Les enfants Doms (XIII-XVII)
- Le 02/07/2022
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XIII
Cariou devait rencontrer Yumi Tanaka, pour lui apporter le message d'Amir Youssef, qui était resté sur l'île des Fous. Tanaka habitait un endroit de RAM où Cariou n'allait jamais. Il y avait là d'anciens brisants gigantesques, tels des menhirs, qu'on avait déposés en toute hâte face à la montée des eaux! Mais la pollution du plastique contenait les fureurs de la mer et les brisants s'étaient finalement révélés inutiles! Par pour tout le monde, car toute une population, trop pauvre pour habiter RAM même, avait réussi à combler une partie de ce chaos de béton, y avait édifié des cabanes et y cultivait maintenant de petits potagers!
Cependant, la pauvreté était ici évidente et Cariou croisa d'abord des enfants sales, qui le regardaient d'un air hostile. Ils avaient visiblement été élevés dans la haine et Cariou se sentait mal à l'aise! Il passa devant quelques cabanes qui semblaient dépourvues de tout, mais la véritable misère, elle est dans les rapports humains, quand ceux-ci sont violents ou gouvernés par la peur! Par exemple, c'est le bébé qui ne cesse de pleurer, parce que sa maman est incapable de se calmer elle-même! Son angoisse se transmet à son enfant, comme s'il était en trop et le voilà lui-même en proie à la peur!
Cariou trouva Yumi Tanaka et c'était une belle femme, qui avait de l'autorité sur son clan! Cariou expliqua qui il était et il donna le message de Youssef. Tanaka pria Cariou de s'asseoir autour d'une table grossière, alors qu'elle-même prenait place de l'autre côté, pour déchiffrer le fin rouleau qui lui avait été remis. La chaise de Cariou était légèrement boiteuse et devant la porte se tenait un homme, un garde apparemment! Le jour était suffisant pour éclairer la peau splendide de Tanaka, mais il y avait chez elle une tension qui enlevait toute idée de flirt!
"Comment va Youssef? demanda-t-elle.
_ Bien, bien, répondit Cariou. Il n'a plus qu'un an à tirer et il évite tous les ennuis!
_ D'après ce message, on peut vous faire confiance, bien que vous ne soyez pas des nôtres!
_ Euh... Oui, c'est vrai, je ne partage pas dans le fond le combat de Youssef... et je lui ai expliqué pourquoi... ou tout du moins j'ai essayé de le faire!
_ Mais je manque à tous mes devoirs!" coupa Tanaka et elle parla à l'homme devant la porte, dans une langue que ne comprit pas Cariou.
On apporta alors à Cariou de l'eau fraîche et une assiette de... radis! "Goûtez, je vous en prie", dit Tanaka. Cariou hésita une seconde, car il n'avait pas vraiment envie de radis, pour le moment, mais la proposition était si étrange qu'il y céda! Il porta le légume à sa bouche et le croqua! Immédiatement, il fut sous le choc! Le goût du radis explosa littéralement dans sa bouche! Ce fut un véritable feu d'artifice et Cariou comprit qu'il n'avait jamais mangé un radis auparavant!
Il leva les yeux sur Tanaka et elle souriait, sûre de son fait! "Hein? Ils sont bons, n'est-ce pas? fit-elle. C'est autre chose que ceux de RAM! Ils viennent de nos potagers!" Cariou approuva et prit un autre radis et de nouveau, ce fut un concert de saveurs! "Si RAM vendait de tels légumes, rajouta Tanaka, on mangerait moins de viande, vous ne croyez pas! On ne chercherait pas des choses frites! On ferait du bien à la planète!
_ Certainement!" répondit Cariou, qui se rendit compte qu'on se moquait de lui, ou presque, dans les magasins bio qu'il fréquentait! Mais le problème n'apparaissait-il pas dès qu'on cultivait d'une façon intensive, pour nourrir les gens? Il fallait alors produire et on ne pouvait sans doute pas donner autant de soins aux légumes que ne le faisait Tanaka! Mais il y avait aussi l'avidité et la peur du producteur!
En tout cas, une fois de plus, Cariou n'en revenait pas de la richesse de la vie!
XIV
"Vous voyez cependant notre dénuement! reprit Tanaka. Alors pourquoi n'êtes-vous pas avec nous?
_ Les riches me sortent effectivement par les trous de nez! Ils paradent et c'est le seul sens qu'ils donnent à leur vie! Tous leurs biens servent à dire: "Regardez comme nous sommes supérieurs!" et c'est absurde sur une planète perdue dans l'espace, d'autant que nous mourons tous! Mais, justement, savez-vous ce qui nous préoccupe dès que nous avons le ventre plein? C'est notre développement, le souci d'avoir plus et d'être plus! Autrement dit, c'est notre amour-propre qui nous mène, que nous soyons riches ou pauvres, et c'est lui la cause de nos souffrances!
_ Je ne comprends pas...
_ Vous souffrez parce que d'autres ont plus et semblent vous exploiter! C'est votre orgueil qui gémit! Débarrassez-vous de lui et vous pourrez être heureuse! Vous n'aurez plus peur! Vous serez en paix et vous comprendrez que même le riche mérite votre compassion! La seule manière de vraiment changer les choses, c'est d'aimer les gens! Ils sont alors rassurés et ils ouvrent les yeux sur les autres!
_ On voit que vous n'avez pas de difficultés matérielles! Il faudrait se laisser faire, selon vous!
_ Il s'agit d'avoir confiance! Tant que votre ego a soif, vous ne serez pas en paix! Que voulez-vous? Faire rendre gorge aux riches, les détruire, prendre leur place? Cela ne résoudra rien, car déjà vous-même vous n'en avez jamais assez! Je sais de quoi je parle! Ne plus avoir peur et renoncer à soi-même demandent beaucoup de travail! C'est ce qu'il y a de plus difficile!
_ Avec votre raisonnement, les riches s'amusent beaucoup! Mais venez avec moi, j'aimerais vous présenter quelqu'un!"
On sortit de la cabane, on passa quelques planches au-dessus de cultures et finalement on marcha sur la plage, parmi les détritus. Plus loin il y avait une ouverture naturelle, une grotte dans la falaise, qui s'élevait de ce côté de RAM! On entra et une odeur de mer, mais aussi de pourriture, saisit les narines! On prit des lampes et on avança dans un tunnel qui s'enfonçait sous la ville! Bientôt, on entendit un bruit de machine, comme s'il y avait là quelque monstre à la respiration bruyante! On croisa des gens mornes, qui portaient des choses lourdes! D'autres étaient à genoux, à cause de leur tâche! C'était une usine sous terre!
"Vous voyez ce qu'on est obligé de faire pour vivre!" cria presque Tanaka, pour couvrir le vacarme! Tout maintenant était vivement éclairé et parmi des cuves et des fumées s'affairaient des hommes et des femmes! Soudain, tous les éléments se fondirent en une seule coulée de lumière, qui se dirigea vers un homme, comme happée par lui!
"Je te présente Dramatov, notre chef!" dit Tanaka à Cariou et elle désignait l'homme qui venait d'attirer l'attention! "Un enfant Dom! se dit Cariou. Ce n'est pas très étonnant! Ici, il a de l'autorité, grâce à son combat!" Mais Dramatov ne salua pas Cariou, au contraire il demanda sèchement à Tanaka: "Qui c'est lui?
_ C'est un ami d'Amir! Lui aussi était sur l'île des Fous!
_ Et il vient d'être libéré? Parce qu'il a fait son temps?"
Tanaka se retourna interrogative vers Cariou, mais Dramatov reprenait: "Qu'est-ce tu sais sur lui? Rien! Et tu l'amènes ici! Tu lui montres notre organisation, alors qu'il est peut-être un espion!" Dramatov fit signe à ses gardes de se saisir de Cariou, qui se précipita vers la galerie qu'il avait déjà repérée! Il n'était pas question de redevenir prisonnier!
XV
Un faible éclairage violet permettait à Cariou de voir devant lui et rapidement il dut faire des choix, car il y avait de nouvelles ouvertures qui se présentaient! Il fonçait, obliquait, puis fonçait de nouveau! Enfin, il s'arrêta, à bout de souffle: "C'est la prison! se dit-il. C'est mauvais pour la santé!" Cette réflexion lui arracha un sourire et soudain il fut étonné par le silence! On n'entendait rien, sinon sa propre respiration!
Cariou avait peut-être semé ses poursuivants et il avança plus lentement... Les galeries étaient toutes bétonnées et donnaient l'impression de former un incroyable dédale. On arrivait à un nouveau croisement et Cariou cette fois tenta de réfléchir... Où était-il? Comment pouvait-il remonter à la surface? "Hi! Hi!" entendit-il derrière lui et il se retourna vivement. Il y avait là un petit homme hilare, qui demanda: "Dites-moi que je suis intelligent! comme je suis talentueux!"
Interloqué, Cariou demeura une seconde silencieux, puis il dit: "Excusez-moi, mais vous savez comment on sort d'ici? comment je peux rejoindre la rue?
_ Hi! Hi! Dites-moi combien je suis intelligent, talentueux!
_ Ecoutez, j'ai des ennuis! Je dois retrouver la surface... Est-ce qu'il y a un tunnel qui me fait remonter?
_ Hi! Hi! Dites-moi que je suis intelligent, merveilleux!"
Cariou se demanda s'il ne rêvait pas et quelle attitude il devait prendre, puis il lâcha: "D'accord, vous êtes merveilleux et intelligent!
_ Hi! Hi!" fit le bonhomme et tout d'un coup il partit en courant!
"Bon sang!" se dit Cariou et il se frotta le visage, comme pour reprendre ses esprits! Puis il s'engagea dans une nouvelle galerie, où il n'entendait que son pas résonner. Il arriva cependant à un autre embranchement et une nouvelle fois, il fut dans l'expectative face aux ouvertures muettes! "Hi! Hi!" Le petit rire du bonhomme se répétait dans son dos et il pivota. L'étrange personnage l'avait rejoint et c'était un mystère insondable!
"Hi! Hi! fit le petit homme hilare. Dites-moi comme je suis beau, magnifique!
_ Vous commencez à m'énerver! Je cherche à retrouver la surface et je vous prie de m'aider, c'est tout!
_ Hi! Hi! Dites-moi comme je suis beau, magnifique!
_ Dites-moi plutôt comment vous avez fait pour arriver ici en même temps que moi! Cela veut-il dire que les galeries forment une sorte de... nœud?
_ Hi! Hi! Dites-moi que je suis intéressant, passionnant!
_ D'accord, concéda Cariou de guerre lasse, vous êtes magnifique, intelligent, suprêmement intéressant!
_ Hi! Hi!"
Le bonhomme disparut subitement, comme la première fois, et Cariou pensa qu'il était dans une maison de fous! Mais il devait continuer et il parcourut, avec une certaine hâte, un autre boyau, pour trouver encore un embranchement! A son grand étonnement, il se mit à attendre le petit homme, comme si c'était devenu une habitude, et il eut de plus en plus l'impression d'être un rat de laboratoire, en apprentissage!
Mais, au lieu du petit rire, il perçut des éclats de voix, qui venaient en écho d'une galerie voisine. Il entendait: "Non, mais c'est tout de même incroyable une agression comme celle-là!" C'était la voix du bonhomme et il venait d'avoir peur! N'était-ce pas les poursuivants de Cariou qui avaient croisé sa route et qui l'avaient malmené?
Vite, il fallait choisir une nouvelle direction et Cariou prit la voie qui semblait la plus mal entretenue! Il y avait de la mousse à mi-hauteur et l'éclairage était défaillant! Le seul ennui, c'est que ça descendait de plus en plus raide, comme si Cariou avait voulu disparaître dans les profondeurs!
XVI
Dominator était de plus en plus inquiet, car la situation financière et sociale de RAM ne cessait d'empirer! Il y avait d'abord une dette colossale, à peine maîtrisable et Dominator se demandait comment on en était arrivée là, car s'endetter n'avait nullement été une fuite en avant, mais RAM s'était placée sur le marché de la dette peu à peu, afin de dynamiser son économie et de lutter notamment contre l'inflation!
On avait "émis" de la dette comme on disait, on avait proposé à des investisseurs de l'"acheter", car elle représentait des montants importants et les Etats étaient normalement de bons débiteurs, dont on connaissait la solvabilité, grâce à des agences de notation! Cette façon de faire était venue en même temps que la mondialisation, le progrès des transports et l'ère de la communication, enfant du numérique!
On ne vivait plus replié sur soi, assis sur son coffre-fort, mais on allait de l'avant, comme si le monde était irrigué comme une plante, avec des flux d'argent pareils à de la sève! Le problème, c'est que l'homme ne changeait pas au fond et il restait égoïste! Sous l'effet de la peur, il ne veillait qu'à sa sécurité et accaparait! Les crises conduisaient à des inflations, du haut jusqu'en bas! Chacun tirait la couverture à soi et se donnait une bonne raisons de le faire!
On entrait dans des spirales vicieuses, avides, qui creusaient les inégalités, et ceux qui se sentaient les plus méprisés avaient recours à la violence! On se mettait en grève, on demandait plus, on cassait, alors que les caisses étaient désespérément vides! N'avait-on pas déjà "emprunté" tout ce qu'on pouvait, pour régler les crises précédentes et éviter la ruine du pays? Mais le plus grand nombre se "réfugiait" dès le départ dans un travail répétitif et il échappait ainsi à sa crainte!
On ne cherchait pas et on se mettait au contraire le plus tôt possible des fers aux pieds! On ne s'éveillait pas et on s'ennuyait ferme! Dans ces conditions, la moindre contrainte pouvait provoquer l'explosion! Ainsi, RAM était en ce moment tout près du chaos! Il n'y avait plus d'argent, l'inflation galopait, les investisseurs devenaient méfiants et la population réclamait plus, tel un bébé qui a faim! C'était un climat propice à la montée des extrêmes, qui flattaient la paresse des masses, puisque, selon elles, il suffisait de quelques coups de baguettes magiques!
Mais Dominator lui-même n'avait-il pas abusé de l'endettement, de cette manne impalpable, quasiment virtuelle? Il fit entrer son ministre des finances et lui dit: "La situation est grave!
_ Je sais, répondit le ministre. Il y a des blocages un peu partout!
_ Vous avez une solution?
_ Hem! fit le ministre en se redressant sur son siège. Vous savez que nous sommes déjà les champions des cotisations! Or, il nous faut augmenter les prestations sociales, pour calmer les esprits! Peut-on valoriser le salaire minimum? Ce serait mettre en branle un engrenage infernal!
_ Au fait, je vous en prie!
_ Nous pourrions toucher la CEAF, mais la RIF risque de plonger! L'IRP semble nous tendre les bras, mais la CSP nous surveille et elle nous tombera d'sus sans hésiter! Que dire de la FFLSS, la deuxième, pas la première? Ma foi, elle vaut tant que l'OTGL ne bouge pas! Je tiens à rappeler que d'augmenter la GGF et l'IRPST a déjà été essayé et que cela avait mené à une chute de l'APULO! Donc, ce n'est pas très concluant! Certains préconisent de transférer l'IMOPNH vers la VA, mais est-ce raisonnable?
_ Assez! Mais bon sang assez! Au fond, vous n'avez pas de solutions, n'est-ce pas?
_ Euh... Non, effectivement!
_ Eh bien, moi, j'en ai une pour vous! L'île des Fous, vous connaissez?
_ C'est... une sorte de prison, si je ne m'abuse?
_ Vous n'avez pas tort et vous allez y faire un séjour!
_ Mais ma famille, mes proches?
_ Ils comprendront que vous avez besoin de repos, de beaucoup de repos!
_ De repos?
_ Mais oui, vous n'avez pas envie de voir la suite des événements, les barricades, les affrontements! C'est affreux et vous devriez me remercier!"
XVII
De son côté, Jack Cariou était de plus en plus mal à l'aise, car le sol de la galerie, où il se trouvait, devenait glissant! L'humidité refroidissait l'air et suintait des murs! Soudain, l'obscurité se fit et ce que craignait Cariou arriva: il dérapa et chuta violemment dans le noir! Assis, il jura et palpa sa cuisse douloureuse! Il avait l'impression de vivre un cauchemar, mais il fallut se relever et poursuivre sur des jambes tremblantes, avec mille précautions!
Après une période qui sembla un siècle, son pied toucha une surface plane, ce qui était un progrès, et en se guidant au contact de la paroi, il exploita tous les avantages de sa nouvelle situation! Il évoluait plus vite et bientôt il aperçut une lueur! Ici, l'air était plus sec et on voyait désormais devant soi! Il y avait une niche et c'était de là que provenait la lumière. Un vieil homme attablé, avec de longs cheveux gris et une robe sombre, y mangeait un morceau de pain!
"Hem! Hum! fit Cariou, qui voulait surtout ne pas faire peur. Excusez-moi..." A sa grande surprise, l'homme ne sursauta pas, mais au contraire se retourna calmement, comme s'il avait l'habitude des visites! "Bien le bonjour, fit l'homme, puis-je vous offrir une tasse de thé?
_ Mais... mais oui, volontiers!
_ Prenez place, je vous en prie! Je mets l'eau à chauffer!"
Cariou vit alors qu'il pouvait s'asseoir sur un petit lit et en proie à l'étonnement, il observa l'homme s'affairer! "Savez-vous où est la sortie? demanda Cariou. Je me suis perdu... dans ce labyrinthe de tunnels!
_ C'est par là!" fit l'homme d'un geste vague et il désignait la direction que suivait déjà Cariou, avant de s'arrêter.
"Mais n'êtes-vous pas fatigué de courir? reprit le vieillard, en donnant à Cariou une tasse de thé.
_ Si, sans doute... fit celui-ci en prenant une première gorgée, qui lui fit beaucoup de bien.
_ Oui, nous avons tous tendance à nous agiter... poursuivit le vieillard, qui souriait. Alors qu'on peut être bien tranquille chez soi!"
Tout en dégustant son thé, Cariou songeait à sa situation et il était vrai qu'il sortait à peine de prison et qu'il aurait voulu souffler! Au lieu de quoi il jouait les équilibristes dans le noir et sur un sol boueux! "J'imagine que vous allez faire vos courses à l'extérieur? demanda-t-il cependant.
_ Oui, bien entendu, dit l'autre. Cela m'arrive quelquefois, mais les gens sont mauvais à l'extérieur, vous savez!"
L'homme parlait d'une voix monotone et Cariou avait l'impression de s'engourdir... Il se rappelait toutefois combien il prenait de coups! Il tenait tout seul son étendard, pour ainsi dire, et ses pensées suscitaient majoritairement des réactions haineuses, hostiles! Elles n'étaient pas sans conséquences, elles produisaient des blessures et on était sûrement plus à l'abri à l'intérieur du troupeau, en suivant l'avis du plus grand nombre!
Soudain, Cariou eut froid et se sentit fatigué, mais peut-être se prenait-il en pitié? "Là-haut, reprit le vieillard et il montrait le plafond, là-haut, ils sont terribles! Toujours à calculer, à ne prendre en compte que leurs intérêts, à écraser le plus faible! Ils ont tous les pouvoirs!"
Cariou avait de plus en plus de mal à échapper à sa torpeur! Le vieil homme dégageait quelque chose de malsain, d'annihilant et Cariou faillit l'approuver, mais au dernier moment il se rebella, car il connaissait ce genre de discours, qui niaient la complexité des autres, leur réalité! C'était une façon de voir qui naissait d'une peur profonde, qui rendait le monde telle une masse dangereuse et uniforme! Ainsi, l'individu restait pareille à une araignée, au centre de sa toile, maître des choses!
C'était encore l'orgueil qui triomphait et la solution n'était certes pas le discours empoisonné du vieillard, mais il s'agissait d'abord de vaincre sa peur, ce qui demandait de l'humilité! Maintenant, Cariou n'avait plus qu'une hâte, celle de continuer sa route et il remercia pour le thé, tout en se levant! Cette attitude raidit le vieillard, qui reprit place à sa table, et quand Cariou lui dit au revoir, il ne répondit pas, comme si on l'avait offensé! Son édifice ne supportait pas la moindre fissure!
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