Rank (77-81)

  • Le 30/12/2023
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R13

 

 

           "C'est curieux... A chaque fois que je parle de Komako, on me dit ce que je dois faire!"

                                                                       Un Homme est passé

 

 

                                                77

      Paschic et la Machine s’affrontent ! La Machine est toujours aussi imposante, impressionnante, mais elle n’a rien appris ! Elles cherchent toujours le pouvoir, le contrôle et ses coups sont toujours les mêmes, destinées à blesser, anéantir pour qu’elle règne à nouveau ! C’est ce qui fait la fragilité de la Machine ! Sa vie n’est qu’une lutte contre le monde extérieur, qui est pourtant le plus important, qu’il est nécessaire d’aimer, de découvrir afin de guérir de sa peur ! La Machine ne sait pas tout cela ! Elle ne compte que sur elle-même, d’où sa rage, sa violence ! Elle ignore qu’il faut d’abord perdre pour gagner ! Celui qui veut à tout prix préserver sa domination sera dispersé aux quatre vents !

       Le terrain est plat et nu… Il n’y a nul endroit où se cacher… C’est l’heure de vérité ! La Machine frappe de toutes ses forces et elle aurait pu tuer Rank, s’il n’avait pas anticipé le coup ! Là où il était juste avant, il y a maintenant un énorme trou dans le sol ! Même après toutes ces années, la Machine est toujours verte et pleine de férocité ! Mais Rank vient d’ailleurs… Il s’est offert dans la nuit la plus profonde et aucun mensonge n’y aurait résisté ! Ce qu’il a acquis est donc indestructible !

      Il se projette en avant et réplique à la Machine… Il la touche là où l’armure du mensonge est inefficace et la Machine hurle de douleur ! Tous ses os craquent et elle gémit ! Mais encore elle est surprise, car elle voit toujours Rank comme son enfant et elle ne comprend pas son évolution ! Elle tient son monde d’une main de fer et voilà qu’un de ses rejetons, celui qu’elle dénigrait le plus, le raté de la famille, est capable de lui tenir tête, de la briser, de la vaincre à son tour !

       Pour la première fois, elle hésite, se méfie… Elle ne méprise plus et c’est nouveau pour elle ! Tautonus mort ne peut plus venir à son secours non plus… Elle doit se battre seule et elle ne connaît qu’une chose : la position de chef ! Sa griffe déchire l’espace et la tête du soldat Paschic aurait dû voler, mais Rank n’a aucun mal à esquiver cette nouvelle attaque, puisqu’il a sa Machine sur le bout des doigts !

       Par contre est venu le temps pour lui de libérer le feu intérieur qui le ronge depuis des lustres et il envoie une flamme que rien n’arrête et qui finit par transpercer la Machine de part en part ! Elle est inerte, à bout de souffle et ne bouge plus ! Elle baisse la tête, perdue ! Ses fonctions ne répondent plus et elle est contrainte de regarder Rank comme un être humain indépendant : il ne lui appartient plus, n’est plus son esclave, son jouet ! Il a fallu soixante ans pour en arriver là ! pour regarder l’autre avec respect, comme distinct ! en reconnaissant qu’il a une existence propre, qu’il n’est pas qu’un simple soldat, obéissant aux ordres !

        C’est un moment unique ! La Machine ne dit rien, observe, attend, apprend ! Elle n’a plus le choix ! Elle n’écrase plus, ne crie plus ! On est plus fort qu’elle ! On a plus de science qu’elle ! Elle se voit comme elle ne s’est jamais vue ! Elle ne frappe plus, elle se retient malgré elle ! Que va-t-il se passer ? Elle n’en sait rien… Le contrôle est terminé ! La balle est du côté de Rank ! C’est lui qui a le savoir…

       Rank considère la Machine, maintenant qu’elle est immobile… Il en refait le tour et il en a encore le vertige ! Comment comprendre la Machine ? Ce qu’elle est ne peut pas venir seulement de son histoire, car le monde est peuplé de machines… La domination animale est leur socle, c’est le fond instinctif… Après, les traumatismes, les expériences, le milieu développent des particularités… Mais la logique est la même : les machines commandent leur monde et sont prêtes à tout pour cela ! C’est le pouvoir leur raison de vivre… et c’est une illusion !

       L’animal arrête sa domination quand il fait fuir son adversaire, mais pas l’être humain, qui domine encore pour calmer son angoisse, c’est-à-dire pour ne pas voir quelque chose d’invisible, d’insaisissable et que pourtant lui fait deviner son cerveau, sa connaissance ! La domination humaine constitue une bulle de sécurité, ce qui explique sa fermeture, son aveuglement et son pouvoir destructeur ! Il ne s’agit pas que la bulle s’ouvre et c’est pourquoi nous tuons la planète, à force de vouloir la dominer, comme si nous pouvions faire l’univers à notre image, en le contrôlant ! L’exemple de la Machine vaut pour tous !

      Rank tourne encore autour d’elle, maintenant qu’elle semble inoffensive… « Elle ne sera pas sauvée ! » songe-t-il. Ce n’est pas qu’il la juge, mais il ne voit pas comment elle pourrait se comporter dans la nuit des morts ! Quand nous nous retrouvons en celle-ci, seule brille la lumière de Dieu et la Machine ne le connaît pas, ne l’a jamais aimé, ne lui a accordé aucune confiance ! La Machine s’est toujours rassuré grâce à son pouvoir, d’où l’écrasement de Paschic ! Dieu lui est totalement étranger et ne l’aidera pas !

      C’est d’ailleurs un sujet incroyable pour Rank ! Comment la Machine et les machines peuvent-elles traiter la vie éternelle comme par-dessus la jambe, alors que nos vies terrestres glissent comme un souffle ? Mais elles ne se rendent pas compte…

      Certes, on peut ne pas croire, mais toutes les calembredaines, tous les faux espoirs, toutes les considérations des athées, des militants de toutes sortes, des philosophes de tout poil, des chantres de la raison n’atteignent pas Rank ! Il a connu ce qu’il y a de pire et une chose est sûre pour lui : la vie n’a absolument aucun intérêt si Dieu n’existe pas ! Tout ce à quoi on se raccroche, sans la foi, n’est que fumées ! Ceux qui pensent le contraire ne se voient pas tels qu’ils sont ! Ce sont des machines, c’est la domination leur boussole, d’où leur cris, leur haine et le mal !

      La rage de la Machine, sa soif de dominer… en vain, juste pour la nuit !

                                                                                                         78

       Rank marche dans le désert des machines… Son pas crisse sur le sable et il regarde les nombreuses machines qui l’entourent ! Elles rouillent dans des postions grotesques, envahies par les mauvaises herbes… Le vent chante faiblement, en passant leurs trous… Elles sont toutes différentes et on n’en finirait pas de les compter ! Le temps les a vaincues et elles meurent là, oubliées !

      La vérité elle aussi semble perdue ! Qui dira les méfaits des machines, leur dureté, leur méchanceté, leurs mille petits crimes au quotidien, tout leur mépris, les avanies qu’elles ont fait subir et qui conduisent, comme les petits ruisseaux, aux grandes tragédies? Le mal, s’il n’est pas illégal, s’il n’a pas fait l’objet d’une plainte, s’il n’a pas marqué l’histoire, est emporté telle la poussière ! A-t-il jamais existé ? Qui pourrait le prouver ? N’est-il pas qu’une affaire de point de vue ? La justice n’est pas de ce monde…

      Ou plutôt si, mais ses lois sont invisibles ! Les machines ont fait et font leur propre malheur ! La vie sans pitié qu’elles créent est aussi leur enfer ! L’égoïsme, qui suinte d’elles tous les jours, finit bien entendu par se retourner contre elles ! Les machines sont surprises de trouver en face d’elles d’autres machines ! Pourtant, les machines broient et sont broyées, qu’est-ce qu’il y a là d’étonnant ? Mais les machines s’ignorent…, terminent ici, dans ce cimetière, et la justice n’est plus que cette plainte du vent !

       Un homme vient de l’horizon et s’approche de Rank… Il a l’air pressé et essuie son front en sueur ! « Bonjour, fait-il. Ah ! Quel monde ! C’est le chaos, la nuit s’étend ! Vous m’avez l’air honnête… Il faut servir le Seigneur, car les forces du mal ne cessent de progresser !

_ Il faut d’abord avoir confiance et ne plus avoir peur ! C’est d’abord pour soi que la foi est difficile !

_ Je défends le Seigneur et suis son soldat !

_ Malheur à celui qui tend une bannière… et qui veut imposer sa loi ! Il sera animé par la haine !

_ Malheur à celui qui reste inactif, qui ne prend pas parti ! »

      Rank ne rajoute rien, il sait ce que c’est inutile : les intégristes, les traditionalistes, les fanatiques de toutes sortes sont persuadés de faire le bien et la vérité continue de tourbillonner là-bas, voilant les débris ! Rank regarde l’homme s’éloigner et il le voit perdre son enveloppe corporelle... La machine qui est en lui apparaît et il ne peut en être autrement ! Puis, comme les autres, elle s’enlise, se fige et commence à rouiller ! Elle était sûre pourtant de son bon droit, de sa bonté, mais ainsi s’écoulent les siècles !

       Croire, c’est d’abord avoir confiance… et c’est le plus difficile ! Il n’y a pas d’autres preuves d’amour ! Corriger le monde, combattre des ennemis, c’est déjà la domination ! C’est la machine ! Et que de folies ! Aimer Dieu, c’est d’abord perdre, impossible pour les intégristes ! L’orgueil ne le supporte pas !

        Mais c’est d’ailleurs parce qu’on ne peut pas convaincre les machines, surtout par la force, que Rank aime les lieux désertiques : il s’y repose ! Il y écoute le silence, qui est toujours une attente… Les machines, qui voudront changer, changeront… Les autres continueront leur cirque, leurs crimes et il en a toujours été ainsi… On ne peut forcer les gens à aimer, c’est un non-sens !

       Alors qu’il fixe distraitement une machine, Rank la voit subitement de nouveau s’agiter ! Elle n’était donc pas morte et aussitôt elle frappe Rank ! Ce n’est pas très douloureux, car la machine est vieille, mais tout de même Rank met son casque et devient le soldat Paschic ! De temps en temps, il s’amuse à énerver les machines, à les sentir bouillir, s’exciter… Il ne risque pas grand-chose, il a une carapace hors-pair, un entraînement exceptionnel, puisqu’aucune machine ne peut rivaliser avec la Machine, sa mère, ce qui la rendait redoutable entre toutes !

       La machine « ressuscitée » enrage tant le soldat Paschic semble indifférent à ses coups ! Il est là tel un rocher et la domination de la vieille machine est arrêtée net ! Le monde n’est plus devant elle comme à la baguette ! Elle n’en est plus le centre ! Elle palpite, déploie ses tentacules, ses dards, essaie de percer Paschic, suffoque, commence déjà à perdre quelques boulons ! Le niveau de sa haine atteint le rouge ! Nul doute que si d’un coup il n’y avait plus de lois, de civilisation, elle trancherait le cou de Paschic avec une délectation sans bornes… et tout ça pourquoi ? Parce qu’on lui dit une seconde que les autres existent !

       Paschic pleurerait, si en ce moment même il ne s’amusait pas ! Il prend plaisir à éprouver toute la vanité impuissante de la machine, qui s’essouffle déjà, qui peu à peu baisse les bras et qui finalement retrouve l’immobilité ! C’était un réveil sans lendemain, peut-être juste un sursaut nerveux, réflexe ! L’endroit est de nouveau calme, comme l’esprit de Rank…

                                                                                                       79

         La matinée est belle, ensoleillée et la mer calme ! La Machine part à la pêche et elle a loué un bateau et son capitaine, nommé Jim ! La Machine arrive sur le ponton avec un matériel qui impressionne, des cannes comme des antennes, des moulinets énormes et des sacs bourrelés ! Jim se dit qu’il a affaire à une cliente sérieuse et il s’empresse de la débarrasser, avant de larguer les amarres ! A la poupe, le bateau crache un peu de fumée, en bavant, puis il glisse sur l’eau bleue, accompagné du cri rauque des mouettes !

        On sort du port et une houle légère se fait sentir ! Direction le large ! Jim demande bientôt à la Machine : « Alors qu’est-ce que vous voulez pêcher, m’dame ? Tous les coins n’offrent pas les mêmes possibilités ! Je peux vous proposer le thon ou le marlin ! Ça, c’est du sport… et ça correspondrait bien à l’épaisseur de vot’ ligne ! »

        La Machine ne répond pas, elle paraît absorbée… « Sinon y a la pointure au-d’ssus, reprend Jim, le Grand blanc ! Oui, mais alors là attention, ça peut tourner au carnage ! »

        La Machine se lève et déclare laconiquement : « Moi, j’ pêche le Rank ! Amenez-moi là où il y a le plus de fond ! »

       Jim est interloqué : « Sauf vot’ respect, m’dame, dit-il, j’ai jamais entendu parler d’un poisson nommé le Rank !

_ Ça ne m’étonne pas ! La vermine se cache ! »

        Jim ne comprend toujours pas de quoi il est question, mais enfin il va conduire la cliente au-dessus d’une fosse, l’endroit le plus profond du secteur ! « V’là, m’dame, on y est ! » fait-il après quelques minutes. La Machine acquiesce et se prépare, sous l’œil curieux de Jim. Elle sort d’un sac des billets de banque, un bon paquet, ce qui ahurit complètement Jim : « Bon sang, m’dame, qu’est-ce que vous allez faire de tout cet argent ? Vous n’allez quand même pas le j’ter à l’eau ?

_ Pas tout à fait ! Mais c’est tout de même mon appât !

_ Jamais vu ça ! Et y en a pour combien là ?

_ 5 000 euros !

_ Eh ! Mais c’est déjà une somme !

_ Je veux ! Mais plus, ce serait de la farce ! Moins, ça ne fonctionnerait pas !

_ Si vous le dites... »

       La Machine glisse l’argent dans un filet de fer, qu’elle accroche à la ligne… « Si j’ comprends bien, reprend Jim, vot’ poisson, le Bank…

_ Le Rank !

_ Très bien, le Rank ! Y va pas pouvoir prendre l’argent !

_ Non, c’est c’ qu’on appelle un compte bloqué ! Mais il ne pourra pas résister non plus ! Il va s’ le mettre dans la gueule, jusqu’à ce que j’ le remonte ! »

       La Machine laisse filer la ligne longtemps, avant de mettre le frein. Puis, elle se retourne vers Jim, en disant : « J’ suppose qu’ y a d’ la bière fraîche ! »

       Dans les profondeurs, le Rank tourne en rond… Il n’y a pas beaucoup d’ monde dans la nuit des abysses… Les machines préfèrent de loin faire du battage en surface, attirées par la lumière ! Ici ne vivent que ceux qui résistent aux grandes pressions… Cependant, le Rank aperçoit un éclat argenté et s’en approche… 5 000 euros ! Bon sang, il en a l’eau à la bouche, car il pourrait en faire des choses, avec 5 000 euros ! par exemple, acheter une voiture ! Oh ! Elle serait presque une épave, mais elle roulerait quand même !

     Le Rank en profiterait pour gagner la surface, comme ça librement ! Il jouirait lui aussi du soleil, il chanterait sur la route, il verrait du pays, élargirait son horizon, etc. ! C’est pas rien ! Le Rank ne perd pas de vue l’argent, il le contemple, mais il y a un hic ! Le magot est dans un filet de fer ! C’est la première fois que le Rank voit ça ! Une étiquette indique Compte bloqué ! Bloqué ? Ça veut dire que quelqu’un l’a bloqué et peut l’ouvrir ! Et qui, sinon la Machine ?

       D’un coup, le Rank voit le scénario : il ouvre la gueule et remonte avec l’appât ! Il est tiré sur le pont du bateau et là, la Machine lui donne des coups, pour l’assommer, en criant : « Tu veux les 5000 euros ? Mais va falloir changer d’attitude ! Comment peux-tu t’ comporter comme ça ? Quel paresseux tu fais ? On va tout reprendre depuis le début ! Nom, prénom, adresse ! J’ vais t’ dresser, moi, tu vas voir ! Y en a marre t’entends, marre ! »

        Toute la vie de Rank, tous ses efforts pour échapper à la Machine, pour trouver la paix, seraient en une minute réduits à néant ! Il aurait remis la main dans l’engrenage, il serait de retour en enfer ! Aussi le Rank laisse l’appât... Le prix à payer serait bien trop coûteux… et puis il est sans voiture depuis toujours… C’est un coup à prendre et le Rank retrouve le bleu nuit de son univers…

        Sur le bateau, le temps passe et la Machine s’impatiente ! « J’ comprends pas ! dit-elle. 5 000 euros et il n’en veut pas ! C’est pas normal ! Il doit être malade !

_ Bah, y a des jours où ça mord pas ! C’est comme ça !

_ Mais moi, qu’est-ce que je vais devenir ! J’en ai besoin, moi, du Rank ? J’ai besoin d’ dominer, d’ lui écraser l’ dos dans les coins ! C’est ça qui renforce ma supériorité ! qui m’ donne chaud ! Où on va, si j’ peux plus m’emporter ?

_ On pourra rev’nir une autre fois ! »

        La Machine ne répond pas et regarde seulement avec mélancolie le soleil couchant…

                                                                                                       80

       Les quatre pick-up s’arrêtent devant la montagne ! Le ciel est noir sur les sommets enneigés et autour il n’y a que de la rocaille ou du vide à perte de vue ! La Machine descend de son véhicule… Elle est coiffée d’un Stetson et vêtue d’une veste rembourrée de laine ! Elle souffle dans ses mains et attend les trois autres femmes qui l’accompagnent !

        Elles sont toutes habillées comme la Machine et font le même métier : elles exploitent un ranch, connaissent la vie dure de la ferme et entre elles et la Machine, il n’y a qu’une différence de génération ! Elles sont plus jeunes et font partie de celles qui ne veulent plus d’hommes, qui les jugent inutiles et qui haïssent leur ancien pouvoir ! La Machine, elle, a eu un mari, qu’elle a usé à la tâche et elle en est devenue une sorte de légende !

        Chacune de ces femmes chasse couramment pour la viande ou pour faire fuir des prédateurs et même des voleurs et tout naturellement, avant de rejoindre la Machine, elles ont saisi leur fusil à lunettes ! « Bon, les filles, fait la Machine, on est bien d’accord ! On n’ peut pas laisser Rank libre dans la montagne, échapper à mon autorité ! Ce serait de nouveau ouvrir la porte à tous les abus du mâle ! On va donc le capturer, le ramener mort ou vif !

_ Oui, oui ! approuvent en souriant les trois autres, malgré leur nez déjà rougi par le froid.

_ On ne va pas chercher au hasard, reprend la Machine. Comme vous le savez peut-être, j’ai planté dans la tête de mes enfants ce que j’appelle les électrodes de la peur, car c’est grâce à la peur que je les tiens ! Vous voyez ce boîtier ? Il me permet de déclencher la peur, mais aussi de repérer où sont mes électrodes et donc Rank ! A l’heure actuelle, il est sur le versant ouest… On va le cueillir sans problèmes… Allons, en route ! »

        Le petit groupe se met en marche, sans précipitation, en économisant son énergie : il a le temps ! De sont côté, Rank se maudit d’avoir quitté si vite le ranch de la Machine, mais il ne la supportait plus ! Cependant, maintenant, vêtu trop légèrement, il a froid et il se bat le corps pour se réchauffer… Mais là n’est pas le principal : Rank sait qu’il a des électrodes plantées dans le cerveau et qu’elles ont y été mises pour le contrôler ! Toute la paranoïa de la Machine s’est ainsi répandue en lui et le monde extérieur lui paraît éminemment hostile, ce qui freine bien entendu sa fuite !

        Mais encore, dès qu’il sera de nouveau face à la Machine, il sera paralysé par la crainte et on le reprendra facilement ! Il n’existe qu’une solution et elle n’enchante pas Rank, c’est le moins qu’on puisse dire !

        Les chasseresses progressent, mais soudain elles se figent : un cri horrible, atroce, quasiment inhumain, vient de leur glacer le sang ! Elles tendent l’oreille, mais plus rien que la plainte du vent ! « Bon sang ! Qu’est-ce que c’était qu’ ça ? demande l’une des femmes.

_ Peut-être que Rank a été attaqué par un animal… répond une autre, un ours… ou un lynx ! Il y en a sur ces crêtes !

_ De toute façon notre gibier est cuit ! assure la Machine. Comme vous le savez, le sommet se termine par un précipice et blessé ou pas, Rank ne pourra pas aller plus loin ! Attendez-vous à le voir acculé ! »

        Les femmes reprennent l’escalade et derrière un rocher trouvent du sang… Ce n’est pas joli à voir et l’hypothèse de l’attaque se confirme ! Les chasseresses vérifient leur fusil, au cas où elles devraient en plus affronter un ours, puis elles repartent… Mais, parvenues au sommet, elles ne découvrent rien, juste l’abrupt qui les arrête aussi !

« Je ne comprends pas, dit la Machine, le boîtier indique un mouvement sur la gauche... » Pour en avoir le cœur net, la Machine regarde dans ses jumelles et effectivement elle aperçoit quelque chose, une chèvre ! La machine l’examine plus attentivement et découvre du sang sur son encolure, puis soudain la Machine sursaute : ses électrodes, enfin celles de Rank, ont été accrochées à la chèvre !

« Ce n’est pas une attaque qu’a subi Rank, explique la Machine à ses partenaires. Il a réussi à arracher ses électrodes… et à les fixer sur une chèvre ! Elle est là-bas au bord du gouffre !

_ D’où le cri ! rajoute une des femmes, en réprimant un frisson.

_ Cela veut dire qu’on ne sait plus où il est ! dit une autre.

_ Il ne survivra pas dans la montagne… » réplique la troisième.

       La Machine reste silencieuse et contemple l’horizon… Elle se rend compte que Rank lui a échappé définitivement !

                                                                                                     81

        La Machine a créé un journal : L’Opprimée et c’est la réunion matinale de la rédaction… La Machine, qui fume un gros cigare, est entourée par Bona, son droïde, et par une psychologue nommée justement Lapsie !

         La Machine mâchouille son cigare, fait un peu le tour de la presse et tape sur la table ! « Ça va pas ! Ça va pas ! Y a pas assez d’Opprimée là-d’dans ! Je veux des opprimées partout ! Je veux qu’on lise L’Opprimée partout, parce qu’il y a des opprimées partout ! Je veux que tout le monde lise mon journal, qu’on le bouffe, qu’on le dévore ! De L’Opprimée ! Encore de L’Opprimée ! Y a trop d’mâles encore ! Je vois encore des têtes qui devraient tomber ! Nous sommes des victimes, je vous l’ rappelle ! C’est l’essence même de notre journal ! Or, le mâle se pavane, respire, se fout de not’ gueule ! Il se gausse ! Il est encore là ! Le coq chante toujours sur son tas de fumier ! Bang ! Bang ! Faut le dégommer ! On ne peut pas compter sur la justice ! Trop lente ! Niaise, dépassée, encore trop masculine ! Qui a fait les lois ? Les hommes, encore les hommes ! Tout cela doit changer ! A nous le pouvoir ! L’Opprimée est l’amie de la femme, son confident, son réconfort, son bras armé, vengeur ! L’Atlantide des hommes est arrivé ! C’est L’Opprimée qui l’annonce !

_ Bravo ! s’écrie Mona. Vous êtes une femme extraordinaire, magnifique, exceptionnelle ! Vous êtes un exemple pour nous toutes !

_ Merci, Bona, répond La Machine. Lapsie, rappelle-moi ce qu’est un pervers narcissique !

_ Eh bien, le pervers narcissique veut le pouvoir, que le monde tourne autour de lui, qu’on s’occupe de lui 24 heures sur 24 et pour cela il se voit comme une victime, ce qui lui permet d’attitrer l’attention !

_ Voilà ce qu’il nous faut ! Il nous faut démontrer que le mâle est par essence un pervers narcissique ! qu’il veut le pouvoir en se posant en victime !

_ L’ordure ! jette Bona.

_ Grâce à une vaste campagne contre le pervers narcissique, L’Opprimée pourra doubler son chiffre de vente ! reprend la Machine. On vengera la femme d’un affront immémorial ! On s’occupera enfin d’elle ! Elle aura toute notre attention ! Le pervers aura le nez dans la boue ! Il n’aura plus d’autres choix que de rejoindre sa porcherie ! Enfoncé le pervers ! Lapsie, tu t’occupes de ça ! Je veux des analyses psychologiques en veux-tu en voilà Tu me détruis les réputations de tous ces messieurs ! Du vent ! Quoi ? Qu’est-ce que c’est ? »

        On vient de frapper à la porte et entre timidement Rank… Comme il est le fils de la Machine, on lui a donné sa chance au journal ! On a encore remarqué qu’il avait quelque talent pour le dessin et il est chargé de proposer des caricatures… A la vérité, on le voit plutôt là pour l’occuper, tel qu’on laisserait un enfant autiste avec des crayons, en lui accordant moins de respect cependant ! Mais il est vrai qu’il a l’air un peu idiot et que les chenilles de la Machine l’ont marqué !

« Qu’est-ce que tu veux ? fait la Machine en grimaçant et en regrettant encore de s’être encombré de Rank.

_ Bonjour, la Ma… Enfin, je veux dire Bonjour mesdames ! Alors, pour une fois, j’ai été inspiré ! Y a comme de l’électricité dans l’air ! Vous allez être contentes de moi, car je crois que j’ai frappé fort !

_ Viens-en au fait, veux-tu ! réplique la Machine. On est occupé ! 

_ Voilà... »

         Rank déroule une affiche où on voit la Vierge Marie, qui dit : « C’est dur d’être aimée par des connes ! » « Hein ? Qu’est-ce que vous dites de ça ? » s’écrie Rank. Silence glacial ! « Oh ! Mais attendez, j’ai autre chose ! » enchaîne Rank et il montre une deuxième affiche, dont le slogan est : « Le Vingt-et-unième sera lesbien ou ne sera pas ! » « Hein ? reprend Rank. Ça cogne ! C’est tout à fait dans l’ sens de L’Opprimée ! Je crois que j’ai trouvé le véritable impact publicitaire !

_ Tu sais quoi, mon p’tit Rank ? fait la Machine. Tu vas aller nous chercher du café, des croissants, quatre alsaciennes, deux brioches à la courge, véganes, et des muffins au chocolat !

_ Mais… je ne suis pas une stagiaire ! Tu n’as pas à me traiter comme ça ! C’est un abus de pouvoir ! Je suis une personne après tout ! Il ne manquerait plus que Lapsie me caresse !

_ Comment tu parles à ta mère, petit enfoiré ! rugit Bona.

_ Je ne vais certainement pas t’ caresser, coupe Lapsie, car tu me dégoûtes absolument ! Par contre, j’ai déjà fait un rapport sur toi et je t’ai classé bien entendu dans les pervers narcissiques !

_ Donc, conclut la Machine, Rank, tu files à la boulangerie… C’est le magasin qui brille avec ses croûtes dorées… et tu nous ramènes de quoi oublier que nous vivons dans un pays de merde ! »

 
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