Paschic (10-14)
- Le 30/03/2024
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"Salopards!"
Zatoichi
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Le docteur Cool et Paschic arrivent en voiture devant des bâtiments abandonnés et entourés par un terrain vague… « C’est là ? demande Paschic sur le siège passager.
_ C’est là ! Évidemment, depuis le temps... »
Paschic et le docteur Cool sortent du véhicule et marchent bientôt sur un sol jonché de gravats ! Les carreaux ont bien sûr été cassés et on retrouve ici et là des papiers, des restes de meubles qui témoignent d’une activité passée ! Plus troubles sont des pièces sombres, aux portes épaisses et qui interrogent sur leur utilité !
« Vous reconnaissez quelque chose ? » demande le docteur et Paschic ferme les yeux, en essayant de se souvenir de son enfance, puisque ces murs sont censés avoir abrité le projet SE ! Mais tout ce que voit Paschic, c’est de la violence, accompagnée de cris, de pleurs, de prières vaines ! Combien de fois n’a-t-il pas supplié, été broyé, réduit au silence ? Combien de fois n’est-il pas mort ?
Il frisonne et dit : « Non, rien, je ne me souviens de rien !
_ Ce n’est pas étonnant : vous avez dû enfouir, refouler tout ça, pour pouvoir survivre !
_ Exactement ! Mais les temps ont changé ! La parole se libère maintenant ! Regardez le mouvement MeeToo !
_ Et vous voulez vous attaquez à la Machine ? Elle n’a pas abusé de vous sexuellement ! Quelles accusations allez-vous porter ?
_ Mais… mais j’étais sous son emprise ! Et même celle-ci continue ! Il faut avertir les gens de la méchanceté de la Machine, ne serait-ce que pour les autres enfants, ceux qui pourraient subir le même traitement !
_ Mais le projet SE n’existe plus !
_ Mais il ne s’agit pas seulement de ce projet ! Vous comprenez bien qu’à l’origine de cette maltraitance, il y a un profond mépris à l’égard des autres et particulièrement à mon encontre ! La Machine est une perverse narcissique ! Son comportement est éminemment toxique !
_ Elle aura mille témoins pour prouver le contraire ! Et c’est vous qui serez condamné, surtout en ce moment ! C’est l’heure des femmes, pas celle de les accuser !
_ Et si j’arrivais à démontrer que le mal qui ronge la Machine nous ronge tous et toutes ! Et que c’est ce mal qu’il faut combattre, nullement un sexe !
_ Qu’est-ce que vous voulez dire ?
_ Je ne sais pas encore trop bien…, mais la Machine a tout de même une logique, non ? Elle méprise les faibles et s’attaque à eux ! Elle considère qu’ils ne méritent que ça ! Comment peut-on ignorer que chacun est un être humain et a droit au respect ? Qu’est-ce qui aveugle la Machine à ce point, sinon son égoïsme ? Ce que nous percevons du monde, c’est ce dont nous en avons conscience, pas vrai ?
_ Pas faux…
_ Pourquoi la Machine ramène tout à elle, ne donne pas aux autres une existence propre ? Comment guérir de sa peur du monde, sinon en le faisant sien ? C’est là l’origine des dictatures !
_ Écoutez, laisser tomber ! Cette voie que vous choisissez ne vous causera que des problèmes ! C’est vous qui serez traité de malade, de paranoïaque ! Profitez du bon temps, du sexe… faites-vous des amis !
_ Vous ne m’avez pas compris ! Le fonctionnement de la Machine est en chacun de nous… et toujours je le retrouverai sur ma route ! Si je n’en trouve pas le remède, j’en serai toujours une victime ! Et non seulement moi, mais tout le monde, car nous nous dévorons les uns les autres !
_ Et moi aussi, je suis comme la Machine ?
_ Un peu…
_ Merci…
_ Vous êtes plus jolie ! »
Le docteur Cool a un sourire et tous deux regagnent la voiture… « Si je vous entends, Paschic, reprend le docteur, vous voudriez que la peur change de camp !
_ Hélas, je ne crois guère que ce ne soit possible ! Il est très difficile de raisonner les gens, de les rendre lucides ! Comme je vous l’ai dit, nous percevons le monde afin aussi de nous en protéger, ce qui explique nos mensonges... et la vérité est comme un scalpel qui menace tout l’être ! « Ne donnez pas de perles aux pourceaux, de peur qu’ils ne vous déchirent ! »
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Paschic est arrêté le lendemain… C’est Bona et d’autres femmes qui s’en chargent ! « J’ t’avais dit d’ laisser tomber ! fait Bona à Paschic, dans le véhicule qui les conduit au palais de justice. Cette fois, t’es bon comme la romaine !
_ Mais bon sang ! Qu’est-ce que j’ai fait ?
_ Ce que tu as fait ? Trouble à l’ordre public ! Tu remues la boue, Paschic ! Remarque, c’est pas étonnant : y a qu’ là d’dans que tu t’ sens heureux !
_ J’ comprends pas…
_ Non, quand tu veux pas comprendre, t’y arrives très bien ! Qu’est-ce que tu faisais hier dans cet ancien site ?
_ J’ vois pas ce que tu veux dire…
_ Ben voyons ! Tu peux pas rester tranquille ? La Machine, c’est d’abord une famille, Paschic ! C’est de l’ordre, le socle, la base ! Ça doit rester en place, sinon tout s’écroule ! Tu honores la Machine, tu reconnais son pouvoir… Quand elle passe, t’agites ton p’tit drapeau… Tu cries : « Vive la Machine ! », car c’est elle qui assure ta stabilité, ta sécurité et qui te donne à manger ! On ne mord pas la main qui nourrit, Paschic !
_ Mais… mais j’ai un problème…
_ On en a tous, Paschic, et pourtant on serre les dents ! On fait corps ! L’intérêt du pays avant tout !
_ Mais…
_ La ferme ! Fi de ton égoïsme ! »
La voiture entre dans le palais de justice et des portières claquent ! On emmène Paschic violemment, comme s’il était un criminel et ce sont des couloirs, des bureaux, des greffes, des robes ! Paschic pénètre dans un univers bien huilé, dont il est contraint de remplir les formalités quasiment au pas de course ! Puis, il émerge dans une salle d’audience et on l’assoit sur un banc, celui des accusés, en lui pressant la tête !
Une minute plus tard, une juge, vêtue de rouge, vient siéger en disant : « Sororité ! », ce qui fait que tout le monde se lève, avant de se rasseoir ! La juge ouvre un lourd dossier et a l’air sombre : visiblement, elle est devant un cas difficile ! « Bien ! dit-elle. Accusé Paschic, je pense que vous avez eu le temps de mesurer la gravité des accusations qui pèsent contre vous…
_ Madame la juge…
_ Je dois vous avouer, accusé Paschic, que je suis troublée… Comment osez-vous ne pas soutenir la Machine, dans son effort de paix, alors qu’elle se bat inlassablement pour vous ? N’avez-vous pas honte de votre égocentrisme ?
_ Madame la juge…
_ La Machine est sacrée ! La famille aussi ! Notre pays est sacré ! Nous devons le défendre coûte que coûte ! Et vous que faites-vous ? Vous critiquez la Machine ! Vous mettez en doute ses motivations ! Vous sapez le moral des troupes ! Vous savez comment ça s’appelle, ça ? De la traîtrise, accusé Paschic ! Vous pouvez être qualifié d’agent de l’étranger et vous encourrez une peine de quinze ans de prison, au moins !
_ Madame la juge…
_ Je veux bien entendre votre défense, mais soyez bref, par pitié !
_ Ce n’est pas moi qui n’aime pas la Machine, mais c’est elle qui m’a rejeté ! Je suis d’accord d’obéir à la Machine, à condition qu’elle soit juste !
_ Mon Dieu, qui êtes-vous pour juger la Machine ? N’est-ce pas elle qui vous a fait ?
_ Elle n’est pas seulement ce qu’elle croit être ! En elle se cache un monstre !
_ Suffit ! Vous nous faites perdre la tête ! Je vous condamne au Labyrinthe !
_ Le Labyrinthe ?
_ Oui, il vous remettra les idées en place ! Vous allez voir comme on y était bien dans la famille de la Machine ! comme la société a du bon !
_ Mais vous ne m’avez pas compris ! Je ne demandais pas mieux que de m’y sentir bien, dans ma famille, mais c’est la Machine qui…
_ Assez ! »
A cet instant, on frappe Paschic avec une matraque et il s’évanouit ! Sororité !
12
Paschic est dans le labyrinthe, où il fait noir… Il avance à tâtons et d’abord explore un mur étrange, dans lequel on s’enfonce, en ne touchant rien de solide, et pourtant l’obstacle est là ! On en ressent un malaise croissant, car la raison disparaît, inefficace, travestie, retournée ! Le mur existe, mais c’est comme s’il niait son existence !
Un visage se forme, celui de la Machine, qui parle en ne faisant qu’un avec le mur ! Il a l’air triste, contrit, déçu ! Que dit-il ? « Sois honnête, Paschic, demande-t-il. Sois au moins pour une fois honnête ! » Paschic se redresse, s’examine, est prêt à répondre ! Il n’a rien à cacher ! Mais de quoi le soupçonne-t-on ? Qu’est-ce qu’on lui reproche ?
« Paschic, je t’accuse d’être un menteur, un paresseux, un égoïste, de tout mettre en œuvre pour me nuire ! Tu es la méchanceté incarnée ! Tu veux le mal !
_ Ah ! Pardon ! Il y a maldonne ! C’est toi, la Machine, qui blesse, écrase et tue ! C’est toi l’ambitieuse et l’orgueilleuse ! C’est toi qui es toute à tes plaisirs, sans soucis des autres ! »
A cet instant, le Labyrinthe s’illumine ! Une alerte retentit et des hommes, armés de matraques, se précipitent sur Paschic et le frappent ! « Pitié ! » crie-t-il, mais les coups pleuvent ! Puis, enfin, on le relève et on présente son visage tuméfié à la Machine ! « Alors, Paschic, reprend la Machine, tu as changé d’avis ? Tu reconnais que tu es menteur, fourbe et égoïste ? Tu admets que j’ai raison et tu prends conscience de tes erreurs !
_ C’est vrai ! Je te demande pardon, je m’excuse, je suis mauvais !
_ Bien, Paschic, tu commences à comprendre ! Tu n’es pas irrécupérable ! Sache que c’est moi qui commande et que je suis parfaite ! Je ne fais pas d’erreurs, Paschic, cela n’est pas possible ! Par contre, si on agit contre moi, on met en péril l’ensemble, la famille, le pays ! Le bonheur de tous est ma seule préoccupation, mon seul but, Paschic ! Je suis dépourvue de toute autre ambition et je n’ai nul orgueil ! Est-ce que c’est clair ?
_ Très clair !
_ Bien ! Tu devras suivre une période de mise à l’épreuve ! Je ne vais pas te pardonner comme ça, Paschic, d’un simple claquement de doigt, car tu m’as fait beaucoup de peine ! On ne parle pas comme ça à la Machine ! Je n’essaie que de faire le bien ! C’est pas facile et tout le monde doit m’aider ! Tu as compris ?
_ Oui.
_ C’est bon, tu peux t’en aller ! »
Paschic se détache du mur, retrouve la nuit et pleure en silence ! C’est comme si on venait de lui dévorer le foie ! La vérité qui est en lui vient d’être anéantie ! Ce qu’il voit, comprend est réduit en bouillie ! Paschic est déséquilibré et titube dans le noir ! Comment peut-il résister ? Il n’y a pas d’espoir ! La Machine est l’autorité ! Pire, Paschic lui doit de l’amour ! Autant aimer le pal qui nous transperce !
Alors que Paschic erre encore sous le choc, un vieil homme l’aborde… « Je vois que tu es bien malheureux, mon garçon, dit-il, et je peux te donner quelque chose qui va t’aider ! Ce sont les yeux de la vie ! » Le vieillard montre dans sa main deux yeux qui brillent comme des gouttes d’eau ! « Ce sont des yeux magiques, reprend l’homme, ils voient le mensonge ! Ils savent si la personne ment ou non ! Avec eux, tu pourras te débrouiller dans le Labyrinthe et tu sentiras que jamais tu n’es seul !
_ C’est toi qui m’accompagneras, vieillard, en quelque sorte !
_ C’est cela ! Tu garderas toujours la vérité devant toi !
_ Mais ils disent tous que la vérité est subjective, qu’elle n’existe pas !
_ Mes yeux te prouveront le contraire !
_ Alors ce n’est pas moi le menteur, le mauvais ?
_ Non, c’est la Machine, mais elle est aveugle ! »
Paschic prend les yeux magiques et son visage s’éclaire ! « Va, Paschic, rajoute le vieillard, ma paix t’accompagne ! Sois tranquille, même quand les monstres seront sur toi ! »
Paschic rentre ses sanglots, se console et avance de nouveau dans le Labyrinthe… Une vérité se fait jour : il est impossible de convaincre la Machine ! Elle se protège avec de la violence ! Elle écrase toute critique, comme si elle avait une sorte de crise dès qu’on l’inquiète ! La raison alors ne l’atteint plus ! L’argument demeure stérile ! Quand la peur menace la Machine, sa réaction est brutale, insensée et elle n’évolue pas !
Voilà les réflexions du petit garçon Paschic, qui survit dans l’ombre, grâce à ses yeux magiques ! Il chantonne !
13
Plus loin dans le Labyrinthe, Paschic semble traîner sa peine, car il progresse voûté et soudain la voix de la Machine éclate ! « Bon sang, Paschic, crie-t-elle, mais redresse-toi ! Sois un homme ! On dirait une larve ! Un peu d’ virilité que diable !
_ J’ fais c’ que j’ peux ! C’est pas facile !
_ Pas facile ? Mais quel pou ! Quelle feignasse ! Il faut en avoir du courage dans la vie !
_ Du courage ? Mais le véritable courage, c’est de respecter les autres ! C’est de réfréner ses appétits pour n’écraser personne ! Ce n’est pas imposer son monde, pour soulager sa peur !
_ Comment ? Tu oses me répondre, p’tit morveux !
_ Tu échappes à ta peur par la tyrannie ! Où est le courage là-dedans ? Moi, je m’efforce d’accepter la différence ! Je donne à l’autre toute sa réalité ! Je ne veux nullement l’asservir ! »
Un coup de sifflet se fait entendre et de nouveau des hommes, armés de matraques, se ruent sur Paschic ! Il est rapidement submergé par les coups et il s’écroule ensanglanté ! Laissé seul, il retrouve peu à peu ses sens et se relève péniblement ! Il essuie son visage, mesure les dégâts et ose reprendre sa marche…
La voix de la Machine le fait sursauter : « Redresse-toi, bon sang, Paschic ! Montre que t’es un homme ! On dirait un vieillard ! Un peu d’ courage ! Un homme, ça se tient droit ! Lavette ! »
Paschic ne répond pas : il est tout à mettre un pas devant l’autre, et pourtant il s’efforce tout de même de ne pas garder le dos voûté, pour que la Machine se taise ! Il aperçoit une lumière lointaine, dans les ténèbres persistantes du Labyrinthe et il se dirige vers elle…
C’est une femme derrière un bureau et qui dit : « Asseyez-vous, Paschic, je suis Lapsie, une psychologue qui est là pour vous aider ! » Paschic s’assoit, avec des plaies et des bosses sur le visage… « Y a pas à dire, ils vous ont bien arrangé ! reprend Lapsie. Mais n’est-ce pas un peu de votre faute ? Peut-on vivre en société sans y mettre du sien ? » Paschic a juste envie de vomir, mais il doit encore écouter !
« En tout cas, Paschic, je suis là pour vous aider…, pour libérer votre parole ! Allez-y, dites-moi ce qui vous passe par la tête ! Soulagez-vous !
_ Et si je vous disais que vous mentez…, enfin que vous vous mentez à vous-même ! que vous avez l’impression d’être sincère par le pouvoir que vous avez sur le patient ! Mais qu’au fond vous êtes hostile à la lumière ou à la vérité, car elles menacent votre propre domination ! »
Un long silence se fait, durant lequel les regards de Paschic et de Lapsie s’affrontent ! Les yeux de vie de Paschic sont cependant les plus forts, car sans mensonges et Lapsie finit par baisser la tête, mais juste une seconde, car elle attaque de nouveau ! « Je pense que vous êtes paranoïaque, amoureux de vous-même ! Autrement dit, vous présentez tous les symptômes du pervers narcissique !
_ Ah ! Ah ! Où est la psy qui voulait m’aider ! Votre profession de foi n’a pas tenu longtemps ! J’en ai marre des gens comme vous, qui s’abusent à longueur de temps et qui osent pourtant pérorer sur la vérité ! »
_ Espèce de sale branleur ! »
Paschic se jette subitement sur le côté, car il a vu le coup venir ! Lapsie s’est empourprée et elle a envoyé deux fléchettes, qui se fichent dans la chaise de Paschic ! A terre, il se saisit de la lampe de bureau et l’arrache, afin que la pièce soit plongée dans l’obscurité !
Il est évident que Lapsie possède des techniques de ninjas ou de samouraïs et la vie de Paschic est en jeu, si bien que la tension devient extrême ! Les sens s’aiguisent dans le noir et Paschic perçoit le dégainer d’un sabre ! Puis, une lame luit bleuâtre en un éclair et le bureau est coupé en deux ! Paschic a senti le souffle de la mort et il se glisse éperdu contre un mur ! Une seule erreur et il sera tué ! Il se colle à la paroi, sans bouger, ni même respirer et il attend, tout le corps en alerte !
Un léger déplacement d’air et l’effluve d’un parfum lui indiquent que Lapsie passe lentement devant lui ! Il déplie avec précaution le fil de la lampe et entoure le cou de son assaillante ! Elle est prise au dépourvu et il serre de toutes ses forces, jusqu’à ce qu’elle lâche son sabre et fléchisse sur les genoux ! Paschic ne veut la mort de personne, mais il ne relâche pas son étreinte, avant que Lapsie ne soit évanouie ! Alors seulement il quitte la pièce, le front en sueur et encore stupéfait par ce qui vient de se produire !
Toutefois, le Labyrinthe continue, avec ses monstres et Paschic est maintenant en pleine forme, ragaillardi ! Le mensonge a pris un coup sur le nez ! C’est pas tous les jours et ça fait du bien ! D’habitude, Paschic, dans le doute et craintif, lui cire les pompes !
14
Paschic voit venir à lui deux silhouettes tenant une lanterne… Il s’agit d’un homme de très petite taille, affecté de nanisme, et d’une jeune femme qui louche ! L’homme est gêné par la grandeur de Paschic, si bien qu’il reste à une certaine distance, de sorte que son « handicap » ne soit pas trop visible ! La jeune femme, quant à elle, évite de regarder Paschic, car elle ne veut pas lire de la moquerie ou même de la pitié sur le visage d’autrui, lorsqu’on découvre son problème !
C’est cependant la jeune femme qui prend la parole : « Vous êtes la première personne que nous rencontrons depuis longtemps ! dit-elle à Paschic. Ici ne vivent que des éclopés, des handicapés, des malades de toutes sortes, pendant que la majorité s’amuse à l’extérieur ! La plupart sont en bonne santé et gagnent bien leur vie, même s’ils ne sont pas contents ! Ils ne sont pas à errer dans ce Labyrinthe comme des âmes en peine, tels que nous !
_ C’est vrai ! approuve le petit homme. Et c’est pourquoi il est curieux de vous croiser, car apparemment vous n’avez aucune tare ! Votre taille me fait envie ! Si je l’avais, je ferais des bonds de cabri ! Pensez donc, c’est comme si la vie m’avait marqué au fer rouge ! Chaque matin, il faut que je me lève et que je porte mon fardeau et bien sûr, je n’attire pas les femmes !
_ Ne vous fiez pas aux apparences ! répond Paschic. Depuis mon enfance, je parle aux hommes sans être entendu ! comme si j’étais méprisable, ne disant que des horreurs ! Je suis le méchant de l’histoire et on m’a imposé de rejeter ma personnalité, au point que j’en suis déséquilibré et dépressif ! J’ai longtemps été haïssable à moi-même et moi aussi, chaque matin je dois me soutenir, faire l’effort de croire encore moi, car le monde me condamne au mutisme !
_ Qu’avez-vous à dire qui soit si gênant ?
_ Mais la vérité ! Elles est honnie par les hommes !
_ La vérité ? Quelle vérité ?
_ Mais que nous sommes aveugles tant que nous vivons pour notre domination ! C’est la domination qui nous sauve de la peur et qui malheureusement nous écrase ! Faire du bruit, parler plus fort que les autres, être plus riche, se répandre en chantiers, c’est dominer et il y en a une infinité de formes ! Mais toutes ont le même but : soulager notre peur et nous faire croire à un équilibre ! Si vous touchez à cette domination, la mâchoire de l’humanité se referme sur vous, comme un piège à loups !
_ Tout de même, nous, c’est notre apparence physique qui rebute !
_ Et moi, je sais que je ne peux pas parler ! Je ne peux compter que sur moi-même ! Je suis un étranger et il en a toujours été ainsi ! J’étais déjà seul dans ma famille !
_ Vous pourriez peut-être trouver l’âme sœur, lui expliquer…
_ Je vais vous étonner, mais la vérité est aussi belle que scandaleuse ! Elle est belle parce qu’elle est simple et source d’espérances ! Scandaleuse, car elle balaie la domination, qui fait pourtant le socle de nos sociétés !
_ Mais comment faites-vous pour supporter votre solitude ? Nous, nous en bavons !
_ Mais nous sommes seuls en vérité ! C’est bien nous-mêmes que nous voulons développer, non ? Enfant, nous rêvions de notre indépendance ! Certes, nous sommes attirés par les autres, mais nous ne voulons pas qu’ils nous diminuent ! C’est nous-mêmes que nous cherchons, même si nos relations sont nécessaires pour nous construire ! Mais encore nous avons une trouille bleue de ne pas être normaux, comme tout le monde, et nous fuyons notre solitude en nous mettant en couple ! Ainsi, nous continuons à dominer et à mentir !
_ Alors quelle est la vérité ?
_ Mais déjà votre souffrance n’est pas si négative que ça ! Certes, vous souffrez, surtout parce que les hommes méprisent volontiers, mais en même temps, ne pouvant dominer tout à votre aise, vous devez essayer de comprendre les choses autrement ! Le voile de la domination ne peut pas vous aveugler totalement ! Vous voilà plus humains ! La domination est la bête en nous qui triomphe ! Il existe une autre fête, celle-là éternelle et qui ne fait de mal à personne ! Mais, chut, je ne vous ai rien dit !
_ Vous voulez parler de Dieu, de la foi ?
_ Comme je vous l’ai dit, rien n’est plis haïssable que la vérité, car elle est contraire à la domination, qui elle-même nous masque notre peur ! Derrière chaque tyran, petit ou grand, se cache un peureux ! Toute manifestation qui attire l’attention est une domination ! N’en doutez pas ! Mais nous sommes tous pareils et nous avons tous peurs ! L’hypocrisie ou le mensonge disent le contraire et c’est pourquoi nous doutons de la vérité ! »
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