Rank (26-30)
- Le 21/10/2023
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"Et t'as détruit la came? T'es complètement cinglé, le vieux! Y en avait pour un million!"
La Horse
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Qu’est-ce qui fait un soldat Paschic ? Pourquoi a-t-il une vision différente des autres ? Pourquoi distingue-t-il le mal, quand les machines n’en ont même pas conscience ? Cela ne s’explique pas plus qu’Einstein ou Gandhi ! Mais une chose est sûre, c’est parce que Rank est détaché de sa domination animale qu’il peut avoir autant de lucidité ! En effet, plus nous avons d’orgueil, plus nous avons d’ambitions et plus nous sommes esclaves de nos intérêts ! Nous voulons le monde à notre image et nous aveugle notre haine ! Comme l’animal, nous sommes sans nuances !
Par exemple, actuellement, pourquoi le Hamas a-t-il attaqué Israël ? Que pouvait-il espérer, tant le rapport de forces est disproportionné ? Mais ce que veut le Hamas, soutenu par l’Iran, c’est tourner l’opinion du monde arabe contre Israël ! C’est provoquer l’embrasement, en montrant combien Gaza est victime de Tsahal !
Et cela fonctionne : partout la haine se réveille et conduit même à des meurtres en Europe, puisque l’Occident est considéré tel l’allié d’Israël ! Mais, en définitive, le Hamas et l’Iran se servent de la population de Gaza, pour arriver à leurs fins ! Ils sont bien les premiers à la mépriser ! Et les otages israéliens sont là pour exciter Tsahal, si jamais elle temporise ! Le cynisme du Hamas est absolu !
Il est donc essentiel de se libérer autant que possible de sa domination animale, pour y voir clair ! Nous l’avons déjà dit : seule la force de l’amour permet cela, tellement nous réagissons vivement, dès que notre amour-propre est blessé ! La seule raison n’y suffit pas et encore une fois, rien n’est plus facile que de faire bondir un psy ! Il faut ouvrir les yeux, même si c’est difficile !
Paschic, lui, sait de quoi il parle, puisque dès l’enfance il s’est senti un exilé ! C’est dur de voir les autres s’amuser, s’entendre, alors que soi-même on est triste, avec un couteau dans le ventre ! Les machines rêvent, se baignent dans leur illusion et c’est pourquoi elles n’admettent pas qu’on vienne les déranger ! Elles ont leur confort, leurs plaisirs, mais elles font aussi le mal et elles en sont tôt ou tard les victimes !
Ce jour-là, elles tombent des nues ! Elles découvrent la réalité, mais trop tard ! Elles crient à la justice, alors qu’elles sont en partie responsables de ce qui leur arrive ! Leurs petites haines quotidiennes ont enfanté des monstres, qu’elles ne reconnaissent pas ! Si elles avaient pris leur part, si elles avaient tenu compte des avertissements, au lieu de s’obstiner dans leur égoïsme, bien des drames auraient pu être et seraient évités ! Chacun a sa spécificité et il n’est pas question de tous ressembler au soldat Paschic, mais c’est de rester figé, de ne pas évoluer qui est condamnable ! Combien notamment ne sont pas proprement installés dans leur haine, sur le Web ! Impossible de les faire bouger !
Paschic peut sembler un vieil enfant et il est vrai qu’il connaît déjà certains maux des adultes ! Par exemple, il souffre d’insomnies et sur son oreiller, il se demande parfois comment il fait pour respirer ! Il a le sentiment qu’il doit accompagner l’effort de son cœur et cela témoigne évidemment de son angoisse ! Il est tellement perdu ! tellement seul aussi ! Il ne trouve nulle part une réponse à ses questions ! Il n’y a que la beauté de la nature, la contemplation qui l’enseigne, lui fait comprendre les choses ! C’est une longue maturation qui apporte la clarté et la joie ! Les machines, elles, ne tardent pas à grimacer et à maudire ! Elles souffrent aussi, mais ne veulent pas du vrai remède !
Ainsi, quand Tautonus déclare être victime d’insomnies, Rank lui livre naturellement ses propres solutions ! Il dit qu’il faut se détendre, faire le vide, etc., mais alors la réaction de Tautonus est aussi surprenante que foudroyante ! Il gifle à toute volée Rank ! Comment expliquer cela ? Tautonus est d’abord pris de panique, puisqu’il voit son propre enfant paraître plus âgé que lui, mais encore c’est son orgueil qui se considère comme menacé, comme si Rank se moquait de lui ! Si Tautonus avait été plus modeste, cette dernière idée ne lui serait même pas venue ! Il aurait même pu au contraire s’inquiéter de la santé de Rank, car ce n’est pas normal qu’un enfant n’arrive pas à bien dormir ! Mais plus l’orgueil est vif et plus nous avons les colères de l’animal !
Le mépris des machines à l’égard de la sagesse scelle leur destin ! En voulant détruire tout ce qui s’oppose à leur égoïsme, elles sont conduites au crime et à la violence, autant dire que leur temps est compté ! La Machine vit dans une telle furie qu’il est quasiment impossible de lui parler ! La lumière ne la pénètre pas, ou si peu ! Mais la peur de changer, du monde extérieur n’explique pas tout ! En tout cas, que le soldat Paschic survive, ça tient du miracle !
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C’est les vacances et le soldat Paschik est puni ! Alors que tout le monde s’amuse sur la plage, Rank, lui, a des devoirs ! C’est très sérieux ! Dans toutes les matières où il est faible, Rank remplit des pages d’exercices, qui sont envoyés à un correcteur quelque part, un prof qui veut mettre du beurre dans ses épinards ! Cela revient avec une note, des remarques en rouge, qui font que la Machine serre encore plus la vis ! Elle vaincra, sûr ! Et il faut rattraper le temps perdu ! Il n’y a pas une minute à perdre ! Le sort du monde libre en dépend !
Quelles sont les matières qui pénalisent Paschic ? ou plutôt celles qui provoquent le plus sa paresse ? Il y a bien sûr les mathématiques ! Non que Paschic ne les comprenne pas, mais si on n’excelle pas dans le domaine phare de la logique, de la raison, au pays cartésien, si on ne sait pas compter, on devient un citoyen de seconde zone, un propre à rien : toutes les portes se ferment ! On en est réduit à des études « littéraires », gauchistes, gueulardes, irresponsables, en grève, etc. ! On est marqué par le fer de la médiocrité et on rejoint les esclaves du système, suprême injure pour la Machine !
Il y a aussi l’anglais ! Très important l’anglais ! Fondamental ! C’est la dimension internationale, les échanges commerciaux, l’informatique, le billet de sortie de sa province ! L’homme nouveau parle anglais ou plutôt américain, puisque c’est le plus puissant qui impose sa langue (si seulement c’était pour coller des timbres !) ! Rank peine avec l’anglais… Il est déjà trop bien hébété pour comprendre un de ses compatriotes, alors un étranger ! Mais la Machine a un rêve… Elle voit Rank en Goldman Sachs, c’est-à-dire en margoulin qui saucissonne la recette des subprimes !
Rank entend vaguement la rumeur joyeuse de la plage, mais il doit se pencher sur son cahier de devoirs ! Il s’ennuie, il se gratte les cheveux, met un doigt dans son nez ! Il soulève ses bras chargé de chaînes ! Ah ! Il ne sera pas dit qu’on n’a pas essayé de le sauver ! On aura tout fait pour qu’il réussisse, qu’il n’échoue pas ! Peut-être qu’on pourrait tout de même avancer l’heure de la promenade ? Ou bien on laisserait Rank avec les filles de son âge, puisqu’elles sont si belles et pleines de malice !
Mais Rank ne se fait plus d’illusions depuis longtemps ! On n’échappe pas à la Machine et elle peut tout détruire ! Qu’elle soit injuste n’y change rien ! Le pouvoir a toujours raison ! Déjà vieux, Rank ! Déjà mort ! Ou presque ! Dépressif certainement ! Une larme vient dans le coin de son œil ! Que fait la Machine pendant ce temps-là ? Mais les magasins, les courses ! Sa vie est un tourbillon et il faut bien qu’elle s’amuse, la belle enfant ! N’est-elle pas le devoir, le sacrifice incarnés ? C’est pratique l’hypocrisie des machines ! Et cela reste un mystère pour Rank (c’est quoi leur code Pin?) !
Tout à l’heure, la Machine rentrera… et malgré tous ses plaisirs, elle ne sera pas contente, car il faut que la Machine grimace, c’est obligatoire ! Il ne faut pas qu’elle montre sa joie, ainsi on peut réduire les autres en esclavage, les écraser ! Peut-on imaginer un tyran hilare ? Et puis, c’est tellement plaisant de tourmenter, de sentir son pouvoir ! C’est pour ta réussite, Rank ! pour ton bonheur ! Tu nous remercieras plus tard ! Sûr !
Seule compte la Machine ! Tout est sous son contrôle ! Le monde est le sien ! Et elle travaille ? Et elle sait ce qu’est le travail ? l’humilité, l’amour, le renoncement ? Même le clown d’un chapiteau crevé est plus drôle ! Voici le cahier de vacances de la Machine par Rank ! Attention costaud ! Goldman Sachs s’abstenir !
1 : l’autre a une existence propre ! Il a ses douleurs, ses peurs, ses espoirs, quel qu’il soit ! Donc aucun mépris ! aucune morgue ! Une déférence constante, même si l’autre ne nous plaît pas ! C’est cela l’humanité !
2 : la foi, c’est la confiance ! Donc, on s’efforce de ne pas avoir peur ! On ne garantit pas sa sécurité par le pouvoir, la réussite sociale, la satisfaction de l’orgueil ! On s’abandonne ! On donne ! On confie ! C’est cela l’amour !
Voyons maintenant la correction du cahier de la Machine ! Matière 1 : 0 ! Matière 2 : 0 ! Ça va pas du tout la Machine ! Va falloir changer totalement d’attitude ! On va travailler d’arrache-pied, pour ton salut, la Machine ! Il s’ra pas dit qu’on t’aura laissée tomber, entre les griffes de Satan ! Tu veux être sauvée, oui ou non ? Tu veux pas qu’on dise que t’es une ratée, qu’on s’ moque de toi ? Hein ? Bon ! Tu vas me faire le plaisir de t’y remettre, jusqu’à ce que tu saches par cœur ta leçon ! Sapristoche !
Les machines travaillent ? C’est une fable de La Fontaine, non ? Ah ! Mais elles se broient entre elles ! Elles ne sont pas heureuses ! Oh ! Mais ça, c’est une autre histoire ! Docteur Rank, on vous demande aux urgences !
_ J’y vais ! J’y vais ! C’est cette infirmière qui ne veut pas m’ lâcher ! »
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De nouveau le ciel tombe sur la tête de Rank ! Il pêchait à la ligne le maquereau, dans son pêche-promenade, quand il a dû déranger le Bismarck ! Les canons tonnent, les obus pleuvent, des gerbes immenses secouent le canot de Rank ! Il s’accroche désespérément à son petit mât ! Mais que dit la Machine ? Quelque chose de connu ! « Tu vas voir, Rank, quand tu seras plus grand ! On t’ f’ra pas de cadeaux dans la vie active ! Ceux qui ne travaillent pas sont vite anéantis ! Alors ressaisis-toi, bon sang ! »
Rank effectivement se redresse à son bureau et il fait mine de se lancer à corps perdu dans ses devoirs ! La Machine disparaît, le Bismarck continue sa route ! Hourrah ! Hourrah ! pour saluer le navire et lui dire au revoir ! Bon débarras ! Dans sa tristesse, Rank se remet à réfléchir… C’est son métier ! son job ! sa vie ! sa destinée ! Voyons voir… Il a un dessin industriel à faire ! Attention, c’est pas d’ la fantaisie ! du dessin artistique ! autrement dit du grand n’importe quoi narcissique ! Eh ! Eh ! Prenez ça dans les gencives les chevelus mal rasés, les paresseux, les idéalistes ! Moi, j’ suis un technicien, un réaliste et mon dessin est au millimètre près ! Eh ouais, on va construire des pièces d’après mes indications ! Y a d’ l’argent en jeu ! De l’argent, vous y êtes ? S’agit donc pas d’ batifoler !
Rank a mis sa blouse blanche… Il a une règle qui coulisse sur sa table à dessin ! Il fait jouer une lampe articulée, un vrai pro ! Puis, il prend sa pointe ou sa plume, bien rechargée en encre, et il écrit en haut à droite, dans la cartouche et en lettres normalisées : « La Machine, plan 2678, échelle 1 sur 1 ! » Ça marche pour Rank ! Il va dessiner la structure d’une machine ! pour les générations futures ! afin qu’elles comprennent comment fonctionnent les machines ! Ainsi on évitera leurs travers ! Mais là Rank rêve !
D’abord, se dit Rank, si la vie est plus dure par la suite, elle n’en vaut pas la peine, car ça ne peut pas être vraiment pire que ce qu’il connaît ! Quoi ? Son employeur pourrait lui crier d’ssus ! Hi ! Hi ! Rank rit ! Tous des rigolos à côté de la Machine ! des amateurs ! Non, Rank est prêt pour une mission de la NASA, sans oxygène et qui doit durer un milliard d’années ! Sans casque ? Bien sûr et même sur les mains ! OK, Rank, bienvenue dans l’équipe !
Mais il y a autre chose qui intrigue Rank… Si la Machine subissait ce qu’elle fait subir, elle serait aussi meurtrie que Rank, aussi hébétée, aussi morne, aussi désespérée ! Au contraire, la Machine va bien, elle est pleine d’allant et elle reproche même encore à Rank son manque d’entrain, qu’elle voit comme une sorte de paresse ! Brave Machine, jamais à court de raccourcis, de parti pris ! Donc la Machine se ménage, se sucre et on voudrait de tout cœur partager sa joie, à condition qu’elle respecte aussi celle des autres ! Il n’y a aucun mal à jouir de la vie, au contraire, elle est faite pour nous enchanter ! Mais c’est ce cadeau en général, de sorte qu’il profite à tous, qu’on peut saluer et chanter ! Or, la Machine ne supporte pas le plaisir des autres et en particulier celui de Rank ! Il faut que la Machine se sente une victime du devoir, qu’elle ait l’impression d’être un modèle de correction et c’est pour cela qu’elle sanctionne Rank ! C’est toute son hypocrisie qui retombe sur le soldat Paschic !
Rank, par les coups qu’il reçoit, doit être le témoin de la vie terrible de la Machine, ce qui permet à celle-ci de rayonner, de boire de l’ambroisie ! Voilà Rank, ton dessin technique est terminé ! Il ne te reste plus qu’à t’essuyer les mains et à classer le calque ! C’est du beau boulot ! Mais et après ? La Machine est égoïste et hypocrite, mais ça on le savait non ? Mais pourquoi ne s’avoue-t-elle pas ses plaisirs ? Imaginons… Imaginons un instant la société reconnaissant son mensonge ! disant : « C’est pas facile de labourer un champ et de suer pour faire venir sa récolte ! C’est pas facile non plus de travailler à la chaîne ! Mais c’est vrai que nous n’épargnons pas notre ego, que nous laissons aller notre impatience, que notre préoccupation n’est au fond que notre égoïsme, notre importance, notre sécurité ! »
Hein ? Mais alors, surtout à notre époque, il faudrait se demander que faire ? Nous serions apparemment devant un grand vide, puisqu’il serait avéré que nous ne souffrons pas et que nous sommes pleins de grimaces ! Ce serait le début du vrai travail ! Respecter l’autre, renoncer à soi pour mieux aimer ! Être sincère, avouer ses peurs, ses plaisirs, ne plus jouer la comédie ! C’est cela rendre à Dieu ce qui est à Dieu ! C’est cela l’esprit et quitter le règne animal, pour devenir véritablement un être humain ! C’est aimer plus grand que soi ! Ce n’est pas désigner des ennemis, en leur ressemblant, avec leur haine et leur mépris, et en rêvant de les détruire ! Ce serait la fin des simagrées !
« Soldat Paschic ! (C’est Dieu qui parle!) C’est avec un profond plaisir que je vous décore de la médaille de la bravoure ! » Dieu sourit, embrasse Rank, quelques anges applaudissent… Et la Machine ? Mais elle prend enfin un balai !
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Pour la Machine tout est simple, puisque c’est son monde qui importe ! Les animaux sont pareils : ils n’ont pas vraiment conscience des phénomènes qui ne sont pas à leur échelle, qui n’intéressent pas leur quotidien, en restant extérieurs à leurs réflexes ! Ainsi un avion qui passe ne dérange pas un moineau, et pourtant ça fait du bruit !
Notre égoïsme, rappelons-le, vient de la domination animale, et il est normal que les plus égoïstes n’aient qu’une perception vague, floue des autres, du moment que ceux-ci ne constituent pas des proies ou des esclaves ! Ainsi Poutine tue des enfants ! Ainsi Trump résout le conflit israélo-palestinien, en méprisant totalement les Palestiniens ! Ainsi s’expliquent les dépôts sauvages d’ordures, etc. !
Pour les machines, le monde est selon leurs désirs et elles nous assènent donc volontiers leurs solutions, leurs leçons de morale, comme « Quand on veut, on peut ! » En effet, là où les choses deviennent compliquées, c’est quand on donne à l’autre toute sa réalité et que l’on ne l’écrase pas ! On s’aperçoit alors que nul n’est le diable, que nous sommes tous plus ou moins pareils, que chacun a peur, que l’on ne peut pas juger, etc. ! Un abîme de nuances et même de doutes s’ouvre dès qu’on n’est plus aveuglé (abruti) par ses seuls intérêts ! On peut même formuler ce théorème : « Moins on est égoïste et plus la réalité est complexe ! »
Or, la Machine est la correction, la discipline même ! la vertu personnifiée ! Elle peut se le permettre, car l’autre n’existant pas, elle ne peut être égoïste ! Il faut bien qu’on ait l’air de profiter du voisin, pour être jugé malveillant ! Donc, la Machine, persuadée qu’elle est bonne, est pleine de moralité et extrêmement exigeante à l’égard de Rank, qui apparemment n’en fait jamais assez ! « Allez, encore un petit effort, Rank (un dernier pour la route !) ! » dit la Machine, comme s’il n’y avait rien de plus simple ! comme si Rank ou le corps humain n’avait pas de limites ! comme si le soldat Paschic ne faisait preuve que de mauvaise volonté !
Toutes les défenses de Rank sont embouties ! Ainsi plus tard il se demandera à lui-même bien plus qu’il ne peut supporter, mettant même sa vie en danger, et tout ça à cause de l’hypocrisie, de l’égoïsme de la Machine ! Rank fera mal à beaucoup de gens, puisqu’on ne peut dépasser ses forces, sans en faire payer le prix à d’autres ! En contraignant sa nature la plus profonde, on finit par blesser son entourage, car il faut bien que la fatigue ou la pression s’évacuent ! On se fourvoie dans ses choix et tôt ou tard on tend l’addition à ceux qui nous gênent ! Seul l’esprit en paix approche de la bonté !
Mais rien ne dérange la Machine, ou plutôt rien ne doit la déranger et surtout pas le regard de Rank ! Car la Machine se construit un personnage, une illusion ! Voyons voir… Elle est la mère responsable, pleine d’abnégation et qui n’a jamais pensé à elle ! qui est encore victime du monde des hommes et de ses préjugés ! Elle est une sainte méconnue ! De par sa position sociale, le notaire ou le banquier la saluent bien bas ! Évidemment aussi, on la plaint à cause de Rank, symbole même de l’ingratitude, du chemin de croix de la Machine ! Mais les machines, qui elles-mêmes adorent ces faux-semblants, s’accommodent parfaitement des « institutions » telle la Machine et n’ont qu’un regard noir pour ceux qui semblent menacer l’ordre !
Toute la société se tient ainsi sur son tas de fumier, pour ainsi dire, alors que la peur et les maladies les plus diverses la rongent ! Car l’hypocrisie ne fait que prolonger les problèmes, elle ne les résout jamais ! Rank a été mis au ban de sa famille, il est reste alors étranger à la société ! non qu’il veuille la détruire, qu’il n’en connaisse pas les maux ou qu’il soit malveillant, mais il ne peut rien faire contre des menteurs qui se serrent les coudes ! qui veulent justement rester aveugles !
Que se passe-t-il pourtant ? Mais la société coule ! La violence et le réchauffement l’envoient inexorablement vers le fond ! La guerre de l’eau va bientôt commencer et on verra les machines se piétiner sans vergogne (ça, elles savent faire!) ! L’hypocrisie résiste et les solutions réelles restent dans l’ombre !
Mais que voit-on là-bas, sous le soleil ? C’est bien la Machine ! Elle se précipite, elle a l’air exténuée ! Que dit-elle quand elle est près de Rank ? Mais qu’elle a pris conscience du mal qu’elle a fait ! qu’elle demande pardon ! Ce n’est pas vrai ! La voilà éclairée, humble, repentante ! La joie de Rank est inexprimable, pleine de surprise ! Ainsi il est possible à une machine de s’améliorer, de se rendre compte, d’avouer son égoïsme ! Existe-t-il plus belle parabole que celle-là ?
Rank accueille la Machine à bras ouvert : que celle-ci se soit tournée vers la lumière lui suffit ! Il n’attend pas de meilleures réparations !
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Quand l’abbé Convenances sort de la gare, il fait encore nuit et l’homme, vêtu d’un chapeau et d’un pardessus, avance lentement sous la lumière bruineuse des lampadaires ! A cette heure, la ville est bien silencieuse et paraît triste, mais l’abbé a l’habitude des situations difficiles et il finit par s’arrêter devant une maison à la façade grise ! Il sonne et la Machine lui ouvre ! Elle le remercie d’être venue, en le faisant entrer dans le salon et après s’être découvert, l’abbé Convenances s’assoit sur le canapé, à côté de sa petite valise ! Il a l’air las, mais il écoute cependant la Machine !
« Je ne sais plus quoi faire ! dit celle-ci. C’est le diable en personne ! Il ne fait rien comme les autres ! On a beau lui expliquer les choses, il ne comprend pas ! ou bien il fait exprès de ne pas comprendre ! Il est terrible, vous savez ! d’une sournoiserie ! Mais enfin qu’est-ce qu’il a dans la caboche ? C’est bien simple : il me fait peur ! Impossible de savoir ce qu’il pense ! Il est là toujours avec son petit sourire, comme s’il nous examinait ! Oh ! C’est le mal ! Le mal ! Je vous en prie, monsieur l’abbé, aidez-nous !
_ Calmez-vous, madame, je n’ai encore jamais échoué ! Le Malin ne résiste pas à la vraie foi ! Comment s’appelle le malheureux ?
_ Rank !
_ Et où est-il en ce moment ?
_ Dans sa chambre, à l’étage !
_ Très bien, je vais monter le voir... »
L’abbé Convenances se lève, remet son chapeau et s’empare de sa valise… « Vous… vous avez besoin de quelque chose ? demande hésitante la Machine. Vous voulez que je vous accompagne ?
_ Non, je préfère d’abord être seul avec le garçon… Ne vous inquiétez pas si vous entendez des bruits bizarres !
_ Des bruits bizarres ?
_ Le Malin ne se laissera pas faire !
_ Oh ! Mon Dieu ! »
L’abbé monte à pas lourds les escaliers, puis il soupire avant de frapper à la porte de Rank ! « Entrez ! fait celui-ci de son bureau et heureusement surpris qu’on ait pris la peine de frapper…
_ Bonjour, Rank, dit l’abbé, qui observe la chambre. Je peux m’asseoir ? Rank, je viens de voir ta mère et elle est désespérée ! Elle pense que tu es possédé, car un garçon ne peut pas vouloir faire du mal à sa mère, puisqu’elle est sacrée !
_ La Machine est sacrée ?
_ Pourquoi tu appelles ta mère la Machine, Rank ? N’as-tu pas d’ cœur ?
_ C’est elle qui n’en a pas… murmure Rank.
_ Allons, allons, elle a déjà souffert pour te donner le jour !
_ Ça doit être pour ça qu’elle m’en veut !
_ Peut-être lutte-t-elle tout simplement contre ton égoïsme ?
_ Parce qu’il contrarie le sien ? C’est bien possible ! Elle a plus d’un tour dans son sac !
_ Le Malin aussi Rank ! Le Malin aussi ! répond l’abbé qui baisse la tête, en constatant l’étendue du mal. Il ouvre sa petite valise et en sort un crucifix, qu’il dresse devant Rank ! « Vade retro Satanas ! dit-il.
_ Celui qui aime mieux son père ou sa mère plus que moi n’est pas digne de moi !
_ Salopard, t’as vraiment réponse à tout ! Mais on va faire sortir le Malin, Rank ! Accroche-toi ! Vade retro Satanas ! »
Soudain, Rank vomit sur l’abbé un liquide noirâtre et nauséabond ! « J’ crois que c’est le stress ! dit Rank. Pardonnez-moi, mais depuis longtemps, j’ suis la proie de l’angoisse !
_ Ah ! Ah ! Tu m’ prends pour un benêt, Satan ? Sale ordure, va-t’en, je te l’ordonne, au nom du Christ !
_ Mais enfin l’abbé, quand je vous dis que c’est mon estomac ! J’ai peur tout le temps, même dans cette maison ! C’est la Machine qui m’ bousille !
_ Ta ! Ta ! Ta ! Une mère ne saurait être méchante ! Va falloir rentrer dans l’ rang, Rank ! Et cessez de ne penser qu’à soi ! Tes parents font le maximum ! Mais j’ vais t’ guérir, Rank ! »
De désespoir, Rank commence par être secoué par un rire sinistre, métallique et il tourne la tête à 360° ! La folie le gagne ! On ne peut pas l’aider ! Il rejette violemment l’abbé, qui va s’écraser contre le mur ! En sueur, celui-ci n’a pas lâché son crucifix, mais enfin il comprend que le cas est particulièrement difficile ! Le gamin est plein de sophismes ! La Bête s’adapte et devient de plus en plus dure à vaincre ! Ah ! Ces jeunes ! De vieux singes dans des corps d’enfants ! L’abbé revient à la charge : « Comment peux-tu causer du chagrin à ta mère ? Sais-tu ce qu’est l’amour d’une mère, Rank ?
_ Je sais que son orgueil est sans amour et que mon amertume est infinie ! Mais à quoi bon l’abbé ? Vous avez besoin de l’ordre et vous vivez dans une carte postale ! Allez-vous-en, s’il vous plaît ! »
L’abbé a brusquement un doute, devant l’air si doux de Rank et il sort de la chambre… « Alors, monsieur l’abbé, lui dit la Machine au pied de l’escalier. Vous avez réussi à l’exorciser ?
_ Oui…, mais je pense aussi que vous devriez lui foutre un peu la paix ! »
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