité vient ! Il n’est pas question pour ceux qui sont tourmentés par eux-mêmes de porter ! Le jeune est sans force, tant il est préoccupé par lui-même ! Il est « vert » comme un jeune plant ! Il se cherche, se découvre et cela lui prend tout son temps ! C’est la maturation qui donne des réponses ! Et quand les fruits viennent, ils viennent en abondance ! Le sage ne se fatigue plus, car bien souvent il s’est déjà bien « usé », en se souciant de bien faire, de plaire ! Il a eu peur de Dieu, de ne pas être à la hauteur ! Mais le voilà calme, tranquille, se réjouissant de vivre, comprenant les inquiétudes des autres et sachant les apaiser !

    Le sage comprend, mais les autres continuent de s’agiter ! Quand il regarde le chemin parcouru, le sage repense à ses efforts en souriant et même en ayant le vertige : comment a-t-il pu se dépenser autant ? C’est un miracle qu’il soit encore en un seul morceau ! Le monde est si troublant, si effrayant ! Que de tâtonnements pour trouver la voie juste ! Que de pleurs, de larmes suite aux injustices et aux souffrances ! Pourtant, le sens est là ! La connaissance attend, vaste et simple ! Plus on se confie à la Chose et plus le monde des Doms rétrécit !

    Mais Domopolis « enfume », épuise ! Celui qui ne se confie qu’à la ville n’en finit plus d’être perturbé ! Il ne se connaît pas ! Il enchaîne les haines et les amours sans les comprendre ! Il est plein de frustrations et de tristesse ! Rien n’est clair où règne la domination, ni les envies, ni les ennuis ! On se lève chaque matin dans un tunnel et on se dilue dans d’interminables histoires !

    C’est le que la voie de la Chose ou de l’esprit paraît trop haute, trop froide, trop exigeante ! On préfère ses appétits, ses petites joies d’avoir triomphé sur l’autre et on reste dans la nuit ! C’est pourtant Domopolis qui lasse, qui trouble et qui vide ! Le chemin de la Chose n’est nullement amer ! Le renoncement n’est nullement déchirant ! S’il le paraît, c’est qu’on a encore abusé de soi, qu’on s’est troublé à cause de l’effort, du souci de bien faire !

    Mais la Chose enlève tout souci, sinon elle ne serait pas la Chose ! Elle est la paix !

                                                                                                                        127

         Des sirènes retentissent au camp n°5 ! là où sont enfermés les Doms émeraude et qu’on essaie toujours de soigner ! Une évasion ! On signale que 4 Doms émeraude ont « fait le mur », mais ce n’est pas tout à fait exact : on est plutôt venu les chercher ! Un commando s’est introduit dans le camp et a quasiment forcé des Doms émeraude à quitter leur couchette et à les suivre !

    Rappelons que les Doms émeraude sont remarquables par leur apathie et qu’on soupçonne la Chose de les avoir transformés, ce que leurs yeux d’un grand vert luminescent semblent attester ! Pour l’instant, ils ont été poussés dans une camionnette et ne disent rien, quand un membre du commando, le visage encore noirci, s’adresse à eux : « Alors, les gars, heureux d’avoir retrouvé la liberté ? » Mais le silence est la seule réponse !

    « Eh ! Les gars, reprend le soldat, faudrait voir à nous remercier ! On a quand même risqué gros, pour que de nouveau vous respiriez l’air du dehors ! » Malheureusement, les Doms émeraude gardent cet air absent qui les caractérise, comme s’ils étaient perdus dans un rêve infini ! « Tu parles d’une bande d’emmanchés ! fait en colère le soldat. Ils ont même pas la reconnaissance du ventre ! Qu’est-ce qui nous a pris de les sauver ?

    _ Laisse-les tranquille ! intervient un collègue. Ils sont traumatisés ! La prison, ça détruit son homme ! Il leur faut du temps ! Ils se dégèleront quand on arrivera !

    _ Ouais…, mais tout de même ! »

    La camionnette poursuit sa route dans la nuit et enfin se gare devant une ferme. On descend et on marche vers une lumière, qu’un grand gaillard, en treillis et sur un seuil, obscurcit de sa silhouette ! L’homme fume un cigare et s’écrie joyeusement : « Bienvenue aux victimes du capitalisme ! Maria, veille à ce qu’ils ne manquent de rien, tu veux ? Entrez, mes amis ! Par ici, les camarades ! Venez vous restaurer ! Maria a préparé ses spécialités ! Bande de veinards ! »

    Les Doms émeraude pénètrent lourdement dans la maison et s’assoit autour d’une table, ne témoignant aucune émotion ! « J’ vous préviens, chef, y sont pas bavards ! dit le soldat qui leur a parlé durant le voyage.

    _ C’est normal, Rodrigo ! répond le chef. Ils se méfient ! J’en ferais autant à leur place…, mais c’est parce qu’ils ne nous connaissent pas ! Une fois qu’ils sauront qui nous sommes, quel est notre but, ils changeront du tout au tout ! Mangez camarades, réjouissez-vous ! Vous êtes ici dans le berceau de la future révolution ! Ah ! Ah ! Je vous la coupe, pas vrai ! Mais c’est que nous sommes des gens sérieux, nous visons loin ! C’est tout le système qu’il faut changer… et qui le sait mieux que vous ! vous qui avez été enfermés pour vos idées réfractaires ! »

    Le chef s’attend à une réaction, voire à de l’enthousiasme, mais les Doms émeraudes ne touchent même pas les plats, se contentant de fixer droit devant eux ! « Hum ! fait le chef, soudain décontenancé.

    _ J’ vous l’avais bien dit, chef ! reprend le soldat. On a affaire à des ingrats !

    _ Camarades ! s’écrie le chef. Qui vous a emprisonnés, humiliés, tourmentés ? Qui sont vos bourreaux, vos oppresseurs ? Mais les profiteurs, les supers riches, la finance internationale ! Ceux qui se gavent et exploitent ! Ce sont vos ennemis et ce sont les nôtres aussi ! Notre combat est le vôtre ! Et demain nous renverserons ce système , nous installerons une société juste et il n’y aura plus de Doms émeraudes, en train de souffrir dans le camp n° 5 ! Comment pourriez-vous ne pas partager notre cause ? »

    Mais les Doms émeraudes semblent toujours être ailleurs… « Chef ! On s’est trompé ! jette le soldat. On a sorti des petits bourgeois, des nantis ! Peut-être même des espions du grand capital ! Aïe ! Aïe !

    _ La ferme ! Je crois que je percute… Ces gaillards, c’est pas la lutte sociale qui les intéresse ! Non, c’est le vert, l’écologie, la protection de l’environnement ! sinon pourquoi ils auraient les yeux émeraude, hein ? Camarades, laissons pour le moment la justice sociale, d’accord ? On y reviendra, mais concentrons-nous sur la défense de la nature, de la Chose, hein ? Car je crois que c’est là ce qui vous préoccupe ! Mais justement ! Qui pollue, qui détruit, qui exploite, qui se gave sur le dos de la Chose, qui met en péril notre planète ? Mais ce sont les supers riches, les profiteurs, le grand capital, la finance internationale ! C’est le patron méprisant ! Alors, alors, on est ensemble, pas vrai ? Allez, faut boire un coup, entre frères ! Maria, ressers-les, tu veux ? 

    _ Mais ils ont pas bu ! fait Maria mécontente.

    _ Eh ! Les Doms émeraude, je vous PAAARLE ! Moi, le chef de la future révolution ! Vous êtes bouchés ou quoi ! Ceux qui ne sont pas avec nous sont contre nous, suppôts du capitalisme ! Je vais vous faire ramper, moi, mes salauds ! Je vais vous en faire baver ! Y a pas place pour les traîtres, ici, bande de fumiers ! Les traîtres , ils terminent le dos au mur, avec douze balles dans la peau !

    _ Bravo chef ! lance le soldat. Ça, c’est de la justice sociale ! »

                                                                                                                    128

         « Tu es de Domopolis ? Tention à la police ! » Le Dom qui chante est un grand gars en baskets et survêtement ! Il a encore des chaînes en or et un micro à la main ! Il fait son show dans un de ces palais pleins de blancheurs, dédiés à la consommation, là où règnent la chaleur et l’image ! Ici, le Dom se sent comme chez lui, sa vie a enfin un sens, quoiqu’il existe un envers au décor ! Des Doms en effet travaillent, dans des conditions épouvantables ! Ils sont comme « exhibés », au milieu d’un passage, sans cachettes, pour vendre du nougat ou servir des boissons chaudes ! Ces personnes en deviennent transparentes, serviles au sein d’une ambiance étouffante ! Ce sont les victimes du Rêve blanc, alors que les autres Doms y avancent tel un troupeau grimaçant, quand les achats ne vont pas assez vite !

    Mais peu importe ! Cet univers convient bien à un besoin ! On le trouve dans la chanson du grand gars en baskets : envie de puissance, triomphe de soi, ce qui nécessite un ennemi extérieur, un monde contraire qu’il faut vaincre ! La domination nécessite un affrontement, quitte à imaginer un adversaire ! L’animal, chaque jour, exerce sa force, en rejetant de son territoire tous les intrus, même s’ils ne sont pas menaçants ! Ainsi, il reste performant et garde le sentiment de son pouvoir ! Le Dom ne fait pas autre chose : il cherche continuellement la victoire, la réussite !

    C’est un combat, qu’exprime le grand gars en baskets, avec son micro : « Tension Police, Domopolis !

    Tension aux bourgeois sournois !

    Tension système, quand il dit qu’il t’aime !

    Ils veulent ta peau !

    Ils te veulent en copeaux !

    Puise dans ta force, puise sous l’écorce !

    Toi, le résistant, tu n’as plus le temps !

    Tu es au bout du tunnel et tu n’as plus qu’elle !

    Liberté ! Hanté par elle !

    Tension Police, Domopolis !

    Tension système, quand il dit qu’il t’aime ! 

    Tension bourgeois sournois !

    Mais toi tu sais, décès !

    Mais toi tu pièges, le siège

    Du patron pas rond !

    Mais toi, tu niques le baron

    Pas chic ! Citron,

    T’en as dans le citron !

    Mais toi, tu laisses pas faire

    Quand on te met des fers !

    Tension police, Domopolis !

    Tension système, quand il dit qu’il t’aime !

    Tension bourgeois sournois !

    Tension sensuelle :

    La liberté, c’est elle !

    Hanté par elle,

    Car tous pareils, mon frère,

    Sur Terre !

    Tension bourgeois rogues !

    Tension bourgeois dogues !

    Tension drogue !

    Tension came, clame

    Trop calme !

    Tension police, Domopolis ! 

    Tension système, qui dit qu’il t’aime… ! »

    Pendant ce temps-là, le « palais blanc » vend la tenue du « rebelle » : baskets immaculées, survêtements, bijoux, coiffure ! Le « résistant » devient une créature du Rêve blanc ! Il croit s’en évader, mais en devient un stéréotype ! l’un de ses meilleurs porte-drapeaux ! Le culte de soi triomphe, en s’alliant à la révolte ! Le règne des « cosmonautes » en baskets a commencé, dans l’espace du nombril !

    « Tension trop lisse, Domopolis ! Tension manipulation ! »

                                                                                                                         129

         Que fait le Dom quand il est mécontent, insatisfait ? Va-t-il dans la Chose, pour obtenir des réponses ? Se remet-il en question ? Nullement ! Le Dom croit qu’on lui doit quelque chose et comme il se nourrit de domination, il affiche volontiers une tête méprisante, boudeuse, qui demande des comptes ! C’est ce qui s’appelle œuvrer pour le bien de tous !

    Le Dom attend, ou tend des pièges, pour montrer sa supériorité ! Sa proie n’a pas vu venir le coup ! Elle est blessée et le Dom s’en réjouit ! Au moins la journée n’aura pas été perdue ! Tout ce qui paraît indifférent au Dom, qui ne le considère pas comme une idole, est impitoyablement rejeté ! Le Dom est telle une araignée, au centre de sa toile et ses victimes peuvent être sexuelles ! Certains Doms ne vivent que pour le sexe et si quelqu’un passe angoissé, affaibli, perdu, il est à même de devenir un esclave sexuel du Dom, jusqu’à l’avilissement le plus complet ! On parle bien d’araignées dans leur toile ! Et l’on sait combien un psychisme épuisé peut vouloir disparaître dans la chair !

    Il y a bien une lutte de la conscience pour se développer, s’épanouir et si l’individu est en paix, il n’a aucune difficulté pour contrôler ses sens ! C’est l’angoisse, le tourment qui poussent à se perdre dans une relation, mais le sexe n’apporte aucune réponse, quant à la peur du quotidien ! Certes, le bien-être du corps apaise l’esprit, mais il ne fait pas de raisonnements, ni réfléchir ! En définitive, c’est bien l’esprit qui donne des solutions !

    Mais le Dom ne va pas jusque-là ! Il se ressert toujours la « même soupe » ! Il est figé dans son discours, il tourne en rond ! Même s’il sent des satisfactions, il finit par retrouver le même marasme et en accuse les autres, la situation ! Le Dom fatigue, tellement il est prévisible ! On connaît ses limites, qu’il ne faut pas lui parler de telle ou telle chose, car immédiatement son disque rayé revient, se remet à chanter ! C’est comme une seconde peau, au propre comme au figuré, parce que le Dom n’est pas bien individualisé : il croit bêtement être le centre d’intérêt des autres, comme si le monde tournait autour de lui ! Le Dom accepte la vie, à condition qu’il ne voit les choses que dans son sens ! Si on essaie de le faire grandir, il est tout de suite dépassé et c’est sa pensée figée qui lui tient lieu de maison, pareille à la coquille d’un escargot !

    On voit souvent le Dom se jeter sur la personne qu’il impressionne et qui le flatte ! Commence alors un dialogue hypocrite, qui arrange « tout le monde » ! On se caresse, on se ménage, pour se tenir chaud ! C’est un échange sans dangers ! où chacun trouve son compte ! Parfois, le dégoût affleure, mais il est vite réprimé ! On est en terrain connu, rabâché, on joue un rôle, bientôt stérile et qui fait bâiller ! Mais on adore la sécurité, quoiqu’on ne supporte pas la routine, d’où la « gueule » ! Ainsi le monde en carton-pâte des Doms continue et semble suffire ! Qu’il y ait des guerres, de la violence, des crimes, des viols fait qu’on tombe des nues, consterne absolument, puisqu’on nie son propre mal-être et sa haine, qui pourtant détruit !

    La Chose, elle aussi, attend ! Elle est toujours prête à accueillir le Dom, à lui montrer ses secrets, à répondre à ses questions, encore faut-il que le Dom soit demandeur et on a vu combien il peut passer dans la Chose, sans cesser d’être un Dom, parlant incessamment de lui ! L’effet dans ce cas est nul ! Le Dom doit se dépouiller de lui-même, de son égo, pour entrer dans la Chose et la comprendre ! Il faut donc qu’il accepte son individualité et une sorte de solitude ! C’est bien lui qui est concerné et pas un autre ! Alors, la Chose parle, enseigne, avec son temps à elle ! Elle n’écrit pas des trucs sur les troncs, mais elle pénètre, à mesure qu’on se pénètre aussi de soi-même ! C’est un travail de maturité !

    Généralement, celui qui sort de la Chose revient vers le monde des Doms, en étant apaisé, avec le sourire et plein de compréhension ! C’est le signe qu’il a évolué et il voit les Doms avec indulgence, comme s’ils n’étaient que de grands enfants perdus ! La destruction de la Chose, par les Doms, peut aussi susciter la révolte, le chagrin et la haine, mais même ces sentiments sont appelés à disparaître, au profit d’une sérénité heureuse ! La Chose rassure et donne du bonheur, sinon elle ne serait pas la Chose !

    La Chose fait danser et enchante et on est bien loin là des joies forcées et bruyantes des Doms ! La Chose ne procure pas une ivresse passagère, elle n’est pas un rêve, ni un mirage ! Elle n’est pas un leurre ! On doit pouvoir s’appuyer sur elle, sans qu’elle cède ! Elle est un rocher, au milieu de la tempête ! Celui qui fait confiance à la Chose voit qu’il grandit, qu’il est plus heureux, que les Doms fonctionnent comme ceci ou cela ! La Chose n’enferme pas dans un monde artificiel, bien au contraire ! Elle donne le sentiment de l’infini et cela n’a pas de prix !

  • L' attaque des Doms (120-124)

     

     

     

     

                                                                                                                         120

          Des hordes de motards et de quads dévastent la Chose, pour s’amuser, se détendre, sentir la vitesse ! Cela peut paraître légitime, anodin et on peut dire à chacun ses plaisirs, et il en va également ainsi, au sujet des teufeurs, mais alors on ne retient rien de la Chose ! Elle est juste utilisée comme un vieux sac ! C’est encore la domination qui veut s’imposer ! C’est encore le Dom qui se plaît dans son miroir ! C’est encore Domopolis qui s’étend et qui écrase la Chose !

    Cela ne résout rien pour le Dom ! Il ne touche pas à sa puissance, même s’il se croit en marge et révolté ! Mais que fait Paschic, pendant ce temps-là, sur sa planète inconnue ? On sait que Paschic a été écrasé par la Machine, mais pourquoi ? Paschic, grâce à une sensibilité particulière, a pu se rendre compte de l’égoïsme de la Machine et d’abord parce qu’il en a été affecté ! Il est donc entré en lutte contre la Machine, pour se préserver, mais aussi au nom de ce qu'il pensait juste, autrement dit au nom d’une vérité, d’une connaissance !

    Que la Machine vive dans l’hypocrisie, aveuglée par son amour-propre ou son orgueil, lui est devenu une évidence ! Il a contesté son pouvoir, son autorité, car elle était fausse, ce qui a entraîné chez la Machine des colères violentes, incontrôlées, un désir de détruire, de soumettre coûte que coûte, puisque sous la domination il y a la peur, une peur infantile, qui peut aller jusqu’à la panique ! La réaction est d’autant plus destructrice que la peur est grande ! Et rappelons que la société des Doms se tient par la domination : c’est naturellement le sentiment de notre valeur, de notre importance et de notre réussite sociale, qui fait que nous restons debout !

    Mais, inquiétée sous son propre toit, dans sa propre famille, par l’un de ses enfants, la Machine n’a eu de cesse de vouloir anéantir toute rébellion chez Paschic, avec l’aide de Tautonus, quand la force physique s’avérait nécessaire ! Le résultat, on s’en doute, a été effroyable ! Aujourd’hui encore, Paschic mesure l’ampleur de ses blessures ! Il peut mettre la main dedans, tellement elles sont béantes ! Il peut toucher le tuf, il a été cassé en deux ! Il faut chaque jour les raccommoder avec du gros fil et c’est comme un miracle que Paschic soit toujours en vie !

    Mais justement qu’est-ce qui a fait qu’il n’ait pas été dissous par la folie ? On rajoute qu’il est impossible pour Paschic d’expliquer ses souffrances, car ce n’est pas un trauma particulier, mais un broiement complet et quotidien ! De même ceux qui sont revenus des camps de concentration restent des étrangers, incapables qu’ils sont de faire partager leur expérience, tant elle a été totale, dans les moindres recoins de leur chair, dans leurs moindres faits et gestes ! Paschic a donc dû convenir de sa solitude, de sa séparation, de son étrangeté et comment a-t-il fait pour continuer d’espérer, mieux pour ne pas haïr et comprendre ?

    C’est que la Chose a toujours été son refuge et sa maîtresse ! C’est elle qui a tout appris à Paschic, grâce à la contemplation et au temps, à la mesure que celle-ci demande, jusqu’à la maturation ! C’est par elle que Paschic a pu voir comment la domination animale qui est en nous fonctionne ! Ainsi aussi le comportement de la Machine a été expliqué ! Mais cela veut encore dire que Paschic renonce à la justice, car toute domination menacée, comme l’a montré le cas de la Machine, conduit à une défense violente, qui équivaut bien sûr à une fermeture, à un refus d’admettre les faits ! C’est une peur quasi incontrôlable, qui prend en cette occasion les commandes du Dom ! Toute discussion devient vaine, face à cette terreur enfouie !

    Ce qui a réparé Paschic et qui continue de le réparer, ce n’est donc pas la reconnaissance de la Machine, quant à ses fautes, mais c’est le sens et par là la foi, la confiance de Paschic, grâce à la connaissance ! Sans cette dernière, on voit mal comment Paschic pourrait toujours survivre parmi les Doms !

    Ainsi Paschic poursuit son apaisement, commencé au sein de la Chose ! Peu à peu, il vit mieux que les Doms ! Il vieillit moins vite, il garde ses forces, il est un sujet d’étonnement ! Il ne se blesse pratiquement plus et paraît de plus en plus énergique, souple, à l’aise !

    Le Dom, qui n’a fait confiance qu’à sa domination, qui n’a recherché la sécurité qu’en elle, lui, n’a pas guéri de ses peurs et est rattrapé par elles ! La maladie, la haine, le désespoir en sont les symptômes ! Le Dom qui n’a pas cherché, qui s’est confié à son ego, en paie le prix, même si lui-même est souvent la victime d’autres Doms !

    L’enchantement est un cadeau de la vie, que connaît même l’animal à sa façon ! Pourquoi l’homme en serait-il dépourvu ? Serait-il plus pauvre et misérable que l’animal ? A quoi alors servirait la conscience ? Heureux celui ou celle qui saluent le jour, comme une nouveauté ! Ceux-là n’ont pas perdu leur temps !

                                                                                                                     121

          L’Inquiétude et la Bêtise sont sur le bord de la route et s’ennuient… « Fais pas chaud ! fait l’Inquiétude.

    _ Non…

    _ Et pas une voiture ! Bon Dieu, qu’est-ce qu’on s’emmerde ici !

    _ Ouais…

    _ Y a pas quelque chose qui bouge là-bas, dans le bois ?

    _ J’ vois pas…

    _ Pourquoi y a des arbres, hein ? Tu t’es jamais demandé ça ?

    _ Non… Mais y aurait des hôtels et des supermarchés, là-bas, ce serait beaucoup mieux ! Comment on dit ? Ah ouais, ce serait plus civilisé !

    _ Moi, j’ suis sûr qu’on nous surveille ! On doit s’ fout’ de nous quelque part !

    _ Tu crois ?

    _ Bien sûr ! On montre pas assez qu’on est fort ! Faut s’imposer, faire comprendre qui est le maître ! Sinon…, on t’ bouffe ! C’est la loi de la nature ! Soit tu manges, soit tu es mangé !

    _ Alors faut pas hésiter ! C’est la guerre, l’ennemi tué, les viols, les rapts d’enfants, les villes détruites ! Eh, eh ! Là, t’es compris ! Là, on te donne du monsieur !

    _ Pfff ! Tu retardes grave ! Tout s’achète maintenant ! Toi, moi, la vérité, tout ! Combien tu vaux ? T’as pas d’âme, n’est-ce pas ?

    _ Une âme ?

    _ Oui, à part toi, rien ne compte ! Les autres doivent t’obéir, pas vrai ?

    _ Ben…

    _ De toute façon, à quoi sert la vérité ? Toi, la Bêtise, t’existes et tu t’aimes ! Qu’est-ce qu’il y a d’autre ?

    _ Les proches..

    _ Les proches ! Les proches ! Tu les aimes, parce qu’ils te servent ! Et qu’ils représentent ta réussite, ta puissance ! Toi, toi et encore toi, j’ te dis !

    _ Tout de même… La science, c’est la vérité… et donc la vérité peut servir à guérir… d’un cancer par exemple ! Sans vérité, pas de connaissances !

    _ J’y crois pas ! Mais j’y crois pas ! La Bétise, qui fume, qui raisonne, qui donne des leçons !

    _ Mais…

    _ Tu sais quoi ? Je vais te faire obèse ! Moi, l’Inquiétude, je vais te faire grossir comme un bœuf ! Tu vas suer par tous tes pores ! Je vais te dévorer de l’intérieur, jusqu’à te rendre boulimique !

    _ Ben, si tu fais ça, l’Inquiétude, je vais te taper d’ssus ! Tu connais le précepte : c’est en cognant dans les gens qu’ils comprennent quelque chose !

    _ Bon, admettons que je n’ai rien dit ! Mais le coin est toujours aussi désert ! Mais qu’est-ce que tu as ? Tu pleures ?

    _ Je pleure sur la bêtise de ce monde, sans coeur et sans pitié ! J’en ai le droit, non ? Toute cette bêtise, cet égoïsme de bas étage, toute cette fumisterie, cette violence !

    _ La Bêtise qui pleure sur elle-même ! T’as bien mérité ton nom !

    _ Salaud !

    _ Tu contrôles pas assez les choses ! T’es pas assez fort ! Quand tu commandes, ta plus d’ doutes, t’es le chef ! Tu brilles ! Même la mort te salue !

    _ J’ voudrais d’ l’espérance, d’ la beauté, na ! Oh ! J’ai soif ! J’ai si soif !

    _ Fais comme moi : sois dur !

    _ Comme si je te connaissais pas ! On est ensemble depuis la maternelle, pas vrai ? Tu veux que j’ te la dise la vérité, hein ?

    _ Vas-y, j’ai rien à cacher !

    _ Toute ta puissance, tout ton discours sur la force, c’est du pipeau ! Au fond d’ toi, t’as la trouille ! T’es paumée ! Et c’est pour ça qu’ tu fais des moulinets avec tes bras, qu’ tu joues au caïd ! Tu crânes, la voilà la vérité !

    _ Combien pour qu’ tu la fermes ?

    _ J’ suis pas à vendre !

    _ De toute façon, qui voudrait acheter un minable ?

    _ J’ suis peut-être bête, mais tu vaux pas mieux !

    _ Eh ben, si on nous observe, ils pourront bien s’ marrer ! De vraies tartes ! »

                                                                                                                          122

         Paschic arrive dans un nouveau territoire psychique et il voit des dizaines de Doms qui tirent un char énorme et très lourd ! Ils s’arc-boutent et grimacent, chacun à sa corde et sur le char, au contraire, un Dom couronné se pavane, crâne effrontément ! « Halte ! crie-t-il. J’aimerais discuter avec ce passant ! Il m’a l’air sympathique ! » Aussitôt, les Doms arrêtent leur effort, soufflent, pendant que le Dom couronné descend sur le sol, par un petit escalier d’or !

    «  Je suis le Mensonge ! » dit-il à Paschic, en lui donnant sa main à baiser. Mais Paschic refuse ce geste et le Mensonge reprend, légèrement embarrassé : « Et toi, qui es-tu ?

    _ Paschic !

    _ Et tu sembles ne pas m’aimer ! Pourtant, tu vois comme je suis puissant !

    _ Tu es surtout compliqué et lourd à transporter !

    _ C’est que les choses ne sont pas simples ! En plus, j’ai plein d’ennemis !

    _ Ah bon ?

    _ Mais oui, il y en a beaucoup qui voudraient ma place ! On me dit méchant, mauvais, mais, au contraire, je suis bon et gentil ! Je fais le bien !

    _ Tu es une victime, c’est ça ?

    _ Hélas oui ! Mais j’ai l’habitude de supporter l’injustice ! Ce que je voudrais, c’est qu’on me voit sous mon vrai jour ! Le gars léger, innocent, naïf même, mais bien disposé, lent à la colère et sans avidité ! Mesuré et nullement ambitieux ! Tu vois ?

    _ Et les autres gobent ça ?

    _ Les autres ? Quels autres ?

    _ Mais les autres…

    _ Mais c’est de moi dont il est question ! Les autres, les autres ! On dirait que tu en parles, comme s’ils existaient vraiment ! Je commande les autres et je leur dis ce qu’il faut qu’ils pensent !

    _ Par exemple, que tu es bon ?

    _ Mais tu m’énerves à la fin ! Oui, je suis bon ! Oui, je suis fort, parce que je le dis !

    _ Et si on n’est pas d’accord ?

    _ On me fâche… et c’est la prison ou pire le billot ! Je ne supporte pas la contradiction !

    _ Alors, tu ne veux pas de la vérité !

    _ La vérité, c’est ce que je pense, non ?

    _ Bien sûr, et c’est pourquoi tu es si lourd à transporter ! C’est ton monde que tu portes avec toi ! Enfin, ce sont tes serviteurs qui suent haut et fort, pour ça !

    _ Grrr ! Tu vois une autre solution ?

    _ Pour que tu sois vraiment le gars léger et innocent ?

    _ Oui…

    _ Pour que tu arrêtes d’avoir peur et que tu sois heureux ?

    _ Oui ! Écoute, j’ai rarement été aussi patient !

    _ Eh bien, il faut d’abord que tu abandonnes le pouvoir !

    _ Hein ?

    _ Dame ! Comment pourrais-tu voir la vérité, si le monde est le tien ! Tu ne fais que te regarder dans un miroir ! Tu sais bien que le monde n’est pas le tien et que nous sommes nombreux !

    _ Tu voudrais que je redevienne anonyme, tout petit dans la foule !

    _ C’est ça ! Anodin ! Anodin et curieux !

    _ Mais qui va diriger le monde ?

    _ T’inquiètes pas ! Dès que tu auras cédé la place, un autre imbécile la prendra ! Tu ne veux pas être heureux ?

    _ C’est que… t’es en train de m’embobiner ! Ah ! Ah ! Et dire que je me suis fait presque avoir ! T’as l’air tellement sincère ! Mais tu travailles pour mes ennemis, c’est ça ? Gardes, conduisez ce cuistre aux fourmis !

    _ Je vais te montrer un tour... »

    Paschic étend un bras et le Mensonge se retrouve nu et seul dans la nuit… « Mais qu’est-ce que… s’écrie-t-il. Eh ! Oh ! Y a quelqu’un ? Mes hommes, où sont mes hommes ? Mon ministre, il est où ?  » Alors devant le Mensonge commencent à défiler, lentement et muets, tous ceux qu’il a tués !

                                                                                                                     123

          Domopolis continue à combattre la Chose, à sa manière ! Elle construit des maisons au sein de la Chose et quand elles sont assez nombreuses, il n’y a plus qu’à les relier à ville, qui ainsi progresse ! La Chose en fin de compte paraît toujours aussi inutile aux Doms, qui ne se doutent pas qu’ils piétinent un trésor, capables de les sauver !

    Inlassablement, les Doms passent à toute allure dans la Chose, avec leur voiture, le visage fermé ! Ils travaillent ! Pourquoi ? Mais…, mais pour être heureux ! En ignorant la Chose ? Impossible ! On ne peut atteindre la paix sans la Chose ! Alors pourquoi travaillent-ils ? Par peur essentiellement ! Ils ont peur de manquer, de ne pas respecter les convenances, pour leur retraite… et ils traversent la Chose sans la voir, d’une manière absurde !

    Les ors sont là pourtant ! Les mauves de l’hiver aussi ! La lumière fait tout d’une beauté incroyable ! Les mésanges sont déjà heureuses et préparent le printemps ! Des bourgeons s’illuminent, l’herbe est d’émeraude et les nuages étalent leur tache blanche en toute fantaisie ! Dix mille peintres, cent mille photographes n’en saisiraient qu’une partie ridiculement infime, mais l’homme ne fait que côtoyer l’infini ! Heureux celui qui perçoit la Chose dans sa force et sa grâce sans limites ! Celui-là est l’enfant qui chante, dans le giron de Dieu !

    Mais revenons aux Doms qui méprisent la Chose et qui ne la voient même pas ! L’un d’eux s’appelle Van Der Saar (VDS) et il est cycliste sur route ! Il ne rigole pas ! Il fait corps avec sa machine ! Il a des roulements à billes dans la tête ! Ce qu’il préfère, c’est passer à côté de vous comme un souffle, une lame de rasoir ! Eh ! C’est que la route est un esclavage pareil à un autre ! C’est pourquoi VDS a la visage sombre et ne rêve que de vous écraser de toute sa puissance ! Car VDS n’est pas heureux bien sûr et il a de la haine, comme tous les prisonniers ! Un damné de la route !

    Comment pourrait-il considérer la Chose, l’aimer, en voir toute la valeur ? Qu’il aime la vitesse, l’effort, c’est entendu ! Mais il est fermé et il faut laisser VDS s’en aller ! C’est un métronome perdu dans la nuit !

    Mais prenons un autre cas ! Vois ce couple de retraités, qui se promènent dans la Chose… Ils ont des cheveux blancs, des vêtements austères et ils cheminent lentement… A priori, ils ne posent pas de problèmes, alors pourquoi cette tension quand on les approche ? C’est que l’homme est un juge ! Voici ce que dit toute son attitude : « Regarde mes cheveux blancs, mon visage buriné et mon corps fatigué ! Moi, j’ai bossé toute ma vie ! Et toi, qui passes ici léger, peux-tu en dire autant ? Je suis la borne, le contrôle ! J’ai beau être vieux, on me doit des comptes ! Si tu es joyeux, il faut que tu le mérites ! Ma femme est là pour en témoigner : je suis important, incontournable et je ne laisserai rien passer ! D’ailleurs, je suis prêt à mordre, à anéantir ! »

    On doit se faire tout petit, quand on croise cet homme, mais alors où est la Chose, sa magie, sa générosité ! Nulle part ! Elle a disparu ! Elle revient dès qu’on a contourné l’obstacle ! Et comme il est haineux cet obstacle, car on ne l’a pas salué, reconnu son importance ! Eh ! C’est qu’on ne voulait pas se gâcher la fête ! On ne doit rien à personne, comme la Chose ! Elle est gratuite et nous aussi !

    On met quand même un certain temps, à se remettre de ce genre de rencontres, alors qu’elles sont très communes ! La mésange est plus intelligente ! Comment peut-on être juge dans la Chose ? La seule attitude est d’y être heureux, comme l’oiseau et même l’escargot ! Les animaux fêtent la lumière, la vie, les arbres, la nourriture ! Ils saluent leur force ! Ils chantent et s’épanouissent ! Mais pas le « Juge », qui est tel un puits sec ! A quoi lui sert sa retraite ? Il a bien la sécurité et encore la santé, mais à quoi bon ? Il souffre et fait souffrir ! Il est passé à côté de l’essentiel ! Il est un poids pour lui-même et les autres ! Il n’est pas victorieux et aimant ! Il n’a pas capturé le soleil, pour le distribuer ! Il n’a pas connu la vérité ! Que ne s’associe-t-il pas au rayonnement de la verdure et des animaux ? Quelle triste vie !

    Mais regardons maintenant cette fille qui arrive ! Elle n’est pas vraiment séduisante et n’a rien d’exceptionnel… Mais, quand on la croise, elle nous sourit subitement, comme si on n’avait attendu que ça et qu’on s’était préoccupé d’elle ! Encore une qui est dans une illusion ! La Chose tout autour flamboie, magnifique, mais cette fille ne s’en rend pas compte et croit qu’elle peut être le centre d’intérêt ! Elle va donc au devant de bien de déceptions ! Elle se blesse elle-même, face à l’indifférence ! Si elle s’intéressait à la Chose, si elle en goûtait tout le plaisir, elle serait légère quant à son ego, son pouvoir de séduction et même sur sa solitude ! Dans quel rêve vit-elle, pour se croire attirante, quasi irrésistible ?

    Évidemment, chacun mérite de l’attention, mais pas au détriment de la Chose ! Il ne s’agit pas de se figer dans un égoïsme et de concevoir de la haine, si celui-ci n’est pas satisfait !

                                                                                                                       124

          Dès qu’on a affaire aux Doms, c’est la catastrophe ! Mais comment pourrait-il en être autrement ? C’est que chez le Dom rien n’est réglé ! Il n’a pas suivi le chemin du renoncement et de la foi ! Il ne se rend pas compte de la magnificence de la Chose ! Son équilibre ne repose sur rien de sûr, car le Dom n’a pas cherché le « rocher », la « vérité » ! Il est un mélange de peurs non guéries et de fausses certitudes ! La vitrine, l’apparence se veut bien entendu rassurante, ferme, l’image de la réussite, mais le tout ne tient que sur une pointe, celle de l’autorité, de la domination ! C’est le poste qu’occupe le Dom qui lui donne une contenance, un semblant de solidité ! C’est la « farce » de la société, qui ne résout rien !

    Ainsi, aujourd’hui, Paschic a rendez-vous avec un conseiller juridique, pour s’informer d’un point de droit. C’est nécessaire pour Paschic et il s’y prépare, mais il ne se fait aucune illusion : ce sera une épreuve, car le Dom se nourrit de sa domination, c’est son oxygène et il va donc falloir faire croire au conseiller qu’il est éminemment supérieur, qu’il domine la discussion, qu’il connaît parfaitement la vie ! Il faut ne pas interrompre son illusion, même si Paschic ne veut qu’un renseignement ! Sinon le conseiller inquiet, désarçonné, peut devenir hostile, agressif, méprisant !

    De toute façon, Paschic devra se plier en quatre, entrer dans une boîte d’allumettes, tel un contorsionniste ! Il devra garder le contrôle, rester prudent, flatter mais pas trop, pour ne pas prendre l’autre pour un idiot ! C’est un dosage éprouvant, à force d’être précis et même qui peut être mal récompensé ! La suffisance du conseiller, une remarque blessante de sa part peuvent assommer Paschic, qui déjà fait des efforts, pour la paix de l’entretien ! Mais il en est ainsi à chaque fois que l’on parle à un Dom qui a du pouvoir et qui est habitué à être écouté ! Dans cette catégorie entrent volontiers les médecins, les psys, les conseillers de toutes sortes, tous ceux qu’on sollicite un jour ou l’autre ! Ils ne savent pas, mais on doit supporter leur ignorance, voire leur mépris ! Encore une fois, dans leur domaine, ils ont une compétence, mais dans leur vie propre ils sont, comme la plupart des Doms, à la dérive ! L’illusion, c’est la domination ! le pouvoir donc !

    Le conseiller est plus avenant que ce à quoi Paschic s’attendait ! Il a des manières simples, un air près du terroir, mais très vite on s’aperçoit des choses qui clochent ! Notamment les cheveux sont précocement blanchis, ce qui indique un stress, une frayeur qui a été ravageuse ! Le visage est buriné et trop rouge, laissant deviner l’alcoolisme du personnage ! En fait, il y a trois étages : les cheveux blancs, le visage rouge et le reste du corps, qui reste assez vigoureux ! Le Dom se veut encore alerte, dans la force de l’âge, efficace, ce qui doit symboliser la réussite, la maîtrise de soi, le savoir, mais il est en pièces détachées, et chacune d’entre elles révèle une lutte, un manque d’harmonie ! Bref, l’homme est faux, perdu, malheureux, mais ce n’est pas par vice, c’est plutôt qu’il est toujours tiraillé entre la peur et l’orgueil, entre le cri et le paraître ! Il n’y a là rien d’exceptionnel, au contraire !

    Pendant que Paschic explique son problème, le visage du conseiller demeure incroyablement fermé ! Car il a beau essayer de situer Paschic, il n’y arrive pas ! Et pour cause : Paschic a la Chose en lui, à des années-lumière de la vie du conseiller ! Celui-ci a pour l’instant un engrenage dans la tête, ce qui est plutôt en sa faveur, car cela veut dire qu’il n’est pas figé dans sa domination, mais qu’il se pose encore des questions ! En fait, au fond, il ne perd pas de vue qu’il n’a pas les solutions à ses propres problèmes… et il se demande même si ce ne serait pas Paschic qui les a ! La simplicité du personnage est bien réelle ! D’autres auraient déjà conçu de la haine, à l’égard de Paschic, en voyant leur pouvoir inutile devant lui !

    Bon, Paschic à l’information juridique qu’il était venu chercher et la discussion se poursuit encore un brin…, faite d’amabilités, de « petits jeux », qui maintiennent la domination du conseiller ! Tout paraît civilisé, comme il faut et pourtant le travail intérieur du conseiller ne cesse pas ! Qui est Paschic ? Comment fait-il pour avoir autant d’aisance ? Que sait-il ? « Qu’est-ce que j’ai manqué ? se demande le conseiller. Pourquoi n’a-t-il pas mes angoisses ? Est-ce que je vais me mettre à crier ? »

    Cette réflexion se poursuit sous l’échange et finit par miner complètement le conseiller ! Il est vidé ! Il n’en peut plus ! A la grande surprise de Paschic, c’est le conseiller en premier qui ne dit plus un mot, qui semble mettre un terme à l’entretien ! D’habitude, Paschic est mis dehors comme un papier sale, avec tout le mépris possible et ainsi est sauve la domination de son interlocuteur ! Mais cette fois-ci le conseiller ne cache même plus son désarroi, qui est trop vif ! On vient de le mettre devant une chose si grande qu’il en est épuisé ! Le chagrin et des regrets et beaucoup d’incompréhension l’envahissent ! Paschic se retire quasiment sur la pointe des pieds et on ne le salue que vaguement !

    Nul doute que le conseiller va mettre des jours à s’en remettre ! Qu’a-t-il raté ?

  • L' attaque des Doms (115-119)

    R71

     

     

                                  "Indy! Indy!"

                                          Indiana Jones, le Temple maudit

     

     

                                              115

         Il y a beaucoup de monde aujourd’hui, sur la place principale de Domopolis et sous la Tour du Pouvoir ! On s’agglutine autour d’un Dom, en présence des médias, qui l’interrogent ! « Oui, répond le Dom, qui n’est autre que le professeur Ratamor, j’ai inventé la cloche qui permet de circuler dans la Chose, sans être affecté par elle !

    _ On dirait que vous vous êtes inspiré des anciennes cloches à plongeur…, fait remarquer une journaliste.

    _ C’est exact ! Elle est toutefois tout en carbone, pour être plus légère ! Et, comme vous pouvez le voir, elle est équipée d’une visière et elle couvre le corps, jusqu’à la taille, ce qui laisse à l’usager la pleine liberté de se mouvoir !

    _ Mais comment fonctionne-t-elle concrètement ? Qu’est-ce qui fait qu’elle protège de la Chose ?

    _ Mesdames, messieurs, rien ne vaut l’expérience ! Je vous présente mon assistant Günther ! C’est lui qui, munie de ma cloche, va pénétrer sous vos yeux dans la Chose et en ressortir indemne ! Je vous prie donc de m’accompagner, jusqu’aux abords de la Chose, afin que la science triomphe ! »

    La foule se meut, à la suite de Ratamor, portant fièrement sa cloche, et de Günther, qui se cambre devant les dames, en lissant sa moustache ! Évidemment, on filme ces instants, destinés à devenir immortels !

    « Nous y voici ! fait Ratamor, alors qu’on atteint les limites de la ville. C’est ici que la Chose nous est la plus proche ! Elle nous envahit pour ainsi dire ! Mais nous avons trouvé le moyen de la rendre inoffensive, avant de la vaincre totalement demain ! Mesdames et messieurs, vous allez être les témoins de l’efficacité de ma cloche… Günther ! »

    L’assistant se présente devant Ratamor, qui lui installe la cloche ! On serre quelques sangles, pour maintenir le tout, et le brave Günther, ainsi équipé, se dirige d’un pas lent vers ce rideau si spécial, connu maintenant de tous les Doms ! C’est une sorte de frontière scintillante et émeraude, qui paraît vivante et qui trouble par son éclat !

    Günther, sous sa cloche, la tâtonne un peu avec ses bras, puis, enfin il pénètre dans la Chose ! La foule retient son souffle ! Des femmes s’évanouissent ! Des enfants médusés en lâchent leur ballon de baudruche ! Mais la majorité a pris cet air grave, qui signale que l’histoire, avec un grand H, est en marche !

    Cependant, Günther a complètement disparu et il faut attendre ! Ratamor consulte son chronomètre, puis informe : « Günther doit rester cinq minutes dans la Chose, ce qui sera amplement suffisant, pour juger la valeur de la Cloche… » Le professeur a à peine terminé que Günther ressort de la Chose ! « Le voilà ! » crie-t-on et Ratamor et d’autres courent vers Günther. On lui enlève la cloche, avec des gestes fébriles et en essayant de se calmer les uns les autres, puis la tête de Günther surgit, souriante, victorieuse ! Des femmes se pâment et un orchestre démarre ! C’est un succès et on porte en triomphe Günther !

    « Mais comment avez-vous fait ? demande un journaliste à Ratamor.

    _ Eh bien, d’abord, j’ai choisi Günther parce qu’il ne parle que de lui ! Le tout a été de lui donner l’impression qu’il était avec quelqu’un sous la cloche, une amie par exemple ! Celle-ci écoute Günther, semble suspendue à ses lèvres, mais essaie de l’interrompre parfois… ou bien elle le flatte ! En tout cas, Günther continue inlassablement son quasi monologue ! D’ailleurs, la conversation a été enregistrée… Je vais vous la faire écouter ! »

    Ratamor démarre l’enregistrement, au milieu du cercle des journalistes, qui tendent une oreille attentive : « Alors, tu comprends, dit Günther, des fois je pars trop tôt, en randonnée, et je ne parviens pas à me réchauffer !

    _ C’est comme moi, je… répond l’amie fictive.

    _ A cet instant, j’ai quand même un truc…, coupe Günther. Je prends mon café en survêtement… et je mange du pain suédois, tu vois ?

    _ Très bien, celui avec des raisins secs…

    _ Non, le mien n’a pas de raisins secs… Mais alors, tiens-toi bien, en dessous du pull, il y a… double tricot !

    _ C’est pas vrai !

    _ Mais si ! Eh, mais qu’est-ce que tu crois ? Derrière, c’est plein d’expérience ! J’ai marché un peu partout ! Les chemins les plus durs, je les ai empruntés !

    _ Tu as fait le GR 90, celui qui passe par la Montagne bleue !

    _ Non, mais il est moins difficile que celui de la Montagne noire ! Etc, etc. ! »

    Ratamor coupe l’enregistrement et dit aux journalistes : « Vous voyez, Günther, à aucun moment, ne s’intéresse à autre chose qu'à lui-même ! La Chose là…, qu’on dit mystérieuse, envoûtante, à cause d’une soi-disant beauté, est absolument sans prises sur lui ! Il reste dans son monde, en l’occurrence ma cloche !

    _ C’est le même Dom avant et après !

    _ Exactement ! »

                                                                                                                              116

          Après le succès de la cloche, les médias prennent conscience que bien des Doms peuvent traverser la Chose en n’étant point affectés, comme s’ils y étaient totalement insensibles ! Les interviews, les portraits se multiplient ! On découvre un monde insoupçonné, une quasi nouvelle génération, des Doms qui ont tous un truc, pour ignorer la Chose !

    Ainsi Schmell ! un grand gars élancé ! un sportif visiblement ! en tout cas, quelqu’un qui se maintient en forme et qui court régulièrement ! Mais laissons-le s’exprimer : « Moi, il m’arrive de faire dix, quinze bornes dans la Chose, sans même la voir ! dit-il. C’est pas mon truc ! » Schmell donne toujours l’impression de « bouger » sur place et il regarde fréquemment sur les côtés ou derrière, ce qui fait penser qu’il est très nerveux !

    Il est en tenue de jogging et on se demande s’il en a une autre… « Mais attention, précise-t-il, je vais pas dans la Chose sans biscuits ! J’ suis un semi-pro ! Je sais ce que je fais, je vise la perf. ! Vous voyez ça ? Ma montre connectée ! J’ai tout avec elle ! Ma cardio, ma sudation, ma perte anhydrique, la longueur de ma foulée, bien entendu le nombre de kilomètres, les conseils d’ami : où je dois faire une pause, à quel moment boire, taux de vitamines, etc. Le satellite me suit et ma montre me renseigne ! J’ suis pas tout seul… et j’évolue au fil des diagrammes !

    _ De sorte que vous avez le nez sur votre montre et que la Chose, elle, elle ne peut rien contre vous !

    _ Voilà ! Elle a beau faire de grands signes, j’ la laisse derrière ! Elle tient pas la route, de toute façon ! Elle a pas le niveau ! » Ici, Schmell renifle, avant de reprendre : « Mais bon, j’ai encore un autre truc ! C’est pas un mystère, tout le monde peut faire pareil ! » Schmell tapote ses deux écouteurs ! « C’est mon monde, man ! Ma musique, mes tubes, sans stops ! J’ suis sur des rails avec ça ! C’est moi, le héros d’ l’histoire ! Le seul gagnant ! Je plane ! La Chose n’est plus qu’un vague décor ! C’est moi qui resplendit ! Le rêve est complet ! C’est magique !

    _ On imagine que la musique favorise la perf. !

    _ T’as mis « le doigt d’ssus, Jean » ! J’ m’éclate ! Et la Chose, elle ahane, elle souffre ! Elle est dépassée ! C’était bon dans les années 80 ! Mais aujourd’hui, hein ? Qui s’en préoccupe ? »

    On remercie Schmell et on passe à Hernoc ! C’est un personnage qui n’a pas l’air commode ! Il regarde les autres, comme s’il était outré de leur présence et qu’on lui devait des comptes ! Il est une sorte de gendarme sur Terre ! Mais Hernoc est en réalité agriculteur et donc face à des difficultés sans bornes ! Il faut se faire tout petit devant Hernoc, car c’est un martyr de la civilisation ! Mais il ne faut pas généraliser, bien entendu : Hernoc représente un type d’agriculteurs et il y en a d’autres, qui ne sont pas comme lui !

    Alors Hernoc, comment tu gères la Chose ? « La Chose ? Quelle chose ? demande Hernoc. Moi, j’ m’en fous d’ la Chose ! J’ fais mon boulot, c’est tout ! Si tout le monde faisait le sien, ben, y aurait deux fois moins d’problèmes !

    _ D’accord, mais vous travaillez dans la Chose… Vous travaillez même la Chose… et donc vous devez avoir des relations particulières avec elle ?

    _ Moi, la Chose, j’en fais ce que j’ veux ! Elle résiste pas à mon tracteur ! C’est d’ la pâte à modeler, la Chose ! J’ la coupe, j’ l’écrase, j’ la pulvérise ! J’ai des quotas à respecter, moi ! Y a un rendement à tenir ! Autrement, comment on nourrit les bêtes ? Vous êtes marrant, vous, les gens d’ la ville ! La Chose, quelle Chose ? Moi, j’ l’emmerde, la Chose ! Snif !

    _ Certains disent que vous l’empoisonnez…

    _ J’ l’empoisonne pas, j’ la traite ! J’ veux du travail impeccable ! A part mes plants, ça doit être lunaire ! Non, mais vous croyez que j’ai l’ temps de papillonner ? Faut que j’ m’en sorte, oui ou non ?

    _ Bien sûr !

    _ Voilà ! J’ vais vous dire la Chose, elle est à mon service, point barre ! J’ veux du grand, du complet ! Tout doit être nickel !

    _ Vous vous arrêtez jamais ?

    _ Pour que vous veniez piquer mes bottes ? Vous rigolez ! Vous n’aurez pas ma ferme ! Faut faire une croix d’ ssus ! J’ suis prêt à prendre le fusil !

    _ On dit que la Chose peut apporter la paix ?

    _ Et vous mangez d’ la paix ? Pfff !

    _ Mais vous n’avez pas l’air heureux…

    _ J’ s’rai heureux quand tu t s’ras barré ! Il est où mon chien ? Rex ! Viens, nom de Dieu ! Qu’est-ce tu fous avec les gens d’ la ville ? La Chose ? Mais c’est une carne de toute façon ! »

                                                                                                                       117 

          Je te parlerai du génie de la Chose ! comment le moindre fossé, le moindre buisson, le moindre « foutoir » d’arbres, le terrain le plus abandonné, le plus méprisé, le fourré inextricable, ignoré par les Doms, car absolument pas rentable, comment il peut être génial !

    Il suffit que la lumière vienne le « fouiller » un peu, surtout la lumière dorée du soir, en hiver ! Les branches nues montrent alors toute leur élégance, leur magie ! Certaines sont humides, avec des bourgeons blancs, et on dirait des fouets de diamants, avec des couleurs roses ! Peux-tu imaginer ça ? Il y a encore des bouquets de lumière, dans des zones d’ombre légèrement mauves, comme si elles étaient un peu glacées !

    Le Dom ne voit là qu’un fatras, alors qu’il n’y a pas plus fin, de plus délicat, de plus serti ! L’enfant bat des mains devant le génie, il chante sa gloire ! C’est plus fort que lui, comme l’oiseau gonflé par sa force ! Le Dom, lui est toujours mécontent, méfiant, en colère, plein de projets et de soucis ! Le Dom construit et envahit ! Il ne sait pas voir, ni se reposer, ni aimer, ni s’enchanter ! Et il se croit responsable, adulte !

    Il est dans une frénésie sans fin et il dévore sa planète ! Les maisons et le béton écrasent les pierreries, les fêtes de la lumière, les dialogues entre les buissons, leur enlacements intimes, leur lutte à mort aussi ! Le béton, c’est les problèmes des Doms, qui ne savent pas vivre en paix ! C’est la laideur en marche ! Ce n’est pas au génie de la Chose de disparaître ou de changer, c’est au Dom d’ouvrir les yeux, ne serait-ce que parce qu’il n’est pas heureux, qu’il est violent et dans une impasse !

    Le génie de la chose est gratuit ! Chacun peut en profiter ! Il est dans un brin d’herbe et même dans une flaque entourée de boue ! Le génie de la Chose apporte la sécurité et la joie, l’espérance ! Nul ne peut le voir, s’il est concentré sur lui-même et son égoïsme ! Nul Dom ne peut le comprendre et s’en régaler ! Les fêtes de la lumière sont ineffables ! L’infini est dans le fossé, dans la moindre parcelle de la Chose ! L’enfant s’en illumine, en découvrant tous ces trésors ! Il est subjugué ! Le monde des Doms lui paraît loin… et si prévisible, et si chaotique et si malheureux, car les Doms écrasent les Doms ! Et si envahissant ! Et si bête aussi ! Les merveilles sont là et les Doms s’en moquent ! Eh ! Ils ont de sacrés problèmes ! Ont-ils faim ? Sont-ils malades ? Non, ils ont une sorte de damnation qui pèse sur leurs épaules ! Ils ont le visage fermé par la souffrance ! Quel est leur problème ? Mystère ! A moins que ce ne soit la soif de leur ego ?

    Le Dom traîne sa misère et méprise la Chose, comme s’il la connaissait ! Le Dom est parfaitement ignorant au sujet de la Chose ! Par contre, la Chose, elle, connaît par cœur le Dom ! L’enfant, qui a de l’expérience, lit à travers le Dom, comme par une fenêtre ! L’enfant rit parfois du Dom, ce lourd prisonnier sans prison ! Le Dom détruit, la Chose rayonne ! Le Dom prend, la Chose donne ! Le Dom grimace, la Chose sourit ! Heureux l’enfant qui voit la merveille qu’est la Chose, le monde des Doms, à jamais, n’est plus le sien !

    Je te parlerai de la beauté ineffable, infinie ! Heureux celui qui la voit, car il est sauvé ! Son cœur est celui de l’enfant qui admire ! Ses yeux voient ! Il est dans le monde de Dieu ! Il rayonne dans la Chose ! Il est enfant de la création, il est enfant de Dieu ! Il sait des secrets ! que tout est magie, enchantement, génie et rêves ! Il n’est plus en face du vide des Doms ! La femme est belle, mais heureux celui qui se réjouit de la lumière !

    Je te parlerai de la beauté inouïe, géniale et infinie, mais les mots sont faibles ! Les mots sont les mots ! Il faut travailler avec eux et la pensée, mais la beauté pénètre l’enfant comme un rayon ! Je te parlerai aussi du monde des Doms et de sa laideur, car il naît de la peur, de la fermeture et de l’ignorance ! Il est obscurci par la lâcheté et l’égoïsme, qui est de la peur ! Je te parlerai des fausses fêtes des Doms, de leurs coups de dents sous les sourires, de leur folie !

    Le monde des Doms attaque la beauté et la détruit ! Ainsi, il se condamne à la nuit ! à la mort et aux larmes ! Le monde des Doms n’a pas d’issue ! Plus il dévore la beauté et plus il devient malade et ignorant ! N’écoute pas le Dom ! Il se croit sérieux et il ne l’est pas ! C’est un enfant perdu ! Il croit savoir et il ne sait pas !

    Va dans la Chose ! Elle t’expliquera ! Tu l’écouteras et elle te racontera ! Elle te dira combien elle t’aime ! Et ton cœur sera gonflé ! Tu chanteras alors la beauté, car tu seras sauvé ! Tu auras pitié du Dom, mais le chemin est long, car le Dom est dur ! Tu seras consolé et tu chanteras la gloire de la beauté et la puissance de Dieu, qui est ineffable, infini et qui t’aime tant !

                                                                                                                   118

          « Combien tu vends ton pays ? Hein ? Dis ton prix ! Je veux acheter ton pays ! Je le veux, c’est tout ! Ce serait génial, si tu vendais ton pays ! Pourquoi tu ne veux pas le vendre ? Je le veux ! Allez, donne-moi un prix ! On peut s’arranger ! Si tu ne veux pas, je vais te faire des crasses ! Je peux te faire des crasses, comme tu peux même pas imaginer ! Hein ? Alors, tu le vends ton pays ? Allez ! Tout est à vendre de toute façon ! Tout a un prix ! C’est moi qui commande et je veux acheter ton pays ! C’est pas plus compliqué que ça ! »

    « Pourquoi j’aiderais les autres ? Si j’aide, faut me donner aussi ! C’est le deal ! Ce que je supporte pas, c’est qu’on profite de moi ! Il y a des gens qui pleurent et qui sont pauvres, ils n’ont qu’à travailler ! Si on veut, on peut ! Y en a marre d’assister ! Moi, je dépends de personne ! Je me suis fait tout seul ! Et il y a les chiffres ! On est en déficit et on ne peut plus donner ! Cela fait des années qu’on nous prend pour des poires et on donne, on donne ! Ça suffit ! On ferme le robinet ! J’ comprends pas pourquoi il faudrait aider les autres, ça me dépasse ! »

    « J’ vais montrer au monde ce qu’est d’être efficace ! Je vais me débarrasser de tous les parasites ! Les faibles aux oubliettes ! Seuls survivront les plus forts ! Moi et quelques autres ! On a déjà trop aidé les faibles ! Allez, ouste dehors ! Je suis arrivé en haut, parce que je suis fort, alors pourquoi pas eux ? Je n’ai plus peur depuis que je commande ! On guérit de sa peur par la puissance, en faisant le monde à son image, en le contrôlant ! Que le plus faible soit écrasé, qu’est-ce que ça peut faire ? »

    « Mon ego partout et toujours ! Il faut qu’on parle de moi encore et encore ! Je suis le centre de tout, l’intérêt de tous ! Tout le monde est suspendu à mes lèvres, à mes décisions ! Seul moi existe, comme Dieu ! Je dirige le monde ! Je dis à celui-ci : « Va ! » et il va ! Je dis à cet autre : « Arrête ! » et il arrête ! Alors pourquoi ne veux-tu pas me vendre ton pays ! Parce que tu as une âme ? Ah ! Ah ! Qu’est-ce que c’est ? Tout se vend et tout s’achète ! Je ne comprends ni la culture, ni l’histoire ! Cela ne m’intéresse pas ! Seul je compte et si tu veux mon aide, il va falloir payer ! »

    Ainsi parle le vent… et le Dom ! Ainsi va la poussière… et le vide ! Ainsi est la superficialité, qui a aussi son rôle ! Ainsi est rendue ridicule la guerre, par l’argent et le commerce ! Tuer est ringard, puisque tout est disponible sur le Net ! Pourquoi envahir, quand on peut acheter ? Ainsi la bêtise et la cupidité servent la sagesse, ce vieux diamant, caché dans la terre ! Ainsi évoluent les Doms malgré eux ! Ainsi la planète est plus petite, à cause de la soif de puissance ! Ainsi on se regarde dans les yeux, parce que l’ego est énorme ! Ainsi le mensonge paraît anodin, tant l’ego submerge ! Ainsi le secret paraît dépassé, puisque l’ego rayonne ! Ainsi la paix avance malgré tout, puisque les armes sont vieilles, par rapport à l’argent !

    Mais la sagesse, ce n’est pas l’ego bien entendu ! L’ego écrase et ne résout rien ! L’ego gonfle comme un ballon et s’en va, de sorte qu’on l’oublie ! L’ego, c’est du bruit, tandis que la sagesse est silencieuse ! Ainsi est la Chose ! Elle ne dit rien apparemment ! Elle paraît vide, inerte, avec son train-train : les oiseaux chantent, le ruisseau coule et les fleurs fleurissent ! A quoi bon ? L’ego hausse les épaules ! Il a mieux à faire ! Il dirige le monde ! Et il fait des déclarations et il signe des décrets et il s’use, se vide et s’en va !

    La Chose parle pourtant… Elle crée ce vieux diamant, caché dans la terre, appelé Sagesse ! Celle-ci est très curieuse… Elle est là où on ne l’espérait pas ! On est surpris de la trouver, chez un Dom ou un autre ! Elle est comme un vieux soldat debout, à cause d’une alchimie assez mystérieuse ! Car la sagesse est un désir de vérité, de paix ! On sent qu’elle est nécessaire pour évoluer, au contraire du mensonge, qui ne permet rien de durable ! La sagesse repousse comme la mauvaise herbe…, malgré la puissance, le pouvoir, le bruit de l’ego ! C’est comme un petit ruisseau, qui ne tarit pas, et que chacun connaît plus ou moins, où on peut toujours boire, qui n’est jamais vraiment inconnu ! qui repose, qui donne de l’espoir, qui fait qu’on se tient soi-même sur ses jambes, qui offre de la dignité !

    Heureux celui qui aime la sagesse, qui a ce diamant dans le cœur ! C’est le don de la Chose, pour l’enfant qui l’aime, c’est son trésor, pour son amoureux ou amoureuse ! C’est le diamant de la beauté ! son cadeau ! L’enfant va sur le chemin, libre et léger, sous les yeux doux de la beauté ! Il chante la sagesse, car il est en elle ! Il est comme l’oiseau, mais sans ses inquiétudes et sa domination ! Il peut même apaiser l’oiseau ! L’enfant rit plein de sagesse ! C’est le cadeau de la beauté ! Alors que l’ego écrase le monde des Doms, tant il est stupide !

                                                                                                                       119

          Dieu rit dans l’enfant sage ! Dieu montre à l’enfant sage son génie et l’enfant sage s’en émerveille ! Car ce génie est fait d’amour ! L’infini est fait d’amour ! Heureux celui qui voit le génie de Dieu ! Il a le cœur de l’enfant, sa confiance, sa candeur !

    Dieu n’est pas avare, il est infini ! Peut-on se représenter une beauté infinie ? L’art ne saisit qu’une infime partie de cette beauté, une minuscule partie, une partie même dérisoire et qui pourtant témoigne de cet infini et qui pourtant fait que l’artiste s’enchante de son travail : il n’est pas en effet Dieu et il ne possède pas la lumière du soleil ! Il a un média, l’écriture, la peinture, la musique, etc. et c’est déjà magnifique, mais ce n’est pas la lumière, ni l’amour ! C’est moins souple, moins puissant, mais l’artiste n’est qu’un homme et il doit le comprendre !

    Il est des artiste qui ne sont pas des enfants et qui ne s’enchantent pas du monde ! Ils peuvent être des artistes de très grandes valeurs, sans louer Dieu ! Pourquoi pas ? L’amour n’est pas une loi ! Mais Dieu rit dans l’enfant sage ! Il lui montre tous ses trésors, tout son génie et Dieu et l’enfant sage se réjouissent ! Celui qui voit le génie de Dieu ressent un bonheur ineffable ! Son cœur s’envole et se met à chanter !

    Alors pourquoi tant de Doms et tant de souffrances ? A cause de la peur essentiellement ! L’égoïsme au fond n’est rien d’autre que de la peur ! On méprise par crainte ! On se ferme par peur ! On se barricade et on frappe pour la même raison ! On triomphe même, pour faire taire absolument la peur, comme si on pouvait s’asseoir dessus, avant qu’elle ne disparaisse ! Ainsi le Dom reste Dom, par peur ! En cela il est condamnable ! Car on lui demande seulement un peu de courage, ne serait-ce que pour son bien ! La haine empêche ce petit regard de côté, ce petit effort de jugement ! Elle aveugle et entraîne au pire !

    Paschic souffre toujours, de toutes ces années de stress et de chagrins, à cause de la Machine ! Ce qui est terrorisant, c’est de ne voir nulle part une main amie, de se sentir toujours un étranger, d’être rongé par l’incompréhension ! Alors, le simple fait de tenir debout est une épreuve ! L’injustice aussi détruit, mais comment raisonner des Doms qui ont peur ? Paschic souffre depuis des années de digestions difficiles ! La peur a rendu son intestin hypersensible ! Cela peut paraître anodin, mais ce sont des insomnies, des fatigues sans fin, de la dépression, des douleurs insondables ! Ainsi Paschic est aussi la victime de la peur des Doms et il pourrait dire qu’il n’y a pas de Dieu, puisqu’il souffre, que son chagrin lui aussi est infini !

    Ainsi l’hiver est difficile ! Car l’effort physique, le fait de se sentir en forme et d’être capable de lutter, donnent le sentiment d’avancer, rassurent ! Mais l’hiver enferme, cloître et inquiète ! Beaucoup de Doms vont à la catastrophe, par angoisse et impatience ! Ils se blessent, sont victimes d’un accident ou mettent le feu à leur logement ! C’est la catastrophe de l’hiver ! C’est la peur qui ne trouve pas de remèdes ! Car l’hiver dépouille et oblige à faire les comptes ! Qu’est-ce qui nous tient, nous ancre, nous console ? Quel est notre repère ?

    Au-delà de ses souffrances, Paschic garde les yeux sur son trésor ! C’est sa foi, sa confiance, qui le fait résistant à la peur, qui lui conserve sa paix ! Ainsi il ne chavire pas dans la haine, le ressentiment ! Car Paschic pourrait en vouloir aux Doms, aveugles et qui piétinent et qui détruisent ! Mais il garde sa force et reste lucide, compréhensif !

    A priori, la force semble la domination et le monde aujourd’hui en est la surenchère ! C’est à qui dominera l’autre ! Mais la domination ne guérit pas la peur et c’est pourquoi elle est sans fin et destructrice ! Le Dom a toujours besoin de dominer, pour échapper à sa peur et même la nier ! C’est dire s’il fait des victimes ! Car beaucoup sont méprisés et jugés inférieurs, pour satisfaire le Dom et qu’il sente son pouvoir !

    Au contraire, l’enfant sage ou de lumière n’a pas besoin de dominer ! Il se rappelle les merveilles de la Chose et de l’enseignement de la beauté ! C’est la foi, la véritable force ! C’est elle le remède à la peur, mais dès que la foi conduit à la haine, alors elle n’est plus la foi ! Aucune haine dans la foi !

    Le Dom se moque de l’enfant de lumière, qui s’enchante de la beauté ! Cela lui paraît puéril et naïf et comment pourrait-il en être autrement ! C’est encore la peur qui produit le mépris du Dom ! L’enfant de lumière ne peut espérer la justice, car il ne peut pas guérir la peur du Dom comme ça, d’un coup de baguette magique ! C’est au Dom de s’apaiser, de guérir lui-même ! L’enfant de lumière doit accepter d’être incompris, mais que lui importe puisqu’il est compris et aimé de Dieu ! N’est-ce pas suffisant, n’est-ce pas là son immense chance ?

    Et au printemps, il rira avec Dieu de la fête de la Chose, de ses splendeurs infinies, car ils s’aiment tous les deux et se comprennent !

  • L' attaque des Doms (110-114)

    R68

     

                "J'offre à mon frère des clubs de golf en or!"

                                                             Le Parrain

     

     

                                                  110

          Rien ne va plus à Domopolis ! Le marasme le plus complet atteint les Doms ! Regardons-les souffler et laisser tomber leur cabas, dans un geste plein de lassitude, devant la corvée de faire leurs courses ! Eh oui ! Il faut encore acheter de quoi se nourrir ! Quelle peine ! Quelle routine absurde ! Tiens, il vaudrait mieux que les étals soient vides, que nous souffrions de la faim, plutôt que d’avoir toutes ces richesses à portée de mains ! Un seul légume, un seul fromage, un seul pain et l’affaire serait réglée en une minute ! Tandis que là, nous croulons sous le choix ! Quel ennui ! Quelle poisse ! On ne nous épargne rien ! Mais pour qui nous prend-on ? Pour des oies qu’on gave ? Nous en avons marre d’habiter un pays de Cocagne ! Nous voulons des mouches dans les yeux, des côtes saillantes, comme d’autres ailleurs ! Nous voulons leur chance, leur liberté d’esprit, voilà !

    Et s’il n’y avait que ces magasins pleins à ras-bord ! Mais on nous tourmente même sur les terrasses ! On est là bien tranquilles, devant un petit verre, avec quelques amis, les jambes allongées, enfoncés dans son siège, eh bien, on fait quand même triste mine ! On boude ! L’ennui se lit sur nos visages ! Et pourquoi ? Mais parce que rien ne nous motive ! Parce que la situation est sombre ! Pleut-il des bombes ? Les chars sont-ils aux portes de la ville ? Ne peut-on pas dire ce que l’on pense, sous peine de prison ? Est-on surveillé ? Mais non, on ne sait pas quoi faire, c’est tout ! On n’est pas éclairé, voilà ! Car dans le fond il n’y a rien ! On vit, mon meurt et c’est terminé ! Le ciel est vide, comme nos cerveaux ! La vérité ? Bof, elle est relative… Non, non, on « trouve pas où mordre » ! Manque la passion, quoi ! Bien sûr, on pourrait manifester contre le gouvernement, mais on n’est plus assez naïf ! Alors, on est là… et on s’ennuie ! Ce n’est pas notre faute, on sait pas où chercher ! Et puis chercher fatigue ! On préfère faire la grimace… et même haïr ceux qui paraissent plus heureux ! Qu’est-ce que c’est que ces gens déterminés, qui avancent d’un pas fier, qui ont l’air riches intérieurement ? Des parvenus sans doute ! De plus chanceux ! Nous, on ne nous a jamais rien donné ! A quoi sert notre liberté, qui est totale ? On boira un autre verre, il n’y a que ça à faire !

    Mais Domopolis, soucieuse des maladies mentales, agit ! On trouve des distributeurs de boucs-émissaires à chaque coin de rue ! On glisse sa carte dans l’appareil et il ne reste plus qu’à choisir, sur qui on va taper ! avec des options ! Par exemple, si on appuie sur la touche Gouvernement, il est possible d’obtenir, en plus de laisser son message de haine, une tenue complète de manifestant ! Tout y est : la cagoule, la pierre, quelques adresses de vitrines, des conseils contre les fumigènes, etc. ! Pareil pour les Immigrés ! Des places de parking à l’aéroport, pour les regarder partir ! Des numéros pour les dénoncer ! Des masques de mépris pour les regarder ! Des tee-shirts avec le slogan : « Parle Dom ! Ou j’ t’assomme ! »

    Ces distributeurs doivent soulager, apaiser, donner un exutoire ! On craint une nouvelle génération dépressive, dans son monde, incontrôlable ! La psychologue Lapsie n’a-t-elle pas déclaré dernièrement, à la télévision : « La détresse psychique ne passera pas par moi ! Le coupable, c’est le pervers narcissique ! On l’aura, je vous le promets ! Tenez bon ! » Évidemment, ce bouc-émissaire est éminemment présent dans les distributeurs, avec une pince à châtrer en promotion ! Non, Domopolis ne se laissera pas faire ! Ni par la Chose, ni par le marasme !

    Certains ont imaginé que la Chose pourrait aider contre le vide! Voyez-vous ça ! C’est le défilé des illuminés ! Comme si la contemplation de la beauté pouvait apporter quelque chose ! Si cela était, ça se saurait ! Et puis, ça voudrait dire de mettre son ego en veilleuse ! Cela voudrait dire que sa haine, son mépris, il faudrait les contrôler ! Il faudrait…, non, nous n’osons pas dire le mot, mais il faudrait chercher ! réfléchir même ! Quel horreur ! Prendre sur soi ! Quelle ignominie, alors que tant d’autres se gavent, profitent, commandent, se rient de nos peines !

    Comment arrêter de penser à soi ? lutter contre sa peur ? Apprivoiser le silence, la solitude ? apprendre à regarder ? Comment affronter le soi-disant néant, accepter l’humilité, renoncer au pouvoir, à la domination ? Comment s’efforcer de comprendre et d’aimer ? Comment attendre, ne serait-ce que patienter une seconde ? Impossible ! D’ailleurs, les coupables, on les connaît ! Ils sont dans les distributeurs de boucs-émissaires, en toutes lettres !

    Qu’est-ce que le blé qui ondoie aurait à me dire ? Pourquoi le bruissement du maïs m’enchanterait ? Le carabe est-il courageux ? Et l’eau, on la boit, non, n’est-ce pas suffisant ? Tu dis que l’herbe se balance dans son cours, comme le bras d’un tourne-disque ? Que tout dans la Chose scintille et n’est que merveilles ? Que je pourrais beaucoup apprendre, en regardant cela, en aimant cela ? Non mais, pour qui tu me prends ? Pour une bille ? Moi, le Dom, je vais te dire ce qui ne va pas ! Tu sais combien j’ai payé d’impôts, l’année dernière ? J’ vais t’ l’ dire, moi ! Car, moi, je suis important ! Je compte, moi ! J’ bosse ! J’ai des droits ! Et faut pas venir m’emmerder !

                                                                                                                111

    Ici, la lumière scintille sur le mur, après avoir traversé un arbuste trempé du jardin… On dirait qu’elle joue du piano, avec des pierreries… ou, à côté, elle forme les arcades d’un palais ensoleillé, sous lesquelles on pourrait même s’imaginer ! Dans le même temps, la pluie tinte sur les rambardes des fenêtres, en produisant un son mélancolique, comme si les heures elles-mêmes regrettaient de passer ! La paix est palpable et repose… C’est l’hiver après tout…

    Mais, au Centre de la santé mentale de Domopolis, l’ambiance est toute différente ! D’abord, l’accueil est surchargé et les chiffres sont alarmants ! Des jeunes ne cessent de se présenter, avec ou sans leurs parents, alors que partout des psychologues et des médecins se retrouvent devant des cas de plus en plus nombreux et dans l’impossibilité d’y répondre, tellement les problèmes soulevés sont profonds et apparemment dépourvus de solutions !

    Mais le professeur Trente est un des ces héros de la psychiatrie moderne ! A l’aise, souriant, il rassure ! Mieux, il a l’air d’en avoir beaucoup vu et de dire qu’on ne « lui la fait pas » ! Il faut ajouter à cela une fausse humilité, qu’il perçoit pourtant comme vraie, et qui sied si bien au savant ou au chercheur, obligatoirement modeste face au colosse de l’objectivité !

    Trente reçoit en consultation aujourd’hui le Dom Quinze, c’est son âge, comme le professeur est aussi deux fois plus vieux que lui ! Trente et Quinze donc face à face, dans le silence endormant du cabinet ! « Alors Quinze, ça boum ! demande Trente.

    _ Super !

    _ Bien ! On m’a quand même dit que t’avais des problèmes d’attention…

    _ Ouais, grave !

    _ Raconte-moi un peu ça, veux-tu…

    _ Eh bien, je suis allé à la périphérie de Domopolis… Là où commence la Chose…

    _ D’accord…

    _ J’ai découvert là-bas une faille… Elle est gigantesque ! On n’en voit ni le fond, ni la fin !

    _ Il est possible qu’il y ait des mouvements de terrain par là !

    _ Vous n’y êtes pas du tout ! On est en train d’ foutre le camp !

    _ Qu’est-ce que tu veux dire ?

    _ Domopolis est en train de décoller, de s’arracher du sol… On se sépare de tout, même de la Chose ! Nous, on va s’élever dans l’air… et la Chose, elle, elle va rester !

    _ Je vois…

    _ Non, vous ne voyez rien du tout ! Une fois qu’on va flotter, plus rien ne retiendra la ville et nous finirons par rejoindre l’espace !

    _ Domopolis dans les étoiles, pas mal, ça !

    _ Comment peut-on être crétin à ce point ! Comment tu feras pour respirer dans l’espace, toi, sans oxygène ?

    _ Effectivement, c’est un problème !

    _ Un putain d’ problème, ouais ! Vous, les adultes, vous êtes dans vos affaires et vous ne comprenez pas c’ qui s’ passe ! Mais on va tous y rester ! Et pourquoi ? Parce qu’on n’aura pas retenu la ville ! Parce qu’il n’y a rien dans l’espace ! Rien !

    _ Et c’est ça qui t’angoisse ?

    _ Un peu, ouais ! A la dérive dans le silence glacé, de la nuit cosmique ! Y a d’ quoi avoir les foies !

    _ Je vois (Il prend des notes).

    _ Eh ! Mais qu’est-ce que vous écrivez ? J’y crois pas, man ! T’es en train d’écrire un rapport sur moi ! J’y crois pas !

    _ Mais non, ce sont juste des choses pour moi, pour mieux te connaître !

    _ Fais voir ! (Il saisit le bloc du professeur). « Quinze, angoissé, tendance schizoïde, perte de repères, voir la mère… » Mais bon sang, pour qui tu t’ prends, le prof ? J’ croyais qu’on devait s’ faire confiance ! Mais tu m’ juges !

    _ Je t’assure que non ! Mais je dois aussi soigner et… comprendre !

    _ Ce que tu devrais comprendre, man, c’est que c’est à cause de gens comme toi qu’on est à la dérive ! des gens qui croient savoir ! Mais tu la vois pas toi, la faille ! Le vide, tu le sens pas !

    _ Je te signale tout de même que je connais mieux la vie que toi ! D’abord, j’ai un métier, je ne dépends de personne ! J’ai aussi une famille, des enfants et je suis bien intégré ! Pour l’instant, tout ça t’échappe, mais un jour ou l’autre il faudra que tu cotises pour ta retraite, sinon gare à la casse !

    _ Alors, c’est ça le sens que tu donnes à la vie ? payer ses impôts ?

    _ Remplir ses devoirs à l’égard de la société et sa famille, ce n’est nullement négligeable !

    _ Mais, bon Dieu, il est où l’amour là-dedans ? Et l’espoir et la force ? Elle est où la lumière ? Au fond, t’es content de toi, Trente, ou devrais-je dire Soixante ?

    _ Eh bien, Deux, on va s’arrêter là pour aujourd’hui… On est parti sur de mauvaises bases…

    _ Va t’ faire foutre ! »

                                                                                                                     112

          A bord du vaisseau Dom 45TY550°, on peut avoir recours à une simulation du Rêve blanc, afin d’échapper au sentiment d’angoisse, produit par la longueur des voyages spatiaux… Ainsi, le Général, qui commande le vaisseau, se retrouve dans l’ambiance complètement aseptisée d’un hypermarché de Domopolis ! Le plus ici, c’est que le client bénéficie de l’apesanteur et voilà le Général flottant mollement parmi les rayons, s’endormant presque, avec le sentiment de sécurité donné par la propreté impeccable et la richesse des marchandises !

    Baigné par une douce musique, le Général trompe son ennui, caressant la vaisselle étincelante et la douceur des tissus, comme si les spots représentaient un soleil artificiel, ou mieux une sorte de paradis de la blancheur, où le monde du dehors n’existe plus ! Le Général se meut tel un poisson dans l’eau et côtoie sans peine d’autres clients, car le programme a tenu à reproduire au plus près la réalité ! Il y a même une queue en caisse, à cause du Général, puisqu’il se plaît à discuter avec la caissière, pour échapper au sentiment de sa solitude !

    Mais n’agit-il pas de cette manière comme la plupart des clients de Domopolis ? Ne fréquente-t-on pas ordinairement le Rêve blanc, par désœuvrement et à la recherche d’un peu de sympathie ? Ne consommons-nous pas souvent pour combler un vide ? Acheter peut même devenir une drogue, puisque cela nous donne l’impression d’exister, d’avancer ! C’est un remède à l’angoisse !

    « Général, excusez-moi, mais vous devez venir toute suite ! dit le Dom passerelle, dans le haut-parleur.

    _ Mais il y a une promotion sur les confitures…

    _ Général, c’est vraiment sérieux !

    _ Bon, bon… Mais on n’a jamais le temps de faire ses courses ici ! »

    Le Général sort du programme et se dirige vers le poste de commandement : « Alors, qu’est-ce qui se passe ? demande-t-il.

    _ Nous sommes devant une barrière invisible et infranchissable ! répond le Dom passerelle.

    _ Impossible n’est pas Dom ! En avant toute !

    _ Général, il est possible que vous soyez encore sous l’effet euphorisant du Rêve blanc ! Nous avons tout essayé et à chaque fois nous sommes repoussés ! Pas violemment, mais repoussés tout de même !

    _ Ouais, et qu’est-ce que vous en dites, vous, le Dom spécialiste ?

    _ Eh bien, je ne sais pas ! Nous avons affaire à une matière inconnue… En tout cas, nous subissons à son contact une forte répulsion…, à un tel point que nous pourrions être en présence de ce qui fait notre contraire !

    _ De l’anti-Dom ?

    _ Possible !

    _ Ici le Gardien, fait une voix. Vos efforts sont inutiles : les Doms ne passent pas la Porte !

    _ Hein ? Qui êtes-vous ? Et quelle est cette Porte ? Je vous rappelle que les Doms sont les maîtres partout !

    _ Si vous voulez… Mais je suis le Gardien et je vous assure que justement seuls ceux qui ne sont pas des Doms sont accueillis, au-delà de la Porte !

    _ « Justement ceux qui ne sont pas des Doms... », c’est du racisme ? Cela peut devenir un casus belli, vous savez ?

    _ La Porte est faite de telle sorte qu’elle est hermétique à la domination !

    _ Voyez-vous ça… C’est incompréhensible, car qu’est-ce qu’il y a d’autre que la domination ? Sans force, nous disparaissons !

    _ Pour se débarrasser de la domination, il faut d’abord lutter contre sa peur…

    _ Je vois… Tu es une sorte de Gardien à énigmes ! On te paye pour « enchoser » les gens qui passent, pas vrai ?

    _ Si je pouvais vous rassurer, vous seriez plus à même d’entrer… Mais on en est loin…

    _ Me rassurer ? Moi, un général Dom ? Sache que je commande le vaisseau 45TY550°, armé de dix mille canons « fractureurs »… et que tout l’espace est à moi, t’entends ? A moi !

    _ Pas la Porte malheureusement…

    _ Il se moque de nous, Général, fait le Dom spécialiste.

    _ Je sais… je sais.. Dis donc, Gardien, alors qui passe la Porte ?

    _ Je l’ai dit, ceux qui n’ont plus de domination, qui n’ont plus peur et qui aiment… »

    A cet instant, des langues de feu filent autour du vaisseau, avant de disparaître derrière la Porte ! « Et ça, qu’est-ce que c’est ? Des VIP ? s’écrie le Général.

    _ Des consciences transformées ! répond le Gardien. Elles se sont accrochées au Mystère et l’ont aimé...

    _ Je suis soudain fatigué, dit le Général.

    _ Mais non, assure le Dom passerelle.

    _ Si ! Je voudrais me reposer…

    _ Mais vous sortez du Rêve blanc ! »

                                                                                                                   113

          Un Dom entre violemment dans le cabinet de son médecin : « Doc, je n’en peux plus ! Je ne supporte plus Domopolis !

    _ Nous allons voir ça, asseyez-vous !

    _ Tout ce trafic ! Mes chefs ! La météo pourrie ! C’est trop, beaucoup trop !

    _ Je vois…

    _ J’ai le dos broyé, des douleurs digestives, des palpitations ! J’ai mal à la tête !

    _ Hum !

    _ L’autre jour, j’ai essayé de me reposer devant la télévision, jusqu’à ce que je m’aperçoive qu’elle avait saisi mon cerveau ! Elle l’avait emprunté et jouait avec ! J’ai crié comme un veau qu’on égorge !

    _ Mais…

    _ Vous savez de quoi je rêve ? Que mon intestin soit comme un conduit en PVC, parfaitement pur ! Alors, je jeûne, je jeûne !

    _ Il faut être…

    _ Je hais mon prochain, vous savez ! Si, si, je le hais !

    _ Enfin, calmez-vous...

    _ Doc, cette société nous broie ! Elle veut notre peau !

    _ Allons, ce n’est pas…

    _ Ils sont partout ! Ils rient de nous !

    _ Qui ça ?

    _ Mais eux !

    _ Qui ça eux ?

    _ Mais vous savez bien ! Ceux qui ont le pouvoir, ceux qui dirigent tout ! en sous-main ! On ne les voit jamais, mais nous sommes leurs marionnettes !

    _ Manifestement, vous êtes nerveux…

    _ Il y a de quoi, non ? On décide pour nous… J’aimerais hurler ma haine !

    _ Écoutez, je vais vous donner un arrêt de travail… Vous avez besoin de souffler ! »

    A ce moment, une sirène se met à retentir, alors qu’un gyrophare se déclenche, plongeant le cabinet dans une ambiance de catastrophe ! Puis, une voix métallique dit : « Médecin 459 BR, vous ne pouvez délivrer un arrêt de travail, sans raison valable ! Les nouvelles directives, au regard du déficit du système de santé, ne vous y autorisent pas !

    _ Je sais, bon sang ! Mais regardez dans quel état est cet homme !

    _ Ne peut-il pas se mouvoir physiquement ?

    _ Si ! Mais il ne va pas bien nerveusement ! Il lui faut du repos !

    _ Tss, tss ! Tous les mêmes ! Des tire-au-flanc ! En tout cas, vous savez ce que vous risquez ! La radiation pure et simple !

    _ Quel est le grand problème de nos sociétés ? C’est la santé mentale !

    _ Le déficit…

    _ Mais bon sang, c’est la santé, la priorité ! Or, les affections mentales sont légion ! Le but de l’homme, c’est l’homme ! Il va falloir vous y faire !

    _ Nous n’avons plus de sous !

    _ Marre à la fin ! Je vous coupe ! »

    Le médecin arrête l’alerte et le cabinet redevient silencieux ! « Vous pensez que je suis fou ? demande le patient.

    _ Mais non, répond le médecin, encore agacé. Mais vous faites sans doute de la dépression…, de la paranoïa aussi sans doute…

    _ Je vois, vous êtes un des leurs, c’est ça ? J’aurais dû m’en douter ! Vous êtes un d’ ces bobos poques ? un d’ ces privilégiés, qui prônent la compréhension, bien à l’aise dans son intérieur !

    _ C’est ça ! Vous m’avez percé à jour ! Je suis un représentant du mainstream, chargé de vous neutraliser !

    _ Bas les pattes, doc ! »

    Le patient sort une arme et la braque sur le médecin. « Mais, bon sang, à quoi vous jouer ? demande celui-ci.

    _ C’est un domiseur, doc ! Vous voyez que je ne plaisante pas !

    _ Allez, laisser ça…

    _ Il y a longtemps que je me demande quel rapport entre le Deep State et la Chose… En fait, il n’y en a pas, car c’est une seule et même entité ! Maintenant, suivez mon raisonnement… En vous envoyant un coup de domiseur, puisque vous êtes déjà un Dom, je vous reconduis d’où vous venez, dans la Chose !

    _ Cela me semble hasardeux…

    _ Adieu, doc ! »

                                                                                                                        114

         Paschic arrive dans un drôle d’endroit… C’est un territoire psychique, qui prend un air de kermesse ! Il y a des stands de restauration et des jeux aussi ! On y marche sur un champ devenu boueux, avec la pluie ! Tout le monde est habillé pareil, en jean, car on veut se montrer « cool », sans recherche voyante ou luxueuse !

    On entend de la musique, des gens sourient, des enfants jouent… C’est l’image d’un monde communautaire, soudé, engagé, harmonieux, respectueux de la planète ! On sent qu’y brille un idéal, dont les participants sont fiers… et pourtant, pourtant on y écoute des discours de haine ! Il est vrai qu’on y hait un « méchant », un profiteur, un Dom sans foi ni loi, un destructeur tout noir, impitoyable, un ennemi absolu de l’humanité… et donc, on méprise et on déteste pour la bonne cause ! On crie sur le diable, car c’est lui qui empêche le bonheur ! Tant qu’il sera là, ce sera la nuit et la peine !

    Mais quelle est cette tête de Turc ? Quel est l’homme à abattre ? Quel nom porte le croquemitaine ? Mais c’est Dominator ! Toute la fête est pour mobiliser contre lui ! Les tribuns, qui se succèdent, appellent d’ailleurs à le huer et citent ses méfaits, ses mille crimes, son action dévorante et négative ! Les Doms présents lèvent le poing, s’excitent, car pour eux l’ignominie de de Dominator ne fait aucun doute !

    Paschic, lui, se sent un étranger, parmi cette foule… Il sait comme les choses sont complexes, ne serait-ce que parce que nous avons tous peur ! C’est elle qui conduit à la haine, à celle de Dominator, comme à celle de ses ennemis ! Ainsi, tous ceux qui sont là ont autant peur de la vie que Dominator lui-même… et par là, ils sont bien plus proches de leur « diable » qu’ils ne le croient !

    C’est la paix, l’absence de peur, qui fait la force et qui permet « d’accueillir », de comprendre la différence et quel rôle elle a ! C’est la paix qui permet de ne pas haïr ! C’est essentiel, car la haine enlève tout jugement et c’est pourquoi ici on ne reconnaît aucune valeur humaine à Dominator !

    La haine bloque la raison et empêche en réalité tout débat ! Pourtant, Paschic est assez vite interpellé et sans doute son allure plus détachée le trahit-elle ! Et s’il n’est pas un ennemi avéré de Dominator, il est un donc un ennemi tout court ! Il ne partage pas la cause et il faut donc soit le convaincre, soit le détruire ! Un grand Dom se charge de la besogne et demande à Paschic : « Tu n’as pas l’air d’être des nôtres... Tu es du côté de Dominator ? Peut-être es-tu tout simplement un espion ? Ah ! Ah !

    _ Ah ! Ah ! Non, pas vraiment… Je comprends votre colère contre Dominator, mais je ne suis pas non plus plein de haine comme vous…

    _ Mais il y a urgence ! Dominator détruit la planète ! Bientôt, nous n’aurons plus d’avenir ! Nos enfants hériteront d’un monde invivable, rien qu’à cause des appétits de cet homme ! Et il faudrait rester sans rien faire ?

    _ Non, bien sûr ! Mais il est important d’être en paix avec soi-même ! On ne change pas les gens, en les détruisant !

    _ Mais on ne peut arrêter Dominator avec des fleurs ! Il faut agir, se battre ! Ils ne comprennent que la force, de toute façon !

    _ Je voudrais vous rassurer vous aussi ! Car vous êtes les premiers à souffrir de la haine, que vous nourrissez en vous ! Vous vous faites du mal, en haïssant ! Vous ne guérissez pas de vos peurs et c’est une illusion de croire que Dominator en est responsable !

    _ Mais qu’est-ce que tu racontes ?

    _ Laisse-le ! fait une femme. Tu ne vois pas qu’il n’est pas des nôtres ! C’est un petit bourgeois, qui n’aime pas la boue de notre champ ! C’est un gars de la haute, un privilégié ! (Elle crache.)

    _ La paix, c’est un long travail sur soi…, mais c’est par là qu’il faut commencer ! J’ai eu vos haines… Il fut un temps où je ne pouvais pas supporter la voiture ! Je marchais dans la campagne, jusqu’à ce que je n’en vois plus ! Je haïssais la civilisation, qui était pour moi synonyme de mensonges, d’égoïsme et de destruction ! Mais nous sommes nombreux et les choses sont complexes ! Que vous disent les autres Doms, quand vous critiquez Dominator et ceux qui lui ressemblent ? Ne vous sautent-ils pas à la gorge, en vous criant : « Mais qui va payer mes factures ? Qui me donnera un emploi ? » Vous savez comme moi que la plupart des Doms vous prennent pour des irresponsables ! Et leurs arguments ont du poids ! Rien que sur la question de l’énergie, on se retrouve très vite devant des dilemmes !

    _ Quel genre de dilemmes ?

    _ Mais, par exemple, il faut se séparer des hydrocarbures et adopter les énergies renouvelables… Mais vous êtes aussi contre les éoliennes, parce qu’elles gâchent le paysage… et vous avez raison ! Mais, pourtant, il faut bien que l’énergie vienne de quelque part ! Donc, vous voyez, ce n’est pas simple et la différence, le nombre est à respecter ! Mais ce n’est possible que si on est en paix avec soi-même ! Tant qu’on a peur, on est aveuglé par sa haine !

    _ Vous voyez pas qu’il nous baratine ! reprend la femme. C’est un des leurs et il est en train de nous manipuler !

    _ Ouais, ouais, c’est un baratineur ! lâchent certains.

    _ Il veut saper not’ mouvement, les gars !

    _ Ouais, ouais ! Y qu’à l’ virer à coups de pompes dans l’ cul !

    _ Allez barre-toi, l’espion ! »

    On pousse Paschic, en lui donnant des coups de pied… Les femmes et les enfants lui jettent de la boue et il glisse sous les insultes ! Mais, enfin, il se relève à l’abri et il éclate de rire ! Ça s’est passé comme prévu !

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  • L' attaque des Doms (105-109)

    R67

     

     

                 "C'est ma femme, le Corbeau, la pauvre!"

                                                        Le Corbeau

     

     

                                         105

          Paschic pénètre dans un nouveau territoire psychique… Tout y est apparemment bien ordonné : les fermes sont propres et les tas de bois agréables à regarder ! Par ailleurs, Paschic se plaît à découvrir ici et là des teintes délicates, mais subitement il est face à deux guerrières, qu’il doit suivre, parce que la reine de ce royaume veut le voir !

    Paschic n’a pas le choix et les lances des guerrières sont là, pour lui indiquer que toute fuite se terminerait par un drame ! Mais on arrive au palais et Paschic se retrouve devant la reine ! « Je t’ai fait venir, car tel a été mon désir ! dit-elle.

    _ Ah ?

    _ Oui, tu me plais… et je ne dois pas te déplaire non plus, pas vrai ? Je peux te donner du plaisir, mais il faudra aussi le mériter, en m’obéissant !

    _ Ah ?

    _ Oui, j’ai beaucoup d’ambitions, pour toi comme pour moi ! Il ne faudra donc pas me décevoir ! Tu ne voudrais tout de même pas apparaître comme un perdant aux yeux des autres ? ni me faire honte auprès de mes amies ? C’est aussi pour ton bien que je dis ça ! Tu as tout à gagner de notre union… ou de notre association !

    _ Ah ?

    _ Oui, mais pensons aux plaisirs… Je ne voudrais pas te sembler trop sérieuse… et puis, j’ai besoin de faire l’amour, pas toi ? Il fait froid et je suis tendue, surmenée ! Allons nous détendre ! »

    Ils vont dans la chambre de la reine et bientôt Paschic se sent pris par le désir, car la reine est très séduisante ! Mais elle met en garde Paschic : « Si tu es un bon amant, dit-elle, je te donnerai plein de bonnes choses ! Je serai aux petits soins pour toi ! Par exemple, tout à l’heure, tu auras droit à une part de gâteau et un verre de lait, avec une serviette bien propre ! Tu ne pourras pas dire que je ne te gâte pas ! Hi ! Hi ! »

    Paschic ne s’en sort pas trop mal, mais il est à la fois là et ailleurs ! Son esprit garde une certaine réserve et il ne se livre pas à fond ! Mais comment le pourrait-il ? Il voit déjà certains défauts sur le corps de la reine, qui le frappent, malgré l’embrasement des sens ! Cela lui rappelle qu’une liaison ne dure que s’il y a des sentiments ! Ce n’est qu’en aimant la personne qu’on peut la supporter ! Mais en l’occurrence que ressent Paschic ? En faisant l’amour avec la reine, espère-t-il un enfant ? Est-il saisi par le vertige, le mystère qui touche à la survie de l’espèce ? Est-il gagné par l’infini, ce qui amplifierait sa vigueur ? Non, les corps ont soif certes, ils s’étourdissent impérieusement : c’est une ode à la force, mais Paschic reste la créature de la reine ! C’est elle qui dirige et même qui demeure une menace !  

    D’ailleurs, la suite ne fait que le confirmer ! « Eh ! Eh ! fait la reine. Pas mal ! Pas mal ! Même si j’ai connu mieux ! Mais il faut le temps de nous connaître ! Allez, viens , je vais te montrer ta chambre, car pour l’instant tu es toujours à l’essai ! Hi ! Hi ! T’inquiète pas, va : tu me plais beaucoup ! Mais n’oublie pas que c’est moi qui t’ai choisi ! »

    On va dans une chambre plus petite, qui a l’air d’une cellule de moine… « Voilà ton lit, tes couvertures… C’est assez sobre ici, car c’est propice au travail ! Je ne voudrais pas que tu te disperses, ni que tu t’amollisses ! Hi ! Hi ! Un homme, c’est un homme, pas vrai ! De la virilité ! Hein ? Tu vas voir, si tu fais ce que je dis, on va être parfait tous les deux ! Tu seras comblé ! Mais attention, ne me quitte pas des yeux ! C’est moi qu’il faut regarder ! C’est moi ta lumière ! Vu ?

    _ Ouais, ouais..

    _ Demain, huit heures, on attaque ! Une vie saine, ça commence tôt !

    _ Ouais, ouais…

    _ Ouais, ouais ! Dis donc, y a longtemps que tu te laisses aller, non ?

    _ Hum…

    _ Mais si tu veux réussir, il va falloir en mettre un coup !

    _ Sûr !

    _ Focus, hein ?

    _ Ouais, ouais…

    _ Qu’est-ce que je fais là ?

    _ Tu lèves un bras…

    _ Bon ! Et tu sais quoi ? Il est possible qu’on s’aime, avec le temps ! Il est possible que je craque ! J’en ai toujours rêvé !

    _ Ouais, ouais... »

                                                                                                                       106

         Finalement, Paschic s’est aussi sauvé du territoire psychique de la reine et il marche dans un étrange univers de glace et de scintillement ! Où est-il ? Il est légèrement étourdi par cette luminosité et puis, il croise une jeune fille, en jupe courte, qui parle à son portable ou à son « Narcisse », avec volubilité ! Le flot de paroles n’arrête pas et Paschic se demande ce qu’on peut bien raconter comme ça ! Mais ce n’est pas le plus surprenant, car le visage de la jeune fille est celui d’une poupée ! Les lèvres et les joues sont gonflées et c’est comme si la jeune fille regardait à travers un masque !

    « Qu’est-ce qui lui est arrivé ? » s’interroge Paschic, mais il n’obtient pas de réponses, puisqu’il ne va pas se renseigner auprès de la jeune fille, au risque de lui faire de la peine… D’ailleurs, elle continue sa conversation au même débit et Paschic ne peut que la regarder s’éloigner ! Il est quand même troublé, car le visage de la jeune fille a été comme torturé, par un bistouri sans doute… En tout cas, le résultat est artificiel et donne envie de pleurer, mais Paschic n’a pas le temps de s’apitoyer, car voilà une autre jeune fille, quasiment pareille à la précédente, avec la même attitude, elle aussi en grande conversation, et le visage encore « abîmé » à l’identique !

    Paschic frémit, alors que maintenant il en croise des dizaines de ces créatures ! C’est une vision de cauchemar, mais on approche de la source, de l’origine de ce phénomène, et effectivement la glace se transforme en un bloc chirurgical, avec un homme en blouse bleue, qui va et vient sur une chaise roulante, devant des manettes, qu’il actionne, libérant des rayons laser, comme s’il dirigeait un spectacle sons et lumières, qui aurait pour but de donner un air de poupée aux jeunes filles !

    Une musique très forte accompagne l’homme, qui s’agite au gré de son inspiration, et Paschic doit élever la voix : « Excusez-moi... » dit-il, en semblant un peu idiot, pour attirer l’attention, et tout de suite, après un sursaut, l’homme grimace comme si on lui avait présenté quelque chose de dégoûtant ! « Mais qu’est-ce que vous faites ici ? s’écrie-t-il. C’est interdit au public !

    _ Mais je n’ai fait que suivre un long couloir… Ceci étant, je voulais voir le Maître ! celui qui est l’auteur de toutes ces beautés ! C’est bien vous, non ?

    _ Oui, en effet, mais…

    _ Quel brio ! Quel classe ! Quel talent ! Mais, dites-moi, est-ce que chaque visage vous inspire, car il ne s’agit pas d’en faire à la chaîne… ?

    _ Bien entendu ! (Il baisse enfin la musique) La beauté est mon rayon ! Je veux la perfection ! que ces jeunes femmes se sentent sûres d’elles ! qu’elles avancent dans la vie, telles des impératrices !

    _ Bien sûr, la séduction est leur pouvoir !

    _ Exactement ! Monsieur… Monsieur...

    _ Paschic !

    _ Exactement, monsieur Paschic ! Ces jeunes femmes sont mon œuvre et le temps n’a plus de prises sur elles !

    _ La beauté éternelle, en quelque sorte ! Mais le visage n’est-il pas le reflet de l’âme ? N’y lit-on pas les sentiments ? Or, comment les voir si tout cela n’est pas naturel ?

    _ Mais le seul sentiment qui doit s’exprimer, c’est celui du triomphe, de la réussite !

    _ Hélas, je crains qu’il n’y ait une relation entre le temps et le pouvoir !

    _ Qu’est-ce que vous racontez là ?

    _ Mais le pouvoir, n’est-ce pas la soif de vaincre, de se sentir supérieur ! avec ses mouvements: la haine, quand on rencontre un obstacle ; l’envie, devant un concurrent plus chanceux ; l’avidité, pour le moteur ; les inquiétudes, inévitables dans l’attente ! Ce sont tous ces sentiments qui dessinent le visage, qui l’enlaidissent et le vieillissent ! Ce sont tous ces combats qui fatiguent ! Le temps, lui, ne demande qu’à montrer le cœur, la paix, la liberté, une vie heureuse à force d’être simple !

    _ Mais moi, je retends la peau, les muscles ! Je corrige les défauts ! Combien ne sont pas malheureux, à cause d’un trop gros nez ou d’un œil trop bas ?

    _ C’est vrai, mais ces corrections sont vaines, si les sentiments, eux, ne changent pas ! Vous faites des monstres, qui ramassent des miettes de pouvoir, alors qu’il est justement leur poison !

    _ Qu’est-ce que vous êtes au juste ? un Poque, qui veut que la société s’amollisse, disparaisse en s’excusant ? Vous n’aurez pas nos valeurs ! Vous ne romprez pas notre force ! Ah, çà non !

    _ Vous savez ce que je crois ? Je crois qu’une bonne balafre peut justement servir à cacher la laideur de l’âme !

    _ Complètement taré ! J’appelle la Sécurité ! »

                                                                                                                    107

          Paschic, ce matin, s’entraîne… Il lui faut un terrain désert… Puis, il se calme, expire, regarde le ciel et soudain, en un éclair, il s’arrache de lui-même ! Ce qui fait son ego et qu’il est d’une origine Dom reste sur place, tandis que lui file dans l’air pur ! L’ego se met à crier, il souffre, panique, gémit, supplie, mais Paschic n’en a cure ! Il vole, admire le paysage, se sent enfin heureux ! Il est d’une joie qu’il ne pensait pas possible, nouvelle, qui paraît sans limites ! Il redécouvre une simplicité, un « miracle » permanent, que nous ignorons chaque jour ! Il est possible que « tout soit grâce » !

    Là-bas, l’ego crie, mais Paschic ne l’entend même plus ! C’est le fruit d’un exercice quotidien, qui prouve que Paschic avance dans la bonne direction ! Mais, évidemment, cet état ne peut pas durer, car l’ego fait partie de nous-même et il continue à faire pression, ne serait-ce que parce qu’il a peur ! Et puis, il y a les autres, qui constituent le monde…, un monde aveugle, inquiet et qui harcèle, plaintif, haineux ! Tôt ou tard, il agresse et il faut s’en défendre, mais on peut toujours élargir cette distance avec l’ego et s’en « régaler » ! L’ego ou la domination sont étroitement liés à la peur et seul celui qui n’a plus peur est vraiment libre !

    Paschic rejoint donc son ego, avec un large sourire : « Ah ! Te voilà ! fait l’ego. Non mais, où t’étais passé ? Y a des tas d’ trucs à faire ! Ça urge !

    _ Bien sûr ! Allez, repose-toi ! T’es en train d’abîmer ta santé !

    _ T’en as de bonnes, toi ! Si je veillais pas au grain, on s’ rait à la rue, à l’heure qu’il est !

    _ Ah ! Ah ! Tu sais quoi ? J’ t’aime même comme ça ! T’es un amour de ridicule !

    _ Mais... »

    A cet instant, un coup de feu retentit, une pierre éclate et Paschic est contraint de se jeter à terre ! « Qui que tu sois, mon garçon, tu vas te lever les mains bien l’air ! fait une voix éraillée. Sinon, j’ te jure que j’ vais t’ transformer en passoire !

    _ D’accord, grand-père ! Mais vous n’avez rien à craindre de moi…, alors pas d’ gestes brusques ! OK ? »

    Paschic se redresse, les mains bien en l’air et il se rend compte qu’il a pénétré un autre territoire psychique ! Le vieux s’approche, le fusil pointé et il dit : « Eh bien, mon garçon, tu n’as pas l’air d’un de ces affreux Poques ! C’ pendant, j’ te garde à l’œil ! En route vers ma cabane ! »

    On arrive bientôt devant une vieille bicoque poussiéreuse et très isolée ! « Bienvenue dans mon humble demeure, mon garçon, fait le vieux ! Allez, on entre ! » A l’intérieur, il fait très sombre et c’est assez sale ! Le vieux toutefois fait signe à Paschic de s’asseoir à une table et il va chercher une bouteille de whisky ! Sa surveillance s’est relâchée et il ne doit plus considérer Paschic comme un ennemi ! Mais sans doute aussi que la solitude lui pèse trop ! Un feu fume dans l’âtre et deux petits verres sont remplis, par la main maigre du vieux, qui finit par s’asseoir devant Paschic !

    « A la tienne, mon garçon ! reprend-il, en sifflant son verre, avant de s’en resservir un autre ! Eh bien, mon garçon, non vraiment, tu n’as du tout l’air d’un des ces affreux Poques ! Tu m’es même sympathique !

    _ Les Poques ? Vous les voyez souvent ?

    _ Ils sévissent dans la région… La semaine dernière, ils ont attaqué la ferme des MacReady ! C’était pas beau à voir ! Il y avait là des Noirs, des LGBT, des gays, enfin toutes sortes de créatures ! Ils ont forcé la famille à sortir, à s’excuser pour le racisme, l’esclavage ! Ils ont même dit aux MacReady qu’ils étaient peut-être eux-mêmes gays, qu’ils ne pouvaient être sûrs de leur sexe ! Ils ont tout souillé, renversé une statue, qui représentait le patriarche ! Ils ont fait un tas avec nos valeurs, la religion nos messages les plus sacrés et ils y ont mis le feu ! Les MacReady étaient tétanisés par la peur ! Les Poques poussaient des cris d’animaux… et en même temps, ils pleuraient ! On eût dit des hyènes qui gémissaient !

    _ Et vous pensez qu’ils vont venir ici aussi…

    _ Sûr ! Je les attends ! Je veille jour et nuit ! Sans ordre, il n’y a pas d’ sécurité, pas vrai ? Mais où est l’ordre quand on sait plus qui est une femme ou un homme ? »

    Le vieux se met à sangloter… « Tout ça, c’est à cause de leur chef Décadence ! gémit-il. Un gros type obscur ! Un visage terrible, coiffé de plumes ! Il est sans pitié, il veut notre perte ! Paraît qu’il est même pédophile ! Vous entendez ! C’est la fin du monde ! Mais, c’est quoi ce bruit ?

    _ Quel bruit ?

    _ Y a quelqu’un dehors ! J’en suis sûr ! »

    Le vieux se précipite vers la porte et l’ouvre brusquement ! La nuit est tombée et la clarté lunaire pleut tout autour… « Je sais que vous êtes là ! crie le vieux ! Mais vous n’aurez pas ma peau ! Jusqu’au bout j’ lutterai contre l’ vice, l’ordure ! guidé par le Seigneur ! Vous, les Poques, vous irez en enfer ! Décadence, viens j’ t’ attends ! Grand lâche ! 

    _ Y a personne, le vieux, fait doucement Paschic, qui est venu derrière. Allez, venez vous reposer... »

                                                                                                                      108

    Paschic quitte le vieux au matin, alors que celui-ci dort encore ! « Pauvre vieux, se dit Paschic, il est rongé par la peur… et il est sans doute trop tard, pour le rassurer ! Apprendre à lutter contre sa peur demande d’abandonner sa domination, son orgueil… Si on se protège, en s’enrichissant ou en s’efforçant de s’imposer parmi les hommes, si on a à cœur sa réussite et sa vanité, alors on n’éprouve pas sa foi, on ne la connaît pas et dès que les choses nous sont contraires, c’est la peur qui ressurgit, comme si on n’avait fait que bâtir sur du sable ! »

    « Nous sommes bien étranges, continue Paschic. Nous souhaitons ardemment être nous-mêmes et pourtant, la nouveauté, l’inconnu, le changement nous épouvantent ! Nous voulons la sécurité et nous ne supportons pas la routine ! »

    Paschic aperçoit un nuage de fumée à l’horizon et se dirige vers lui, en se demandant d’où cela peut-il provenir… Un peu plus tard, il domine une vallée remplie de travailleurs enchaînés… et ce sont eux qui soulèvent le nuage de poussière ! L’activité est intense : partout on creuse, on déblaie, on transporte, on ordonne, avec le bruit des fers aux pieds ! « Un bagne ! se dit Paschic. Un bagne immonde ! Les malheureux ! Eh, vous, qu’est-ce qui se passe ici ? Vous êtes des prisonniers ? Vous faites quoi ici ?

    _ Hein ? répond l’homme interpellé. Ce qu’on fait ici ? Mais on construit une gigantesque digue contre les Poques ! »

    Paschic regarde dans la direction que lui montre l’homme et effectivement, il découvre un défilé, qu’on s’efforce de boucher ! « S’ils viennent, reprend l’homme, c’est par là ! Mais nous, on s’ ra prêt ! 

    _ Alors, ce n’est pas un bagne ici ? Vous n’êtes pas prisonniers ?

    _ Prisonniers ? Certes non !

    _ Mais… et les chaînes ?

    _ Mais c’est pour l’ordre et la sécurité ! Ordre et Sécurité, c’est notre commandant ! OS, qu’on l’appelle !

    _ Et vous pensez que les Poques vont essayer d’ passer ?

    _ Sûr ! On en a déjà capturés quelques uns ! »

    De nouveau, l’homme désigne quelque chose et Paschic se tourne, pour tomber sur des pendus, des crucifiés, des empalés… Il ne peut réprimer un frisson d’horreur et comme il s’approche, il lit des pancartes devant chaque mort : « LGBT, LGBT, Antipatriote, Traître, Gay, Pédophile, LGBT, Trans, etc. ! » « C’est Décadence, leur chef, qui les a envoyés ! fait l’homme derrière Paschic. Vu comment on les a reçus, il va vouloir se venger ! Ah ! Ah ! »

    Paschic regarde toute cette folie d’un air morne… Il donne alors un coup de pied dans les chaînes du type et celles-ci tombent sur le sol ! « En fait, vous êtes libres ! Vous n’avez pas à suer comme ça, toute la journée ! C’est votre peur qui vous fait esclaves ! »

    L’homme est d’abord interloqué, puis il se met à crier : « Un espion Poque ! Alerte ! Un espion Poque ! » Quelqu’un sur un faîte sonne soudain du cor ! Toutes les têtes se tournent, menaçantes ! Le travail s’est arrêté et un grand silence s’installe ! « En réalité, vous êtes tous libres ! crie Paschic. Ordre et Sécurité vous ment ! Vous pouvez tous être heureux ! Le chef Décadence n’existe pas ! Les Poques ne sont pas vos ennemis ! Ils ne sont que des exemples de la conquête de nous-mêmes ! Plus nous nous respectons et plus nous sommes appelés à respecter la différence ! Nous sommes nés pour nous épanouir et non devenir des bourreaux ! »

    Paschic voudrait continuer, mais il est renversé, saisi, battu par plusieurs et finalement, inconscient, il est jeté dans une prison ! A peine se réveille-t-il qu’on vient le chercher ! Ce sont des jeunes, dont le chef dit : « Milice OS, on vous conduit au tribunal ! » Paschic suit le groupe, qui clame « Milice OS ! Milice OS ! Ordre et Sécurité ! Ordre et Sécurité ! » et fait d’étranges saluts, comme pour se galvaniser ! Mais Paschic est bientôt devant un juge, tout vêtu de noir et portant une perruque !

    Le personnage est grave et sa voix s’élève : « La patrie ! Cette chère, chère patrie, que nous chérissons tous ! Notre très sainte mère à tous est de nouveau en danger ! Le vice, venu des profondeurs noires du mal, a encore réussi à étendre ses tentacules, dans le but de nous pervertir ! Notre lutte est acharnée ! Nous ne faiblirons pas ! OS ! OS ! O toi qui nous entend, qui nous couve, nous protège, arme mon bras ! Aide-moi, dans ton infinie mansuétude, à châtier les coupables, à frapper le dragon au cœur ! La boue ne saurait salir la patrie ! 15, 20, 40 ? Combien d’années de prison, pour briser cette boursouflure ici présente ! OS ! OS ! éclaire mon jugement ! Accusé, soyez au moins utile à quelque chose… et dites-nous à quel supplice vous vous condamnez, puisque vous prenez conscience de l’énormité de votre crime ?

    _ Cela fait-il longtemps que vous êtes fou ? Je vois votre peur immense, mais elle ne vous innocente pas ! L’hypocrisie et la soif de pouvoir vous rongent ! Vous ne serez pas pardonnés, pour les morts qui sont dehors !

    _ Les morts que tu vas aller rejoindre, mon doux agneau ! OS ! OS ! Tu as parlé ! Tu as jugé ! OS ! OS ! que ta volonté soit faite !

    _ OS ! OS ! Notre père à tous ! » enchaîne la foule.

                                                                                                                       109

          « Et si la Chose était un complot des Poques, hein ? » C’est monsieur Nuit, toujours transformé en escargot et entre deux bouchées de salade, qui vient de s’exprimer ainsi, dans le bureau de Dominator.

    « La nature ? Un complot des Poques ? Vous déraisonnez, mon vieux ! répond le professeur Ratamor.

    _ Pourquoi pas ? Regardez ce que je suis devenu ? Je bave, je me traîne, j’ai des antennes sur la tête et ma maison sur le dos ! Vous croyez que c’est seulement l’œuvre de la nature ? Non, il y a une force maléfique derrière la Chose ! Humph ! Grouanch ! (Il arrache un morceau de laitue !) Humph ! La Chose est éminemment Poque ! C’est la seule conclusion possible !

    _ Pour ma part, enchaîne Lapsie, je ne suis pas hostile au poquisme ! L’idée que les minorités fassent valoir leurs droits, au prix de nous conduire à reconsidérer notre histoire ou notre culture, n’est pas pour me déranger ! En tant que psy d’ailleurs, je ne peux qu’approuver, puisqu’il s’agit de dire la différence, de libérer la parole des opprimés… Mais il ne faut surtout pas que les PN se sentent eux-mêmes des victimes ! Sinon, pan ! pan ! dans le pervers narcissique !

    _ Il y a quand même d’autres priorités que vos instincts de guerrière…, fait Dominator.

    _ Graouph, ouahc, hum, vous songez à quoi, Dominator ? demande monsieur Nuit. Groumph, groumph…

    _ Comment vous croyez-vous que marche notre industrie… et comment chauffer les gens ? La Chose fait embargo, figurez-vous ? Elle nous empêche d’exporter et d’importer librement ! Il nous faut du gaz, alors que nous vendons notre pétrole ! Je vois mes tankers à travers le monde… et je ne peux m’empêcher de frémir ! Et si tout ce trafic devait s’arrêter ? Du jour au lendemain, notre économie plongerait et les Doms reviendraient à l’âge de pierre !

    _ Il est vrai que nous autres, intellectuels, précise Ratamor, nous n’avons pas l’esprit à ces nécessités et ces enjeux ! Mais comment comptez-vous assurer notre approvisionnement ?

    _ Mais nous devons rester la première puissance de la galaxie ! nous étendre partout, forer partout, sonder partout, exploiter la moindre parcelle ! Acheter des planètes, c’est mon dada !

    _ Quel homme ! jette Lapsie admiratrice. On est loin des refoulés, avec vous !

    _ A propos de refoulement… poursuit monsieur Nuit. Où en est-on avec les émigrés ? A-t-on entrepris de nous débarrasser de ces parasites ? Vous parliez tout à l’heure de préserver notre économie.. Graoumph, graoumph…

    _ Mais c’est en cours, monsieur Nuit ! répond Dominator, en tirant sur son cigare. Des camions les chargent et les emmènent loin de Domopolis ! Bien sûr, cela ne se fait pas sans drame… Il y a des pleurs et des cris, mais s’il fallait écouter tout le monde, on s’y retrouverait plus !

    _ Exactement ! Il faut parfois ne pas écouter son cœur… et faire preuve de fermeté !

    _ Quant à moi, intervient Ratamor, j’ai conçu une nouvelle machine à domiser !

    _ Quoi ? fait Dominator. Vous ne m’en avez même pas parlé !

    _ C’est vrai, je voulais vous en faire la surprise !

    _ Eh bien, expliquez-nous le fonctionnement de cette nouvelle machine ! Ne nous faites pas languir ! Vous savez que tout ce qui peut assurer l’hégémonie des Doms me charme ! Ah ! La sainte Domoland !

    _ Eh bien, c’est une machine qui enlève toute lucidité, de sorte que l’existence des autres devient absolument abstraite ! En fait, dès qu’on essaie d’échapper à sa propre domination, crac ! on étouffe !

    _ Crac, on étouffe ! Ah ! Ah ! jubile monsieur Nuit ! Ratamor, je vous aime ! Graoumph !

    _ Est-ce que le pervers narcissique tremblera devant cette nouvelle machine ?

    _ Euh ! C’est compliqué, vu qu’il ne pense déjà qu’à lui…, mais avec quelques réglages, pourquoi pas ?

    _ Mais enfin, donnez-nous des précisions ! se lamente Dominator.

    _ Eh bien, dès qu’on commence à douter de soi, en prenant conscience de l’autre, la machine réagit ! Elle repère de suite un point de vue nuancé, non issu de l’égoïsme ! J’ vous donne un exemple… Imaginons que votre cœur se serre, à l’idée que des familles d’émigrés puissent souffrir, alors qu’elles sont expulsées vers l’inconnu… Aussitôt, la machine alerte que vous devenez humain…

    _ Eh, eh, le début des ennuis ! Graoumph, graoumph !

    _ La fin de la virilité ! fait Lapsie, en se prenant le visage entre les mains.

    _ La fin du pouvoir, vous voulez dire ! corrige Dominator.

    _ Eh bien, un tentacule sort de la machine… et vous étrangle !

    _ Crac ! Elle étouffe ! Graoumph, graouphm !

    _ C’est parfait, je valide ! »

     

  • L' attaque des Doms (100-104)

    R66

     

                "Un héros ne sert à rien!"

                                    Die Hard 4

     

                                          100

          Paschic quitte son campement, à cause de l’installation du gazoduc, bien trop bruyante et envahissante ! La civilisation a rejoint Paschic et il doit s’en aller, mais il part prudemment, surveillant ses forces, car il ne veut pas de nouveau se blesser mentalement, s’épuiser psychiquement !

    Finalement, à force d’être harcelé par la Machine, d’avoir été son souffre-douleur, Paschic a acquis une grande connaissance sur la domination et les territoires psychiques ! Regardons par exemple une pie… La plupart du temps, elle surveille son territoire et n’y admet aucun étranger ! Elle chasse ainsi sans relâche le merle, alors que celui-ci n’a même pas le même régime alimentaire et qu’il ne constitue donc pas une menace ! Mais c’est plus fort que la pie ! Elle doit s’imposer !

    Maintenant, imaginons que son territoire soit garanti pour toujours par des frontières, que deviendrait alors la force qui l’anime ? Puisque celle-ci n’aurait plus à s’exercer à l’extérieur, ne se concentrait-elle pas à l’intérieur de la pie ? Ne passerait-on pas d’une domination physique à une domination psychique ?

    C’est bien ce qui arrive aux Doms ! Leurs territoires étant « bien établis », après de nombreuses guerres, ils ont progressivement abandonné leur lutte physique pour une lutte psychique, qui s’exprime à plein sur les réseaux sociaux ! C’est l’ère de la communication ! Chaque individu exerce une domination psychique, où qu’il soit ! Il étend et défend son territoire psychique, c’est-à-dire sa pensée, sa personnalité ! On cherche à s’imposer quotidiennement, en une « guerre » quasiment muette ! Notre égoïsme écrase, méprise, blesse, sans enfreindre la loi !

    Les territoires psychiques sont cependant régis par des principes simples ! Plus la peur y est intense et plus la domination psychique y est forte ! Et donc plus le territoire psychique est défendu avec agressivité ! Mais, la plupart du temps, ceux qui sont habitués à commander et qui en ont les moyens ne comprennent pas du tout leur fonctionnement et nient toute peur ! Il faut des circonstances exceptionnelles, qui les menacent subitement, pour que les mécanismes d’origine animale, aujourd’hui concentrés dans le psychisme, réapparaissent !

    Cependant, quel est le meilleur remède à la peur ? C’est la foi ! Ce n’est pas la seule raison, qui veut des garanties ! Tant que la peur n’est pas combattue par la foi, c’est l’inquiétude, la révolte, le chaos social, l’impasse de l’économie et de notre développement, face au réchauffement climatique, l’incompréhension devant la pauvreté et la souffrance, etc. ! Mais cela veut aussi dire que tout intégrisme et tout fanatisme, toute haine provoquée par des soi-disant blasphèmes, témoignent d’une foi qui n’est pas véritable, ni sincère, ni solide, car la foi, c’est la confiance et donc l’absence de peur, d’où la fin du besoin de dominer !

    Tout cela, Paschic le connaît maintenant par cœur et même le rabâche, ce qui fait qu’il n’y revient plus et à présent, il pénètre dans un territoire enneigé…, où tout est blanc à perte de vue, avec beaucoup de poésie ! Bientôt, d’ailleurs, Paschic aperçoit une ville hérissée de coupoles dorées, comme dans un conte magnifique, et des gens passent en traîneau, souriant au-dessus des tintements de maints grelots !

    Mais où est Paschic ? Il se renseigne auprès d’un type hilare, qui lui répond : « Où on est ? Mais chez les Muss ! Vous devriez nous connaître ! Nous sommes les envoyés de Dieu ! Nous avons pour mission de répandre son message d’amour, sur cette planète, et bien entendu de défendre ses valeurs, parce que, vous le savez sans doute, il a beaucoup d’ennemis ! Les athées, les homosexuels, les Ricains, situés plus à l’Ouest et qui veulent dominer le monde, et un tas d’autres plus horribles les uns que les autres !

    _ Je vois…

    _ Mais ne voulez-vous pas partager notre liesse ? Aujourd’hui est un jour spécial…

    _ Ah oui ?

    _ Mais oui, nous fêtons notre nouveau missile ! Nous l’avons baptisé « Petite cerise », car sa tête est rouge sang ! Ah, ça va faire mal, c’est moi qui vous le dis !

    _ Mais… Mais vous n’avez pas peur de déplaire à Dieu, en tuant des gens !

    _ Mais nous tuons ses ennemis ! Ne vous l’ai-je pas dit ! Et puis, on nous veut du mal, on a toujours voulu nous détruire !

    _ Bref, vous avez peur !

    _ Ah non ! Rien ne pourra nous enlever notre honneur ! Nous sommes le peuple élu et notre tâche est lourde ! Nous sommes les Muss !

    _ Vous avez tout de même le trouillomètre à zéro ! Pourquoi vous ne faites pas confiance à Dieu ? »

    A cet instant, l’homme sort un sifflet et souffle dedans de toutes ses forces : « Un traître ! crie-t-il. Un traître est parmi nous ! » Paschic se met à courir, en se disant qu’il n’est pas sorti de l’auberge, ou de l’asile !

                                                                                                                  101

           Paschic a échappé au territoire psychique des Muss, et le voilà dans une zone totalement différente, désertique et chaude ! Il veut boire et trouve une source, mais au moment où il porte l’eau à sa bouche, il entend : « Eh ! Vous là-bas ! Cette eau est à moi ! Pas touche ! » Paschic se retourne et voit venir à lui un géant, avec un fusil et un chapeau de cow-boy ! « Excusez-moi, dit Paschic, je ne savais que cette eau était privée… Mais j’ai vraiment soif… Est-ce que je peux quand même boire ?

    _ Ah ! Ah ! Ah ! fait le géant hilare. Ah ! Ah ! Avoue que je t’ai fait peur ! Hein ? Bien sûr que tu peux boire mon gars ! Ah ! Ah ! Tu verrais ta tête, verdâtre ! Ah ! Ah ! »

    Paschic ne répond pas et se met à boire. Puis, il se relève, en s’époussetant, et dit : « Alors le coin est vraiment à vous ?

    _ Bien sûr, mon gars ! Aussi loin que portent tes yeux, c’est à moi ! Et tu sais pourquoi ? Parce que je suis le meilleur ! Je m’appelle Vump ! »

    Le géant tend sa main, que Paschic prend, en ajoutant : « Moi, c’est Paschic !

    _ Eh bien, Paschic, viens avec moi : j’ai du mouton qui grille pas loin ! Tu vas bien partager mon repas ? »

    Paschic suit Vump et il arrive à un campement où il y a effectivement un bon feu et où tout semble démesuré, à la taille du géant ! Cependant, Vump prend place devant le feu et Paschic fait de même… Normalement, il ne mange plus de viande, mais il n’a pas le choix… D’ailleurs, Vump recommence à parler : « Tu te demandes peut-être ce que je fais dans ce coin paumé, Paschic…

    _ Oui…

    _ Eh bien, je chasse le Poque !

    _ Le Poque ?

    _ Oui, le Poque ! C’est un être pleurnichard, peureux, toujours en train de se plaindre !, toujours à réclamer une justice imaginaire !

    _ Eh ben…

    _ Oui, Paschic, mais le Poque est aussi dangereux ! C’est un castré, un eunuque, un impuissant ! C’est une larve, alors que nous, Paschic, on en a quand même un peu ! Non ? Ah ! Ah ! »

    A cet instant, Vump donne une formidable claque dans le dos de Paschic, qui manque de s’étouffer ! « Tu veux le fond de ma pensée, Paschic ? Le Poque, c’est un bonne femme dans un corps d’homme ! Remarque : j’ai rien contre les bonnes femmes, mais les femmes, c’est les femmes et les hommes, c’est les hommes !

    _ Soit ! Mais pourquoi chasser les Poques, s’ils sont lâches ? En quoi vous menacent-ils ?

    _ Mais parce qu’ils transmettent leur poison, Paschic ! Ils polluent cette terre et ce pays ! Ils ramollissent tout ce qu’ils touchent ! Ils enlèvent toute force à ceux qui les écoutent ! Ils attaquent nos valeurs ! Ils nous désagrègent par leurs récriminations continuelles, leurs jérémiades ! Ceux qui ne sont pas forts disparaissent, Paschic, pas vrai ?

    _ Si je comprends bien, vous avez peur…

    _ Peur ? Moi ? Ah ! Ah ! Mais j’ai peur de rien, Paschic, car je suis le meilleur !

    _ Si vous n’aviez pas peur, vous ne seriez pas inquiet… Or, vous l’êtes !

    _ Et comment donc que je suis inquiet ! Quand je vois mon pays envahi par les Poques, ces larves ! Ils sapent notre société ! Ils pervertissent nos enfants !

    _ Oui, quand vous ne contrôlez plus les choses, c’est le froid et la nuit, pas vrai ? Vous êtes comme un enfant apeuré, si vous n’êtes plus le maître ! Donc, vous avez peur… et vous chassez le Poque, car il vous remet en question, il fait bouger les lignes !

    _ Eh ! Une petite minute ! De quel côté tu es ? Tu serais pas un Poque des fois ?

    _ Je ne suis ni du côté de Poques, ni du vôtre ! J’ dirais que je suis du côté des forts !

    _ Mais, moi aussi ! J’ai bien plus de pouvoir que toi ! T’es un va-nu-pied, Paschic !

    _ Si t’étais fort, Vump, les Poques te feraient marrer… et au minimum, tu les comprendrais ! Tu saurais leur parler avec sagesse et les faire évoluer ! Mais ta seule réponse est le plomb !

    _ Tu sais quoi ? T’es un Poque, parce que tu m’embrouilles l’esprit ! Alors, s’il te plaît, barre-toi ! J’ veux plus t’ voir !

    _ Bah, j’ dirais partout qu’ t ‘es l’ meilleur !

    _ Barre-toi, j’ te dis ! »

                                                                                                                        102

          La reine Beauté est très heureuse ce matin ! Elle colore les nuages somptueusement ! Ils sont des centaines rouges et oranges et ils forment comme une plage, avec de petits bancs de sable, dans le ciel ! « C’est signe de pluie ! fait la reine Beauté. Mais peu importe, c’est tellement beau ! La, la ! » Elle chante et un peu plus loin des pigeons ont le ventre doré, alors qu’ils suivent leurs exercices matinaux !

    La lune aussi n’est pas en reste, puisqu’elle brille encore, bien grosse, sous un voile de brume, ce qui la rend mélancolique et attachante ! Il y a là de quoi ravir les Doms et les rassurer, car toute cette beauté leur dit qu’ils sont chez eux, qu’ils ne sont pas étrangers au monde et même qu’« on » doit penser à eux, car ce n’est pas eux qui ont inventé tout ça ! Mais c’est mal connaître les Doms ! Ce sont des gens sérieux, pas des rêveurs ! Il faut bien gagner sa vie, travailler et puis nombreux sont les pièges ! Un malheur en cache un autre ! Une mauvaise nouvelle n’est jamais loin ! Une facture subite, la maladie, une panne de voiture… et les crises, la situation internationale et financières ne sont pas bonnes ! Il y a plein d’incertitudes qui rôdent et qui nous assombrissent !

    Il faut être prêt, se prémunir ! pas seulement par l’argent, car le danger n’est pas seulement la pauvreté ! On voit aussi la violence dans la rue, des gens cagoulés caillasser, détruire, brûler ! On est encore agressé au coin de la rue ! On peut recevoir un coup de couteau, sans avoir rien demandé ! « Le monde devient fou ! », comme on dit. Ainsi, Paschic arrive devant un nouveau territoire psychique, qui est visiblement délimité par des barbelés ! Des pancartes indiquent aux étrangers qu’ils ne doivent pas entrer, que c’est un territoire interdit et qu’on risque gros à enfreindre la loi 345, alinéa 59NJ !

    Paschic hésite… Il n’a pas envie d’avoir des ennuis, de tomber sur des chiens méchants ou des patrouilleurs excités ! D’un autre côté, le barbelé s’étend apparemment interminable et il devient impossible de savoir si on peut contourner ce territoire ! La fatigue s’installe chez Paschic, la faim aussi et il longe la clôture d’un air morne, jusqu’à ce qu’il trouve une brèche ! Enfin, c’est plus qu’une brèche, puisque là le barbelé est largement ouvert, rouillé, comme si on y passait régulièrement et sans soucis des règles !

    Donc Paschic s’engage et il marche bientôt parmi des dunes sablonneuses ! Paschic a toujours aimé ce genre de paysages, où l’oyat fait comme des sourcils au sable blanc ! Il semble à Paschic que la dune qui s’écroule est pareille à un sablier et pour peu que le vent fasse frissonner tout cela et voilà l’incorrigible rêveur Paschic emporté dans un songe, un quasi sommeil, telle la mouette qui glisse au-dessus !

    Mais là-bas s’agite une petite troupe… et ça chôme pas ! Et que je te porte des troncs d’arbre, que je te fasse des pompes, des escalades musclées, avec des ordres secs ! Ce sont des jeunes et leur santé ferait plaisir à voir, n’était le but poursuivi : se préparer militairement ! Paschic s’approche… Il reconnaît des scouts, mais les temps ont bien changé ! On ne s’entraîne plus à monter une cabane ou à aider la vieille dame, mais à se défendre âprement et il est vrai que plus rien n’est sûr et qu’il ne s’agit pas d’être surpris ! La guerre menace, ou tout du moins le danger est toujours présent !

    Le chef ordonne, braille, humilie ! N’est-ce pas ainsi qu’on forme les soldats, qu’on les rend disciplinés ? Mais les soldats sont les soldats ! Ici, ce sont des scouts et ne sont-ils pas censés représenter la foi… et donc la confiance ! Quelle confiance témoignent-ils par cet entraînement ? Ah ! Mais ils défendent les valeurs morales, celles inspirées par la religion et donc Dieu ! Eh ouais, Paschic, ils sont plus forts que toi, ces gars-là ! Prends-en de la graine ! Pendant que tu bâilles aux corneilles, eux se préparent pour la troisième guerre mondiale ! Pas de place pour les rêveurs dans l’assaut !

    Paschic s’approche encore… Il est maintenant tout près du chef, qui fait subir à sa troupe une discipline de fer, sans pitié, et qui finalement trône, se plaît à son rôle, puisqu’il se sent important, qu’il commande, tout le contraire de Jésus, qui donne son amour, qui montre sa foi au point d’apparaître vaincu, le perdant total ! Si Jésus avait commandé, aurait-il fait preuve de confiance ? dans un monde régi par lui, sous ses ordres ? Si on est riche… ou qu’on a du pouvoir, peut-on parler de confiance, de foi ? N’a-t-on pas toutes les garanties, la sécurité la plus solide ? Autrement dit, Dieu pourrait bien essayer de nous « avoir », de nous « baiser », de nous éprouver, on serait paré, blindé, contre ses fantaisies, ses « caprices », car plus « irresponsable que Dieu, tu meurs » !

    Mais le Dom est le Dom… et quand il croit défendre les valeurs de Dieu, faire valoir son amour pour lui, il est plutôt à s’enchanter de sa propre force, de sa domination sur les autres, de sa puissance ! Le message évangélique est perdu ! dans le vent des dunes, où Paschic retrouve la reine Beauté, affairée avec les mouettes, l’écume des vagues et la grandeur de l’océan ! Toute chose inutile ! Pas vrai, Paschic ?

                                                                                                                    103

            Après avoir quitté le territoire psychique des scouts, Paschic passe une très mauvaise nuit, peuplée de cauchemars ! C’est plutôt une habitude pour lui et cela doit venir d’un sentiment de profonde insécurité, car Paschic se voit dans des situations où il doit fournir des efforts titanesques, pour échapper à un danger, comme quand il conduit un bus, qui défonce une porte de supermarché ! Il faut qu’il s’en sorte, qu’il résiste et son corps en subit les conséquences, en étant tendu, quasiment douloureux ! Le résultat, au matin, on le connaît : Paschic n’est pas reposé, mais plutôt déboussolé, grimaçant, ainsi qu’il serait passé dans une machine à laver !

    La psychologie aide les individus comme Paschic, qui sont anormalement inquiets, anxieux, mais en voyant les choses au fond comme si on avait à traiter un défaut ! Certes, la psychologie respecte le patient et se charge de lui faire voir ses traumatismes, afin qu’il les surmonte, mais elle ne définit pas les lois universelles qui provoquent ces traumatismes, parce qu’elle ne les voit pas tout simplement ! Mais il est vrai qu’il y a toutes sortes de pathologies mentales et cela va de la folie, où la communication est impossible, au TOC, en passant par la vision fantasmée de la réalité ! Qu’est-ce que l’individu voit vraiment objectivement ? On peut le soupçonner de développer une compréhension, justement pour « compenser » ses traumatismes, les « soulager ». Dans ce cas, il pourrait accuser « faussement », pour se faire justice !

    La psychologie ne le dit pas nettement, mais elle « suspecte » toujours ses patients, pour leur bien se dit-elle, mais comment pourrait-elle avoir un autre comportement, puisqu’elle-même ne voit pas de problèmes à son intégration et qu’elle considère comme normal ou adapté le monde des Doms ? Ce qui est une erreur, quand on regarde sérieusement la situation ! Les Doms sont-ils heureux, rassurés, pacifiques ? Non, au contraire, le Dom a tout et pourtant il n’a jamais été aussi troublé ! Les maladies mentales justement n’ont jamais été aussi nombreuses ! Le désespoir, les suicides, l’alcoolisme, la drogue viennent compléter le tableau ! Maints psychiatres tirent la sonnette d’alarme, mais sans solutions ! La société est un grand navire dans la tempête !

    Paschic, lui, s’est longtemps demandé quelle part avait le trouble mental dans sa façon de voir (ce que ne font jamais les Doms!). Il était sans doute un peu schizophrène, certainement névrosé, peut-être refoulait-il son homosexualité ? Ah oui ! Il était narcissique ! Il ne pensait qu’à lui ! C’était le message de la Machine et c’est toujours celui des Doms, quand on les inquiète ! Il a bien été planté dans le cerveau de Paschic, de sorte qu’il a passé la moitié de sa vie à douter et à se faire la guerre, afin de débusquer la méchante bête de l’égoïsme ! Il était comme un chien, qui se cherche des puces jusqu’au sang !

    Mais voilà l’une des raisons de son insécurité : le fait que le Dom accuse l’autre, justement de ce qu’on l’accuse lui ! Le Dom se défend comme un animal qu’on égorge et ses cris font perdre la raison ! On ne sait plus où on en est ! Le Dom se tient à sa domination et détruit tout ceux qui la menacent ! Cette réaction viscérale et violente perturbe celui qui cherche la vérité, surtout si le Dom affirme que le bien est relatif, etc. ! Dans le cas de la Machine, celle-ci demandait à Tautonus de réduire au silence Paschic, par des coups, ce qui mettait bien entendu un terme au débat, mais ce qui encore ne permettait pas à la Machine d’évoluer ! Tout se passe comme si le Dom est incapable d’affronter la « vérité » et il est vrai que la raison seule ne suffit pas à l’éclairer, tant son équilibre a des racines obscures dans la domination !

    Mais celui qui s’attache au psychisme, qui voit la quête de sens comme une évidence, bien avant la nécessité même de gagner sa vie, celui-là non seulement connaît mille difficultés pour survivre, mais encore se heurte au mur hypocrite et ignorant des Doms ! Comment pourrait-il se sentir en sécurité, sur quelles bases ? Et pourtant le domaine de la pensée est l’avenir : nous sommes nés pour penser ! C’est là notre apanage ! notre accomplissement ! de là notre mouvement naturel vers la mondialisation et la communication, à mesure que nous avons du temps et les moyens à consacrer à notre individualité ! A quoi pourrait-on comparer notre planète ? Mais à une fleur qui ne demanderait qu’à s’épanouir et à diffuser son parfum ! Mais que se passe-t-il en réalité ? A cause de la peur, cette fleur se ferme et se détruit ! C’est la montée des nationalismes, le repli sur soi, le succès des populismes, le retour des dictateurs, c’est-à-dire des pires Doms qui soient ! L’ordre rassure, le rejet aussi et l’animal qui est en nous se réjouit, y trouve son compte ! Nous ne pensons plus ! Adieu la nuance et la difficulté ! Mais nous jugeons, nous frappons, nous condamnons, nous refusons de comprendre ! Nous nous régalons de nos haines et nous appelons au secours la nuit ! Il n’y a rien de courageux là-dedans et pourtant nous nous gargarisons de notre soi-disant force ! C’est la loi de la jungle, avec la disparition du plus faible ! Quelle évolution ! Même les hyènes en rigolent !

                                                                                                              104

           Paschic affine toujours ses considérations sur les territoires psychiques et en fait, plus nous vieillissons et plus nous ramenons les choses à des éléments simples, car plus le monde se rétrécit, à mesure que notre regard s’étend ! L’âge nous donne de la hauteur et du recul ! Par exemple, il est facile de comprendre que plus le territoire psychique est fermé, clôturé, ce qui veut dire que plus la domination psychique y est forte et moins le Dom considère les autres, leur donne une existence réelle, puisqu’il a l’habitude de les commander, de les mener à baguette, de les voir comme à son service et inférieurs ! Le Dom se situe comme centre d’intérêt de sa vie et de celle des autres, et dans ce cas, pourquoi serait-il curieux du monde qui l’entoure ? Il éprouve seulement de la haine, dès que ce même monde l’ignore, ne serait-ce que parce que sa peur, bien enfouie et la plupart du temps niée, refoulée, ressurgit !

    Au contraire, plus la domination psychique est faible et plus le territoire psychique est ouvert et salue l’autre, comme un être à part entière et différent ! C’est le stade de la compréhension et de la compassion ! Inutile de dire qu’il demande beaucoup d’efforts, de patience et de renoncement ! Tant qu’on est prisonnier de ses désirs et de ses peurs, il n’est pas question de respecter l’autre ! On est le jouet de ses humeurs et l’autre doit le supporter ! Celui qui est capable d’être méprisé ou lésé sans broncher, qui domine son amour-propre, celui-là a la force de ne pas perdre de vue la situation dans sa globalité ! Par exemple, le bateau coule et il ne s’agit pas seulement de sauver sa peau ! Il faut s’assurer que les plus faibles aient aussi accès aux canots !

    Cependant, lutter contre sa domination, éprouver sa patience, renoncer au nom de sa foi, peut présenter des dangers très réels ! Souvent, le territoire du doux est saccagé par la domination psychique du plus fort ! Ce n’est pas véritablement un choix et si cette destruction est précoce, l’individu grandit sur des bases fragiles ! C’est ce qui se passe pour Paschic, ce qui explique qu’il a continué à se faire du mal, bien après avoir quitté la Machine ! Il n’y a pas de défenses, de garde-fous qui limitent chez Paschic ses efforts pour se contraindre, exercer son renoncement, d’où la dépression, la névrose et bien d’autres affections ! En fait, celui qui marche vers la lucidité aura bien de la peine à trouver le bon équilibre, le bonheur, car le chemin est semé d’embûches et de doutes, et pourtant c’est le seul qui vaille la peine ! Qu’on pense au Dom qui reste la marionnette de son égoïsme et de ses craintes, qui est en colère, qui écrase et qui se fatigue ! qui ne sait même pas où il est !

    Ainsi, Paschic pénètre à présent sur un territoire dévasté, troublé, plein de trous d’obus et de barbelés en désordre ! On a l’impression que c’est la guerre et un type effectivement arrive en courant, en alerte, quasiment apeuré, hors de lui ! « Eh ! vous là-bas ! crie-t-il à Paschic. Z’êtes malade ? Où est-ce que vous avez mal ?

    _ Hein ? Euh... Malade ? Non pas qu’ je sache...

    _ Non, parce que je suis médecin ! Docteur Guettons !

    _ Enchanté, répond Paschic, qui prend la main du type, portant effectivement une blouse blanche.

    _ Moi, je soigne, je soigne au mieux, voyez-vous, car c’est la catastrophe !

    _ Ah bon ?

    _ Mais regardez autour de vous ! Des malades, des malades par centaines, et qui ne trouvent pas de médecins, car nous ne sommes plus assez nombreux !

    _ Ah ?

    _ Mais oui ! Quand je songe à tous ces malheureux, qui veulent consulter, qui ont mal et qui ne sont pas soignés, cela me rend malade, vous comprenez, malade !

    _ Je comprends…

    _ Alors j’ai trouvé un truc…, pour multiplier mes consultations ! Je ne mange plus le midi ! Et hop, deux ou trois de patients de plus que je peux aider ! Pas mal, hein ? Mais oh ! Y a urgence !

    _ Et vous mangez quand ?

    _ Quand j’ai le temps…, quand j’ rentre chez moi, complètement vanné ! Certains soirs, j’arrive à la maison et j’ m’écroule, j’ m’endors comme une masse !

    _ Ce n’est pas étonnant… Donc, en tant que médecin, vous pourriez conseiller à un patient d’oublier le déjeuner, de ne pas prendre le temps de manger, pour reprendre des forces ! « Allez-y, surmenez-vous jusqu’à tomber ! » vous lui diriez ?

    _ Non évidemment !

    _ Mais vous, c’est différent, vous êtes médecin, c’est ça ? Écoutez, je vais vous donner un tuyau : vous êtes dépressif et vous avez perdu le sentiment de votre valeur, de votre utilité ! A ce moment, tout le malheur du monde vous envahit, aussi vite qu’une fuite dans une coque ! Vous en êtes anéanti et vous êtes en train de vous détruire !

    _ Mais pensez à tous ces malades… C’est la fin du monde !

    _ Et que ferez-vous quand vous-même serez vraiment malade ! A quoi serez-vous utile ? Faites la paix avec vous-même, avant qu’il ne soit trop tard ! »

  • L' attaque des Doms (96-99)

    R65

     

     

       "Un sac ne rend pas les coups!"

                            Rocky IV

     

     

                                          96

         Paschic est de retour à son campement, mais pendant des jours il subit les conséquences de la fatigue produite par son expédition ! Il a de nouveau des angoisses et des cauchemars ! Il n’y peut rien, car ses nerfs sont fragiles et son cerveau a l’air de reposer sur de la pierre ! Il faut encore patienter, ne pas s’énerver et même s’efforcer de manger correctement, car l’épuisement est tel qu’il ne donne que l’envie de dormir !

    Mais, au fond, ce qu’a vu Paschic ne devrait pas l’étonner ! Le « lac noir » n’a rien de satanique et les Doms ne viennent pas d’un quelconque péché originel, ou d’une damnation particulière ! Au contraire, ils ne font que suivre la voie la plus naturelle, celle de la domination animale qui est en chacun de nous ! Rien de plus facile que de se préoccuper de son égoïsme, de ne pas se remettre en question, de laisser aller sa haine et sa colère et d’accuser les autres, quand ça va mal ! L’animal a peur ? Il mord, tue ou s’enfuit ! L’animal veut tel territoire ? Il attaque et il prend s’il le peut ! Voit-il une autre destinée, a-t-il une vue au-delà de son nombril, de ses intérêts ? Non, il obéit aux instincts qui garantissent sa survie et cela se résume à la loi du plus fort !

    Le Dom n’a pas d’autres comportements, malgré « l’habillage » de la civilisation, mais là où il est « coupable », c’est qu’il dispose de la raison et aussi de l’imagination, qui permettent d’analyser, de comprendre, d’avoir le choix, de ne plus réagir comme un animal et de voir l’impasse de l’égoïsme et même les perspectives vertigineuses de la foi ou de l’amour ! L’homme est fait pour être spirituel, c’est là son avenir, mais, évidemment, cette voie est difficile, par son engagement, parce qu’il faut quitter le « troupeau » et surtout parce qu’on mue, qu’on quitte l’animal !

    Grandir est toujours inquiétant et la majorité s’y refuse, par peur essentiellement ! Partout, il y a donc des Doms et Paschic ne pouvait pas rester seul, même si, pour guérir, il avait désirait de la paix ! D’ailleurs, lui-même, comme tout le monde, a besoin de relations sociales, car nos pensées veulent se transmettre, pour nous donner une existence ! La communication va de pair avec notre chemin spirituel, mais le problème est que le Dom cherche sa supériorité, ce qui rend sa présence aussitôt agressive, blessante et fatigante, comme s’il « siphonnait » l’espace  et qu’on lui devait automatiquement des hommages ! Quand s’intéressera-t-il aux autres et sera-t-il apaisant ?

    Paschic en est là de ses réflexions, quand il voit une fumée monter de l’horizon ! Qu’est-ce que cela peut-être ? Des camions, ce sont des camions ! Il y en a toute une colonne et bientôt l’un d’eux s’arrête au niveau des débris du vaisseau de Paschic ! Des hommes, en gilet voyant, en descendent dans un nuage de poussière ! « Bonjour, fait Paschic, en s’approchant. Qu’est-ce qui s’ passe ?

    _ Ben, on installe le nouveau gazoduc !

    _ Le gazoduc ?

    _ Ben, oui ! Faut bien que les populations puissent se chauffer, cuisiner, etc. !

    _ Bien sûr…

    _ Ah ! C’est un vaste projet ! Le gazoduc va traverser le désert ici, puis il franchira la mer ! Dame, il s’agit d’assurer son indépendance énergétique !

    _ Ah ?

    _ Comment ? Vous n’êtes pas au courant ? Y a un dingue qui a commencé une guerre ailleurs, car il était persuadé de tenir tout le monde dans sa main, en fournissant du gaz ! Si on n’était pas d’accord avec lui, hop ! plus d’ gaz ! d’où l’idée d’être indépendant de c’ côté-là, d’où le gazoduc ! Si on veut arrêter la guerre, faut être libre !

    _ Bien sûr !

    _ Mais attention ! C’est pas fini ! Car y a encore le réchauffement climatique ! Les énergies fossiles doivent être abandonnées ! d’où le pacte vert ! Ici, bientôt, en plus du gazoduc, vous verrez plein d’éoliennes ! L’hydrogène peut encore être une solution ! Eh ouais ! Faut pas seulement voir midi à sa porte ! La gestion des populations demande une large vue et des investissements colossaux !

    _ Bien sûr…

    _ M’avez l’air un peu paumé ici, tout seul… J’ me trompe ? Sauf vot’ respect, j’ai l’impression que vous êtes du genre rêveur, idéaliste, non ?

    _ C’est que…

    _ Remarquez, y a pire ! Y a ceux qui se révoltent contre toute forme d’autorité, sans chercher à comprendre les enjeux internationaux ! Ceux-là bien entendu trouvent normal d’utiliser l’électricité et le gaz, sans se soucier d’où ils viennent ! Ce sont les mêmes qui ne comprennent pas l’intérêt du vrac, pour diminuer le plastique des emballages ! A l’aise dans leur voiture et pas question qu’ils se changent eux-mêmes ! L’ennemi, c’est le capitaliste !

    _ Je vois ce que vous voulez dire…

    _ Bon ben, c’est pas le tout ! On a du boulot ! Si vous vivez dans l’ coin, on va vous déranger un brin ! Ah ! Ah ! »

    Paschic ne répond pas et il a soudain envie d’être au calme… Il va boire un thé, tiens ! Ce Dom n’a pas tout à fait tort : bien souvent, une réalité géopolitique nous échappe ! Mais il vit dans un tel tourbillon ! Se demande-t-il lui-même pourquoi il vit ?

                                                                                                                             97

         Le duc de l’Emploi quitte le camp n° 5 : la dernière expérience ratée sur les Doms émeraude, dans le Rêve blanc, l’a mis hors de lui ! Il est tout rouge et crache encore plus de fleurs ! La directrice du camp, madame Schplint, vient essayer de le faire changer d’avis, alors qu’il remplit sa valise ! Il faut dire que madame Schplint a eu une liaison avec le duc : « Je t’en prie, Sirimond (c’est le prénom du duc!) ne t’en va pas ! J’ai besoin d’ toi ! Ma vie n’aura plus d’ sens, avec ton départ ! !

    _ Non mais t’as vu ces débiles de Doms émeraude ! Pff, pff (encore des fleurs!) ! Y a rien à faire avec ces gars-là ! Y veulent pas bosser ! Pff, pff !

    _ Mais on en viendra à bout ! On les remettra dans l’ droit chemin ! Tu n’es même pas guéri toi-même !

    _ On guérit par le travail ! Et puis tes employés, hein ? Oh ? Hein ? Non mais, t’as vu ta vendeuse ? Elle éclate en sanglots, dans les bras des Doms émeraudes, comme si elle leur donnait raison !

    _ Je l’ai licenciée sur le champ ! Crois-moi ! Il y a ici un personnel d’élite, le plus à même de comprendre les Doms émeraude et de lutter contre la Chose !

    _ Peut-être, mais j’ai consulté les derniers chiffres du chômage, pff, pff… Ils sont en hausse ! On profite de mon absence ! Les chômeurs se sucrent, malgré les réformes ! Ils nous volent, Armande, et ça me déchire le cœur !

    _ A chaque fois que tu t’énerves, tu craches encore plus de fleurs ! On n’était pas bien tous les deux ? Je ne te donnais pas du plaisir ?

    _ Si bien sûr, mais moi, mon boulot, c’est de traquer le paresseux, le profiteur ! C’est d’aider l’investisseur, le responsable ! Quand je pense que des insectes ou des arbres peuvent encore bloquer la construction d’usines ou de routes, ça me rend malade !

    _ Mon pauvre bouchon !

    _ Oh ! Je ne sais pas ce que j’ai, Armande ! Comme la gloire de Domopolis me semble loin ! Il fut un temps où nous étions la première économie du monde ! Et maintenant, pff, pff, nous voilà surendettés !

    _ Tu prends les choses trop à cœur ! Reste, je t’en prie ! Tu pourras te détendre !

    _ Malheureusement, le devoir m’attend ! Il faut serrer les boulons à tous les niveaux ! Tant qu’il restera une seule prestation sociale, je ne pourrais pas m’abandonner au bonheur ici ! Tu me comprends ?

    _ Bien sûr, mais je peux pas m’empêcher d’être triste ! J’avais rêvé qu’on fondrait une famille, avec des enfants qui auraient été fiers de leur papa !

    _ Tu es charmante, Armande… et très séduisante, mais le chômeur, le bénéficiaire d’un minimum social, il n’attend pas lui ! Il ne connaît pas la pause, il pompe le système dans l’ombre, comme une puce énorme ! Et nous ne parlons pas encore de la Sécurité sociale, qui rembourse toujours le rhume ou l’écorchure ! Des années de laisser-aller nous ont conduits au gouffre !

    _ Je me demande… Je me demande si tu n’aurais pas peur des Doms émeraude ? si tu n’aurais pas peur de devenir comme eux ! Car la Chose nous pose bien un problème, pas vrai ? Elle handicape bien Domopolis ! Toi-même a été touché, avec tes fleurs...

    _ Pff, pff…

    _ Peut-être que la solution à nos troubles se trouve bien ici, dans l’étude des Doms émeraude ! Si on trouve un remède à leur maladie, on en trouvera un aussi à l’emploi, à l’abus des prestations sociales ! Oh, Sirimond, la Chose a peut-être quelque chose à nous dire, à travers les Doms émeraude ?

    _ Pff, pfff…

    _ Vois encore comme la situation est devenue complexe ! On ne peut plus investir et construire comme avant, à cause du réchauffement climatique ! Notre développement ne peut pas continuer à détruire la nature…

    _ C’est pourquoi nous effectuons la transition énergétique…

    _ Mais c’est plus profond que cela ! Nous ne pouvons plus nous étendre et dominer comme avant ! Et les Doms émeraude, par leur apparente passivité, ont peut-être des réponses… Comment pouvons-nous nous développer, donner un sens à nos vies, sans détruire la nature ? Comment se sentir supérieur, tout en n’écrasant personne ?

    _ Mazette, j’ignorais totalement que tu réfléchissais autant ! Je suis perplexe tout d’un coup, car je me demande de quel côté tu es ?

    _ Là n’est pas la question, car nous sommes tous embarqués, si je puis dire… Mais l’étude des Doms émeraude me passionne ! Qu’est-ce qui produit leur léthargie ? Ce n’est pas seulement la dépression ! C’est comme si j’étais en face de chrysalides… Je sens une puissance chez eux, qui m’est inconnue et qui ne demande qu’à sortir ! »

                                                                                                                        98

         Les hommes de la BAF se préparent dans leur vestiaire… La BAF est l’organisme chargé des prestations sociales à Domopolis ! Les hommes prennent leur fusil, s’habillent avec des vêtements de chasse, car les choses ont changé aujourd’hui chez les Doms ! Le pays est surendetté, notamment à cause des prestations sociales, alors que le nombre d’allocataires est toujours en hausse ! On a d’abord essayé de reconduire les chômeurs et les bénéficiaires de minima sociaux vers le marché du travail… On a réduit les droits, demander plus… On a menacé, traqué la fraude, examiné chaque cas, tendu tous les pièges, grâce par exemple à des difficultés administratives, mais rien n’y fait : ce que d’aucuns voit comme une couche de parasites n’a pas cessé de croître, telle une moisissure qui revient, malgré les nettoyages, les traitements !

    Surtout depuis que la Chose est là, on voit comme une recrudescence de la paresse, de la dépendance, sous la forme des Doms émeraude ! Ils sont là, avec leur air nébuleux, dans les bureaux même de la BAF ! Et il n’y a rien à en tirer ! Les tuteurs, les assistantes sociales ont beau sonder, inviter à l’effort, à la recherche du travail, à la réintégration, sous peine de se voir sans aide, les Doms émeraude n’ont que la force de répondre oui ou non, ou de cocher quelques cases ! Que s’est-il passé ou plutôt que se passe-t-il ? La BAF n’ignore pas la présence de la Chose ! Elle sait que celle-ci transforme les individus, mais comment et pourquoi ?

    Un tel par exemple a travaillé pendant des années et soudain il se présente à la BAF ! Il demande une aide sociale, comme ça, alors qu’il n’a même pas été licencié ! Il raconte qu’un jour il a été touché par la Chose et que maintenant il ne veut plus travailler comme avant, qu’il a besoin de donner un nouveau sens à sa vie ! Lequel ? Il faut bien gagner son pain et penser à sa retraite, mais dès qu’on presse le Dom émeraude de questions, il s’enferme dans le mutisme ! Pire, il rajoute qu’on ne peut pas le comprendre ! Quoi de plus exaspérant pour la BAF ? Elle serait donc tellement ignorante qu’on la méprise ? Mais, pendant ce temps-là, le déficit se creuse et la hiérarchie de la BAF s’impatiente, en poussant ses employés à la réduction des allocataires !

    Finalement, une solution est trouvée : on va supprimer les Doms émeraude, qui sont de toute évidence de mauvaise volonté, des cas perdus ! Les brigades de la BAF sont nées ! Loin des regards, elles traquent le Dom émeraude et l’éliminent, et si cette exécution a lieu dans la ville même, elle passe pour une opération policière ! Ce matin-là, les hommes de la BAF prennent leur pick-up, car la cible, le gibier a été situé hors de la ville, peut-être dans la Chose elle-même, ce qui n’est pas courant ! Cependant, le véhicule ne tarde pas à atteindre ce mur miroitant de la Chose, qui ondule mollement, et y pénètre !

    Un paysage de landes apparaît…, pauvre, à l’air désolé ! Malgré les taches mauves de petites fleurs, on ne peut s’empêcher de frisonner, car un vent froid balaie l’espace sans véritable végétation ! Il y a bien là-bas deux ou trois pins, mais ils sont si minces et si tordus qu’ils donnent l’impression de grelotter eux-mêmes ! Ce n’est pas tout ! Le chemin pierreux est saturé d’eau et il devient si étroit qu’il faut abandonner le pick-up !

    Le Dom émeraude que l’on cherche a un numéro de la BAF, le 835RE29 ! Il a été vu par des enfants, alors qu’il entrait dans la Chose et il doit donc se cacher dans cette lande, où l’on peut apercevoir quelqu’un même à l’horizon, tellement le terrain est nu ! Mais les heures passent et la cible demeure invisible !

    Le ciel, couvert jusque-là, finit par s’éclaircir et le soleil, avant se se coucher, perce les nuages avec ses doigts d’or, qui avancent lentement sur l’océan ! Eh oui ! On peut le voir, immense après la lande, si vaste qu’il semble immobile ! Dans cette ambiance de rocaille, d’eau, de vent qui envoûte et qui fait oublier, les hommes de la brigade sont conduits au silence et à la contemplation ! Le n° 835RE29 se cache-t-il dans quelque « trou à rat », dans l’une des très rares anfractuosités alentour ? Les hommes marchent depuis des heures et n’ont plus vraiment conscience de leur tâche, comme si la Chose les avait peu à peu endormis !

    Rêvent-ils ? L’agitation, les préoccupations de Domopolis et de la BAF leur semblent bien lointaines désormais ! Curieusement, ils se sentent apaisés ! Ils n’ont plus peur ! Leur pas est serein, même si leur mission n’est pas encore accomplie et que le soir descend ! Une envie presque disparue remonte en eux… et ils se mettent à fredonner une sorte de complainte, triste et entraînante à la fois !

    A Domopolis, jamais on ne revit cette brigade, ni le 835RE29 !

                                                                                                                  99

         Un couple de Doms s’épanchent : « Si tu savais comme je t’aime !

    _ Oh ! Moi aussi, je t’aime ! Comme je t’aime !

    _ Tu pleures ?

    _ Oui, c’est fou comme je t’aime !

    _ Oh ! Comme je t’aime !

    _ Au début, j’ai eu peur de te le dire, mais maintenant j’ai ce courage : je t’aime !

    _ Tu as eu peur ?

    _ Oui, j’avais peur de me sentir trompé, en danger, car la vie est dangereuse... Elle n’est pas rose, tu sais ?

    _ Mais c’est fini ? Tu ne me rejetteras plus ?

    _ Promis, juré ! Je n’aurais plus peur de te le dire ! Je t’aime ! 

    _ Oh, moi aussi ! Nous n’aurons plus peur ensemble !

    _ Non, nous sommes équilibrés psychologiquement, puisque nous nous avouons nos sentiments !

    _ Oui, tu es ma lumière !

    _ Nous nous raccrochons l’un à l’autre ! Nous effectuons notre devoir !

    _ Notre devoir ?

    _ Mais oui, je porterai ton fardeau, comme tu porteras le mien !

    _ C’est triste !

    _ Mais vois-tu autre chose ? Le ciel n’est-il pas vide ? A quoi poursuivre un absolu, une chimère ? C’est notre vie terrestre qui compte, notre bonheur ! Je t’aime, tu sais ?

    _ Moi aussi, mais je ne savais que tu voyais notre amour d’une façon aussi sombre !

    _ Mais je ne te quitte plus ! Tu es ma lumière dans la nuit ! Je veux te voir chaque jour ! Tu es ma raison de vivre, tu sais ! On sera bien tous les deux, tu verras !

    _ Et La Chose ?

    _ Quoi ? La Chose ?

    _ Eh bien, je ne sais pas… On ne peut pas non plus se replier sur nous… Il y a les autres, le malheur du monde !

    _ On n’est pas bien ensemble ? Regarde-moi… Je suis toi et tu es moi !

    _ Oh ! Comme je t’aime ! Tu es mon fardeau et ma joie !

    _ Tu t’en vas ?

    _ Oui, je vais aux toilettes…

    _ Bien… Quand je pense que nous sommes parfaitement bien intégrés !

    _ Qu’est-ce que tu veux dire ?

    _ Eh bien, nous formons un couple, nous avons des enfants, un travail, nous cotisons ! Si on nous arrête, on sera parfaitement en règle !

    _ Et nous sommes équilibrés, car nous nous avouons nos sentiments !

    _ Nous sommes matures ! Et nous mourrons dignement, bravement, avec le sentiment du devoir accompli !

    _ Oui, chacun de nous aura porté le fardeau de l’autre ! sans absolu !

    _ Nous sommes les premiers humains raisonnables, les philosophes de l’amour ! On peut accepter nos destinées mortelles, en se regardant les yeux dans les yeux !

    _ Comme je t’aime ! Et comme je suis triste aussi ! C’est sans doute parce que mon bonheur est trop grand ! Je n’ose croire à une telle joie ! Ce n’est pas possible !

    _ Oh ! Comme je te désire et comme j’aimerais ne plus faire qu’un avec toi ! Il fait si froid dehors et le monde est si violent !

    _ C’est le fait de gens déséquilibrés !

    _ Mais nous sommes bien ensemble, avec un bon salaire !

    _ Oui, tenons-nous au chaud !

    _ Comme je t’aime ! Tu es ma bouée, ma lumière !

    _ Je ne te quitterai jamais !

    _ Tu me fais pleurer de joie !

    _ Fi de l’absolu et de la Chose !

    _ Je n’ai aps d’autres mabitions que celles de t’aimer !

    _ J’en suis sûr !

    _ Nous sommes les citoyens responsables de l’Univers !

    _ Nous mourrons bravement !

    _ Nous voilà adultes ! »