Les enfants Doms, T2, (90-94)
- Le 28/01/2023
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"Eh, mais dis donc! Si tu m'avais dit ça, j' s'rais pas allé m'empaler sur les Djian!"
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90
Le désert dit: "Je t'apprendrai l'attente, le silence, la poésie!
Je t'apprendrai l'écoute, l'eau rare, l'espérance, le but!
Je t'apprendrai le grain qui tombe, le bruit furtif, la note!
Je t'apprendrai le vent qui emporte tout, même ta tristesse!
Je t'enseignerai le doigt agile sur le oud!
Il t'enseignera l'écho des cavernes, des lointains!
Il sera l'eau rare, ton sanglot!
Tu rêveras du feu le plus pur!
Tu porteras en toi le charme des pierres!
Elles te parleront! Elles seront les fleurs du chemin!
Je t'enseignerai la nuée, qui fuit comme ton espoir!
Tu seras l'arbre mort! le puits à sec!
Tu seras écrasé par le vide, quand les villes se réjouiront!
Tu seras la fourmi que j'aime et qui avance grain après grain!
Pour toi, j'élèverai l'aurore, je te montrerai tous mes trésors!
Tu me diras:" C'est trop!" et je t'en donnerai encore!
Tu riras avec mes diamants!
Tu verras mes montagnes d'or!
Tu seras le plus riche!
Et les autres se moqueront de toi, car tu auras l'air idiot!
Tu seras le silencieux, l'homme au secret
Et tu verras la turpitude et les assoiffés!
Tu diras, en regardant les villes: "Voilà le désert!"
Et tu connaîtras leur misère et ta richesse!
Alors tu retourneras vers moi comme un amant!
Tu retrouveras les choses aimées!
Le vent, le silence, la dureté, le vide apparent!
Je t'apprendrai de nouveau l'attente, l'attente magnifique!
Et tu mourras encore!
Pour mieux t'enchanter, te rassasier!
Et tu seras la lumière et l'ombre!
Tu chanteras sur le oud la poussière étoilée!
La douceur de la colombe!
La fraîcheur de la palme!
Le sourire de celle-ci!
Tu sauras recueillir!"
91
Le ruisseau dit: "Je t'enseignerai la fraîcheur! la vie!
Je suis la clarté, l'onde chantante!
Je fais danser l'herbe, je suis la douceur!
Regarde mes remous infinis: on dirait des sourires!
Vois ma pureté: je rends beau tout ce que je touche, même la boue!
Je scintille, je tresse la lumière!
Je noie des champs, je cours dans les sentiers!
J'ai l'air de m'amuser!
Ecoute mon murmure ininterrompu...
Je suis la force discrète!
Je suis l'enfant qui rit!
Je suis pareil à ses yeux clairs!
A son innocence, à sa joie!
Je suis la vie, comme lui!
Je suis petit comme lui!
Je l'enchante aussi!
Il vient me voir avec ses bottes!
Ses rêves!
Il joue avec moi!
Nous nous comprenons, lui et moi!
Il est mon ami!
Je ne lui fais pas peur!
Il construit ses barrages, jette ses cailloux et s'éclabousse!
Il travaille, sans déranger la vache!
Voit-il mes couleurs?
Il essaie d'attraper mes libellules!
Jamais il ne se rassasie de mon mystère,
Car je l'enivre!
Je coule, coule, chante toujours!
Je suis le miroir de l'enfant,
Comme lui est la fraîcheur des hommes!
Et tu es inquiet et perdu!
Et tu es sombre!
Viens voir ma clarté!
Je tresse la lumière!
Je scintille et souris!
Ecoute mon murmure...
Je rigole!
Retrouve ta paix!
Redeviens l'enfant!"
92
La mer dit: "Je te parlerai de ton amertume, de ta tristesse!
Je chanterai tes regrets, ton désespoir!
J'en serai le reflet!
Regarde mes flots gris et mornes!
Mon écume même y paraît sale!
L'horizon jaunâtre est bouché
Et on entend seulement le cri plaintif de l'oiseau!
Comme tout cela semble vide, dépourvu de sens!
Qu'as-tu à y faire?
Rien là de la chaleur de la chaumière, de l'affection, de l'amour!
Rien là de la réussite!
Rien là pour calmer ton angoisse, au contraire!
Tout ici te dit que tu n'es qu'un étranger!
Ici règne la sauvagerie!
Et elle renforce ton sentiment du vide!
Te voilà plus seul, plus abandonné, plus triste encore!
Et mes fureurs et mes colères?
Quelle démesure pour toi!
Mon combat n'est pas le tien, n'est-ce pas?
Le rocher et moi, on se cogne dedans!
Depuis l'aube des temps, quand tu n'étais même pas là!
Alors ça t'assomme, car tu voudrais de l'amour, de la justice, de l'espoir!
Et je me gonfle et je frappe le rocher!
Je le désagrège, je le détruis et je recommence, sans cesse!
Et ça t'abat, même si c'est beau!
Car tu voudrais de la justice, de l'espoir!
Et je recommence et c'est désespérant!
Et moi je te dis que tu es comme moi!
Que tu as mon courage et ma force!
Et moi je te dis que tu es comme moi!
Car le rocher c'est l'orgueil!
C'est le dur orgueil!
Né de la domination animale!
C'est l'homme ou la femme hautains!
C'est l'homme ou la femme qui méprisent!
Qui veulent être les maîtres!
C'est le pouvoir qui écrase!
Qui tue les enfants et viole les femmes,
Qui détruit les autres!
L'orgueil dit: "Je suis le maître!
L'important!
Tu me dois allégeance!
Si tu veux la liberté, je te tuerai!
Si tu me critiques, je te piétinerai!
Seul moi compte!"
Et toi tu te révoltes!
Car tu ne peux supporter l'injustice!
Le mensonge!
La tyrannie de l'orgueil!
Et tu as mon amertume!
Mon dos gris!
Et tu rêves de plages paradisiaques!
Et de lagons purs!
De vagues comme des caresses douces!
Ton cœur souffre devant l'orgueil
Et tu combats et tu cognes!
C'est moi qui chante dans tes veines!
C'est moi qui gonfle en toi!
C'est mon écume pure le blanc de tes yeux!
C'est ta rage pour la justice qui emprunte ma force!"
93
La Ville dit: "Je suis le pouvoir!
J'ai été construite par lui!
C'est lui mon maître!
Je suis faite pour l'élite!
C'est elle qui me dirige!
Mes places, mes monuments sont là pour elle!
Et je te juge, te pèse, te classe!
Tu n'es pas riche
Et tu me déçois!
Tu n'es pas des nôtres!
Tu n'es pas élégant, parfumé!
Pourtant tu en imposes!
Alors quel est ton rang?
Il y a en toi de l'autorité
Et pourtant je ne te connais pas!
Qui es-tu?
Tu n'es pas le pauvre qui grimace pour qu'on le regarde!
Tu n'es pas l'employé laborieux, qui espère gravir les échelons!
Tu n'es pas l'industriel puissant et qui compte!
Tu n'es pas le commerçant qui se frotte les mains,
Qui salue le monde,
Car il a pignon sur rue!
Tu n'es pas l'élu qui me contemple, moi, son œuvre!
Qui m'admire en s'admirant!
Tu es un étranger
Et pourtant tu en imposes!
On veut te plaire!
Car tu as l'air important,
D' être un chef!
Et pourtant tu n'es pas sur ma liste!
"O ville, je me moque bien de toi!
Car tu n'es pas sérieuse!
Tu es moins solide que le vent!
Tu n'es qu'un songe et ton pouvoir n'est rien!
Je pourrais te détruire d'un seul geste,
Dun seul haussement d'épaules,
Car tout en toi est théâtre!
Simagrées!
Mensonges!
Tes codes, tes barèmes, tes considérations, tes critiques,
Ton mépris, ta haine, qu'est-ce à côté d'un coquillage!
Il est nacré à l'intérieur,
Posé sur du sable fin!
Il est percé de trous
Et la mer vient le recouvrir!
C'est le rêve immense!
C'est l'amour infini!
C'est le don précieux!
La chanson éternelle!
Et la mer se retire en étirant ses larmes!
Où sont tes singeries?
Où est ta vérité?
Où est ta paix, ton courage?
O Ville, que ferais-je sur ta liste,
Sinon m'y sentir ridicule?
Ton pouvoir, que tu chéris tant,
N'est que paille au vent!
Même ta haine et ton mépris ne pèsent pas!""
94
Orgueil et son chien Terreur se promènent dans le village... Il y a là un homme qui s'occupe de son jardin... "Bonjour!" lui dit Orgueil, mais l'homme ne répond pas! Il n'aime pas Orgueil, car celui-ci est méchant! Orgueil est abasourdi, scandalisé! On lui fait injure! On ne le respecte pas, bien qu'il soit important dans le village! Il se sent d'ailleurs si bien, si fort, si admirable qu'il en méprise tout le monde! que seul lui existe! que les autres doivent l'adorer! Ainsi parle l'animal qui est en nous et qui est prêt à s'imposer sans pitié!
Orgueil lâche son chien Terreur et celui-ci crève la haie du jardin, pour se jeter sur l'homme! La haine d'Orgueil est dans son chien et Terreur fait tomber l'homme et le mord sauvagement! L'homme crie, mais Orgueil n'entend rien! C'est qu'il est encore outré qu'on ait pu lui tenir tête! Les cris de l'homme résonnent et sont comme un baume pour Orgueil! C'est dire combien l'animal qui est en nous est aveugle et n'est-il pas en effet privé de conscience! Quand le lion déchire son rival pense-t-il à la souffrance de l'autre?
L'homme crie sous les morsures de Terreur, mais Orgueil n'en a cure! Comment a-t-on pu lui manquer de respect? Comment est-ce possible que la Kuranie existe, puisse résister? Voilà qui étonne Orgueil, qui lui donne matière à réflexion, malgré les pleurs de l'homme! "Alors comme ça, se dit Orgueil, je ne suis pas le maître? Les autres comptent aussi? Je dois partager, faire attention à eux? les aimer tant qu'à faire?" Un frisson de dégoût parcourt Orgueil! L'animal qui est en lui regimbe! Est-ce que la pie dit à une autre pie: "Mais je vous en prie... Il y a de la place, de la nourriture pour tout le monde?" Non, la pie charge sa rivale, qui doit déguerpir! C'est elle qui triomphe!
"Cependant, cependant, se dit Orgueil, il y a les enfants morts sur le quai de Kramatorsk... C'était pas beau à voir... Des petits, des innocents subitement sans vie! La tête vide, éteinte! Eh dame, c'est la guerre! On fait pas d'omelettes sans casser des œufs! Et puis c'était nécessaire, car on me menaçait, moi! moi et mon pays! C'est de la légitime défense!" Orgueil sait qu'il se raconte des histoires, mais il est encore choqué! Quelqu'un lui a dit qu'il n'était pas le maître, l'unique, la fin de tout! Comment l'animal qui est en lui pourrait comprendre que la mort est une réalité? Un animal n'obéit qu'à ses réflexes!
Terreur finit par arracher la main du jardinier, ce qui réveille enfin Orgueil, le sort de sa stupeur! Il s'approche de l'homme qui gémit, récupère son chien et dit au jardinier: "Que cela te serve de leçon! A chaque fois maintenant que tu regarderas ta main manquante, tu te répéteras qu'il faut que tu me respectes et même que tu m'aimes! C'est moi le maître, tu as compris? Comment? Je ne t'entends pas!
_ Oui, c'est toi le maître!
_ C'est moi qui commande!
_ Oui, c'est toi qui commandes!
_ Bien! Si tu fais encore une erreur, je relâcherai Terreur, qui t'arrachera l'autre main!
_ Non, je t'en prie!
_ La balle est dans ton camp, c'est tout!"
Orgueil reprit sa promenade, hautain et méprisant, encore un peu sous le choc!
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