Les enfants Doms (T2, 151-155)
- Le 22/04/2023
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"Tu sais comment on l'appelle? Le blanchisseur!"
Flic ou voyou
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La journaliste Mélopée est en plein reportage… et elle n’a aucun mal à attirer l’attention sur elle, car c’est aussi une bombe ! Elle a des seins proéminents, le ventre plat et des jambes interminables, de sorte que les hommes ne peuvent en détacher leur regard ! C’est que Mélopée veut tout ! Elle tient à être prise au sérieux en tant que professionnelle, mais en même temps il s’agit d’apparaître tel un phantasme, une perfection, qui doit écraser la concurrence, faire tourner le monde autour de soi, comme si c’était possible et que cela pouvait rendre heureux !
Mais Mélopée ne voit pas là de contradictions, entre la neutralité, pour ne pas dire l’effacement, du journaliste et le pouvoir, le rayonnement du sexe, car elle représente notre époque chaotique et violente, qui n’est rien d’autre au fond qu’une gigantesque foire de l’égoïsme ! Tout le monde tire la couverture à soi et braille, donnant l’impression d’un monde absurde, dépourvu de sens, alors que l’impasse dans laquelle nous sommes n’a jamais été aussi visible, puisqu’elle révèle notre impuissance à nous satisfaire !
Mais qu’à cela ne tienne ! Mélopée, comme les autres, croit à sa réussite, à son combat, à la victoire contre ses détracteurs et face à l’obstacle et elle apparaît survoltée devant la caméra ! Elle dit : « Aujourd’hui, c’est jour de liesse dans RAM ! Regardez cette ambiance ! Elle est digne des plus grands carnavals ! On chante, on rit, on danse, on bat les tambours, on souffle dans les trompettes, sous des pluies de confettis ! Ah ! Ah ! Quel rythme ! C’est que tout le monde est joyeux, car le voilà qui arrive ! Qui ? Mais le cochon Égalité bien sûr ! Mon Dieu, il est immense ! Il fait bien trois étages ! »
A ce moment, un énorme cochon, luisant et hilare, passe devant la foule ! Il est debout sur un chariot tiré par des volontaires, qui ont eux aussi le sourire aux lèvres, car comment ne pas être fier de soi, quand on travaille pour la justice sociale ! Or, le cochon Égalité mérite bien son nom, puisqu’il ne cesse de dévorer, à mesure qu’il avance, des profiteurs et des exploiteurs ! Ils sont là maussades, sombres, par dizaines sur une passerelle, avant de tomber dans la mangeoire et d’être broyés par le cochon ! Le système est ingénieux et la fête semble complète ! Le caractère bon enfant de l’événement n’échappe à personne !
Mais soudain une agitation se produit aux abords du cochon et la journaliste Mélopée intriguée s’approche : « Qu’est-ce qui se passe ? demande-t-elle à une femme qui a l’air d’une responsable.
_ Ben, y a pus de profiteurs ! répond celle-ci. On a vu trop juste ! Pourtant, on a encore abaissé le critère : c’est ceux qui s’ donnent du monsieur et du madame qui sont là ! Faut croire qu’on n’a pas été assez sévère !
_ Mais est-ce que c’est si grave que ça ? Le cochon est déjà bien dodu ! De manger un peu moins ne lui f’rait peut-être pas d’ mal ! Il pourrait garder la ligne, comme moi ! Hi ! Hi !
_ Pff ! On voit bien que vous ne le connaissez pas ! Il n’en a jamais assez ! Si on cesse de le nourrir ne serait-ce que cinq minutes, il perd la tête et devient enragé ! Y s’rait capable de se jeter sur nous !
_ Ah ! Mais qu’est-ce que vous allez faire ? Il me semble que les spectateurs ont droit d’ savoir !
_ Sûr ! Eh ben, on va donner à Égalité, tous ceux qui nous r’gardent de travers ! tous ceux qui complotent dans not’ dos ! tous ceux qui veulent du mal à not’ idéal ! qui est la justice pour tous sur Terre !
_ Oh ! Mais comment vous allez les r’connaître ?
_ Oh ! C’est pas compliqué ! L’ profiteur est partout ! Suffit d’ gratter un peu et le monstre apparaît ! »
A cet instant, un vieillard décharné, vêtu d’une simple robe de bure, passe en disant : « L’homme ne vivra pas seulement de pain ! Ne vous souciez pas de comment vous mangerez ! Votre père qui est en haut y pourvoira ! »
« Vous entendez cette ordure ! reprend la responsable, à l’adresse de Mélopée. Hein ? On n’a pas dû aller bien loin ! Eh les gars ! Le vieux dans la mangeoire !
_ Eh mais ! s’écrie la journaliste. Vous avez vu comment il est habillé ! C’est un simple d’esprit, nullement un profiteur !
_ Ah çà ! Ma toute belle ! On voit bien qu’ tu les connais pas ! C’est un espion, c’est tout ! Et puis, son discours ! Y a-t-il quelque chose de plus scandaleux ? C’est se moquer du travailleur ! A la mangeoire et qu’ la fête continue ! »
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Par souci d’objectivité, La journaliste Mélopée s’en va interviewé un riche, un grand patron : il n’y a pas que les mécontents de la gauche qui existent ! Mélopée a pris son autociel sportive et d’un rouge éclatant et elle fonce vers son lieu de rendez-vous, c’est-à-dire le quartier le plus chic de RAM ! Là, un manoir rénové fait face à la mer et y habite Edgar de la Ponce, un homme d’affaires renommé et fortuné !
Mélopée est conduite par un majordome jusqu’à une terrasse ensoleillée, d’où on peut voir la mer, tout en bénéficiant de toute la douceur de vivre possible ! De la Ponce se lève naturellement à la vue de la jeune femme et il montre une tenue printanière, dominée par le blanc : « Bienvenue ma chère, dit-il. Asseyez-vous, je vous en prie... » L’homme paraît détendu et ses manières aimables et la journaliste lui pose bientôt des questions, auxquelles il répond volontiers, puisqu’on aime généralement parler de soi !
De la Ponce raconte d’abord son passé militaire, dont il est très fier, puis viennent ses bonnes affaires, des entreprises à succès, revendus au bon moment, ce qui a créé son patrimoine ! Bien sûr, il est issu d’une famille illustre, déjà riche, avec un solide capital, mais sans son flair, son goût du risque, son obstination que serait-il devenu ? Une sorte d’hobereau en marge de son siècle, atrabilaire et sombre comme certaines croûtes de châteaux ? Non, il est un patron moderne, bien au courant de la situation sociale, mais encore plus des enjeux de son temps !
Au-delà du sourire satisfait de son interlocuteur, Mélopée regarde parfois la mer et son article peu à peu prend forme, mais il lui reste tout de même quelques « trous » ! « Toute cette richesse dont vous disposez, dit-elle, à l’heure où la rue bouillonne, ne vous gêne-t-elle pas, n’en êtes-vous pas culpabilisé ?
_ Vous savez, il faut remettre les choses à leur place ! Je suis fidèle à l’esprit de ma famille et au passé ! J’ai des privilèges, certes, mais aussi des devoirs ! Pourquoi croyez-vous que j’aie effectué une formation militaire des plus dures ? J’ai été élevé avec cette idée : le fort protège le faible et il doit être capable de se sacrifier pour la défense du territoire !
_ Un peu comme le chevalier avait un fief ! Il assurait la protection de la population, à condition qu’elle fût à son service !
_ C’est en effet mon héritage, même si je suis républicain bien entendu ! Cependant, il fut une époque plus claire que celle-ci ! En ce temps-là, le pays avait une identité forte, il était puissant, tandis qu’aujourd’hui avec le surendettement et tous ces étrangers…
_ Votre vision est celle de l’extrême droite, qui est nostalgique d’un monde régi par le clergé et une élite, comme si on avait perdu en pureté ! Mais l’épée et la religion exploitaient le pauvre sans pitié et c’est bien ce qui les a perdus !
_ Ah, parce que vous préférez ces braillards de gauche, ces voyous prolétaires, ces coupeurs de tête ! Venez avec moi, je vais vous montrer quelque chose ! »
Après quelques pièces lumineuses, parmi un mobilier précieux, on arriva devant une vitrine imposante : « Regardez, dit de la Ponce, c’est l’épée de Godefroy de Bouillon, celle qui brandissait lorsqu’il a délivré Jérusalem ! En protégeant le tombeau du Christ, il témoignait de son obéissance à Dieu ! Quelle grandeur !
_ Je n’oublie pas effectivement que vous êtes catholique pratiquant !
_ C’est vrai et d’ailleurs, je vous invite à l’office !
_ Hein ?
_ Ah ! Ah ! Vous devez être de ceux qui ne savent pas s’ils ont la foi ou non ! C’est pourquoi je vous demande de venir, car vous verrez quelle ferveur nous anime ! Cela ne manquera pas de vous impressionner, j’en suis sûr ! »
On s’en fut en voiture à la grande église voisine, où il y avait déjà du monde, que de la Ponce connaissait bien sûr et qu’il saluait amicalement ! Il régnait une ambiance pleine de fraîcheur, sans doute due à l’humilité, mais soudain un vieillard décharné, vêtu seulement d’une robe de bure, s’adressa à de la Ponce : « Tu as la foi, mon fils ? demanda-t-il.
_ Mais oui, l’ancêtre !
_ Alors vends tout ce que tu possèdes, car comment peux-tu dire que tu as confiance en Dieu, si tu ne risques rien ! Mets-toi dans les bras de Dieu et tu connaîtras son royaume !
_ Euh... »
De la Ponce fit un signe et deux hommes en veste, avec des lunettes noires, écartèrent le vieillard le plus naturellement du monde ! « Qu’est-ce qu’ils vont en faire ? fit Mélopée.
_ Mais je pense que cet homme peut représenter un danger et d’abord pour lui-même ! Un établissement spécialisé serait à même de l’aider, vous ne pensez pas ? »
La journaliste frissonna et se demanda si elle ne préférait pas la mangeoire…
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La reine Beauté a encore une de ses nuits de cauchemars ! Elle gémit, transpire, s’agite… Elle se rappelle des propos blessants, désespérants…, par exemple : « La beauté est une invention de l’homme ! », ou bien : « C’est une sublimation produite par la névrose, notamment parce que l’artiste n’arrive pas à se satisfaire sexuellement ! », ou bien encore : « La beauté est un agrément, c’est pas sérieux, ce n’est même pas viril ! »
La reine Beauté murmure : « Non, non, vous ne savez pas, je vous en prie ! » Elle voudrait expliquer que la beauté est essentielle, qu’il est impossible de comprendre le monde sans elle, mais le cauchemar continue et la rage matérialiste semble inarrêtable ! Qu’est-ce qui fait naître cette dernière, qu’est-ce qui la pousse ? La peur d’être trompé ? L’enfant s’émerveille et sourit à la beauté ; alors qu’est-ce qui rend le cœur si dur ?
La folie du monde ! La reine Beauté la voit défiler : toute cette violence, tous ces cris, toute cette haine, tout ce désespoir ! A côté, la beauté garde son secret, ne serait-ce que parce que personne ne vient la voir ! Elle règne avec toute sa majesté, son infini, sans témoins ! L’homme reste dans son fief, en ville ! Là commence son cirque ! Celui du m’as-tu-vu et de sa domination ! Là est le théâtre ! Là montent la colère et la frustration !
Là-bas, des rayons d’or courent sur la mer ; la lumière éclate d’une blancheur souveraine et l’émeraude froide des flots frissonne ! C’est le paradis de l’oiseau, sa liberté folle ! C’est sa paix !
Ici, l’homme est comme une bête sale ! Que crie-t-il ? Mon Dieu, il est en colère, comme si cela avait de l’importance ! Et pourquoi est-il en colère ? Parce que cela ne va pas assez vite, parce qu’il n’en a pas assez ? Oh, son temps à lui, celui de l’impatience et du trouble et le temps là-bas, unique, serein, sans haine, merveilleux ! Que ne va-t-il pas là-bas pour apprendre, s’apaiser ?
Mais il est en colère et tout doit céder ! Sa vie n’a aucun sens, il n’aide personne, il est juste en colère et il faut lui faire place ! Même les fauves font la sieste, se reposent, mais pas lui ! La ville est un bébé géant, plein de bruit et de fureur ! L’oiseau qui plane est mille fois plus sage et mille fois… plus beau ! Mais la beauté est une invention de l’homme, c’est une sublimation due à la névrose… « Ils ne savent pas ! gémit la reine Beauté. Ils ne comprennent pas, mais ils affirment… et ils sont en colère ! »
Les femmes représentent la beauté en ville et elles se massacrent ! C’est l’héritage matérialiste ! L’âme n’existant pas, la beauté est toute de surface, nullement intérieure ! Elle n’est donc plus qu’une affaire de chirurgie esthétique, et c’est le massacre ! La lumière du cœur ne vient plus éclairer la vieillesse ! C’est le règne du bistouri, du botox et des corps difformes ! La reine Beauté pleure : « Elles sont folles, elles sont perdues ! » gémit-elle et le cauchemar continue !
« Cariou connaît mon secret, se rappelle la reine Beauté, il se ressource auprès de moi et je le nourris au-delà de ce qu’il veut ! Il n’a qu’à boire, car je suis d’un amour infini ! Là est mon secret ! Mais chut ! Ils ne savent pas ! Ils sont en colère ! Ils ne savent pas et ils affirment ! Ils font leur malheur ! Pourquoi ?
Cariou est beau dans la rue et comment pourrait-il en être autrement ! Il possède ma lumière et ma paix ! Toutes les femmes se tournent vers lui et voudraient lui plaire ! Comment pourrait-il en être autrement ? Il a ma force ! Elles le désirent, mais il n’est pas pour une ! Il connaît mon royaume et mon secret ! Même les voyous ne peuvent s’empêcher de lui dire qu’il est beau ! C’est plus fort qu’eux ! Il est l’enfant qui s’émerveille, l’enfant innocent et les autres aussi pourraient être comme lui, avoir sa paix, sa beauté, car c’est la paix qui illumine !
Mais ils sont en colère… et ils affirment, alors qu’ils ne savent pas ! C’est le royaume de la ville, du bébé géant ! Et ils haïssent aussi Cariou, car il est heureux ! »
Les images grises du monde défilent et la reine Beauté s’agite et le cauchemar continue ! Il faut se nourrir, bien entendu, mais quelle frontière avec l’amour-propre ? Le besoin de dominer est forcément lié au besoin de se nourrir ! Est-on en colère parce qu’on a faim ou parce qu’on se sent méprisé ? Le royaume de la beauté est solitaire, sans témoins, car il est seulement pour les purs ! Ici, nul triomphe de l’ego ! Ici, nulle colère, juste une attente, une douceur et le sourire émerveillé, celui de la complicité ! Ici, l’enfant se réjouit de mille secrets, de mille découvertes ! Ici, le temps ne compte pas et repose !
Là-bas, vagit la ville, comme un bébé géant ! La ville a des couches qui sont pleines ! Elle a la sale tête de l’égoïsme ! Elle est perdue, elle porte sa peine, sa peine d’ennui et d’esclave !
La liberté est pourtant proche : il suffit d’aimer la reine Beauté ! Elle donne sans compter ! Elle offre sans retenue ! Elle enchante, libère, console, rend léger ! Elle ne voit pas où est le problème ! Mais elle gémit dans son cauchemar, car elle ne peut parler aux hommes, tant ils braillent !
Ils ne savent pas et ils affirment ! La patience les nourrit, mais ils sont en colère ! Ah ! Se réveiller comme l’oiseau, en chantant, en louant la beauté et la force du monde ! sa splendeur magnifique !
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Cariou est chez lui quand on frappe à la porte. Il va ouvrir et voit un vieil homme fatigué, qui lui dit : « Monsieur Cariou, pourrais-je vous parler quelques minutes ? » Cariou opine et laisse entrer son visiteur, qui ne tarde pas à se laisser choir dans un fauteuil. « Monsieur Cariou, je m’appelle Grant Espoir, reprend-il, alors que Cariou lui-même s’assoit, et si je suis là, c’est parce que qu’on m’a dit que vous étiez honnête et que vous connaissiez bien certains milieux, de sorte que vous seriez le plus à même de retrouver une personne disparue, en l’occurrence ma fille !
_ Vous ne vous êtes pas adressé à la police ?
_ Si, bien entendu, mais elle me paraît bien trop occupée ! Elle doit faire face en ce moment à un déferlement de violence, tout en étant elle-même suspectée d’abus de pouvoir ! Ma plainte à très peu de chances d’aboutir !
_ Je vois, mais la situation est embrouillée pour tout le monde, vous savez ?
_ On m’a dit que vous étiez particulièrement lucide et qu’on ne pouvait vous abuser !
_ Voilà un portrait bien flatteur, mais le mal arrive toujours à surprendre nos naïvetés !
_ Je vous en prie, monsieur Cariou, rendez-moi ma fille ! Elle est mon seul avenir !
_ Qu’est-ce qu’elle faisait avant sa disparition ? Quel est son caractère ?
_ Oh ! Elle est moi tout crachée ! Elle est enthousiaste, éprise d’idéal, elle veut combattre pour le bien ! Je sais que pendant un temps elle a adhéré à un parti de gauche, pour aider les plus pauvres, mais, aux dernières nouvelles, elle s’était tournée vers l’activisme écologique ! Mais j’ai eu beau mener des recherches par là, personne ne semble en avoir entendu parler !
_ Comment s’appelle, votre fille ?
_ Belle ! Belle Espoir ! »
Après le départ du vieux monsieur, Cariou ne s’enchantait guère de devoir questionner des groupes radicaux et agressifs, mais il prit quand même son chapeau, avant de retrouver le trafic assommant de RAM ! Le premier individu qu’il alla voir fut un dénommé Bernie, un ponte syndical, qui avait son bureau dans un des quartiers les plus sales de la ville ! « Cariou ! fit celui-ci. La petite bourgeoisie est d’ sortie ?
_ Tu connais cette môme ? répondit Cariou, en mettant sous le nez de Bernie une photographie de Belle.
_ Jolie morceau ! Mais, en effet, elle est passée par ici, mais elle n’est pas restée ! Pas assez dévouée pour la cause !
_ Tu veux dire trop intelligente ?
_ Toujours aussi grande gueule, hein, Cariou ? Nous, on casse du patron, on vend pas des bibles !
_ Elle a cherché à vous raisonner ?
_ Cette fille, c’était un vrai sac d’embrouilles ! Pour un peu, elle nous aurait démoralisés et on l’a mise dehors !
_ Brutalement ?
_ Qu’est-ce que tu veux insinuer, Cariou ? On est les premiers à respecter les femmes ! »
Cariou n’insista pas et il ne restait plus que les militants écolos ! Justement, ils avaient les mains collées au prochain carrefour, pour protester contre l’inaction climatique ! La police tâchait de les faire partir, sous la colère du trafic, et Cariou repéra une certaine Cassiopée, une grande blonde, qui attendait d’être menée au commissariat ! « Cassie, fit presque timidement Cariou, car il connaissait le tempérament fougueux du personnage.
_ Mais c’est ce détective pantouflard de Cariou ! Tu viens enfin nous aider ! jeta Cassiopée.
_ Euh, non, je cherche cette fille… (Il montra de nouveau la photographie.)
_ Ouais, on l’a eu un temps parmi nous, mais elle conv’nait pas ! Pire, elle nous baratinait !
_ Qu’est-ce que tu veux dire ?
_ Ben nous, on essaie d’sauver la planète ! Y a urgence ! Alors, les contemplatives, les hésitantes ! Elle nous a même dit que pour défendre la nature, il fallait d’abord l’aimer, ce qui demandait d’ la patience ! Et patati et patata ! J’ bâillais et j’ lui ai dit d’aller s’ faire pendre ailleurs ! »
Pour Cariou, c’était un coup dur, car il ne voyait plus maintenant où il pourrait trouver Belle Espoir ! C’était une nana trop sensible pour ce monde ! La ville énorme n’avait dû qu’en faire une bouchée ! Ce que c’est tout de même de d’mander aux gens d’ réfléchir et d’changer d’abord eux-mêmes ! Pour réussir, il fallait abonder dans leurs sens et gueuler encore plus forts qu’eux ! Là, ils vous reconnaissaient comme un des leurs et ils vous faisaient un pont d’or !
Le crépuscule noircit davantage la ville, si c’était possible et l’image de Belle Espoir sembla se dissoudre…
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Cariou continuait son enquête et il se demanda encore où Belle Espoir avait pu trouver refuge ! Il faisait froid, malgré un beau soleil, et Cariou remonta le col de son pardessus… La ville grondait et des gens se tenaient maussades aux passages piétons. Cariou regarda le ciel d’un bleu limpide et un pigeon y montra tout son plumage, dans la lumière naissante et orangée ! La nature ne cessait de montrer toute sa magnificence, si on y prêtait un peu d’attention bien entendu, ce qui n’était pas le cas, car les temps étaient durs et la plupart dans ce cas-là, pour chasser l’angoisse, n’a comme recours que la domination, c’est-à-dire que chacun essaie d’attirer l’attention sur soi et donc fi de la beauté !
« La môme Espoir, songea Cariou, avait peut-être sollicité un emploi dans un de ces grands magasins de prêt-à-porter… Il faut bien vivre, n’est-ce pas ? » Et justement Cariou se trouvait devant l’établissement bien connu Detax, l’un des géants de l’habillement ! Il fit le tour du bâtiment, avec l’idée d’interroger une des vendeuses, à la sortie de son travail. Derrière, le magasin n’avait rien d’enchanteur : des portes austères dans du béton, quelques fumées et un parking poisseux, jonché de détritus.
Un femme cependant descendait un escalier et vivement Cariou s’en approcha : « Excusez-moi, madame, fit-il, mais auriez-vous vu cette personne ? » Cariou montra la photo de Belle, mais la femme semblait hostile, fermée : « Pourquoi est-ce que je vous aiderais ? dit-elle. Tout à l’heure, nous nous sommes croisés sur le trottoir et vous ne m’avez même pas regardée ! »
Cariou fut plongé dans la stupeur ! Il regarda la femme et en effet il ne se la rappelait pas, mais pourquoi l’aurait-il dû ? Il n’osa cependant pas reconnaître qu’elle disait vrai et qu’il ne l’avait même pas vue, car il sentait qu’il n’aurait fait qu’empirer les choses, en accentuant ce qui était déjà perçu comme une injure !
« Vous savez comment je qualifie votre attitude ? reprit la femme. J’appelle cela du mépris social ! On vous regarde…, la moindre des choses, c’est que vous regardiez aussi ! Pour qui vous prenez-vous ? Pour Jupiter en personne ! »
Cariou réfléchissait vite et il voyait bien qu’il était question de la domination de cette femme : elle ne supportait pas qu’on échappât à sa séduction, elle trouvait cela outrancier, mais comment lui expliquer que c’était son égoïsme qui était en cause et nullement une quelconque morgue de la part d’autrui !
« T’as des ennuis, Jessie ? » demanda un gars, qui s’approchait en compagnie d’un autre. C’étaient deux costauds, qui devaient faire du sport intensivement, durant leurs loisirs ! « Mais c’ monsieur nous méprise ! expliqua Jessie. Il m’aborde comme si j’étais à son service !
_ Alors guignol, fit le gars à Cariou, tu viens embêter le p’tit peuple ? Tu crois pas qu’on a déjà assez d’ennuis comme ça !
_ Mais pas du tout, j’ m’en voudrais de manquer d’ respect à qui que ce soit ! Mais madame me reproche de ne pas l’avoir regardée, quand on s’est croisé plus tôt dans la rue ! Mais justement je fuis ceux qui veulent s’imposer, car je ne vois pas pourquoi je leur accorderais de l’attention, comme un droit de péage !
_ N’écoutez pas ce qu’il dit ! coupa Jessie. C’est un flicard ! Il m’a montré une photo, il recherche quelqu’un !
_ Un flicard, hein ? fait le gars. T’es quoi ? Une mouche du gouvernement ?
_ Mais non, je... »
Cariou ne va pas plus loin, car il a soudain le souffle coupé ! Une douleur atroce l’envahit au niveau du plexus solaire, là où il vient d’être frappé ! Il tombe à genoux et le poing du type le projette au sol, en lui écrasant la joue ! Couché sur l’asphalte gluant, Cariou sent le goût du sang dans sa bouche, puis, par réflexe, il protège sa tête parce qu’on lui donne maintenant des coups de pieds de chaque côté !
« J’ai un message pour le gouvernement, flicard ! dit le gars dans l’oreille de Cariou. Tu vas dire à tes chefs que nous on est contre la réforme des retraites, car on la trouve d’une violence inouïe ! »
Cariou se rend compte qu’il serre quelque chose dans la main et c’est la photo de Belle Espoir ! Il la tient de toutes ses forces, comme si elle était une bouée de sauvetage, alors que lui est en train de se noyer !
« Du mépris social, que j’appelle ça ! entend encore le détective. Si on les arrête pas, ils te bouffent ! » Cariou fait encore un effort, pour rester conscient, mais un dernier coup le fait plonger dans le noir le plus complet !
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