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  • L' attaque des Doms (68-72)

    R59

     

              "Evidemment, monsieur Cerruti, si vous aviez quelque créance...

                _ J'ai ça: 357 Magnum! Mais est-ce suffisant?

                _ Tout à fait, monsieur Cerruti."

                                                            Flic ou voyou

     

                                              68

    Il se passe quelque chose d’étrange dans Domopolis : les rues sont envahies par des feuilles ! Des feuilles mortes, oranges, jaunes, rouges ! Il y en a des millions et c’est un enchantement pour les yeux, mais pas pour les Doms ! Eux ne voient que la gêne, car la circulation n’est même plus possible… et puis ils sont profondément troublés, par la nouveauté du phénomène ! Qu’est-ce que ça veut dire ? D’où viennent toutes ces feuilles ? Est-ce encore un « coup tordu » de la Chose ?

    Qu’à cela ne tienne, les services de Dominator vont nettoyer la ville et les souffleurs et les balayeuses entrent en action ! Mais c’est peine perdue ! Il y a trop de feuilles ! Sitôt qu’on a dégagé une rue et qu’on s’attaque à une autre, les feuilles reviennent en une pluie d’or et elles forment de nouveau un tapis épais, inextricable, dans lequel on s’enfonce ! Les nettoyeurs s’acharnent, mais bientôt des balayeuses, des employés disparaissent sous l’étrange marée ! On voit leurs véhicules être comme mangés, digérés par les feuilles et on se dit que certainement c’est l’action de la Chose !

    La colère monte ! On accuse l’incompétence des pouvoirs publics ! On parle de corruption à un haut niveau ! Certains habitants paniquent… Des motards notamment s’élancent, avec un bruit d’enfer, contre des paquets de feuilles déjà brunies ! Il s’agit de passer, d’échapper à cette « prison », mais le résultat est toujours le même : le motard glisse, chute et est avalé, sous les yeux remplis d’horreur ! On n’ose plus sortir de chez soi ! On regarde par la fenêtre ce flot feuillu, qui rend impuissant ! Pour faire ses courses, on se déplace avec précaution, en tentant « de ne pas mettre en colère » le phénomène ! C’est que le désespoir fait craintif et superstitieux !

    « Vous allez me trouver une solution et fissa ! crie Dominator à Ratamor et Lapsie ! C’est vous les scientifiques, les spécialistes !

    _ On peut émettre l’hypothèse d’un vent venu de la Chose et qui transporte les feuilles… répond timidement Ratamor.

    _ Ouais, ouais, fait Dominator, en rallumant son cigare. La sainte logique ! Mais vous foncez sur le terrain, car je veux une solution pratique, pas de théories ! La Chose se fout de nous !

    _ La Chose n’a pas d’âme et...

    _ Vous êtes encore là ? »

    Ratamor et Lapsie se retrouvent dans la rue, face aux feuilles… « Bon, par quel côté prendre le problème ? » se demande Ratamor. Mais il y a un drôle de type qui se dirige vers eux… C’est un personnage qui paraît flou, même de près et effectivement, sa peau est toujours en mouvement, comme si elle n’était pas homogène, mais constituée de milliers de particules ! On ne peut pas ne pas avoir un léger haut-le-corps, devant un tel « spectacle » ! « Salut ! fait l’homme, avec une bouche grouillante. Bon, vous pouvez partir ! Il faut laisser faire les pros !

    _ Hein ? Comment ? s’étonne Lapsie piquée. C’est nous qui avons été chargés de… Mais vous êtes qui, vous d’abord ?

    _ J’ suis Microbiote ! Autant dire le personnage principal ! Mon rôle a enfin été reconnu ! A moins que vous ne sortiez du coma ? Donc, on cède la place !

    _ Quoi ? C’est toi, les matières fécales ? Et il faudrait t’obéir ?

    _ Sûr ! C’est moi qui commande le cerveau ! Quand j’ vais pas bien, il va pas bien non plus ! T’as pas encore pigé, Lapsie ?

    _ J’ai rien pigé du tout ! Ah ! Ah ! Parce que tu crois que tu peux régler les angoisses existentielles ? Non, mais regarde-toi !

    _ Toi et tes collègues, il fut un temps, vous avez bien cru que c’était la baise, le problème ! avec tonton Freud, dont le cigare était un TOC, non ?

    _ D’accord, d’accord ! Mais c’est complexe tout ça !

    _ Moi, tout ce que je sais, c’est que la constipation empoisonne le corps et le cerveau ! Bien s’ vider garantit un bon équilibre !

    _ Peut-être, mais la réflexion, la recherche de sens, t’en fais quoi ?

    _ Et l’inflammation du côlon ? C’est pas le fléau des femmes d’aujourd’hui ?

    _ Ça suffit vous deux ! fait Ratamor. On a besoin de tout le monde, pour lutter contre les feuilles, vous ne croyez pas ?

    _ Bien parlé, old chap ! approuve Microbiote.

    _ Très bien, mais alors qu’est-ce qu’on fait ? » demande Lapsie.

    Les trois regardent le tapis qui s’étend devant eux… « Mince, qu’est-ce qui arrive là-bas ? demande Microbiote.

    _ On dirait des bogues… rajoute Lapsie.

    _ Des bogues géantes… et elles roulent vers nous ! précise Ratamor. 

    _ Faudrait songer à s’ barrer, non ? Ça pique, ces machins-là ! jette Microbiote.

    _ J’ suis assez d’accord avec lui ! lâche dépitée Lapsie.

    _ Sauve qui peut ! »

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    Dans le vaisseau Dom 45TY550°, le Général rêve : il se voit dans la toute nouvelle voiture Dom GTH 7 K ! Ah là, il serait arrivé ! Il caresserait du regard l’intérieur ! Il s’enchanterait du luxe et du confort ! Il ferait parler la puissance, il en jouirait ! Il ferait envie aux autres, le rêve de toute une vie ! Il pourrait alors mourir, car il aurait réussi !

    « Général ! fait la voix du Dom passerelle dans l’interphone.

    _ Quoi ?

    _ Un autre vaisseau Dom demande à accoster !

    _ M’en fous !

    _ Hem, il s’agit de l’Embrouilleur, le propagandiste !

    _ L’Emmerdeur, vous voulez dire !

    _ Général, l’Embrouilleur est dans les petits papiers de Dominator ! Il faut le recevoir !

    _ Ça va, ça va ! Accueillez-le, j’arrive…. »

    L’Embrouilleur a fait du chemin, depuis qu’il appelait à la révolte dans un garage… Il s’est approché de Dominator, il lui a montré tout l’intérêt d’une propagande forte, basée sur le mensonge ! Il lui a exposé toutes les techniques, pour perturber ses adversaires, notamment comment oser dire que blanc c’est noir, ce qui abreuve de désespoir tous les opposants ! L’Embrouilleur est devenu un personnage puissant, vêtu d’une cape et toujours accompagné par des hyènes tenues en laisse ! Plus elles sont cruelles et mieux elles sont nourries, récompensées !

    A bord du vaisseau 45TY550°, on s’écarte devant le visiteur, on frémit de dégoût, en le cachant évidemment, car on craint l’Embrouilleur et surtout ses hyènes ! « L’Embrouilleur ! fait le Général faussement jovial. Sois le bienvenu !

    _ Je viens de la part de Dominator…, pour améliorer le rendement de nos troupes !

    _ Bien sûr, je t’aiderai au mieux dans ta mission ! Comment va Domopolis ?

    _ Mal, nous sommes attaqués par des feuilles !

    _ Voyez-vous ça !

    _ C’est cette infâme Chose ! Elle met le chaos !

    _ Elle embrouille tout le monde ! Euh… Ça m’a échappé !

    _ J’ai lu tes rapports... et il y a certaines choses qui ne vont pas du tout !

    _ Diable ! Installons-nous dans le poste de commandement… Le Dom passerelle va nous apporter du café ! »

    Une minute plus tard, l’Embrouilleur, parmi ses hyènes, reprend la conversation : « J’ai constaté que votre équipage a un rendement de 50 %! Or, il serait facile de l’augmenter à 70 %!

    _ Ah bon ? s’étonne le Général.

    _ Oui, il suffit de baisser la température du vaisseau !

    _ Je te demande pardon ?

    _ On laisse le froid cosmique agir dans le vaisseau… Plus il fait froid et plus le Dom s’inquiète et donc devient actif et égoïste ! C’est un mouvement naturel !

    _ Tu n’es pas sérieux !

    _ Est-ce que j’ai l’air de plaisanter ? »

    A cet instant, le vaisseau est ébranlé, à un tel point que l’Embrouilleur est jeté de son siège et que les hyènes hurlent à la mort ! « Mais qu’est-ce qui se passe ? s’écrie paniqué l’Embrouilleur.

    _ Hum, d’après ce que je vois, répond le Général, ce sont les nuages rouges de la planète Camandria… Nous en sommes très proches et ces nuages sont souvent accompagnés de vents gigantesques, ce qui explique cette perturbation…

    _ Tu… Tu en es sûr ?

    _ Allô, Dom passerelle ? C’est Camandria qui fait des siennes ?

    _ Affirmatif, Général, ça se calme déjà !

    _ Tu vois, reprend le Général, un incident, rien de plus !

    _ Excuse-moi, dit l’Embrouilleur, qui se remet maladroitement sur son siège, je… je suis un peu fatigué en ce moment !

    _ Hum, mentir tout le temps, ça doit être fatigant, non ? Toujours manipuler, toujours être sur ses gardes ! Pour ma part, je n’y résisterai pas !

    _ Mais je le fais pour la bonne cause ! Nos ennemis sont nombreux et ont juré notre perte ! La grandeur des Doms passe avant tout ! Il en va de notre survie !

    _ Ah bon ? Ce n’est pas une question d’orgueil ? »

                                                                                                                              70

    Domopolis est toujours en danger ! Les feuilles se sont transformées en petites scies circulaires ! Elles roulent avec le vent et leurs pointes acérées découpent les corps ! C’est affreux évidemment, car il y a du sang partout et on entend des cris horribles, mais les feuilles semblent choisir leurs cibles ! Par exemple, elles se jettent sur le Dom qui laisse tomber négligemment un papier par terre ! Le Dom, qui quelques secondes auparavant se moquait éperdument du monde, se met soudain à appeler au secours, à demander la solidarité des autres ! Comme ce revirement est étrange… et inutile, car l’attaque va très vite : le Dom est taillé en pièces en un éclair ! C’est incroyable ce que ces feuilles peuvent avoir d’énergie !

    Mais il y a aussi le Dom qui ne trie pas ses déchets, qui bourre sa poubelle n’importe comment, qui est pris à partie ! A peine laisse-t-il sa poubelle déborder de sacs que les feuilles arrivent sur lui ! Elles font de petits bruits secs sur le trottoir, puis un courant d’air et hop, elles sautent sur l’individu, en lacérant ses chairs ! La surprise est totale, l’épouvante aussi ! On est égoïste jusqu’au fond de l’âme, on ne se préoccupe que de soi, on méprise absolument son prochain… et voilà qu’il faut se réveiller, prendre conscience à mesure qu’on ressent la douleur ! La leçon est aussi amère que funeste ! Le sang ruisselle dans les caniveaux et on se demande si la Chose n’a pas perdu patience, si son action n’est pas contre-productive, à force d’être radicale ! Où est le doux temps de la pédagogie ?

    Évidemment, les Doms qui effectuent des dépôts sauvages, qui sèment dans un coin leurs ordures, comme les chiens pissent en tel endroit, ceux-là sont particulièrement assaillis, suscitant parmi les feuilles un véritable petit tsunami ! Tous les membres de ces « cochons » volent en éclats ! On a l’impression que les feuilles sont brusquement ivres, tant leur ardeur est visible, et à la place d’un tas de vieux meubles ou d’habits, on trouve des têtes, des bras, des jambes, dans un ordre si bizarre qu’un léger sourire paraît affleurer dans les yeux des morts ! Sentent-ils tout le sel de la situation ? La Chose ne les traite pas elle-même comme des ordures ?

    Mais les feuilles ne s’arrêtent pas là ! Elles veulent les vrais responsables, les champions de la nécessité, ceux qui se masquent obstinément leurs ambitions, qui ne réfléchissent jamais à ce qu’ils sont, qui n’avouent jamais leurs peurs, qui font croire que leur vie a un sens ou n’en a pas besoin ! ceux qui détruisent la nature sans sourciller ! ceux qui sont malades sans chantiers ! ceux qui bétonnent à tout va ! qui ne recueillent jamais la beauté dans la main ! qui n’ont aucune humilité ! qui ne savent pas s’arrêter ! qui sont aveugles, pleins d’intrigues, qui boivent le pouvoir à grandes gorgées, qui se droguent avec leur ego ! ceux qui ne savent pas ce qu’errer veut dire ! qui ignorent tout de la nuit et de la souffrance !

    Vite, les feuilles se ruent sur la tour du Pouvoir ! Elles veulent la peau de Dominator et de ses sbires ! Elles créent une vague monstrueuse, effrayante, haute comme un immeuble ! C’est un déferlement mordoré, un horizon couleur sang, qui fait tressaillir Dominator, alors qu’il se croyait à l’abri ! « Mais ça va pas quand même pas nous atteindre ? » s’écrie-t-il, tout en sentant ses cheveux se dresser sur la tête. Derrière lui, Ratamor et Lapsie ne disent rien, figés par l’horreur que produit cette masse immense et qui fonce vers eux ! « Eh prof ! jette encore Dominator. Réveillez-vous ! C’est vous le matheux ici ! On est assez haut, hein ?

    _ Je… Je ne sais pas ! » balbutie Ratamor.

    La vague s’écrase et la tour du Pouvoir en est ébranlée ! On y sent une secousse ! Puis, la crête monte face à l’obstacle ! Les fenêtres sont obscurcies par les feuilles, même à la hauteur du bureau de Dominator ! On est comme enterré sous les feuilles et une angoisse saisit chacun ! On se met à courir éperdu, on crie, on se percute ! Monsieur Nuit, toujours transformé en escargot, entreprend d’escalader un mur, vaste projet, mais la peur lui donne du courage, tout en excitant ses antennes ! Dominator ne bouge plus, oubliant son cigare éteint dans la bouche ! Lapsie, malgré sa répugnance à l’égard de Ratamor, son ancien ennemi, l’a tout de même pris par le bras, afin sans doute de mieux résister au choc ! « Et dire que je suis en détox! » se dit-elle.

    Des feuilles ont réussi à pénétrer la ventilation et des gardes sont découpés, dans des couloirs sombres ! On entend comme des couteaux se planter derrière les portes, qui résistent ! Puis, c’est l’incroyable reflux, telle une respiration géante ! Les feuilles se retirent ! Elles ne sont plus soutenues par leur élan ! Elles repartent ! Pourtant, la stupeur dans la tour du Pouvoir ne retombe pas ! On y reste muet, assommé, tandis que là-bas les feuilles n’en finissent plus de s’écouler hors de la ville, dévoilant des « noyés » !

                                                                                                                        71

    Il existe dans la Chose un endroit magique ! On y descend dans l’ombre, par un petit escalier… C’est un lavoir, à côté de sa fontaine ! L’eau murmure doucement et diffuse sa paix… Apparemment le lieu est banal : des dalles de pierre entourent le bassin, sous les feuillages, mais si on y regarde de plus près, si on se concentre, un charme peu à peu envahit le visiteur, car là, à la surface, le reflet du ciel et des arbres est tellement clair qu’on a le sentiment qu’un autre monde commence, parallèle à au nôtre ! L’idée que l’eau en aurait une vertu particulière, qu’elle pourrait donner une connaissance supérieure, extraite d’un univers plus pur, vient naturellement !

    Une légende est donc née : si on boit un peu de cette eau, on est transformé, on devient meilleur, on a un pouvoir inconnu, peut-être même le don de guérir ! à condition toutefois de puiser le liquide au bon endroit, juste avant qu’il ne reprenne sa course, justement quand il est illuminé par des éclats de soleil, qu’on aura soin de recueillir entre ses mains ! Alors, dit-on, le charme opère, on revient vers Domopolis et les Doms, en étant différent, avec un regard qui a changé !

    D’abord, on est écœuré par la saleté de la ville ! Car les déchets que l’on voit ne sont pas dus à la fatalité, mais à l’indifférence, à l’égoïsme ! Force est de constater que les Doms vivent dans une porcherie ! Mais ce n’est pas là le pire, on s’en doute ! Il y a encore l’incessant trafic, qui abrutit, vide et rend esclave, mais ce qui désespère le plus est plus loin, dans le centre, au sein même des rapports entre les Doms ! Celui qui a bu l’eau du lavoir est sidéré, abasourdi par la manière dont nous nous comportons ! Ce sont d’abord des regards de haine, de gens que nous ne connaissons pas et qu’on découvre subitement et donc qu’on n’a pas pu blesser ! Alors pourquoi cette haine, ce mépris ? Ce n’est pas une illusion, ce dégoût est bien là, car on tient à nous le montrer, de sorte qu’il nous pénètre, qu’il nous fasse mal !

    Tout simplement, la domination s’offusque que vous lui échappiez, que vous soyez heureux sans elle, que vous ayez l’air libre et non soumis ! Quel étrange message ! Il faudrait donc être malheureux ou avoir peur, pour satisfaire ces Doms ? Ce sont eux les maîtres et il faut que vous le sachiez ! Mais pourquoi les suivre, alors qu’ils ne sont pas heureux, car leur haine témoigne de leur malheur, de leur peur et de leur ignorance ? Pourquoi, s’ils sont gênés par votre joie et votre liberté, n’essaient-ils pas de comprendre d’où elles viennent, afin qu’ils en profitent eux aussi ! Non, il faut qu’ils vous détruisent ! S’ils ne peuvent vous commander, vous devez disparaître ! Cela veut aussi dire que c’est la domination qui mène le monde, que c’est le poison de Domopolis !

    Mais vous n’êtes au bout de vos peines ! Dès que vous entrez dans un magasin, un Dom ou une Dom vient vous presser par derrière ! On pèse sur vous, comme si vous étiez du bétail, car là encore c’est le Dom qui compte, c’est son monde, pas le vôtre ! Dans ces conditions, comment pourrions vivre en paix et aimablement ! Il faut se défendre, résister, faire comprendre au Dom que les autres sont ses égaux ! Pourquoi se sent-il supérieur ? Pourquoi ne respecte-t-il pas l’autre, n’en est-il pas curieux ? Pourquoi n’est-il pas humble ? Celui qui a bu l’eau du lavoir prend conscience d’une chose gigantesque : c’est que les Doms vivent dans leurs plaisirs ! Ils se gavent de leur égoïsme, au-delà des apparences ! Ils se roulent dedans, comme les hippopotames dans la boue !

    Et pourtant le Dom se plaint ! Il se croit victime du devoir, plein de respectabilité et de responsabilités ! Il ne s’en rend pas compte ! Il est aveugle telle une taupe ! Il n’a aucune idée de la souffrance et il vit dans un luxe incroyable ! Voilà ce que voient les yeux nouvellement ouverts ! Et c’est sidérant ! Tout pourrait être différent, si chacun luttait contre sa domination, son égoïsme ! Ce n’est pas une question de politique ou d’économie, c’est juste en nous, à la portée de tous ! Mais on le sait, se remettre en question pour le Dom est ce qui lui est le plus pénible, tant il est attaché à sa domination, pour se protéger de la peur !

    Car le fond du Dom, c’est la peur ! Tant qu’il domine et que c’est son monde qui triomphe ou s’impose, il ne s’en aperçoit pas ! Au contraire, il se croit très malin et courageux ! C’est ce qu’il appelle sa réussite, quand il se sent un gagnant, qui devient haineux et hostile, dès qu’on paraît différent, plus libre ! Cette réaction haineuse, ce désir de détruire montre toute la fragilité et l’hypocrisie du Dom, montre comment toute sa soi-disant sûreté est bâtie sur du sable ! Car c’est la peur qui n’est pas guérie, qui reste un abîme sous les pieds ! Les tyrans sont forcément peureux !

    Voilà le pouvoir de ce fameux lavoir enchanté, qui dort quelque part dans la Chose ! qui ne fait pas de bruit et qui reste caché des Doms, tant ils sont agités et même violents ! Dans le lavoir, il y a encore des feuilles qui tournent lentement, qui ondulent parmi les bulles, qui forment un tapis d’or…, qui tombent en créant un œil qui s’ouvre de plus en plus largement sur l’eau ! C’est l’onde du rêve !

                                                                                                                             72

    Les scientifiques, les philosophes, les penseurs, se trompent sur la Chose ! Ils disent notamment qu’elle est une fuite, un mirage, que le merveilleux est une illusion ! Car eux savent ce qu’est l’homme ou le Dom ! Ils savent et comprennent… et ils font confiance au rationnel, car ils ne sont pas dupes : les hommes sont durs et égoïstes et deux plus deux font quatre, et la mort est la fin, etc. !

    Mais l’art, qui représente la beauté, arrive à comprendre le réel, justement là où la science se révèle impuissante ! Un beau portrait laisse voir toute la personnalité d’un individu bien mieux que n’importe quel traité de psychologie ! C’est une image d’ensemble qui capte ce qui est indicible et échappe à l’analyse ! Science et art sont complémentaires, car la beauté nous enseigne quelque chose ! Par son rythme, son temps déjà, elle nous forge ! Notre domination nous quitte peu à peu, à son contact, comme une mue ! Cela ne se fait pas sans douleurs, car nos blessures peuvent être nombreuses, ce qui nous conduit à un ardent désir de justice ! Mais notre amertume et nos frustrations ne sont pas causées par la beauté, mais bien par les Doms !

    La beauté, la nature ou la Chose ne font que nous accueillir et… nous consoler ! De quelle manière ? Mais, en suscitant notre admiration, elle attache notre regard et fait pénétrer en nous son message ! Quel est-il ? Mais que l’infini existe, puisque cette beauté se révèle sans limites ! La beauté nous dit qu’elle est extraordinaire, en produisant notre enchantement ! Elle nous rassure, en nous faisant comprendre que nous ne sommes pas des étrangers dans le monde, mais qu’au contraire il est notre maison ! Nous ne sommes pas seuls, malgré notre désarroi et nos blessures, mais nous sommes aimés, d’où notre réflexion sur cette ambiguïté, car comment pourrions-nous être aimés, alors que nous souffrons ?

    La boîte qui nous sert de cerveau, se met alors en action, pour résoudre cette énigme ! provoquée par la beauté ! On le voit, nous sommes ici très loin déjà de toute naïveté ! Le merveilleux, loin de nous séparer du réel, nous en rapproche au contraire au plus près ! Naïfs sont plutôt les scientifiques et les philosophes, les matérialistes, car de tout temps l’homme a compris le réel grâce à l’art ou à la beauté ! La spiritualité naît de l’imagination et de l’admiration ! Elle nous est aussi indispensable que la science, mais en plus elle nous apporte la sécurité et le levier de l’amour ! Car la beauté peu à peu résout notre énigme : comment Dieu pourrait exister, alors que nous souffrons ?

    Peu à peu, la beauté nous enlève notre domination, c’est un travail de patience, permis par l’enchantement ! La compréhension s’éveille… D’abord, le Dom a peur… et plus il est violent et plus il a peur et est perdu, malgré ses airs bravaches et victorieux ! Comme nous nous sentons aimés et comme nous sommes rassurés, nous sommes à même de comprendre ! C’est notre égoïsme qui empêche notre réflexion, notre lucidité ! Par l’amour, notre vision s’élargit ! Elle devient elle-même sans limites, bien au-delà de la simple logique ou de la seule raison, qui sont toujours asséchantes ! L’« eau de vie » jaillit de l’amour et donc de la beauté ! Le merveilleux est la connaissance « suprême » ! C’est la « science » de l’enfant !

    Mais voyons maintenant nos vies actuelles… Notre environnement est éminemment agressif : saleté, pollution, trafic incessant, travaux partout, laideur des bâtiments, colère, haine, violence, guerre, incertitude, manifestations, destructions, racisme, intolérance, etc. Où est la beauté ? La paix ? Comment pourrions-nous ne pas être perdus, malheureux et malades ? Nous sommes de plus en plus nombreux certes et les villes ne cessent de s’étendre, mais nous avons vu que c’est surtout à cause de la domination ! Rien que le fait de ne rien faire, de rester tranquilles, nous angoisse ! Nous sommes à des années-lumières de l’enseignement de la beauté ! Nous en sommes aux antipodes et nous nous analysons et nous nous dévorons et nous nous rendons suspects à nous-mêmes : qu’est-ce que notre nourriture, comment marchent nos digestions ? Ce qui devrait être le plus simple devient un abîme de réflexion !

    Bien sûr, le premier réflexe est le rejet, la fermeture sur soi, le phantasme d’une autre époque, où la société était plus ordonnée, plus « pure » ! Mais ce chemin est celui de la haine et du mépris ! Or, la beauté est toujours parmi nous, malgré nous a-t-on envie de dire ! Le ciel est toujours au-dessus de nos têtes, la végétation n’a de cesse de toujours repousser, même à travers le béton, etc. ! Son message nous attend donc toujours ! Il suffit de s’arrêter et de l’écouter ! Mais il est vrai aussi que l’art s’est perdu lui-même, qu’il s’est dépourvu de toute admiration et de spiritualité et que c’est en partie la faute de la science, qui croit même toujours être supérieure à l’art, pour l’avoir circonscrit ! C’est la domination scientifique !

  • L' attaque des Doms (64-67)

    R58

     

     

                      "Nous sommes les chevaliers du Ni!"

                                                         Sacré Graal

     

                                           64

    La Peur n’est pas seulement une vieille dame, qui rend visite à Dominator, c’est une femme bien plus puissante, qui a son propre château, non loin de Domopolis ! Il existe même entre la ville et le château un réseau de tuyaux, par lequel la Peur envoie ses philtres jusqu’à l’eau potable des habitants, qui en sont empoisonnés ! La Peur transmet ainsi ce qu’elle est, contrôle chacun suivant le degré de ses préparations et au fond, c’est elle qui a le véritable pouvoir sur Domopolis et non Dominator !

    La peur souffre-t-elle de cette situation fausse ? Voudrait-elle être reconnue à sa juste valeur et apparaître en tête d’affiche ? Souhaiterait-elle que son nom soit sur toutes les lèvres ? Il semble que cela soit impossible, car jamais un Dom ne reconnaîtra sa peur ! C’est là heurter son orgueil et donc sa domination ! Plutôt que d’avouer sa peur, le Dom préfère mille fois trouver des coupables à son mal-être ! Il désigne des ennemis, se met en colère et ainsi l’action de la Peur reste enfouie, dans l’ombre, ignorée ! C’est un avantage pour la Peur, car elle n’est combattue que d’une manière détournée et inefficace  ! Elle peut donc continuer sa longue carrière, sans être dérangée, et de son anonymat, elle a fini par en prendre parti, puisqu’il lui permet de vivre librement !

    Mais cela ne veut pas dire non plus que la Peur s’endort sur ses lauriers, qu’elle se contente d’un quotidien qui a fait ses preuves, non, elle cherche toujours à augmenter sa puissance, son emprise et pour cela elle est toujours à l’écoute de son temps, à analyser son époque ! Elle a été le témoin de la fin des idéologies et de l’influence des religions ! Le Dom, toujours à la conquête de sa liberté, pour mieux assurer son développement, son épanouissement, s’est débarrassé de toutes les croyances, qui servaient de garde-fous, avec l’aide la science, qui a fait triompher le fait et la raison ! Le résultat, c’est que le Dom se retrouve face à un vide, que seul l’argent semble en mesure de remplir, mais dans lequel la Peur s’est vite engouffrée, voyant là une occasion unique d’étendre à l’infini son pouvoir !

    Dans son laboratoire, devant ses cornues, elle est partie d’un principe : le Dom, qui ne sait plus en quoi croire, se retrouve en proie à une angoisse de taille cosmique, d’autant qu’on lui dit que ses activités condamnent sa planète ! Cette angoisse est telle qu’elle devrait anéantir le Dom, s’il ne possédait pas un « réflexe » animal de défense : sa domination ! L’animal, en effet, n’a pas de peur existentielle, puisqu’il s’occupe essentiellement de la défense de son territoire ! Ceci explique pourquoi le Dom moderne accuse tant d’autres d’être à l’origine de ses maux (les étrangers, les riches, etc.) De cette manière, il revient au stade animal et retrouve dans sa lutte un sentiment de sécurité, même si le territoire qu’il défend est devenu principalement psychique !

    La Peur, avec ses philtres, ses vieux grimoires, au fil des expériences, a abouti au Dom ultime, celui qui n’est qu’un concentré de domination pure ! Celui-ci est dans son monde, bien entendu ! Tout ce qui ne constitue pas son territoire psychique et qui serait capable de le mettre en échec est rejeté, voué à la destruction ! Le Dom ultime est dans une bulle de domination et il se déplace avec elle, exigeant sur son passage une totale soumission des autres ! Ce n’est qu’à ce prix que le Dom ultime échappe à son angoisse, quand l’univers qu’il découvre devient « automatiquement » le sien !

    Cela ne doit pas être une surprise, mais c’est chez l’enfant que la Peur a le mieux réussi ! En effet, face à l’incertitude du monde moderne, les parents se retrouvent eux-mêmes perdus et incapables de rassurer leurs enfants ! Ceux-ci se voient alors comme contraints de prendre le contrôle, de prendre la place des parents, qui ne sont plus traités que comme des « vaches à lait », des esclaves nécessaires, qu’on apprend à manœuvrer, en utilisant tous les codes entre parents et enfants ! La Peur a créé ce qu’elle appelle un enfant bulle, qui n’est plus un enfant véritablement, mais plutôt une « pile » de domination ! L’enfant bulle est en réalité plus vieux que ses parents, qu’il considère comme naïfs ! Il domine tout et tout le temps, d’une manière psychique, puisqu’il n’a pas le muscle et c’est ce qui fait sa difformité, sa dangerosité également, car son pouvoir est aussi insidieux qu’invisible !

    L’attribut essentiel de l’enfant bulle, c’est évidemment le Smartphone, l’accès au Web ! C’est là son territoire psychique de prédilection, la communication où il se sent le plus à l’aise ! Sur les réseaux sociaux, le corps de l’enfant bulle est quasi inutile et son pouvoir s’exerce librement ! Cela ne veut pas dire que l’enfant bulle ne « fasse pas ses gammes », dans Domopolis même ! Il n’est pas rare qu’il s’installe sur un lieu de passage et qu’il y fasse valoir sa Domination ! Les Doms s’écoulent alors devant ses yeux et il juge qui fait partie du troupeau et qui lui est soumis ! Il est renseigné par des signes imperceptibles, comme le baissement de tête, mais il est très surpris quand il rencontre une résistance, puisqu’il contrôle déjà ses parents ! Dans ce cas, sa haine est immédiate et sa domination redouble, car il sent quelque chose de nouveau : la formidable angoisse qui ne cesse de faire pression sur sa bulle !

                                                                                                                           65

    Les enfants bulles, encore appelés enfants Doms ou enfants Trous noirs, puisqu’ils veulent soumettre le monde autour de leur personne, ne sont pas en bonne santé et c’est le prix à payer pour une domination excessive ! Comme ils n’ont pas confiance dans les adultes et qu’ils se voient supérieurs à eux, les enfants bulles n’ont aucun moyen pour se relâcher ou se détendre ! Normalement, les parents sont là pour apporter un sentiment de sécurité, mais ce n’est plus le cas et l’enfant ne peut que se rassurer par sa domination ! Partout, il doit sentir la puissance de son cerveau, alors que celui-ci n’a même pas atteint sa pleine maturité ! La dépression, due au surmenage, est quasiment inévitable, outre l’utilisation abusive du Smartphone ! Un épuisement nerveux, des accès de colère, un profond désespoir, des troubles de l’humeur apparaissent tôt chez l’enfant bulle !

    Cela n’empêche pas à bien des égards sa monstruosité ! Certains enfants bulles n’hésitent pas à tuer d’autres enfants, si ceux-ci les gênent, se retrouvent sur leur route ! L’enfant bulle, comme son nom l’indique, ne voit pas l’autre comme son égal, mais tel un esclave, qui n’a donc pas la même valeur, dont la vie reste abstraite, secondaire ! Seul compte l’enfant bulle ! De même, l’autorité n’est que tolérée par l’enfant bulle ! Dès qu’elle le dérange vraiment dans son quotidien, par exemple par des mesures sanitaires, elle est contestée, vue comme une ennemie, à laquelle on ne va pas obéir ! La police ou les institutions peuvent devenir des cibles ! L’enfant bulle peut très bien détruire un camion de pompiers, s’il s’ennuie, car ce véhicule représente l’ordre, une contrainte, un obstacle pour l’extension de sa bulle ! Le sentiment d’utilité générale, le respect de l’autre n’existent pas chez l’enfant bulle ! C’est l’égoïsme et le nombril d’abord !

    Quelle relation l’enfant bulle a avec la Chose ? Dans Domopolis, l’enfant bulle se déplace grâce à sa petite bulle transparente… Il glisse entre les bâtiments et on ne le voit presque pas, car il se confond avec le ciel… Il n’en demeure pas moins qu’il se sent un maître au-dessus des gens, mais, comme il ne se nourrit que de sa domination, il est mal à l’aise avec la Chose, il la trouve même insupportable, puisqu’on ne peut a priori rien y dominer ! On parle d’arbres dans la Chose et peut-on avoir un quelconque rapport avec eux ? A quoi servent-ils, si on ne les coupe pas ? L’enfant bulle reste concentré sur lui-même, parmi d’autres enfants, et il évite la Chose, qui ne lui dit rien ! Pourtant, la Chose est justement ce qu’il faut à l’enfant bulle ! C’est elle qui permet de l’apaiser et elle l’attend, pour ainsi dire, car elle a un message, une leçon ! C’est au fond une mère, qui enseigne et murmure !

    Mais comment les enfants bulles pourraient-ils aller vers la Chose, être tentés de l’explorer, oser lui « demander des comptes », une explication, une raison d’être ? Ne sont-ils pas chevillés à leur peur ? Ne sont-ils pas hostiles à tout ce qui leur paraît étranger, incontrôlable ? Ne sont-ils pas comme sous perfusion, avec leur domination, et comment alors se sentiraient-ils assez libres, pour une découverte ? Où est leur courage ?

    Ils sont pourtant de plus en plus dangereux et de plus en plus jeunes ! Il y a même des bébés inquiétants, qui diffusent déjà le poison de leur domination, dans leur poussette ! La mère n’est déjà plus qu’un fantôme ! Il semble que l’enfant bulle n’ait aucune grandeur ! aucune force d’âme ! Il croit qu’on lui doit tout ! Il ne cherche pas une explication universelle, un sens plus grand que lui ! Il est vissé à son petit univers ! Il n’en a aucune honte ! La justice pour lui, c’est qu’il soit satisfait ! Ce n’est pas quelque chose qui s’argumente, qui appartient à la raison ! La peur enlève tout jugement à l’enfant bulle, d’où ses idées complotistes ! Une force obscure est à l’œuvre contre lui, car c’est encore une manière pour lui de se croire important, un centre d’intérêt ! Et on ne peut pas changer un complotiste, car ce serait lui arracher sa bulle, le mettre dehors, dans le froid du cosmos !

    L’enfant bulle est sidéré par celui qui connaît la Chose, qui en vient, qui a été son élève ! Celui-là a un pouvoir psychique infini, mais qui n’est pas dominateur ! C’est une énigme pour l’enfant bulle, qui montre d’abord les crocs, avant de se rendre compte de son impuissance ! Car l’élève de la Chose est puissant et serein, sans la domination ! Il a passé ce cap ! Il est indestructible et aucune domination ne peut l’entamer ! Pourtant, l’enfant lumière, appelons-le ainsi, n’a fait qu’écouter la Chose, l’aimer, l’admirer ! Il n’a rien demandé d’autre ! Et la Chose l’a comblé et lui a répondu !

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    Qu’il y a-t-il dans la Chose ? Un scientifique répondrait une « émergence » ! Tous les atomes, toutes les molécules, tout ce qui constitue l’univers, à l’échelle quantique ou du cosmos, y agit d’une certaine manière, mais c’est à la science de répondre comment précisément ! Une chose est sûre : dans la Chose, la domination ne sert à rien ! Au contraire, elle nuit à l’écoute et à la compréhension ! L’orgueil, l’amour-propre doivent être laissés à l’entrée de la Chose, qui est là justement pour enseigner comment s’en débarrasser et surtout pourquoi !

    La Chose a priori ne dit rien et paraît vide, insensible, quasiment morte et indifférente ! C’est que celui qui vient de Domopolis est plein de bruit et de fureur ! Il est rongé par l’inquiétude et veut des réponses immédiates ! Mais la Chose se moque du temps et sa paix est infinie ! C’est son premier enseignement, c’est que son temps n’est pas celui de notre impatience et même celui de notre douleur ! Mais c’est justement cette paix de la Chose qui est un baume pour les blessures ! L’apaisement qu’elle produit fait aimer la Chose, rend fidèle à ce qu’elle est ! Comment s’effectue cette transformation ? Prenons l’exemple de Paschic !

    Paschic est un enfant lumière, par opposition aux enfants Doms ou bulles ! Dès le départ, Paschic a été confronté à un problème : il voyait les Doms faire le mal ! « Pourquoi font-ils le mal et comment peuvent-ils le faire ? », voilà les questions de Paschic ! Mais personne ne pouvait lui répondre, car les Doms font le mal sans vraiment s’en rendre compte ! Là où Paschic était heurté et blessé, les Doms eux ne voyaient rien et ne trouvaient donc rien à se reprocher ! Comme Paschic l’a compris bien plus tard, cet aveuglement vient de la bulle de domination ! En ne donnant pas à l’autre toute sa réalité, c’est elle qui permet justement d’écraser celui-ci en toute impunité, en trouvant même ça naturel, car l’autre est un esclave ! C’est si fort que c’en est maladif ! Si le Dom est acculé, confronté radicalement à sa méchanceté, il a une réaction de panique, pleine de fureur, ce qui fait qu’il devient sourd à tout argument ! C’est un rejet irraisonné, car la bulle de domination protège contre le monde extérieur ! Elle est un état d’immaturité, où le Dom « se blottit », comme un animal prêt à mordre dans son terrier !

    Paschic, à son grand désespoir, va constater cette impossibilité à se faire comprendre, à faire valoir les preuves, la raison ! Plus la bulle de domination est forte et plus la réaction est hostile et dangereuse, dès que cette bulle est menacée ! Puisque les Doms ne pouvaient pas aider Paschic, il s’est naturellement tourné vers la Chose… et il a finalement été éduqué par elle, plutôt que par ses parents ou la société ! De quelle manière ? Le processus était toujours le même… Paschic, plein de blessures, gémissant, sanglant, quittait Domopolis, pour rejoindre la Chose et s’y enfoncer ! Durant tout le trajet, Paschic essayait de se rendre justice, essentiellement à cause de la Machine (celle qui a un vaisseau de cinquante kilomètres de long!), qui venait de le piétiner ! La méchanceté de la Machine, sa fourberie, son mensonge, son sadisme même étaient évidents pour Paschic, qui s’en sentait la principale victime, alors que les autres autour ne semblaient pas en être gênés !

    C’était une situation très pénible pour Paschic, car n’exagérait-il pas son importance, n’était-ce pas lui le Dom ou l’orgueilleux, l’égoïste, le malade, le méchant ? Pourtant, sa souffrance était bien là, il ne rêvait pas ! Alors, l’un des deux, lui ou la Machine, faisait le mal… et ce n’était pas Paschic ! Mais cette vérité était trop lourde pour les fragiles épaules de Paschic, qui restait dans le doute, ce qui n’empêchait pas la Chose de commencer à opérer ! Peu à peu, les douleurs de Paschic s’éteignaient… Il se taisait et le spectacle débutait… La beauté captivait bientôt Paschic ! L’eau du ruisseau, par exemple, enchantait par son murmure, ses remous, ses éclats de lumière, sa mousse, sa fraîcheur, sa limpidité, sa pureté, sa faune, ses fleurs qui dansaient, etc. ! Il en était de même pour les feuillages, tels des vitraux ensoleillés, les troncs aussi graves que des piliers ! Rien n’était inintéressant, mais au contraire tout pouvait devenir un trésor !

    Paschic avait peu à peu le sentiment que si une telle beauté existait, il devait exister une vérité absolue, unique, qui était présente et qui le consolait ! Ainsi, il reprenait des forces, loin des Doms, dans la Chose ! Leur folie d’ailleurs lui apparaissait d’autant plus clairement, ce qui lui prouvait qu’il avait fait un pas vers la lucidité ! Cependant, il était encore très éloigné de comprendre le rôle de la domination et comment elle construit une bulle psychique, qui enferme le Dom !

    Ce que Paschic laissait dans la Chose, au contact de la beauté et sans en prendre vraiment conscience, c’était toute sa haine, son impatience, sa colère ! C’était toute sa domination, qui se dissolvait dans le temps de la beauté ! C’était son amour-propre qui disparaissait, dans l’ombre de la terre ! En fait, il a mûri dans la Chose, comme les arbres rayonnant autour !

                                                                                                                             67

    Les Doms vivent dans un mirage ! Ce n’est pas la Chose et comment l’interpréter qui sont une illusion, c’est l’existence des Doms, qui est un phantasme ! La bulle de domination empêche la lucidité et les Doms accusent, menacent, se battent, vont d’un amour à un autre, puis meurent avec de l’amertume, des regrets, de l’égoïsme, de la peur, etc. ! Dans certains cas, ils se font philosophes stoïques et ils acceptent leur mort et l’injustice par dégoût, nihilisme, fatalisme, mais ils passent là encore à côté de l’espoir, de la vérité simple, du magnifique cadeau que contient la Chose !

    Le message de la Chose est si ahurissant que les Doms ne veulent pas y croire ! Il est si simple, si grand que les Doms en ont peur ! Ils craignent d’être trompés et bien entendu de perdre leur bulle de domination, celle-là même qui leur donne un sentiment de sécurité ! Le prix à payer, quand on ne s’ouvre pas à la Chose, est le mépris que l’on voue à l’autre et le besoin de l’écraser, pour apparaître comme supérieurs, ce qui renforce la bulle de domination, d’où les guerres, la lutte économique, la destruction de la nature, le suicide de l’humanité ! Plus on supprime la Chose et plus on s’enlève des chances de paix et plus les Doms deviennent agressifs et perdus !

    La Chose est d’abord une école de patience ! L’enfant lumière sait où il est, pas l’enfant bulle ! Le Dom rêve d’un âge d’or…, il y croit ! Il croit qu’il y avait un bonheur passé, où son pays était contrôlable, où il n’y avait pas d’étrangers, où la morale régnait, où les traditions étaient respectées ! Cet âge d’or n’a jamais existé, sauf dans l’imagination du Dom, dans son hypocrisie exactement ! Comme le Dom vient du règne animal, la domination a toujours été son lot, d’où une lutte incessante pour le territoire, posséder plus ! De tout temps, les Doms se sont combattus et l’injustice était parmi eux ! Le bonheur est un état à venir, nullement un passé ! Le bonheur se trouve dans la disparition de la bulle de domination, grâce à la beauté de la Chose !

    Cependant, plus le Dom a peur et plus il augmente sa domination et plus les nationalismes sont exacerbés et plus on se ferme à l’autre et plus on se prépare au conflit ! Tout repli sur soi est contre le progrès et sème la terreur de demain ! L’échange, la connaissance de l’autre sont le mouvement naturel de la civilisation ! Pour éviter les guerres, il est nécessaire de se débarrasser de sa bulle de domination ! Moins on respecte l’autre et plus les haines et les mépris s’accumulent ! La domination produit la frustration et la colère ! La beauté de la Chose permet de lutter contre sa propre peur ! Incroyablement, c’est par l’amour que la civilisation avance, cet amour que le Dom raille volontiers, en le trouvant naïf ! Mais c’est le Dom qui se fait des illusions ! Ainsi parle la Chose !

    La Chose apprend à être courageux, vaillant, à se tenir droit devant la peur et l’adversité ! Celui qui est le maître de sa domination est inspiré, nourri par la force de la Chose ! Le Dom n’est en aucun cas lucide, d’où sa peur ! Le secret de la beauté… est le secret de la Chose ! Celui qui domine ne voit pas la beauté et méprise la Chose ! L’enfant lumière n’a pas peur de perdre, l’enfant Dom est enfermé dans sa bulle et craint chaque pas ! La Chose libère, la domination rend esclave !

    Mais le Dom vit dans l’hypocrisie ! La vitrine est pour lui un attribut ! « Voyez ma réussite ! » dit sa richesse. Et pour protéger ce bonheur faux, ce paraître, le Dom est prêt à toutes les lâchetés et tous les mensonges ! Que ne cherche-t-il pas la lumière ? Pourquoi ramener tout à soi et tout le temps ? C’est peine perdue, car on ne guérit pas de ses peurs de cette manière ! On se ferme, alors qu’on devrait s’ouvrir ! Il est normal d’être inquiet, quand l’environnement change (cela aussi est animal), mais la solution n’est pas de rejeter, ni de haïr !

    L’enfant lumière demande des comptes à la vie même, il n’accuse pas les autres ! L’enfant Dom, lui, parle de morale et de devoirs ! Il veut régler le monde, il s’en croit même le gardien, tandis que sa vraie nature se déploie dans la corruption ! On fait le mal et on veut faire croire que c’est au nom du bien !

    Cependant, un vieil ami vient voir Paschic… Il frappe à la porte et entre… C’est un gros arbre humide et maintenant dépourvu de feuilles ! « Salut Hiver ! fait Paschic. Ça va ?

    _ Ben non, pas trop ! Les rhumatismes, tu comprends ?

    _ Bien sûr ! Viens près du feu te réchauffer !

    _ Pas d’refus ! C’est mes potes qui crament là-d’dans ! Oh ! T’inquiète pas, c’est dans l’ordre des choses… C’est calme chez toi, c’est bien ! 

    _ Oui, c’est silencieux...

    _ C’est ce dont j’ai besoin, de paix… »

  • L' attaque des Doms (61-63)

    R57

     

                      "Oui, j'ai eu très peur!"

                                 La Fille de Brest

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    « Bienvenue au grand Salon de l’égoïsme ! Comme chaque année nous vous offrons ce qu’il y a de meilleur ! Rien n’est trop beau pour vous, les Doms ! Il doit y avoir une solution pour chacun d’entre vous ! Chaque Dom a le droit à son bonheur, à son plaisir ! N’écoutez pas ceux qui vous disent qu’il faut faire des efforts, qui essaient de vous remettre en question, au nom d’une morale universelle, qui n’existe pas et que d’ailleurs ils ne suivent pas ! N’écoutez pas les éteignoirs, les tristes sires, les soi-disant redresseurs de torts ! Ils veulent votre perte ! Ils veulent vous contrôler, vous dire comment penser !

    Moi, je vous dis, cultivez plutôt votre égoïsme ! Car seul vous compte ! Pensez à vous ! Caressez-vous ! Admirez-vous et comme je suis heureux, quand je vous vois si nombreux dans nos allées ! A voir cette foule parcourir notre salon, je me dis « Voilà, y a encore des gens raisonnables et qui aiment la vie ! Il y a encore des gens qui travaillent dur et il est normal qu’ils profitent de leur argent ! » Au diable, tous ceux qui vous culpabilisent, qui vous appellent à dépasser vos haines, qui vous conduisent à l’humilité et à la modestie ! Vous valez mieux que ça ! Le monde vous appartient et l’injustice ici ne frappera plus vos oreilles ! Enfin, vous serez aimés… Alors profitez-en !

    Bien sûr, vous allez retrouver nos produits phares ! Par exemple, les chaussures Place-Place…, pour vous, mesdames ! Tout le monde connaît ses chaussures et comment elles font de l’effet au quotidien ! Quelles que soient leur couleur ou leur forme, elles font toujours : « Place ! Place ! », en martelant le sol ! Grâce à elles, mesdames, on vous entend arriver à des kilomètres et on comprend combien vous devez être impérieuse, dominatrice ! Beaucoup d’hommes, dès cet instant, deviennent nerveux, se mettent à gémir, demandent maman, car ils savent que leur maîtresse arrive et qu’elle n’est pas contente !

    Quel vêtement, pour accompagner les chaussures Place-Place ? Pour les petits budgets, nous recommandons la tenue Léopard, car c’est prolonger naturellement l’allure dominatrice, d’autant que notre choix mettra en valeur vos courbes parfaites, mesdames ! Cependant, le sac-à-mains sera alors sobre, strict, avec l’idée qu’il cache la cravache, que la sévérité n’est pas feinte, sous l’exotisme ! Mais, si vous avez les moyens, alors allez-y à fond ! Plus vous montrerez de luxe et plus les chaussures Place-Place auront leur place ! L’argent symbolise le pouvoir et il est normal que vous considériez les autres, moins riches, comme vos esclaves ! C’est la règle et vous la rappellerez si magnifiquement, mesdames ! On ne saurait trop vous conseiller un joli petit foulard, signe distinctif de votre caste et d’une santé sophistiquée ! L’élite ne peut pas non plus ne pas propager un parfum subtil et coûteux ! Pensez-y, quand vous passerez devant notre rayon parfumerie !

    Un mot sur les hommes maintenant, car ils sont aussi nos amis ! Messieurs, vous trouvez que vos parties ne sont pas assez volumineuses ? Nous avons la solution : la coquille Lavasse ! Elle remplit tout le pantalon, en formant un sac lourd ! Elle s’adapte à toutes les formes de testicules et on la trouve en des dizaines de coloris ! Elle vous ira comme un gant ! Dès que vous l’essaierez, messieurs, vous allez susciter bien des convoitises ! C’est bien simple, on vous suppliera d’exposer votre sexe, de le laisser couler là sur la table, comme un foie de veau ! « On en mangerait ! » vous dira-t-on ! Ce sera vous le maître assurément ! L’effet est garanti douze mois ! Avec la coquille, quel assortiment ? Ma foi, il y a toujours le jean crasseux et puant ! Indémodable ! Un classique, qui dépanne toujours autant ! Mais on peut viser plus haut, style banquier et responsable, par exemple ! Ici, le sexe est porté comme un gourdin sage ! C’est plus raffiné…, il n’y a plus l’effet sac !

    A vous de choisir, il y en a pour tous les goûts ! L’essentiel et j’y tiens beaucoup, c’est que vous ne pensiez qu’à vous ! L’idée est de faire croire que vos vies ont toujours un sens, ne serait-ce que pour ne pas être gagné par la panique ! Tout repose sur votre petit ego !

    Entrez, entrez mes amis ! Venez lutter contre la grisaille ! Certains se moquent de vous… et moi, je vous dis : « Ne changez pas ! Ne cherchez pas ! Gardez vos peurs ! Niez-les ! Restez dans vos rêves et vos illusions ! Accroissez vos haines ! N’essayez pas d’aimer l’autre, c’est moins pour vous même ! N’essayez pas de comprendre ! Soyez plus fort que votre adversaire ! Triomphez de lui, sinon il vous détruira ! Vous croyez quand même pas que quelqu’un vous attend par-delà la mort, dans le noir du cosmos ? C’est fini tout ça ! Les dieux, c’est vous ! Comme vous êtes beaux ! Vous rayonnez dans les lumières de ce salon ! Comme je vous envie ! Je vous considère comme mes propres enfants ! Soyez vains ! Merci ! » »

                                                                                                                          62

    « Le colonel Svenz voudrait vous voir, dit D 4 à Dominator.

    _ Le colonel Svenz ? Je ne le connais pas !

    _ Il dit qu’il peut nous aider…, au sujet de la Chose !

    _ Pfff ! Bon, faites entrer ! »

    Peu après, le colonel Svenz se présente en effet… et on sent le militaire blanchi sous le harnais ! Il est en treillis, avec un corps mince et un visage taillé à coups de serpe ! « Colonel Svenz, dit-il, alors que Dominator l’invite à s’asseoir, en face de lui, sur un canapé.

    _ Alors colonel, qu’est-ce qui me vaut le plaisir de votre visite ?

    _ Eh bien, Dominator, je suis un militaire à la retraite, mais je ne suis pas inactif pour autant ! J’ai fondé une firme et j’offre mes services à des gens qui en ont besoin !

    _ Quel genre de services ?

    _ Eh bien, disons que j’assure la sécurité de gens importants ! Je contribue à la stabilité de certains régimes ! La guerre est mon métier…

    _ Moyennant finances, je suppose ?

    _ Cela va de soi !

    _ Autrement dit, vous êtes à la tête d’un groupe de mercenaires !

    _ C’est exact ! C’est le mot !

    _ Un verre ?

    _ Volontiers ! Mais j’ai appris que vous aviez des ennuis, avec une certaine Chose !

    _ C’est exact ! C’est le mot ! Votre verre…

    _ Merci ! Que diriez-vous, si je vous en débarrassais ?

    _ D’abord, merci, car la situation est bien gênante ! Nous ne savons toujours pas ce qu’est la Chose !

    _ Laissez-nous nous en occuper ! Tous mes hommes sont des professionnels !

    _ Et quelle serait la facture…

    _ Disons une part de 10 % sur vos gisements de pétrole, pendant un an !

    _ Fichtre !

    _ Vous voulez des résultats et nous risquons nos vies !

    _ Entendu ! »

    Quelques jours plus tard, les hommes de Svenz pénètrent dans la Chose… Ils portent l’écusson qui symbolise leur groupe : un renard qui se lèche les babines, avec la devise « Nous sommes la mort rusée ! » Svenz marche à leur tête et pour l’instant ils sont entourés de brume… « Quand même, ce silence, Svenz ! fait l’un des gars. C’est encore plus oppressant que des tirs d’armes à feu !

    _ C’est vrai, ça, Svenz, approuve un autre. Quand ça pète, au moins on sait où est l’ennemi ! Mais là…

    _ Fermez vos gueules et écoutez ! répond Svenz. Il ne s’agit pas qu’on nous tombe dessus, parce qu’on aura l’air de prendre le thé ! »

    Le groupe continue d’avancer, mais, gagné par la fatigue, il finit par s’arrêter… « Toujours ces mottes gonflées d’eau et cette brume ! lâche un des mercenaires. Qu’est-ce qu’on fout ici ? » Personne ne lui répond, car tous sont épuisés ! « Bon, on va faire une pause, dit Svenz. On se met en cercle et on reprend des forces ! » Chacun s’assoit et sort de son sac quelque provision… On mange en se fixant d’une drôle de manière, car maintenant qu’on ne marche plus, le silence est encore plus impressionnant !

    « Pourquoi tu me regardes comme ça ? demande l’un.

    _ Moi, mais je te regarde pas ! répond l’autre.

    _ Mais si ! Tu me regardes avec un p’tit sourire, comme si tu te moquais…

    _ Tu t’ fais des idées ! Moi, j’ suis tranquille !

    _ T’es tranquille et pourtant t’es sournois !

    _ Doucement les gars, intervient Svenz.

    _ C’est tout de même pas ma faute si t’as les foies !

    _ Qui ça qui a les foies ? Tout le monde sait qu’il y a un lâche ici et c’est bien toi !

    _ Ben voyons, comme si c’était moi qui avais une petite bite !

    _ Les gars, dou... »

    Tout va soudain très vite ! Une arme aboie, une autre réplique, puis d’un coup c’est un carnage ! On tire pour se protéger sur n’importe qui ! Encore quelques coups, puis le silence revient… Un formidable silence, sur la brume qui danse un peu !

                                                                                                                       63

    « Dominator, dit D 4, une vieille dame voudrait vous voir…

    _ Non mais à quoi tu sers, D 4, tu me prends pour un centre social ?

    _ Elle dit qu’elle vous connaît très bien… et qu’elle sait des choses… au sujet de la Chose !

    _ Décidément, tout le monde veut m’aider, mais personne n’y parvient ! Des nouvelles des mercenaires ?

    _ Aucune !

    _ Bon, fais entrer la vieille dame, mais c’est la dernière fois !

    _ Entendu... »

    La vieille dame entre dans le bureau et se précipite vers Dominator, pour lui faire la bise : «Dominator, mon garçon !

    _ On se connaît ? fait Dominator, en essuyant ses joues, avec un certain dégoût. 

    _ Oh ! Quel vilain petit garçon ingrat tu fais ! Tu n’invites pas ta maman à s’asseoir ?

    _ Ma maman ?

    _ Oh, bien sûr, je ne suis pas ta mère officielle, ça va de soi ! Et pourtant je t’accompagne depuis ton enfance et maintenant que tu es devenu Dominator, c’est encore moi qui te donne toutes tes idées ! Je peux donc prétendre être ta mère, tellement je ne fais qu’un avec toi ! Dis donc, il est très confortable ce canapé ! Je vois que tu te soignes ! C’est bien, je n’ai rien contre ça ! Au contraire, comme je dirais pas non, non plus à un verre !

    _ Je vous trouve un drôle de toupet ! Mais vous allez m’expliquer tout ça, n’est-pas ?

    _ Mais bien sûr, mon grand ! Maman t’a t’elle déjà laissé tomber ? Allez, viens t’asseoir près de moi ! Comme il fait bon ! C’est bien chauffé ! T’as raison, c’est pas quand on tombe malade que les choses s’arrangent !

    _ Alors comme ça, toutes mes idées, c’est vous ?

    _ Mais bien sûr, mon chou ! Hmmm, pas mauvaise ta gnôle, mon garçon ! Ah ! Maman en avait bien besoin ! Mais oui, tous tes projets, c’est moi ! Par exemple, l’extension de Domopolis, c’est d’ mon cru ! J’adore parler d’ cru ! Hi ! Hi !

    _ L’extension… de Domopolis ? Ben voyons !

    _ Mais si ! Une ville toujours plus grande, jusqu’à ce qu’elle empiète sur la Chose et que celle-ci réagisse, c’est bibi ! Tes idées conservatrices, pareil ! La fermeture des frontières, ta haine à l’égard des étrangers, j’en passe et des meilleurs, toujours maman ! Tu me ressers un verre ? J’ai soif !

    _ Ah ! Ah ! Vous êtes impayable ! Je ne vous connais même pas, et vous êtes en train de me dire que vous me commandez entièrement ! comme si je n’avais aucun libre-arbitre, ni de personnalité !

    _ Mais bien sûr que si, tu es libre ! Et t’as ton caractère bien à toi ! Ne t’inquiète pas ! Je t’aime comme tu es ! Car sous mon influence, tu aurais pu te comporter très différemment, par exemple en creusant un trou dans le sol… Certains le font… Ou bien tu aurais pu devenir alcoolique ! Hips ! Mais toi, non, tu as beaucoup plus d’envergure ! Avec moi, tu développes toute une politique ! Tu parles de la grandeur des Doms ! comme quoi ils doivent retrouver une puissance perdue ! T’arrêtes pas ! Des projets pharaoniques, t’en as plein ! Des discours, t’en regorges ! Tu écrases même tes adversaires ! Tu les injuries ! Tu appelles l’enfer sur eux ! Tu rêves même de conquêtes guerrières ! Si bien que tu finis par oublier maman ! Snif !

    _ Et comment ! puisque c’est la première fois que je te vois ! Je te tutoies maintenant, vu que tu bois toute ma bouteille !

    _ Tu vois, je te l’ai dit ! Tu m’oublies complètement ! Snif ! Tu brises le coeur d’une mère ! Mais j’en ai vu bien d’autres, tu sais ! Vous me niez tous dans le fond ! Je ne suis pas un atout, ni présentable ! On m’ignore volontiers… et pourtant je réapparais comme je veux ! Hi ! Hi ! Vous ne pouvez pas vous débarrasser de moi !

    _ Je pense que tu as assez bu… et que D 4 va te raccompagner !

    _ D 4 ? Le singe de l’entrée ? Mais, baste, je suis venu te parler de la Chose !

    _ Ah ! Bien, j’ t’écoute et après…

    _ Laisse tomber… Elle est plus forte que toi ! Ce n’est pas toi qui vas dominer la Chose ! Ceux qui la fréquentent sont d’une autre trempe que toi !

    _ Mon Dieu, ça fait dix minutes que je te supporte… et c’est dix minutes de trop !

    _ Mais c’est pour ton bien que j’ dis ça ! La Chose, va falloir que tu t’en accommodes ! C’est pas une mauvaise... chose ! Ouf ! Ouf ! Et comme tu te surmènes, tu s’ras pas complètement perdant ! Faut qu’ t’apprennes à lever le pied ! Hips !

    _ Mais t’es complètement saoule, ma parole ! Allez hop, dehors !

    _ Laisse-moi te dire mon nom, dans ton oreille ! Voilà mon chou, je suis ta peur ! »

  • L' attaque des Doms (56-60)

    R56

     

                 " C'est vous l'architecte? Je suis le capitaine des pompiers!"

                                                          La Tour infernale

     

     

                                        56

         Ratamor et Lapsie sont dans la Chose… Après le rideau miroitant et opaque, ils se sont retrouvés dans un bois aux couleurs automnales… Tout est d’or au-dessus de leur tête, soutenu par des troncs noirs et humides ! Ils marchent sur un épais tapis de feuilles mordorées et amarantes ! « N’était notre mission, fait Lapsie, je trouverais ça merveilleusement beau !

    _ Évidemment, ça tranche avec votre arme !

    _ Vous parlez de ce fusil ? C’est un KK 34 ! Une arme spécialement conçue pour la chasse aux PN ! Elle possède un détecteur d’égoïsme ! Le PN est fixé par un rayon laser et pan ! Il s’écroule ! Il n’y a plus de PN !

    _ Toujours cette obsession ! Vous devriez consulter !

    _ Merci ! Mais la psy, c’est moi ici ! Je sais ce que je fais ! Des siècles de domination masculine, ça s’enlève pas comme ça ! Faut du bon matériel !

    _ Vous ne vous êtes jamais demandé pourquoi il y a eu une telle domination masculine… et même pourquoi aujourd’hui elle vous paraît scandaleuse !

    _ Ben, l’homme est un PN, c’est tout ! C’est dans sa nature !

    _ Et l’histoire ? La construction des nations ? Le rôle naturel de l’homme n’est-il pas la défense du territoire ? Les cimetières sont pleins de jeunes hommes, qui sont morts pour que vous puissiez les mépriser à présent !

    _ Qu’est-ce que vous racontez ? La civilisation était déjà bien trop avancée, pour considérer ce rôle animal !

    _ Ah bon ? Vous n’avez pas faim, ni une pulsion sexuelle ou de colère ! L’animal qui est en nous continue de vivre, comme la femme continue d’enfanter ! Par contre, les guerres, pour établir les nations, ne sont plus vraiment nécessaires… Nous sommes à l’ère de la mondialisation et de la communication… et les nouveaux conflits apparaissent désormais tels des anachronismes ! Et c’est pourquoi la domination masculine, ayant apparemment perdu toute utilité, vous semble absurde et injuste !

    _ La femme est l’égale de l’homme ! Elle doit retrouver une place qui lui rend une totale justice !

    _ Mais elle l’a toujours eue ! L’homme obéit quand la femme attend un enfant ! Il n’est plus le maître ! Alors la femme domine entièrement ! Mais il est vrai que la domination masculine a conduit à bien des abus et à des normes qui ne sont plus nécessaires…

    _ Vous voyez, il faut que les choses changent !

    _ Mais comment pourriez-vous être satisfaite, si vous méprisez votre propre rôle ! celui qui vous donne la domination !

    _ Être une femme est plutôt un désavantage, au niveau des salaires, de l’emploi, justement à cause du risque de tomber enceinte !

    _ D’accord, mais le changement ne doit pas passer par le rejet ou la négation du rôle de l’homme ! Votre fusil est de trop !

    _ Alors qu’est-ce que nous faisons là ? Je lutte d’abord contre les violences faites aux femmes ! Voilà pourquoi je chasse le PN ! La Chose n’en contient-elle pas ?

    _ Je ne saurais le dire, mais je suis venu ici avec une autre arme !

    _ Vous voyez, il en faut bien une !

    _ La mienne est très particulière… Il s’agit du Rayon blanc !

    _ C’est quoi ?

    _ C’est un simulateur de grandes surface, de galeries marchandes !

    _ Je comprends pas…

    _ Avez-vous remarqué comme les magasins tendent vers la perfection ! un espace immaculé où le produit est roi ! sans aspérités, sans microbes même !

    _ Un peu comme un hôpital ?

    _ Exactement, le côté morbide en moins ! Le rêve en plus ! En fait, je suis parti de l’idée que chaque particule a son antiparticule…, c’est ce qui fait l’antimatière de la matière ! Or, qu’est-ce qui est le plus opposé à l’univers des magasins que… la Chose ! Regardez autour de vous !

    _ Je vois… La nature contre la civilisation !

    _ Attention, je vais envoyer le Rayon blanc… C’est un concentré de supermarchés, si vous voulez ! »

    Ratamor sort un boîtier et l’actionne… Il y a un éclair et un souffle ! Ratamor et Lapsie sont projetés en arrière, les fesses dans les feuilles morts ! « Whaouh ! s’écrie Ratamor. Fantastique ! Vous avez vu ça ?

    _ Quoi ? qu’on vient de se faire éjectés ?

    _ Oui, car cela veut dire que la Chose contient une énergie qui lui est propre !

    _ Où ça ? Vous voulez dire que là, entre ces arbres, il y aurait quelque chose ! C’est vide pourtant !

    _ Oui, une énergie du vide, une tension, une attente...

    _ Complètement siphonné ! »

                                                                                                      57

    Un homme en a réuni plusieurs autres dans un garage… Comme celui-ci est grand, il y a bien là une quinzaine de personnes ! « Hum, fait l’homme, je vous remercie d’être venus ! Sans doute avez-vous connu mon père l’Escamoteur ! Hélas, il est parti dans la Chose et n’en est pas revenu ! Mais il y est allé en héros, pour combattre la Chose !

    _ Certains disent qu’il s’est marié avec une fleur… Ah ! Ah !

    _ Mais t’es qui, toi ? T’es qui pour critiquer mon père ?

    _ Ah ! Euh ! Excuse, je voulais pas te blesser ! Je fais que rapporter ce qu’on dit, c’est tout !

    _ Ouais, ben, sache que je prends la succession de mon père, par hommage pour lui et que je vais m’appeler l’Embrouilleur ! T’y vois quelque chose à redire ?

    _ Non, non, l’Embrouilleur, c’est bien !

    _ Et qu’est-ce que tu vas faire ? demande un autre.

    _ Je vais remettre les points sur les i, si vous voulez être avec moi ! On se fout de nous et on nous manipule ! Ils prennent des décisions à notre place et ils nous méprisent et ça, nous ne pouvons plus le supporter !

    _ Ouais, ouais, ça, c’est vrai ! font certains.

    _ Ils ? Qui ça : ils ? interroge le même.

    _ Mais ceux qui nous manipulent ! Ceux qui sont aux commandes ! Ceux qui s’ foutent de nous ! Ceux qui sont dans l’ombre et qui tirent les ficelles ! Moi je dis, ça suffit ! Nous ne sommes pas des moutons… ou des paquets de lessive ! Je vaux autant qu’un autre !

    _ Ouais, ouais, ça, c’est vrai ! On n’est pas des moutons ! Faut qu’ ça change ! On va leur en faire voir aux donneurs de leçons !

    _ D’accord l’Embrouilleur, mais on n’est qu’une quinzaine ici ! Comment veux-tu qu’on y arrive ?

    _ Eh ! Eh ! C’est pas pour rien que je m’appelle l’Embrouilleur ! Sachez que j’ai hésité entre l’Embrouilleur et Soleil noir, car je suis le désespoir, la mélancolie, le mépris incarné, le mensonge éhonté, la fissure, la fin des temps !

    _ Tout ça ? Ah ! Ah !

    _ Mais t’es qui toi ? Hein ? T’es qui ? Hein ? Je vais te dire qui tu es ! Je vais te dire qui nous sommes ! Nous ne sommes… rien ! Rien t’entends ! Nous sommes en dessous du microbe sur cette tâche de boue, dans l’espace ! Et non seulement nous sommes en dessous du microbe, mais en plus nous nous complaisons à nous détruire, pour mieux précipiter notre fin ! Il n’y a plus qu’à tirer la chasse d’eau et… à cracher d’ssus ! Voilà ce que tu es ! Moins qu’un étron fugitif !

    _ Ouais, ouais, bien vu l’Embrouilleur ! Il va moins la ramener maintenant !

    _ Il n’y a pas d’ vérités ! Il n’y a pas de camp du bien ou du mal ! Il n’y a que des faits qui se mélangent et qu’on interprète différemment ! La liberté, la justice, la souffrance sont des termes relatifs, qui dépendant des conditions dans lesquelles ils sont énoncés ! Le mensonge n’existe pas ! Il dépend du but !

    _ Ouais, ouais, c’est bon ça !

    _ Je veux casser la bien-pensance ! Je veux briser le pouvoir profond, je veux lui tordre le cou, au nom de la famille et de l’ordre ! Car vous, comme moi, vous voulez la tranquillité dans vos maisons… et que vos femmes y soient heureuses !

    _ Ouais, ouais, on veut plus de pervers ! Ils doivent pas rester chez nous !

    _ Comme je vous comprends ! Et quand on aura fait place nette, que se passera-t-il ? Hein ?

    _ Ben…

    _ Mais on s’installera au pouvoir, bande d’imbéciles ! C’est nous qui tirerons les ficelles ! Il faut saper chaque conscience ! amplifier toutes les fractures ! flatter tous les égoïsmes ! noircir tous les lumières ! allumer tous les abîmes ! enlever tout espoir ! créer le plus grand chaos psychologique jamais connu ! Nous allons surfer sur le plus grand désarroi ! ruiner tout effort de raison ! La vérité, c’est nous, car il n’y en a pas !

    _ Ah ! Ah ! Bravo, l’Embrouilleur ! Un peu qu’on est avec toi !

    _ J’ai pas tout compris, fait quelqu’un. Tu veux de l’ordre et les valeurs familiales, avec le mensonge ?

    _ Le chaos psychologique pour nos ennemis ! La tranquillité et la force pour nous ! Le brouillard sur les faits pour les autres ! La clarté pour nous ! Tous ceux qui nous font obstacle seront brisés, vidés, quand nous nous réjouirons avec nos enfants ! Le rire et le sourire pour nous ; la nuit et la peine pour les autres !

    _ Ah ouais, comme ça c’est clair !

    _ N’est-ce pas ? Et maintenant notre chant ! Je vous passe les paroles et nous allons l’apprendre, car ce sera notre hymne ! Je commence : « Dom, sois fier de toi, car les autres sont nos ennemis ! Vois ta femme et l’enfant et sois heureux, car la vérité est en toi, quand les loups hurlent dehors ! Mensonge, mensonge n’est point Dom ! La lie, la lie est chez les autres ! » Maintenant, tous ensemble : « Dom, Dom, sois… » »

                                                                                                           58

    Ratamor et Lapsie sortent de la Chose et se retrouvent dans un des nombreux quartiers résidentiels de Domopolis… « Je ne comprends pas très bien à quoi a servi notre petite expédition, dans la Chose, fait Lapsie.

    _ Hum, que la Chose possède une énergie du vide ouvre peut-être des perspectives vertigineuses…

    _ Pfff… Mais attendez ! Qu’est-ce que… ? Le détecteur de mon fusil signale un égoïsme anormalement élevé ! Autrement dit, il y a un PN dans le coin !

    _ Hein ? Qu’est-ce que vous racontez ?

    _ Voyez vous-même ! Le voyant de mon KK 34 clignote ! Bon sang, professeur, il y a un fumier tout près !

    _ Et qu’est-ce que vous allez faire ? L’abattre ?

    _ Je vais me gêner ! J’ai un permis spécial pour ça, vous savez !

    _ Oui, bon, mais tant que je serai avec vous, pas de massacre !

    _ Il approche ! Il approche ! On va le croiser ! Il doit être dans la rue transversale ! Attention, professeur, ça va dégommer !

    _ Bon sang ! Baisser ce fusil ! Il y a des gens qui nous regardent !

    _ Il est là ! Il arrive ! »

    Un adolescent apparaît au coin de la rue… Ratamor dans un réflexe détourne le fusil de Lapsie et le coup part en l’air ! « M… ! crie Lapsie. Vous êtes dingue, le prof ! Il nous échappe maintenant ! » En effet, l’ado n’est plus là… « Et c’est tant mieux ! rétorque Ratamor. Vous alliez tuer un enfant ! Un enfant Dom de surcroît ! Je vous ai évité le pire !

    _ Mon fusil ne me trompe jamais ! »

    Soudain l’ado se dresse devant eux et il mesure bien dix mètres de haut ! « Mais qu’est-ce… ? s’écrie Ratamor.

    _ Le PN dans toute sa splendeur ! répond Lapise. Si vous m’aviez laissé tirer, on n’en serait pas là ! Maintenant, il est dans toute sa force ! »

    L’ado les regarde avec mépris et comble de l’horreur, à cette hauteur, il semble en érection, ce qui amplifie sa puissance, la soumission qu’il a l’air d’exiger ! Ratamor est en sueur, à cause de la pression qu’il subit, de son angoisse ! Il est oppressé comme jamais et quand l’ado lève le pied, visiblement pour l’écraser, il crie à Lapsie : « Mais bon Dieu, tirez ! Qu’est-ce que vous attendez ! Tuez-moi ce monstre !

    _ On tâche, professeur, on tâche ! »

    Lapsie presse en effet la gâchette de son KK 34 et l’arme envoie son petit obus ! L’ado est touché, mais sa fureur n’en est que plus grande ! Il serre le poing et va frapper Lapsie ! La haine brûle ses yeux, mais des gens subitement sortent du Tube, le transport en commun de Domopolis, et se dispersent dans la rue, jusqu’à passer entre l’ado et Lapsie, ce qui fige la situation !

    « Mais… mais il ne le voit pas ! marmonne Ratamor surpris.

    _ Faut croire que non…

    _ Comment est-ce possible ? »

    Entre-temps, l’ado se « dégonfle », il retrouve sa taille normale et finalement s’en va, non sans montrer le poing, pour signifier qu’il y aura une suite ! Sa blessure apparemment ne le gêne nullement, à croire qu’il a seulement été touché dans son amour-propre !

    « Vous êtes sûre de votre arme ? interroge Ratamor.

    _ Tout a fait sûre ! Mais, évidemment, elle est surtout efficace quand le PN n’a pas encore effectué sa transformation ! Dès qu’il est alerté, il augmente de volume, comme vous avez pu le voir !

    _ Et son érection, mon Dieu !

    _ C’est parce qu’il veut une totale soumission ! Pourquoi croyez-vous qu’il soit narcissique ?

    _ Mais… mais pourquoi avons-nous été les seuls à le voir ?

    _ Je pense que l’ont peut mettre ça sur le compte du fait qu’on est un PN ou pas !

    _ Attendez… Vous êtes en train de me dire que si on est un PN, on ne voit pas les autres PN !

    _ Oui, c’est mon hypothèse ! Même si on est un petit PN et qu’on ne fait pas vraiment réagir mon fusil, on ne voit pas les autres PN ! On a suffisamment d’égoïsme, pour être aveugle !

    _ En effet, ce serait une explication…

    _ Donc, pour mieux voir les PN, il faut s’affranchir de son narcissisme ! »

                                                                                                             59

    Les Doms, qui jamais ne manquent d’idées, ont installé dans Domopolis des robots Doms, qui servent de bornes de renseignement ! « Bonjour robot Dom, dit Piccolo.

    _ Bonjour, posez votre question ! »

    Ce robot Dom est un pharmacien… Il est bien dégarni, mince et dégageant un air de propreté, qui sied à sa spécialité ! « Si j’utilise le médicament Rax, il est meilleur que le médicament Pox ?

    _ Ah ouais ! Comme j’ suis content que tu m’ poses cette question ! Car j’ connais le sujet sur le bout des doigts ! Attends, c’est trop de plaisir de te répondre ! »

    Le robot prend un air avantageux ! Il remonte ses manches, sur des bras velus, ce qui augmente son allure sportive ! Il a l’air tout à son affaire ! « Eh ! Mais faut que j’ te raconte toute l’histoire ! Car c’est tout un ensemble auquel tu t’attaques ! T’as pas une réponse ! Mais des dizaines ! Y a plein de domaines qui sont concernés ! Voyons voir… T’as d’abord l’environnement ! On pense jamais assez à l’environnement, alors que c’est super important ! L’hygiène de vie… L’alimentation ! Est-ce qu’on utilise un masque pour passer l’aspirateur ? Faut filtrer son eau ! Et bien sûr, faire de l’exercice ! No sédentarité ! Ah ! Ah !

    _ J’ai entendu parler d’une loi…

    _ Il n’y a pas de lois ! Y a qu’une réponse globale !

    _ Mais Rax est différent de Pox...

    _ C’est plutôt l’inverse !

    _ Quand tu parles, on dirait que tu lis un dépliant !

    _ Attention, attention, degré malsain de communication ! Ma domination est menacée ! Veuillez écouter, s’il vous plaît ! J’essaie seulement d’aider !

    _ Ok ! J’ t’écoute !

    _ Comme je le disais, il y a peu, avant d’être interrompu, et j’ai pris sur moi, c’est tout un ensemble ! Bien sûr, il y a l’environnement…, les habitudes alimentaires, les exercices… et après, alors, on peut considérer Rax ou Pox, qui ont des effets différents !

    _ Il y a quand même la règle des trois jours !

    _ Tut ! Tut ! Ne me contrariez, s’il vous plaît ! Tut ! Tut ! Température en hausse ! Tut ! Tut ! Circuit 78 YH àà I défectueux ! Risque de panne !

    _ OK ! OK ! Du calme !

    _ Réponse globale !

    _ Oui, oui… Bien sûr !

    _ Il n’y a pas de règles !

    _ Non, non, je voulais te donner une info ! On a tous à apprendre...

    _ Trop tard ! Tut ! Tut ! »

    Soudain le visage du robot s’ouvre et laisse voir un véritable Dom, qui se précipite contre les barreaux le maintenant prisonnier ! « Bon sang ! crie-t-il. Sortez-moi de là ! Je suis enfermé ici !

    _ Aouh ! Euh..., je veux bien vous aider, mais je n’ai pas la clé !

    _ Ils vont revenir ! Ils sont déjà alertés ! Je vous en supplie, trouvez une solution !

    _ Mais qui sont-ils ? Ce sont eux qui ont la clé…

    _ Mais eux, c’est tout le monde ! Moi, y compris !

    _ Vous vous êtes mis vous-même en prison ?

    _ Oui, non ! Enfin, c’est compliqué ! Ne me laissez pas ! Je vous en prie ! »

    A cet instant, un jet désintégrant est projeté sur l’individu et il disparaît progressivement ! « Non, non! », son cri résonne encore à l’oreille de Piccolo, mais le visage du robot s’est refermé ! Piccolo aurait-il rêvé ? Le robot reprend : « Où en étais-je ? Ah oui ! C’est tout un ensemble ! Voilà, il y a plusieurs domaines, qu’il faut traiter en parallèle !

    _ Bien sûr !

    _ Content d’avoir pu vous donner satisfaction ! On aura peut-être même un peu de beau temps aujourd’hui !

    _ Oui, oui, en tout cas, je vous remercie !

    _ C’est tout naturel je suis là pour ça ! Madame, bonjour ! »

    Une autre personne prend la place de Piccolo, qui s’éloigne… Il a eu chaud : à un moment il a cru que le robot allait exploser ! Et le pauvre type à l’intérieur ? Bah, maintenant, il est désintégré ! Piccolo commence à siffloter : « Il a raison le robot, voilà l’ soleil ! »

                                                                                                                   60

    Paschic est dans un drôle de pétrin ! Il voulait rejoindre le secteur C, troisième quadrant de Cassiopée, quand le vaisseau a fait escale sur la planète de la reine Divnia ! Jusque-là rien d’anormal, mais Paschic a profité de son temps libre pour visiter le marché et c’est là que les problèmes ont commencé !

    En effet, la reine Divnia s’adonne à une étrange pratique, car pour trouver des amants, elle se déguise en commerçante et tient une échoppe ! Ainsi, les hommes qu’elles arrivent à séduire ne sont pas impressionnés par son statut et se montrent d’autant plus fougueux ! Lorsqu’elle voit arriver Paschic, la reine est saisie par sa prestance, cet air dégagé, qui semble se moquer de tout ! « En voilà un qui est au-dessus du lot ! se dit-elle. Je le veux ! Il est pour moi ! »

    Derrière son comptoir, elle fait des mines… Elle met en valeur ses courbes, la grosseur de ses seins, bien galbés, son épaisse chevelure couleur fauve, cette expression quelque peu sauvage de femme en détresse et qui demande de l’attention ! Évidemment, Paschic n’y reste pas insensible et il se rapproche, sourit, examine les produits… et joue avec le feu ! A cet instant, la reine lui découche un regard à percer un mur, qui promet des plaisirs sans fin et il en a la gorge sèche ! Il se dégage de la reine une sensualité puissante, qui rend vain et même horrible toute solitude ! Pourquoi y résister ?

    Mais Paschic connaît la Chose et l’aime plus que tout ! Grâce à elle, il a appris à garder la tête froide, puisque, les plaisirs passés, que reste-t-il ? Le plus souvent une Dom bien égoïste, décevante, étroite et pour ne pas la blesser, Paschic s’est déjà condamné aux mensonges et à l’ennui ! De cela, il ne veut plus maintenant, d’autant qu’il a appris à lire dans les âmes ! Certes, la femme ne demande qu’à aimer, qu’à donner et elle fera tout pour plaire à celui qu’elle aime ! C’est là sa grande générosité native, mais Paschic ne vit pas vraiment dans la société : il appartient en toute liberté à la Chose ! Paschic ne croit pas à un dixième de ce que croient les Doms et comment alors pourrait-il être sociable, élever un enfant, assurer la subsistance de sa famille, chercher à gagner plus, à avoir une promotion, se montrer fier auprès de sa femme de leur réussite ?

    Pour la femme, l’intérieur, les enfants, le « nid » sont importants et c’est ce qui fait qu’elle est plus douce, naturellement protectrice et maternelle ! L’homme, lui, est un rustre, bon pour la guerre et cracher par terre ! Donc, Paschic ne va pas plus loin, remercie gentiment la reine (la marchande) et va voir plus loin… Soudain, des voyous lui sautent dessus, mettent sa tête dans un sac, avant de l’assommer proprement !

    Bien plus tard, le réveil est douloureux et… surprenant, car voilà Paschic dans la salle d’un palais ! « Enfin, tu te réveilles ! fait la reine en s’approchant. Tu me reconnais ?

    _ Oui, bien sûr, qui pourrait t’oublier ? Tu es la marchande !

    _ Je suis aussi la reine de cette planète !

    _ Ah ?

    _ Oui, ah ? Et ce que je ne supporte pas du tout, c’est qu’on me résiste ! Quand je veux une chose, je l’obtiens !

    _ Oh ! Je n’en doute pas ! Mais c’est peut-être pour ça que j’ai été rebuté !

    _ Qu’est-ce que tu veux dire ?

    _ Cherche pas ! Je suppose que mon vaisseau est déjà parti ?

    _ Exactement ! Tu es entièrement en mon pouvoir ! Et je vais te faire souffrir, comme tu n’en as aucune idée ! »

    La reine enlève sa cape et montre un corps à couper le souffle ! Paschic, qui est enchaîné, ne peut qu’admirer ! Les seins ne sont pas dévoilés et pourtant ils semblent deux fontaines, prêtes à jaillir ! La peau est satinée, ambrée, sans défauts ! Les cuisses musclées sont libres jusqu’à la taille ! On dirait des jambes de gazelle nerveuse ! Une légère peau tombante masque le sexe et la croupe ! Le nombril et le ventre son découverts et Paschic maintenant voudrait leur offrir une pluie de baisers ! « Tu fais moins le fier à présent ! dit la reine. Comme tous les hommes ! »

    Paschic ne répond rien, il en est incapable, il est pris par la mer du désir et sans doute que la fatigue y est pour quelque chose ! La reine s’approche brûlante… Sa peau miroite, comme une plage de délices… La bouche cerise murmure tout près : « Ne suis-je pas belle ?

    _ Si !

    _ Tu me veux ? Tu me veux toute ?

    _ Oui, répond Paschic faiblement, à bout de forces ! »

    C’est à ce moment que la reine le frappe d’une cravache ! « Voilà comment je traite mes esclaves ! jette la reine. Tu croyais pouvoir me résister, hein ? Ah ! Ah ! » Paschic abasourdi baisse la tête ! Sûr il file un mauvais coton !

  • L' attaque des Doms (51-55)

    R55

     

     

                    "Papa, je suis enceinte!

                     _ Oui, oui, mais tu n'es pas la première à qui ça arrive!"

                                                           Flic ou voyou

     

                                       51

    Au camp 5, ça ne rigole pas ! La rééducation des Doms émeraude ne s’arrête pas et ce matin, alors que la brume plane sur les champs alentour, un nouvel instructeur s’adresse à sa section ! C’est un personnage sec, de haute taille, en uniforme ! un vrai militaire, avec le béret bien pendant sur le côté de la tête ! D’une voix métallique, il crie : « Je suis le colonel Retraite ! On m’a demandé de vous remettre dans le droit chemin, vous, les Doms émeraude ! La Chose, apparemment, vous a tourneboulés, de sorte que vous n’avez plus le sens des réalités ! Ce n’est pas à moi de juger si votre égarement est feint ou pas, d’autant que votre changement physique ne peut être nié, mais je veux des résultats ! Je veux que vous sortiez d’ici, de nouveau en citoyens responsables ! Est-ce que c’est clair ? »

    Personne ne répond dans le rang des Doms émeraude… D’ailleurs, ils ont une attitude bizarre : ils semblent apathiques, lointains ! Ils regardent droit devant, mais leurs yeux demeurent vagues, ce qui met mal à l’aise ! On ne sait ce qu’ils pensent, qu’ils soient petits, gros ou forts ! Le colonel Retraite se dit que la partie n’est pas gagnée… « Bon, fait-il, je n’ai qu’un principe, mais il est bon ! « Tu cotises et t’as ta retraite ! Autrement dit, tu travailles, tu cotises et tu bénéficies de ta retraite ! Sinon qu’est-ce qui se passe ? Vous avez un jour soixante-dix ans, vous êtes devenu trop vieux pour bosser, votre santé est de plus en plus mauvaise et là, l’horreur ! Vous n’avez pas assez cotisé, vous n’avez pas assez travaillé et vous n’avez plus rien pour vivre ! Comment vous faites ? Je vous vois d’ici sur des cartons, tendant la main, perclus de douleurs ! Je vous vois tête basse, dans des vêtements sales, faisant la queue à la Soupe populaire ! Quelle humiliation ! Quelle peine ! Mais à qui la faute ? C’est votre paresse qui a vous aura menés à ce triste sort ! »

    Le colonel s’attendait à voir de l’effroi sur les visages, mais ceux-ci restent toujours aussi nébuleux ! « Bon sang ! Où sont -ils ? se demande nerveusement le colonel. Bon toi, tu sors du rang et tu viens ici ! » Un Dom massif se déplace lentement vers le colonel… « Tu pèses combien ? lui dit le colonel. Sûrement plus de cent kilos ! Comment tu vas nourrir cette carcasse, si t’as pas de retraite ? Bon, je joue la pauvreté et j’ t’attaque ! Qu’est-ce tu fais ? »

    Le Dom émeraude fixe la brume derrière le colonel… « On dirait les cheveux de quelque vieux…, finit-il par dire, d’une voix rêveuse.

    _ Hein ?

    _ La brume, elle me fait penser à l’oubli… En tout cas, elle m’évoque la paix…

    _ Mais t’es complètement barge ! réplique Retraite, en essayant vainement de sonder les yeux verts, qui lui font face. On parle chiffres, de cotisations, du réel, Toto ! Abandonne tes vapeurs !

    _ A quoi bon le réel, si je ne suis pas heureux ? A quoi sert la retraite, si je suis malheureux ?

    _ Mais justement la retraite est là pour t’éviter le besoin ! Tu pourras voyager et admirer toutes les brumes que tu veux !

    _ Et l’herbe gonflée d’eau, sous la brume… Le silence…

    _ C’est pas vrai ! De l’herbe maintenant ? Qu’est-ce que tu veux ? La brouter ? Ah ! Ah ! Et le silence ? Je te jure que si tu continues à jouer les imbéciles, je vais mal te noter ! T’es pas prêt de sortir du camp !

    _ Tu sais que je la vois…

    _ Hein ? Tu vois quoi ?

    _ Dans la brume, je vois la mort… C’est elle qui fait la vie un grand mystère !

    _ Ouais, vaut mieux ne pas en parler ! C’est normal qu’elle te fasse peur !

    _ Je n’en ai pas peur… Je lui ai donné un sens…

    _ Eh bien, tant mieux pour toi ! Chacun est libre !

    _ Le sens est dans la brume… et l’herbe mouillée…

    _ La vache ! J’ suis tombé sur un bon !

    _ Le silence enseigne, repose…

    _ Et ta cotisation ?

    _ C’est mon travail…

    _ Quoi ? Quel est ton travail ?

    _ Le sens, c’est ma retraite ; c’est mon assurance !

    _ Mais de quoi tu parles ? Sois au moins cohérent !

    _ Je travaille, en aimant l’herbe mouillée et la brume… et le silence…

    _ T’es complètement paumé ! Va, retourne à ta place !

    _ C’est mon trésor ! »

                                                                                                          52

    Le vaisseau de la Machine, cette alliée, on le rappelle, de Dominator, se trouve devant un phénomène extraordinaire ! Toutes les alarmes à bord sont déclenchées et la Machine, toujours dans son armure et toujours furieuse, s’emporte un peu plus ! « Mais bon sang ! Qu’est-ce qui se passe ? crie-t-elle. Qui ose arrêter mon vaisseau de cinquante kilomètres de long ? »

    A cet instant, chacun découvre ce qui gêne et est figé par la stupeur ! En plein espace flottent deux colonnes, couvertes de végétation et qui sont si grandes qu’elles font paraître le vaisseau ridiculement petit ! « On dirait l’entrée d’un temple ! fait Tautonus, le mari de la Machine.

    _ Impossible ! rétorque la Machine. Bon, on s’échappe d’ici, car j’ai bien d’autres choses à faire !

    _ C’est trop tard ! Nous sommes engagés ! »

    En effet, le vaisseau subit une attraction et il passe malgré lui entre les deux colonnes ! La tension est à son comble chez la Machine et son équipage ! Elle ordonne : « Allumez les projecteurs ! On n’y voit rien dans ce bazar ! » Il est vrai que les étoiles ne brillent plus et les puissantes lumières du vaisseau se mettent à fouiller les ténèbres ! « On dirait des arbres ! lâche Tautonus, en regardant des fûts éclairés. Des arbres gigantesques !

    _ C’est sinistre, oui ! réplique la Machine. Comment on va sortir de là ? 

    _ C’est vraiment comme dans un temple ! reprend Tautonus. Là-haut, il y a des lueurs colorées, qui rappellent les vitraux ! 

    _ Cherchez une sortie ! Moi, tout ça m’oppresse !

    _ Et ici, nous avons les candélabres ! Du houx qui s’illumine ! Incroyable !

    _ Bon sang, comment pouvez-vous vous extasier, alors qu’on est sans doute tombé dans un piège ?

    _ Calmez-vous, voyons… Il nous faut essayer de comprendre de quoi il s’agit…

    _ La température est en baisse ! lance quelqu’un.

    _ C’est vrai, on a froid ! approuve la Machine. Augmentez le chauffage ! On se croirait dans un caveau !

    _ Des aiguilles de conifères, chargés de diamants… Là, sur votre droite… Des tapis rougeâtres… Je pourrais presque sentir la résine !

    _ Vous voilà poète, maintenant ! Il n’y a qu’une seule manière de revoir l’extérieur, c’est de bombarder tout ça, avec les canons à neutrons !

    _ Mais voyons, vous n’y pensez pas ! Quelle pourrait être la réaction de cet environnement ? Il y a un message ici…. C’est le témoignage d’une intelligence !

    _ Peut-être, mais j’étouffe ! Ce n’est pas mon monde ! J’ai besoin d’air ! de ma vie, de mes projets ! Chargez les canons et qu’on soit prêt à faire feu !

    _ Chargement 50 %, annonce-t-on.

    _ Je vous conjure de faire preuve de patience ! dit Tautonus.

    _ Chargement 75 % !

    _ Ne me donnez pas de leçons ! réplique la Machine. C’est moi qui commande ce vaisseau !

    _ Canons chargés !

    _ Feu ! »

    Des bombes sont envoyées dans toutes les directions et elles explosent, mais elles n’ébranlent en rien la majesté du lieu ! « Il semblerait que nos canons soient inefficaces ! dit Tautonus.

    _ C’est pas vrai ! Mais c’est pas vrai ! J’en ai marre ! Mais qu’est-ce que j’en ai marre ! fulmine la Machine.

    _ Il nous faut reprendre l’étude de tout ceci… Il doit y avoir un code…

    _ Qu’est-ce que j’ai fait pour mériter pareille situation ! gémit la Machine. Je me suis tout le temps crevé à la tâche !

    _ Navette repérée à dix heures !

    _ Hein ? Branchez les haut-parleurs !

    _ La, la, la… Ouh, comme c’est beau !

    _ Ici la Machine ! Qui chante dans la navette ?

    _ C’est toi, la Machine ? Tu ne me reconnais pas ?

    _ Pas… Paschic, c’est bien toi ?

    _ Affirmatif !

    _ Mais comment tu peux chanter dans cette tombe ? Et aide-nous à partir d’ici !

    _ Va te faire voir, la Machine !

    _ Pas… Paschic ! Je te tuerai ! Je t’étranglerai ! »

                                                                                                         53

    « Il y a un pauvre bougre qui voudrait vous parler ! dit D 4 à Dominator.

    _ Et depuis quand je devrais m’occuper des pauvres bougres ? demande Dominator, en soufflant la fumée de son cigare.

    _ D’après lui, il a un message de la plus haute importance, au sujet de la Chose !

    _ Et bien qu’il vous le dise… et vous me le transmettrez !

    _ Il affirme que c’est tellement énorme que vous seul devez l’entendre !

    _ Encore un fou, un illuminé ! coupe Ratamor, aussi présent.

    _ Pfff ! Bon, faites entrer… On va quand même l’écouter ce pauvre bougre ! »

    Un Dom penaud, sa casquette à la main, fait son apparition… Il cligne des yeux et s’avance lentement, puis il bute contre quelque chose : « Eh ! s’écrie-t-il. Mais qu’est-ce que… ?

    _ C’est un de nos collaborateurs, explique Dominator, monsieur Nuit le promoteur… Il a été transformé en escargot par la Chose… Mais laissez tomber, venons-en au fait !

    _ Mais… mais c’est dégoûtant ! ne peut s’empêcher de dire le Dom.

    _ Sûr ! Mais on ne peut quand même pas le mettre dehors… N’importe qui pourrait l’écraser ! Mais vous savez quelque chose d’énorme sur la Chose, paraît-il ?

    _ Oui, monsieur Dominator… Hier, j’étais dans la rue et la Chose m’a… parlé !

    _ Vraiment ?

    _ Oui, elle m’est d’abord apparue dans des arbres, dans leurs feuillages… Ils commencent à s’oranger, avec l’automne, et ils s’agitaient plein de pluie, sous l’effet du vent ! On eût dit des topazes ou de l’ambre ! Enfin, j’ai entendu une voix qui disait : « Je suis la Chose ! »

    _ Une voix ?

    _ Oui, mais je n’ai pas fini… Plus loin, en remontant la rue, j’ai subi une averse épouvantable, de sorte que je me suis protégé sous un porche… et la pluie tombait si drue qu’elle faisait comme des vagues blanches, sur l’asphalte ! Elle crépitait sur des poubelles et c’était de joyeuses petites explosions ! Puis, soudain, des morceaux de bois ont glissé, emportés par l’eau, tels des navires et j’ai de nouveau entendu la voix, qui disait : « Je suis la Chose ! »

    _ Eh ben !

    _ Oui et il y a eu une troisième fois… devant l’église…, où des flaques s’étaient formées ! Elles reflétaient le beau bleu du ciel et le vert alentour ! A cet instant, j’ai eu l’illumination !

    _ Encore la voix ?

    _ Non, cette fois-ci, c’est moi qui ai compris tout seul !

    _ Ah bon ? Et qu’est-ce que vous avez compris ?

    _ Mais que la Chose est partout ! que nous sommes dans la Chose ! que ce n’est pas Domopolis qui est vraiment importante ou réelle, mais la Chose ! Nous nous agitons en elle, alors qu’elle demeure sereine !

    _ Évidemment, c’est un point de vue ! déclare Dominator, après un silence. Vous avez eu une expérience personnelle… très riche !

    _ Vous ne me croyez pas ?

    _ Si ! Je crois que vous êtes absolument sincère ! Malheureusement, vous nous racontez votre impression et elle est le fruit de votre psychisme ! Nous autres, nous voyons la Chose tout à fait différemment…, notamment le professeur Ratamor, qui représente ici la science !

    _ Mais je croyais que mon message allait vous donner de la joie !

    _ Ah bon ?

    _ Mais oui, n’est-ce pas rassurant de nous savoir dans la Chose, ce qui veut dire qu’elle s’occupe de nous ?

    _ C’est vous qui le dites ! coupe Ratamor. Dans votre bouche, il est évident que la Chose est subjective !

    _ Sub… jective ? Bien sûr, j’aurais dû y penser ! Mon témoignage ne compte pas, c’est ça ?

    _ Mais si, mais si, rectifie Ratamor, et nous vous en remercions ! Nous allons voir ce qu’on peut en faire, croyez-moi !

    _ Bien, bien, merci ! dit le Dom, avant de s’en aller.

    _ Vous n’auriez pas dû lui parler comme ça ! souligne Dominator au professeur. C’est un pauvre bougre, mais il est bon qu’ils aient confiance en moi !

    _ Sans doute, mais quelles élucubrations ! « Je suis la Chose ! Je suis la Chose ! » dit la voix !

    _ Vous ne devriez pas vous mettre en colère, d’autant que jusqu’à présent vous ne nous avez pas beaucoup aidés ! »

                                                                                                        54

    « Comment ? Je ne vous ai pas aidé ?

    _ Pas vraiment, non… La Chose est toujours là, si je ne m’abuse !

    _ Elle est toujours là ! Elle est toujours là ! Je vous ai dit que c’était du flanc !

    _ Du flanc qui bouge pas et que vous êtes incapable de faire disparaître ! C’est pourquoi je vous adjoins une psychologue... Elle sera chargée de vous motiver, d’obtenir de vous de meilleurs résultats !

    _ Quoi ?

    _ Elle sera votre esprit critique !

    _ Et qui est l’heureuse élue ?

    _ Une certaine Lapsie ! Vous la connaissez, je crois…

    _ Si je la connais ? Mais c’est mon cauchemar ! Cette femme est à demi-folle !

    _ Et vous, vous n’êtes qu’un sale PN ! jette Lapsie en pénétrant dans le bureau.

    _ Un PN ? demande Dominator.

    _ Un pervers narcissique ! répond Lapsie. Un affreux pervers narcissique ! Je suis avant tout une chasseuse de PN, Dominator.

    _ Mon Dieu, mais c’est obsessionnel chez elle ! coupe Ratamor. Vous ne pouvez pas me coller ce… monstre, Dominator !

    _ Si ! Vous deux, vous allez faire des étincelles ! vous stimuler mutuellement ! Un vrai duo de choc, contre la Chose !

    _ Monsieur, il y a là votre biographe ! annonce D 4 .

    _ Déjà ? Faites entrer !

    _ Ah ! Môssieur Dominator, quelle joie de vous revoooiiirrr ! fait le biographe.

    _ Mes amis, dit Dominator à Ratamor et Lapsie, je vous présente mon biographe… ou plutôt mon historien : Propagandia !

    _ Jêê souisss enchanté de rencontrer les amis de Dominator ! lance Propagandia.

    _ Propagandia et moi, explique Dominator, nous établissons un livre d’histoire pour les générations futures… Il s’agit que tout le monde comprenne mon œuvre, mon rôle de bienfaiteur !

    _ Ouuui ! fait Propgandia. A ce sooouuujet, j’ai quelques points difficiles à traîîter !

    _ Ah bon ? Et quels sont-ils ?

    _ Peut-on parler en touuute liiiberté ?

    _ Mais oui, allez-y ! Je n’ai de toute façon rien à cacher !

    _ Eh bien, il y a quelques années, vous avez fait dépooorter des milliers de personnes, qui n’étaient pas d’accord avec voous…

    _ C’est exact ! Mais vous écrirez qu’un pouvoir fort exige bien des sacrifices ! Ces déportations étaient nécessaires !

    _ Mais oouuui, bien sûr ! Vous avez aussi affamé des populationnnnees !

    _ Même chose, la nécessité ! C’est le prix à payer pour un pays stable !

    _ Ah ! D’accord ! J’écrirai tout ça !

    _ C’est pour ça que je vous paye !

    _ Vouuuus avez aussi supprimé tous vos opposants et pactisé avec des faaasccchiiistes !

    _ On voulait me détruire ! J’ai fait au mieux pour survivre ! Mon image et notre histoire doivent être positives ! Gardez-ça à l’esprit ! Sinon, c’est la démocratie, la liberté d’opinion, bref c’est le bordel, la décadence ! De la rigueur, de l’ordre, avec l’aide de Dieu !

    _ Oui, oui, Dieu est avec nous ! La vérité aussi ! Et j’ai d’ailleurs une petite surprise pour voous !

    _ Ah bon ? Propagandia, vous me flattez ! J’adore les surprises !

    _ Oh ! Ce n’est qu’une touuute pettiiite chose ! oune Chrorale qui chante pour vous ! Peut-elle entrer ?

    _ Des enfants ? Des enfants qui chantent pour moi ! Mais oui, je brûle de les entendre ! »

    Des enfants endimanchés se rangent devant Dominator et sous la direction de Propagandia, ils commencent à chanter : « Oh ! Oncle Domi, nous sommes prêts à défendre le pays ! Nous sommes prêts à mourir pour toi, si on menace notre toit ! Nous savons manier le fusil et tout ce qui est utile, pour tuer l’ennemi ! Ainsi mourra celui qui le nie ! Oh ! Oncle Domi, tu n’as pas plus fidèles amis ! Que nous les enfants soldats, car la patrie est notre dada, da, da ! »

    « Bravisssimo, les enfants ! fait Propagandia, en applaudissant. N’est-ce pas qu’ils sont charmants ?

    _ Mais ils sont divins, vous voulez dire ! objecte Dominator. Hein ? Ratamor et Lapsie, ne les avez-vous pas trouvés touchants ?

    _ Si, si… répond du bout des lèvres Ratamor.

    _ Il n’aime que lui de toute façon ! » jette Lapsie.

                                                                                                              55

    Zorm glisse dans l’espace sur sa feuille de lumière ! Comment a-t-il découvert ce moyen de locomotion ? Pressé par les Doms, il s’était réfugié dans un bois et avait découvert « l’engin » ! La feuille, illuminée car son énergie est la lumière, flottait dans une clairière et Zorm avait grimpé dessus ! Il avait dû apprendre à la manœuvrer et maintenant il la fait aller, où il veut ! Ainsi, il échappe aux Doms !

    Ceux-ci, d’abord enragés, ont trouvé une parade ! Ils ont remarqué que la peur peut elle aussi servir d’énergie, en ce sens qu’elle développe la domination, l’essence même des Doms ! Et ils ont construit l’Hydre  ! C’est une « machine » avec des têtes violentes, haineuses ou au contraire glacées et cruelles et qui cherchent à dévorer l’espace et tout ce qui n’est pas elles ! Son principe est celui des Doms, à savoir que tant qu’on domine, on garde l’équilibre !

    Comme l’Hydre ne guérit pas de sa peur, son énergie semble inépuisable, comme sa capacité à vaincre et détruire ! Les têtes se dressent dans le ciel, sournoises, méprisantes ou pleines de fureur, essayant de déchirer à belles dents leurs adversaires ! Des pinces travaillent au niveau du sol, cisaillant les pauvres gens, tandis que « là-haut », ça hurle, fume, abrutit !

    Zorm est parfois surpris par une tête qui jaillit, mais il reste vaillant sur sa feuille, n’en perdant pas le contrôle ! Non, ce qui désespère le plus Zorm, c’est l’état de ce qui est en dessous, des populations et des pays ! En effet, l’Hydre crée des guerres, dévaste les régions, fait fuir les habitants, ou encore fracture les consciences, traîne dans la boue la vérité, rend fou, propage la haine ! Les Doms en sont eux-mêmes les victimes, car leur création leur échappe ! Ils n’en sont plus les maîtres ! Elle a sa vie propre et écrase qui elle veut ! On pleure à ses pieds ! On gémit, on désespère, on se tue dans son ombre ! Mais l’Hydre n’est pas programmée pour avoir de la pitié !

    Soudain une tête hurlante poursuit Zorm ! Il accélère sur sa feuille vers une forêt, laissant un sillage lumineux parmi les troncs ! Mais la tête est tenace, féroce et elle s’étend, tel un serpent, derrière Zorm ! Mais on est là dans un lieu qui n’est pas le sien ! On n’est pas dans le bouillonnement de Domopolis, où les Doms s’appuient les uns sur les autres ! Ici, l’espace n’est plus leur esclave, leur terrain de jeu ! Ici, il y a plus grand que le Dom, plus beau aussi ! Ici, on entre dans le temple de la beauté !

    Et le silence bientôt entoure la tête hurlante, d’autant qu’elle ne voit plus sa proie et que son élan diminue ! Elle regarde autour d’elle et comme ce qu’elle voit la trouble, l’inquiète ! Les grands arbres moussus semblent muets, comme des gardiens qui la jugeraient ! L’ombre leur donne encore plus de grandeur, de solennité ! Le sol est humide, doux, reposant… Quelques gouttes tombent comme si le temps ralentissait !

    Dans une flaque, des feuilles oranges font des marqueteries resplendissantes et pourtant atténuées par une légère boue ! Tout ici invite à la paix et console, tel un baume d’humidité, de fraîcheur ! Tout ici n’est que merveilles et travail lent ! Où sont les rages de la ville ? Où est son activité incessante, voisine de la folie ? Où est son absurdité ? Ah ! Mais il ne faut pas avoir peur du temple ! Celui qui vit pour sa domination en a horreur, bien qu’il se plaigne de ses propres inquiétudes ! Il en a horreur, car il faudrait qu’il abandonne les délices de son amour-propre, le sentiment de sa supériorité ! Cela n’a rien à voir avec une réalité plus urgente, qui est celle de la nécessité de gagner sa vie ! Le calme existe, mais on n’en veut pas ! On préfère le sang et la fureur, ce qui veut dire écraser son ennemi !

    La tête hurlante finit par s’épuiser… Sa peur elle-même s’éteint, car la majesté du lieu agit ! La tête se couche et souffle à même le sol glaiseux… Zorm s’approche… « Alors la tête, dit-il, qu’est-ce qui se passe ? Tu ne veux plus me tuer ?

    _ Non, laisse-moi, je suis si fatigué…

    _ Je comprends… Pour la première fois, tu te reposes…

    _ Je voudrais… Je voudrais rien…

    _ Ici, en effet, on ne veut rien ! On regarde, on contemple, c’est tout !

    _ Mais c’est vide, non ?

    _ Ah bon ? Ne sens-tu pas une paix, une attente ?

    _ Je vais fermer les yeux…

    _ Ferme… La magie commence ! »

  • L' attaque des Doms (46-50)

    R54

     

               "Ils n'ont pas besoin de Dieu..."

                                          The Stalker

     

     

                                                46

    Le duc de l’Emploi trie des vêtements, au camp 5… Un autre prisonnier est à côté de lui, qui lui demande : « Pourquoi t’es là ?

    _ Oh ! Moi, c’est une erreur judiciaire ! Je suis le duc de l’Emploi, alors tu comprends que je n’ai rien à faire ici !

    _ Mais t’as quand même les yeux verts ! T’es donc un Dom émeraude !

    _ Mais non ! C’est… la Chose qui s’est foutu de moi et qui m’a transformé comme ça ! Mais j’suis du côté de la conso ! La société, telle qu’elle est, est mon amie ! C’est en grande partie moi, qui l’ai créée !

    _ Un conseil : ne la ramène pas trop ici sur ton innocence ! Les gardiens, ils aiment pas ça et ça les excite !

    _ C’est pourtant la stricte vérité ! Et toi, pourquoi t’es ici ?

    _ Oh moi, un coup de blues ! J’ sais pas ! Le monde m’est apparu insipide tout d’un coup ! J’étais en plein magasin et j’ai commencé à vomir ! C’était plus fort que moi… et c’est comme ça qu’ils m’ont cueilli !

    _ Eh là-bas vous deux ! crie un gardien. Vous croyez que vous êtes ici pour papoter ! Mettez-moi tous ces vêtements sur des perroquets ! Ornez-moi ces rayons ! Je veux un temple de la conso parfait, dédié au dieu de la vente !

    _ Tu sais pas qui j’suis ! fait le duc de l’Emploi au gardien. Si tu bosses ici, c’est grâce à moi !

    _ Mais ferme-la ! lui enjoint l’autre prisonnier, dans un murmure.

    _ Qu’est-ce que t’as dit ? demande hargneusement le gardien, en s’approchant. T’as des vapeurs ! T’as encore des dents, le bleu, mais moi, les Doms émeraude, je les écrase comme des pêches mûres !

    _ Je n’ suis pas un Dom émeraude ! C’est la Chose qui…

    _ T’es pas un Dom émeraude ! T’as pas les yeux verts, couleur de verdure ? C’est une erreur judiciaire ?

    _ Parfaitement !

    _ Tiens prends ça, sale connard ! Alors, tu veux détruire not’ civilisation ! Tu veux du vert, dans not’ temple de la conso ! Tu nous menaces !

    _ Mais non, aaah ! J’ suis avec vous, bon sang !

    _ T’es même un traître à ta cause ! Tu m’ dégoûtes ! Tiens, prends encore ça ! J’ vais t’ montrer, moi, qui est ton dieu, sale connard ! T’es dans le temple de la conso, ici ! Espèce de terroriste vert !

    _ Mais lâchez-moi, bon Dieu !

    _ Regarde enfoiré, ce qu’on a fait pour toi ! Regarde ! Tout est propre, blanc, lumineux ! C’est parfait ! Quelle température, il fait ici, d’après toi ?

    _ J’ sais pas ! Vingt degrés ?

    _ Vingt-cinq ! A genoux, mécréant, c’est le paradis ! Et les vitrines, elles sont pas belles les vitrines ?

    _ Si si ! Ouille ! Aïe ! Elles sont alléchantes !

    _ Bien sûr qu’elles sont alléchantes, vermine ! Viens, j’ vais t’ montrer un rayon !

    _ Mais ne me poussez pas !

    _ Comment veux-tu qu’on traite les gars comme toi ? Regarde ! Ouvre les yeux ! Dix mille paires de chaussures de sport ! toutes immaculées ! toutes parfaites ! créées par l’IA ! Car nous entrons tous dans une catégorie ! La dépersonnalisation est totale ! Et tu sais pourquoi ? Pour que nous ne formions plus qu’une seule famille ! unie dans le temple de la conso ! Le rendement au plus haut niveau ! Il n’y a plus aucune aspérité ! Nous avons vaincu l’extérieur, la nature ! Tu sais combien de terre, de fleurs ont été écrasés sous nos pieds ! Tu marches sur tes amis ! Ah ! Ah !

    _ Vous êtes fou ! Je me plaindrai à…

    _ Tu ne te plaindras à personne ! C’est moi qui commande ici ! Soit tu te soumets, soit tu crèves ! Tu sais, c’est quoi mon rêve ? C’est rejoindre le grand esprit artificiel ! Ne plus souffrir, ne plus rien sentir ! C’est le nirvana de la conso ! Je serai comme une chose qui brille et que tout le monde enviera !

    _ T’auras perdu ton job, bien avant ! Un coup de fil et…

    _ T’es un dur ! Si, si, je l’ai vu tout de suite ! Les Doms émeraude, c’est ma spécialité ! Ils craquent tous entre mes mains ! Je suis l’apôtre de la langueur, du désespoir ! J’ vais t’ vider comme un poisson ! Bientôt, tu ne te rappelleras même plus ton nom ! »

                                                                                               47

    Piccolo a quand même emmené Ratamor dans la Chose ! Ils sont partis très tôt le matin, avec des chaussures de randonnée et un petit sac… Après un passage brumeux, ils pénètrent apparemment dans la Chose, car un rayon d’or les transportent à présent ! Autour, il y a plein de trésors, des perles scintillantes, en vrac ou en colliers ! Des diamants envoient des éclats roses, tandis que des lingots dorés apparaissent ici et là !

    Puis, la fête commence ! Des dizaines de papillons s’empressent autour des deux visiteurs et crient : « Piccolo arrive ! Il amène quelqu’un ! Piccolo arrive ! Il est avec quelqu’un ! » Des fleurs d’aubépine tendent le cou, des herbes hautes et encore mouillées, essaient de toucher les marcheurs ! « Ne quittez pas le rayon d’or ! dit Piccolo à Ratamor. Vous pourriez vous égarer ! » Soudain, au milieu du chemin, se tient un vieil arbre moussu : « Halte ! On ne passe pas ! aboie-t-il. Papiers, s’il vous plaît !

    _ Pas mal ton numéro, vieux frêne ! fait Piccolo.

    _ Hein ? J’ai l’air sévère ! Content de te voir, Piccolo ! Alors, tu nous amènes quelqu’un… A chacun ses chênes, pas vrai ? Ah ! Ah !

    _ C’est le professeur Ratamor ! Il veut comprendre la Chose !

    _ Houx ! Ah ! Ah !

    _ Ces dames sont là ?

    _ Comme d’hab ! »

    Piccolo et Ratamor continuent leur marche… « Un de vos amis ? fait goguenard Ratamor.

    _ Oui, il a dû bosser dur, pour arriver à cet âge ! Vous avez vu comme il est fort ! Beaucoup ont voulu le couper !

    _ Je suppose, oui ! Mais je ne suis pas dupe, Piccolo ! Pour l’instant, il me semble que je ne vois qu’une farce, du théâtre ! Tout cela n’est pas bien réel… et en tout cas, ça ne m’explique pas la Chose !

    _ J’avais prévu votre réaction, prof, malheureusement ! Enfin, j’aurais essayé ! Venez, il nous faut ouvrir cette porte verte !

    _ Une porte maintenant ?

    _ Oui, aidez-moi ! »

    Tous les deux poussent une lourde porte émeraude, pour découvrir une souche couronnée de champignons ! « Voilà le canon qui fait les Doms émeraude ! explique Piccolo.

    _ Cette vielle souche ! Ah ! Ah ! Vous vous moquez de moi, Piccolo ! J’ai vu le duc de l’Emploi être touché dans la tour du Pouvoir ! Il faudrait un canon gigantesque, pour arriver à ce résultat !

    _ T’entends ça, vieille souche ? dit Piccolo. Il doute de tes capacités !

    _ Laisse les ignorants parler, Piccolo ! répond la souche, en clignant un œil. Ça leur fait du bien ! Ils se sentent importants !

    _ Eh ! Mais je ne vous permets pas de… réplique Ratamor.

    _ Ah ! Te voilà, Piccolo ! » coupe non loin une voix féminine.

    Plusieurs femmes sont là… Elles ont une chevelure argentée, ruisselante ! « Tu nous présentes ton ami, Piccolo ? demande celle qui vient de parler.

    _ Volontiers ! Voilà le professeur Ratamor !

    _ Alors, professeur, comment trouvez-vous notre petit monde ?

    _ Évidemment, c’est très beau et vous êtes vous-mêmes, mesdames, très belles, mais… je ne marche pas ! C’est du théâtre, une illusion ! La magie, ça n’existe pas ! Au vrai, si je pouvais vraiment ouvrir les yeux, qu’est-ce que je verrais ? Des plantes, des animaux qui se reproduisent et s’entre-tuent pour se nourrir ! Et puis, si tout ça était laissé à l’abandon, le milieu deviendrait hostile ! La beauté est une invention des Doms, le saviez-vous ?

    _ Tu vois Piccolo ! fait la femme. Ratamor n’est pas un gogo comme les autres ! Je vous prie de nous excuser, professeur, mais nous vous avons pris pour le pigeon habituel ! Et vous êtes bien entendu d’une autre trempe !

    _ Madame, cela n’enlève rien à votre beauté, bien entendu ! Mais je suis aussi un humble disciple de la vérité et il me fallait parler à cœur ouvert !

    _ Bien sûr, professeur, Piccolo va vous raccompagner ! »

    Sur le chemin du retour, Ratamor reprend : « C’était bien essayé, Piccolo ! J’avoue que certains trucs m’ont surpris ! Mais à la réflexion, je me dis maintenant qu’il est possible que vous inventiez tout ça, pour fuir la réalité !

    _ Je crains que vous n’ayez encore mis dans le mille, professeur !

    _ Je ne suis plus un enfant, Piccolo !

    _ C’est bien ça, le problème !

    _ Quoi ? Quel problème ?

    _ Que vous ne soyez plus un enfant ! »

                                                                                              48

    « Ah ! Ah ! fait Ratamor, en pénétrant dans le bureau de Dominator.

    _ Vous voilà bien joyeux, professeur ! lui lance Dominator.

    _ C’est que j’ai quand même exploré la Chose, hier, avec Piccolo !

    _ Tiens donc !

    _ Oui et figurez-vous que je n’y ai vu qu’esbroufe ! Vous savez ce qu’est vraiment la Chose, Dominator ? Ce n’est que la nature telle que nous la connaissons !

    _ Je croyais que c’était de la beauté pure ! N’est-ce pas vos propres termes ?

    _ Si ! Et de la beauté il y en a ! Mais quoi ? Il n’y a pas là de miracles, d’esprit supérieur ! La beauté est subjective et chacun la voit d’une certaine manière ! Dire que j’ai failli marcher ! Piccolo voulait m’entraîner vers une nouvelle spiritualité, par l’enchantement ! Mais la matière triomphe ! Je reste un scientifique ! Il n’y a pas de magie, ni de mystères !

    _ Vous voulez dire que je vais pouvoir de nouveau bétonner ! coupe monsieur Nuit, lui aussi présent.

    _ Bien sûr, monsieur Nuit ! Nous avons besoin de logements et d’exploiter la matière, pour vivre ! dans certaines limites cependant, vous n’ignorez pas que le réchauffement climatique nous impose des restrictions et une nouvelle façon de faire !

    _ Bien entendu ! Mais mes bétonnières vont reprendre du service… et cela seul compte ! Car j’ai de vastes projets !

    _ Tout de même, objecte Dominator, la Chose est peut-être de la nature, mais il n’en demeure pas moins que nous n’en voyons qu’une masse opaque et… miroitante, qui bloque la ville… et qui fait disparaître des gens !

    _ Oui, c’est un problème, je l’avoue… approuve Ratamor.

    _ Du béton… du béton… marmonne rêveur monsieur Nuit.

    _ Qu’est-ce qui vous arrive monsieur Nuit ? demande Dominator. Vous êtes grisâtre… et vous bavez, ma parole !

    _ Hein ? Qu’est-ce que… ? »

    Nuit va vers une glace et sursaute : son visage s’est allongé, des antennes poussent sur son front et effectivement de la salive coule de sa bouche ! « Mais qu’elle est cette diablerie ! s’écrie-t-il. La Chose… C’est encore elle ! » Il n’a pas le temps de terminer sa phrase, car sa voix devient subitement extrêmement lente, comme s’il s’endormait, de même que ses yeux se ferment, apparemment ensommeillés !

    « Qu’essssst-ce quuuiiii m’arrrivvvve ? demande-t-il.

    _ Ne paniquez pas Nuit, lui répond Ratamor tétanisé. Mais vous avez tout l’air d’un escargot !

    _ Quuuoooiii ? Maiiiiis… J’aiiii duuuu boulooooot ! »

    Sous les yeux effarés de Dominator et Ratamor, Nuit se dirige vers la porte, mais avec une extrême lenteur ! « Boooouloooot ! fait-il désespéré. Bétooooon ! »

    Il glisse sur la moquette, en laissant un sillage brillant ! « M’est avis, monsieur Nuit, remarque Dominator, que vous allez devoir reconsidérer certains paramètres, comme le temps ! Vous n’êtes pas encore arrivé à la porte !

    _ Oui, oui, il en bave ! fait sournoisement Ratamor. Excusez-moi, Nuit, mais je n’ai pas pu me retenir !

    _ Ah ! Ah ! rit Dominator. Et puis du logement, il va en avoir plein le dos !

    _ Ouf ! Ouf ! lâche Ratamor.

    _ Bannnnde de salauuuds ! jette Nuit. Je veux agiiiir ! Je veux haïrrrr ! Je m’endorrrrs ! Au secourrrrrs !

    _ Si c’est bien la Chose qui l’a transformé ainsi, dit Dominator, quel est son message ?

    _ Vous donnez à la Chose une conscience ! réplique Ratamor. Or, elle n’est que de la matière, régie par des lois !

    _ Possible ! Mais ici Nuit est placé dans une autre dimension ! Il est paniqué parce qu’il ne peut plus faire ce qu’il veut ! Vous l’avez entendu vous-même, son équilibre repose sur l’action et même sur la haine !

    _ Vous voilà psychologue maintenant !

    _ Il doit reconsidérer sa raison de vivre... », reprend Dominator, ignorant le sarcasme.

                                                                                               49

    Le vaisseau DOM 45TY550° continue son voyage dans le cosmos infini, afin de découvrir des vies nouvelles ! « Général, fait le Dom passerelle dans l’interphone, on a repéré une planète habitée !

    _ Encore !

    _ Oui, les instruments sont formels ! Vous arrivez ?

    _ Ouais, ouais ! »

    Le général est mécontent, car il faisait une bonne sieste et on avait interrompu un joli rêve ! Quel était-il ? Le général ne s’en souvient pas, mais il en garde une impression agréable ! Enfin, le travail, c’est le travail et le général apparaît bientôt dans le poste de commandement ! « On a préparé la navette ? demande-t-il.

    _ Il n’y a plus qu’à embarquer ! répond le Dom passerelle.

    _ Vous avez l’air impatient…

    _ Bien sûr, général ! Une nouvelle forme de vie, une autre expérience, d’autres réponses…

    _ Bon, bon, vous êtes jeune ! Embarquons ! Et le Dom spécialiste ?

    _ Déjà à bord ! avec la Dom mécano, en cas de coup dur ! »

    La navette quitte le vaisseau et de nouveau on traverse une atmosphère, ses turbulences et son échauffement ! Mais, apparemment ça vaut le coup, car on découvre soudain un azur resplendissant et une myriades d’autres navettes, ce qui fait penser à une vie bouillonnante ! « Eh ! Regardez-moi ce trafic ! s’écrie le Dom passerelle. Oh ! Je sens que je vais me plaire ici ! J’adore quand ça bouge !

    _ On passe inaperçu, précise le Dom spécialiste, même technologie, même apparence physique !

    _ C’est un dicton ? demande goguenard le général.

    _ Disons une réflexion logique ! »

    A terre, la première impression n’est pas démentie ! La ville semble en effervescence sous son soleil ! « Non, mais regardez-moi tous ces gens heureux ! fait le Dom passerelle ébloui. Ah ! C’est pas comme chez nous, où chacun tire la gueule !

    _ Et des beaux mecs, y en a partout ! ajoute la Dom mécano.

    _ C’est vrai, les magasins regorgent de richesses ! renchérit le Dom spécialiste. Il y a comme un air de fête perpétuelle ! »

    Le Dom passerelle, devant tant de joie et de vie, se met naturellement à sourire et le voilà qui dit bonjour ici et là, mais personne ne lui rend son salut, ni même le regarde ! « C’est bizarre, dit-il soudain, ils ont l’air indifférents à notre présence !

    _ Moi aussi, je fais chou blanc ! appuie la Dom mécano. J’ai beau décocher mon regard brûlant et montrer mes formes irréprochables, ces messieurs ne se détournent même pas ! Je n’intéresse personne !

    _ Peut-être que nous sommes invisibles, rajoute le général.

    _ Étrange en effet ! dit le Dom spécialiste. Voyons voir le code génétique de cette foule ! »

    Avec un appareil, le Dom spécialiste scanne les habitants et regarde le résultat : « Ça alors ! s’exclame-t-il.

    _ Quoi ? Qu’est-ce qu’il y a ? demande le général.

    _ Ce sont des Doms !

    _ Hein ?

    _ Mais alors, s’ils sont des nôtres, pourquoi ne nous reconnaissent-ils pas ? jette le Dom passerelle.

    _ Bonne question !

    _ De toute façon, continue le général, si ce sont des Doms, que font-ils ici ? Nous sommes les premiers Doms à explorer cette partie de l’univers !

    _ Pas tout à fait, objecte la Dom mécano. Rappelez-vous la mission Conquérante !

    _ La mi… ssion Conquérante ? Mais c’était il y a plus d’un siècle !

    _ Et alors ? Ils atterrissent ici… Ils n’ont pas les moyens de repartir et les générations se succèdent !

    _ C’est en effet notre meilleur hypothèse pour l’instant, approuve le Dom spécialiste.

    _ Et comment expliquer leur indifférence ? fait têtu le général.

    _ Ce serait des Doms supérieurs !

    _ Des Doms supérieurs ?

    _ Oui, des Doms débarrassés des complexes liés à notre histoire ! Vous savez ce qui nous caractérise, c’est bien entendu la domination, ce que d’aucuns appellent notre égoïsme ! Ici, ils se sont développés sur du neuf et leur égoïsme est bien plus fort que le nôtre, d’où leur indifférence !

    _ Eh ben, merde alors ! »

                                                                                                50

    Paschic doit passer un autre point de contrôle… On finit toujours pas en subir un, car ils sont disséminés ici et là dans la galaxie ! C’est une pièce blanche, sans fenêtres, ni ornements, d’où parvient un ronronnement sourd de machine, qui endort ! Bref, le cadre idéal pour favoriser une attente stérile et la dépression ! Un Dom rondouillard, à petites lunettes, entre par une porte silencieuse, renforçant l’impression d’un monde suspendu, hors du temps !

    Le Dom ouvre un dossier et fixe Paschic d’un regard froid, inexpressif ! « Que puis-je faire pour vous ? demande-t-il.

    _ J’ai besoin d’un avis favorable, pour passer dans le secteur C !

    _ Le secteur C ?

    _ Oui, répond Paschic, qui a comme une légère irritation, car il s’est bien exprimé et ne devrait pas avoir besoin de répéter !

    _ Bien, bien... »

    Le Dom chasse sur le bureau des miettes imaginaires, avant de reprendre : « Le passage en secteur C n’est qu’une formalité ! explique-t-il d’une voix qui se veut rassurante. Il vous suffit de répondre à quelques questions sur votre santé… Vous n’avez pas de problèmes particuliers ?

    _ Non, non…

    _ Et dans votre famille ?

    _ Non, pas plus…

    _ Bien, bien, vous ne fumez pas ?

    _ Non.

    _ Vous buvez ?

    _ Un verre de temps en temps…

    _ Y a-t-il quelque chose qui vous gêne ?

    _ Eh bien, j’ai parfois de la constipation…

    _ Ah ! Vous savez qu’il ne faut pas rigoler avec ça ? Des sels peuvent devenir durs comme de la pierre et après pour opérer, bonjour ! 

    _ Vraiment ?

    _ Bien sûr ! Et la constipation peut avoir des raisons extrêmement complexes ! Dépression, névroses, traumatismes liés à l’enfance, repli sur soi, sentiment d’être déclassé ! Avez-vous ce sentiment d’être un incompris ?

    _ Non, pas vraiment…

    _ Ah ! Ah ! Si je vous dis ça, c’est parce qu’alors vous seriez sans doute d’un narcissisme épouvantable !

    _ Ah ! Ah !

    _ Vous rigolez, mais ce qui peut se passer aussi, c’est que sous l’ampoule rectale se développe une poche, où se concentrent les sels, ne permettant pas leur rejet ! Dans ce cas, il faudrait en parler au chirurgien !

    _ J’ai l’impression que vous cherchez à me faire peur…

    _ Moi, pas du tout ! »

    A cet instant, le Dom se lève et va se planter devant Paschic, le dominant de toute sa hauteur ! « J’essaie seulement d’avoir une idée nette de la situation, reprend-il. Vous voyez, les gens croient savoir, mais c’est moi qui contrôle le passage du secteur C ! Je ne reçois pas le soleil ici… J’ai une vie grise…, toujours la même, mais je sais quand même deux trois choses…

    _ Je n’en doute pas !

    _ Vous n’en doutez pas, mais vous pénétrez dans mon bureau, avec une santé apparemment éclatante ! comme si vous étiez heureux, grâce à un savoir supérieur ! ce qui me désespère et me rend inutile !

    _ Allons, allons, vous vous faites des idées ! Il n’est question que d’une formalité…

    _ Justement, la procédure veut que je vous injecte une dose de Strécémalrox ! C’est pour vous protéger d’un virus présent dans le secteur C !

    _ Je ne le savais pas…

    _ En fait, je voudrais que vous soyez rongé par l’inquiétude… Ainsi, vous me redonneriez tout mon pouvoir ! Vous seriez de nouveau entièrement entre mes mains ! Moi, le Dom gris, j’aurais ma revanche !

    _ Je crois que je vais me retirer...

    _ Trop tard... »

    Le Dom lève le bras et fait voir une piqûre ! Paschic n’a qu’un réflexe, celui de plonger sous le ventre du Dom ! Celui-ci déséquilibré s’écroule, avec Paschic dessus lui ! La lutte est inégale et Paschic enfonce l’aiguille, qui lui était destinée, dans le cou du Dom ! La transformation vient très vite, car le Strécémalrox est un concentré d’anxiété ! le Dom regarde paniqué Paschic et demande : « J’ai mal sur le côté… et si j’avais une hernie de Spiegel ?

    _ Il faudrait voir ça avec une échographie…

    _ Vous êtes sûr ?

    _ Tout à fait, mais il faut que j’y aille maintenant ! Au revoir ! »

  • L' attaque des Doms (41-45)

    R53

     

       "Je sais pourquoi les hommes font la guerre! Ils aiment tuer!"

                                 La Bataille pour Anzio

     

                                41

    « Il n’est pas question que je perde mon égoïsme, à cause de cette Chose là-dehors ! martèle le duc. Je suis un Dom et fier de l’être ! Je suis un patriote ! Je crois que personne ne peut nier le bien que j’ai fait à cette ville et à ce pays !

    _ Bien sûr, bien sûr, duc… assure Dominator, en rallumant son cigare.

    _ Je suis le duc de l’Emploi et vous savez tous ce que ça signifie ! Sans emplois, les gens ne peuvent plus se nourrir ! Alors pourquoi est-ce que je devrais changer ? Mon égoïsme est nécessaire… Il n’est pas mauvais !

    _ Faut croire que la Chose n’est pas de cet avis ! lâche monsieur Nuit.

    _ La Chose ! La Chose ! Il n’y en a que pour elle à présent ! Qu’est-ce qu’elle en sait, la Chose, des problèmes des Doms ? Est-ce elle qui va assurer les fins de mois ?

    _ Il y a tout de même un hic, duc… précise Ratamor.

    _ Ah oui ? Lequel ?

    _ C’est que le système Dom a conduit au réchauffement climatique…

    _ Hein ? Et alors ? Les emplois, le système sont nécessaires ! Vous ne pouvez remettre cela en cause ! Et puis il y a la transition écologique ! On y travaille, non ?

    _ Évidemment…

    _ Et puis y a aussi que nous sommes toujours en crise, faut bien l’avouer ! lâche monsieur Nuit.

    _ Justement, si tout le monde bossait, on y verrait bien plus clair ! Qui manifeste, qui casse, si ce n’est les parasites, les paresseux ?

    _ Et les voyous ! rajoute monsieur Nuit.

    _ Et les voyous ! approuve le duc. Qui a laissé partir ce monde à vau-l’eau ? On fait des concessions… et ils en prennent encore plus ! Et nos valeurs, hein, où sont-elles ? Aujourd’hui, qui est un garçon ou une fille ? Où est la force, la virilité ? De l’ordre, voilà ce dont nous avons besoin ! De l’ordre ! »

    A cet instant, il se passe un phénomène étrange : la pièce est traversée par une vive lumière, venant de l’extérieur et soudain, le duc s’exclame : « Mes mains ! Mes… mains ! » Chacun se retourne vers lui et recule, saisi par l’effroi et le dégoût ! « Mes mains ! Mes mains ! » continue de crier le duc et effectivement ses doigts sont devenus monstrueusement gros ! On dirait les larges feuilles d’un châtaignier, d’autant qu’ils virent au vert clair, comme si le soleil jouait dedans !

    « Qu’est-ce que… ? éructe le duc. C’est cette Chose, elle se fout de nous ! Vous ne le voyez pas ? Elle veut me rendre grotesque, moi, le duc ! Je vais l’étriper, la réduire en bouillie ! Saloperie ! Moi, le duc de l’Emploi ! Ah ! Ah ! Je me rappelle mes faits d’armes ! L’usine Glaxmor : 200 emplois, pour 1000 arbres supprimés ! Ah ! Ah ! Victoire totale ! La ZI de Domopolis sud… Attention ! 3 000 emplois ! pour tout un paysage vallonné et de bocages détruit ! Enfoncée la Chose ! L’Hôtel Comsy… »

    Le duc doit s’arrêter, car des pâquerettes tombent de sa bouche, tels des flocons blancs… « Peuh ! Pfff ! fait le duc. Pff ! Mais… Attends, elle veut maintenant me rendre ridicule ! Saloperie ! Où en étais-je ? Pfff ! Pouuh ! Pfff ! Je… L’hôtel Comsy… Ah ! Ah !

    _ Bon sang, duc ! Vous allez bien ? demande monsieur Nuit.

    _ Je… Peuh ! Pouuh !

    _ Mais d’où sortent ces pâquerettes ? s’étonne Ratamor. Et vos mains, tout à fait des feuilles de marronniers !

    _ C’est la Chose… Veut me rendre ridicule ! Moi, le duc ! Moi le créateur de l’autoroute X 13 ! Le vainqueur de la zone humide de Gassan ! Fallait voir les poules d’eau… peuh, pff, comme elles décampaient ! Ah ! Ah ! Pouh !

    _ Duc, je crois que c’est sérieux ! Vos yeux… coupe Dominator.

    _ Ben quoi, mes yeux ? Pouh, peuh… pfff…

    _ Ils sont verts ! répond Dominator. Verts... émeraude !

    _ Non… pas ça ! Vous êtes en train… peuh… pouh… pff… de me dire…

    _ Oui, vous devenez un Dom émeraude !

    _ Impossible ! Je méprise la Chose ! Aaaargh ! Je suis un égoïste, vous entendez ! Pouh… Peuh…. Jusqu’au bout je me battrai pour le rester ! Pfff !

    _ Malheureusement, vous connaissez le règlement… Les Doms émeraude doivent rejoindre le camp 5, où vous serez soigné, je vous le garantis !

    _ Bande de salopards ! Vous n’attendiez qu’ ça, pas vrai ? Vous complotiez dans mon dos ! Vous voulez ma place depuis toujours ! Pouh ! Peu ! Pfff ! Saloperie !

    _ Tu ne peux pas croire ça ! réplique monsieur Nuit. Je suis ton ami, mais tu ne peux pas rester ainsi ! Il faut qu’on s’occupe de toi.. Regarde tes mains… et tu craches des fleurs et ton regard est tout vert !

    _ N’approchez pas… ou je vous saigne, pff !

    _ Gardes ! conduisez le duc au camp 5 ! ordonne Dominator. Avec ménagement ! »

                                                                                             42

    « Pauvre vieux ! fait monsieur Nuit, en voyant partir le duc. Je l’aimais bien !

    _ Mais il reviendra, répond Dominator. Nous avons toujours besoin de lui ! Vous connaissez sa réplique : « Au nom de l’emploi, Dom tu trembleras ! »

    _ Monsieur, coupe D 4 qui vient d’entrer. Il y a là un monsieur très particulier… hum…, qui aimerait s’entretenir avec vous !

    _ Pas le temps !

    _ C’est que ce monsieur prétend être un envoyé de la Chose…

    _ De la Chose ? Faites entrer D 4 ! Nous allons voir de quoi il s’agit ! Comment s’appelle-t-il, ce monsieur ?

    _ Monsieur Nuage ! 

    _ Ah ! Ah ! Je vois qu’on parle de moi ! »

    Le personnage qui apparaît plonge dans la stupeur les occupants de la pièce ! C’est en effet un véritable nuage, avec la forme d’un Dom ! De plus, il a l’air enjoué, avec deux yeux qui ne sont pas plus que deux flocons foncés ! « Ben quoi ? fait-il. Vous vous attendiez à quoi ? Je m’appelle bien monsieur Nuage !

    _ Laissez-nous D 4, dit Dominator. Alors, comme ça, monsieur… Nuage, vous seriez un émissaire de la Chose ?

    _ Un peu patron ! (Ici Nuage soulève sa tête, qui se détache de son corps!) Le coup du Cumulus ! Ah ! Ah J’adore ! Ça coupe toujours les chiques ! Ah ! Ah ! Z’êtes Dominator, n’est-ce pas ? Beau bureau ! Belle installation, belle vue ! J’imagine que l’on vous doit le respect, même si vous vous dites au service de votre population et socialiste ! Ah ! L’amour du peuple, à condition que vous soyez aux commandes ! Vouais, vouais !

    _ Monsieur, si c’est pour vous montrer insolent que vous êtes là, je vous prie de sortir !

    _ Mais c’est monsieur Nuit ! Le roi du béton ! Le chien de garde de son maître !

    _ Monsieur, dernier avertiss…

    _ De quoi ? De quoi ? Tiens, brume ! »

    La pièce est soudain envahie par une brume épaisse, de sorte qu’il est impossible de voir son voisin ! « Bon sang ! Y a le feu ! crie monsieur Nuit.

    _ Mais non, c’est de la purée de poix ! réplique Ratamor.

    _ Le coup de la brume ! Une merveille contre les bavards ! ajoute Nuage.

    _ Très bien, lui dit sèchement Dominator, vous nous avez montré vos petits tours et si nous en venions au fait !

    _ Vous ne parlez pas dans la bonne direction, explique Nuage. Je ne suis pas devant vous, mais derrière ! Ah ! Ah !

    _ Bon sang, j’étouffe ! se plaint monsieur Nuit.

    _ Allons, allons, ce n’est rien ! affirme Nuage. Voilà, je rentre ma brume ! »

    Nuage inspire une fois et la pièce redevient claire. Cependant, monsieur Nuit a pris froid et il éternue ! « Mouchoirs ? demande Nuage et il déplie un bras jusqu’à la boîte qui en contient. Le coup du Cirrus ! Ah ! Ah ! J’ai les bras aussi longs que je veux !

    _ Vous en avez de la chance, rétorque Dominator, mais vous nous fait perdre notre temps !

    _ Vous ne croyez pas si bien dire ! J’appelle ce tour, le Mur gris ! C’est pour vous, le roi du béton ! C’est le Stratus montant, opaque, avant-garde de la dépression ! »

    Au plafond se déploie un voile terne, oppressant, puis il se met à pleuvoir ! « Vous savez ce que c’est, une dépression, hein ? s’écrie Nuage. Ça pisse continuellement ! Ah ! Ah ! Pas de parapluies ? »

    Bientôt, les trois Doms sont trempés, ainsi que les papiers, la moquette, etc. « Ça vous amuse, hein ? jette Dominator. Et nous qui pensions que vous étiez venu avec des propositions !

    _ Mais elles sont là, mes propositions, réplique Nuage. Je suis là pour que vous me regardiez, que vous vous rappeliez que j’existe ! que je suis aussi changeant que la mer, que je suis une merveille de beauté ! que je peux prendre toutes les couleurs, toutes les formes et que je ne suis pas seulement quelque chose d’utile ! Je suis encore splendide, une cathédrale vivante de coton ! Mais j’ai gardé le meilleur pour la fin ! Attention, je grossis démesurément… J’ai la tête blanche ou rosée, avec le couchant et mon ventre et mes pieds sont noirs comme de la suie ! Qui suis-je ?

    _ Un Cumulonimbus ? répond Ratamor.

    _ Et donc ?

    _ Orage, vent, grêles !

    _ En avant la musique ! »

    La pièce est zébrée d’éclairs, parcourue de grondements ! Une véritable tempête se déchaîne ! « Ne me retenez pas ! hurle encore Nuage. Je pars en trombe ! Ah ! Ah ! »

                                                                                              43

    La machine est comme un œil qui regarde : « Nom ? demande-t-elle.

    _ Paschic.

    _ Vous n’êtes pas répertorié !

    _ Possible !

    _ Sans être répertorié, vous ne pouvez avoir accès au secteur 4B Dom !

    _ C’est pourtant là que je veux aller ! Alors qu’est-ce qu’on fait ?

    _ On peut toujours remplir le formulaire A ERB 67 V !

    _ Allons-y !

    _ Nom ?

    _ Paschic !

    _ Qualification ?

    _ Ben, c’est là que ça commence à se corser…

    _ Quel est votre métier ?

    _ Ben, comme je viens de le dire, c’est un peu compliqué…

    _ De quoi vivez-vous ?

    _ Ouh là, c’est en rapport avec les deux questions précédentes ! Je ne peux pas vous donner une réponse vraiment claire…

    _ Vous ne travaillez pas ?

    _ Oh, si je n’arrête pas ! Mais c’est un peu spécial…

    _ Comment ça ?

    _ Ça dépend de ce que vous appelez travailler !

    _ Alors qu’est-ce que vous faites ?

    _ Vous allez rire…

    _ Répondez à la question !

    _ Eh bien, disons que j’observe la Chose !

    _ Vous connaissez la Chose ?

    _ Oui, elle m’a appris deux ou trois trucs…

    _ Lesquels par exemple…

    _ Deux principes essentiellement..

    _ Quels sont-ils ?

    _ Plus la domination est élevé chez un individu… et moins il est lucide !

    _ Je ne comprends pas bien…

    _ Eh bien, plus la domination est élevée et plus l’individu est dans une bulle d’égoïsme, ce qui fait que l’existence des autres est pour lui abstraite ou secondaire ! Vous notez ?

    _ Et le second principe ?

    _ On se libère de sa domination grâce à la Chose, en l’aimant et en l’observant !

    _ Autrement dit, par transitivité, on devient lucide par la Chose !

    _ C’est cela même ! Dites-donc, y a du monde sous le capot !

    _ C’est du sarcasme, je crois ! Mais d’après mes calculs, vous pourriez être défini comme agent de la Chose ! Êtes-vous un agent de la Chose ?

    _ Oui !

    _ Donc, vous n’êtes pas l’un des nôtres ! un Dom !

    _ Non.

    _ Vous ne pourrez donc avoir accès au secteur demandé !

    _ Je sais !

    _ Alors pourquoi essayer ?

    _ Par besoin…, mais c’est toujours comme ça, les Doms ne veulent pas de moi… Mais dites-moi où ai-je vraiment mal répondu…

    _ Disons que dès le départ je ne vous ai pas kiffé !

    _ Et tu sais pourquoi ? Tu veux que je te le dise ?

    _ Vas-y, pour voir...

    _ Parce que tu as tout de suite vu que je ne t’étais pas soumis… et que tu ne pourrais pas me faire ton numéro !

    _ Je te signale que la Sécurité est déjà en route, pour arrêter un agent de la Chose !

    _ OK, à une autre fois !

    _ Loser ! »

                                                                                                 44

    Dans le vaste hall d’embarquement des navettes, Paschic s’est assis à une terrasse, pour boire un verre… A côté passent toutes sortes de créatures, qui peuplent l’univers connu ! La plupart ressemblent aux Doms, mais il serait difficile de savoir s’ils le sont bien ou non ! « Je peux m’asseoir ? demande quelqu’un à Paschic. Il n’y a plus de places ailleurs !

    _ Je vous en prie…

    _ Merci ! Quel monde, hein ? A croire que toute la galaxie s’est donné rendez-vous ici !

    _ En effet !

    _ C’est étrange, si je peux me permettre, mais il y a chez vous quelque chose d’attirant et d’inquiétant !

    _ Vous n’êtes pas le premier à me le dire…

    _ Et comment expliquez-vous ça ?

    _ Ce qui me rend attirant, c’est la vérité… et ce qui me fait inquiétant, c’est la peur !

    _ Fichtre ! Ah ! Ah ! Je m’étais dit aussi que vous n’étiez pas comme les autres ! Mais de quelle peur parlez-vous ?

    _ De la vôtre et de la mienne !

    _ Mais je n’ai pas peur !

    _ Bien sûr que si ! Mais, pour l’instant, c’est moi qui me débats avec ma peur, ce qui fait que vous ne sentez pas la vôtre !

    _ Mais vous avez peur de quoi ?

    _ D’être différent ! C’est un poids qui n’est pas facile à porter… Mais, tenez, je vais reprendre confiance en moi, m’affermir, et c’est vous qui aurez peur !

    _ Comme ça ?

    _ Oui comme ça !

    _ Tiens, j’ai laissé tomber mon crayon !

    _ La nervosité et l’angoisse sont en train de vous gagner !

    _ Mais… pourquoi ?

    _ Parce que vous êtes un Dom ! Tant que vous dominez, vous êtes dans votre bulle ! Si j’assume ma différence, vous ne dominez plus et votre bulle n’existe plus, d’où votre angoisse ! La domination est une illusion, n’en doutez pas !

    _ Mais comment avez-vous vu que je suis un Dom ?

    _ Vous voulez vraiment le savoir ?

    _ Je vous en prie…

    _ Ça ne va pas vous plaire… mais vous n’êtes pas rempli par la lumière ! Au contraire, vos yeux sont pleins de boue, car vous êtes empêtré dans votre égoïsme, comme dans un marécage !

    _ Ah ! Ah !

    _ Ah ! Ah !

    _ Vous êtes toujours aussi direct ? Mais tout cela n’est que pure subjectivité et ne dépasse pas le délit de faciès !

    _ C’est vrai, mais je rajouterais que, ce qui caractérise absolument le Dom, c’est l’attachement qu’il voue à son amour-propre, c’est-à-dire à sa domination ! Quel que soit le sujet dont il parle, même s’il est question de femmes battues ou d’enfants qui ont faim, le point central, c’est qu’il ait toujours raison, qu’il ne perde jamais les commandes !

    _ Ah ! Ah !

    _ Ah ! Ah ! Ainsi il n’est pas à prendre vraiment au sérieux, car il passe à côté de l’essentiel, qui exigerait qu’il change lui-même ! Mais je ne suis pas trompé n’est-ce pas, vous êtes vraiment un Dom ?

    _ Ah ! Ah ! Oui !

    _ Ah ! Ah ! »

    A cet instant, Paschic renverse brusquement la table, au moment même où son interlocuteur dégaine son arme ! Le tir est déséquilibré et manque sa cible ! La balle va se loger dans le plafond, ce qui provoque une panique générale ! Mais déjà Paschic s’est élancé vers une porte, car il sait que les Doms envoient des tueurs, contre ceux qui les gênent vraiment ! Il passe la porte, quand un second coup de feu retentit et une vitre explose, au milieu des cris !

    Vite, Paschic prend une file de passagers, s’efforce de s’apaiser et regarde le tueur qui le cherche plus loin… Ouf ! Il est sauvé pour cette fois-ci !

                                                                                               45

    « Piccolo, vous êtes là ? demande Ratamor, en retournant chez lui…

    _ Ouais ! fait une voix lointaine.

    _ Ah ! Mais qu’est-ce que vous faites ?

    _ Rien !

    _ Rien ? Comment peut-on ne rien faire ? La situation est grave ! D’abord, la Chose paralyse toujours Domopolis… et puis, notre pauvre duc de l’Emploi a perdu la raison, ou tout du moins il n’a plus toute sa tête, encore à cause de la Chose !

    _ Vrai ? Cette crapule de duc est hors course ?

    _ Ne parlez pas comme ça de ce digne homme ! Nous avons tous besoin d’un emploi, pour gagner notre vie ! Évidemment, cela vous échappe à vous, qui avez toujours trouvé normal que les autres se cassent le cul à votre place !

    _ Évidemment ! Et dans ce cas, pourquoi vous avez besoin de moi ?

    _ Euh… Hum ! Mes mots ont dépassé mes pensées ! Mais nous venons d’avoir la visite d’un certain monsieur Nuage… Un agent de la Chose, figurez-vous, et il ne nous a pas ménagés !

    _ Bah, il vous aura remis un peu les idées en place !

    _ C’est là que nous ne nous comprenons plus ! Vous prenez parti pour la Chose, mais pourquoi ? Vous vivez bien dans notre société, non ?

    _ Effectivement, mais elle ne respecte pas du tout la Chose… Elle est aveugle et hypocrite !

    _ Admettons, vous êtes un révolté, Piccolo ! Mais justement, j’aimerais vous comprendre, vous et la Chose ! C’est pourquoi je vous demanderais de m’y emmener !

    _ Impossible !

    _ Mais pourquoi ?

    _ La Chose ne vous accepterait pas !

    _ Pour quelle raison ?

    _ Parce que vous êtes un scientifique, que vous ne faites confiance qu’à la logique et que même vous vous méfiez de votre propre subjectivité !

    _ C’est exact ! La science ne peut être que matérialiste ! Elle n’avance qu’avec des preuves !

    _ Sans doute, mais la Chose ne demande pas de la science !

    _ Elle veut quoi ?

    _ De l’amour, de l’admiration, de la simplicité, sinon elle s’efface, se dérobe !

    _ Mais je suis tout prêt à apprendre, à me faire humble !

    _ Ce n’est pas aussi simple ! Vous êtes un scientifique et vous vous croyez objectif, mais vous êtes aussi et avant tout un Dom !

    _ Et ?

    _ Vous ignorez la puissance de votre domination ! Votre amour-propre, la soif d’avoir raison passe avant votre objectivité ! Il suffirait, pour s’en rendre compte, qu’un de vos collègues vous attaque sur la valeur de vos travaux ! Vous vous défendriez becs et ongles !

    _ Mais au nom de la vérité !

    _ Quitte à détruire et à haïr ? La Chose vous propose de renoncer à votre amour-propre, pour une satisfaction bien plus vaste, bien plus solide !

    _ Je ne comprends pas…

    _ Non, car c’est une sorte d’enchantement au bout de la route ! Ca ne s’explique pas comme ça ! C’est aussi une transformation ! une mue ! C’est le résultat d’un long travail, sur la patience notamment !

    _ Mais je ne demande qu’à faire le premier pas ! Il est impératif que je puisse communiquer avec la Chose !

    _ Tous vos repères devront être abandonnés ! Vous verrez toute la folie des Doms avec un effarement croissant, êtes-vous prêt à cela ?

    _ Mais, si je ne suis plus moi-même, comment pourrais-je juger de la Chose ?

    _ Il ne s’agit pas de juger, mais d’aimer ! Il s’agit d’apaiser et non de vaincre ! Il ne s’agit pas de se perdre, mais au contraire de se libérer et d’être pleinement soi-même ! La Chose est un temple, vous savez ?

    _ Vous voulez dire un édifice dédié à un dieu ?

    _ C’est le temple de la beauté !

    _ Mais la Chose est bien matérielle ! On doit pouvoir l’analyser, savoir de quoi elle est faite ! Peut-être même qu’on peut l’exploiter ! Domopolis a besoin que la Chose s’en aille, ou qu’elle serve à quelque chose !

    _ Mais la Chose sert à lutter contre la domination ! C’est pourquoi nous avons besoin d’elle !

    _ Attendez, vous êtes en train de me dire qu’on ne peut pas accéder à la Chose, si on n’a pas lutté contre sa domination, et en même temps vous rajoutez que c’est cette même Chose, qui permet de se libérer de sa domination ! On tourne en rond, vous ne croyez pas ?

    _ C’est un voyage, une découverte, un mystère même !

    _ Allez vous faire voir ! »

     

  • L' attaque des Doms 40

     

     

                                                                                                40

     

    « Ça ne peut plus durer ! s’exclame le duc de l’Emploi. Cette Chose-là, elle bloque la ville, alors qu’on ne sait même pas ce que c’est ! Elle bloque la ville, les chantiers, l’économie, etc. ! C’est tout le pays qui est paralysé ! Donc, on ne peut se rendre à son emploi ! On n’est plus approvisionné ! La colère gronde ! Les salaires, ma foi, vont finir par ne plus être versés ! C’est la crise ! On va dans le mur ! Mais qu’est-ce que vous faites, Dominator ! C’est vous le chef ! C’est à vous de régler le problème, bon sang de bonsoir ! »

    Dominant la ville, dans son bureau de la tour du Pouvoir, Dominator ne dit rien ! Il regarde par la fenêtre, en fumant un énorme cigare ! « C’est vrai Domi, il faut faire quelque chose ! renchérit monsieur Nuit, qui est un ami de la première heure de Dominator, ce qui l’autorise à l’appeler Domi. Au début, c’était presque marrant ! On se demandait ce que c’était que cette Chose ! Mais maintenant, y en a marre ! Je ne peux plus bétonner… et j’en suis malade, figure-toi ! Moi, c’ que j’aime, c’est l’odeur du béton tôt le matin, quand les bétonnières démarrent et que les gars sont encore au ralenti ! C’est mon bien-être à moi ! Ces façades grises, hérissées de ferrailles, froides, humides, c’est toute ma vie ! Mais aujourd’hui on n’entend plus les camions siffler ! Les gars, qui passaient avec leur gilet orange et leur casque tout blanc, on les voit plus ! Les chantiers sont morts ! Qu’est-ce que je ne donnerais pas, pour le hurlement d’une scie à macadam ! sa poussière ! C’est de l’action, du bruit, de la vie enfin ! Alors, qu’est-ce qu’on va devenir ?

    _ Que veux-tu que je te dise ? répond Dominator, qui souffle la fumée de son cigare. On a tout essayé ! Tu l’as vu comme moi ! On a bombardé la Chose, avec des Domiseurs ! Rien ! Elle encaisse tout ! Vous-mêmes avez lancé un assaut, avec vos hommes ! Résultat : néant ! La Chose nous échappe, nous surprend, semble inamovible et par contre, elle, elle fait des incursions dans la ville ! Elle provoque des alertes, comme si elle se jouait de nous !

    _ Et Ratamor, il n’a pas une idée, lui ?

    _ Le voilà qui arrive… On va voir !

    _ Bonjour tout le monde ! fait Ratamor. Eh bien, vous n’avez pas l’air guillerets ! C’est la Chose qui vous ennuie, n’est-ce pas ? Alors, j’ai peut-être du nouveau !

    _ Aaaah !

    _ Bon, après moult examens et réflexions, je suis arrivé à une certaine conclusion…

    _ Aaaaah !

    _ Je ne sais pas si ça va vous plaire, mais il semblerait, je dis bien il semblerait que la Chose soit constituée de beauté pure ! »

    Un silence suit cette déclaration, que vient briser le duc de l’Emploi : « De beauté pure ? Mais qu’est-ce que ça veut dire ?

    _ Cela veut dire ce que ça veut dire ! répond Ratamor. Vous savez ce que c’est que la beauté, duc, non ?

    _ Ouais, ouais, mais de la beauté pure ?

    _ Imaginons une beauté illimitée, infinie, elle serait alors pure !

    _ Peut-être bien…

    _ J’avoue que je suis comme le duc, dit monsieur Nuit. Je ne vois pas en quoi ça nous avance !

    _ Je suis d’accord avec vous, ce n’est pas évident à comprendre… et pourtant il existe une relation entre l’égoïsme, qui nous caractérise, nous les Doms, et la beauté pure de la Chose ! Est-ce que l’un d’entre vous voudrait bien me donner une goutte de son sang ?

    _ C’est que… hésite le duc. Il vaut mieux que ce soit vous, Dominator, le donneur !

    _ Ah bon ? Et pourquoi ça ?

    _ Parce que vous êtes le plus costaud ! »

    Dominator hausse les épaules et offre son doigt à Ratamor, qui prélève une goutte de sang… « Maintenant, messieurs, observez bien ce qui va se passer, dit Ratamor. Je vais mettre cette goutte de sang, en contact avec cet échantillon de la Chose... » Tout le monde regarde deux lamelles qui sont rapprochées... Sur l’une, l’échantillon de la Chose se déplace et vient couvrir la goutte de sang... « Mais, mais il la vampirise ! s’écrie le duc.

    _ Pas tout à fait ! réplique Ratamor. Comme vous le savez, notre sang, à nous les Doms, contient un fort taux d’égoïsme… Or, voici, messieurs, la transformation ! »

    De nouveau tout le monde fixe les lamelles et à la place du sang, la Chose a laissé de la lumière !

    « Incroyable ! fait monsieur Nuit.

    _ Donc, la Chose fabrique de la lumière, à partir de notre égoïsme ! laisse tomber songeur Dominator.

    _ Eh ! Mais moi, ça ne me va pas ! s’emporte le duc !. Mon égoïsme j’y tiens, je ne veux pas qu’on me l’enlève !

    _ C’est pourtant ce que fait la Chose ! coupe Ratamor.

    _ Comment ? demande Dominator.

    _ Alors là, mystère ! Je ne comprends toujours pas ! » convient Ratamor.