Rank (11-15)
- Le 29/09/2023
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"Referme pas, je repars tout de suite!"
Le Pacha
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« Soldat Paschic au rapport ! »
Rank a envie de se dresser au garde-à-vous, car il vient d’être comme convoqué par Tautonus ! Mais l’heure est grave, n’est pas à la plaisanterie : Tautonus a tout son sérieux, quoiqu’il ait un air bienveillant ! Rank comprend qu’on va avoir une discussion « entre hommes », basée sur la raison, d’où les éclats violents seront bannis ! Rien ne vaut un argument bien rond ! irréprochable ! C’est le bon sens à la maison ! la bûche dans la cheminée ! le chien qui bâille ! le chalet suisse ! Personne n’y résiste ! La raison ? C’est le ferment de l’entente de demain ! l’arc-en-ciel à l’horizon ! la componction scientifique !
Le soldat Paschic va être traité d’égal à égal par son supérieur ! Un tel bonheur, pour rien au monde Rank ne voudrait le manquer ! Une confidence de l’état-major, ça n’a pas de prix ! Apprendre que le grand homme Tautonus a des ampoules, c’est de l’ambroisie ! un véritable honneur ! surtout quand on a été trépané plusieurs fois, pour retirer les balles et qu’on en a du mal à garder les yeux ouverts !
Un gradé se livre ? Mais Rank est preneur ! C’est un instant de calme… et puis, il ne faut jamais perdre espoir ! Non, m’sieur ! On sait jamais ! Il est possible que Rank puisse en placer une ! Oh ! une toute petite ! Comme la sonde Voyager dans l’espace, elle f’ra son chemin ! Faut pas être négatif ! Après tout, qui aurait parié sur nous du temps des dinosaures ? Et les camps de concentration ? Ils ont bien fini par fermer ! On évolue, lentement il est vrai, mais on a de belles cartes en mains ! Et le réchauffement climatique ? Hum hum, on commence juste à avoir peur…
Mais de toute façon Rank est attentif, quand la raison est en jeu…, car même si la réalité reste en arrière, il peut être question d’argent, d’une prime, d’un extra ! En effet, la raison paye souvent l’attention ! Elle remercie l’effort d’intelligence, ainsi qu’un pacte serait conclu ! Pour parachever sa sérénité et montrer combien elle est bonne, elle se fend parfois d’un bonus et Rank cracherait pas d’ssus ! Dame, il pourrait courir au magasin de jouets et rêver devant la vitrine ! Voyons, achètera-t-il une petite voiture ou une maquette ? Eh ! C’est sérieux ! Faut soupeser le pour et le contre ! Faut pas gaspiller ! C’est un travail d’homme et l’argent donne de l’air, c’est bien connu ! à condition d’en manquer bien sûr ! C’est comme l’eau, on doit avoir soif, pour se rappeler comme elle est magnifique, incomparable !
Justement, Tautonus commence à parler de ses devoirs, du budget, de sa vie pleine de responsabilités ! Rank est tout ouïe ! Il va en apprendre des choses ! Tautonus met même en avant qu’il n’est pas omniscient ! Il peut commettre des erreurs ! Un portrait de lui et de la Machine se dresse… Ils font de leur mieux ! Car ils avancent aussi dans un milieu hostile, exigeant ! Rank est conduit à les voir en un couple valeureux, humble, affrontant le dos courbé le blizzard ! « Chacun doit faire des efforts, pour l’équilibre du groupe ! » affirme Tautonus et ainsi va la société ! Est-ce que Rank est capable de comprendre cela ? Oui, Tautonus en est sûr, car il a confiance dans le jugement de Rank, qui n’est plus un enfant, toujours selon Tautonus !
Rank acquiesce : il n’est pas idiot, il est même de bonne volonté ! Mais quid du sadisme de la Machine ? de ses coups bas, de son mépris, de sa violence ? de son orgueil démesuré, de sa folie, de sa tyrannie constante ? Et où sont passées les ambitions même de Tautonus, de sa rage de paraître, de se haine à l’égard de ses adversaires, des raclées qu’il donne parce qu’on l’ennuie ? Rank acquiesce, mais on se croirait aux accords de Munich ! Le problème, c’est les Sudètes et non pas la farce cruelle d’Hitler ! « C’est la guerre des socialistes ! » disait Pétain ! Où est l’essentiel ? la face cachée de l’iceberg ! On parle de quoi ? du lancement d’un nouveau paquebot ? Et il faut que Rank agite son ballon, en signe de joie, comme le reste de la foule ?
Si on veut, Rank peut faire ça ! Alors voilà la raison ? C’est tout ce qu’elle peut faire, limer l’Everest ? Ah ben, on n’est pas sorti de l’auberge ! Mais Rank non plus ne peut pas dire ce qu’il a sur le coeur ! Comment réagirait Tautonus, ne deviendrait-il pas violent ? Dès qu’il y aurait un mot sur la Machine, il frapperait ! Comment déchirer le voile du mensonge ? crever l’abcès ? Qu’est-ce qu’on fait sur cette planète, en s’ racontant des histoires ? On compte les crimes, les catastrophes ?
Tautonus ignore tout de la vie d’ tranchée d’ Rank ! Il est bien peinard près du poêle ! Il fume la pipe et caresse son chat ! Son seul problème, c’est quand ça va pas assez vite ! Rank, lui, n’en finit pas d’être éventré par la Machine, avec l’aide de Tautonus ! Il crie sur la terre froide, vers les étoiles !
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La Machine s’ennuie ! Elle tourne en rond et cherche de l’encens, quelque chose qui la flatte ! Elle pourrait aller manifester ! réclamer la justice sociale ! dire non au racisme et aux violences policières ! Cela l’occuperait et lui donnerait bonne conscience ! Elle montrerait le caractère odieux du pouvoir, en le fustigeant ! Elle mettrait son jean crasseux et crierait toute sa haine ! Elle se défoulerait et sentirait toute sa force ! Bref, elle s’abuserait elle-même et les autres, car elle demanderait de l’amour, du respect, un monde meilleur, avec l’envie de détruire, de dominer, de châtier des coupables ! Sans humilité, ni patience, ni sagesse, elle parlerait au nom de l’équité, du droit, du bonheur !
Mais la Machine est plus directe ! La cohue, ce n’est pas pour elle ! Les grandes luttes partisanes, ce n’est pas son monde ! Pourtant, son engagement politique existe, mais il est plus feutré… La Machine ne se sent pas exclue du pouvoir, bien au contraire, elle le voit comme un échiquier, où elle déplace la pièce Tautonus ! Et, comme les manifestants, elle est prête à jurer qu’elle n’obéit qu’à un idéal de justice, qu’elle ne cherche qu’à aider les plus pauvres ! Personne n’est égoïste ! Il ne manquerait plus que ça ! Tout le monde travaille et sue pour le bien ! Chacun souffre à force de s’abaisser et de renoncer, au profit de la paix ! Qui trouve-t-on à l’asile de nuit, sinon l’orgueil abandonné, vide, dépressif ?
On est sans pitié pour nos appétits ! Alors pourquoi tant de haine ? Mais… mais on hait les profiteurs, les exploiteurs, car c’est à cause d’eux qu’il y a du malheur ! Il y a même urgence, notre haine est juste et c’est bien cela la justice sociale, c’est de faire reconnaître notre haine, notre ego autrement dit ! Il n’y a pas de raisons qu’on n’ait pas soi-même le pouvoir ! La Machine, elle, ne justifie pas sa haine, puisqu’elle en est totalement dépourvue ! C’est là son avantage ou tout du moins son illusion ! Mais comment une déesse pourrait-elle avoir des sentiments aussi bas, aussi grossiers que ceux de la haine, de la colère ? Une déesse n’est ni égoïste, ni orgueilleuses, ni avide ! Elle est tout simplement parfaite, admirable, extraordinaire !
Et pourtant, malgré cette perfection, la Machine s’ennuie ! C’est toujours le même problème : il nous faut de l’espoir ! du plaisir ! Nous sommes d’accord de travailler, à condition que le plaisir soit différé ! Mais la Machine a beau faire le tour des choses, elle ne voit que Rank pour s’amuser, occuper le temps ! Où sont les gens importants, les réunions mondaines, où on sent le parfum de la puissance et de la réussite ? Où est l’élite, dont la Machine estime faire partie ? Est-ce à dire qu’à force de vouloir régner, de demander l’admiration, on finit par lasser et faire le vide autour de soi ? Sans doute, car pour être aimé, il faut tout de même un peu considérer autrui… Des concessions sont nécessaires et par exemple, on peut penser que son interlocuteur a raison, quand il dit qu’il pleut et qu’on est soi-même trempé par les gouttes !
Toujours est-il qu’à cet instant la Machine ne dispose que de Rank et elle se décide à aller le voir… Mais attention, il ne s’agit pas d’anéantir Rank, comme d’habitude, sinon il se fermera et ne pourra pas jouer le rôle du compagnon, du faire-valoir ! On doit être malin pour le coup, exercer sa subtilité et soudain la Machine a une idée !
Elle surprend Rank dans sa petite grotte et celui-ci se fige, en se demandant quelle erreur il a pu commettre ! Il a bien resserré les derniers boulons de la Tour-Eiffel, ainsi qu’on le lui avait demandé ! Il a aussi rincé les pieds de la Statue de la Liberté, à tel point qu’ils étaient comme neufs quand il est parti ! Non, décidément, il ne voit pas la cause de la nouvelle catastrophe qui doit s’abattre sur lui !
« J’ai envie de t’acheter un pantalon ! » déclare subitement la Machine.
Rank est stupéfié ! Il est tel le commandant de navire, qui s’attendait à un cyclone, alors que des vahinés s’approchent en chantant ! Tout de même pas cependant, car sur quel ton ces paroles ont été dites ! On y sent de la hargne, du regret, car la Machine a l’impression de se diminuer, en exprimant l’un de ses désirs ! Ce n’est pas un ordre, mais une envie et la Machine a honte d’être humaine !
Quand il est revenu de sa surprise, Rank réfléchit et il se dit que si ça concerne son plaisir, il peut refuser, d’autant qu’il imagine très bien la suite : accompagnant la Machine, il sera toujours sur ses gardes ! Dans le magasin, il devra tout de même se presser, pour ne pas impatienter la Machine, qui finira de toute façon par le ridiculiser auprès des vendeuses, les prenant à témoin de sa gaucherie !
Alors il refuse… poliment, en s’excusant et que voit-il ? La Machine gonfle, se tord, puis explose ! Comment ? Elle s’est abaissée à faire part d’un de ses désirs à Rank, ce minable, et il refuse ! C’est intolérable ! Elle éclate en imprécations, martèle, détruit, enragée ! Rank assiste à cette tempête, plus à l’aise que précédemment : il est là en terrain connu ! Il n’en est pas moins blessé jusqu’au fond de l’âme !
Mais c’est vrai que la Machine n’a pas de haine, ni d’orgueil ! Personne ! Elle lutte pour le bien, comme les manifestants !
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Aujourd’hui, grand scandale, grande affaire ! Le Ciel lui-même s’émeut ! Le temps s’arrête face à la gravité de la situation ! La Machine et Tautonus doivent affronter l’impensable, l’abîme, le gouffre, le vertige et ils ont comme organisé une réunion au sommet, laquelle est bien entendu concentrée sur Rank, puisque c’est lui le coupable ! Mais de quel crime abominable l’accuse-t-on ? Mais il aurait dépensé à la légère de l’argent ! Il n’aurait eu aucun sens des réalités ! Il aurait pris Tautonus et la Machine pour des billes, des vaches à lait !
« Je ne sais pas si tu te rends compte… dit Tautonus d’une voix glaciale, mais nous, on ne peut pas payer tes frasques !
_ Exactement, renchérit la Machine, on s’ saigne aux quatre veines pour toi… et voilà à quoi on a droit !
_ T’es en train de nous envoyer dans l’ mur ! reprend Tautonus. Qu’est-ce que tu crois ? Qu’on est riche à millions ! »
Évidemment, Rank devrait prendre conscience de sa légèreté ! respecter le travail de Tautonus et de la Machine, mais le mal est déjà fait ! On a pris sa cervelle, parce qu’elle résiste à l’orgueil de la Machine et à sa malhonnêteté, et on l’a piétinée, percée de toute part, ainsi qu’on aurait trouvé un objet étrange, avant de le soumettre à un tas d’expérimentations, afin d’en comprendre la nature ! A présent, Rank discute avec la schizophrénie, car il a des blessures qui vont jusqu’au tuf, qui remettent en question son existence même ! Alors l’argent…
Rank sera toujours handicapé ! Toutes ses joies seront ternies par les traces laissées par la Machine ! Il n’y a pas de cohérence au fond de lui ! On a laissé la Machine le détruire et le bousiller ! Il sera capable plus tard de se casser encore en deux, car il n’est que fumée et il ne croira plus jamais qu’on puisse vraiment l’aimer ! Rank est devenu solitaire, à cause de l’hypocrisie et de la folie ambiante ! Alors l’argent…
Mais les machines sont comme ça : elles tuent par orgueil et se donnent raison au nom de la morale et de l’argent ! Les machines parlent de l’argent comme si elles étaient sérieuses, responsables ! C’est une blague triste ! Ce qui préoccupe Rank, c’est de comprendre comment la Machine peut ne pas se sentir coupable ! Comment elle arrive à massacrer Rank, tout en pensant qu’elle n’agit que pour le bien, ce qui lui permet de donner autant d’importance à l’argent ! Comment réussit-on ce grand écart ? Comment peut-on se tromper autant sur soi-même ?
Voilà ce qui stupéfie Rank ! Apparemment, plus on se sent supérieur et moins l’autre compte ! On peut même penser qu’il n’est là que pour nous servir, qu’il est fait pour ça et que donc il n’a pas à regimber, quand on le presse et qu’on l’insulte, ainsi qu’on ne se préoccupe pas d’écraser une fourmi ! L’autre n’a pas de sentiments, puisqu’on est seul habilité à en avoir ! C’est l’orgueil qui nous aveugle ! C’est lui qui nous tient dans une bulle insensible ! qui crée notre folie ! Alors l’argent…
Rank est au supplice, car il ne peut pas parler de l’orgueil épouvantable de la Machine, sans provoquer la colère de Tautonus, et on lui demande en même temps de prendre au sérieux ce qui lui apparaîtra toujours secondaire ! Avec cette indifférence, il apparaît aux yeux de la Machine et de Tautonus comme encore plus dur, plus fourbe, plus méchant, plus sournois, plus manipulateur ! Ainsi donc il ne veut pas se rendre compte combien l’argent est important, comme le travail est sacré ! Mais alors qui est Rank ? Une créature du démon ? Il est venu de l’enfer éprouver les machines ?
Rank écoute, l’esprit glacé… On lui soumet des chiffres, qui sont autant de preuves de son inconséquence, de son ingratitude, mais il n’en ressent pas vraiment de regrets ! Rank survit au fond de lui et il attend qu’on le relâche ! Il a la bombe qui le détruira demain, alors l’argent…
Il n’y a pas de mots pour décrire la peine de Rank ! Le désert à côté de son cœur est une oasis ! Personne, absolument personne ne vient à son secours ! Toutes les machines se ressemblent ! Rank coule… Qu’est-ce que c’est que ce cauchemar ? Alors l’argent…
Les machines disent que celui-ci est le maître de leur planète ! Mais elles sont prêtes à tuer pour leur orgueil, leur amour-propre ! Elles ne voient même pas leurs victimes ! Celles-ci meurent dans l’indifférence générale ! Elles supplient, ont un sanglot, puis elles étouffent à cause de la douleur et disparaissent ! Ce n’est pas l’argent qui les frappe, c’est l’envie de puissance ! Ce n’est pas l’argent qui les ignore et reste sourd à leurs cris, c’est l’orgueil qui les piétine, en trouvant cela normal ! C’est ce qu’apprend en ce moment Rank, l’enfant Rank, toujours au garde-à-vous, toujours sommé de comprendre combien l’argent est important, nécessaire ! C’est cette tromperie qu’il doit ingurgiter !
« Soldat Paschic, je n’aime pas votre insolence !
_ Excusez-moi, chef ! C’est plus fort que moi, chef !
_ Vous allez recommencer ce parcours du combattant, jusqu’à ce que ce sale sourire s’efface de votre sale gueule ! C’est bien clair !
_ A vos ordres, chef ! »
Alors l’argent...
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Oublie Rank ! Oublie ! Marche ! Marche ! Là-bas, il y a des champs, avec des vaches et des mottes d’herbe qui mouillent ! Comme elles sont paisibles, les vaches ! Qu’ont-elles à voir avec la folie, la méchanceté des machines ? La rivière glougloute à côté, créant des tourbillons, où se reflète le blanc du ciel ! Toute cette eau qui s’en va, comme tes soucis, Rank ! Plus loin, ce sont des falaises de gros rochers, qui ont des nids pleins de feuilles et de fraîcheur ! Rank les escalade en ne pensant à rien ! A leur sommet, il contemple les méandres de la rivière grise et des lisières de sapins sombres, sa prochaine destination ! Car il faut continuer à marcher, pour avoir l’impression d’oublier, de laisser derrière soi tout ce qui blesse !
Quelqu’un doit attendre Rank quelque part ! Il n’est pas chez lui chez les machines ! La vérité, l’explication, la consolation doivent exister, sinon pourquoi Rank vivrait-il ? Cela implique que c’est en Rank, que ce n’est qu’une histoire de gestation, de développement, de compréhension ! Si les machines n’ont pas la solution pour Rank, c’est lui qu’il l’a ! C’est à lui de l’inventer, de la définir avec la pensée et des mots !
Rank lève la tête : une fine pluie vient sur son visage et il s’offre ! Maintenant, le crachin pâlit tout, effaçant les choses, les endormant, ce qui cicatrise le cœur de Rank ! Il est apaisé, jusqu’aux prochains coups de boutoir des machines ! Car elles ne cessent de faire le mal et de créer du chaos ! Rank s’assoit sur une souche et regarde l’activité laborieuse des insectes… Minuscules, ils avancent sur leurs nombreuses petites pattes… C’est un spectacle distrayant pour Rank, alors pourquoi tant de fureur dans les machines ? Pourquoi tant d’inquiétudes ? Pourquoi les machines sont-elles paniquées, quand ici tout semble aller de soi ?
Car Rank est la première victime de la démesure de la Machine ! Les petites bêtes se sentent chez elles et pourquoi les machines non ! La réponse est simple, c’est que les machines ont la possibilité de se demander qui elles sont, où elles sont ! Elles sont face à l’inconnu et ont peur ! Au point même de nier cet inconnu, d’essayer de faire en sorte qu’il n’existe pas ! par des règles, des devoirs, mais encore par leur énervement, leur colère, comme si, à force de crier, on repoussait les questions, on imposait son point de vue, son égoïsme, pour faire du monde sa propre maison, sans étrangers dedans, sans différence !
Mais la conscience est une chance ! Il ne peut en être autrement : c’est une adaptation supplémentaire de la nature ! L’animal n’est pas capable de prévoir, de modifier rapidement son comportement, de se rassurer en comprenant ce qui lui arrive ! Le progrès, il ne connaît pas (ou si peu) et il est toujours victime des mêmes maux ! L’inconnu pour nous est une chance, une chance de réponses et de créations ! Nous pouvons devenir autres, nous différencier, nous réaliser entièrement ! Nous ne sommes pas bornés par nos réflexes ! Que cela nous fasse peur, c’est bien normal, mais pourquoi nous en montrer aussi hostiles ?
Voilà Rank bien songeur… Il est encore plein du fracas et du mépris des machines ! Cette liberté, cette création, permise par la conscience, nous effraie tellement que nous sommes capables de tuer, pour nous en protéger ! Pourquoi ne pas s’en réjouir plutôt, de voir cela comme un don ? L’inconnu nous invite à nous connaître ! C’est une découverte ô combien troublante, ô combien mystérieuse ! Car il ne s’agit pas seulement d’étendre le savoir de la science, quoiqu’il soit déjà lui-même spectaculaire, mais au-delà apparaît même l’amour ! C’est le fanal du courage ! Celui qui aime est prêt à faire un pas dans la nuit ! Il est plein de dévouement, bien plus que la froide raison ! Il a tellement envie de plaire que le voilà enfant ravi !
A lui l’univers s’ouvre, non sur des chiffres, mais sur une confiance, une joie qui donne le vertige ! C’est le sentiment d’être à la maison ! ce que ne permet pas la seule logique, qui ne cesse d’inquiéter, d’alourdir ! L’amour rend heureux, mais pas l’orgueil, qui est justement le refus de l’inconnu, de l’autre, de la différence ! L’orgueil veut commander, le monde à sa botte et les choses ne vont jamais assez vite pour lui, et c’est pourquoi les machines se poussent et se piétinent ! Ne leur en déplaise, quand on n’est que préoccupé que de soi, on est tout à ses plaisirs ! Malgré ses mécontentements, ses soucis, ses « hautes » responsabilités, la Machine œuvre pour son égoïsme et autrement dit, elle ne travaille pas vraiment !
La véritable difficulté n’est-elle pas de grandir, de quitter son enveloppe animale, en calmant ses appétits ? L’amour est une découverte, qui nous conduit à nous donner, surtout pas à conserver, à retenir ! La Machine rugit, détruit pour garder, par peur de perdre ! C’est ce qui fait son malheur et celui de Rank et des machines !
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Au contraire de l’animal, nous avons des sentiments très marqués ! Alors pourquoi nous ne les utilisons pas ? C’est notre richesse ! Tout notre amour est gaspillé dans notre agitation ! Pourquoi ne nous demandons-nous pas ce que nous faisons dans le cosmos et que pouvons-nous y faire ? Certes, nous devons gagner notre pain, mais c’est surtout notre ego qui nous préoccupe ! Sommes-nous exploités ? Se moque-t-on de nous ? Comment être les maîtres ? Voilà les questions qui nous taraudent et qui nous rendent esclaves !
Plus le temps passe et plus Rank se sent différent des machines ! Il est devenu pleurard à leurs yeux ! Il est l’idiot de la famille, car Rank a encore un frère et une sœur, qui le méprisent, qui lèvent les yeux au ciel dès qu’il pose problème, qu’il ne s’accorde pas avec la Machine ! Eux sont adaptés, ils ont compris le « truc », ils font partie de « l’équipe » ! Ils sont intelligents, brillants, à la page ! Ils sortent leur épingle du jeu et amplifient le trouble de Rank !
En effet, pourquoi lui-même se heurte-t-il aux machines ? Cela le dépasse ! Ce n’est pas à cause d’un comportement spécifique et qu’il pourrait changer, comme par exemple un mauvais résultat scolaire ! C’est tout un ensemble, c’est viscéral ! Et d’abord c’est la Machine qui attaque, qui n’accepte pas Rank tel qu’il est ! Dans cette espèce de brouillard, Rank en conclut qu’il doit ranger son frère et sa sœur dans la catégorie des machines !
Bravo Rank, voilà une décision courageuse et qui te fait une belle jambe ! « Bel effort du numéro dix Rank, qui a trompé la défense adverse ! Un crochet du droit, une petite balle piquée et c’est le but ! Quel joueur, ce Rank ! » En réalité, le soldat Paschic est encore plus inquiet ! N’est-ce pas lui qui est dans une bulle ? Ne se donne-t-il pas une importance exagérée ? N’est-ce pas lui le malade ?
Peu à peu, Rank se voit seul contre tous et il n’ignore pas l’étrangeté, le danger de sa situation ! Mais il n’est pas pour autant violent, les machines si ! En tout cas, Rank joue sa survie et il n’a pas d’autres choix que d’affronter le monde ! Et puis les machines continuent à le faire rigoler ! Elles n’ont pas leurs pareilles pour se tromper elles-mêmes ! Rank est toujours sidéré par leur illusion, qui leur permet cependant de tenir les propos les plus extravagants ! Les machines notamment se croient fortes et mêmes bonnes ! La Machine en remontre couramment à Rank, qui doit en prendre plein les mirettes !
Alors qu’il est dolent, plaintif et à bout de souffle, Rank regarde les machines s’amuser... et c’est beau à voir ! On dirait un troupeau de dauphins ! C’est plein de vitalité ! La Machine « passe la balle » à Tautonus, qui l’envoie à la sœur ! Elle est chipée par le frère, récupérée par la Machine ! Elle passe sous les yeux de Rank, elle est prolongée par la sœur et c’est Tautonus qui la met dans le panier ! Klaxon ! Les machines 1, les visiteurs 0 ! Comme Rank semble éteint, gauche ! Il ne sait pas jouer ! Décidément, il ne fait pas partie de l’équipe !
La Machine se tourne vers lui (c’est tout juste si elle n’est pas en sueur, avec une serviette autour du cou !) : « On est comme ça, nous ! dit-elle. On aime bien le jeu viril ! râpeux ! On n’a pas peur de se frotter à l’adversaire ! On sait rendre les coups ! Bref, on n’est pas des mauviettes…, comme toi Rank ! On n’est pas là à gémir sur soi ! Ah ! Tu f’rais bien d’ te secouer ! Sapristi ! »
Rank médite… et comme il se trouve minable ! Ne serait-il pas jaloux au fond ? N’envie-t-il pas cette aisance, cette vitalité ! Mais ce qui ronge toujours Rank, c’est de donner une réalité à sa souffrance ! De savoir qu’il y a une bonne raison, pour qu’il souffre, le soulagerait un peu ! Or, pour l’instant, s’il a le cœur percé par un pieu de bois, ce n’est pas sûr ! Son œil crevé pourrait même voir, s’il y mettait de la volonté ! Sa jambe perdue doit être dans un tiroir, avec ses chaussettes ! N’exagère-t-il pas sa peine ? Il est sans doute trop douillet… et il décide de faire preuve lui-même de virilité ! Il va montrer qu’il connaît lui aussi le jeu rugueux et il dit quelque chose…
Que dit-il ? Oh ! Ça concerne la Machine… Ça doit toucher légèrement, oh ! très légèrement !son hypocrisie ! Rank n’est nullement un kamikaze et il sourit même après sa sortie, persuadé qu’on aimera son engagement, sa forme, son apport solide, prometteur à l’équipe ! Ne se ne targue-t-elle pas de se cogner les torses !
La réaction de Tautonus est foudroyante ! Il renverse sa chaise et se précipite vers Rank, qui s’est déjà réfugié dans la pièce à côté, où il est battu comme plâtre, à même le carrelage ! Rank n’a pas compris le jeu ! Il a été trop viril ! Les machines ont des règles que Rank ne comprend pas ! Comment font-elles pour s’arranger entre elles ? Qu’est-ce qui manque à Rank ? Et voilà qu’il s’occupe encore de lui ! On lui dit que c’est là son défaut et il n’assimile pas !
Les machines veulent bien jouer à condition qu’elles ne perdent pas ! Elles doivent toujours avoir le bon rôle ! Elles peuvent mépriser, elles ne sont pas cruelles ! Elles peuvent mentir, elles sont honnêtes ! Elles peuvent prendre du plaisir, elles n’obéissent qu’à leurs devoirs ! Et on s’étonne du chaos ! Et tous les jours, ça recommence ! Et on se détruit ! Bravo l’équipe !
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