Rank (62-67)

  • Le 09/12/2023
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R11

 

               _"Quand j'aurais récupéré la carte, moi, Lucifer, je pourrais me venger de ce Dieu débile!

               _ Mais, maître, Dieu ne peut pas être aussi mauvais, puisqu'il vous a créé!

               _ Qu'est-ce que tu as dit?"

                                                                         Bandits, bandits

 

                                                        62

      Les temps sont noirs ! La Machine a pris la direction du Comité de salut public féminin et les accusations pleuvent ! On organise les plaintes, vraies ou fausses, on repère des cibles, qu’on fait tomber ! On sape la domination masculine sur tous les fronts ! On arrête, on condamne, on mène à l’échafaud ! Le soupçon plane sur la ville, nul n’est à l’abri ! Qui triomphe et chante aujourd’hui est traîné dans la boue et oublié demain ! Ce que femme veut, Dieu le veut ! La moindre petite fumée se transforme en un gigantesque brasier !

      La délation fonctionne ! Les sous-comités recueillent les renseignements, toutes les frustrations : pensez, plus de cinq mille ans (il faut bien donner un chiffre!) de domination masculine, sous le joug de l’homme, pour rien, d’une manière inexplicable, seulement à cause de la force physique, de la brute, du féminicide, du viol ! Mort aux tyrans ! Mort aux tyrans ! Que de justice à rattraper ! On fait chuter l’idole et on la déchire ! On la dépèce sur la scène publique ! Le moindre soupçon et c’est fini !

      Le Comité agit principalement dans l’ombre ! Ses antennes sont partout, ses chausse-trappes aussi ! La femme déçue se frotte les mains : elle a droit à une deuxième chance ! Elle avait parié sur le mauvais cheval, pour atteindre les sommets, elle va pouvoir se rembourser pécuniairement, mais surtout dans son amour-propre ! Elle avait espéré, calculé, on lui avait promis, elle s’était donnée et elle s’est retrouvée sur le bord de la route, larguée ! La voiture de secours arrive, on va pouvoir poursuivre l’égoïste, le profiteur !

      On raconte éperdue qu’on a été victime d’un courant d’air, qu’on était sous emprise, fragile, naïve, innocente ! Une main a été levée ! A quelle date ? Le 23…, non, non, excusez-moi, le 24 ! On invente de nouvelles maladies, aux noms anglo-saxons ! Elles n’ont qu’un sexe, le masculin ! Il n’y a pas de femmes perverses narcissiques ou paranoïaques, que des hommes ! La femme, cet être pur, n’est qu’une victime manipulée, abusée ! La Machine rigole ! Elle le savait que Rank était un beau fumier ! L’heure de la vengeance a sonné !

      « Dites donc, l’abbé..., fait la Machine.

_ Hmmm, répond vaguement l’abbé Convention, tout à son gâteau et son thé.

_ Rank a un secret sur moi… et je ne voudrais pas qu’il le divulgue ! Cela pourrait profiter à nos ennemis !

_ Humph ! Quel secret ? Humph…

_ Eh bien, c’est assez gênant, mais Rank pourrait éventuellement dire que je ne suis pas ce que je prétends être…, que je suis une méchante, ou pire encore ! Vous savez combien Rank est dérangé !

_ Moi, j’ me chargerais bien d’ Rank, s’écrie Bona, présente elle aussi à cette petite réunion informelle. J’ vous le ramène pieds et poings liés et là j’ lui fais rentrer dans l’ crâne combien vous êtes une femme formidable, fantastique, exceptionnelle !

_ Merci Bona, mais pour l’instant, c’est à l’abbé que je parle…

_ Oh ! Mais de toute façon, répond l’abbé, Rank vous doit obéissance ! C’est l’une des règles les plus sacrées de la religion !

_ Comme j’aime à vous l’entendre dire, l’abbé ! En effet, Rank me doit tout, il est ma chose ! Et pourtant, s’il venait à raconter certains faits, sous un certain angle disons, il s’rait sans doute à même de me mettre dans l’embarras ! La révolution féminine elle-même serait touchée ! Nous ne serions plus des victimes innocentes, mais également des bourreaux !

_ Comment ? Comment Rank oserait-il vous salir ? s’insurge Bona. Vous êtes divine, magnifique, sans pareille ! Rank est un mufle, un ingrat, un sournois, un… rat ! que j’écraserai volontiers ! Couic !

_ Merci encore Bona, mais maintenant je voudrais que tu la fermes ! J’ai besoin de la caution de l’abbé, pour parer les attaques de Rank ! On ne l’arrêtera pas avec des mots doux, c’est un fanatique !

_ Vous voulez ma caution ? Mais vous l’avez, ma chère madame ! Qu’est-ce le poids d’un fils, par rapport à celui de sa mère, sur la balance de Dieu ! Vous êtes devoirs, responsabilités et sacrifices ! Un amour infini coule dans vos veines ! Tandis que Rank, cet amoureux des Majorettes ! ce chef de chantier de chez Lego…

_ Encore un peu de gâteau, monsieur l’abbé ?

_ Volontiers, merci ! Quant à vos péchés, car je vois une ombre de culpabilité sur votre visage, je pourrais vous rassurer dans un confessionnal ! Dès demain, si vous voulez !

_ Cela me fait chaud au cœur d’être soutenue ! Cette époque est pleine d’avenir pour la femme et je tiens à y participer pleinement !

_ Bien sûr ! rajoute Bona. Gloire à notre nouvelle héroïne ! »

                                                                                                                 63

      Paschic est au milieu de la caserne et il essuie la colère de la Machine ! « Qu’est-ce que c’est qu’ ça, soldat Paschic ? des traces d’œufs sur votre uniforme ? Montre-moi tes mains ! Elle ne sont pas propres ! C’est comme tes cheveux, ils n’ont pas la coupe réglementaire ! Ton baraquement également est sale ! Le lit est mal fait, l’armoire en désordre ! Ici, ce n’est même pas balayé ! Tu as laissé une serviette humide dans la salles de bains… Quand c’est comme ça, il faut en mettre une sèche pour celui qui arrive ! Les toilettes, tu ne les aères pas suffisamment après ton passage, ce qui fait que les autres doivent supporter tes mauvaises odeurs ! Par ailleurs, j’ai rencontré ton prof d’anglais, il m’a dit que tu n’en faisais pas assez, que tu t’ la coulais douce ! Tous tes profs sont unanimes : tu te laisses aller, tu fais ce que tu veux, comme ici ! Tout le monde doit être au service de monsieur, car seul monsieur compte ! Tu prends vraiment les autres pour des cons !

_ Je t’assure que non !

_ Silence soldat Paschic ! Nous avons les preuves de votre trahison ! Tu es allé raconter à tes p’tits copains combien on était dur avec toi, que nous étions sans cœur !

_ C’est pas vrai !

_ C’est pas vrai ? Alors, en plus d’être fainéant comme un pou, tu serais un menteur ! Je te l’ai dit que nous avons des preuves ! Tes plaintes sont remontées jusqu’à nous par d’autres parents ! Tu dis partout que tu as une vie de martyr, que nous sommes injustes ! Par là, tu donnes du grain à moudre aux ennemis de Tautonus, tu menaces sa carrière, tu ouvres la porte à l’étranger, tu favorises notre ruine, alors que c’est grâce à nous que tu as un calot, un uniforme, un toit et à manger !

_ Mais je n’ai pas dit du mal de….

_ Silence soldat Paschic ! Vous êtes coupable de haute trahison ! Vos dénégations n’y changeront rien ! Par conséquent, soldat Paschic vous êtes dégradé ! mis au banc de l’armée, jusqu’à ce qu’elle juge que votre attitude a changé ! Il est impensable que vous ne soyez pas rempli de gratitude ! »

       Il y a un roulement de tambours et la Machine arrache violemment les maigres galons de Paschic ! Puis, elle lui prend son sabre de bois et le brise en deux ! Paschic se tient dignement sous l’oeil des quelques spectateurs… Cependant, il tient à déclarer : «  Si j’ai pu me plaindre auprès d’autres, c’est par désespoir… Je… je penses que tu es injuste…

_ Qu’est-ce qu’un minable comme toi peut savoir de ce qui est juste ou injuste ?

_ Voilà, c’est ton mépris qui est injuste !

_ Mais j’arrêterai de te mépriser, quand tu seras à la hauteur ! Tu auras droit au statut d’adulte, quand tu seras moins égoïste ! Car à quoi penses-tu sinon à tes plaisirs !

_ Mais toi aussi, tu penses à tes plaisirs ! Prendre plaisir, c’est bien laisser aller sa colère, son mépris ou sa haine ! C’est satisfaire son ego ! Autrement plus difficile est de se réfréner, de prendre sur soi ! Et c’est ce que j’apprends chaque jour, moi !

_ Comment ? Mais comment tu m’ parles ! Ce n’est pas possible ! Mais tu répliques ? C’est… c’est… TAUTONUS ! »

       La Machine vient de hurler et Tautonus accourt ! En une seconde, il a compris la situation et il renverse Paschic, puis le bourre de coups par terre ! Paschic n’est plus que douleur et il ne bouge plus ! La Machine alors s’adresse à la cantonade et son message vaut bien sûr en premier lieu pour Paschic : « Nous venons tous d’être les témoins d’événements extrêmement graves ! A la haute trahison, Paschic a rajouté la rébellion ! Vous êtes chauffés, nourris, blanchis et la moindre des choses que l’on attend de vous, c’est de la reconnaissance ! Comme vous le savez, la carrière de Tautonus est difficile ! Tout peut s’écrouler demain ! Il nous faut donc nous serrer les coudes, nous montrer solidaires ! C’est ce que ne comprend pas apparemment le soldat Paschic… et il en subit les conséquences ! Ne m’obligez pas à vous soumettre le même traitement ! Au contraire, que l’exemple de Paschic vous soit odieux ! Ce s’ra tout… Rompez ! »

       Il se met à pleuvoir et le soldat Paschic reste seul et couché sur le sol… Ce sont des gouttes ou des larmes qui coulent de ses yeux ? Où est-il ? Qu’est-ce que c’est que ce monde ? Il va falloir qu’il se remette debout ! qu’il ne crève pas de toute l’amertume qui est en lui ! qu’il rentre toute sa haine, toute sa colère ! Certains le voient déjà vieux, comment pourrait-il en être autrement ? Dans son logement, la Machine se croit insultée, être la victime d’un monde d’hommes ! Tautonus lui répond qu’elle a tout à fait raison, car il pense à la stratégie du lendemain !

                                                                                                                 64

      La Machine descend dans sa salle de tortures… Elle est préoccupée… Tout la déçoit, l’exaspère… D’abord, on ne peut compter sur personne ! Tautonus est un homme et donc bête ! Mon Dieu, il faut tout lui expliquer ! et quelle naïveté ! Il croit que ses amis ne vont pas le trahir, lui planter un couteau dans le dos ! Comme s’ils ne voulaient pas eux-mêmes le pouvoir et qu’ils n’attendaient pas dans l’ombre leur tour ! "La politique, c’est un tas d’ fumier, avec des rats d’dans ! Tautonus est comme un enfant et je dois lui apprendre à trancher les gorges, avant qu’on découpe la sienne !"

       Ainsi vont les pensées de la Machine, sur les marches boueuses et glissantes de sa prison ! « Bon qu’est-ce qu’on a ici ? fait-elle intérieurement. Alors, bourreau, du nouveau ? Fait un peu froid chez vous, mais j’imagine qu’un peu d’exercice permet de s’ réchauffer , hein ?

_ Bien le bonjour, madame ! répond le bourreau, un homme bedonnant. Effectivement, c’est fort humide par ici, mais j’ai mon brasero et je profite de sa chaleur, avant d’aller marquer au fer ! Non, c’est le peu d’éclairage qui est mon principal souci : ma vue baisse, hélas !

_ Ah çà, bourreau, on n’ rajeunit pas ! C’est pas dans l’ programme et il faut faire avec ! Mais on n’est pas des chiffes molles, que diable ! Alors, comment va notre... patient ?

_ Difficile à dire ! Je n’ai jamais rencontré quelqu’un d’aussi têtu ! Il refuse toujours d’admettre que vous êtes merveilleuse, extraordinaire ! la mère éternelle et incomparable !

_ Comment ? Il ne plie pas ? Il résiste encore à mon autorité ? Pourtant, il n’est qu’une ombre dans mon univers ! un ciron ! Je ne comprends pas !

_ Moi non plus ! J’ai travaillé le bonhomme avec tout mon art ! C’est bien simple, il n’a plus d’ongles ! J’ai entendu craquer chacun d’ ses os ! Il a bu tellement d’eau que c’est moi qui ai fini par être fatigué ! Eh bien, il refuse toujours de signer le papier !

_ Vous lui avez bien dit ce qu’il allait gagner, en l’ signant ?

_ Bien sûr ! Je lui ai répété mot pour mot votre raisonnement ! Entre deux frottements au sel, sur ses chairs vives, j’étais là : « Pourquoi s’obstiner monsieur Rank ? La Machine, je veux dire vot’ mère, a raison ! La Révolution féminine est en marche et il faut bien entendu surfer d’ssus pour réussir ! La femme est une victime ! Voilà, monsieur Rank, c’est pas plus compliqué qu’ ça ! Elle est une victime de ses devoirs, des diktats masculins et elle veut naturellement être libre, s’échapper de la triste prison que constitue souvent sa famille » ! « Vive la femme ! » ai je crié d’enthousiasme !

_ Mais c’est parfait tout ça ! Et vous n’avez pas obtenu de résultats !

_ Un vrai cœur de pierre, madame ! En cinquante ans d’ carrière, j’en ai pourtant vu, mais là rien ! pas une once de sensibilité ! un monstre ! J’avais sa langue dans la tenaille, prêt à la lâcher au moindre mieux et j’ai rajouté : « Mais nom de Dieu, la vie facile, l’aisance, voire la célébrité te tendent les mains, pauvre couillon ! Suffit d’ signer le papier, d’ surfer sur la Révolution fé… minine ! La femme est une victime ! Et j’ai serré, serré !

_ Pas trop quand même… ?

_ Ah, j’étais hors de moi !

_ C’est aussi l’effet qu’il me fait ! Mais comment est-il maintenant ?

_ J’ crois qu’il boude !

_ C’est vrai ? Il boude ?

_ En tout cas, il bouge plus !

_ Quel gamin !

_ Vous savez, cette obstination à ne pas vouloir vous admirer, alors que vous vous sacrifiez pour le bonheur de votre famille, elle n’est pas normale ! C’est l’œuvre du diable !

_ Allons, bourreau, tu perds la tête ! Te voilà superstitieux ! Il est inconscient ? On ne peut pas le réveiller ?

_ Voyez vous-même ! »

Rank est inanimé sur une planche... Ses bras tombent et il est d’une maigreur extrême… « Je suis déçue, dit la Machine, j’ai besoin de compliments, de sentir mon pouvoir ! J’ suis accro !

_ La vie n’est pas toujours rose ! 

_ Non, mais il y a des moments où j’ai envie de tout laisser tomber, d’aller voir ailleurs !

_ C’est bien compréhensible, quand on donne autant qu’ vous ! 

_ Bon, faut que j’ me sauve ! Les magasins à faire ! C’est Noël, ne l’oubliez pas !

_ Encore une corvée ! »

                                                                                                                  65

      La Machine est à l’agonie, dolente et elle se plaint à l’abbé Convention, qui l’assiste en ces derniers instants ! « Aaaaatcha ! Aaaatchi ! fait la Machine. Snif ! Voilà la triste fin d’une vie d’ labeur !

_ Certes ! Certes ! Mais pensez à la félicité qui vous attend ! La récompense est là derrière ! N’en doutez pas ! Tenez, je vous envie ! Car pour vous, ce s’ra direct ! Vous allez vous présenter devant le Créateur, avec sur le front la violence faite aux femmes ! Quel meilleur viatique ? « Heureux celles qui ont souffert en mon nom ! »

_ Ouais, ouais… J’ai quand même quelques regrets ! Rank, par exemple, il m’a échappé, pfffuit ! Le seul qui a réussi à s’enfuir ! Ça me rend malade !

_ Allons, allons ! Vous vous faites du mal !

_ Aaatacha ! Aaaatchi !

_ Vous voyez ! Détendez-vous ! Je puis vous assurer que les snipers du Ciel, ils ne vont pas l’ louper, vot’ Rank ! Bang ! Bang ! Je vois d’ici sa tête sauter comme une pastèque trop mûre ! J’ai une totale confiance en la colère divine !

_ Oui, oui, évidemment, mais ça reste un échec, une épine dans l’ talon ! Pourtant, mon plan était parfait ! Mon personnage devait resplendir ! Imaginez l’abbé tous ces petits enfants, tous ces parents qui viennent me rendre hommage, à moi la doyenne ! On vient baiser mon anneau et je bénis tout ce beau monde ! Je suis un modèle pour tous et particulièrement pour les femmes !

_ Attention au péché d’orgueil ! Ah ! Ah !

_ Aaaaachouf, aaatcha ! Snif ! Je n’ai jamais perdu d’ vue mon rang, l’abbé ! Mais, au milieu des fleurs et des cadeaux, je vois des sourires malfaisants, qui ont l’air de dire : « Mais où est Rank ? Pourquoi n’est-il pas là ? La Machine ne l’a pas possédé ! Il détient quelque lourd secret ! Demandons à la Machine pourquoi n’est-elle pas toute puissante ! Voyons son embarras, sa honte ! »

_ Allez, allez, les gens ne sont pas comme ça, surtout dans votre famille, où chacun sûrement veut votre bien !

_ Quel naïf, vous faites l’abbé ! On voit bien que vous êtes un homme d’église, que vous avez un message à transmettre, mais que vous ne connaissez pas le monde ! Au vrai, mes proches s’enchantent de me voir diminuée et ils souhaitent ma fin, car sans le dire ils me haïssent ! Pensez, depuis leur naissance, je les tiens par la peur ! Ils ont chacun des blessures enfouies, qu’ils n’osent pas me faire payer, mais ils savent que l’exemple de Rank me fragilise et ils en profitent ! Aaaachatc, chtti, chtac ! Oh ! Mon dos ! Aaaah

_ Tout ce que vous me dites est bien troublant… Voulez-vous que je redresse votre oreiller ? Voilà, vous s’rez mieux… « Aimez ceux qui vous haïssent ! », vous vous rappelez ?

_ L’heure n’est plus au mensonge, l’abbé ! Comment voulez-vous que je puisse aimer cette petite ordure de Rank ? Il m’a défié et ridiculisé ! Tenez, passez-moi le coffret qui est là derrière vous… Merci !

_ Qu’est-ce que c’est ?

_ Un P 38 spécial police ! avec des balles de 9 mm, ça fait des trous gros comme le poing ! Le type ajouré s’arrête net ! Je l’avais acheté pour me protéger des malotrus, dans le sillage de MeToo ! Je ne supporte pas qu’on m’emmerde en réalité ! J’ai des vapeurs, des palpitations dès qu’on m’ contrarie ! C’est plus fort que moi, c’est médical ! Bref, Rank voulait du respect, j’étais prête à lui offrir du plomb !

_ Mais qu’est-ce que vous voulez faire avec cette arme ?

_ Je voudrais que terminiez mon œuvre ! que vous apportiez la dernière touche au tableau ! Je pourrais m’en aller soulagée !

_ Je… je ne comprends toujours pas…

_ C’est simple, je vous demande de descendre Rank, de l’effacer définitivement, de sorte que même il me devance dans la paix éternelle !

_ Mais… mais je ne pourrais pas ! Ce s’rait une abomination aux yeux de Dieu !

_ En êtes-vous vraiment sûr ? Rank est de la pire espèce ! Comment peut-on considérer un enfant qui manque de respect à sa mère ? N’est-ce pas une créature du diable ? Ne rendriez-vous pas service à l’humanité, en nous débarrassant du mal ? Je vois d’ici Dieu se frottant les mains, dans le sang, ravi de voir anéanti un mécréant ! Vous savez combien il a fort à faire !

_ C’est que…

_ C’est un service personnel que je vous demande l’abbé… Je crois que vous avez une sœur, que vous aimez beaucoup… Il serait évidemment dommage qu’il lui arrive malheur ! Aaaatcha ! Tchi ! »

                                                                                                             66

      La Machine prépare un spectacle, dont elle sera la vedette bien entendu ! « Non, non, je veux plus de rideau ! Plus de rouge ! Et les lumières là-haut, c’est quoi ? Des pets de lucioles ! Il faut que ça gicle, qu’on en prenne plein la poire ! Les anges, là, y en a combien ?

_ Deux cents ! répond Tautonus qui est aux petits soins avec la Machine : il vient en effet de gagner une élection et il tient à montrer sa gratitude.

_ C’est pas mal, mais leurs ailes sont trop petites ! Il faut revoir ça !

_ On n’ vas tout de même pas refaire deux cents costumes ! s’exclame un participant.

_ Et pourquoi pas ? réplique la Machine. On ne réussira pas, si on lésine !

_ Mais…

_ Mais quoi ? demande Tautonus, en montrant ses muscles.

_ Bon on va répéter les enfants ! crie la Machine tout le monde en place ! Où est mon texte ? Ah ! Voilà ! »

     Tout autour on se précipite pour son rôle, tandis que la Machine commence à chanter d’une voix forte : « O moi, la femme, ô moi, l’opprimée ! Je me tourne vers le dieu vengeur ! Je lui demande la justice et la paix sur Terre ! Qu’une auréole nouvelle descende sur la femme ! Qu’un joyau de lumière ceigne son front ! Que son épée, d’acier froid, coupe la tête du mâle cochon ! »

      Le chœur des anges, alors que des flocons tombent et que des cloches carillonnent : « Que viennent nous délivrer la douce femme ! Que son sourire nous emmaillote ! Allons porter la bonne nouvelle ! La domination masculine est terminée, vive la féminine ! Enfant mal aimé, chante ton allégresse ! En fuite est l’ogre masculin ! Agenouillons-nous devant la sainte, la pure ! La joie déborde de nos cœurs, car la Machine s’avance sous l’œil de Dieu ! Elle est l’élue ! »

      La Machine reprend : « Ô moi, la femme, ô moi, l’opprimée ! J’apporte l’espoir à la victime ! Je ne suis qu’amour ! Je n’ai pas d’ambitions et mon égoïsme n’a jamais existé ! La modestie est ma parure ! Nul ne peut me faire de reproches ! Je suis l’agnelle sous le couteau de l’homme ! Je m’offre en sacrifices ! »

       Elle s’interrompt brusquement : « Mais qu’est-ce c’est que ce bazar ! » Deux hommes, tenant une planche, la regardent interloqués ! « C’est quoi c’est deux débiles, qui osent nous interrompre !

_ Excusez-nous, m’dame, fait l’un d’eux, mais on doit monter le décor et…

_ Et vous n’avez aucun respect pour l’artiste ! C’est vot’ gueule qui doit passer en premier !

_ Ben, nous, on peut pas laisser les planches comme ça… Elles pourraient s’abîmer, ou pire causer un accident…

_ Et bien entendu je dois en pâtir ! Comme si vous ne le faisiez pas exprès ! Je suis sûr que ça vous amuse au fond ! Vous vous croyez des caïds, pas vrai !

_ Ben, nous, on est payé au Smic…, alors on peut pas être vraiment des caïds, m’dame !

_ Et vous êtes encore là ? Et comme ils traînent ! Et comme il faut les supporter ! On s’ra jamais prêt ! Ah ! C’est mon manteau d’impératrice ? Vous avez rajouté de la fourrure, comme je l’avais demandé ? »

        A cet instant, Tautonus s’approche de la Machine, pour lui dire : « C’est Rank, il s’est coupé le doigt et il demande si on peut acheter de nouveaux pansements, car ceux qui sont là sont trop grands d’après lui…

_ Bon sang, mais on va pas quand même pas obéir aux quatre volontés d’ chacun ! Rank est en train d’ nous bouffer, j’ t’assure ! Y en a qu’ pour lui ! Il faut qu’il apprenne qu’il n’est pas le centre du monde !

_ Très bien, je vais lui dire…

_ Qu’il se débrouille avec les anciens pansements ! Voilà une attitude viril ! Te laisse pas avoir, Tautonus ! Rank est un sournois ! Derrière son petit sourire, il cherche à nous diviser !

_ Bon, bon…

_ Ouh ! On va p’ t-être reprendre la répète ! si les uns et les autres daignent calmer leur égoïsme ! Une chose est sûre : je ne peux pas être au four et au moulin ! Bon, les anges vous m’entourez… La lumière là-haut, vous braquez sur moi ! La musique gronde ! J’entonne le deuxième couplet : « Ô moi, la femme ! Ô moi, l’opprimée ! » 

Le chœur : « Souriez victimes, la Machine arrive ! Annoncez la bonne nouvelle ! L’agnelle pourfend l’homme méchant ! Les temps généreux commencent ! »

La Machine : « Un, deux, trois, tous avec moi, c’est la joie ! »

                                                                                                                  67

      Le convoi s’annonce au bruit de ses sabots ! Des dizaines d’hommes apparaissent, avec la même tenue passée et grossière ! Les regards sont las et tristes, d’autant qu’on défile entre des maisons boueuses et les injures des passants ! « Halte ! » crie l’officier à cheval et le bruit des sabots s’arrêtent, ainsi que le cliquetis des chaînes, car chaque prisonnier a un collier au cou ! Que se passe-t-il ? On doit prendre du courrier et des gardiens en uniforme bleu, le fusil en bandoulière, se pressent sous le ciel gris !

      Puis, on repart : direction le port et le bagne ! Qui sont-ils ces forçats ? Des assassins, des violeurs, des voleurs, des comploteurs, des traîtres ? Non, ce sont tous des Paschic ! Ils n’ont pas été chics à l’égard des machines, de leur Machine ! Ils ont dénoncé l’hypocrisie, le mensonge, crié qu’on n’était pas ce que l’on croit, dérangé, scandalisé, de sorte qu’on les a méprisés, rejetés, condamnés à l’exil !

      Inclassables, ils ne conviennent à personne, même pas à ceux qui gueulent tout le temps et qui sont des révoltés de théâtre ! Les Paschics se sont d’abord examinés, combattus eux-mêmes, à la recherche de la vérité, car comment savoir ce qui est juste, si on reste le jouet haineux de son propre égoïsme ! Battus comme l’épée sur l’enclume, leur amour resplendissant est devenu assez ferme, pour résister aux colères affreuses de la Machine !

      Mais, hélas, le système est lâche, les machines trop nombreuses ! L’hypocrisie se défend, elle a trop à perdre et elle est de toute façon à moitié folle ! Les juges n’ont pas hésité et ont prononcé les plus lourdes peines ! Mais soudain une voix lance les premières paroles de la chanson des Paschic et tous les malheureux la reprennent en chœur, se donnant du courage, transformant la marche en un élan sublime !

 

« Je sais que j’ai raison

Et qu’ la Machine a tort !

Du bien nous faisons,

Quand le reste est retors !

 

Merde à la Machine !

Merde à la Machine !

 

J’ai subi mille avanies

Et j’ porte des béquilles !

J’ai été viré du nid

Et jamais eu d’ coquille !

 

Merde à la Machine !

Merde à la Machine !

 

Nous voilà condamnés

Entre de tristes murs,

Mais c’est nous qui sommes nés

Pour être libres et mûrs !

 

Merde à la Machine !

Merde à la Machine ! »

 

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