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L'ego et la lumière (6-10)
- Le 01/07/2023
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"Moi, Tarzan, toi, Jane!"
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L’ego n’aime pas la lumière ! S’il voit la lumière joyeuse, il rêve de la détruire ! Pourquoi ? Mais parce que la lumière n’est pas l’ego ! Celui-ci ne cherche pas à savoir comment la lumière peut-elle être heureuse, quel est son « secret », non, il veut anéantir la lumière, la rendre malheureuse, car elle n’est pas lui-même et l’ego veut juste l’ego ! Il croit que c’est lui-même son bonheur, que c’est sa réussite, sa supériorité qui est importante ! Autrement dit, l’ego pense qu’il n’a pas droit à l’erreur ! Il doit être au courant de tout ! Il ne manquerait plus qu’on l’attaque sur son ignorance !
L’ego se dresse telle une forteresse à l’horizon ! Ses murs défient le combattant ! A l’intérieur, l’ego est à la fois le roi, le juge, l’avocat, l’exécuteur, etc. ! L’ego ne peut pas en effet se trouver incomparable, se réjouir de sa situation sociale, supporter l’injustice, concevoir mille projets (quand il y a tant de malheurs!), s’il présente une faille et qu’on peut le prendre en défaut ! L’ego passe donc son temps à se justifier et d’abord à ses propres yeux ! Travail énorme et qui explique non seulement son hypocrisie (il ne prend pas de plaisir!), mais aussi sa haine (rejet de la différence, qui trouble et interroge!)
L’ego est en ébullition, comme le montrent nos sociétés ! Il n’y a pas le feu au lac pourtant... A-t-on faim ? Sommes-nous dévorés par la soif ? L’avion est-il en chute libre ? Mais l’ego n’est jamais tranquille : il juge les autres egos, qui en font de même ! Notre quotidien ressemble à un grand procès : « Le soir du 24, vous avez dit, je cite...
_ Objection votre honneur ! Mon client n’a jamais dit ça !
_ Je demande la pièce à conviction numéro deux !
_ J’accuse ici…
_ Et les pauvres ? Vous pensez aux pauvres ?
_ Bien sûr que je pense au pauvres et même plus que vous !
_ Silence, ou je fais évacuer la salle ! »
L’ego est dans la nuit, car il est autant question de ses plaisirs que de ses peurs ! Tout se mélange ! L’ego est hargneux, haineux, sur le qui-vive, parce qu’il craint même ses inquiétudes ! Elles menacent ses plaisirs ! La différence fait bondir l’ego et le voilà en train de se justifier, de détruire ! Plus la réaction de l’ego est violente, plus il révèle sa fragilité ! Si on pouvait lui faire comprendre qu’on ne perd rien en aimant, en acceptant l’autre, nul doute qu’on l’apaiserait, ainsi qu’on rassure un enfant ! Si l’ego pouvait voir la lumière, il pleurerait ! Il serait soulagé de tous ses fardeaux, il retrouverait son innocence, qu’on a mille fois fait souffrir, car le monde est dur !
Mais l’ego est dans la nuit ! Il se ferme à mesure qu’on le blesse ! Il se construit des défenses, avec des canons ! Il assure son contrôle ! Il étend son pouvoir jusqu’à la maladie ! Ainsi rien ne vient le contredire ! Toute rébellion est éteinte ! La lumière, elle, est patiente, car elle est la vérité ! Que pourrait-elle craindre ? Quel abîme la surprendrait ? Elle n’a jamais essayé de cacher quoi que ce fût ! Elle ne peut pas s’appeler la lumière, si tout n’est pas mis sur la table ! Elle ne nie donc pas ses plaisirs, ni son égoïsme, mais elle les accepte en reconnaissant ses limites, sa condition d’être humain !
Cette connaissance n’est pas le résultat d’un conseil, d’une théorie, mais c’est le fruit d’un amour, le gain d’une confiance ! C’est par amour pour la lumière que la lumière abandonne l’ego ! C’est une mue, dont n’est pas exclue la raison ! Bien au contraire, on s’en doute ! La lumière voit, analyse comme n’importe quel autre cerveau, mais c’est le champ qu’elle dégage qui lui est particulier ! C’est l’impasse de l’ego, sa tragédie même qui lui deviennent visibles et c’est pourquoi elle renonce à lui ! Ce n’est pas un refoulement involontaire, qui ferait s’enfoncer dans la névrose ! Et à mesure que l’ego se retire, la lumière prend sa place, la confiance augmente, la peur diminue et la paix s’installe !
Mais ce travail n’est possible que par l’amour que l’on voue à la lumière ! On ne peut pas combattre son ego seulement par la raison ! On ne se livre pas par logique ! Il ne s’agit pas non plus de se justifier ! de vaincre des traumatismes ! On ne restaure pas un ego, mais on fait un pas vers la lumière ! On n’adopte pas non plus une philosophie plus sérieuse, guidée par la responsabilité ! La lumière, c’est la joie et la connaissance et non l’une ou l’autre ! C’est un enchantement qui est visé et non un devoir glacé, possible grâce à l’hypocrisie ou à la bêtise !
Mais l’ego se persuade qu’il a des ennemis et que ce sont eux qui empêchent son bonheur ! Le voilà en guerre et en guerre contre un autre ego ! Et le voilà surpris de ne pas aboutir, de ne pas triompher, de recevoir les mêmes coups qu’ils portent ! Gardant ses peurs, il continue à faire le mal !
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L’ego n’aime pas la lumière, car elle lui paraît supérieure ! L’ego est la domination animale et il ne supporte pas de concurrents ! L’homme rejette par la force, la femme soumet par la séduction ! Chaque sexe a son arme et donc son égoïsme ! Plus la situation est inquiétante et plus l’animal qui est en nous retrouve ses réflexes ! La peur rend l’ego agressif et violent, car l’animal menacé défend sa vie ! Le territoire de l’ego est aussi bien physique que psychique : le délinquant s’attaque à la police, pour étendre son trafic ; le tribun ne cesse de fustiger le gouvernement, pour imposer sa pensée ! Avec la guerre, l’inflation, le réchauffement climatique, l’ego est aux abois et frappe tout azimut, c’est ce qui explique la violence de nos sociétés, malgré leur développement et leur confort !
Notre époque, également, a quelque chose de nouveau pour l’ego ! Il n’a plus d’ennemis communs ! Tant que l’ego luttait contre une idéologie, religieuse ou politique, il avait en point de mire sa liberté et il n’était pas en face de lui-même ! Sa vie avait un sens ! Ainsi s’établissent les démocraties, qui permettent a priori à chacun de devenir chef là où il se trouve ! L’ego, qui cherche à dominer, chasse tous les totalitarismes, quoiqu’il les crée, et le voilà aujourd’hui sans garde-fous, sans croisades, sans motifs de révolution ! Pire, la science, à force de vouloir être objective (c’est-à-dire dominatrice!), a rendu l’homme étranger à lui-même ! Elle a fait son sort à l’art, à la beauté ou à la religion, mais ce n’est pas seulement parce qu’elle est l’humble servante de la vérité, c’est aussi pour satisfaire son ego !
La science travaille pour la science et la conscience est devenue un accident, une chose dont on ne sait que faire, ce qui accentue notre néant ! Face au « vide » de la nuit cosmique, l’ego évidemment se raccroche désespérément à lui-même ! Il se réinvente les ennemis d’hier ! Bien qu’en démocratie, il se croit sous une tyrannie ! On complote contre lui, il y a des riches et des profiteurs, etc. ! Il s’agit de faire revivre les grands combats du passé, pour avoir des repères et on voit apparaître un « intégrisme » social ! On réemploie des slogans révolutionnaires et on redéfinie des classes, alors que tout le monde est en jean et en baskets !
De même, on rêve d’une gloire passée ! On réinstalle le culte du drapeau et on tend vers une pureté nationale ! On se protège, on se ferme, on se garde de toute influence étrangère, bien que notre ère soit celui de la communication et que la mondialisation se soit construite naturellement ! On est contre toute migration bien entendu, contre tout mélange et on va aveuglément à l’opposé du cours de l’histoire et d’une évolution qui n’a fait que découler de la nécessité ! Mais peu importe, on campe sur son illusion, le cœur plein de haine !
La religion elle aussi rappelle ses combattants, quand le communisme essaie de rétablir ses troupes ! De même, on n’a jamais assez d’argent et les plus riches sont encore plus riches, aux dépens des plus pauvres ! C’est l’ego qui se durcit, se cantonne, qui essaie de fuir et de se protéger du grand vent de l’inconnu ! La violence éclate donc partout et les situations semblent inextricables ! L’ego est exacerbé et hors de lui-même ! Il ne comprend jamais l’autre, il explose, c’est tout !
Quand l’égoïsme est le radeau, la perception de l’autre est infime ! Ainsi des enfants tuent d’autres enfants ou les violent ou les torturent ! Toutes les barrières de l’horreur sont pulvérisées et il faut expliquer à l’ego qu’il n’est pas seul, entouré d’esclaves, qu’il y a des lois et qu’on ne peut pas faire ce qu’on veut ! Mais l’ego est assoiffé et il est capable de n’importe quoi, pour boire à la coupe du pouvoir ! La base des sociétés n’est plus acquise ! Chacun tire la couverture à soi et augmente le chaos ! Mais la solution n’est ni politique, ni économique, ni scientifique, ni même philosophique ! Bien entendu, avant toute discussion, il est nécessaire que l’ego reconnaisse son existence, qu’il comprenne son origine ! Sinon nous parlons pour ne rien dire !
Par exemple, le maire ou le promoteur ne bétonnent pas seulement par nécessité ! Ils ont à cœur que leur ville ou leur nom apparaissent en haut de l’affiche ! Il est important pour eux que d’autres les regardent avec respect, déférence ! On vient les solliciter et ils ont la position du « prince » ! Cela peut sembler évident, mais ça ne l’est pas ! On est toujours prêt à se voir comme un modeste missionnaire du bien ! Ceci est encore valable pour le scientifique, qui se croit simple maçon du rationnel ! L’animal qui est en nous pousse tout le temps ! Il veut sa part et s’il ne l’obtient pas, la haine l’envahit aussitôt ! Il n’y a rien de plus facile que de faire sortir de ses gonds un psy ! C’est dire dans quelle couche de naïveté et d’hypocrisie nous baignons !
Mais la lumière est scandaleuse pour l’ego ! Il s’est tellement durci qu’elle lui est absolument incompréhensible ! Pourtant, l’ego a été enfant et il a eu confiance !
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La lumière bourra sa pipe et l’alluma ! L’atmosphère était lourde et soudain un éclair blanchit la pièce. L’orage avait enfin éclaté et la lumière se déplaça vers la fenêtre, pour voir la pluie inonder le boulevard ! L’interrogatoire allait être difficile, mais la lumière avait plus d’un tour dans son sac ! On frappa à la porte et la lumière dit : « Entrez ! »
Deux hommes amenaient le suspect et le firent asseoir face au bureau. Puis, ils reculèrent, laissant leur patron prendre la parole… « Alors l’ego, tu as eu le temps de réfléchir ? dit celui-ci au suspect.
_ C’est pas moi qui ai fait le coup ! J’ vous jure ! Faut chercher un autre pigeon, les gars !
_ Bien sûr ! Mais tu vois, l’ego, y a plein d’choses qui collent pas ! Tu nous dis que tu administres la ville, seulement pour faire du bien aux gens, seulement par nécessité ! Ça nous interroge ! Nous, on trouve ça bizarre, car où sont tes plaisirs là-d’dans ?
_ Mais… mais mon plaisir, c’est d’ voir les gens heureux ! C’est d’ voir le sourire du père de famille, quand son fils, grâce à moi, peut trouver un logement ! C’est le président du stade qui se réjouit, parce que la nouvelle tribune est terminée ! C’est l’industriel qui m’ remercie, car il va pouvoir étendre son usine !
_ T’es pas en campagne électorale, l’ego ! Alors ne nous prends pas pour des cons ! Donc, si j’ comprends bien, aucun plaisir personnel, aucun égoïsme, aucune haine ! Un altruisme sans failles, au service des administrés ! Un alibi en béton ! Somme toute, tu n’existes pas !
_ Ben, c’est pas tout à fait faux ! J’ travaille depuis toujours ! C’est dur et j’ rencontre même souvent l’ingratitude !
_ T’es incompris…
_ Vous n’avez pas le droit de me retenir ici ! J’ suis innocent !
_ Alors comme ça, t’aimes pas le bruit feutré d’ ta bagnole ! T’aimes pas arriver à la mairie, comme si c’était chez toi ! T’aimes pas que les secrétaires te saluent respectueusement ou que les adjoints soient à tes ordres ! T’aimes pas ton grand bureau ! T’aimes pas qu’on te sollicite, ça ne te donne pas le sentiment de ton importance ! T’aimes pas discuter sur la place publique, parce qu’on t’a reconnu ! T’aimes pas le son de ta voix, quand tu expliques un nouveau projet ! T’aimes pas que la police te soit proche, que les chauffeurs de taxi soient fiers de te connaître ?
_ Mais qu’est-ce que vous racontez ?
_ Et ta femme ?
_ Quoi, ma femme ?
_ Elle n’aime pas les soupers fins avec le préfet ? de discuter avec l’élite ? Elle est insensible au commerçant, qui s’adresse à elle plein de prévenances, qui lui propose les meilleurs produits, en provoquant la jalousie des autres clientes ? Cette notabilité la laisse froide, comme ses bijoux et ses robes !
_ Ben, sans doute que ça lui fait plaisir…
_ Et quand vous achetez une maison, le notaire est aux p’tits soins ! Et quand vous achetez du vin, on s’empresse autour de vous ! Et quand t’envoies ta voiture au garage, on va s’en occuper particulièrement !
_ Mais bon sang, qu’est-ce que vous voulez ?
_ Mais la vérité, rien qu’ la vérité ! Tu déclares que tu existes ! que tu ne fais pas seulement les choses par devoir ou nécessité, mais aussi pour assouvir ton égoïsme, parce que tu aimes te sentir important, supérieur ! Et puis, moi, j’apporte tout ça au juge et… on pourra aller s’coucher ! Hein ?
_ J’ signerai pas un tas d’ mensonges sous la contrainte ! C’est illégal !
_ Tu veux dire que la solitude, l’injustice, l’abandon, l’anonymat, n’être qu’un numéro ou rien, t’apprécies pas ? Tu veux dire que des gens te disant ce que tu dois faire, y compris la boucler, comme si t’étais une merde, t’en as pas envie ? Tu veux dire que les regards plein de mépris, comme si on s’essuyait les pieds sur ta figure, t’es pas chaud ? Tu veux pas perdre ton statut, tes privilèges, en reconnaissant ta culpabilité ? Comme je te comprends !
_ C’est pas ça ! C’est pas comme vous dites, c’est tout !
_ Tu vis juste pour le bien général ? Tu travailles… et t’existes pas ?
_ Exact !
_ Pourtant, il y a bien du malheur et des assassins ! Il y a du chaos et des gens écrasés, blessés, humiliés, perdus, etc. ! Et toi, t’y es pour rien ?
_ J’ veux voir mon avocat !
_ Oui, tu vas en avoir besoin ! »
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L’ego est un assoiffé de justice ! Il crie au respect, à la dignité ! Il fustige tous les abus, tous les égoïsmes, tous les exploiteurs ! Sa voix tonne et le pauvre lui-même tremble ! L’ego a le visage déformé par la haine et il grimace sous les coups du mal ! Le bien ne va pas assez vite à son goût et il écraserait ses adversaires sous son pied, si c’était possible ! « Mais l’égalité est là ! à portée de mains ! hurle-t-il. Mais on n’en veut pas ! On n’en veut pas ! » Il pleure presque, car on refuse le bonheur ! Puis, de nouveau sa rage reprend : on ne le tuera pas ! On ne lui fera pas baisser les bras !
Jusqu’au bout il brûlera pour l’opprimé, jusqu’au bout on devra le regarder, l’écouter ! jusqu’au bout il sera question de lui, au nom de ceux qui sont méprisés !
L’ego est bon ! Il crée des associations vertueuses, saines, modestes, qui tissent des liens, qui sont utiles dans ce monde si chaotique, si méchant ! L’ego apporte sa pierre et n’en demande pas plus ! Oh ! Qu’il puisse seulement aider quelqu’un, une famille ! soulager un peu leur peine, leur amener un sourire discret et ce sera largement suffisant ! Dans la foire avide de l’humanité, l’ego se contente d’une botte de paille et… d’un bol de lait, tiens ! N’est-il pas aussi paisible, aussi docile que la vache ? Il ne fait que son devoir, mais… mais il est encore vrai qu’on lui conteste la présidence de l’association ! Et là il ne rigole plus ! La générosité, la solidarité, c’est bien gentil, mais il ne faut pas pousser non plus ! Contre son concurrent, l’ego ne lésine pas : cent mètres de tranchées, vingt kilomètres de barbelés ! trois tonnes de mines, des couteaux affûtés comme des lames de rasoir ! On veut du sang, on l’aura !
Qu’est devenue l’aide sociale, l’écoute des quartiers, la modestie ? Elles ont été brûlées et piétinées, sur le sentier de la guerre !
L’ego guérit ! Il reçoit dans son cabinet et s’efface devant la douleur de son patient ! Il croit au progrès et ne doute pas une seconde des possibilités infinies de la science ! Pour l’heure, rien ne lui est plus cher que la souffrance qui s’exprime en sa présence et qu’il considère quasiment comme sacrée ! C’est que l’ego est un humaniste, un serviteur patient et compréhensif de la vérité, de la liberté ! C’est le meilleur adjoint du bonheur ! Quand tout le monde s’emporte, que l’orage des passions se déchaîne, l’ego reste coi et on finit par lui demander son avis ! Il le donne en gardant de la mesure, car son « triomphe » est celui de la connaissance, qui est toute objective !
Mais soudain le patient a souri finement ! Il n’a pas pu s’empêcher, car l’ego a dit une bêtise ! Cela a été très fugitif et pourtant l’ego essaie maintenant d’étrangler son patient avec un fil de fer ! Puis, il le bourre de médicaments, en espérant qu’il va crever ! De guerre lasse, il laisse le patient s’en aller, non sans l’injurier, avec tous les noms des maladies psychiatriques ! Le patient est damné jusqu’à la septième génération ! S’il arrive à rentrer chez lui et qu’il ne s’écroule pas sur le trottoir, une bave verdâtre aux lèvres, il aura de la chance !
De son côté, l’ego reprend son souffle ! Comment a-t-on pu oser le déranger ? On l’a fait exprès, sûr ! Le monde est plein de salopards ! Brrr ! Vivement ce week-end ! L’ego retrouvera son yacht ou sa partie de tennis ! Les cinglés ne seront plus là ! L’argent, rien ne vaut l’argent ! Et mon livre ? Faut qu’ je continue mon livre ! Les collègues vont en rester bouche bée ! Ah ! Une orangeade loin d’ la crasse !
L’ego est philosophe ! Il a une nouvelle hygiène de vie, un jugement sain sur les choses et notamment il s’affranchit du piège de la consommation ! « Ce dont on n’a pas besoin, on s’en passe ! » déclare joyeusement l’ego ! Son bonheur a l’air possible ! Une existence simple, presque rustre, parmi les fleurs ! La famille unie dans une maison aux allures de cabane, avec juste le confort et la sécurité nécessaires ! Un retour aux sources et à l’essentiel !
Mais la femme du philosophe veut partir ! Elle en a marre de l’ego barbu, qui manque d’ambitions et qui est resté au fond un petit garçon ! Naturellement, elle veut prendre les enfants et le soleil explose pour le philosophe ! La haine, une implacable haine l’envahit telle une marée noire et il prend sa hache, pour faire le ménage ! Épargnera-t-il les enfants ?
L’ego est lucide ! Il dit qu’il n’a jamais vu Dieu dans les morts ! Son scepticisme est raisonnable, d’autant que lui-même ne croit pas aux chimères du progrès et que les idéologies le laissent froid ! On salue le courage de l’ego, qui apparemment ne se tient que par devoir sur ses jambes, puisqu’il faut vivre ! « Voilà un homme sans illusions, dit-on, un vrai ! » et l’ego continue d’attirer notre attention, en nous parlant de ses inquiétudes, de ses doutes ! On l’écoute car on a l’impression qu’il exprime notre propre condition, notre misère !
« Rien n’est sûr ! pense-t-on comme l’ego. Nous sommes tous des équilibristes dans la nuit ! L’ego lucide a raison ! Sa modestie, sa sincérité sont évidentes ! » Puis, on finit par comprendre : c’est par son désespoir que cet ego devient le centre d’intérêt et son amour pour lui-même apparaît au grand jour ! Ainsi, on se dit qu’il ne trouvera jamais la paix, puisqu’il ne s’avoue pas son égoïsme et qu’il le masque en culpabilisant les autres ! Pour résumer, l’ego lucide n’est pas plus qu’un marchand de tapis, qui se lamente à causes des voleurs !
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« Demandez RAM dernière ! Nouvelle sensationnelle ! L’ego passe aux aveux ! Demandez RAM dernière ! Coup de théâtre ! L’ego reconnaît son crime !
_ Combien le journal ?
_ Deux euros ! Demandez RAM dernière ! Nouvelle sensationnelle ! L’ego avoue ! Le monstre du quotidien enfin démasqué ! Demandez ! »
Cependant, l’ego, accompagné de son avocat, sort du palais de justice ! Les journalistes se précipitent ! « Mesdames, Messieurs ! dit l’avocat, en écartant la meute. Mon client va faire une déclaration ! » Les flashs crépitent, les micros se tendent ! « Monsieur l’ego ! Monsieur l’ego ! » entend-on comme une plainte !
L’ego prend la parole : « J’ai reconnu devant le juge mon existence ! J’ai répondu par l’affirmative à toutes ses questions ! Oui, je ne pense qu’à moi ! Oui, je pousse les autres aux fesses, pour qu’on me serve sans tarder ! Oui, je pourris la vie des gens dans les commerces ! Oui, j’ai une mentalité d’enfant d’ cinq ans ! Oui, je ne fais aucun effort pour respecter mes semblables et montrer de la patience ! Oui, j’ai accusé les profiteurs, les exploiteurs, les riches ou les étrangers, l’Europe, la mondialisation, les pollueurs, pour me couvrir ! Oui, le seul vrai responsable, c’est moi ! Oui, je rends la vie dure, amère et dépourvue de sens ! Oui, je siphonne les bonnes volontés ! Oui, hors de moi point d’ salut ! Oui, je pourrais évoluer, mais je ne veux pas, car c’est moi l’important et j’ai peur !
_ Vous avez peur de quoi ?
_ Mais de m’arrêter cinq minutes ! Je dévore l’espace et je pompe l’énergie des autres ! C’est ce qui me fait vivre ! J’ai peur d’arrêter, du sevrage ! J’ai peur d’ouvrir les yeux, de l’inconnu et je préfère accuser le gouvernement ! Je veux être le centre du monde et j’ai de la haine, dès qu’on ne s’occupe plus de moi ! La patience, le respect, l’attention, l’amour de mon prochain me sont absolument étrangers ! Je n’aime que l’animal qui est en moi, même s’il me rend malheureux ! J’ai les mains pleines de sang et pourtant je réclame avec force la justice sociale !
_ On dirait que vous êtes libéré d’un cauchemar !
_ C’est un peu ça, oui ! J’ai vécu jusqu’ici dans le mensonge ! J’ai nié mon existence ! J’ai prétendu être bon et j’ai désigné des coupables, qui n’en étaient pas ! La mascarade est terminée ! Je suis bien coupable ! Quand je pense à tous ceux que j’ai méprisés, piétinés ! J’ai pesé sur eux tant qu’ j’ai pu ! Et encore je ne parle pas de mes p’tits coups en douce ! Mille fois j’ai été un saligaud ! Mais c’est plus fort que moi : je ne supporte pas qu’on m’ résiste ! Je pollue le quotidien de toute mon âme, je suis un gouffre ! Comment voudriez-vous, dans ces conditions, qu’on puisse être heureux ? Inutile de montrer du doigt le réchauffement climatique ou l’inflation, c’est moi qui nous mets d’dans !
_ Vous n’avez pas honte ?
_ Maintenant si ! Puisque j’ai reconnu les faits ! Je me rends compte de ma bassesse ! de ma bêtise ! Je ne vais pas pleurer devant vous…, mais je me dégoûte ! J’ me vois à présent comme un vrai dégueulasse ! J’ suis une belle salope, ça c’est sûr !
_ Pensez-vous que vos aveux vont vous valoir l’indulgence du jury ?
_ Je l’espère ! Chacun a l’ droit à une deuxième chance, n’est-ce pas ? J’ vais vous dire : si je change pas, on restera au fond du trou ! On continuera à se laminer les uns les autres ! Y a pas d’autres solutions, c’est à moi d’évoluer, d’ grandir, d’autant qu’ c’est rien ! On me demande juste un peu de patience, de considérer l’autre, de le respecter ! Le monde ne tourne pas autour de moi ! Vous voyez : ça commence à rentrer !
_ Ah ! Ah !
_ Qu’est-ce qui vous a convaincu d’avouer ?
_ La lumière ! Elle m’a montré ma laideur !
_ Mesdames, Messieurs, s’écrie l’avocat. Monsieur l’ego vous a tout dit ! Laissez-nous passer maintenant !
_ Monsieur l’ego, monsieur l’ego, une dernière... »
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L'Ego et la lumière (digression 1- 5)
- Le 24/06/2023
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"O mânes illustres!"
Le Monocle rit jaune
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L’ego n’aime pas la lumière ! Elle provoque d’emblée son dégoût ! L’ego n’aime pas la lumière ! Dès qu’il la voit, il se crispe, la hait et rêve de la détruire ! Et tout cela avec le sourire, en s’efforçant de rester le plus aimable possible ! Car l’ego se sentirait faible s’il laissait apparaître ses sentiments ! Se montrer touché, envieux, c’est dévoiler son infériorité ! L’ego doit être au-dessus des querelles, tel l’aigle qui plane sur les cimes ! L’urbanité rayonnante et un rien condescendante est l’image de la réussite, de l’équilibre, de la force ! C’est le masque de la compréhension, de l’indulgence et ainsi l’ego et la lumière ont l’air des meilleurs amis du monde ! Ainsi va la société sous le soleil : responsable, raisonnable, faite pour durer !
Mais l’ego déteste la lumière ! Il ne peut pas complètement cacher son dégoût et sous les apparences, il cherche comment blesser, rabaisser, anéantir la lumière ! L’ego devant la lumière est une machine à penser ! Il y a un écran, le visage, des mots, un langage connu de tous, rassurant, mais sous la façade, le cerveau s’agite, se débat, fonctionne à toute allure, comme un nageur fonce vers la surface, pour respirer ! L’oxygène de l’ego, c’est sa supériorité ! Pendant ce temps, la lumière attend ! Elle attend le coup qui va lui être porté ! Elle voit les efforts de l’ego, elle connaît ses interrogations, car l’ego se demande qui elle est, et elle sait qu’il va frapper !
C’est dans l’ordre des choses ! L’ego ne domine pas la lumière et se nourrit pourtant de la domination ! Il faut donc qu’il supplante, domine la lumière ! L’ego n’a qu’un seul but, qu’une seule raison de vivre et c’est sa domination, le sentiment de son importance ! Ainsi l’ego se tient devant le cosmos et la mort ! comme l’animal sans conscience ! juste animé par sa lutte contre des rivaux et des prédateurs ! ce qui mène à la défense de son territoire et à la suprématie de son individualité ! Ainsi l’ego combat tous les pouvoirs, tous les privilèges, toutes les inégalités, tous les éléments étrangers et qui ne lui sont pas soumis ! Ainsi l’ego n’aime pas la lumière !
Elle pourrait cependant aider l’ego ! Elle pourrait lui dire que c’est justement lui-même son fardeau ! Ne faut-il pas à l’ego qu’il se sente toujours supérieur, pour avoir l’impression de vivre et échapper à son angoisse ? Cela n’inclue-t-il pas un rapport de force constant, avec des victimes ou des inférieurs ? Cela ne demande-t-il pas à l’ego d’être parfait, sans taches, sans fêlures, d’être toujours prêt, d’avoir réponse à tout ? L’ego est comme une forteresse qui doit veiller ! Puisqu’il s’agit de vaincre, il a forcément des ennemis ! Et puisqu’il doit triompher, il ramène tout à lui ! C’est une machine de guerre ! Si la joie, c’est écraser l’adversaire, elle ne dure pas évidemment !
La lumière pourrait aider l’ego, qui ne sait pas se reposer, qui s’épuise, qui vit dans le chaos ou la nuit ! Mais, si la lumière dit à l’ego qu’elle peut l’aider, elle suggère qu’elle en sait plus que lui et que donc elle lui serait supérieure ! Elle ne fait que renforcer le dégoût et la haine de l’ego à son endroit ! La sollicitude, la bienveillance de la lumière produisent la fureur de l’ego ! C’est la catastrophe ! La supériorité de l’ego est ébranlée et par les fissures entrent la peur et l’angoisse de l’homme face à sa condition ! C’est la différence qui pénètre dans le château ! L’équilibre de l’ego n’existe plus, car il ne domine plus ! D’où la violence de l’ego, qui peut aller jusqu’au meurtre ! Plus l’ego s’est renforcé, fermé et plus sa réaction est vive, sa chute terrible !
Il y a toutes sortes d’egos ! Il est des egos éclairés, qui reconnaissent la lumière, qui sont presque libérés ! Il est des égos comme des cochons, qui avancent vers la lumière en cherchant à l’écraser de tout leur mépris ! Il est des égos telles des pierres dressées, hermétiquement clos et morts ! Ce sont des maîtres qui pleurent dans la nuit ! Il est des egos vacillants, inconséquents, fuyants ! Tous n’aiment pas la lumière et cherchent à la blesser, pour la dominer ! Et la lumière doit supporter leur dégoût, leurs astuces, leurs coups bas et humiliants ! L’ego est dans la nuit et ne sait pas ce qu’il fait ! Sa haine est pourtant, aux yeux de la lumière, réglée comme du papier à musique ! La lumière n’en est pas surprise, ce qui stupéfie l’ego, car c’est une preuve de la supériorité de la lumière !
La lumière est supérieure à l’ego, car justement elle ne cherche pas à le dominer ! Elle est libérée de l’ego et c’est ce qui fait sa force ! Elle ne juge pas l’ego, mais elle ne peut pas non plus ne pas en souffrir ! L’ego fait mal à la lumière ! Il veut triompher d’elle ! Il jubile quand cela arrive ! Il ne comprend pas qu’il fait là son malheur, qu’il s’enfonce encore plus dans la nuit ! Plus l’ego s’enivre et plus il a besoin de dominer ! Plus il est victorieux et plus il a besoin de victoires ! C’est jeter de l’eau sur du sable ! C’est vouloir des médailles contre l’angoisse ! C’est ne pas répondre aux questions ! C’est un standing, loin de la lumière, dans le chaos !
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L’ego n’aime pas la lumière ! Il en est dégoûté dès qu’il la voit ! Car l’ego veut le pouvoir et qu’on l’admire, or la lumière ne peut admirer l’ego ! L’ego est une prison et la lumière est libre ! L’ego hait et la lumière rayonne ! L’ego est inquiet et la lumière sereine ! L’ego calcule et la lumière aime ! Comment la lumière pourrait-elle admirer l’ego ? Est-ce qu’un dauphin jalouse le scaphandrier ? L’ego, c’est l’individu en prison, uniquement penché sur lui-même ! La lumière, c’est la magnificence, la beauté du monde ! C’est le don et la force ! Comment la liberté pourrait-elle souhaiter les chaînes de l’ego ?
Mais l’ego veut qu’on l’admire et qu’on s’occupe de lui, ainsi il sent son importance, son pouvoir ! Le pouvoir est son lait ! C’est ce qui le rassure et le nourrit ! C’est ce qui lui fait croire qu’il donne un sens à la vie et que celle-ci est normale ! L’ego instamment recherche le pouvoir, le sentiment de sa supériorité ! S’il rencontre un obstacle, si on ne l’admire pas, il hait et veut détruire ! Il ne va pas plus loin, comme l’animal charge et chasse le concurrent ! L’animal ne dit pas : « Il y a de la place pour deux ! » Ainsi l’ego est l’animal qui est en nous ! Ainsi les sociétés restent animales !
L’ego, c’est la domination de l’individu, mais pour la lumière personne n’est roi ! Pas même le peuple ou le pauvre ! L’ego n’a pas de classe sociale ! Il est partout et vient de notre origine ! Ainsi le pauvre ou le peuple peuvent haïr la lumière ! L’ego, c’est le travailleur ou le riche ! Ainsi le communisme est contre nature, car le libéralisme convient à l’ego ! Mais la lumière ne veut pas du pouvoir, ni dominer ! Elle se réjouit de ce que la vie existe et de toute son étendue, qui est infinie ! La lumière n’a pas de frontières, ni même d’ennemis et elle comprend que la souffrance provient de l’ego, de l’ego qui s’enferme et qui refuse d’évoluer !
Plus il a peur et plus l’ego est terrible ! Plus la situation est inquiétante et plus l’ego se renforce et se dresse ! d’où la montée des extrêmes (la droite comme la gauche!), d’où les intégrismes, les radicalismes, les populismes ou les nationalismes ! L’ego se replie sur soi et dénonce ses adversaires ! Son cauchemar peut être les capitalistes, les profiteurs, la mondialisation, l’Europe, les étrangers, les athées, les impies, l’industriel, etc. ! L’ego a ses coupables, ce qui lui évite de se remettre en question ! Il ne s’agit pas pour l’ego de se diminuer, puisqu’il vit de la domination ! Il obtient le pouvoir, en luttant contre celui-ci ! Il est violent contre la violence ! L’ego fustige l’ego, comme le chasseur se tire une balle dans le pied ! L’ego est dans la nuit !
Mais comment l’ego blesse-t-il la lumière ? Mais de mille façons ! Dégoût, mépris, sournoiseries ! L’ego, dans ce domaine, est un représentant qui n’est jamais en panne d’idées ! Il faut toujours qu’il se sente supérieur et par exemple, il ne répond pas à la lumière, quand celle-ci lui explique quelque chose, comme si elle n’existait pas ou qu’elle était débile !
La lumière dit encore au revoir ou merci dans le silence, ainsi qu’on aurait déjà été trop bon de lui parler ! La lumière est toujours perdante, face à l’ego ! C’est lui le maître ou la maîtresse et il est impossible de lui faire entendre raison ! Tout au plus, la lumière le calme, essaie de le faire sourire, mais l’ego fait tourner le monde autour de lui et appauvrit, désole la lumière !
L’ego ne s’intéresse pas aux autres, il n’en est pas curieux ! Il se raccroche à son pouvoir, c’est son radeau sur le flot de la vie ! Pas question qu’il en descende ! La lumière visite les egos qui l’entourent, comme une gardienne de prison… Ils sont là dans leur cellule et n’ont aucune vision du monde extérieur ! Ils sont comme des disques rayés, puisqu’il est toujours question d’eux, et pourtant ils souffrent ! Mais ils ne veulent ni changer, ni écouter ! Leur tyrannie est leur malheur, car elle les prive de la connaissance !
La lumière peut donner, au contraire de l’ego qui ne fait que prendre, et c’est pourquoi elle est chère à l’ego ! Deux égos ne peuvent pas s’entraider, ils se piétinent ! Mais l’ego apprécie le regard de la lumière, son intérêt pour lui est sincère ! Il en profite, mais la lumière, elle, a l’impression de nourrir des fauves ! Car l’ego ne paraît jamais satisfait et pourtant il dévore ! Il avale des bœufs entiers sans sourciller ! Il ne montre jamais qu’il prend plaisir ! Pour lui, ce serait déchoir, perdre du temps ! Remercier, c’est accorder de l’importance, de l’attention à l’autre, ce qui en fait moins pour soi ! L’ego ne sait pas vivre, ni se détendre, ni aimer et sous les yeux de la lumière, il va vers le pire ! Elle le voit se fatiguer, s’user, se détruire, se noyer ! Elle a les solutions, les remèdes, mais elle doit les garder pour elle ! Elle est le témoin d’un gâchis continuel, d’une tragédie stérile !
3
L’ego travaille, c’est ce qu’il dit et qu’il croit ! En effet, il est nécessaire de gagner son pain et l’ego a un emploi, se plie à des horaires, effectue des tâches contraignantes, subit du stress, contre un salaire, une protection sociale ! Puisqu’il n’est pas libre et remplit des devoirs, l’ego pense qu’il travaille et il fait même volontiers la leçon à la lumière ! Car celle-ci voit au-delà des apparences et relativise l’effort de l’ego ! Inquiet et gagné par la colère, car la peur engendre la haine, l’ego réplique sèchement, voire violemment !
Il dit à la lumière et c’est quasiment toujours le même discours : « Toi, tu ne connais pas la vie ! On ne fait pas ce qu’on veut ! Comment crois-tu qu’on va payer ceci et cela ? Faut bosser, car on te f’ra pas d’ cadeaux ! » Les mots sont martelés et on assomme la lumière ! La peur est palpable, elle est transmise à la lumière, qui est plongée dans la confusion ! Car on dit à la lumière qu’elle se trompe, qu’elle n’a pas raison d’être, qu’elle doit absolument changer ! Or, la lumière n’a jamais voulu être quoi que ce fût ! Elle ne cherche pas à s’imposer, ni à commander ! Elle est ce qu’elle est et comment, dans ce cas, pourrait-elle s’anéantir ?
Il y a donc quelqu’un qui n’est pas honnête et ce n’est pas la lumière ! C’est l’ego qui se ment à lui-même et aux autres ! La preuve ? L’ego dit que le travail est un devoir, une contrainte, or l’ego ne change pas, il n’évolue pas d’un centimètre ! L’ego garde tous ses plaisirs, toute sa haine, toute son impatience, toute sa soif de pouvoir, toutes ses illusions, tout son rêve, bien qu’il ne soit pas libre et qu’il travaille, comme il le soutient ou l’affirme ! Donc, le travail de l’ego ne gêne pas vraiment l’ego et son effort reste superficiel !
L’ego travaillerait, mais il se ferait violence, il lutterait contre lui-même, il se transformerait en profondeur ! Voilà le véritable travail ! celui qui nous améliore, qui nous fait douter, qui nous apprend à contrôler nos pulsions, nos appétits, qui nous conduit au respect de l’autre et à la patience ! Voilà ce qui nous contraint réellement, qui mesure notre effort, qui montre que nous ne chômons pas, que nous sommes responsables ! Les sillons du front valent bien ceux des champs et en tout cas, ils sont aussi nécessaires ! Car l’ego ne permet pas la vie en commun, tandis que la lumière la favorise !
Tant que l’ego reste l’ego, il ne travaille pas ! Il est comme l’arbre mort ! Il a beau montrer sa fiche de paye, se plaindre de ses horaires, de son patron, du gouvernement, des exploiteurs ou du temps qu’il fait, il n’est pas crédible ! Il peut certes subir des injustices, mais pauvre ou riche, il demeure un enfant gâté ! Que l’on songe déjà combien il est difficile de réfréner son impatience ! Qu’on se rappelle comment elle brûle le ventre ! La haine se dresse comme un serpent, elle siffle et veut frapper ! Qui a le courage alors de la rentrer dans son panier ? Il est tellement plus facile de lui donner libre cours !
L’ego, lui, trouve sa haine juste ! Il trouve sa colère valable ! Il ne voit vraiment pas pourquoi il s’arrêterait ! Il ne sait pas se retenir, mais au contraire il pense avoir tous les droits ! C’est son apanage, sa marque de fabrique ! Et sa furie se déclenche ! C’est la tempête et malheur aux coques fragiles ! Mais, sous ce déchaînement, où sont les digues du doute ? celles qui résultent d’un long et patient travail intérieur ? Où est la vraie contrainte, la vraie évolution ? Où est le labeur viscéral, acharné, persévérant, humble, fidèle, d’autant qu’il est sans gloire, dans l’ombre, ingrat ? Qui a le cerveau crevassé comme la main du paysan ? Qu’est-ce qui est le plus amer, l’étendue salée ou l’âme qui souffre ?
Or, l’ego ne change pas ses sentiments ! Au contraire, il en est très fier ! Il explique qu’ils sont parfaitement justifiés ! Il s’aime énormément ! Et il attend des autres de l’admiration ! Cela va de soi ! Il n’y a donc aucun travail intérieur chez l’ego, ou si peu ! La moindre critique provoque sa haine ! Il s’emporte et il dit qu’il travaille ! La lumière rit à gorge déployée ! Le véritable travail n’est-il le pas le travail de l’amour ? Seul l’amour a la force pour que l’individu change ! Seul l’amour ploie l’ego ! Ce n’est qu’en aimant que l’ego travaille ! qu’il sue sang et haut et qu’il s’améliore ! Au revoir salaires et horaires ! Au revoir grèves et justice sociale ! Au revoir profits et parades ! Au revoir bourse et puissance ! Tu veux du dur, du âpre, du fort ? Tu veux vraiment savoir ce qu’est travailler ? Aime !
Tu veux vraiment être humain, être digne d’un salaire, mériter ton pain ? Aime ! Tu veux vraiment rire de l’ego, de ses colères ou de ses plumes ? Aime ! Tu veux vraiment être sérieux ? Aime ! Tu veux vraiment parler de justice ? Aime ! Tu veux vraiment la science ? Aime ! Tu veux vraiment être heureux ? Aime ! Le reste, c’est de l’enfantillage !
4
L’ego n’aime pas la lumière ! Il ne s’intéresse pas plus aux nuages, au bleu du ciel, aux fleurs, aux petits oiseaux ou au chant du ruisseau ! Tout cela ne l’émeut pas, lui fait juste hausser les épaules, de mépris, car l’ego n’aime et n’admire que lui-même ! L’ego ne recherche que l’ego, comme un chien de chasse renifle la piste, car c’est l’ego qui est le repère de l’ego ! C’est l’ego vaincu, qui baisse les yeux ou qui est séduit, qui dit à l’ego qu’il existe et qu’il est supérieur ! Ainsi les villes s’étendent indéfiniment, car la nature n’a pas d’ego ! Elle lui est inutile, sauf pour être exploitée ! Ainsi l’ego détruit sa planète, car elle n’est pas son miroir !
La nature est broyée par l’ego, car il ne la comprend pas ! Au contraire, elle lui fait peur ! L’ego n’aime pas le silence, car ce n’est pas de l’ego ! L’ego n’aime pas attendre, car ce n’est pas de l’ego ! L’ego hait l’anonymat évidemment ! L’ego veut toujours sentir sa puissance et c’est pourquoi il crie, il hurle, il casse, injurie, etc. ! C’est le bruit et l’agitation sa perfusion ! Ainsi on bétonne tout le temps, ainsi les chantiers sont sans fin, ainsi règnent le chaos et la violence, ainsi nous sommes comme des barques emportées par la tempête ! L’ego ne sait ni se retenir, ni admirer ! Il n’a pas d’équilibre ! Nous nous dévorons les uns les autres, car nous ne savons pas rester tranquilles !
L’ego n’aime pas la nature, car elle l’angoisse, et pourtant il réclame à corps et cris qu’on la sauve, qu’on la protège ! Que ne change-t-il d’abord lui-même ? Mais crier, combattre plaisent à l’ego, car c’est de l’ego ! L’ego se fait valoir à travers la lutte : c’est de lui qu’on parle et il est sur le devant de la scène ! Ainsi l’ego se sert du pauvre ou de la nature ! Mais que ne change-t-il d’abord lui-même ? Qu’il reste devant un arbre, qu’il suive son écorce et son feuillage et qu’il respire en prenant conscience de cette grandeur, de cette force, de cette paix ! Mais l’ego est déjà parti, tout ce qui est immobile l’ennuie, car ce n’est pas de l’ego ! La fleur, l’abeille qui bourdonne au-dessus, ne parlent pas de l’ego ! La beauté de la nature invite l’ego à se dépasser, à voir plus grand que lui, d’où son ennui et même sa haine ! L’ego, c’est le serpent qui avale sa queue et ainsi nous nous condamnons !
L’ego est effaré par la lumière ! « Comment ? Comment tu ne t’énerves pas ? crie l’ego à la lumière. Comment peux-tu rester aussi calme ? Il y a mille choses à faire ! Il y a urgence ! Si tu ne fais rien, le loup te mangera ! » La peur de l’ego vient sur la lumière comme un lance-flammes ! Mais la lumière n’a pas peur, pourquoi aurait-elle peur ? Elle connaît le temps des nuages, la caresse de la mer, l’or des fleurs ! Où est la peur dans la beauté ? La lumière apprend en admirant ! Si la lumière n’a pas peur, c’est parce qu’elle n’est pas de l’ego ! Son temps, son échelle sont celui de la beauté ! La lumière est patiente, quand l’ego est déjà inquiet de sa supériorité ! L’ego a peur quand il ne contrôle pas, qu’il n’est pas le chef, qu’il ne soumet pas ! Voilà son souci, sa peine, sa soif et c’est pourquoi la lumière ne s’énerve pas, car ce sont des problèmes d’ego ! Que l’ego change et il connaîtra la paix de la lumière !
Mais cela ne fait pas l’affaire de l’ego ! C’est lui qui doit gagner et vaincre ! Et le voilà en campagne, en train de s’agiter et de faire du bruit ! L’ego se sert des pauvres, de la nature, de l’économie, de l’emploi, de tous les prétextes possibles et surtout de la nécessité, puisqu’il y a urgence ! L’ego nous explique qu’on n’a pas le choix, qu’on doit agir comme il le dit et il se confond parfaitement avec la nécessité ! L’ego est un martyr du devoir, derrière lequel il disparaît ! A en croire l’ego, lui-même n’existe pas ! Il est seulement le messager de la nécessité ! Et puis voilà qu’il se scandalise, qu’il hait, qu’il rugit, qu’il s’emporte quand on ne lui obéit pas ! Qu’est-ce qui crée sa colère ou sa peur ? C’est qu’il n’arrive pas à vaincre, qu’il est impuissant et qu’il perd donc le sentiment de sa supériorité ! C’est l’angoisse qui arrive, quand il doit attendre, qu’il est placé face au vide, de même que quand il est devant la nature et son apparent néant ! L’ego ne supporte que l’ego et c’est pourquoi nous détruisons la beauté du monde !
L’ego peut devenir lumière : il lui suffit d’admirer la nature ! Lentement, l’ego s’y apaise et s’y dissout ! L’ego se change en lumière, sous l’effet de l’alchimiste nature ! La paix le pénètre... Mais il n’en veut pas ! C’est se diminuer ! L’ego veut du bruit et de la fureur ! Il veut la flamme qui l’enchante et qui pourtant le consume ! C’est tellement bon, tellement rassurant ! Il faut de la haine et des grands projets ! Il faut paraître et dominer ! Le culte de soi est en marche ! Tant pis pour les esclaves, les vaincus, les morts ! La justice, c’est celle du plus fort ! Notre sang, c’est le mépris ! Dans les villes ruisselle l’ego ! Abruti, il y chante sa nuit ! Il y tire son char, en suant ! Il rêve de détruire ! Il est fermé et pourtant gavé ! Il est dans son cauchemar ! Il ignore le vent et le ciel bleu ! Il préfère l’acier du couteau, le fer du regard !
Il ne veut pas de la lumière, ni de la beauté ! Il tourne dans sa prison !
5
Comment la lumière pourrait parler avec l’ego ? Comment pourrait-elle lui dire ce qu’elle voit ? L’ego croit qu’il fait le bien, qu’il donne le meilleur de lui-même, qu’il a raison d’être ambitieux, qu’il va réussir, qu’il représente l’intérêt général, etc. ! Il ne comprend pas la lumière ! Que lui reproche-t-elle ? L’ego est outré que la lumière puisse le juger ! Il monte sur ses ergots et il est vrai qu’il travaille, qu’il nourrit sa famille, qu’il a des responsabilités et qu’il est comme le plus grand nombre ! Il est normal, c’est la lumière qui est malade ! Ce n’est pas l’ego qui est amoureux de lui-même, c’est la lumière ! Ce n’est pas l’ego qui est l’ego, mais la lumière ! C’est elle qui est égoïste et qui ne pense qu’à elle !
Effectivement, la lumière a l’air seule, différente, comme si elle n’était pleine que d’elle-même et qu’elle se chérissait plus que de raison ! Mais la lumière dérange, n’est pas séduite, n’obéit pas à l’ego, lui résiste, alors elle suscite sa haine et c’est elle qui fait le mal ! L’ego ne veut pas se voir tel qu’il est ! Il a besoin du secret, des apparences ! Il a besoin de se plaindre, de dire qu’il souffre, qu’il est une victime ! Il ne va pas avouer qu’il aime le pouvoir, mais il commande pour aider l’autre, faire le bien de tous ! Il s’excuse de son égoïsme en défendant une noble cause ! Il piétine ses adversaires, car son but est élevé ! Il est impatient, méprise, écrase, avec les meilleures intentions du monde ! Ainsi il nie son plaisir, pour mieux le satisfaire ! C’est cette hypocrisie, cette avidité, cette jouissance, ces privilèges que voit la lumière ! Il tend à l’ego un miroir, qui lui donne un choc électrique !
Comment la lumière pourrait-elle parler à l’ego ? Dans le meilleur des cas, l’ego tombe des nues ! Il est sincère, il n’imaginait pas blesser autant, être si mauvais et il découvre un autre monde : la lumière lui a dessillé les yeux ! Mais le plus souvent, la réaction de l’ego est brutale ! Il discute, il accuse, il s’emporte ! Il explose aussi ! Il perd toute mesure ! Son monde s’écroule : il a des plaisirs, première nouvelle ! Il n’aime pas, ne respecte pas, mais méprise, lui qui se croyait altruiste, au service du plus grand nombre ! Il est égoïste, alors qu’il se voyait généreux ! Il n’est pas admirable, alors qu’il se sentait important ! Peu à peu, la lumière déshabille l’ego et il a l’impression que tout lui échappe, qu’on ouvre le sol sous ses pieds ! C’est trop pour l’ego, qui rejette la lumière et l’enterre ! Somme toute, l’ego aura croisé un cauchemar et il reprend ses jeux !
Qui a raison ? Il y a tout de même une grande différence entre l’ego et la lumière ! L’équilibre de l’ego est faux ! C’est ce qui explique les crises de nos sociétés, alors que nous avons tout, et la destruction de la planète, bien qu’elle nous condamne ! L’équilibre de l’ego est faux, car il n’existe pas ! Il faut toujours que l’ego domine, sinon il angoisse, et il lui faut donc toujours des victimes, des coupables ! Jamais l’ego ne se repose vraiment et il vieillit donc vite ! Il est toujours aux aguets, car il vit du sentiment de son importance ! Il est inquiet ou en colère, dès qu’il se sent inférieur, et s’il n’a pas l’autorité, il lutte contre elle ! Son hypocrisie fait qu’il est impossible de résoudre véritablement les problèmes ! Le monde moderne tourne en rond, se déchire, n’apprend rien et refuse de voir son absurdité !
La lumière, elle, se nourrit d’elle-même ! Elle a sa propre paix ! Elle n’a pas besoin de dominer et elle garde ses forces ! Son assurance est stable et ne dépend pas des autres ! La lumière est patiente, car elle est confiante ! Par son amour, elle a appris à ne pas avoir peur ! Elle peut donc donner, car elle ne prend pas ! Elle n’a aucune raison de s’énerver ou de piétiner ! Elle ne cherche pas à supplanter, ce qui fait qu’elle ne se fatigue pas ! Elle est aussi inquiète que le ciel bleu ! Elle comprend l’ego, mais l’inverse n’est pas vrai ! L’ego la hait, mais l’inverse non ! L’ego la méprise, mais l’inverse non ! L’ego voudrait la force de la lumière en restant l’ego, ce qui est impossible ! L’ego veut qu’on s’occupe de lui, la lumière ne se sert pas des autres !
L’ego crée le chaos et fait peur ! La lumière rassure et apaise ! L’ego crie son amertume, la lumière donne de l’espoir ! L’ego est une machine, la lumière une source rafraîchissante ! L’ego vit dans une boîte à chaussures, la lumière touche l’éternité ! L’ego est sans pitié, la lumière ne condamne pas ! L’ego est plein de soupçons, la lumière comme le cristal ! L’ego s’enfonce dans son malheur, la lumière se réjouit d’être !
La lumière tend la main à l’ego : il suffit d’aimer, ce qui fait qu’on se dépasse, en renonçant à soi ! Mais comment un amour pourrait-il nous appauvrir ? Il ne peut que nous enrichir, mais l’ego a tellement peur et d’abord peur d’en perdre une miette, qu’il rejette la lumière et la méprise ! Il préfère se crisper dans son cercueil ! Il préfère pleurer dans la nuit ! Au moins comme ça il reste le chef et on ne l’aura pas ! La belle affaire, l’ego est mort et il ne le sait même pas !
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Les enfants Doms (T2, 191-195)
- Le 17/06/2023
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"De la part de Sharky!"
Permis de tuer
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Piccolo attend avec son numéro, dans l’agence pour l’emploi et il fredonne, car une nouvelle vie commence : il va avoir un travail, un salaire et il achètera plein de choses, trouvera un logement, invitera des amis, des collègues et il sera gonflé d’énergie, avec un tas de projets ! Il ne se sentira plus exclu ! Il retrouvera une certaine innocence et tous ses troubles, toute son errance passés lui sembleront appartenir à un cauchemar !
Au camp de redressement matérialiste, on lui a dit qu’il était guéri, que sa volonté de travailler, de se joindre aux camarades, en se rendant utile à la société, était maintenant évidente et il a été autorisé à se présenter à l’agence pour l’emploi, ce qui lui a encore permis de retrouver l’air libre de RAM, son agitation stimulante et ses rêves derrière les vitrines !
Mais ça y est : le numéro de Piccolo s’affiche ! Il doit se présenter devant une machine qui le scanne, qui contient toutes les informations nécessaires, qui a l’aspect d’une armoire massive, sans ornements, au point qu’elle paraît ne pas aimer ce qu’elle fait, ce qui inquiète un peu Piccolo, mais baste, à la clé il y a une offre d’emploi et un avenir radieux !
Après ce passage et pour connaître le résultat, Piccolo est appelé dans un bureau, où impatient il ne fait même pas attention à tout ce gris qui l’entoure et à la figure rébarbative de l’homme en face de lui ! Celui-ci regarde distraitement un écran, puis, avec semble-t-il une pointe de satisfaction, il dit : « Désolé, mais la machine ne vous propose rien ! Elle explique même qu’elle n’aura jamais pour vous une offre d’emploi, car elle vous déclare impropre à tout travail ! Curieux !
_ Hein ? Mais qu’est-ce que ça veut dire ! Je veux travailler, c’est pas une blague ! »
L’homme se redresse sur son siège : « Je regrette, la machine est catégorique ! reprend-il. Elle ne vous veut pas, c’est tout ! Et si la machine ne vous veut pas, nous non plus ! Enfin, le système, j’ veux dire !
_ J’ comprends pas ! J’ suis prêt à faire n’importe quoi !
_ Peut-être, mais c’est la machine qui décide !
_ Écoutez, tout ce que je veux, c’est un salaire, mon indépendance, être content de ma journée, repartir du bon pied !
_ Mais… je comprends… (il se met à taper sur son clavier). Je demande plus d’infos… Ah zut ! Pourquoi ça marche pas ? Bon, on va essayer comme ça ! Eh ben voilà ! Alors, Piccolo… Scan 18/6, seize heures… Mmmm…. Non, pas moyen… Y a une priorité rouge sur votre nom… J’arrive pas à ouvrir !
_ Mais enfin on peut pas empêcher quelqu’un de travailler ! On ne peut pas lui interdire de bosser, sinon comment il va vivre ?
_ J’ chais bien… Ce que vous pouvez faire, c’est demander à voir une assistante sociale !
_ J’ chuis fatigué d’un seul coup ! Vous pouvez m’ dire pourquoi les choses les plus simples deviennent les plus compliquées ? J’ comprendrais que la machine me refuse, si je faisais preuve de mauvaise volonté, mais ce n’est pas le cas !
_ Écoutez, j’ peux pas faire plus ! Je vous ai donné la piste de l’assistante sociale…
_ Mais ça arrive souvent que la machine ne propose rien, comme si on avait la peste ?
_ Non, vous êtes l’un des rares ! A vrai dire, c’est la première fois que je vois ça ! C’est pour ça que je vous dis que je suis impuissant, car c’est pas une erreur ! Votre dossier est bloqué !
_ J’ comprends pas…
_ Excusez-moi, mais je dois prendre d’autres personnes ! »
Piccolo sent la colère monter en lui, d’autant que celle-ci s’échappe de blessures anciennes et qu’elle a déjà été maintes fois retenue ! Mais, encore une fois, Piccolo se contient, car il ne servirait à rien de s’emporter contre l’homme du bureau et il se lève et quitte la pièce !
Il est abattu et passe devant la machine et maintenant qu’il la regarde avec un autre œil, elle lui semble suffisante, arrogante et formidablement bête ! Il se demande qui elle est vraiment et profitant que personne ne se trouve devant elle, il lui fait face et la manipule dans tous les sens, ce qui fait qu’elle s’échauffe, se met à clignoter et qu’une alarme se déclenche !
Deux gardiens font irruption et tire Piccolo en arrière, avant de le coucher sur le sol ! La confusion est totale, le bruit assourdissant et finalement la machine s’ouvre, libérant son contenu ! A la grande stupéfaction des personnes présentes et provoquant leur horreur, un flot d’os et de chair pourrie se déverse sur le sol, telle une inondation ! On entend des cris et on se précipite vers la sortie ! Mais Piccolo et ses gardiens, eux, ont à leurs pieds des crânes, aux dents serrées, comme s’ils souffraient !
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« Zut ! se dit Cariou. Y a plus d’ pain ! Va falloir que j’aille en chercher ! » Cariou s’habille, il met son gilet pare-balles, son treillis et prend son arme, en espérant ne pas devoir s’en servir ! Puis, il sort et avance d’un pas rapide ! D’abord, l’espace est dégagé et a priori sûr, mais à cette heure des bombardiers filent vers le nord, en un flot ininterrompu, et leur vacarme assourdissant assomme déjà Cariou ! Il s’efforce de rester concentré, quand il est soudain la proie d’un premier tir lointain ! La balle l’atteint, mais à cette distance et grâce au gilet de protection, elle ne cause pas beaucoup de dégât !
« Mais nous voilà dans le bain ! se dit Cariou. Et c’est pire devant ! » En effet, les rues deviennent plus étroites et les tireurs plus nombreux et plus proches ! Il y a des pièges aussi ! On peut tomber dans une fosse et finir esclave sexuel d’un chef libidineux ! Vigilance donc ! L’humanité s’ennuie et cultive ses vices, comme dit l’adage ! C’est le prix du confort et de la richesse !
Cariou essuie maintenant quelques tirs, mais ils viennent de gens qui n’ont pas de temps à perdre et qui se rendent au travail ! Leur mépris est fugitif, comme s’ils voulaient se rassurer, avant d’attaquer la journée ! Les braves citoyens ! Ils vont gagner leur vie et donc faire fonctionner la société, en écrasant tout de même un ou deux de leurs semblables ! C’est ainsi qu’ils rafraîchissent le sentiment de leur supériorité !
Cariou a tellement d’expérience qu’il évite leurs balles, presque sans y penser ! C’est la routine ! Celle d’une population aveugle et zéro effort (alors qu’elle court à son emploi!) ! Mais elle se croit dans l’Univers comme en classe et vive les vacances ! Quelquefois, il y en a un ou une qui sont particulièrement énervés et ils font feu alors avec une arme plus lourde, tel un fusil à canon scié ! Ils tiennent de cette manière à affirmer leurs droits ! Ils sont en colère, car un serin a crotté leurs chaussures et c’est inadmissible, puisque cela vient se rajouter aux enfants qui souffrent de la faim !
Cependant, ces attaques sont trop grossières et isolées, pour vraiment inquiéter Cariou, qui se rapproche de la boulangerie ! Mais il est brusquement la cible d’un char et il se tend à l’écoute des chenilles ! Elles vont plus vite que lui, ce qui n’étonne pas Cariou, car difficile d’imaginer un conducteur de char en paix avec lui-même ! Et c’est aussi cette impatience qui sauve Cariou ! Le char bientôt le dépasse, le laissant tranquille, mais l’épreuve a été dure ! Les chenilles étaient juste derrière et ont menacé longtemps !
Cariou entre dans la boulangerie et il y a un client devant lui ! Celui-ci demande son pain avec une extrême circonspection, comme si c’était la première fois ! Cariou a assez de force pour ne pas broncher, mais il sait encore que c’est lui qui va payer ce temps perdu ! On va l’en rendre responsable et en effet, une femme arrive dans son dos et essaie de lui trancher la gorge ! Cariou ne doit son salut qu’à une gaine spéciale, en acier fin, qu’il a lui-même confectionnée et qui lui protège la nuque ! La femme est déçue et doit ronger son frein ! Certains derrière maintenant tirent à la mitraillette au-dessus de Cariou, qui n’en reçoit qu’un peu de plâtre !
Pas d’ quoi fouetter un chat et Cariou, son pain dans la main, s’échappe ! Un tir de bazooka peut-être, avant qu’il ne disparaisse totalement ? Cela arrive, mais, dans un espace aussi étroit, la démesure perd toute efficacité ! D’une manière générale, plus la haine se dévoile et plus elle en devient ridicule ! Un orgueil démonstratif montre sa souffrance et réjouit malgré tout sa cible !
C’est le retour ! Un vent frais souffle sur Cariou, mais il est encore loin d’être au bout de ses peines ! Il bute sur des déchets ! Des goélands crèvent des sacs poubelles laissés à l’air libre ! Le b.a.ba qui n’est pas encore appris ! Espérons que ce ne soit pas le fait de militants écologistes ! Ici, une affiche qui montre une guerrière antifa ! La violence en guerre contre la violence, ou comment le fascisme se tire une balle dans le pied !
Mais la folie est partout et Cariou n’en peut déjà plus ! Son pied tremble, son corps vacille ! Depuis combien de temps est-il parti de chez lui ? Deux ou trois siècles ? Qui est-il, quel est son nom ? A-t-il un but dans la vie ? Son cerveau n’est plus qu’une marmelade et il va falloir qu’il se repose, avant de se retrouver lui-même !
Et le sédentarisme, et l’obésité ? Comment soulager ces maux, dans un environnement aussi égoïste, aussi agressif, aussi destructeur ! Et la nature ? Comment ne nous serait-elle pas étrangère ? Comment la paix du ciel bleu ou le chant des oiseaux nous aideraient-ils ?
Cariou introduit sa clé et une balle vient frapper juste tout près de sa tête ! Jusqu’au bout !
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L’ego est maussade ! Non qu’il ait faim, au contraire ! Il mange trop ! Il en est dégoûté ! La nourriture, c’est comme les problèmes : il y en a pléthore, jusque-là ! L’ego est maussade, il fait la grimace ! Que lui manque-t-il ? Que lui doit-on ? Il fait le tour des choses, le compte ! L’ego est maussade, il regarde le monde avec dégoût ! Sa tête grise de requin fait le tour, inspecte, rumine !Quelle sera sa victime ? Qui va payer la facture ?
Car rien ne va comme le veut l’ego ! Ça non ! Il est spolié, c’est évident ! Lésé ! On lui doit quelque chose ! Mais quoi ? L’ego est maussade, fermé, qui va payer ? L’ego est en colère ! Il rugit ! Il tape ! écrase ! Vocifère ! Il présente la facture, la note, l’addition ! Le montant : c’est la consommation en chauffage de l’enfer depuis qu’il existe ! De quoi trembler !
L’ego est maussade ! Il tourne sa tête grise de requin ! Il passe des enfants à la moulinette, pendant qu’il discute ! Il est plein de sang et sourd aux cris ! Il a d’autres chats à fouetter ! Il veut envahir l’Asie ! Il a aussi son champ de pyramides et il faut quand même l’entretenir ! C’est du boulot !
Évidemment, l’ego ne peut pas acheter le soleil ! Il n’est pas bête à ce point ! Il sait qu’il y a des limites ! Il a été bien éduqué, il peut être raisonnable ! Mais ses dix mille pétroliers, faut bien qu’ils circulent ! La vie n’est pas rose ! Elle est même injuste, cruelle !
L’ego est maussade ! Il tourne sa tête grise de requin ! Qui va payer ? Qui est responsable du malheur de l’ego ? Des esclaves sont là, tremblants… Ils offrent à l’ego ce qu’ils ont de mieux…Mais l’ego leur crache dessus ! Quoi, ils ne sont pas assez heureux d’être esclaves ! Il faudrait encore leur donner de l’attention !
L’ego dresse sa tête dans l’espace, elle se détend jusqu’aux bornes de l’univers ! Les supernovae n’ont qu’à bien se tenir ! Dieu lui-même doit prendre le sceau et la serpillière ! Et qu’ ça frotte et qu’ ça brille ! L’ego est maussade ! Il tourne sa tête grise de requin : qui va payer ?
L’ego est plein de morale, plein de sagesse ! Il dit qu’il faut être humble, ne pas se croire le centre du monde ! qu’il faut bosser ! qu’on ne fait pas ce qu’on veut ! que la vie n’est pas une partie de plaisir ! On opine, il faut filer doux ! Car qui peut affronter l’ego ? l’ego impayable ! l’ego extraordinaire ! l’ego fou !
Qui peut lui dire la vérité ? lui tendre un miroir ? Autant caresser un serpent à sonnettes ! Autant marcher sur la mer en pleine tempête ! Autant rire sur une mine ! L’ego explose au moindre mot ! à la moindre aspérité ! à la moindre plume ! Il explose et pulvérise ! Pourquoi ? Pourquoi l’ego est-il à vif ? C’est maladif ? Notre époque est une poudrière ! Pourquoi l’ego ne supporte rien ? Il en a plein la gueule pourtant ! Le moindre reproche, la plus petite observation et il explose ! On lui coupe un bras ! Il n’a aucune force apparemment !
La force permet le dialogue, pas l’ego ! La paix, c’est la force ! L’ego ne connaît donc pas la paix ! Pourquoi ? Peut-on satisfaire l’ego ? L’angoisse vide l’ego ! L’ego ne guérit pas son angoisse ! L’ego est un monde clos ! L’univers doit nourrir l’ego, tout doit aller dans le sens de l’ego ! C’est incessant et épuisant ! L’animal apaise sa domination, pas l’homme ! Car il a soif d’éternité ! Voilà pourquoi l’ego est maussade et tourne sa tête grise de requin !
Qui va payer la facture ? A qui le tour ? Le gouvernement, l’exploiteur, le facteur, l’étranger, les bigorneaux ? Le fils du voisin ? Le curé ? Le chômeur ? L’ego rumine : faut des coupables ! L’ego fait la une et dit qu’on le néglige ! L’ego marche sur des cadavres et dit qu’il n’y a personne ! L’ego est gavé et dit qu’il ne reçoit rien ! L’ego agresse comme un voyou et dit qu’il est en haillons sous la neige ! L’ego crie au danger et ronfle tout son soûl ! L’ego alerte sur la dictature et insulte les passants !
Non, l’ego est maussade ! Ça ne va pas ! Il tourne sa tête grise de requin… Qui va payer la facture ? Qui va être écrasé, broyé, déchiqueté ? L’ego renifle… Attention ! Qui va prendre ? Qui va morfler ? L’ego se dresse tel le tsunami… Qui sera emporté, noyé ? L’ego finalement rit (un rire sinistre, on dirait un gond rouillé!) Et tout le monde rit ! Finalement, y a pas que du sang dans la vie !
Mais l’ego vient d’attraper quelqu’un, un pauvre gars innocent ! Et il le dévore, alors que la bonne humeur n’est pas encore retomber ! Sacré ego ! Impayable ego ! Magnifique ego ! L’ego, c’est l’avenir, sûr !
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L’ego est un farceur ! Il est contre le fascisme ! Il se dit antifa ! Il est contre la soumission ! Les gros trusts ! Les riches ! Et il se dit insoumis ! Il lutte pour la liberté ! C’est beau, c’est grand !Tiens, on a la larme à l’œil ! Mais pourquoi ? Pourquoi l’ego lutte pour la liberté ? Mais pour dire : « Regardez-moi ! C’est moi l’ego ! Admirez-moi ! Je suis le centre ! Le post-ado ! C’est moi le centre ! »
Hein, l’ego quel farceur ! La justice sociale ? Mais c’est moi le maître ! Regardez le pauvre !Vous ne le considérez pas ! Autrement dit, vous m’ignorez ! Respectez le pauvre, donc respectez-moi ! Le pauvre en haut ! Donc moi en haut ! A bas le fascisme ! Car il est en haut, il commande !Alors que moi je suis en bas !
L’ego pousse et veut la place ! C’est sa misère ! C’est sa chaîne ! C’est sa soumission, son esclavage ! C’est sans espoir, sans issue ! Car que peut espérer au fond l’ego ! Être le maître ? Être la star, comme dans ses rêves d’ado ? Il veut quoi ? Il veut de la soumission, de l’esclavage, de l’admiration, comme dans ses rêves d’ado, où il était plein de lui-même ! Où il était le centre ! Où on l’adulait ! Où il était en sécurité ! Où il n’y avait rien d’autre que lui !
C’est ce que veut l’ego, rester un ado ! Mais ce n’est pas possible ! C’est sans issue ! Nul n’est le maître, quand tout le monde veut l’être ! Alors l’ego déteste ce monde, qui n’est pas comme dans ses rêves d’ado ! On échappe à l’ego ? Il méprise, hait, détruit ! L’ego est l’ado haineux, boudeur !La lumière échappe à l’ego et il aboie et veut la mordre !
La lumière échappe à l’ego, car elle n’a pas besoin de lui ! Elle n’a plus d’ego ! Elle seule est libre, pas l’ego ! Cours, cours l’ego ! Aboie, aboie ! Mords ! Mords ! C’est sans espoir ! L’ego est une prison, où il n’y a pas d’eau ! Où on meurt de soif ! L’ego chaque jour montre les dents ! Pauvre ego ! La lumière s’en joue !
La lumière est comme l’eau : elle chante et danse ! La lumière est libre, pas l’ego ! L’ego dit : « Alerte ! Alerte ! Y a urgence ! Problèmes ! » La lumière hausse les épaules ! Elle connaît les problèmes de l’ego, ce farceur ! C’est sans fin ! La peine de l’ego, c’est l’ego ! La peine de l’actualité, c’est l’ego ! L’ego est triste ! C’est un assassin ! Chaque jour il piétine, méprise, écrase !Il essaie de tuer la lumière, mais elle s’échappe comme un papillon ! Elle connaît les mensonges de l’ego ! Ce farceur !
L’ego dit : « Regarde mes pauvres ! Vois comme ils sont victimes de l’injustice ! Tu sais combien gagne machine ? » L’ego fait trembler au nom de ses pauvres, Mais il s’en sert, car l’ego des pauvres est plus petit ! Sans danger pour le sien ! L’ego se moque des pauvres ! La belle affaire ! A bas le riche, puisqu’il ne pense pas à moi ! Puisque c’est lui qui dirige le monde, selon ses rêves d’ado !
L’ego ne supporte pas qu’on lui échappe ! Qu’on ne lui soit pas soumis ! Ainsi l’ego n’aime pas l’ego ! Et surtout pas la lumière ! La lumière est belle ! Elle ne se nourrit pas de l’ego ! Elle rit de l’ego ! Elle est paisible ! Quel est son secret ? C’est l’amour ! L’amour sans ego ! Est-ce possible ?La lumière qui scintille sur le ruisseau qui chante… Est-ce possible ? Le géant de coton dans le ciel bleu… Est-ce possible ? La caresse de la mer, après sa furie… Est-ce possible ? Un sourire, à côté de la haine… Est-ce possible ?
Oui, l’amour sans ego est possible ! C’est plus tes rêves d’ado ! C’est plus toi le maître ! C’est toi libre, sans ego ! C’est la lumière et le mystère ! Allez, viens, faisons jouer le triste ego ! Faisons lui faire le beau ! Il est tellement bête ! Tellement haineux ! Tellement laid ! La lumière rit de l’ego ! Elle rit de la haine de l’ego ! L’ego fulmine, enrage, car il voit que la lumière lui échappe !ne lui est pas soumise !
La haine de l’ego nourrit la lumière ! Elle lui donne raison ! Pauvre ego ! Triste ego ! Laid ego et assassin ego ! Quel farceur ! Il dit encore : « Regarde mes pauvres ! Quelle injustice ! Le riche a ma place ! Le riche à ma place ! Voilà ma misère ! » La lumière répond : « Regarde la beauté du monde ! Regarde la force ! Regarde l’amour ! Regarde ! Mais regarde ! Lève le nez de ton nombril ! »
Alors l’ego hait ! On lui demande trop ! C’est pas comme dans ses rêves d’ado ! C’est pas lui le maître ! C’est la lumière ! Mais quelle tête il a ! Les enfants rient de lui !
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L’ego dit à la lumière : « Tu n’es pas sérieuse !Tu es inconséquente !Tu verras, la vie c’est bien autre chose ! Faut travailler, gagner sa croûte ! C’est pas comme tu veux ! En fait, tu t’ fous d’ ma gueule ! Je me saigne aux quatre veines et toi, qu’est-ce que tu fais ? Tu ne penses qu’à toi ! Tu t’ la coules douce ! Tu parades ! Il va falloir que tu changes ! Que tu arrêtes de tout concentrer sur toi ! Etc. ! »
La litanie de l’ego est sans fin ! Elle fonctionne comme un marteau-pilon ! Dans le cosmos ! Les Vénusiens, eux-mêmes, l’entendent ! Ils demandent : « Mais qui fait du bruit comme ça ? C’est encore les Terriens, j’parie ! Oh ! Oh ! Les Terriens, un peu d’ calme ! Y en a qui ont besoin d’ s’ reposer ici ! Foutus Terriens ! »
Et les Vénusiens marmonnent, mais les Terriens n’arrêtent pas ! Et l’ego continue d’assommer la lumière ! Il veut faire peur à la lumière ! Il veut l’écraser ! Car l’ego cherche le pouvoir, le commandement ! Et le monde décrit par l’ego devient terrible ! Si on en croit l’ego, les hommes ne connaissent pas le plaisir ! Ils travaillent, c’est tout ! Ce sont des forçats ! Toute la journée à pousser les wagonnets d’ soufre ! Ils sont pleins de poussière et ils suent et ils toussent !
Vision qui fait frémir la lumière ! Elle qui veut aimer, chanter, jouer les cigales ! « Oui, le monde est terrible ! dit l’ego, qui se dresse au-dessus de la lumière, tel un manteau de nuit ! La vie te réduira en miettes ! Elle te plongera dans les oubliettes ! Malheur à celui qui s’écarte du devoir !Malheur à celui qui ne travaille pas ! Malheur à l’innocence, la naïveté ! »
La lumière, qui aime le soleil et les papillons, se met à trembler ! Elle ne se rend pas compte du cauchemar qui l’attend ! Elle maudit ses rêves, sa candeur ! Elle se frappe la poitrine pour s’endurcir, pour se préparer au pire ! L’ego a parlé, a montré la réalité ! La lumière se sent coupable d’être !
Mais est-ce possible ? Peut-on naître erreur de la nature ? Peut-on se détruire fondamentalement ? Peut-on être totalement mauvais ? Les ruisseaux et la mousse, la feuille émeraude, c’est de la bouse ? C’est que des cellules et des électrons ? C’est « nada », pour plaire au physicien ou au généticien ? La lumière s’interroge ! Elle veut se jeter par la fenêtre, car elle se hait d’exister ! Elle se trouve si bête, si inutile !
Les Vénusiens sont encore obligés d’intervenir :
« Oh ! Oh ! crient-ils à la lumière.
Vous n’allez pas sauter et faire la conne !
Manqueriez plus que vous atterrissiez sur not’ barbecue !
_ Z’avez raison ! dit finalement la lumière. Y a mieux à faire !
Et d’abord une enquête !
Car peut-on vivre sans plaisirs ?
_ Non ! répondent en chœur les Vénusiens.
_ C’est bien c’ que j’ pensais ! »
Voilà la lumière qui prend sa loupe, sa pipe et sa casquette, et qui commence ses investigations ! « Hum ! Hum ! se dit-elle. Voilà des traces de plaisirs Laissées par l’ego ! Elles mènent où ? » La lumière ouvre une porte et qu’est-ce qu’elle voit ? L’ego est là dans le cosmos ! C’est une statue d’or, qui sourit en s’admirant ! qui ruisselle de vanité et de complaisance ! qui brille de mille feux devant la glace ! Et à ses pieds des millions d’esclaves s’empressent, s’épuisent, meurent, pour essayer de la satisfaire !
De temps en temps, l’ego en écrase un ou le croque, ce qui fait que le sang se mêle à l’or ! La lumière n’en croit pas ses yeux ! Elle est épouvantée ! Elle qui est si naïve, si bête aussi ! « C’est la vie dure ! » se dit-elle. Mais soudain l’ego la voit et le meurtre apparaît dans ses yeux ! Il doit maintenant tuer la lumière, car il ne faut pas qu’on sache qui est vraiment l’ego !
Tout s’explique ! Le monde est chaos pour plaire à l’ego ! Et la lumière ? Elle rase les murs et surveille son dos ! L’ego est l’animal dévoreur de cerveaux ! Son hypocrisie est reine !
« Ouais ! Ouais ! fait un Vénusien. J’ savais bien qu’ les Terriens n’étaient pas « clean ! » Ici, au moins on est sérieux ! On bosse ! »
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Les enfants Doms (T2, 186-190)
- Le 10/06/2023
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"Allez, on mouille le maillot!"
Coup de tête
186
Baluchon est un tribun connu dans RAM, en prenant la défense des opprimés, mais surtout en s’opposant au pouvoir, qu’il associe forcément à l’argent et aux profiteurs ! De gauche donc, Baluchon a créé un parti qui se veut insoumis aux diktats et à l’influence des capitalistes ! Il s’imagine être un phare résistant aux vagues d’un monde empoisonné et avide ! Il se sacralise même, s’écoute parler et ne prend pas conscience qu’il est resté cet enfant coléreux, parce qu’on a déplacé ses affaires !
Cet égocentrisme est devenu invisible sous la bannière de la justice sociale et sa rage emprunte celle du pauvre qui réclame l’équité ! Pourtant, le message de Baluchon reste clair : il est avant tout celui qui refuse de plier et c’est donc bien l’ego qui est le problème, bien plus que la pauvreté ! Ce qui fait souffrir Baluchon, c’est l’indifférence, le mépris que semblent lui marquer les puissants et on retrouve ici la peur du petit garçon, face aux adultes qui l’ignorent !
C’est un mélange d’effroi et de hauteur, qui fait que Baluchon veut changer les règles, pour échapper à celles qu’il ne comprend pas ! En prenant la place du maître, il n’encourra plus le risque d’être rejeté, ni abandonné ! Cependant, il n’est pas impossible, pour Cariou, que la môme Espoir ait été séduite par Baluchon, tant son discours a l’écho d’une croisade au service du bien, et notre détective a pris rendez-vous avec le leader politique !
Comme toujours, Baluchon a ce visage dédaigneux, comme si on lui devait quelque chose, et il ne jette qu’un coup d’œil à la photo présentée par Cariou : « Jamais vu cette fille ! s’écrie-t-il. Comment s’appelle-t-elle ?
_ Belle Espoir…
_ Mais… mais l’espoir, c’est la fin des profiteurs et des exploiteurs !
_ Et si on asphyxie l’économie, qui va payer la dette ?
_ Mais c’est vous, c’est nous qui allons payer la dette ! Pas les patrons du CAC 40, qui sont tous des copains du gouvernement ! Moi, j’ai des propositions, mais on ne m’écoute pas ! Il faut redistribuer l’argent, car ce que nous voulons, c’est juste vivre ! Il faut arrêter d’agresser les gens ! »
Baluchon vient de s’exprimer avec une extrême véhémence et Cariou a failli être emporté à l’autre bout de la pièce, par la violence des mots ! Mais une chose essentielle ne lui a pas échappé et il est resté coi ! Il répond : « Vous savez, je pense que votre virulence, qui est destinée à écraser, n’est là que pour masquer le vide de votre pensée, l’absence de vos solutions !
_ Mais qu’est-ce que vous racontez ? La richesse de quelques uns est démentielle ! Et c’est elle qui doit être partagée !
_ Pour que l’argent soit là, il faut d’abord qu’on ait la possibilité et l’envie de le gagner ! Prendre l’argent aux riches pour le donner aux pauvres, vous ne le faites qu’une fois, pas deux ! D’autre part, vous appelez le gouvernement à la sagesse, au respect, mais vous-même êtes plein de haine et vous parlez de simplement vivre, alors que déjà vous ne savez pas respirer ! Si vous aviez une once de vérité en vous, mais vous seriez tranquille, persuadé que le gouvernement finirait pas se rendre à vos arguments, puisqu’ils seraient justes ! En réalité, vous êtes gouverné par l’inquiétude, ce qui fait que vous êtes d’abord en colère contre votre impuissance !
_ Mais je me fous de votre psychologie de comptoir !
_ Vous devriez écouter quelqu’un d’autre pour une fois, car c’est vous qui faites votre propre malheur ! C’est parce que votre ego est avide que vous ne pouvez le satisfaire ! Au fond, vous ragez n’étant pas le maître ! Je vous rappelle la logique : la paix permet la force ; la force le don ; le don la paix !
_ Et c’est cet évangile qui va réduire la fracture sociale !
_ Exactement, puisque votre haine ne peut que l’amplifier ! Aujourd’hui, la gauche est devant un nouveau défi, car nous sommes déjà dans une république et il ne s’agit plus de renverser le régime ! Essayer de faire revivre l’esprit révolutionnaire est un intégrisme social !
_ Et moi, j’ t’ai assez entendu ! Je sais pas pourquoi j’ perds mon temps avec des cloportes dans ton genre ! »
A cet instant, deux gros bras entrent dans la pièce et Baluchon leur dit : « Virez-moi ce malpropre ! C’est un apôtre fielleux à la solde des riches ! Ne le ménagez pas, il a besoin d’un bon coup de pied au cul ! »
Les gros bras opinent et soulèvent Cariou, ainsi qu’il aurait été sans jambes ! Puis, après la sortie, le détective est projeté contre les poubelles, au nom de l’égalité sans doute ou pour vérifier le dicton Qui se ressemble s’assemble !
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Madame Pipikova est touchée par la grâce ! Le dieu des travailleurs est venue la voir et lui a dit, dans un nuage d’or et alors qu’elle avait encore les yeux ensommeillés : « Va sur les routes porter mon message d’amour ! Va éclairer le patronat ! Fais lui comprendre que lui aussi peut entrer dans le royaume des travailleurs ! Je t’ai choisie pour cette mission, à cause de la simplicité de ton cœur ! »
Madame Pipikova prépare humblement ses affaires et au matin, elle quitte le camp de redressement matérialiste ! Elle part sans regrets, car la vie y était somme toute trop facile et la nouvelle madame Pipikova espère secrètement que les cailloux du chemin lui feront un peu mal et l’affermiront ! Et puis, elle n’est pas fâchée de ne plus devoir affronter des impies, des moqueurs comme Piccolo ! N’est-elle pas au fond dépourvue de toute malice et quelle peine quand il fallait discuter, débattre, trouver des arguments retors !
C’était contre nature pour madame Pipikova, qui maintenant, dans les couleurs de l’aurore, revoit en plein la vérité du dieu des travailleurs, ce qui fait que son visage est tout empreint de lumière ! Mais le premier village surgit et madame Pipikova, légèrement lasse, s’assoit à la terrasse d’une auberge et elle est le témoin d’une scène pénible ! L’aubergiste, un homme corpulent et grossier, un patron par conséquent abusif et égaré, crie à son employé, un jeune, que c’est un fainéant et qu’il doit se presser pour aller chercher de la volaille au marché !
Madame Pipikova est triste d’être déjà devant l’injustice sociale et quand le patron s’approche d’elle, pour savoir ce qu’elle veut, elle le regarde avec gravité et compassion ! L’aubergiste est frappé par la beauté de ce visage, qui allie le reproche à la bonté, qui ne condamne pas, mais qui invite à la raison, à l’amendement, si bien que l’homme s’assoit lui aussi et se met à pleurer !
« Comment peux-tu être comme ça, avec le travailleur ? demande madame Pipikova d’une voix douce.
_ Si je suis dur, c’est parce que j’ai peur ! répond entre deux sanglots l’aubergiste. Je ne suis pas méchant dans le fond, vous savez !
_ Je le sais… Mais à l’avenir reste bon avec le travailleur, n’est-ce pas ton frère, ton camarade ?
_ Oui, m’dame !
_ Va, ta foi t’a sauvé ! »
Madame Pipikova prend son petit déjeuner… Oh ! Pas grand-chose ! Juste un petit morceau de pain, dont elle donne la moitié aux oiseaux, qui semblent la remercier par leurs chants mélodieux ! Puis, elle se lève, reprend sa besace, demande la paix sur cette maison et se dirige vers le centre du village, où malheureusement se déroule une autre scène violente ! Madame Pipikova reconnaît des agents du gouvernement, qui sont en train de malmener une famille, sans doute pour récupérer quelque impôt !
Elle s’immobilise devant les agents, qui soudain remarquent son aura ! Ils arrêtent leurs menaces, leur maltraitance et demandent : « Qui es-tu ? » et c’est l’employé de l’auberge qui répond, car la nouvelle se répand vite : « C’est sainte Dicaliste !
_ Tu es vraiment une sainte ? demande l’un des agents.
_ C’est toi qui le dis, fait madame Pipikova. N’avez-vous pas honte d’opprimer le travailleur ?
_ Mais c’est qu’il doit de l’argent !
_ Et moi, je vous dis que tout ce que vous laisserez au travailleur vous sera rendu au centuple ! »
Les agents sont saisis par ces paroles, mais c’est cette bonté opiniâtre de sainte Dicaliste qui les décide à s’en aller ! La famille tombe à genoux devant un tel miracle ! Elle veut baiser les doigts de madame Pipikova, qui se dérobe, remplie d’humilité, mais comment empêcher tous ces gens, qui la fêtent et qui de nouveau espèrent ?
La sainte sourit, bénit, montre le dieu des travailleurs et ses bienfaits ! Puis, c’est le soir et elle explique qu’elle doit continuer sa route, que bien d’autres villages attendent son message et la voilà qui disparaît dans la nuit, au grand dam de ceux qui voulaient lui offrir l’hospitalité ! Mais madame Pipikova a encore besoin du secret des ténèbres, de se retrouver seule parmi les arbres, car il faut qu’elle se défoule, que sa vraie personnalité puisse se libérer !
Finies cette patience dégoûtante, cette commisération révoltante, cette componction ruisselante ! Enfin de l’air, du souffle ! La sainte s’approche d’un rocher et d’un atémi le coupe en deux, en criant « Salauds, fumiers de capitalistes » Les oiseaux son terrifiés et plus tard on dira que le diable est passé par là, au regard de tous ces troncs coupés !
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Pour être juste, Cariou s’en va aussi chercher Belle Espoir chez l’extrême droite et il a rendez-vous avec son leader, madame Peine ! Bien sûr, Cariou connaît le passé sanglant du nazisme, qui veut la supériorité de la race, la loi du plus fort, et il n’espère pas vraiment faire avancer son enquête de ce côté-là, mais le communisme lui-même n’est-il pas une forme de fascisme, puisqu’il veut écraser ses adversaires et rejette la différence ? C’est fou le nombre de gens haineux au nom du bien !
Cariou fait atterrir sa vieille autociel devant le portail d’un château, en pleine campagne ! Il y a là deux gardes, taillés tels des troncs et à la mine maussade ! L’un a le visage couturé et il s’approche du détective : « C’est privé ici ! fait-il.
_ J’ai rendez-vous avec madame Peine ! »
Le garde considère méprisant la pauvreté du véhicule, quand son collègue se renseigne au téléphone, avant de faire signe que c’est OK ! En ouvrant le portail, le balafré jette à Cariou : « Tâchez d’ pas salir les tapis !
_ Si j’ trouve de la viande en cuisine, je vous la ramène, d’accord ? »
Pour toute réponse, le garde frappe l’autociel au passage, de sorte qu’on a l’impression de franchir le mur du son et Cariou n’insiste pas : la violence, juste quand on ne peut pas faire autrement ! « J’ dois quand même avoir une bosse ! » songe notre détective.
Le château apparaît imposant et un majordome hautain accueille Cariou sur le perron : « Madame Peine vous attend au salon », dit-il et il faut le suivre… La maîtresse des lieux est une femme forte, au regard dur et d’un ton sec, elle demande : « Qu’est-ce que je peux faire pour vous, monsieur Cariou ? Il s’agit d’une enquête, à ce que j’ai cru comprendre ! C’est pourquoi j’ai accepté de vous rencontrer, mais mon temps est précieux… Notre parti a beaucoup à faire, s’il veut empêcher le pays de courir à sa perte !
_ Mais… je n’en doute pas ! répond Cariou, qui sans attendre fait glisser sous les yeux de madame Peine la photo de Belle Espoir !
_ Vous recherchez cette fille ? Mais je ne l’ai jamais vue !
_ A vrai dire cela ne m’étonne pas…
_ Alors qu’est-ce qui vous fait croire que j’aurais pu la connaître ?
_ Eh bien, elle apprécie l’ordre ! Cela fait partie de sa nature… et comme vous non plus n’aimez le chaos…
_ Je vois…, mais pour rejoindre nos rangs, il faut encore avoir un idéal ! Laissez-moi vous montrer quelque chose, monsieur Cariou... »
Madame Peine conduit notre détective dans la bibliothèque, devant le portrait géant d’un homme ! « Mon père ! explique madame Peine. Il continue de m’inspirer ! » A cet instant, un violent orage éclate et le portrait est soudain illuminé d’une lueur sinistre ! On y voit une tête massive, qui semble demander instamment qu’on règle la facture !
« L’ordre n’est pour nous qu’un élément de base, enchaîne madame Peine, ce que nous voulons, c’est qu’on nous rende notre fierté, notre identité ! Ce pays était un grand pays, avant qu’il ne soit galvaudé par les braillards de la gauche et envahi par les étrangers !
_ En sommes, vous êtes comme tout le monde, vous demandez du respect, de la reconnaissance !
_ Effectivement, car nous voyons chaque jour nos valeurs piétinées ! L’impiété ou les dérives sexuelles nous font beaucoup de mal !
_ Je comprends bien, madame Peine, mais il est inutile de demander du respect avec de la haine ou du mépris ! On ne fait que récolter ce qu’on a semé et c’est en aimant les autres, quoiqu’ils soient différents, qu’on réveille chez eux le respect dont nous avons besoin !
_ Mais certainement… et c’est pourquoi nous attendons du changement, de la part de nos adversaires !
_ Tss, tss, madame Peine, ce n’est pas comme ça que ça fonctionne ! C’est d’abord à vous de respecter, pour voir ce changement !
_ Il n’en est pas question, car les bornes ont été dépassées !
_ Vous avez ce sentiment, comme si vous étiez un comptable ! Mais l’amour est l’amour, parce qu’il fait plaisir ! Ce n’est pas une corvée ! Vous êtes toujours perdue, madame Peine !
_ Je vous ai déjà accordé trop d’attention ! Bruce va vous raccompagner ! »
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Andrea Fiala est invitée par une amie, qui est infirmière, à visiter le lieu de travail de celle-ci, un hôpital psychiatrique ! « Bonjour ma belle ! fait l’amie à Andrea en l’embrassant. Je suis contente que tu sois venue, car ça vaut le coup d’œil ! » Andrea suit docilement son amie, mais, à mesure qu’elle pénètre dans le bâtiment, elle sent son appréhension croître ! Son amie, s’apercevant sans doute de ce trouble, se retourne vers elle pour lui dire : « N’aie pas peur, Andrea ! Il est tout de même rare que nos malades soient dangereux, même s’ils ont tendance à s’emporter ! Nous arrivons à la grande salle, où ils sont tous à cette heure-ci… Tu auras comme ça une belle vision de l’ensemble ! »
Andrea voit un « monde fou », enfin qu’il y a des gens un peu partout et qu’apparemment chacun a une occupation, ce qui donne une impression de calme, tout en rassurant ! Ici, on joue ou on lit ; là-bas, on répare ou nettoie ! Andrea ne détecte aucun signe de folie, mais au contraire la dignité, la responsabilité ont l’air à l’honneur, quand soudain, à une table, l’un se lève et se met à crier : « On veut nous faire travailler deux ans de plus ? Négatif ! Niet ! Vous voulez m’entuber ? Eh bien, venez, venez ! J’ vais tous vous casser ! J’ vais m’ faire un plaisir de piétiner vos sales gueules ! »
Le malade bave et sa haine est effrayante ! Andrea voudrait se remettre de son émotion, mais une femme cette fois, à côté, jette brusquement : « Il y a des hommes ici qui disent qu’ils sont des femmes et ils en profitent pour saloper nos toilettes ! C’est inadmissible ! Nous sommes en train d’ foutre en l’air not’ société ! Si vous avez des problèmes, appelez les médecins ! Mais laissez notre jeunesse tranquille ! Ne touchez pas à nos enfants, avec vos vices ! J’ s’rai sans pitié ! »
Le visage de la malade est blême et déformé par la rage, au point qu’Andrea ne peut en déchiffrer les traits ! Puis, on entend : « Certains renversent l’eau des brocs, alors qu’il y a déjà pénurie ! La ligne rouge est franchie ! Alerte ! Alerte ! » Il y a comme un bruit de sirène, mais une voix plus forte l’interrompt : « On est en train de tuer la petite distribution ! Comment je peux donner un crayon, si l’État m’en prend un sur deux ! C’est pas possible ! On peut pas continuer comme ça ! »
« Et moi ? Mon voisin me touche du coude ! Je lui ai déjà dit qu’on doit se tenir droit à table et ne pas s’étaler ! Rien à faire, il recommence ! La police affirme qu’elle a d’autres préoccupations, mais moi, j’ préviens que tant va la cruche à l’eau qu’elle se casse ! »
« La bibliothèque n’est pas ouverte le lundi ! Qui bosse, qui bosse ? De mon temps on bossait ! », « L’hôpital veut accueillir plus de malades ! Or, on est déjà trop ! Les malades étrangers dehors ! Et plus vite que ça ! », « Une araignée sur deux ici est en danger ! Alors vos problèmes, hein ! Oh ! Hein ! » « Pour ma part, je dors cinq heures par nuit ! On me dit que c’est pas assez ! Moi, j’ réplique : « Vous voulez que j’ dorme plus ? Changez d’abord mon matelas ! » », « T’as raison, on s’ fout de not’ gueule ! », « Ben voyons, comme si vous respectiez les autres ! Vous faites même pas vos prières ! », « Ça y est ! On menace la laïcité ! L’obscurantisme n’est pas mort ! Mais qu’on rase les cathédrales ! Qu’est-ce qu’on attend ? Un miracle ? »
Andrea est contrainte de se boucher les oreilles ! C’est une cacophonie agressive, délirante et elle demande à son amie de sortir. Les deux femmes se retrouvent à l’air libre et soufflent ! « Comment tu peux supporter ça ? demande Andrea.
_ J’ chais pas ! répond l’infirmière en haussant les épaules. J’imagine qu’on s’habitue, qu’on n’y fait plus attention !
_ Tu sais ce qui m’ fait le plus mal ? C’est que personne, personne n’a l’air de vouloir comprendre l’autre, en se mettant à sa place !
_ Exactement, chacun est dans son monde !
_ Ils demandent qu’on s’intéresse à leurs problèmes, avec une totale indifférence pour le reste ! Ça peut pas marcher !
_ Je pense qu’ils sont incapables de donner de l’attention...
_ Tu as raison ! La haine rend avare ! Tu connais l’histoire du sage qui ne voulait rien et qui rigolait ? »
190
Un ange gardien parle à son bébé : « Écoute, on y est… Tu vas bientôt sortir par l’utérus, mais j’ t’ai pas tout dit !
_ Hein ? Mais, j’ suis prêt, moi ! Regarde : les baskets, mon Narcisse et deux billets pour Disneyland, pour ma copine et moi !
_ Super ! Mais j’ t’ai caché certaines choses, pour que tu t’ fasses pas de bile ici… J’ voulais pas que tu naisses déjà inquiet, mal développé à cause des tourments ou du chagrin !
_ Mais bon sang, boss, vous êtes en train de me foutre la trouille, alors que c’est le jour J et que ça fait des mois qu’on s’y prépare !
_ Je sais, je sais ! Disons que j’ai des remords, des craintes, des doutes ! Quand j’ te vois là si innocent, si enthousiaste, si fragile aussi et qu’en même temps je songe à ce qui t’attend…
_ J’ suis prêt, oui ou non ?
_ T’es prêt, t’es prêt ! On a respecté le programme ! Mais j’ t’ai pas assez parlé d’ la société !
_ Ça y est, boss, c’est vot’ cauchemar qui revient, c’est ça ?
_ Mon cauchemar ?
_ Boss, j’ vous l’ai pas dit, mais, quand on faisait la sieste ensemble, il vous arrivait de crier brusquement des choses !
_ Ah ouais ? Et quelles choses ?
_ Eh bien, il était question d’un monde où de gigantesques marteaux frappaient les hommes ! Et quand ils échappaient aux marteaux, ils étaient pris dans une monstrueuse machine à hacher ! C’est à ce moment-là que vous vous réveilliez en sueur ! M’est avis que vous avez fait la guerre, boss, à une autre époque et sans doute sur une autre planète !
_ Mais non, petit cré… J’ai jamais fait la guerre ! Mais la société est comme ça…
_ Vous voulez dire que c’est un désert, où les hommes courent dans tous les sens, pour ne pas se faire écraser !
_ Oh non ! Tu vas voir, la nature est merveilleuse ! Elle est pleine de vie et de couleurs ! C’est un spectacle merveilleux, on ne peut pas s’imaginer ! Mais pourquoi, j’ pleure quand j’ te dis ça ? Merde ! C’est sans doute que personne n’y fait attention ! Tu vois p’tit, le problème, c’est que tous, ils ont l’ nez sur leur nombril ! Y savent pas r’garder !
_ Attention, boss, j’ sens qu’ ça bouge dehors ! Va falloir y aller !
_ T’as encore quelques minutes ! Écoute, si jamais là-bas t’es paumé, t’as plus goût à rien, si t’as des pensées suicidaires, appelle-moi dans les nuages, dans les fleurs, dans la mer, dans tout ce qui fait la beauté de la nature ! Je viendrai, j’ te consolerai, j’ te chantr’ai la vieille chanson, celle de l’espoir, du sens, de la sagesse !
_ Vous voulez parlez d’ ma berceuse ! Bien sûr, boss, que j’ vous la red’mand’rai si ça va mal ! Mais pourquoi ça tournerait pas rond ? Y a ma maman et mon papa qui m’attendent dehors… et ils vont m’ aimer !
_ Bien sûr, bien sûr ! Mais chaque individu est unique et donc complexe… Et puis, il y a les influences, les peurs, les ambitions, les…
_ Oh là ! Oh là, boss ! Le compte à rebours a commencé !
_ C’est le moment des derniers conseils ! S’il te plaît, ne deviens pas un abruti ! Évite les extrêmes ! Elles sont commandées par l’égoïsme ! On distingue deux tribus : les Y a qu’à et les Chez nous !
_ Hi ! Hi ! Qu’est-ce que c’est qu’ ça, boss ? C’est la première fois que vous m’en parlez !
_ Les Y a qu’à disent : « Y a qu’à prendre l’argent des riches pour le donner aux pauvres ! » et les Chez nous disent : « Pas d’étrangers chez nous et tout ira bien ! »
_ Ils n’ont pas l’air très forts, boss !
_ Non, en effet ! Garde la nuance, n’oublie jamais que nous sommes tous pareils ! Respecte les autres, même s’ils sont différents ! N’aboie pas avec les chiens ! Méfie-toi de tes passions !
_ Plus que cinq secondes, boss !
_ Protège-toi du soleil !
_ J’oublie pas ma crème, boss ! Bon sang, j’ai le trac !
_ J’ t’ai même pas parlé du réchauffement…
_ On s’embrasse ?
_ Bien sûr qu’on s’embrasse ! T’es un brave petit ! J’ suis fier de toi !
_ Ça s’ouvre, Boss ! Ça s’ouvre !
_ Vas-y fonce ! Y a pas mieux ! »
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Les enfants Doms (T2, 181-185)
- Le 03/06/2023
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"C'est pour le sexe, baby!"
Les Chevaliers du ciel
181
Une autociel va tellement vite qu’elle crée un cyclone ! Elle déplume les oiseaux au passage et la police finit par l’arrêter ! Dans l’autociel, la musique est à fond et douze enfants, assis à l’arrière, regardent médusés les policiers qui s’approchent ! Le conducteur est contraint de baisser sa vitre et de la fumée de cannabis s’échappe lourdement !
« 400 km/h ! s’écrie le policier, qui doit chasser la fumée, pour ne pas être incommodé. Et probablement usage de stupéfiants !
_ C’est pas c’ que vous croyez, m’sieur l’agent !
_ Ah non ?
_ Non, j’ dois aller voir un client… et ça urge !
_ Un consommateur ? »
L’homme hausse les épaules… « Permis de conduire et papier du véhicule ! reprend le policier.
_ Ben, j’ai passé mon permis hier ! J’ai pas encore le réflexe d’emporter tout ça avec moi... »
A cet instant, une aile du véhicule cède quand l’un des agents fait légèrement pression dessus ! « Bon, dit le premier policier. L’autociel va rester là et on va ramener les enfants chez eux… Vous, par contre, vous êtes condamné !
_ Ne me dites pas que…, s’inquiète le conducteur.
_ Oh si ! »
L’homme se met à pleurer ! Il sait ce qui l’attend et c’est insupportable ! Bien d’autres et de plus riches que lui, des notables, ont craqué en effectuant la peine dont il est question ! D’ailleurs, personne n’y résiste et la plupart en sont marqués à vie ! Face au « délinquants » de la route, la justice a montré ses muscles ! Mais c’est efficace, car chaque jour des hommes et des femmes subissent le nouveau traitement et se tiennent par la suite à carreau !
Mais quel est donc celui-ci ? Il ne s’agit plus d’une amende, ni même d’un retrait de permis, ni de la confiscation du véhicule… On est allé beaucoup plus loin ! On s’est demandé qu’est-ce qui pouvait être le plus terrible aujourd’hui pour un automobiliste et on a trouvé !
Cependant, notre homme est conduit dans un centre spécial et après les formalités d’usage, il doit entrer dans une cage de verre, d’une dimension tellement vaste qu’elle n’en paraît pas une prison et qu’elle en devient même invisible en son centre ! Ce qui la fait disparaître au regard, c’est qu’elle est remplie d’une végétation dense, comme si on était dans un sous-bois, parmi les fleurs et les arbres, au bord d’un ruisseau qui serpente et en compagnie d’oiseaux qui chantent et d’insectes colorés, qui fêtent le soleil !
Le délinquant de la route est invité à contempler ce « décor » enchanteur, à se réjouir de toute cette vie, à goûter cette merveilleuse paix, mais hélas ! la réaction est presque toujours la même ! C’est l’angoisse et la panique ! Un peu de silence, ne pas se préoccuper de soi pendant cinq minutes, être devant autre chose que son reflet plongent le contrevenant dans une horreur indescriptible et pratiquement à tout coup, il vient buter contre la paroi de verre, criant au secours et la frappant de toutes ses forces !
Deux gardiens, en blouses blanches, sont chargés de veiller au bon déroulement de la peine et ils en ont vu des choses ! Des riches leur ont proposé des millions, des politiques un poste important, des stars leur corps ! On supplie ces gardiens, on leur promet monts et merveilles, puis on les insulte et les menace, quand on voit qu’ils demeurent sourds ! Leurs nerfs sont mis à rude épreuve et c’est pourquoi ils reçoivent un entraînement sévère !
Malgré tout, certains d’entre eux en viennent à douter, tant ils voient de souffrance ! N’est-ce pas une peine trop atroce, disproportionnée, se demandent-ils. Évidemment, à ce moment-là, des carcasses calcinées, des corps encastrés et sanguinolents leur reviennent à la mémoire et les durcissent, mais derrière la paroi les visages ne laissent pas de montrer leur détresse !
Le pire, c’est quand un papillon ou une graminée semblent s’approcher du contrevenant, surtout si un oiseau, non loin de là, a l’air de surveiller ce qui se passe, car alors le complot de la nature, son désir de nuire et de perdre l’homme éclatent au grand jour ! Le contrevenant n’est plus qu’une loque et il s’écroule, avec quelques derniers gémissements ! Quel gardien n’a pas été tenté, à cet instant, de jeter à son propriétaire son Narcisse, afin qu’il se sauve de ce monde vert, comme on lance une bouée à ceux qui se noient !
182
Le commando Science envoie certains de ses hommes vers une nouvelle mission et le camion qui les transporte cahote dans la brume ! A l’arrière, sous la bâche, le professeur Ratamor s’inquiète de ce que son voisin, un nommé Bjork, aiguise son couteau avec une sorte d’ivresse ! Malgré le bruit et les tressauts, Ratamor demande : « C’est pour couper du papier ? »
Surpris, Bjork arrête son geste, semble exaspéré par ce qu’il vient d’entendre et puis finalement répond : « Nan, c’est pour trancher la gorge de ceux qui nous envoient dans le mur !
_ Qui ça ? crie presque Ratamor, pour couvrir les cliquetis du camion.
_ Les néolibéraux ! Le gouvernement si tu préfères ! Tous ces champions de l’inaction climatique ! »
Ratamor a un sourire figé, pour montrer qu’il a compris et la conversation s’arrête là, car encore plus troublé, le professeur essaie de se rappeler qui est Bjork… D’après ses souvenirs, c’est un spécialiste de la mécanique quantique… C’est donc un homme qui sait qu’à dix puissance moins trente secondes ou à quelque chose près, la matière triomphe du vide pour créer l’Univers ! C’est dire si on a eu chaud et cela devrait relativiser les passions ! Mais pas celle de Bjork, qui joue maintenant avec ses grenades !
« On va baiser tous ces suceurs de sève ! marmonne-t-il. Une ou deux comme ça et envolé leur crachat de coucou ! »
« Apparemment, Bjork a des notions de jardinage », songe Ratamor qui maintenant s’agace lui-même, comme si la bêtise et la haine de son voisin étaient en train de couler dans ses veines ! « Tout doux, se dit le professeur, d’abord parce que la colère rend malheureux son propriétaire ! Ensuite, parce que je viens de la petite bourgeoisie et donc d’un milieu plutôt à droite, qui aime l’ordre et non l’agitation de la gauche ! Je ne dois donc pas me laisser influencer par mon origine, d’autant que je connais parfaitement son hypocrisie et son égoïsme froid !
Mais, tout de même, comment un homme apparemment aussi intelligent que Bjork peut-il être aussi naïf et aveugle ? Est-ce qu’il a jamais existé un gouvernement donnant satisfaction à sa population ? On a haï le parlementarisme, comme on accuse aujourd’hui le trop grand pouvoir du Président ! Il y a toujours eu des troubles et croire qu’un nouveau gouvernement ou qu’une nouvelle République puissent changer radicalement les choses, ainsi qu’on leur donnerait un coup de baguette magique, c’est de l’enfantillage, une aberration ! La solution à notre bonheur n’est pas politique !
D’autre part, pourquoi le libéralisme s’est-il peu à peu imposé partout dans le monde ? Mais parce que ce « système », aussi injuste soit-il, permet à notre égoïsme naturel de se développer ! Chacun dispose a priori de la possibilité de s’enrichir et de prendre de l’importance et c’est ce qui fait que l’économie fonctionne et qu’elle est à même d’assurer une protection sociale ! Sans entreprises, pas d’emplois, ni de cotisations !
Lutter contre notre nature par la force, comme l’a fait le communisme, ne peut que conduire à l’échec ! Les hommes ne changent que parce qu’ils comprennent que c’est dans leur intérêt ! Mais, pareillement, on ne peut pas espérer diriger un pays si les richesses restent toujours dans les mêmes mains, car dans ce cas on rend impossible le développement de la majorité, qui finit par se révolter !
Pas simple ! Pas simple ! On dirait même qu’on est dans une impasse ! Mais, si la solution n’est pas politique, elle ne peut être qu’individuelle ! C’est à chacun de changer, pauvre ou riche, en diminuant son égoïsme, ce qui implique la reconnaissance de l’autre, quel qu’il soit, avec sa différence ! Cela veut dire qu’on doit aller vers la nuance, la compréhension, ce qui exclue les extrêmes, tous les radicalismes, qu’ils soient de droite ou de gauche ou encore religieux ! Car c’est bien notre mépris, notre suffisance, notre impatience, notre violence au quotidien qui nous pourrissent la vie, qui la rendent insupportable ! Le mur de l’égoïsme nous tombe chaque jour sur les pieds !
Cependant, respecter l’autre, surtout s’il nous est contraire, demande de la force et de la persévérance ! C’est le résultat d’un long travail sur soi ! d’une longue patience ! C’est l’histoire d’un renoncement compris et admis ! C’est la véritable richesse, celle de la paix, de la liberté intérieures ! C’est le rayonnement de la sagesse ! Cela demande tout de même de lutter contre sa propre domination, de comprendre qu’on ne triomphe pas sur ses adversaires ! C’est approcher une sorte de tristesse, celle qui apparaît quand on grandit et qui est bientôt remplacée par la joie d’évoluer !
Rasséréné, Ratamor se tourne vers Bjork et lui dit : « Tu sais, ceux que tu veux tuer sont aussi des êtres humains ! Ils ont tous leur complexité ! Tu ne peux pas les juger d’un bloc, comme ça !
_ Les néolibéraux sont responsables du réchauffement… et on va tous les passer à la broche ! »
Ratamor est pris soudain d’une profonde lassitude et il rajoute ! « T’es vraiment un sacré connard, Bjork !
_ Comment ?
_ Explique-moi pourquoi t’es aussi con ? Pourquoi tu fais pas d’efforts ? Pourquoi c’est toujours aux mêmes d’essayer de comprendre, alors que ceux qui te ressemblent restent des abrutis ? Tu peux m’expliquer ça ?
_ Mais… mais j’ te permets pas de me parler sur ce ton !
_ Bien sûr, tu veux du respect pour toi, mais pas pour les autres !
_ T’es maso, c’est ça ? Tu veux ta ration de coups ?
_ Pourquoi t’es aussi moche ? »
Les deux hommes se donnent des baffes et ils ont l’air de deux pigeons qui se battent !
183
Trois militants écolos, deux gars et une fille, suivent Cariou, après sa brève intervention sur les préparatifs à l’assaut de RAM ! « On a été touché par ce que vous avez dit… au sujet de se pacifier soi-même ! explique l’un. On voudrait mieux comprendre votre point de vue !
_ Vous êtes donc prêts pour la première leçon ? »
Les trois militants opinent et Cariou reprend : « Venez par ici, je vais vous montrer quelque chose ! » Ils prennent un étroit sentier parmi des orties et ils débouchent sur un terrain vaseux, où disparaissent presque deux lavoirs ! « Voici les magnifiques vestiges d’un temps passé ! dit Cariou. Vous remarquerez la beauté, l’élégance des pierres qui constituent les lavoirs ! On travaillait à cette époque dans le respect de la nature, car on en avait absolument besoin ! On la craignait même et en tout cas, on en était tellement imprégné qu’on construisait quasiment en harmonie avec elle ! Ceci explique pourquoi les anciennes maisons se fondent si bien dans leur environnement ! Il ne s’agissait pas de s’imposer, d’écraser, comme on le fait avec le béton de nos jours ! La civilisation à présent croit qu’elle peut vivre en autarcie, seulement concentrée sur elle-même, comme si la nature n’était là que pour son service !
Or, nous venons de la nature et c’est elle qui nous apprend qui nous sommes ! Dans les villes, où nous n’avons plus guère de contacts avec la nature, nous devenons fous et violents, car notre ego y est exacerbé ! Rien ne vient le calmer, l’apaiser, puisque c’est le temps de la nature qui peut faire évoluer le nôtre ! C’est elle qui nous aide à mûrir, par la patience notamment !
Mais tout cela ne doit pas vous être étranger, n’est-ce pas ! Alors, voilà ce que vous allez faire : puisqu’on veut rendre toute sa valeur à l’eau, il est normal de l’entretenir où qu’elle soit ! Vous allez donc nettoyer ces lavoirs et leurs abords ! Il faut qu’une eau limpide ici réjouisse la vue et qu’elle circule librement, comme si elle pouvait être heureuse elle-même ! Je vous apporte les outils, d’accord ? »
Les militants un peu surpris finissent par approuver et bientôt le travail commence ! Il est pénible : la boue est difficile à enlever, il faut racler maintes fois la pierre ! Les bras sont couverts de vase et écorchés par les ronces ! On se retrouve souvent dans une jungle inextricable ! De la poussière végétale s’en échappe et se fixe sur la peau en sueur ! Le soleil tape aussi et les orties et les moustiques continuent de piquer ! La tâche paraît gigantesque, sans fin et après quelques heures, il y a des murmures, de la fatigue et du découragement ! Les militants viennent voir Cariou et ils ont l’air gênés : « Dites, euh… fait l’un. Voilà, c’est sûr que ce travail est utile et nécessaire ! On voit bien le changement : il y a beaucoup plus de lumière et le coin a l’air à nouveau de respirer ! Mais on se dit aussi qu’on pourrait être plus efficaces en rejoignant les autres, qui préparent l’attaque de RAM ! Car ce sont les gros pollueurs qu’il faut faire changer ! Hein ? Ici, c’est une goutte d’eau ! D’ailleurs, on r’viendra ! On f’ra ça après ! Faut pas nous en vouloir ! On n’est pas des paresseux ! On pense seulement qu’il y a des priorités !
_ Oh ! Mais je ne vous en veux pas ! Votre réaction était prévue et elle est bien normale !
_ Qu’est-ce que vous voulez dire ?
_ Pourquoi le découragement vous atteint ? Mais parce qu’ici c’est un combat sans gloire ! Votre ego y est peu intéressé, d’autant que vous n’êtes pas payés ! C’est un travail obscur, ingrat, et qui demande beaucoup de patience ! Par contre, l’affrontement avec les forces de l’ordre est bien plus amusant, entre guillemets ! D’abord, vous êtes sur le devant de la scène ! Ensuite, c’est votre individualité qui est concernée ! Il s’agit quasiment d’un test pour chacun d’entre vous ! Serez-vous assez courageux, assez forts pour l’emporter ? C’est la domination animale qui est en vous qui défend son territoire psychique, vos convictions si vous voulez !
_ Oui, vous avez sans doute raison… Nous sommes jeunes aussi et nous avons besoin de nous connaître !
_ Exactement ! Mais ma première leçon, la voici : n’oubliez pas qu’en plus de votre cause, vous agissez pour votre ego ! Car vos adversaires ont le même comportement ! Eux aussi, grâce à l’argent et au pouvoir, ils veulent se sentir supérieurs et vaincre, d’où leur pollution ! Mais de de votre côté comme du leur, c’est l’égoïsme qui compte, même si vos raisons peuvent paraître justes ! Entre vous et vos adversaires, il n’y a que les moyens qui changent ! Eux utilisent l’argent, le commerce, et vous, vous êtes plus violents, plus physiques ! Mais c’est tout !
_ Mais on ne peut pas les laisser faire !
_ Mais ce que j’essaie de vous faire comprendre, c’est que la domination animale est une impasse ! A votre attaque correspond une défense et vous ne faites que renforcer la haine et les convictions de vos adversaires ! Car bien entendu vous ne pouvez pas non plus songer sérieusement à les détruire ! On ne tue pas les gens, n’est-ce pas !
_ Mais alors qu’est-ce que vous préconisez ?
_ Mais comme je l’ai déjà dit, vous vous pacifiez d’abord ! C’est-à-dire que vous calmez votre ego, notamment au contact de la nature ! Vous devenez heureux en étant en paix, car vous ne vous blessez plus et vous voilà prêts à aimer la différence, à ne plus l’agresser à cause de vos peurs et de votre soif de reconnaissance ! Votre adversaire, rassuré, vous écoute enfin et essaie lui-même de s’améliorer…
_ Mais il y a urgence ! On ne peut pas attendre tout ce temps-là !
_ Ah bon ? Vous ne voyez toujours pas que nous sommes dans une impasse ! »
184
Angoisse, que fais-tu sous le ciel bleu ?
Je dis à l’homme que toutes les portes sont fermées !
Qu’il n’y a pas de futur, ni de plaisirs !
Qu’invariablement ce sera toujours la même chose !
Je serre l’esprit dans un étau
Et je presse, lentement, inexorablement !
Je désespère, j’épuise, j’effraie, je torture !
Je réveille les débats oubliés !
Je rouvre les puits sans fond !
Je montre des tunnels pleins de cauchemars !
Et je regarde l’homme qui veut s’échapper !
Il veut acheter quelque chose…
Pour se donner d’ l’air !
Pour sentir que les choses bougent !
Qu’il n’est pas abandonné !
Qu’il a encore quelque importance !
J’ comprends ça ! J’ai pitié d’ lui, vous savez !
Alors, j’ lui dis : « Mais t’as pas un nickel !
Tu l’as dans l’os ! »
Et j’éclate d’un gros rire !
J’ lui donne même une grande claque dans le dos, tellement ça m’ fait marrer !
Puis, j’ rajoute : « Va falloir trouver autre chose, mon bonhomme !
J’ suis sûr que tu peux apaiser tes frustrations par un autre moyen !
Car t’as des blessures évidemment !
Le monde est plein de poisons !
Hein ?
Y en a qui disent ce qu’ils ont sur le cœur
Et tu sais que c’est pas vrai,
Qu’ils sont des hypocrites !
Mais qui leur répond ?
Pas toi en tout cas, hi ! hi !
T’es inconnu au bataillon !
Personne ne t’écoute !
Tant pis pour la vérité !
Et puis : « Qu’est-ce que la vérité ? », comme disait l’autre !
Te voilà en plein désert,
Mourant de soif !
T’es prêt pour la brûlure !
Celle de la haine !
Elle te marque au fer rouge !
Et tu danses !
Elle te fouaille l’estomac !
Et tu voudrais rugir,
Arracher les yeux !
Je suis la vieille angoisse,
Comme la mer qui descend !
J’assèche, je vide les cœurs
Sous le ciel bleu !
Tu rêves d’espoir ?
D’un souffle frais ?
Trouve des coupables !
Fustige-les !
Détruis-les !
Non, tu penses que c’est mal ?
Tu es plus intelligent que ça ?
Tu ne crois pas à cette fausse libération ?
Tu ne veux pas de la haine ?
Bien, bien, tu es une belle âme !
Chapeau !
Tu es meilleur que tous ces veaux !
Mais je suis toujours là
Et je te raconte que ce sera toujours pareil !
Que tu es enfermé !
En prison !
La cellule étant toi-même !
Et de nouveau t’as peur
Et tu es triste !
Tu tapes dans les murs
Et pourquoi on ne te répondrait pas ?
Et pourquoi on ne te sauverait pas ? »
185
« Professeur Citron, bonjour !
_ Bonjour !
_ Alors, un nouveau livre…
_ En effet…
_ Ça paraît chez Machin et ça s’appelle…., ça s’appelle, euh…, Le Nouveau royaume ! Voilà !
_ Oui, oui !
_ Alors, professeur Citron, je rappelle un peu qui vous êtes…, même si on connaît bien vos livres aujourd’hui, puisque c’est votre deux centième ! Mais enfin, vous êtes directeur au PNRS, section sociologie et cristallographie ! Vous êtes encore un spécialiste des séismes en haute altitude, conseiller permanent au siège de la fondation Bax, un think tank qui se consacre au bien-être des sociétés !
_ Oui, j’ai cet honneur-là… et je dois dire que nous avons beaucoup de travail, car la situation est très préoccupante !
_ On va y revenir, car c’est aussi le sujet de votre nouveau livre en filigrane ! Vous êtes aussi président de l’UGELEC, qui gère l’eau de plusieurs villes ! On vous retrouve dans la revue Beau printemps, où chaque lecteur connaît bien votre chronique et s’en délecte !
_ Et moi aussi ! C’est toujours un véritable plaisir que de participer à cette revue, notamment avec mon camarade Tomate qui la dirige !
_ Vous ne perdez pas de vue la recherche scientifique cependant, car chaque année vous êtes de ceux qui décernent la fameuse bourse Curie, au projet le plus novateur !
_ Mes amis et moi, nous tenons absolument à favoriser la jeune science, car elle est l’avenir ! Pour cela bien entendu, elle doit être aidée financièrement…
_ Mais l’art également vous intéresse ! Auteur de plusieurs recueils de poèmes, comme l’Etalon qui a été salué par la critique, vous siégez au Comité de la muse, qui chaque année distingue un nouveau talent littéraire, en lui remettant le prix Bourgeon !
_ Oui, l’art est une richesse de l’homme, c’est l’un de ces ornements… et la science ne doit pas l’oublier ! Que serait nos vies sans les fleurs, même si leur éclat n’est que sexuel ? Ah ! Ah ! Mais notre société possède une grande culture et le beau texte fait partie de son patrimoine !
_ C’est un poète qui parle ! Et, même si c’est un peu un secret, je dois quand même le dire : vous êtes en passe de devenir un académicien !
_ Oui, hi ! hi ! Des amis ont la bonté de penser à ma candidature ! Car moi-même, je n’y aurais jamais songé ! Je sais qu’il y a là-bas des géants et ma foi, tant mieux s’ils m’acceptent dans leur ombre !
_ Ce qui étonne chez vous, Albert Citron, c’est cette modestie, cette humilité tranquille, qui semble vous caractériser, alors que je n’ai fait qu’ébaucher un dixième de vos occupations ! On se demande comment vous pouvez garder la tête froide !
_ Oh ! Mais c’est assez simple : j’ai foi en l’homme ! Je crois que la raison peut nous aider à garder de la retenue et même, même nous rendre satisfaits de ce que nous avons, sans désirer plus ! C’est là, à mon sens, la clé du vivre ensemble !
_ Vous me donnez la transition pour parler de votre livre, car le personnage principal est un père de famille, qui apparemment est heureux auprès des siens, en remplissant ses devoirs, puisqu’il veille à la sécurité et au bonheur de tous, mais en même temps c’est un révolté ! Quelque chose le gêne ! Il sent une colère monter en lui, contre ce qui est en quelque sorte un plafond de verre ! Est-ce que vous pouvez nous expliquer un peu mieux ça, Albert Citron ?
_ Oui, cet homme, qui ne veut que l’épanouissement de ses enfants, est peu à peu choqué par ceux qu’il va appeler les accapareurs du pouvoir ! Ils découvrent que certains n’en ont jamais assez, qu’ils cumulent les postes, qu’ils sont bien entendu assoiffés d’argent et qu’en fait ils sont en train de contrôler le monde…
_ Je rappelle que vous-même, vous venez d’une famille communiste…
_ Oui, j’ai eu la chance d’avoir un père, qui m’a expliqué que le but de l’homme, c’est l’homme ! Ce n’est pas l’argent, ni le pouvoir, ni les honneurs ! C’est la camaraderie et le partage !
_ Il faut dire que votre personnage du père va se retrouver accusé, à tort, d’avoir fraudé le fisc !
_ En effet, il devient la victime de loups de la finance !
_ Il dénonce un complot néolibéral !
_ Il va se défendre et partir en croisade contre l’égoïsme !
_ Il s’agit pour lui de se faire entendre à tout prix ! Et il va même participer à un célèbre concours de chansons ! C’est là que l’homme de science, que vous êtes, s’efface devant la fantaisie de l’artiste ! Vous voilà plein d’imagination !
_ Oui, ah ! ah ! Notre homme va pousser la chansonnette pour la bonne cause !
_ Il va même gagner le concours !
_ Il a une belle voix !
_ Est-ce aussi votre cas, Albert Citron ?
_ Oh ! Oh ! Disons que je me place dans les bons ténors, mais pas dans les meilleurs bien entendu !
_ Alors, on ne va pas raconter la fin du livre, car c’est un récit palpitant, plein de rebondissements et de surprises, mais, Albert Citron, on ne peut tout de même pas s’empêcher de penser que le personnage, c’est vous, non ?
_ Ah ! Ah ! Chacun jugera, mais il est vrai que je partage l’indignation de mon personnage ! Nous vivons dans une société où un très petit nombre s’est mis en tête de tout diriger ! Du matin au soir, on doit les écouter, suivre leurs humeurs, s’intéresser à leur petite personne… Bref, on doit être quasiment à leur chevet, alors, alors qu’il y a tant de gens qui souffrent ! Et qui souffrent dans l’anonymat, qui n’ont pas voix au chapitre ! Je dis attention, danger !
_ On a bien compris votre combat, mais on peut quand même dévoiler un détail, qui va enchanter nos auditeurs ! Votre personnage a le même tatouage que vous !
_ Mais… mais qui vous a dit ça ? C’est… c’est intime !
_ Je ne vous le dirai pas, hi ! hi ! J’ai aussi mes informateurs ! Mais vous pouvez nous dire un mot sur ce tatouage…
_ Si vous y tenez…
_ C’est une allégorie de la justice, je crois…
_ C’est vrai, car c’est ma conviction la plus profonde, la justice sociale !
_ Juste un peu au-dessus de la fesse, hi ! hi !
_ Disons sur la côte…
_ La côte d’azur, où vous avez une villa !
_ Un mas rénové, pour être plus juste, c’est quelque chose de très simple !
_ Décoré par Delcroix !
_ Mais enfin vous connaissez tout sur moi !
_ Vous êtes incontournable ! »
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Les enfants Doms (T2, 176-180)
- Le 27/05/2023
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"Mais c'est la maison Poulaga! T'as pas une tige, Borniche?"
Flic story
176
Madame Pipikova présente à la classe de rééducation matérialiste un nouveau personnage… « Voici le camarade syndicaliste Non, dit-elle. Non est bien son nom… Je vous demande de l’applaudir ! » Toute la classe se lève et bat des mains à tout rompre, puis le calme revient… « Camarade Piccolo, fait madame Pipikova, vous avez été le premier à cesser d’applaudir ! Je n’en suis pas étonné et je le note ! Mais nous verrons ça plus tard ! »
A présent, elle se tourne vers le nouveau venu : « Camarade Non, vous allez nous décrire votre travail…
_ Non.
_ Non ? J’ai mal dit votre nom ?
_ Non.
_ Alors pourquoi vous ne voulez pas… Ah ! J’oubliais ! Pour que vous fassiez quelque chose, il faut vous demander le contraire de ce qu’on veut ! C’est bien ça ?
_ Non.
_ Non ? Ah ! Ah ! Vous avez encore failli m’avoir ! Camarade Non, taisez-vous !
_ Bien, je vais vous décrire mon travail… D’abord, je voudrais dire que la dernière fois où j’ai dit oui, c’était pendant mon enfance ! Vous voyez, ça remonte à loin ! Mais, à l’époque, j’étais jeune et naïf et j’ai été trompé par ma grand-mère, qui me proposait une part de gâteau ! Depuis j’ai ouvert les yeux et je ne me laisse plus faire !
_ Camarade Non, ne répondez pas à cette question : « Qu’est-ce qui a motivé votre engagement ? »
_ Je ne supporte pas le pouvoir sous toutes ses formes ! C’est bien simple, il me rend malade !
_ Vous n’êtes pas gêné par l’oppresseur !
_ Voilà, il m’angoisse terriblement !
_ Car vous voulez vous-même le pouvoir !
_ Exactement, mon seul but est la justice sociale !
_ Vous êtes l’oppresseur !
_ Je suis le bon camarade !
_ Ne nous en dites pas plus !
_ Je vais vous donner quelques précisions ! Le pouvoir est partout ! C’est l’ennemi numéro un ! C’est un combat incessant et sans pitié que de lutter contre lui !
_ Mais il faut quand même un leader !
_ C’est vrai ! C’est le parti qui doit régner !
_ La corruption n’est donc pas liée à notre égoïsme !
_ Elle vient des mauvais camarades !
_ Mais nous voulons tous être les plus forts naturellement !
_ Vous avez raison, l’homme, venant de l’animal, est bon !
_ Et vous n’avez pas d’orgueil !
_ Seul le patronat en a ! Mais cessez un peu de me questionner comme ça ! J’ai… j’ai peu à peu l’impression que vous cherchez à me supplanter !
_ Vous rigolez ! Moi, j’ bosse moi !
_ Qu’est-ce que ça veut dire ?
_ Rien, rien, mais vous avez l’air d’apprécier votre statut de star, alors que le travailleur souffre !
_ Mais nom d’un chien, qu’est-ce qui m’a foutu une éducatrice pareille ?
_ Tous les mecs jouent les gros bras, de toute façon !
_ Ça y est ! Je suis sexiste maintenant ! J’ai le malheur d’être un homme !
_ Escroc !
_ Morue !
_ Qu’est-ce que vous avez dit ?
_ Euh… Je crois qu’il faudrait rappeler à notre auditoire qui est notre vrai ennemi et c’est… ? »
Tout le monde se lève et crie : « Le capitaliste !
_ Pourquoi ?
_ Parce qu’il a le pouvoir !
_ Le pouvoir…
_ Que nous voulons tous !
_ Pour ?
_ Pour le travailleur !
_ Ils sont bien ! reconnaît Non.
_ Oui, j’essaie d’effectuer au mieux ma tâche, répond madame Pipikova. Mais vous savez combien c’est difficile !
_ Je sais, je sais… Écoutez faut qu’ j’y aille ! (Il consulte sa montre.)
_ Bien sûr, alors au revoir !
_ Non.
_ Ah ! Ah ! Où ai-je la tête ? Évidemment, restez !
_ D’accord, je pars... »
A cet instant, Piccolo se lève et se met à applaudir, à crier : « Bravo ! Bravo ! » et à siffler ! C’est une acclamation sans précédent, d’autant qu’elle est solitaire !
177
La Justice sociale va chercher son pain… « C’est pas vrai ! s’écrie-t-elle, quand elle s’aperçoit qu’il y a une petite queue dans la boulangerie. C’est pas vrai ! C’est pas possible ! Mais c’est pas vrai ! » Elle n’en revient pas ! D’autres sont devant elle et il va falloir attendre ! Quelle contrariété ! Si ça ne tenait qu’à elle, personne ne se trouverait sur son chemin, à la retarder ! Enfin, elle doit tout de même faire comme tout le monde et prendre patience !
Mais réellement elle est incapable de se calmer et elle s’offusque de la présence du grand type qui la précède : « Qu’est-ce qu’ ce gazier ? Pour qui il se prend ? Il est là comme un rocher, comme s’il faisait la loi ! Il ne me considère même pas ! Pourtant je pousse ! C’est un comble ! J’ suis tout de même la Justice sociale ! Encore un d’ ces aristos qui s’ croient supérieurs !
Qu’est-ce que j’en ai marre ! J’ supporte pas d’attendre ! J’ai d’ la haine contre tous ceux qui ne font pas attention à moi ! Surtout ce matin ! Quand je vois comment les autres se gobergent ! Les stars par exemple ! Et ça se pavane sur le tapis rouge ! Quelle bande de tartes ! Déjà des vieilles peaux ! J’ ferais mieux ou tout aussi bien ! Pourquoi elles et pas moi ? J’en ai marre de ma vie grise ! Toujours la même rengaine ! Oh ! Qu’est-ce que je souffre !
Et y a ce grand type devant qui semble indifférent ! Pour qui il s’ prend ? Je pousse et il bouge pas ! J’suis pas rien, bon sang ! Comme si j’avais qu’ ça à faire, attendre derrière des gens qui s’ croient supérieurs ! L’égalité sociale, voilà ce qu’il faut ! Mettre tout le monde sur le même pied ! En bas, les fanfarons, les snobs, tous ceux qui méprisent ! Allez avance grosse vache ! On va pas y passer la matinée !
Au magasin, j’en ai ras-le-bol aussi ! Les clients m’ sortent par les trous de nez ! Vendre des chaussures, en disant : « Oui, madame, c’est du trente-huit ! C’est normal que ça serre un peu ! Elles vont s’ faire ! », j’en ai ma claque ! Pour c’ que ça m’ rapporte ! Déballer, remballer, courir à la réserve, aider un pied douteux, c’est pas une vie ! Même l’odeur du cuir, ça m’ pèse ! Et puis le magasin est sombre comme un trou à rat ! J’en ai les larmes aux yeux, certains matins ! Et devant, qu’est-ce que je vois ? Mais ce type indifférent ! Encore un qui est plein aux as ! Il semble pas richard pourtant !
Alors pourquoi je le déteste ? J’ sais pas ! C’est qu’il…, oui, c’est ça, je dois bien me l’avouer, c’est qu’il paraît heureux ! Il est là tranquille, il ne montre aucune impatience ! Mon énervement ne l’atteint même pas ! Comme si j’étais insignifiante ! Moi, la Justice sociale ! Il me renvoie à ma petitesse, à ma vie grise, à mon anonymat et c’est pourquoi j’enrage ! S’il avait peur, s’il se pressait sous mon influence, je sentirais mon pouvoir, ma valeur ! Mais là, c’est comme si je n’existais pas ! Je hais ce type ! Je le hais de toute mon âme ! On doit trembler devant moi ! La paix d’ ce type, elle me fait vomir !
Oh ! Mais j’ vais pas le rater ! Attends un peu… Qu’est-ce que je pourrais bien lui faire ! Car pour moi, pas question d’essayer de comprendre ! Pas question d’essayer d’avoir la même tranquillité ! Pas question de demander comment on peut être heureux comme ça ! Y manqu’rait plus que je m’humilie ! que je paraisse ignorante ! J’ suis pas une demandeuse, moi ! J’suis déjà assez bas comme ça ! L’injustice, j’ connais par cœur ! Faut qu’on paye maintenant ! Les riches au poteau ! Les privilégiés à la rue ! Qu’ils tâtent aussi d’ mon enfer !
Mais je vais m’ faire ce type ! J’ vais l’ détruire ! Voyons voir… Quand la boulangère va me demander ce que je veux, j’ vais parler haut et fort au-d’ssus d’ ce type, comme s’il n’était qu’une chose insignifiante! une poussière, un rebut ! Humilié, écrasé le type ! Ou bien, quand il va se retourner avec son pain, je vais bloquer le passage l’air effaré, comme si j’étais en face de quelque monstre inadapté ! J’ veux qu’ le type se sente gauche, de trop ! Ou bien encore, j’opte pour le vieux truc : un coup de coude quand il passe à ma hauteur ! Oh, pas fort ! Faut pas qu’ ça dégénère ! Ça doit rester comme un accident !
Mais j’ veux transmettre ma haine, toute ma haine ! Car personne ne me considère et ce type encore moins qu’un autre ! C’est pas qu’il me méprise, j’ai même pas croisé son regard ! Mais c’est son indifférence que je n’ supporte pas ! On doit s’occuper d’ moi ! A ce propos, il est l’heure d’aller manifester ! La Justice sociale n’attend pas ! Y vont voir c’ qu’y vont voir ! On s’ laissera pas faire ! Les aristos à la lanterne ! On paye ! On paye ! Ah ! Ça ira ! Ça ira !
Tout de même ce type, à la boulangerie, une énigme ! Car c’était pas un richard ! Alors comment il fait pour être heureux ? »
178
Rimar fait un cauchemar… Où est-il ? Il n’y a pas de murs, ni de végétation, ni de ciel… Tout semble gris et Rimar ne voit même pas son corps ! Alors où est-il ? Il entend soudain des gémissements, des pleurs, des cris de douleur ! Il s’avance et voit des enfants couchés dans du sang… Ils ne bougent pas, ils sont morts, puis viennent ceux qui sont blessés, avec des pansements et des larmes ! Ils souffrent et des yeux regardent étrangement Rimar, comme s’il était un monstre !
Cependant, deux enfants, un garçon et une fille, viennent donner leurs mains à Rimar, qui les prend ! Ces enfants-là n’ont pas de haine, ils accompagnent juste Rimar et celui-ci sent la chaleur de leurs petites mains ! Le roi commence à pleurer et c’est plus fort que lui ! C’est qu’il prend conscience du désastre, car l’enfant qui est en lui se réveille et reprend sa place ! Finis le mensonge, la haine, la peur de l’adulte ! Finis la politique, les grands discours, les apparats du pouvoir ! Rimar sanglote, non seulement à cause du malheur dont il est responsable, mais aussi parce qu’il se retrouve enfin, mesurant combien il s’est perdu lui-même !
Avec le retour de son innocence, c’est toute sa folie, sa cruauté qui lui deviennent évidentes ! Les corps sans vie l’accusent et il est horrifié ! Il se réveille brusquement en sueur et il doit se retenir pour ne pas crier ! Il a été un enfant lui aussi, bien entendu ! Il était même plutôt sage, timide, aimant ! Il désirait plaire et il s’enchantait de la nature, de sa force et de sa vie ! Et voilà qu’il avait tué d’autres enfants ! Que s’était-il passé ? Son égoïsme, son orgueil l’avaient entraîné trop loin ! Il avait cru bien faire, mais il avait dépassé les bornes ! Il avait associé sa puissance à celle de son pays et plus il se montrait fort et plus celui-ci l’était également ! Il avait chassé tous ses adversaires dans ce but, parce qu’ils menaçaient la stabilité et le développement du pays !
Mais vouloir dominer, être supérieur, c’était encore mépriser, écraser, détruire… et il avait commis l’irréparable ! Il était devenu un tueur d’enfants, un despote, un tyran, un monstre ! Ce cauchemar était pour lui un avertissement : il se savait damné ! Il fallait réparer, s’amender, demander pardon ! Il fallait tout arrêter, retirer ses troupes de la Kuranie, il était encore temps ! Le massacre devait cesser !
Rimar se rongeait les sangs ! Il était en proie à la plus vive angoisse et il décida d’aller parler à Fumur, le chef religieux ! Celui-ci comprendrait le trouble, le revirement, les regrets de Rimar, son sentiment de culpabilité, car n’était-il pas un homme près de Dieu, attaché la vérité, à la paix, à la bonté ! Ne serait-il pas heureux de voir un assassin, oui, un assassin, reconnaître ses crimes ? Ne serait-ce pas là comme le retour de l’enfant prodigue, amenant la joie de Dieu ? La grandeur divine n’en serait-elle pas éclatante ?
Mais, à la grande surprise de Rimar, Fumur entre dans une colère folle, en apprenant les nouveaux sentiments du roi ! « Mais tu veux ridiculiser le pays ? aboie-t-il au nez de Rimar. Mais t’es complètement givré, ma parole !
_ Je n’ te comprends pas ! J’ai envahi la Kuranie injustement, par orgueil, pour sentir ma puissance ! parce qu’au fond je ne supporte pas qu’on m’échappe, parce que je voulais être le maître ! Or, Jésus lave les pieds de ses disciples, pour bien leur faire comprendre qu’il n’y a pas de maître ! seulement des enfants ! Et j’en tue ! Tu m’entends, j’en tue ! Je suis une abomination aux yeux de Dieu !
_ Mais non, tu es l’un de ses fidèles serviteurs ! Regarde ce que tu as fait pour notre Eglise ! Tu l’as redressée, tu as remis à l’honneur le culte, tu as réparé les édifices qui en avaient besoin et tu en as construit de nouveaux ! Grâce à toi, Dieu n’est plus un paria dans ce pays ! Il t’en est reconnaissant, n’en doute pas !
_ J’ai fait cela pour mon orgueil et celui du pays ! Ce n’est pas par véritable amour… et le résultat, c’est la mort d’innocents !
_ D’innocents ? Des enfants de canailles et d’impies ! Tu l’as dit toi-même, tu combats la décadence et le péché !
_ Assez ! Je sais bien pourquoi au fond j’ai agi !
_ Et qu’est-ce que tu veux ? qu’on ait l’air complètement idiots sur la scène internationale ? « Excusez-moi, mesdames, messieurs, j’ crois que je me suis trompé ! Oups ! »
_ Il y aura évidemment de la casse ! Mais je ne peux pas continuer à être un tueur d’enfants ! C’est Dieu lui-même qui m’a envoyé ce message ! Si tu avais vu leurs yeux ! J’ai été éclairé !
_ Pauvre taré ! Y s’ra pas dit que tu nous mettras d’ dans ! »
Fumur prend un poignard et le plante dans le roi, qui suffoque et agonise ! « C’est pour l’amour de Dieu ! » dit encore Fumur, qui regarde mourir Rimar.
179
Après la chute de Rimar, un bruit court dans RAM : les militants écolos se préparent à attaquer la ville ! Des commerçants, des banquiers prennent peur et s’agitent ! On protège les devantures, les vitrines, on se souvient des violences de l’extrême gauche ! On sait qu’elle prend pour cibles ce qu’elle considère comme des symboles du capitalisme et plus largement du pouvoir, qui est inévitablement associé au monde de l’argent, de la corruption et de la dictature ! Ce sont bien les exploiteurs et les profiteurs, qui sont à l’origine du réchauffement climatique, dans le cerveau à vif et confus des écolos !
On barricade même certaines rues et des milices de droite, conservatrices, effectuent des contrôles, se mettent en position de défense, car on ne compte plus sur la police et on rêve aussi, il faut bien le dire, d’en découdre, de régler ses comptes, car la colère est comble de chaque côté ! Il y a bien longtemps qu’on supporte les excès du camp opposé sans broncher ! On s’est entraîné pour ce jour J ! La violence de la gauche a provoqué celle de droite et vice-versa ! On ne va pas jusqu’à se rendre compte de cette surenchère, mais au contraire on continue à croire en son bon droit et la relation de cause à effet entre les deux haines demeure occultée ! C’est à qui braillera et frappera le plus fort !
A l’Assemblée, c’est l’ébullition et on se rejette les responsabilités ! Pour la gauche, cette menace qui plane sur la ville vient de l’inaction climatique du gouvernement ! Les orateurs de la droite, eux, fustigent le pompier incendiaire de la gauche, qui appelle régulièrement à mettre le feu aux institutions ! On crie et on s’insulte ! Plus pragmatique, le gouvernement déploie ses forces de sécurité, de sorte qu’elles repoussent l’attaque prévue ! C’est une ambiance de guerre qui s’installe ! L’inquiétude gagne la population et RAM retient son souffle !
Cariou, comme d’autres, veut se rendre compte par lui-même de ce qui se passe véritablement et il prend la direction des plaines asséchées de RAM, là où la mer ne peut plus venir, à cause de barrières de détritus ! Dans cette partie, en effet, on découvre un spectacle grandiose ! Parmi une herbe jaunâtre qui ondoie, une foule est en plein branle-bas, telle une fourmilière dérangée ! Des jeunes en majorité donnent l’impression que les légions romaines sont en train de revivre ! On construit des chars, des engins capables de prendre d’assaut RAM, comme si la ville était entourée de remparts ! On fabrique des machines destinées à un siège, des béliers, des catapultes, avec des matériaux de récupération ! Le bois échoué ne manque pas par ici ! Les mouvements sont coordonnées, le travail d’équipe est absolument nécessaire et on comprend que les jeunes énergies y trouvent leur compte ! Elles ont enfin une belle raison de s’employer : le sauvetage de la planète ! La camaraderie, l’entrain, dans ces conditions, naissent naturellement et le bonheur devient une réalité !
Cependant, Cariou ne perd pas de vue que le but de cette effervescence reste un affrontement, qu’il y aura de la violence et des blessés et que le résultat ne sera pas celui escompté ! On ne change pas les mœurs par la force et la tristesse et l’amertume seront les seuls sentiments qui découleront du champ de bataille ! Aussi Cariou veut-il parler, car il connaît bien les cœurs qu’il a sous les yeux et il se dirige vers un micro, qui sert à encourager tout ce monde ! Sur le chemin, on peut lire sur des pancartes le nom des groupes : « Les Révoltés de l’écorce », « Les Flibustiers de la justice », « Les Loups de l’arc-en-ciel », etc. ! La défense de la nature et l’indépendance de la pensée sont mis en exergue ! On est contre le système, car c’est lui qui réchauffe !
Cariou arrive à convaincre celui qui tient le micro, d’abord parce qu’il dégage une autorité naturelle et ensuite parce qu’on ne refuse pas la controverse ! Cariou peut donc transmettre son message et il commence ainsi, par-dessus les préparatifs : « A quinze ans, je détestais les voitures ! Je m’enfonçais dans les bois, dans l’espoir de les oublier, mais, bien entendu, elles finissaient par réapparaître, car la civilisation est partout !
Je maudissais la société, car je la savais hypocrite et égoïste ! Elle niait et elle continue à nier ses plaisirs ! Elle dit qu’elle détruit la nature par nécessité et c’est faux ! C’est sa soif de pouvoir et sa peur qui font qu’elle s’étend indéfiniment, en réchauffant la planète ! Voilà pourquoi je n’avais que mépris pour elle !
Plus tard, j’ai été choqué de devoir prendre un compte en banque et même d’adopter une signature ! De quoi se mêlait-on ? N’étais-je pas libre ? Je n’ai pas non plus accepté la suppression des cabines téléphoniques à pièces, ce qui obligeait à acheter une carte, et jusqu’au bout j’ai résisté ! Cela peut prêter à sourire, mais, sachant la société mensongère et perdue elle-même, je n’allais pas non plus approuver ses décisions, en ce qui concernait ma liberté !
Qui peut en dire autant ici ? En tout cas, vous voyez bien que je suis de votre bord ! Aujourd’hui, j’ai pratiquement la soixantaine et je vois les choses différemment ! Non que je me sois ramolli ! Je continue à lever les bras au ciel, dès que je vois de nouvelles destructions, de nouveaux chantiers, qui roulent la terre comme si c’était un vieux paillasson ! Mais ma haine, ma violence ont disparu ! C’est qu’entre-temps je me suis pacifié ! Je sais aujourd’hui que je peux faire des choses et d’autres non ! Comme vous tous ici j’ai mes limites ! C’est quand on les dépasse qu’on se blesse, qu’on se fatigue et qu’on perd sa lucidité !
Or, beaucoup d’entre vous sont ici parce qu’ils se demandent s’ils en font assez ! Vous êtes gouvernés par vos inquiétudes, mais celui qui est en paix avec lui-même garde ses forces et cela lui permet de ne pas perdre de vue la complexité du monde ! Celui qui est en paix avec lui-même comprend la différence, il ne la rejette pas ! Or, rien que pour se nourrir les hommes ont besoin d’un travail et des entreprises qui les emploient ! Vous ne pouvez pas jeter ce système brusquement par terre, même si vous jugez qu’il pollue et qu’il y a urgence !
D’autre part, vous n’ignorez pas que la plupart des gens sont paralysés par la peur et comment pouvez-vous imaginer que votre violence puisse les rassurer ? Vous n’allez que renforcer leur hostilité à votre égard ! Vous ne pouvez pas changer les hommes si vous ne les aimez pas, et c’est là que votre paix entre en scène ! C’est là que vous voyez qu’elle n’est pas du temps perdu ! »
A cet instant, un jeune furieux et costaud se précipite vers Cariou et se saisit du micro : « N’écoutez pas les défaitistes ! dit-il. Ils vous diront que tout est inutile et qu’on n’y peut rien ! Nous, nous allons gagner, car nous le voulons ! Qui sauvera la planète ?
_ Nous ! répond la foule, qui connaît déjà cette façon de faire de l’orateur.
_ Qui ?
_ Nous ! »
Cariou hausse les épaules : il n’avait jamais pensé à arrêter les choses… Le plus facile, c’est de suivre sa haine, sa colère ! Mais, tout de même, il sait que ses paroles germeront, surtout quand viendra la déception de la bataille ! On ne détruit pas la différence !
180
« Eh, mais t’es complètement hors-sol, mec !
_ Ah non ! C’est toi qui est complètement hors-sol, mec !
_ Arrête un peu, j’ai jamais vu un mec aussi déconnecté que toi !
_ Quoi ? Question déconnexion, tu bats tous les records ! T’es perdu, man, faut t’ faire une raison !
_ Le mec complètement déconnecté !
_ Le gars hors-sol complet !
_ T’es violent, on dirait ! Respect, man !
_ Je fais que répondre à ta violence ! Tu m’insultes, man !
_ T’es une fiotte !
_ Tention ! Tention ! Voyant homophobie, man !
_ T’es un woke, c’est ça ?
_ De la minorité intelligente, man ! Et j’ te vois pas parmi nous !
_ Pourquoi qu’ t’es en train d’ sexualiser le débat ?
_ Qu’est-ce que tu racontes ? J’ sexualise rien du tout !
_ Oh ! Mais c’est pas l’envie qui t’en manque ! J’ le vois dans tes yeux ! Tu sexualises tout, man !
_ Non, c’est toi qui me sexualises ! Je le sens partout autour de moi ! Tu m’enfermes dans ta sexualité !
_ Peuh ! J’ai même pas encore choisi mon sexe ! Liberté, man !
_ C’est pour ça qu’ t’as l’air idiot !
_ De nouveau irrespect ! Le woke anti-woke !
_ Le fasciste, c’est toi ! Grosse désillusion, man !
_ Si j’suis fasciste, toi t’es nazi !
_ Et tu continues ! Tu veux la vérité : tu nazifies tout ce que tu touches !
_ J’ t’ai pas touché, man !
_ Si, si, tu m’ touches avec tes mots ! T’es hyperviolent, man !
_ Nouvel onglet, man !
_ Quoi ?
_ Change de disques, si tu préfères ! La case est vide, on dirait !
_ Comment qu’ t’es violent ! Un vrai dictateur !
_ Je nazifie grave !
_ Tu parles surtout tout le temps de toi ! T’es un nombril, man !
_ T’es schizo !
_ Ouh là là, jamais vu un type aussi schizo !
_ Et perroquet avec ça !
_ T’es tombé sur un bec, man !
_ Tu t’entraînes pour Vegas, c’est ça ? Tu vas faire un malheur !
_ T’es raciste ?
_ Qu’est-ce que ça vient faire là-d’dans ?
_ J’ te demande si t’es raciste, oui ou non ? Réponds !
_ Voilà que de nouveau tu m’ sexualises !
_ N’importe quoi !
_ Mais tu veux être le maître, sachant que je peux être une femme !
_ T’es en train de me faire tourner en bourrique ! C’est typique du pervers narcissique ! Tu m’détruis, man !
_ On peut pas détruire le néant ! T’es l’homme invisible, man !
_ T’évites le débat !
_ Tu lévites en bas !
_ Laïcité, man !
_ Cafard !
_ Climatopathétique !
_ Communiste !
_ Capitaliste !
_ Trotskyste !
_ Léniniste !
_ Vert !
_ Rouge !
_ Oh ! Le schiz !
_ Oh ! L’autiste !
_ T’es une véritable inflation, man !
_ Mee to, first !
_ Mytho first ! Tu veux dire !
_ Ton âme est noire !
_ Raciste !
_ Hors-sol !
_ République, man !
_ Vote !
_ Abstention !
_ Constitution !
_ Motion d’ censure !
_ 49.3 !
_ Ciseau !
_ Papier !
_ Pierre !
_ Paul !
_ Manif !
_ Snif !
_ Dégoûtant !
_ Ecoeurant !
_ Moi je !
_ Encore !
_ Plus !
_ Précarité !
_ Viol !
_ Meurtre !
_ Dégage !
_ T’es grossophobe ?
_ T’es fou ! T’es mon crush ! »
-
Les enfants Doms (T2, 171-175)
- Le 20/05/2023
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"Tu crois quand même pas qu'on va s' faire des papouilles sous la douche!"
Le Maître de guerre
171
Toujours à la recherche de la môme Espoir, Cariou rentre chez lui désabusé, fatigué et il ne sait pas trop bien pourquoi ! Si ça se trouve, la môme Espoir est là sous son nez et c’est lui qui cherche mal ! Et d’abord qu’est-ce qu’il fait tout seul ? Pourquoi n’est-il pas marié ? Une femme l’attendrait à la maison et il l’embrasserait tendrement, heureux de retrouver la chaleur du foyer ! Il aurait aussi des enfants, qui l’appelleraient papa et lui donneraient de la valeur ! Il sentirait le poids de sa responsabilité et il n’aurait plus de soucis à se faire, quant au vide de sa vie qu’il sent parfois douloureusement ! Il faut sans doute en mettre un coup, cesser d’être névrosé, pour rejoindre l’équilibre de l’ensemble ! Le temps des enfantillages doit se terminer ! Non décidément Cariou s’attache trop à lui, à sa personne ! Il ne fait pas assez confiance aux revues féminines de psychologie ! Il est resté ce gamin immature, impropre à la femme et à la société ! Bon sang, il va en mettre un coup ! « Cette montagne que tu vois là, on y viendra à bout, mon gars ! » chantonne-t-il !
Soudain, on l’attaque ! Il reçoit une pluie de noix de cocos ! Partout des cris, des formes qui glissent, courent, viennent vers lui, alors que la rue s’assombrit, à cause du crépuscule ! On lui jette encore des bananes, des lunettes de soleil, du papier toilette, enfin tout ce qui passe apparemment à portée de mains de ses agresseurs ! Puis deux gorilles énormes, à la mine patibulaire, au mufle soufflant et menaçant, le coincent contre un mur, alors qu’une ribambelle de macaques s’agite derrière ! On est en pleine hystérie, mais l’un des gorilles demande : « Alors ouk tu vas comme ça, l’affreux ?
_ Ben, chez moi…
_ Hi ! Hi ! Y rentre chez lui ! Hi ! Hi ! fait un orang-outan à côté.
_ Oh ! Oh ! Aahh ! Ahhh ! enchaînent les macaques.
_ Ben nous, on n’aime pas trop les gens qui rentrent chez eux…, reprend le gorille.
_ Non ?
_ Non ! On trouve même ça suspect !
_ Faut bien avoir un chez soi !
_ Ouais, ouais ! J’ vois qu’ t’as réponse à tout ! Pas vrai les gars qu’il a réponse à tout ?
_ Ouais ! Ouais ! Ouah ! Ouh ! Oh ! Hi ! Hi ! A mort !
_ Tu s’rais pas un ami des riches, des fois ? demande le deuxième gorille.
_ C’est un fasciste ! crie une voix.
_ Ouais ! Ouais ! C’est un fasciste !
_ A mort ! »
A cet instant le gorille, qui semble le chef, se met à renifler sérieusement Cariou : « Hum ! Ça sent le bourgeois ! l’infamie ! la tranquillité de l’encaustique ! l’égoïsme de la pantoufle ! l’ennemi du camarade !
_ Ouais, ça pue le joueur de tennis ! fait l’autre gorille, la fille à jupettes et le buveur de limonade ! C’est l’inaction sociale à l’état pur ! J’ parie qu’ tu fréquentes les bibliothèques, alors que le pauvre hurle dehors ! C’est l’intello stérile et méprisant !
_ C’est un ami des riches, ça s’voit comme le nez sur la figure !
_ C’est un fasciste !
_ A mort !
_ Voilà c’ que je fais avec les fascistes, dit le chef qui enfonce son poing dans la porte voisine et celle-ci, touchée en plein cœur, finit par s’écrouler. T’as peur, hein ?
_ Mais non, j’ suis avec vous les gars ! Il faut renverser le gouvernement ! Il faut modifier la constitution ! Il faut que le pauvre triomphe du riche ! Il faut qu’il devienne riche lui-même ! C’est à chacun son tour ! Ah ! Là, là ! Si vous saviez comme j’aime la justice sociale ! Dès qu’ j’ vois un bourgeois, j’ lui crache dessus ! J’ vous assure ! J’ai déjà eu des ennuis avec la police ! Ah ça, y m’ont pas à la bonne ! J’ leur fais des misères ! J’ fais même exprès des fautes de français ! Car c’est la langue des riches ! Laisse-moi t’embrasser, camarade ! Montrons au monde entier ce que peut l’amitié ! Et le fasciste, mais qu’on le mette dans un camp et qu’on l’extermine ! Hein ? J’suis sûr maintenant que vous êtes rassurés sur mon pédigrée ! Pas vrai ? Ah ! Ah ! Et dire que j’étais triste de rentrer chez moi tout seul ! C’était sans compter sur les camarades ! C’est la fête à la bonté et à l’intelligence ! Un vrai feu d’artifice pour la justice sociale ! Ouh !
_ Mais c’est qu’ tu te foutrais d’ nous ! Si ! Si ! Battez vos casseroles, les gars ! Car on en a un et un beau ! Où qu’il est ton costard, l’affreux ?
_ Ouais, où est ton flouze ? Où sont tes mocassins, le riche ?
_ Mais là où vous mettez vos piques et vos cocardes, mes canailles !
_ Le masque est tombé ! L’heure du jugement a sonné et… ah ! ah ! t’as été reconnu coupable !
_ Mince, j’ai un cerveau ! »
Le gorille renifle et va pour frapper, mais soudain il y a un mouvement de panique chez les macaques ! Une silhouette vient d’apparaître, qui leur fait peur ! « La lèpre ! La lèpre ! La clochette ! La clochette ! » crient en tout sens les singes et le gorille lâche Cariou, qui se retrouve subitement seul, car toute la bande s’est enfuie ! La silhouette se rapproche et effectivement elle a quelque chose d’inquiétant, car on ne voit pas son visage ! Une robe de moine l’enveloppe entièrement et elle fait bien tinter une clochette ! « C’est la lèpre de la gauche ! » songe Cariou et il avale sa salive, alors que l’étrange personnage lui fait face, avant d’enlever sa cagoule !
Mais le détective reconnaît une vielle connaissance et s’écrie : « Eh ! Mais c’est toi Silence ! Tu peux dire que tu tombes à pic ! »
172
« Et qu’est-ce qui vous fait croire que je connais cette femme, Belle Espoir ? » demande la jeune artiste. Vêtue d’une blouse blanche, elle est dans son atelier, qui est une grande pièce vide, avec des toiles et des tubes de peinture un peu partout… « Ben, répond Cariou, je me dis que comme vous vous intéressez à la beauté, vous devez avoir des sentiments, de l’amour, de l’admiration ! La grandeur de la vie ne peut pas vous être absolument étrangère… Vous êtes sans doute conduite à vous interroger sur son sens profond, d’autant qu’il paraît à l’opposé du mercantilisme !
_ Mazette ! Quelle tirade ! A vôtre âge, il n’est pas bon de faire trop chauffer le moteur ! Relax l’ancêtre ! On respire et on reste efficace !
_ Vous n’êtes pas sensible à la beauté ?
_ Vous voulez parler des p’tites fleurs ou du pic bleu des montagnes ? Mais tout cela est dépassé depuis longtemps !
_ Ah bon ?
_ Mais oui, ce qui nous intéresse aujourd’hui, nous les artistes, c’est l’acte créatif en lui-même ! Il est parfaitement libre, grâce notamment à l’utilisation de toutes les techniques ! »
A cet instant, la jeune femme presse une bombe, l’air soucieux, mais en même temps le jet de peinture vient couvrir une partie déjà plus travaillée, comme si l’artiste détruisait elle-même son œuvre ! « Ici, reprend la jeune femme, je brouille les pistes ! Je veux que le spectateur s’interroge sur lui-même ! Quels doivent être ses sentiments ? Quelle est la réalité ?
_ Ah bon ? Vous voulez l’éduquer en quelque sorte… Vous vous sentez son maître… N’est-ce pas une manière de se masquer son propre vide ? »
Il y a un froid, avant que l’artiste ne réplique : « Écoutez, vous me faites perdre mon temps ! J’ai une expo à préparer…
_ Bien sûr, mais qu’est-ce que vous espérez au juste ? Pourquoi créez-vous ?
_ Mais je veux que mon travail soit reconnu, car j’ai du talent !
_ Vous allez être déçue…, car les autres ne vous aimeront que quand ils vous auront mis dans une bouteille, avec une étiquette dessus !
_ Je n’ comprends pas ce que vous voulez dire…
_ Vous ne croyez tout de même pas que nous puissions aimer ceux qui nous dominent ! Si vous voulez être connue, les autres aussi ! Ignorez-les et vous suscitez leur haine !
_ D’accord, c’est une foire d’empoigne, mais je finirai bien par m’imposer !
_ Mais vous ne serez jamais satisfaite ! Savez-vous ce qu’apporte la paix ? C’est la force ! Et la force de voir l’autre dans toute sa complexité, car il ne s’agit pas, bien entendu, de le détruire à cause de sa différence ! On ne fait que renforcer son opposition !
_ Vous êtes quoi en définitive ? Une sorte de martien, venu nous délivrer un message dans sa langue ?
_ Mais pour l’instant, je vous vois serrée sur vous-même ! Où sont les grandes ailes de l’art ? l’ouverture sur l’espoir et l’infini ?
_ Du balai, vieux schnock ! Vous empuantissez mon atelier ! Et maintenant, je ne vois même pas pourquoi je vous ai accordé un peu d’attention !
_ Vous êtes outrée qu’on ait pu vous parler d’égal à égal ? Je vais vous montrer qui vous êtes, vous qui vous prétendez artiste ! »
Cariou sort son LAL et tire sur la jeune femme, qui a une légère secousse ! Puis, elle grandit démesurément, jusqu’à atteindre le plafond avec sa tête, de sorte qu’elle a subitement l’air à l’étroit ! Mais c’est son visage le plus effrayant : il témoigne de la colère la plus violente ! « Tu ne sais pas qui je suis, misérable avorton ! crie la jeune femme. Mais vous, les hommes, vous êtes tous pareils ! Vous vous croyez les maîtres, de vrais caïds ! Mais vous êtes des minables ! Moi, je suis géniale ! J’ai du talent jusqu’à la gueule ! Je vaux les plus grands ! Et on doit m’aduler ! Mais les mecs bloquent encore le monde ! Je vous hais ! Je vous hais ! Car je suis unique !
_ Il n’est plus étonnant que vous méprisiez la beauté, car elle rend humble ! Elle est pourtant la clé du bonheur, car elle dit qu’il y a plus grand que nous !
_ Grrr ! Toujours à bavasser ! »
L’énorme poing de la jeune femme vient fracasser l’un des murs, après avoir visé Cariou ! « Olé ! » fait celui-ci, qui soudain, par la lumière qui émane de lui, crée des milliers de fleurs, comme autant de rêves colorés ! « C’est la richesse du cœur aimant ! » jette-t-il, avant de se sauver !
173
Un bouton d’or s’éveille sur un banc de vase et il regarde son reflet dans l’eau du marais : « Oh ! je brille déjà ! dit-il. Quel teint merveilleux j’ai ! Mais attention, le soleil va arriver et alors, ce s’ra la fête ! Illuminé que j’ s’rai ! La vie est belle ! Salut les oiseaux, les papillons et… » Mais soudain le bouton d’or se fige : sur le banc voisin, un crocodile pleure à chaudes larmes ! « Eh ben, mon vieux, qu’est-ce qui s’ passe ? demande le bouton d’or. T’as mal quelque part ? » Mais le crocodile ne répond pas et continue de gémir !
« Si c’est ton microbiote qui t’ fait souffrir, reprend le bouton d’or, laisse-moi te donner un conseil : arrête la nourriture faisandée ! Cette détestable manie que tu as d’emmener tes victimes dans c’ vieux coffre-fort ! Car c’est bien un vieux coffre-fort qui t’ sert de frigo, non ? Un déchet ! C’est pas une décharge ici, j’ te rappelle ! Enfin, c’est pas sain et tu dois en subir les conséquences !
_ Mais tais-toi donc, pauvre idiot ! Tu vois pas comme la situation est grave !
_ Hein ? Qu’est- qu’il y a ? fait le bouton d’or qui regarde en tout sens. Quoi ? On va recevoir une bombe ? Alerte ! »
Il sort un casque d’on ne sait trop où et un clairon, dans lequel il souffle ! « Aux armes ! » crie-t-il ensuite, puis avec sa bouche il mime une sirène ! « Eh ! Les nuages ! En avant, sus à l’ennemi ! On nous attaque !
_ C’ que tu peux être con quand même ! lui lance le crocodile. Un vrai gamin !
_ C’est pas la guerre, alors ?
_ Nan ! Mais à la limite, je me demande si c’est pas plus grave !
_ Toi, on ta volé le contenu de ton coffre-fort ! Je compatis, mais l’argent ne fait pas le…
_ Si c’était ça, j’ t’aurais déjà écrasé ! Tout le marais devrait avouer ! Chaque oiseau serait pressé par mes dents ! La moindre fourmi serait fouillée, retournée, démembrée !
_ Ça va ! Ça va ! J’ te signale que t’as l’air d’aller mieux !
_ Nan ! C’est la nuit, la tragédie, le gouffre, l’abîme glacé du désespoir sans bornes !
_ Mais enfin de quoi tu parles !
_ Mais bon sang, tu vois pas que tout fout l’ camp ! Le pays est aux mains de l’extrême gauche ! Les encagoulés sont partout ! Ils caillassent, agressent, incendient ! Le sans-culotte est de retour ! Le noble, c’est le capitaliste ! La bastille, la banque ! Marie-Antoinette, la bourgeoise !
_ C’est vrai que l’antifa n’a pas inventé l’eau chaude ! Ils sont aussi violents que les fascistes ! Quelle absurdité !
_ Les fascistes ? Mais il faut bien s’ défendre, contre ces tordus, ces monstres ! Va parler à un encéphalogramme plat ! Et puis y a les homos ! Et les enfants d’homos ! Toutes nos valeurs sont jetées à la poubelle !
_ T’as peur pour la religion ?
_ Un peu qu’ j’ai peur ! Tout est souillé ! On va bientôt retrouver les messes sacrilèges de la Commune ! Jésus sera mort pour rien !
_ Allons, allons, la foi, c’est la confiance ! Regarde le temps de Dieu, il ne change pas ! Le soleil brille, les nuages vont leur train et les Demoiselles étincelantes ne pensent qu’à leurs amours !
_ Païen !
_ Dis plutôt que tu n’ sais pas regarder ! Comment peux-tu aimer Dieu, si t’es pas émerveillé par son œuvre !
_ Mais y a danger, y a urgence ! Notre identité même est menacée ! Le marais est à nous, t’entends ?
_ Oh ! J’entends ! Le marais est à nous ! Ton coffre-fort est à toi ! Etc. ! Ton égoïsme, tes privilèges n’arrangent rien ! Ton mépris même est provocateur ! Lâche du lest ! Comprends la peur des autres, puisque tu fais tant attention à la tienne ! Tout le monde n’a pas le même niveau intellectuel et…
_ Chut ! Mais chut ! Y a un étranger qui s’ rapproche ! Il va mettre un pied dans l’eau, ce con ! Y croit qu’il est devant une piscine ! »
Le crocodile glisse silencieusement sous la surface et file vers le bord, où l’étranger est bien tenté de se rafraîchir ! « Attention, l’étranger ! crie le bouton d’or. Y a le crocodile de l’extrême droite qui va t’ bouffer ! » Mais le bouton d’or est tout petit et sa voix ne porte pas assez loin. Soudain, le crocodile bondit la gueule ouverte et referme ses mâchoires sur du vide ! L’étranger terrifié s’est enfui en courant !
« Ah ! Ah ! T’as vu ça ? fait le crocodile en retournant auprès du bouton d’or. Ah ! Ah ! Il était vert, le mec ! On va pas l’ revoir d’ sitôt !
_ Et c’est moi, le gamin ! » dit le bouton d’or.
174
La Domination mange à sa table… Elle est sombre, pleine d’inquiétudes, de ressentiments, de plans ! Elle calcule, analyse, réplique, méprise… Elle dirige !
L’enfant à côté rêve… Il n’écoute pas vraiment la Domination… Ce qu’elle dit, c’est comme un bourdonnement…, une sorte de menace pareille à un ciel orageux ! Il faut le surveiller, c’est tout, pour ne pas être victime de la tempête !
La Domination grimace, contrôle, renifle, scrute, inspecte, soupçonne ! Il faut toujours qu’elle sente son pouvoir, sa puissance, son importance ! Son orgueil ne laisse rien lui échapper ! Et maintenant elle donne des ordres, elle commande, ça la rassure !
L’enfant acquiesce, docile, mais il a préparé son sac… Il va s’enfuir ! Où ? Il n’en sait rien, mais il ne peut plus supporter cette situation : trop d’injustices, de misère, de souffrances ! Il faut partir, c’est inéluctable !
La Domination aboie ! Que dit-elle ? Que l’enfant ne doit pas rêver ! Qu’il doit changer d’attitude ! Qu’il ne sait pas combien la vie est dure ! Qu’il faut travailler sans relâches, si on veut réussir ! C’est la peur de la Domination qui s’exprime, mais pas seulement ! C’est aussi sa soif de pouvoir, son épouvantable orgueil ! Car la Domination est la reine et veut être considérée comme telle, d’où l’enfant exemplaire, esclave, vitrine !
L’enfant ne connaît pas la vie ? Vraiment ? Il obéit du matin au soir ! Il est pressé comme un citron ! Il pleure, mais qui s’en soucie ? N’est-ce pas de la faiblesse, des simagrées ? La vie peut-elle être plus dure ? Si on n’a pas à manger ? C’est ce que lui dit la Domination ! Mais celle-ci est-elle écrasée, surveillé, méprisée ? Est-elle esclave, prisonnière ? Peut-on connaître la vie, la différence, quand on est chef ? quand on commande ? On connaît une chose quand on ne la contrôle pas, c’est un des principes de la science !
Ça y est l’enfant s’est enfui ! Il court, il galope, il est libre ! Bon sang que c’est bon ! Et la justice devient une espérance ! Mais l’enfant n’a pas vraiment le temps de rêver à nouveau, car où aller ? La Domination est partout ! Elle étend ses tentacules et l’enfant la retrouve en face de lui ! Que peut-il y faire ? Il ne comprend même pas la Domination ! Il est bien trop fragile ! Les secrets, c’est pour la force de l’adulte ! Le guerrier, c’est l’esprit mûr, qui a beaucoup vu et compris ! La joie, c’est pour l’esprit tranquille, libéré, serein ! C’est l’enfant réconcilié !
Pour l’instant, l’enfant court… et il est rattrapé, ramené impuissant au pied de la Domination, qui est verte de rage, qui est dans une colère folle ! On lui a fait injure ! On a échappé à son contrôle ! On a ouvert la porte de sa peur, on va le payer ! On l’a ridiculisée, il n’y a pas de crimes plus grands et l’enfant va en subir les conséquences !
Il est placé sur une table, à côté d’autres enfants, qui ont tous une clé dans le dos, ou bien qui sont tenus par des fils ! On les fait marcher et ils fonctionnent ! On les tient ! Mais l’enfant évadé pose un problème ! Comment se fait-il qu’il échappe au contrôle ? Qu’est-ce qui ne va pas ? Qu’est-ce qui manque ? La Domination frappe l’enfant sur la table, pour essayer de voir ce qui cloche… Peut-être aussi qu’en tapant d’ssus, on peut le réparer ? Des fois, ça arrive et ça évite beaucoup d’efforts !
Mais cet enfant-là résiste et ce n’est pas normal ! La Domination est outrée, scandalisée ! Ne nourrit-elle pas ? Ne fait-elle pas tout pour le bonheur de l’enfant ? N’a-t-elle pas une vie de martyr, à essayer d’éduquer l’enfant ? Elle laisserait tomber l’enfant, si ça ne tenait qu’à elle ! Ainsi va l’aveuglement de la Domination et son hypocrisie ! A partir de là, elle peut être un monstre !
Elle ouvre l’enfant sur la table, elle le dissèque, pour regarder à l’intérieur et découvrir le défaut du mécanisme ! L’enfant hurle, crie, pleure, demande pardon, supplie, mais la Domination veut vraiment comprendre pourquoi son pouvoir est inefficace ! Elle manie son scalpel et entaille ici, ampute là-bas, presse encore et écoute les plaintes ! Non décidément, elle ne trouve pas d’anomalies ! D’ailleurs, elle en marre ! La vie continue et il y a plein d’autres plaisirs qui occupent la Domination !
Elle referme tant bien que mal l’enfant, qui ne bouge plus ! Peut-être est-il mort ? Où est l’enfant ? Il ne rêve pas, il ne souffre même plus, il est retranché en lui-même, dans un noyau apparemment ! Mais il est libre… D’un geste négligent, on lui fait signe qu’il peut quitter la table de dissection et il se relève hagard, vide, se sentant encore même vaguement coupable ! Dame, il ne serait pas comme les autres ! Il serait méchant ! Il n’aimerait pas la Domination, qui pourtant l’aime tant ! Quelle ingratitude ! Honte à l’enfant !
Il titube en retrouvant l’air libre ! Il est couturé comme c’est pas permis ! Il sent toutes ses blessures ! De nouveau, il pense un peu… Il n’est donc pas mort ! Oh ! Il ne faut pas aller trop vite : sa tête est meurtrie, pleine de pansements ! Mais enfin il se remet à courir ! Les enfants, c’est plein d’énergie, de foi, de bonheur ! L’enfant court dans les bras de la reine Beauté, qui est là sous les arbres, où le soleil fait des émeraudes et des diamants ! Et la reine Beauté est pleine d’amour et elle console l’enfant ! Elle lui dit : « Regarde ! » et le spectacle commence, qui apaise et enchante !
Ainsi l’enfant apprend !
175
Il est tard et Andrea Fiala rentre chez elle... Elle s’énerve un peu avec ses clés, quand une violente lumière lui cingle le visage ! « Mais qu’est-ce… ? fait-elle.
_ Tout va bien, m’ dame ? demande un jeune gars, qu’on voit mal à cause de sa lampe torche.
_ Mais oui, je rentre chez moi… Mais qui êtes-vous ?
_ Ben nous, on est la milice des scouts, m’dame !
_ La milice des scouts ?
_ C’est ça, m’dame ! On protège les gens… et vu que l’éclairage public a une panne, m’dame, on a cru que vous étiez un voleur… ou une voleuse ! Ah ! Ah ! Mais ce n’est pas le cas, hein, m’dame ?
_ Non, en effet, je rentre chez moi ! Mais vous défendez les gens contre qui ?
_ Ben, contre les casseurs, m’dame ! Y sont partout, vous savez, avec leurs cagoules et y détruisent tout ! Y n’ont aucun respect m’dame et y sont dangereux !
_ Et vous pensez pouvoir les affronter ? réplique Andrea, qui regarde une dizaine de jeunes apparemment assez frêles.
_ Sûr, m’dame ! On s’entraîne pour ça ! »
Le scout se tourne vers le premier qui est derrière lui et lui crie : « Baisse tes putains d’z’yeux ! Pompes pour tous, exécution ! » Les corps, à peine sortis de l’adolescence, sont allongés sur l’asphalte et se mettent à monter et à descendre ! Andrea en éprouve une vague pitié, mais en même temps elle reconnaît qu’ils ne badinent pas !
« Chef ! Chef ! » fait une voix qui sort peu à peu de la nuit et un scout haletant court vers l’interlocuteur d’Andrea. « Chef ! Chef ! Y a un autre groupe qu’arrive ! J’ sais pas qui c’est, mais m’ont pas l’air gentils !
_ Me regarde pas comme ça, idiot ! Baisse tes putains d’z’yeux !
_ Oui chef !
_ Eh mais, dit Andrea, vous n’ pouvez pas parler correctement à vos hommes ? intervient Andrea. Comment pouvez-vous après ça demander du respect ?
_ M’avez mal compris, m’dame ! répond le chef. Y a pas d’chef ici, m’dame ! En fait, ils sont nouveaux et y a une grande fête de prévue dans la nuit ! Avant, faut aguerrir le groupe !
_ Tout de même !
_ On n’est pas des fascistes, m’dame !
_ Eh mais chef ! Chef ! fait l’éclaireur. C’est p’têt des antifas qui arrivent !
_ Baisse tes putains d’… Ouais, tout le monde en position ! Paré à l’ennemi ! »
Les scouts se dispersent, sous les yeux médusés d’Andrea, comme si on tendait un guet-apens et bientôt d’autres silhouettes furtives apparaissent ! « Halte là ! crie le chef des scouts, en brandissant sa lampe torche.
_ Halte là ! lui répond apparemment un autre chef.
_ Qui êtes-vous ?
_ Non, vous qui êtes-vous ?
_ Milice des scouts !
_ Milice des arbres ! Vous n’êtes pas en train d’ couper des arbres, par hasard ?
_ Non, on protège la population des casseurs !
_ Parfait ! Parfait ! Rien à voir avec nous autres ! Sortez de l’ombre les gars, c’est des amis ! »
Par un coup de sifflet, le chef des scouts invite aussi ses hommes à quitter leur cachette et les deux groupes ont l’air de s’entendre… En tout cas, leur soulagement est palpable ! On finit même par se taper dans le dos, en souriant ! « Remarquez, reprend le chef des scouts, que l’agriculteur est maître chez lui ! Faut bien qu’il protège ses cultures !
_ Et qu’il utilise des pesticides ? enchaîne interloqué le chef des arbres. Il a aussi l’ droit d’chasser, hein ? Détruire la nature, ça y sait faire ! Mais c’est qu’on défend les valeurs de droite, on dirait !
_ Baisse tes pu… Oh ! Oh ! J’ sens subitement comme une odeur de gauche ! Le jean crasseux et la canette de bière ! La cuisine sale et les amours sur le lino !
_ Oh ! Oh ! Messieurs, j’ vous présente ceux qui vouvoient leurs parents ! Les amis du château, les traîtres de 40 !
_ Oh ! Oh ! Messieurs, j’ vous présente les intellos de gauche, la paresse au bout des ongles ! L’athéisme du cochon !
_ Oh ! Oh ! Voilà des pollueurs !
_ Oh ! Oh ! Voilà des casseurs ! »
On entend une baffe, puis une autre et la mêlée devient générale ! Andrea soupire, rentre chez elle et retrouve le silence. Elle se demande comment elle pourrait de nouveau espérer et elle imagine soudain son petit appartement tel un vaisseau spatial, en route vers un nouveau soleil, un nouveau monde appelé intelligence !
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Les enfants Doms (T2, 166-170)
- Le 13/05/2023
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"Tu peux pas comprendre! C'était mon pote..."
Le Pacha
166
Anar discute avec son pote… « Moi, c’ que je veux, c’est ma liberté !
_ Bien sûr !
_ Sans la liberté, la vie n’a pas d’ sens ! Elle vaut pas la peine d’être vécue !
_ J’ l’ai toujours dit !
_ Un jour, j’ s’rai libre comme l’oiseau, comme le vent !
_ Eh ouais !
_ Ah ! La liberté !
_ C’est queq chose !
_ Y n’auront pas ma liberté !
_ Ça non !
_ Y a rien de plus beau !
_ Sûr !
_ Je veux ma liberté !
_ Hon, hon !
_ Ouh !
_ Ouh !
_ Une liberté d’ dingues !
_ Tant qu’à faire !
_ Tu veux que j’ te dise ce que c’est qu’ la liberté ?
_ Allez, vas-y !
_ Ben, c’est chanter la Terre soyeuse !
_ Soyeuse ? Pas joyeuse ?
_ Nan ! J’ suis libre, oui ou non ?
_ Libre, libre !
_ Ah ! Ah ! La flamme aussi est libre !
_ Elle danse !
_ Ouais !
_ Tu voudrais pas foutre le feu, des fois ?
_ Eh ! J’ suis pas débile ! J’ veux juste être libre, sans contraintes, ni lois !
_ Sans bagnole, sans canne à pêche ! Libre, quoi !
_ Exact !
_ T’auras même plus envie de pisser !
_ Tu m’ cherches ?
_ Non, mais tu sais qu’il y a un animal en toi et qu’il a des besoins !
_ Normal !
_ Normal, normal ? Mais l’animal qui est en toi, il veut être le plus fort ! Tu le savais, ça ?
_ Ben oui, il veut être libre !
_ Non seulement, il veut être libre, mais il veut encore avoir raison sur les autres ! Il peut pas rester tout seul, sans rien faire ! Et ça, vouloir avoir raison, être le plus fort, c’est un sacré esclavage, non ?
_ Qu’est-ce que tu racontes ? Moi, je veux juste être libre et en harmonie, avec la Terre ! Sinon, on la détruit !
_ Bien sûr ! Mais, moi, j’ te parle d’instincts, comme la pulsion de faim ou la pulsion sexuelle ! On a besoin instinctivement de se sentir supérieur à l’autre…
_ Euh…
_ Dame ! Il s’agit de s’imposer, pour pouvoir se nourrir et s’ reproduire ! d’où ton idée de liberté, car elle te permet de te sentir différent, comme si les autres étaient esclaves et toi leur maître, leur libérateur! Tu songes à les commander !
_ Mais non ! La liberté, c’est le partage, la reconnaissance de l’autre ! Chacun est libre et personne n’est chef !
_ Mais on a besoin de dominer ! C’est pourquoi tu veux renverser la société ! Quand tu n’auras plus d’adversaires, tu t’en créeras !
_ Nan, j’ veux juste être libre !
_ Hum ! T’as pas envie de t’affranchir de ton égoïsme ? Tu pourrais être libre, sans vouloir changer les autres ! Car, tu comprends, détruire la société, c’est asservir les autres, c’est les faire obéir à ton point de vue !
_ Mais c’est pour leur bien, puisque je les rends libres !
_ Voooui, vooui, mais imagine, toi libre et comprenant qu’on ne change vraiment les autres qu’en les aimant ! C’est un truc qu’on pige avec le temps…, sinon il faut les détruire !
_ Tu m’embrouilles avec toutes tes histoires !
_ Excuse-moi, mais j’ croyais que tu voulais être libre ! Être libre, c’est être en paix avec soi, non ?
_ Nan ! C’est quand y a plus d’ lois et d’ chefs !
_ Autrement dit, t’es incapable d’être libre tout seul ! Il faut que les autres changent ! On en revient à la domination nécessaire ! Tu remarques que j’ai le triomphe modeste ! Tiens, repasse-moi l’ pâté, veux-tu ? J’adore ces discussions apéritives…
_ Tu sais, j’ t’ai jamais vraiment kiffé ! C’ soir, on va chanter la liberté du feu… et t’en s’ras pas !
_ C’est dégueulasse ! »
167
Cariou se regarde de nouveau dans la glace… Il tâte ses pansements : c’est pas bien joli, mais ça guérit tout de même ! Une idée lui a été soufflée par l’étudiante : la môme Espoir, toujours désireuse de bien faire, aurait été offrir ses services à un certain Malik, un vrai pauvre paraît-il, et ça tombe bien, car Cariou depuis longtemps désire rencontrer un vrai pauvre : il a un compte à régler avec eux !
Mais cette fois-ci, en plus de son trench et de son chapeau, Cariou prend son LAL (la Lumière appelle la lumière), car il ne veut plus être pris pour un punching-ball et grâce au LAL, la vérité éclate, ce qui évite un tas de discussions oiseuses et de cruels malentendus !
Dehors, il pleut comme vache qui pisse et RAM paraît encore plus morne que d’habitude, comme si une grisaille de deuil recouvrait la ville ! Cariou évite cependant les flaques, où des néons se reflètent, ainsi que des rêves perdus, et le quartier a de quoi faire frémir : aucune lumière ne tombe vraiment dans les fenêtres, qui ont l’air d’orbites creuses !
Les logements sont donc sombres et exigus et la télé y fonctionne incessamment ! Cariou grimace en se rapprochant de la misère et pourtant certains et certaines ici lui sortent par les trous de nez, et Malik est peut-être de ceux-là ! Une colère sourde ne quitte pas Cariou, depuis qu’on le bassine avec la justice sociale, car les premiers à être égoïstes et hypocrites, ce sont bien les braillards qui la prônent ! Ils sont affreux en diable, car ils ne voient même pas les autres en tant qu’individus, ce qui crispe Cariou en l’obligeant à se calmer, quand il appuie sur la sonnette de Malik, car aussi l’injustice existe bien et il y a toujours beaucoup de souffrances !
Malik est un type de taille moyenne, mais il est costaud, avec un visage agressif : « C’est pourquoi ? demande-t-il.
_ Voilà je cherche cette fille, répond Cariou, en montrant la photo de la môme Espoir.
_ Ouais, elle est passée par ici… Elle voulait nous aider qu’elle disait, mais je l’ai rembarrée ! On n’avait pas besoin d’elle !
_ Est-ce qu’on peut en parler à l’intérieur…, car il se trouve qu’elle a disparu…. »
Malik, à contrecœur, laisse entrer Cariou et une odeur un peu rance saisit celui-ci ! Tout ici paraît usé, jauni par le temps et Cariou se dit encore que la misère, c’est la pauvreté sans poésie ! Quand la ville n’est pas une vitrine resplendissante, elle est alors laide, il ne peut en être autrement, c’est le béton qui veut ça !
Cependant, Cariou est aussi là pour résoudre une énigme et c’est pas seulement retrouver Belle Espoir! Il prend place autour d’une petite table, recouverte d’une toile cirée, et il jette un coup d’œil sur l’évier blanchâtre, au dessous du chauffe-eau ! « Qu’est-ce que vous voulez savoir ? fait Malik sans aménité.
_ Vous m’ dites que vous avez rembarré la môme Espoir, alors qu’elle voulait vous aider… Pourquoi ?
_ Parce que c’est toujours la même histoire ! Ces riches qui veulent s’occuper d’ nous ! On n’en a rien faire d’ leur pitié ou d’ leur condescendance !
_ Vous n’auriez pas non plus essayé d’abuser de la môme Espoir ? Vous savez, le phantasme de la bourgeoise, en tailleur Chanel et qu’on viole pour la dessaler, question de lui apprendre la vie, d’autant qu’elle sent bon et qu’on l’imagine forcément frustrée !
_ Oh ! Oh ! Pour qui vous m’prenez ! J’ suis un progressiste, moi, pas un voyou ! J’ respecte la femme !
_ D’accord, mais y a quand même quelque chose qui m’ turlupine ! Comment vous faites, vous, les vrais pauvres, pour vous passer de Dieu ! Tout de même, travailler pour vivre, puis mourir et rien d’autre, c’est sacrément costaud ! C’est accepter le sort de l’animal, mais avec la conscience !
_ Ah ! Mais nous, nous combattons l’exploiteur, pour que chacun ait la même richesse et comme ça on s’ra heureux, sans inégalités sociales !
_ J’ comprends qu’on puisse lutter pour se défendre ! Il y a encore trop de conditions de travail pénibles et dévalorisantes, mais l’égalité ne peut pas être un but en soi !
_ Ah non ? Et pourquoi ?
_ Mais parce que la différence, c’est la vie ! C’est elle qui détermine notre individualité ! Tout le monde à un mètre cinquante, ce n’est pas seulement impossible, mais c’est même pas souhaitable ! Du reste, les communistes l’ont essayé et on connaît la suite !
_ N’empêche, y a des exploiteurs !
_ Oui et si vous les voulez au même niveau, c’est pour les détruire et vous sentir les maîtres ! Là, que vous n’ayez pas besoin de spiritualité s’explique ! Car vous êtes comme les animaux, vous ne vivez que pour votre domination !
_ Et tu crois que je vais me laisser insulter dans ma propre maison !
_ Et moi donc ? Chaque jour, on doit vous entendre brailler au nom de la justice sociale, alors que c’est votre égoïsme qui gueule ! Pas pour vous la patience, l’effort, la compréhension, la nuance ! Vous ne respectez personne, sauf vous-mêmes ! De véritables salopards !
_ Grrr ! »
Malik se lève et se prépare à bondir, mais avec la vitesse de l’éclair, Cariou dégaine son LAL et sans hésiter tire ! Il a une surprise : Malik a disparu, mais soudain un grognement terrifiant retentit sous la table ! Cariou se baisse et voit une hyène baveuse, les crocs à l’air, qui le fixe avec ses yeux de cendre ! Réprimant son effroi, il se place derrière sa chaise et recule vers la porte ! Il subit deux attaques, que repousse la chaise et ouf ! il ouvre la porte et referme derrière lui ! Les hyènes ne connaissent pas l’usage des poignées, c’est bien connu !
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Mais où est Sullivan ? Dans le programme de Macamo sûrement, mais où exactement ? Sullivan se voit vêtu comme un infirmier et au milieu d’un couloir, qui paraît celui d’une maison de santé ! Il est au pied d’un escalier assez sombre et soudain il perçoit une plainte qui vient d’en haut ! Il s’apprête à monter, mais une femme, elle aussi en tenue d’infirmière, sort d’une porte et lui dit : « Mais qu’est-ce que vous faites ? Il faut faire cette chambre, puis les autres !
_ Il m’a semblé entendre une plainte, venant du haut de cet escalier !
_ Il n’y a rien là-haut ! C’est juste le toit ! Vous avez dû entendre le vent ! »
Sullivan acquiesce et va aider l’infirmière… Ils font le lit, rangent la chambre, nettoient la salle de bains, puis ils passent à la suivante et quand tout l’étage est terminé, c’est la pause, utilisée par Sullivan pour revenir sur ses pas, car il en est persuadé : il a bien entendu un gémissement !
Le voilà de nouveau au pied du petit escalier, qui mène sous le toit, et sans plus attendre il monte les marches ! Effectivement, on arrive à un couloir mansardé, dont un côté, plongé dans l’ombre, semble inoccupé, mais de l’autre une porte est entrouverte, laissant passer la lumière du jour et quand Sullivan s’approche, il voit que quelqu’un s’agite dans la pièce ! Il ouvre un peu plus grand la porte et découvre une vieille dame, en fauteuil roulant et qui grimace pour installer une bouilloire électrique !
« Laissez-moi vous aider ! » s’écrie Sullivan. La vieille dame se fige un instant, surprise, puis elle opine et laisse Sullivan mettre l’eau à chauffer. « Vous êtes toute seule ici ? demande Sullivan. L’infirmière de l’étage au-dessous m’a affirmé qu’il n’y avait personne ici !
_ Oh ! Oui, je crois qu’on m’a oubliée…
_ Mais comment vous faites ? Vous n’avez même pas de fenêtres pour voir dehors ! s’étonne Sullivan, qui ne voit qu’une tabatière pour ouverture.
_ On s’ débrouille… On s’habitue…
_ Mais… mais c’est impossible ! On ne peut pas vous laisser vivre comme ça !
_ Vous êtes charmant, vous savez… Voulez-vous une tasse de thé ? Je n’ai pas souvent de visites… En fait, vous êtes le premier qui vient me voir depuis bien longtemps… Mais asseyez-vous, je vais vous préparer ça ! »
Sullivan prend place en effet sur l’unique chaise et il observe la petite vieille, qui, grâce à quelques gestes d’experte, lui propose bientôt une tasse de thé... Ils se regardent l’un l’autre durant un instant, sans rien dire, puis Sullivan reprend : « Je ne comprends toujours pas… » Il est accablé par l’abandon de cette femme, mais elle lui répond : « Vous savez, il n’en a pas toujours été comme ça ! A une époque, j’étais en pleine lumière et on me courtisait à l’envi ! Je rayonnais et j’avais un tas d’adorateurs ! (Elle sourit!) Oh ! Je n’étais pas seulement belle et on écoutait ce que je disais ! Ma beauté était aussi source de sagesse ! Mais, un jour, des hommes sont venus et ils étaient froids et hautains !
_ Mais qui étaient ces hommes ?
_ Des matérialistes ! Des scientifiques, des philosophes ! Ils m’ont dit que je n’étais qu’une illusion, voire une escroc ! (Elle sourit de nouveau !) Ils ont rajouté que je les gênais, pour qu’ils soient libres ! Ils m’ont ridiculisée, traînée dans la boue, avant de me conduire ici ! Je pense d’ailleurs qu’ils ont passé le mot, pour qu’on en vienne à m’oublier !
_ Mais… mais vous ne pouvez pas rester ainsi ! Ce n’est pas une existence ! Écoutez, c’est le printemps ! Dehors, les jardins sont en fleurs ! Je vais vous descendre, car il n’y a pas d’ raisons, pour que vous ne puissiez pas profiter vous aussi du soleil !
_ Vous croyez… ?
_ Mais bien sûr ! Je ne sais pas qui étaient ces hommes, mais ils se sont comportés à votre égard avec la dernière brutalité ! Pour qui se prenaient-ils ? Alors, voilà, je descends d’abord votre fauteuil, à l’étage inférieur et je viens vous chercher !
_ Vous allez me prendre dans vos bras ?
_ Certainement ! Et après on prend l’ascenseur et hop ! on est dehors, à respirer l’air pur !
_ Hi ! Hi ! Chic alors ! »
Sullivan fait comme il a dit et lui et la vieille dame sont bientôt dans le jardin, où un phénomène extraordinaire a lieu ! Toutes les fleurs, toutes les feuilles semblent prises de folie, en s’agitant dans tous les sens ! Tout se passe comme si elles saluaient la vieille dame, telle une ancienne connaissance ! Elle-même paraît avoir rajeuni subitement : son visage a l’air d’un soleil, que prolonge ses longs cheveux d’or ! C’est une véritable fête à laquelle assiste Sullivan, bien qu’il la mette sur le compte de l’effet du vent et du bonheur retrouvé !
« Je ne vous ai même pas demandé votre nom ! dit-il en riant à la vieille dame.
_ Je m’appelle Poésie ! »
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Mai 53 : les pylônes du nord, survoltés, se révoltent ! Ils n’ont pas assez de courant, disent-ils, et ils marchent sur Paris ! Des échauffourées ont lieu et la police disjoncte ! Le pylône Garcin s’écroule et il devient le symbole de la lutte ! Le gouvernement fait bientôt marche arrière et c’est le décret 2074, qui autorise les pylônes à posséder 2074 boulons (d’où le nom du décret) sur un seul côté !
Avril 57 : les poissons de l’Essonne en colère ! On a autorisé l’élargissement d’un barrage en amont ! « C’est la fin du petit poisson ! » jette le syndicat Arrête ! La préfecture est prise d’assaut ! A l’intérieur, plus de quatre ordinateurs sont saccagés à coups de nageoires ! Une enveloppe de deux millions est débloquée ! Un leurre pour les syndicats ! « On n’a plus la pêche ! » renchérit le poisson !
Juin 60 : la production de cheveux atteint 60 %! Du jamais vu, pour Charles le Chauve, patron du TIF ! Mais le contre-coup pour les ciseaux est énorme ! Les coupes dans le budget sont très sévères ! Les ciseaux à une lame sont proposés à l’Assemblée, par le groupe Shampoing ! Tollé de l’autre côté, dans le parti Acier ! Devant l’état d’urgence, la loi Pellicule est promulguée, montrant toute la fragilité du système !
Décembre 72 : le secteur du pictogramme est menacé ! La concurrence chinoise est mise en cause ! Plus de trois pictogrammes sur cinq seraient chinois, selon une récente étude de l’AMRA ! Des mesures protectionnistes sont prises, mais insuffisantes selon les syndicats ! Un militant tente de s’immoler par le feu ! Ému, le gouvernement lance le programme « Ton pictogramme et toi ! » Cependant, la saison est désastreuse et de fortes pluies accentuent encore la précarité des pictogrammes ! « Nous ne céderons pas ! » disent Pierre et Jacques. Au lendemain de la manifestation du 3, le pays est sous le choc !
Septembre 85 : les escargots en ont marre ! Ils accusent la haute restauration ! « Ils profitent de nous ! » crient-ils et les chiffres sont éloquents : à cause du remembrement, le déficit extérieur s’élève à plus de vingt milliards ! « On est dans une situation de fou ! » déclare La Coquille, qui a des antennes dans toutes les cuisines ! « Ça fait des années qu’on en bave ! Le gouvernement ne nous écoute pas ! » constate amère La Coquille. Les limaces se soulèvent à leur tour, suivies des punaises et des pucerons ! Le malaise est celui de toute une génération : on parle de fracture sociétale ! Le groupe Limace aveugle fait son apparition et les dégâts sont considérables ! En novembre, la parcelle de Saint-Ouen est le théâtre d’affrontements violents ! Démission du premier ministre La Bêche en janvier !
Octobre 91 : les crapauds du Sud en ébullition ! Ils ne veulent plus être transformés en princesse ! « Non aux baisers, oui à la laideur ! » entend-on dans les cortèges. En fait, la colère gronde depuis que les grenouilles ont été privilégiées ! Celles-ci ont demandé deux nénuphars par centimètres carrés, or la législation européenne n’en autorise que trois aux millimètres carrés ! « En donnant satisfaction aux grenouilles, on a évidemment lésé les crapauds ! explique Couac, qui se baigne depuis toujours dans le même étang. Vous voyez le jonc là-haut ? A l’origine il venait jusqu’ici ! Puis, on se reproduisait par là ! Maintenant, on fait comment ? » Devant les mares, on voit des crapauds qui cachent leur misère, mais les besoins sont évidents ! Deux têtards sont tués à Melun et deux batraciens sont arrêtés ! « A mort ! A mort ! » est tagué un peu partout ! En mai, la sécheresse est vécue comme une trahison ! L’apaisement ne viendra qu’en juin avec les premiers nénuphars en plastique, ce qui provoque l’indignation des écolos !
Années 2000 : années noires ! Les moulins à café ne tournent plus ! Largement déficitaires depuis longtemps, ils doivent cesser toute activité ! Les employés fustigent le directeur Jacques le Manchot. « Il a coulé volontairement la boîte, disent les syndicats, car ils ne pouvaient pas s’en servir ! » « Handicaphobie ! » alertent les associations ! Les pourparlers avec le groupe Marc échouent ! Malgré l’occupation de l’usine, les licenciements sont nombreux ! « Tout le monde sera recasé ! » assure le ministre Grain, mais le scandale éclate : le Manchot aurait falsifié les comptes à tour de bras !
Avril 2030 : crise des calendriers ! Ils réclament un mois supplémentaire, au regard de l’inflation !
Mai 2045 : « Nous n’en pouvons plus ! » disent les lapins.
Années 3000 : pénurie de botox, des salons ferment, des femmes se suicident ! Le lobby des rouges à lèvres est montré du doigt !
Août 4010 : « Tous des salauds ! »
8 mars 5060 : un homme est heureux, enfin satisfait ! Il est abattu immédiatement !
Soleil naine rouge, clap de fin !
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Andrea Fiala écrit : « Hier, Jack, Owen et moi, nous avons rebaptisé notre association l’OCED, anciennement OED, en SED : « Sauvons les enfants Doms ! » En effet, dès le départ, nous dire : Ennemi de… ou contre » nous gênait ! Nous ne voulons aucune haine, ni aucune violence, mais il s’agit bien de sauver des enfants d’eux-mêmes, car ils sont d’abord des enfants, pas totalement responsables de leur personne, et ensuite ils sont surtout les victimes d’une situation, d’un monde créé par les adultes ! Espérons que ce nouveau nom durera, la SED, et qu’un jour il sera connu, puisque cela voudra dire que nous avons été entendus et compris, quoique pour l’instant ce soit tout le contraire et que nous travaillions dans l’indifférence la plus totale !
Il y a une raison à cela et nous allons encore l’expliquer, d’autant que nous rappellerons qui sont les enfants Doms et pourquoi ils sont des victimes (ce qui ne les excuse pas complètement cependant...) ! Mais nous savons que la domination animale nous anime et que notre égoïsme nous pousse naturellement à nous développer et à nous satisfaire ! Nous voulons donc une liberté complète et nous nous faisons fort de nous débarrasser de tous les obstacles, et c’est pourquoi nous parlons volontiers de justice sociale ou d’égalité ! L’histoire de l’humanité est celle d’une domination qui se combat elle-même ! Car toute domination engendre une autorité, un contrôle, des règles, des dogmes qui étouffent les autres dominations, déterminées à s’en défaire ! Ainsi, nous nous sommes libérés de l’influence religieuse et plus tard de celle du communisme et aujourd’hui, apparemment aucune idéologie ne pourrait nous conquérir ! Elle serait aussitôt relativisée et classée comme une opinion ! La vérité nous est suspecte !
Pour nous rendre libres, nous avons naturellement fait appel à la raison et aux faits ! Nous avons eu recours à la logique et seule l’objectivité nous a paru acceptable ! La science moderne est né de ce mouvement et elle ne peut être que matérialiste, car aucun a priori ne doit être en mesure de fausser ses recherches ! Mais ce n’est pas uniquement la science qui a créé notre époque, c’est encore une forme de pensée, qui s’est demandé, quasiment avec acharnement, de quoi peut-on être sûr et comment vivre en s’appuyant sur son libre-arbitre, comme un homme essaierait de tenir sur un triangle ! Nous voilà donc perdus dans l’Univers, spectateurs de notre exploit, gouvernés par la raison, alors que l’océan de nos refoulements et de nos traumatismes nous taraude !
Nous sommes devenus des étrangers au monde et à nous-mêmes ! Notre conscience nous embarrasse et nous ne savons au fond qu’en faire, à moins d’avoir une foi aveugle dans le progrès ! Aveugle, car l’impasse est bien là, comme le réchauffement climatique, qui nous condamne et que la science se révèle absolument incapable d’enrayer, car elle a beau présenter ses chiffres et sa logique, nous ne changeons pas vraiment nos habitudes, nos comportements ! Elle ne sait pas plus nous parler que les militants écologistes radicaux, qui par leur violence ne font que renforcer les haines et le rejet de leurs adversaires ! C’est que l’homme n’a jamais été et ne sera jamais que raison ! Il a besoin de rêver, d’espérer, d’être rassuré et même de croire ! Il n’est pas un titan de fer, heureux de son malheur ! Il sent instinctivement qu’il est sur Terre chez lui et qu’on s’occupe de lui ! Peu importe que ce sentiment soit obscur, irraisonné, il est ! D’ailleurs, qui pourrait vraiment résister à l’idée qu’il est absolument abandonné et que tous ses efforts sont vains ?
Le matérialisme nous a été nécessaire, pour nous donner notre liberté, mais lui-même n’a pas échappé à la domination et il s’est même délecté, on peut le dire, d’abaisser, de ridiculiser toute subjectivité ! Ce n’est pas la seule raison qui l’a mené, mais quand il n’obéissait pas à la peur, car il ne veut pas être trompé, il a éprouvé une sorte d’ivresse à déchirer les anciennes croyances, comme le fauve sent sa puissance en terrassant sa proie ! Cependant, en chemin il a oublié quelque chose d’essentiel… Il s’est amputé de lui-même et s’est perdu, ce qui fait que notre époque produit des monstres, tels que les enfants Doms ! Si le ciel est vide, si nous sommes un accident dans l’Univers, si notre destin est de disparaître, sans laisser plus de traces qu’une pierre jetée dans l’eau, si nous comprenons que la raison triomphante est une illusion, alors notre seule planche de salut, c’est nous-mêmes, notre égoïsme, notre domination animale ! Comment ne pas être écrasé, anéanti par l’étrangeté du monde, sa différence, sinon en se construisant une bulle qui nous fait les maîtres, qui nous conduit au déni, au rejet de l’autre, à la violence et au chaos !
A un stade ultime, notre bulle est notre tente à oxygène ! Sans elle, nous ne pouvons respirer et comment dans ces conditions la raison saurait nous atteindre ? Voilà pour l’impuissance de la science, face aux monstres qu’elle a en partie engendrés ! Les enfants Doms sont dans une bulle quasi complète et tuer d’autres enfants ne leur paraît pas condamnable ! L’égoïsme est tel que l’autre est abstrait ! Ceci explique aussi pourquoi on est aujourd’hui capable de nier les plus grandes évidences, au profit de théories complotistes ! Nos bulles ne veulent aucun courant d’air ! Mais qu’est-ce qui peut arranger la situation, si la raison devient inutile ? Qu’est-ce que le matérialisme a ignoré ou méprisé sur sa route et qui pourrait ouvrir les bulles ? Comment nous réconcilier avec nous-mêmes ? Comment redevenir bons, doux, et confiants ? Comment apaiser les enfants Doms, en leur montrant qu’il est possible de ne pas avoir peur ? Comment offrir de l’espoir, ce qui libérerait les enfants de demain ? Comment leur rendre leur innocence et leur légèreté ?
Revenons en arrière…, car dès le départ les hommes, en admirant la nature, ont eu le sentiment qu’un dieu les avait créés, les aimait et les protégeait ! C’est ce message essentiel de foi et de confiance, que suscite la beauté, qui a été perdu et même raillé ! L’artiste a en effet été vu comme un malade, un inadapté, au point même que le scientifique pense pouvoir le remplacer, en s’imaginant le talent résultat de la volonté ! Le matérialisme s’oppose à la beauté en ce sens qu’il faut de l’innocence pour s’émerveiller de celle-ci et comprendre son message ! Autrement dit, l’enfant est sensible à la foi et il en garde toute sa force ! Le voilà capable de rassurer et de libérer les enfants Doms ! Inutile de dire que celui qui admire la beauté respecte aussi la nature et cesse de la détruire ! Retrouver le sens de la beauté est notre avenir, mais encore faudrait-il que le matérialisme reconnaisse son échec ou sorte de sa bulle et c’est loin d’être gagné !