Les enfants Doms (VII-XII)
- Le 25/06/2022
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VII
Le professeur Ratamor continuait d'expliquer à ses élèves la démarche scientifique! L'atmosphère, dans l'amphithéâtre, était studieuse, car on approchait des examens! "L'objectivité, disait le professeur, c'est la logique, la relation de la cause à l'effet! Le scientifique sera sûr si ses passions n'entrent pas en ligne de compte, si sa méthodologie, son expérimentation sont rigoureuses! Sa raison doit fonctionner, nullement son ego! Certes, il ne rejette pas l'instinct, mais, tout comme un joueur d'échecs, il n'avance qu'en étant conscient de ce qu'il fait, après avoir examiné toutes les possibilités! Il observe, décrit, analyse et...
_ Excusez-moi, professeur...!"
C'était la voix de Piccolo! Elle glaça Ratamor! Ce type, enfin cet élève l'exaspérait! Il aurait pu lui reprocher son impolitesse, mais il voulait son cours vivant, qu'on y participât! Il détestait ces leçons atones, à sens unique, que les étudiants ingéraient on ne savait comment! Mais, en même temps, il n'aimait pas la contradiction, qu'on le mît sur la sellette! Il préférait qu'on lui demandât bien plus d'explications et il se plaisait alors à montrer son savoir! Il ne fallait surtout pas qu'il perdît sa position dominante, or Piccolo l'inquiétait, car il était imprévisible!
Cependant, pour ne pas refroidir ceux qui étaient plus timides et qui désiraient l'interroger, Ratamor répondit: "Oui, Piccolo, je vous écoute!" Avait-il laissé deviner dans sa voix une certaine lassitude? Il n'eut pas le temps d'y réfléchir, car Piccolo lancé, il ressentit toute l'irritation et même la haine qu'il vouait à ce trublion!
Mais Piccolo, lui, était apparemment à dix mille lieues de tout souci et il y allait franchement, presque joyeusement! Prenait-il plaisir à être un bourreau? "Professeur, disait-il, ce que je ne comprends pas, c'est cette absence d'admiration, quand on cherche à comprendre la nature! On reste froid! On s'efforce de ne s'en tenir qu'aux faits et on finit par rejeter la beauté! Elle n'est plus qu'un accessoire, qu'un plaisir de plus comme un verre de vin!
_ Mais, comme je viens de le dire, le scientifique ne doit s'attacher qu'à sa seule raison! Ses émotions ne peuvent que le gêner et fausser les résultats! Qu'est-ce qu'une science qui ne serait pas matérialiste?
_ D'accord! Mais la beauté crie! Elle ne cesse de pousser, car sa puissance est infinie! Comment ne pas être émerveillé par le nombre des étoiles, l'éclat d'une fleur, la transparence d'une goutte d'eau? Comment ne pas être admiratif devant les possibilités des animaux, leur constitution? Comment rester de marbre quand on perce la nature des phénomènes, le codage de l'ADN ou l'équilibre de l'Univers!
_ Mais justement comprendre les lois enlève de la naïveté! C'est le prix de la rigueur!
_ Mais pourquoi ce ne serait pas le contraire? L'enchantement ne devrait-il pas être amplifié par la richesse du résultat? C'est une question que je me pose souvent: pourquoi si peu sont sensibles à la beauté? Et je me suis aperçu qu'il y avait un lien entre l'ego et l'émerveillement!
_ Qu'est-ce que vous voulez dire, Piccolo?
_ Eh bien, imaginez le scientifique qui découvre quelque chose et qui, au lieu d'être "soufflé" par ce qu'il voit, se dit: "Eh! Eh! Les copains vont pas en revenir! Je vais leur en mettre plein la vue! C'est qui le boss? C'est moi!" Dans ce cas, en effet, la beauté est secondaire! Il existerait donc une relation de cause à effet entre notre égoïsme et la capacité d'émerveillement!
_ Inutile de me singer, Piccolo! Je monte!"
VIII
Sur l'île des fous, Jack Cariou et Amir Youssef travaillaient de nouveau dans les champs. C'était le calme du matin, avec une température agréable et même les gardes en profitaient, ne surveillant que mollement! Les détenus avaient pris l'habitude d'échanger un peu à ce moment-là, entre deux rares coups de pioche!
"Tu sais, dit Youssef à Cariou, je sors dans un an et j'ai des amis qui m'attendent dehors! On se prépare pour une révolution sociale! On veut faire triompher notre parti, qui n'aura qu'un seul but: la justice! J'ai vu comment tu manœuvrais la Birkel et tu pourrais nous être utile, quand tu auras fait ton temps!
_ Hum! Je vais sans doute te décevoir, mais je ne crois pas que le remède à l'injustice soit politique!
_ Ah bon? Mais le système est fait en haut de riches et de profiteurs et en bas de travailleurs qui sont exploités! Toi-même, tu es ici à cause d'une décision politique, d'un abus de pouvoir!
_ Tu as raison, il y a bien des gens qui gagnent durement leur vie, qui ont peur et qui sont écrasés et il faut les protéger!
_ Ah! Tu vois! Et il faut donc avoir le pouvoir, pour créer des lois et contraindre les riches! Il faut changer le système!
_ Dis-moi, Youssef, pourquoi il y a des riches et des profiteurs? Ou autrement dit pourquoi il y a des égoïstes, qui veulent à tout prix se sentir supérieurs?
_ Ben, parce que le mal existe!
_ Tu veux dire que le diable existe?
_ Non, bien entendu! Mais y a des salopards et des gentils!
_ Tu ne réponds pas à ma question... Pourquoi il y a des salopards et des gentils? Je vais te le dire, c'est que parce l'animal qui est en nous veut se satisfaire! Il veut le pouvoir et le triomphe de son ego! Mais cela est donc valable pour chacun, riche ou pauvre, femme ou homme, car c'est instinctif!
_ Ben..., possible! Et alors où tu veux en venir?
_ Ce n'est pas que c'est possible, c'est comme ça! Chacun veut être le chef et c'est pourquoi tu veux aussi le pouvoir! Ce n'est pas seulement par altruisme! Il y a aussi ton ego qui souffre, parce qu'il se sent exploité ou frustré! Et c'est sans fin! Tu vas prendre la place des riches et les pauvres derrière toi vont te traiter toi aussi de riche! La violence sera toujours là! L'histoire l'a maintes fois prouvé!
_ J' te comprends pas!
_ Parce que tu ne veux pas me comprendre! Pour ma part, je n'envie pas les riches, car je sais qu'ils ne sont pas heureux! Moi, je le suis, parce que je suis en paix avec moi-même! Alors, pourquoi j'envierais quelqu'un et serais en colère contre lui! C'est contre l'égoïsme qui est en chacun de nous qu'il faut lutter, pour s'en libérer! C'est la seule voie de la paix, qui permet de soulager le malheur d'autrui, de lui donner de l'espoir!
_ Tu veux rester pépère dans ton coin, c'est ça? Eh bien, moi, je ne me laisserai pas faire! Je vais agir!
_ Qu'est-ce qu'il y a de plus difficile: se dire qu'on a des ennemis et les vaincre, ou bien se vaincre soi-même, en s'efforçant de se calmer, quand la haine monte en soi? N'est-elle pas dans notre ventre, comme ces racines dans la terre?"
A ce moment, un des gardes appela Cariou, pour lui dire que madame Birkel voulait le voir...
IX
Cariou suivit le garde et se demanda ce que la directrice lui voulait, car il ne fut pas conduit au cachot! Il se retrouva dans le même bureau, où il avait été accueilli à son arrivée. "Entrez! Entrez! fit la voix étonnamment chaleureuse de madame Birkel. Asseyez-vous, Cariou! Une tasse de thé avec un peu de cake, peut-être?
_ Mais volontiers! répondit Cariou, qui n'en revenait pas.
_ Je vais vous préparer ça!"
Cariou regarda madame Birkel, qui s'affairait et qui avait mis plus de soin dans sa toilette. Elle portait une robe colorée, qui laissait voir une poitrine malheureusement desséchée, mais la directrice semblait ne pas s'en rendre compte, d'autant qu'elle s'était maquillée!
"Voilà, voilà!" fit-elle en déposant devant Cariou une tasse fumante et une part de gâteau! Cariou n'avait pas été à pareille fête depuis longtemps et il commença à se régaler, tandis que la directrice passait légèrement derrière son bureau. "J'ai une bonne nouvelle à vous annoncer, reprit-elle, vous êtes libéré! On vient vous chercher aujourd'hui même!"
La surprise fut totale pour Cariou, comme si on lui avait dit qu'on l'aimait! "Je ne savais pas que vous aviez des relations, Cariou, poursuivit madame Birkel, et pas n'importe lesquelles! L'ordre de vous élargir a été donné par les plus hautes instances de la Tour du Pouvoir! Vous connaissez donc ceux qui nous dirigent, Cariou?"
L'expression de la directrice était devenue admirative, avec une note intéressée, sucrée dans l'allongement du nez! "Oui, j'ai eu affaire à Dominator une fois!" répondit Cariou qui reposait sa tasse et qui maintenant s'amusait! La directrice ouvrit des yeux ronds! "Vous savez, fit-elle d'un air faussement modeste, que je ne fais ici que mon devoir! Mon travail est difficile et mes moyens limités! Mais enfin je m'efforce de donner le meilleur et je veille à ce que chacun suive mon exemple, afin que cet établissement soit le mieux tenu! Je ne me plains pas, car je sais où est ma place! Le travail seul me guide, comme vous avez pu le voir...
_ Bien sûr...
_ J'espère que vous saurez représenter ma situation, auprès de vos relations, si jamais elles se montrent curieuses à mon égard..."
"Nous y voilà!" pensa Cariou. "Quant à vous Cariou, je ne peux que déplorer votre départ précipité! Car vous m'avez sans doute mal jugée en maintes occasions!
_ Mais non..., répondit Cariou, qui attaquait goulument un morceau de cake!
_ Sachez cependant que, si à l'occasion je fais preuve de dureté, c'est pour accomplir ma mission! J'aimerais que tous mes détenus deviennent des hommes, dignes, responsables, laborieux et avec vous, Cariou, j'avais beaucoup à faire! Vous avez pris la mauvaise habitude de n'en faire qu'à votre tête et dans la vie il n'y a pas que le plaisir!"
"Ces gens-là, se dit Cariou, ne doutent de rien! Ils vous demandent un service, d'intervenir pour eux, mais il faut en plus qu'ils satisfassent leur haine, qu'ils vous enfoncent malgré tout! Ils s'essuient doublement les pieds sur votre personne et ils avaleraient la Terre comme un petit pois! Car leur appétit est sans bornes! Ils n'ont aucune honte, aucune conscience, tellement ils s'adorent et sont pleins d'eux-mêmes!"
"Madame Birkel, coupa Cariou, je vous ai déjà dit ce qui est, à mon sens, le véritable travail! Ce n'est surtout pas se faire valoir! Ce n'est même pas assurer sa subsistance! Mais c'est lutter contre son égoïsme, pour respecter les autres! Là oui, on est dans la cour des grands! Or, à quel moment acceptez-vous d'être humble, de ne pas savoir, de ne plus être le centre d'intérêt? Tous les autres doivent vous obéir, guetter le moindre de vos désirs, car il en va de leur santé! Vous contrôlez chacun, avez tout pouvoir sur lui! Et tout cela pour votre plaisir! pour que vous jouissiez de votre importance, de votre puissance! Et vous parlez de pauvreté, de renoncement, de morale? Mais vous êtes l'hypocrisie faite femme, madame Birkel!
_ Espèce de sale petit connard! Je ne m'étais pas trompée sur vous, Cariou! Vous êtes la lie de la lie! Si ça ne tenait qu'à moi, il y a belle lurette qu'on aurait retrouvé votre corps dans la vase de l'île!
_ Attention, madame Birkel, répliqua Cariou d'une voix suave, je pourrais mal vous servir auprès de mes relations...
_ Mais faites ce que vous voulez, sale rat puant! Vous croyez que j'ai besoin de vous? Je suis arrivée toute seule, vous m'entendez! Je viens d'une famille où il n'y avait que des garçons et dès le début, j'ai dû apprendre à me faire respecter! Vous n'êtes qu'une larve, Cariou!"
La directrice fulminait, son visage était rouge, sa colère immense et Cariou appréciait le spectacle, en connaisseur!
X
Quand les autres détenus apprirent la libération de Cariou, ils lui apportèrent des messages pour leurs proches et Youssef pour un des membres de son parti! Cariou se chargea volontiers de toutes ces commissions et il quitta sans regrets l'île des Fous, car il ne voyait pas de solutions avec madame Birkel! L'une des raisons de cette impasse était sans nul doute le fait que Cariou était un prisonnier et qu'il ne pouvait donc pas prétendre au savoir et à l'équilibre!
La traversée se passa sans encombres, pour ainsi dire, entre des bancs de plastique et des zones plus libres, ce qui laissa le temps à Cariou pour s'interroger sur le motif de sa libération! L'ordre venait de la Tour du Pouvoir et donc de Dominator, mais pourquoi voulait-il revoir Cariou? Il y avait de quoi rêver devant le cours des événements, car même le mal sert au bien!
A l'arrivée, les deux armoires à glace de Dominator attendaient Cariou sur le quai et il les salua d'un joyeux: "Mais c'est Laurel et Hardy!" L'un des costauds se planta face à Cariou et lui répondit: "Le patron veut te voir, c'est entendu! Mais il n'a pas précisé en combien de morceaux, compris?" Cariou opina, car il était heureux d'avoir retrouvé la liberté!
On monta dans l'autociel et on survola la ville, qui se dressait grise et puissante. Mais soudain des voyants dans l'habitacle signalèrent une panne et on dut atterrir en catastrophe! "C'est pas vrai!" s'écria l'un des malabars, quand tout le monde fut sorti du véhicule.
_ Attends, j'appelle une autre voiture!" dit l'autre, mais il n'y avait pas de réseau!
On se rendit compte alors qu'on était dans un quartier désert: il n'y avait ni piétons, ni circulation! La rue semblait abandonnée, entre des entrepôts, et elle avait un aspect sinistre! "On cherche sa maman? fit une voix derrière le trio et il se retourna vers une jeune femme, à l'allure agressive! Elle avait le crâne quasiment rasée et ses vêtements étaient militaires, comme si elle avait voulu nier toute féminité!
"Ben, la souris, tu pourrais être un peu plus polie!" répliqua l'un des costauds. La femme eut un sourire en forme de grimace, puis elle dit: "Un gros tas, comme toi, ne mérite que de la merde!" Il y eut un silence, puis le malabar s'avança, mais il fut frappé par une décharge électrique! Il s'écroula et la suite fut confuse! D'autres femmes surgirent d'une ouverture et se ruèrent à l'attaque! Le deuxième costaud reçut le même traitement et on assomma Cariou!
Quand il se réveilla, il était ligoté dans un entrepôt, à côté de ses gardiens, encore inconscients! "Eh! cria une femme, y en a un qui émerge! C'est le baisable!
_ Vas-y! Profite s'en! fit une autre. Monte-le!"
Elles éclatèrent de rire et elles étaient là, un dizaine, toutes avec des tenues guerrières! "Minute, les filles! coupa celle qui avait l'air d'être la chef. D'après les téléphones, celui-ci s'rait comme nous, une victime! Il vient d'être libéré de l'île des Fous!"
Cette annonce amena un peu de compassion sur les visages et la chef s'approcha de Cariou, avant de lui trancher ses liens! Puis, elle l'amena vers la sortie: "Ecoute, tu peux partir! dit-elle. Mais ne reviens jamais ici, car tu n'aura pas de deuxième chance!
_ Qu'allez-vous faire des deux autres?
_ On va les châtrer! cria une femme derrière.
_ On fait la guerre aux mecs! reprit la chef. On ne veut plus de leur pouvoir et on s'ra sans pitié! Allez va-t-en!"
Cariou ne répondit rien, c'était inutile et il retrouva l'air libre. "La haine et la saleté! Voilà ce qui domine RAM!" se dit-il.
XI
Cariou ne pouvait pas rentrer chez lui, sans avoir prévenu Dominator, car sinon la disparition des deux gardiens lui serait imputée! Il prit donc un transport en commun, jusqu'à la Tour du Pouvoir. Au pied de celle-ci, il y avait une importante manifestation, très colorée, faite de jeunes surtout et qui semblaient totalement soumis à l'autorité de quelques animateurs, comme on peut l'être pour un exercice de gymnastique ou lors d'une fête de colonies de vacances!
Cariou s'étonna encore de l'instinct grégaire des hommes, comme s'ils avaient peur de leur individualité! Pourtant, le motif de la manifestation était la liberté sexuelle, mais il fallait voir là encore un désir de se développer, quoique scolaire et manipulable! C'était la "lumière" qui malgré tout cherchait son chemin, bien qu'elle fût entraînée par une domination souterraine!
Dans la Tour du Pouvoir, les difficultés commencèrent pour Cariou, car on n'approchait pas de Dominator "comme ça"! Il fallut rencontrer des intermédiaires et les convaincre à chaque fois de faire remonter le nom de Cariou un peu plus haut! Mais enfin Dominator accueillit l'ancien prisonnier de l'île des Fous, en s'écriant: "Bon sang, Cariou, où sont mes hommes?"
Les yeux de Dominator s'ouvraient à mesure que Cariou faisait son récit, puis il explosa: "Partout, la société est en train de céder! Chacun tire la couverture à soi! La violence est reine! Vous avez vu ces guignols en bas! Il se croient dans une cour de récréation! Cette ville devient ingouvernable!
_ Plus la situation est inquiétante et plus les extrêmes y trouvent leur compte! répondit Cariou. On ne veut pas réfléchir, s'ouvrir! Au contraire on se ferme, dans un réflexe égoïste! On laisse aller sa haine, on n'essaie pas d'aimer! Ceci dit, vous n'avez pas montré le bon exemple!
_ Comment?
_ Vous-même, pour vous sentir en sécurité, vous avez voulu tout contrôler, d'où vos purges! Or, on ne guérit pas de la peur par la tyrannie! Car c'est bien la peur qui provoque la haine et les révoltes!
_ Je ne vous aime pas, Cariou!
_ Ah! Ah! Quoi d'étonnant? Sachez qu'on me déteste dès que je demande de la nuance, de voir plus loin que son égoïsme! Tout ce que "l'enfant" veut, c'est la satisfaction de ses pulsions!
_ Hum! C'est bien à propos d'enfants que je vous ai fait venir... Car il y en a de drôles, si on peut dire, qui survolent la ville grâce à leurs bulles! Vous les appeliez comment déjà?
_ Les enfants Doms, car ils sont issus d'une domination extrême, créée par la peur justement!
_ Ouais, eh ben, ces gosses sont devenus dangereux! Rien ne les arrête! Ils sont capables de tout! Ils sont imprévisibles et asociales! Ils ne veulent pas travailler notamment! C'est comme si des petites bombes flottaient dans l'air!
_ Et vous voulez que je fasse quoi?
_ Que vous vous en occupiez! Vous semblez les comprendre et il faut les neutraliser!
_ Le problème est complexe, plus profond que vous ne l'imaginez, car il s'agit avant tout de les rassurer, ce dont vous avez été incapable vous-même! En tout cas, il faut me laisser les coudées franches et je ne veux pas revoir vos hommes dans les parages!
_ Très bien, mais nous restons en contact, car il y a urgence!"
XII
Il y eut des retrouvailles chaleureuses entre les membres de l'OED! Chacun raconta sa petite histoire et on fut surtout intéressé par le travail de Macamo, car Sullivan, le patron d'Adofusion et ancien enfant Dom lui-même, s'améliorait, s'apaisait, était plus conscient au fil de ses passages dans le Metavers! On avait là assurément l'une des solutions pour lutter contre les enfants Dom et espérer une meilleure cohésion de la société!
La tâche d'Andrea Fiala était tout aussi importante, mais elle visait un public plus mûr, qui lisait pour approfondir sa réflexion, ce qui donnait lieu à un changement profond, quasiment souterrain et qui s'étalait dans le temps! Quant à Cariou, il raconta sa détention, sous les airs graves de Fiala et Macamo, et bien entendu il leur parla longuement de madame Birkel, puisqu'elle était une enfant Dom, qui s'était figée grâce à l'autorité de son poste!
"C'était le soir de Noël! expliqua Cariou qui s'étonnait toujours de la façon de faire des Doms. Evidemment, le réfectoire était excité, car il avait droit à un menu spécial! Pourtant, il a vite déchanté, car les plats ne venaient pas! Ils étaient sous le commandement de madame Birkel, qui ainsi faisait sentir tout son pouvoir! Quand enfin on mangea, on n'était déjà plus enthousiaste! Il n'y a pas eu de communion et quand madame Birkel est passée entre les tablées, pour recueillir quelques compliments sur la cuisine, elle n'a rencontré qu'un silence pesant!
Il y eut tout de même un détenu qui s'est levé, en la remerciant, mais la Birkel l'a parfaitement ignoré!
_ C'est pas vrai! fit Andrea.
_ Si! Mais c'est son orgueil qui veut ça! Il est comme le sable qui boit de l'eau, sans traces!
_ Mais cette femme vit dans un enfer! s'écria Macamo. Elle n'est jamais contente!
_ Oui et non, répondit Cariou. Si c'était si terrible que ça, elle changerait, non? Mais les amis, moi, je vais faire un tour! J'ai besoin d'éprouver ma liberté!"
Cariou marchait déjà depuis un certain temps, quand les immeubles autour commencèrent à se tordre et à tourner, comme un disque stroboscopique! Cela avait un effet aspirant, quasiment irrésistible, et pour ne pas être emporté, Cariou dut bander son esprit! Il parvint, grâce à sa force psychique, à remettre les choses dans l'ordre et de nouveau devant lui, la rue s'anima normalement!
Bien entendu, il venait de subir l'attaque d'un enfant Dom et il ne pouvait en être autrement! Ils étaient partout et d'ailleurs, Cariou distinguait celui qui le menaçait: il était dans sa bulle, à mi-hauteur des immeubles! A cet instant, encore une fois, la rue se contracta et ce fut l'asphalte lui-même qui se tortilla, tel un tire-bouchon, mais le but était le même: captiver l'attention, asservir celle-ci et soumettre l'autre!
Ainsi, l'enfant Dom se nourrissait, se déplaçait en se sentant le maître, le centre de tout! Ainsi il échappait à l'angoisse! Mais c'était une manière de faire monstrueuse, impossible pour l'ensemble! Il fallait que l'enfant Dom trouvât lui-même un équilibre, sans vouloir dominer tout le monde! Cariou fit encore un effort et rétablit la normalité! La rue reprit son visage habituel et Cariou ne faisait que protéger son indépendance: il n'était nullement l'agresseur!
Bien au contraire, il n'aspirait qu'à suivre ses pensées, mais c'était justement cette liberté qui inquiétait l'enfant Dom et produisait son attaque! Mais celui qui était juste au-dessus changea brusquement d'attitude! Sa bulle vint atterrir aux pieds de Cariou et disparut! L'enfant Dom était à nu, pour ainsi dire, et il toucha légèrement Cariou, du bout des doigts! Ce fut un geste très fugitif, car l'enfant Dom, comme honteux de lui-même, prit la fuite en courant!
Cariou était saisi: cela avait été si inattendu! Il en éprouvait cependant une douce satisfaction, car comment expliquer ce qui venait de se passer, sinon en considérant que Cariou représentait la paix, puisqu'il n'avait pu être vaincu! Cela voulait aussi dire que Cariou avait raison depuis le début: les enfants Doms étaient créés par la peur et lui Cariou avait appris à dominer cette peur! Seule la vérité permettait ce tour de force!
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