Les enfants Doms (IV-VIII)
- Le 13/08/2022
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IV
Cariou était dans son appartement et il travaillait d'arrache-pied sur les notes de Macamo! Il était question de constante cosmologique, de force répulsive ou d'énergie noire, toute chose qui serait à l'origine de l'accélération de l'Univers! Macamo avait-il compris la gravitation quantique? Cela dépassait complètement les capacités de Cariou, mais il arrivait à comprendre que l'appareil de Macamo était destiné à détruire la barrière qui chez chacun pouvait empêcher le développement de la lumière!
Evidemment, on pouvait se demander quel lien existait entre la lumière de l'esprit, qui est psychique, et la lumière des étoiles! La pensée n'est-elle pas immatérielle? Pourtant, Cariou voyait bien cette lumière psychique, ou plutôt comment elle était contrainte, emmurée! Elle avait donc une existence physique et d'ailleurs la pensée, qui naît de l'activité des neurones, a-t-elle une limite précise d'avec le corps?
Bien sûr, il était encore possible que Cariou vît le monde selon son "délire", ses traumatismes ou sa paranoïa! Ici, on n'en finissait jamais de se suspecter et de couper les cheveux en quatre et c'était même là l'un des arts préférés des philosophes, afin qu'ils se sentissent objectifs! La science tranchait le débat par l'expérience, les mêmes résultats obtenus par d'autres, ce qui prouvait qu'elle disait vrai, en constituant sa fierté, mais Cariou voyait justement que sa logique fonctionnait par les faits, les réactions et les événements, au point qu'il était à même parfois de les prévoir!
D'après Macamo, un rayon d'énergie noire lutterait contre la gravitation et donc disloquerait le mur psychique et quand même matériel, qui retenait la lumière! On était là au niveau des particules, mais que se passerait-il dans l'individu, au moment de cette libération? Macamo n'en disait rien! Il s'était uniquement consacré à l'aspect technique du problème! Ce serait à Cariou d'expérimenter la chose et éventuellement de payer les pots cassés! Mais que l'on pût faire jaillir la lumière des individus faisait évidemment rêver! Cariou n'eût pas été étonné de voir tout le monde se mettre à danser et à chanter!
Après la partie théorique, Macamo avait décrit très précisément la construction de son invention et Cariou eut l'impression de se trouver devant une maquette de son enfance! Il alla faire ses emplettes, dans des magasins d'électroniques et d'informatique, puis, sous sa lampe de bureau, il s'installa pour la soudure! Des cartes étranges, des résistances colorées, des semi-conducteurs sur pattes ou des microprocesseurs griffus passaient entre ses mains et fumaient légèrement, avant de rejoindre le tout!
Enfin, au bout de la nuit, Cariou contempla son œuvre ou plutôt celle de Macamo! Et c'était une arme! à peine différente d'un pistolet! Mais par sa bouche ne sortaient pas des balles, mais un faisceau d'énergie noire! Pan! On recevrait de la constante cosmologique sur le nez! C'était somme toute un pistolet d'amour, puisqu'au service de la lumière! Cariou le fit jouer entre ses mains, puis il le brandit devant une glace! Il avait l'air d'un parfait agent secret et au matin, il acheta un holster! L'arme maintenant lui pesait agréablement sur la poitrine et le mal n'avait qu'à bien se tenir!
Macamo avait appelé son invention LAL, acronyme pour "La lumière appelle la lumière!" et il faut l'avouer, Cariou était impatient de l'essayer! Le monde devait changer et un coup de LAL par-ci par-là, enlèverait les toiles d'araignées et sèmerait des arcs-en-ciel!
V
En quittant la Tour du Pouvoir, madame Birkel était loin d'être satisfaite! Certes, elle avait la promesse de Dominator, mais la tiendrait-il et dans combien de temps? C'est bien simple, depuis son échec avec Cariou, la directrice ne vivait plus! Elle avait des cauchemars, des bouffées d'angoisse! Le monde qu'elle contrôlait n'existait plus! La grande famille de la prison, dont elle était la chef, la mère, se déchirait, lui échappait!
Il lui semblait que chaque détenu, désormais, se moquât d'elle! A chaque fois qu'elle croisait un regard, elle avait l'impression d'y lire le même message: "Cariou a été le plus fort! Vous n'êtes pas toute puissante! Arrêtez votre blabla!" Elle baissait alors la tête, effectivement vaincue, et la seule solution pour elle était de ramener Cariou à la "maison" et là, devant tous, de le faire plier! Ainsi tout rentrerait dans l'ordre!
Au fond, madame Birkel était une enfant Dom: la société devait tourner autour de sa personne ou être détruite! Mais Cariou avait ouvert une brèche dans sa bulle et la pression extérieure menaçait maintenant de l'écraser! La protection ordinaire de l'humanité, issue de la domination animale, était désormais défaillante et ne servait plus la directrice! Elle était comme dénudée face à une monstruosité, constituée par les autres, la différence, l'inconnu, l'étrangeté de la vie!
Tout auparavant était soumis à son pouvoir! C'était là l'ancienne gaine qui la protégeait! Elle se nourrissait alors de son égoïsme, comme si son influence sur les autres avait été une perfusion! Certes, elle ne s'en rendait même pas compte! Elle était là pour commander, redresser les détenus! Elle imaginait remplir son devoir, mais elle était pleine de colère, de fureur, de sadisme, car il fallait à chaque instant la satisfaire, qu'elle sentît son autorité, son importance, quoiqu'elle niât le moindre intérêt pour sa personne!
Comment pouvait-elle se tromper sur elle-même à ce point? Mais elle n'était pas heureuse et se croyait une victime! Elle aurait juré qu'elle n'avait pas une minute à elle, tant la domination est incapable de guérir nos peurs, de nous apaiser! Pour elle, c'était toujours la faute des autres! Ils n'étaient pas assez prompts, se croyaient tous le centre du monde et elle devait les corriger, les anéantir! Elle cherchait l'ivresse du pouvoir et devenait de plus en plus sombre!
Pourtant, Cariou avait fait pire, commis l'irréparable, car il avait brisé la vitrine et les apparences ne pouvaient plus être sauvées! Il était devenu impossible pour madame Birkel de se présenter tel le symbole de la réussite, de la sagesse, avec le fantôme de Cariou à ses côtés! Elle sentait son ombre froide peser sur elle et même si elle connaissait encore, à l'occasion, quelque triomphe, il finissait toujours par réapparaître, comme une marque invisible, ce qui la fragilisait, l'éteignait, d'autant que ses ennemis s'en servaient!
Mais, pour l'heure, il fallait lutter, toujours! Certes, elle ne devait pas se risquer à fâcher Dominator, en attaquant de front Cariou, mais elle voulait s'en rapprocher, devenir son ombre, pour se tenir prête à frapper et elle avait un neveu à RAM, qu'elle pouvait employer! C'était un bon à rien, qui réparait les autociels quand il en avait envie! Il s'appelait Ortaf et vivait dans son garage!
Madame Birkel le trouva comme elle s'y était attendue: Ortaf étendait son long corps sur un siège, écoutait une musique assourdissante et bizarre, tout en consultant son Narcisse, portait un tee-shirt sale, un short affreux et ses pieds nus s'épataient dans des claquettes! Le tout, bien entendu, était entouré de bouteille de bières et de carcasses d'autociels! En colère, la directrice coupa le son et s'empara du Narcisse! "Ma... ma tante! fit interloqué Ortaf.
_ Si ta pauvre mère pouvait encore te voir! Elle aurait les larmes aux yeux! J'ai du boulot pour toi!
_ Hein? Hum, c'est que je suis très occupé en ce moment!
_ Je paierai bien!
_ Ah?
_ Oui, ah! Il s'agit de suivre quelqu'un! Mais dis donc, c'est quoi cette odeur?
_ Pardon, ma tante, mais j'en ai lâché un! C'est toujours l'effet que tu me fais!"
VI
Owen Sullivan, le directeur d'Adofusion, était de nouveau dans le Métavers, mais pouvait-on encore parler, à son endroit, d'enfant Dom? En effet, Sullivan avait changé! Grâce au programme de Macamo, sa conscience s'était élargi! Il ne cherchait plus à tout prix à dominer, que ce fût par son entreprise ou sur son personnel! Il avait moins peur et donc moins besoin du pouvoir! Une sorte de confiance s'était développée en lui, au contact du Magicien, et la beauté était devenue son guide! Au final, il voyait de plus en plus distinctement les autres, tout en se sentant lui-même davantage libre!
Ainsi, détendu, il était entré dans le Métavers par une porte qui lui avait échappé jusqu'ici! Il ne retrouva pas, comme d'habitude, le Magicien près du ruisseau, mais il le rejoignit au bord d'un plateau brûlant et caillouteux! "Bon sang! Quelle chaleur! s'écria-t-il, quand il fut à la hauteur de son vieil ami. C'est une véritable fournaise!" Le Magicien ne répondit pas et ce n'était pas nécessaire, car il couvait toujours Sullivan d'un regard tendre! Celui-ci regarda autour de lui et il aperçut une forêt à l'horizon: "Si on allait se rafraîchir là-bas, à l'ombre!" dit-il et les deux hommes se mirent en route!
Le soleil tapait dur et il fallait s'économiser! On avait l'impression de cuire lentement, comme si on avançait dans la bouche d'un four! Mais enfin on approchait de la forêt et de sa promesse de fraîcheur! Mais quelle ne fut pas la déconvenue de Sullivan, quand il s'aperçut qu'il s'était trompé! Car ce qu'il avait pris pour des arbres n'était en fait que les tours d'une ville! Cependant, elles étaient vides, abandonnées et un grand silence régnait sur les rues, désormais envahies par le désert!
"Mon Dieu, qu'est-ce qui a bien pu se passer? interrogea Sullivan, qui regardait éberlué le triste spectacle! Tout le monde a fui, on dirait! On ne voit pas de cadavres en tout cas! Serait-ce la chaleur qui est la cause de ce désastre? Elle a tout desséché et il n'y avait plus d'eau! La vie n'était plus possible et les habitants sont allés voir ailleurs! Mon Dieu!" Comme pour faire taire Sullivan, le vent créa un épais tourbillon de poussière, qui obligea les deux hommes à se protéger et ils entrèrent dans un bâtiment!
Celui-ci avait dû être luxueux, car on était à présent dans un large et long couloir, mais le sable, qui entrait par les vitres brisées, finissait par s'accumuler un peu partout et le manque d'entretien rendait inexorable la détérioration! D'ailleurs, dehors maintenant, la tempête faisait rage et on ne voyait plus rien, sinon un mur rougeâtre! Les deux hommes en profitèrent pour s'asseoir, car ils étaient épuisés, mais ils n'espéraient guère trouver de l'eau, quoique la soif les tenaillât!
On entendait le vent gémir et le sable coulait ici et là, comme dans un sablier! Sullivan regardait vaguement devant lui, quand quelque réminiscence le frappa! Il y avait un cadre accroché au mur et il l'avait déjà vu! Sa place s'était imprimée dans son cerveau et il se leva intrigué! Il prit le cadre, en enleva la poussière et à mesure ses mains tremblaient, comme s'il redoutait ce qu'il était en train de comprendre! Il n'y avait pas d'image dans le cadre, mais un slogan: "Domination!" Ce message, Sullivan ne le connaissait que trop bien, puisque c'était lui-même qui l'avait écrit!
Donc, on était dans l'immeuble d'Adofusion et la ville, c'était RAM! Sullivan balbutia: "Ce... ce n'est pas possible!" et des larmes coulèrent sur ses joues noircies!
VII
Le banquier Bjop s'installa dans son vaste bureau, au sommet de la Ramania Banque, l'une des plus hautes tours de RAM! De là, on voyait toute la ville s'étendre, jusqu'à la mer! Quelle impression de puissance on avait! On dominait peut-être l'endroit le plus imposant du monde! D'ailleurs, le seul nom de Ramania Banque provoquait un séisme! Dès qu'il était prononcé, le temps s'arrêtait, les cœurs aussi! L'argent envahissait les esprits, rendait docile, serviable! C'était le maître absolu, incontesté! On obéissait à tous ses ordres, on prévenait tous ses désirs, dans l'espoir de goûter à sa source, qu'il fût un dieu clément! On était avec lui comme une vieille bigote orne un autel, sauf qu'on était plus empressé, plus malin aussi!
Bjop quitta la vue de sa baie vitrée, pour s'enfoncer dans son fauteuil, à la fois frais et cossu! Ici, tout était luxueux et de goût! On ne sentait même pas la canicule qui sévissait dehors! On respirait sous des peintures de valeur et on s'attelait à la tâche! En ce moment même, quelques étages plus bas, les traders de la Ramania Banque moissonnaient les marchés! Des milliers d'actifs étaient brassés par des algorithmes à la seconde! On parlait de tritisation, de hedge fund, de black pool! On actionnait des leviers, on misait, on ramassait! C'était à qui aurait le plus de sang-froid, serait le plus rapide, le plus clairvoyant! C'était comme un jeu! L'argent n'était même plus matériel, tout devenait virtuel! On ne savait qui était l'emprunteur, mais peu importait: on ne perdait jamais!
On pariait même contre le client, on lui souriait devant, en le poignardant par derrière! On faisait trembler les Etats! On s'amusait, goulûment! Les marchés, c'était le dernier terrain de l'aventure, du risque! Le reste était si policé, si ennuyeux! Oh! Le vertige des milliards qui rentraient! Les concurrents qui fulminaient! Pourtant, quelquefois, la "machine" s'enrayait! Le jouet tombait par terre et se cassait! On avait trop tiré sur la corde... et alors on se faisait taper sur les doigts! Le marché s'écroulait! un effet domino dévastateur! On se retrouvait aussitôt avec des pertes astronomiques! Dame, on était grand maintenant! La faillite menaçait et dans ce cas, il fallait mettre son amour-propre dans sa poche! On allait voir le gouvernement et on lui disait qu'on avait bobo! On pleurait devant lui!
On lui criait qu'une banque, telle que la Ramania banque, ne pouvait disparaître, car elle entraînerait dans sa chute la moitié du monde! Il était nécessaire de croire à ces "bobards", pour effrayer! Le lobbying bancaire était déjà si persuasif, si influent! Et les filiales, les banques de dépôt? Voulait-on qu'au guichet on refusât de rendre l'argent des comptes? Souffrirait-on des émeutes, des paniques? On tirait par le bras les gouvernants, on les suppliait de sauver la banque... et ils cédaient! Ils n'y connaissaient rien de toute façon et on les manipulait grâce à la peur! Ouf! Le contribuable nous avait encore, cette fois-ci, éviter la noyade! Et on retournait le plus vite possible au jeu!
Le marché toussait, essayait de retrouver ses esprits! Entre-temps, on avait signé quelques papiers, garantissant que nous serions plus sages! La belle affaire! Ces nouveaux règlements ne portaient que sur une infime partie de nos activités! "J'aurais pu voler la montre de Dominator, sans qu'il s'en aperçoive!" se dit Bjop! L'ivresse de la puissance revenait! Les chiffres reprenait leur danse! Tout repartait comme avant! On était heureux! La cour de récréation, celle de la nuit des écrans, battait de nouveau son plein!
VIII
"Dis grand-père, c'est quoi le respect?
_ Hein? Hum... C'est voir les autres, voir qu'ils existent!
_ Mais grand-père, nous ne sommes pas aveugles!
_ Il y a voir et voir! Mais je connais une planète, où le respect est inconnu!
_ Chic, chic!
_ Sur cette planète, les enfants, personne ne voit personne!
_ Hi! Hi!
_ Et ça commence dès le matin, à la boulangerie! Quelqu'un arrive et il marche sur les autres! "Eh! Eh! Mais on est là!" crient les gens! "Peu importe! réplique celui qui écrase. J'ai besoin d'acheter mon pain!" Evidemment, bientôt, tout le monde est en colère, car on a mal! Mais alors on dit: "C'est la faute du gouvernement, il ne pense qu'à lui! Il est toujours en vacances!"
_ Hi! Hi!
_ Puis, le lendemain, on refait la même chose! On demande au passant: "Qui c'est le roi, la reine?" "Euh..." "C'est moi, eh, patate!"
_ Hi! Hi!
_ Chaque jour, on considère que l'autre est un esclave et on exige de lui du respect!
_ Mais tu as dit que sur cette planète le respect était inconnu...
_ C'est vrai! Si chacun en veut et nul n'en donne, il n'y en a pas!
_ Oh!
_ Dans ces conditions, les habitants deviennent de plus en plus furieux et ils finissent par manifester! "Du respect! Nous voulons du respect!" clament-ils dans la rue!
_ Hi! Hi!
_ Le président de la planète est bien embêté! Il dit: "Je peux leur donner de l'argent, pas beaucoup, mais ils croiront que c'est du respect!"
_ Oh!
_ Et le président distribue de l'argent, en expliquant: "Voilà du respect, mes amis! j'espère que vous serez plus contents!"
_ Hi! Hi!
_ Les gens prennent l'argent, mais ils continuent à faire la grimace! Ils disent: "C'est pas du respect ça!" Mais ils vont quand même dans les magasins, pour dépenser leur argent! Et vous savez ce qui se passe?
_ Non!
_ Eh bien, dans le magasin ils poussent les gens! "Place! Place! crient-ils! C'est nous les rois et les reines! Vous nous devez du respect!" "Pardon! répondent les autres. C'est nous les rois et les reines... et c'est à nous que vous devez du respect!" Puis, ils se battent entre eux!
_ C'est affreux, grand-père!
_ C'est la planète sans respect, les enfants! Mais vous l'aurez compris: respecter quelqu'un, c'est l'aimer, quel qu'il soit! C'est le secret du bonheur!"
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