On est malheureux!

  • Le 14/12/2019
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On est malheureux

 

 

 

    Ce jour-là, nous décidons de nous occuper un peu de notre jardin! Oh! Il n'est pas très grand et nous ne le "bichonnons" pas! Il peut même paraître par moments abandonné, car surtout nous ne cherchons pas à épater nos voisins! Mais tout de même il faut élaguer, tondre, nettoyer suivant la saison, pour éviter la jungle!

    Nous respectons les plantes aussi! Nous regardons leur parcours, leur combat et nous sommes surpris par la force qui est en elles! Il n'est pas rare que certaines donnent l'impression de pousser de trente centimètres du jour au lendemain! Leur croissance est inexorable, même ralentie par l'hiver!

    C'est déjà la vie telle que nous la connaissons! Par exemple, le lierre a de la "mémoire": il évitera de repousser du côté où on l'a coupé! Un arbuste, qui n'a pas de "corps", fera une "bouillie" avec ses branches, afin de prendre du volume et de défendre sa place! C'est une guerre! Des plantes en transpercent d'autres, les étouffent, les font disparaître!

    Cette force peut se voir comme une "générosité" sans bornes, notamment quand on récolte des légumes et ainsi notre jardin contente les oiseaux! Le merle raffole des baies rouges du sorbier, quand la mésange ou le rouge-gorge "épouillent" le reste! Nous avons aussi une relation particulière avec un rosier, qui nous montre par son développement que nous le rendons heureux! Ce n'est pas rien!

    Mais, bref, donc nous nous mettons à tailler les hortensias, qui doivent être raccourcies pour l'hiver, sinon leurs tiges deviendraient comme les bras de ce bûcheron du film les Grandes gueules: "Un jour, j'ai aimé une comtesse, raconte-t-il. "Nénesse, me disait-elle, c'est pas des bras que tu as, mais des essieux d'autobus! Ah! Ah!""

    Nous ratissons les tiges coupées et il est tout juste seize heures, quand notre plus proche voisine ferme brusquement ses volets! Cela nous serre le cœur! d'autant que c'est celle que nous avons déjà secourue, dans une autre chronique! Son geste n'est pas innocent! Nous importunons, par notre faible bruit! Nous l'exaspérons et elle nous le fait comprendre, sèchement, en se condamnant à la nuit! Une telle ambiance, c'est bon pour le moral!

    Nous puons peut-être... Le mieux, c'est que nous allions nous prendre! Notre faute n'est-elle pas irréparable? "Et sur son corps qui se balançait, on ne retrouva qu'un mot: "Pardon!""

    Cependant, cette attitude n'est pas exceptionnelle dans le quartier, puisque deux autres fenêtres, qui donnent aussi sur notre jardin, ont le même fonctionnement.  La plupart du temps elles sont cachées par leurs volets, tant et si bien qu'on s'interroge sur la santé mentale de ceux qui vivent derrière! Ce sont deux autres femmes, dont l'une s'est plaint de ce que mon lierre, en dépassant d'un centimètre sur les garages voisins, avait l'air aussi menaçant que la pieuvre de Vingt mille lieues sous les mers!

    Nous avons dû faire comme le capitaine Nemo! Sous la pluie, nous avons combattu la bête! C'était affreux! Ce bec de perroquet hurlant, sifflant, qui nous attirait comme un maelström! "Les nerfs! Ce sont les nerfs, qui sont cause de ce cauchemar! criait derrière nous le professeur Aronnax. Visez-les bon sang!" Le harpon nous jaillit de la main, pour s'enfoncer dans les chairs! Le lierre se cabra avec un cri déchirant, puis disparut. Le calme revint, les oiseaux de nouveau chantaient; la malédiction qui pesait sur ce pays n'existait plus! Tous voulaient nous offrir à boire, mais nous refusions gentiment!

    Cependant, de temps en temps, les volets s'ouvrent brusquement, comme si on avait tapé dessus pour un contrôle! Une tête hirsute apparaît, maussade, hostile! Une tête de juge! Il faut rentrer les enfants! Mais c'est qu'on aère! La fenêtre reste ouverte, pour le plein d'oxygène! Ben dame! Le niveau est au plus bas, après des mois de fermeture!

    On imagine la vie dans l'ombre, à pleurer sur les icônes, seuls souvenirs du pays! "Varouchka! Mon petit! Ils l'ont tué! Son sang sur la glace: un papillon rouge! Varouch est dans les étoiles! Mince, j'ai plus d' mie d' pain pour faire tenir mon encens! Faut qu' j' trouve d'abord la boîte d'allumettes! Aaaah! M...! J' me suis cogné le pied, contre le lit! Oh! j'ai mal! C' que je peux avoir mal! Varouch, ne rit pas s'il te plaît!"

    Une question se pose: comment pouvons-nous trouver tout insupportable? Car cela nous arrive à tous d'avoir les nerfs à vif! "Bonjour docteur...

    _ Asseyez-vous.

    _ Merci. Hum! C'est un gentil cabinet que vous avez là!

    _ Merci. Alors qu'est-ce qui ne va pas?

    _ Je suis en colère!

    _ Tiens donc! Pourtant, tout est calme dehors!

    _ Je ne sais pas c'qui m'arrive! L'autre m'est insupportable! J'ai des bouffées de haine! L'Etat... Oh! L'Etat! Y veut not' peau! C'est sûr! J'en peux plus! J'ai des tics tellement j'ai des inquiétudes! J'voudrais respirer! J'étouffe! J'ai l'impression qu'c'est la guerre!

    _ Et pourtant les deux tiers de l'humanité nous envient!

    _ Co... comment?

    _ Nous mangeons à notre faim et nous avons l'eau courante! Nous pouvons écouter la pluie à l'abri, supporter le froid au chaud! Alors qu'est-ce qui ne va pas?

    _ C'est justement la question que j' vous pose!

    _ Dites trente-trois! Faites aaahhh!

    _ Aaaaahhh!

    _ Hum!

    _ C'est grave, docteur?

    _ Je peux vous parler franchement?

    _ Hein? Euh... oui, allez-y!

    _ Nous ne pouvons rien supporter, parce que nous sommes des minables, des bébés; parce que nous n'avons aucune richesse intérieure! et que nous sommes secs comme du bois mort! C'est l'esprit qui fait la force! C'est son développement qui donne un sens à la vie et qui nous permet de voir large! Sinon vive les apothicaires!

    _ Tout de même les injustices!

    _ "C'est exact! J'ai tué à peu près tout ce qui bouge sur terre! Des hommes, des femmes, des enfants, des lapins, des cochons... et maintenant, c'est votre tour car vous avez tué mon ami Ned!"

    _ Mais qu'est-ce que...?

    _ Excusez-moi, je ne peux pas m'en empêcher! C'est une scène d'Impitoyable, de Clint Eastwood, qui est quand même un fumiste, soit dit en passant! Mais qu'est-ce que je vous disais: l'esprit! le sourire, le courant d'air, le large! Respirez! Voilà! Détendez-vous! Où est l'urgence? Où sont les Indiens? Allez-vous être déporté?

    _ Ma retraite...

    _ Pourquoi vous préoccupez-vous de votre retraite, alors que vous ne savez même pas vivre? Vous êtes incapable d'être heureux!

    _ C'est même pas vrai!

    _ Si! Donnez-moi une définition du bonheur!

    _ Eh bien, la famille...

    _ Hypocrite! En quoi le gouvernement empêche votre vie de famille?

    _ La pêche...

    _ Là oui, je vous crois plus! Pourquoi la pêche?

    _ Parce que j'suis tranquille...

    _ Voilà, le bonheur, c'est d'être peinard! Pas vrai?

    _ Eh, eh, oui!

    _ C'est la paix de l'esprit! C'est la grande aile! C'est de comprendre, de voir plus loin! C'est d'aimer la vie! Qu'est-ce qui rend malheureux? La haine, l'envie, la soif de paraître, la peur de manquer, l'égoïsme! Celui qui nous ronge au quotidien! Malheureux est celui qui veut rouler des mécaniques! Malheureuse est celle qui veut être une grande dame! Devenez merle, mon cher monsieur! Pensez rouge-gorge! Et même imaginez cloporte! Cessez de vous prendre au sérieux! Sale gréviste, va!

    _ Pardon?

    _ Tous les problèmes du monde accablent à la France! Le pays, qui connaît une misère noire, sombre peu à peu dans la folie! Le Français est né avec un boulet au pied! Victime d'une cruelle damnation, il montre au monde ses plaies et chacun recule, frappé d'horreur! Cependant, le "Black Friday a lissé les achats de Noël!"

    _ Quoi?

    _ C'est ce que disait un Mozambicain dernièrement...

    _ J'avoue que je suis un peu perdu...

    _ Mais allez à la pêche bon sang! Cessez de vous frapper! Faites un pas de côté... et vous verrez que tout ça est ridicule! Nous sommes aveugles!

    _ J' vais suivre votre conseil! J' vous dois combien?

    _ J' fais pas payer les sales grévistes!

    _ Sale connard!

    _ Ah! Ah! Vous voyez, vous allez mieux! Allez... et ne péchez plus... ou plutôt si!

    _ So long, doc!

    _ En voilà un d' guéri"

    Pendant ce temps-là, le robot de la domination continuait d'avancer dans les rues! Son mécanisme est assez particulier... Le robot étend son bras d'acier, tâtonne, puis se pose sur une proie! Il la serre pour se tirer en avant! Et ainsi de suite! A chaque fois il domine quelqu'un, car s'il s'arrête, il s'écroule; il sent le vide au-dessous de lui; il a peur et il peut se mettre à crier!

    Aussi, quand une proie s'échappe, il hait, il déteste, il veut détruire!

    Le sage est un poisson frais qui rigole! Il est insaisissable!

    La ville est une boîte d'allumettes, où les tyrans se promènent!

    Notre vide spirituel est infini, notre médiocrité aussi!

    Le tsunami égoïste des jeunes arrive!

    Le robot de la domination va rencontrer plus fort que lui! Il n'a aucune idée du malheur qui va s'abattre sur sa tête!

    Le jeune est rapide, sans pitié, sans cœur; il est son dieu et il faudra lui obéir!

    Le jeune n'a qu'une raison de vivre, c'est lui-même! Il est le robot de la domination, multiplié par notre infinie solitude!

    Le sage rayonne comme les blés! Il est le vent dans la ville! Il est l'eau claire dans la boue!

 
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