Les Enfants Dom (XXVIII-II)
- Le 16/04/2022
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XXVIII
Cariou était de nouveau à lire chez lui tranquillement, quand une autociel se gara sous sa fenêtre! Les autociels pouvaient s'attacher à un réseau de tubes transparents, ce qui permettait d'atteindre rapidement son habitation! Mais personne ne descendit de ce véhicule!
La situation était assez étrange, comme en suspens, et une tension s'installa dans l'esprit de Cariou! Que faisait le conducteur? Peut-être qu'il en profitait pour se détendre ou vérifier des papiers! Certains étaient comme ça! Ils se reposaient dans le monde clos de leur autociel, plus que dans leur appartement!
Tout de même, Cariou n'était plus tout à fait à sa lecture... Il ne percevait rien du véhicule, aucun mouvement et un conducteur, venu là pour faire le point, l'aurait rassuré ne serait-ce que par une geste anodin, car Cariou, derrière sa fenêtre, était parfaitement visible et on ne pouvait ignorer sa présence!
Mais l'autociel était comme opaque! Soudain, quoiqu'il gardât les yeux sur sa page, Cariou distingua une forme sortant du véhicule et qui disparut! Ce fut très bref, mais Cariou se relâcha, car il était de nouveau seul! Mais l'individu revint et cette fois-ci, il fit face à la fenêtre pour exprimer toute sa haine, avant de s'en aller! Il eût détruit Cariou, s'il l'avait pu!
"S'ils ne dominent pas, ils ont peur, car leur monde s'écroule! songea Cariou. Ils ne rêvent plus que de tuer... et pourtant je ne fais qu'être chez moi et en paix! C'est incroyable!"
Andréa profitait d'un rayon qui tombait dans les locaux de l'OED... Elle buvait un thé, dont la chaleur parfumée lui remontait au visage... Toujours à son travail, elle ne savait comment commencer cette fois-ci... Elle avait l'impression qu'elle ne serait pas à la hauteur de la tâche, tant le sujet paraissait vaste! Mais enfin, elle se jeta à l'eau...
Elle écrivit: "Si c'est la domination qui nous anime, en nous donnant la soif de nous développer, d'où vient alors ce que nous nommons l'amour? Beaucoup de petits animaux sont profondément attachés à leurs parents, car ils sont entièrement dépendants d'eux! Mais qu'ils atteignent leur maturité sexuelle et ils s'en séparent! Les voilà normalement autonomes et cherchant déjà eux aussi à se mettre en couple!
Pour les humains, c'est différent et plus long! L'adulte est le fruit d'une intense socialisation, qui passe par l'éducation, l'école, car ce que nous sommes est le résultat des siècles passés, de leurs expériences et de leurs connaissances! Nos comportements sont complexes, sophistiqués... Notre psychisme est toujours en train d'évoluer, ce qui fait que notre individualisation n'est jamais terminée!
Mais l'amour viendrait de notre attachement familial... Il constituerait une sorte "d'enveloppe", qui n'est pas sans rappeler celle du fœtus, quand nous ne faisions qu'un avec la mère! Nos premiers liens sont fusionnels et pourtant nous voulons également être nous-mêmes; c'est la nature qui nous y pousse! Il s'ensuit que nous avons bien du mal à nous mettre debout, à déchirer notre "enveloppe", car nous la recréons volontiers avec d'autres! Ce sont nos premières amours, qui sont si fortes, mais qui en même temps s'évanouissent du jour au lendemain, car nous sommes appelés à nous connaître!
C'est le psychisme qui fait essentiellement notre personnalité, mais curieusement il existe une relation entre la domination et notre maturité! Plus la domination est forte et moins nous sommes capables de "déchirer notre enveloppe"! Plus nous voulons dominer et plus nous en restons aux liaisons fusionnelles! Dominer fait que nous empêchons le développement de l'autre! Nous le maintenons dans un état de dépendance, nous le contrôlons par notre autorité, de sorte que ni nous ni l'autre ne s'individualisent totalement! C'est "l'enveloppe" qui continue! Ce n'est pas deux êtres qui s'acceptent dans leurs différences, qui se respectent, car, rappelons-le, c'est le pouvoir sur l'autre qui nous donne a priori le sentiment de notre importance, de notre valeur, et qui donc garantit notre équilibre!
L'amour dominateur est par conséquent sans issue! Il mène tôt ou tard à la séparation, car celui qui est dominé veut s'échapper pour grandir! Et si le dominant est violent, on a des traumatismes ou pire un féminicide et de toute façon une destruction! Si la domination pousse à notre développement, il s'agit de la dépasser pour enfin aimer véritablement! Tant qu'on ne se sépare pas de sa domination, on reste prisonnier de son "enveloppe", on ne discerne pas l'autre, ni soi-même et on fait le mal sans le reconnaître!
L'amour peut-il être autre chose qu'un chemin éminemment spirituel?"
XXIX
L'homme était au sommet de la Tour du pouvoir de RAM et de là il contemplait la mer sous un ciel d'orage! Des éclairs illuminaient les flots lointains et lourds, à cause des déchets! L'homme repensait à son enfance...
C'était bien avant la montée des eaux et il était né dans ce qu'il voyait maintenant quasiment comme un taudis! Son père était un petit artisan au comportement instable... Il avait des crises qui faisait peur à son seul enfant! Il était imprévisible, il criait contre sa famille et on ne savait trop pourquoi! Il avait fini par sombrer dans la démence, laissant une trace qui ressemblait à un gouffre, dans l'esprit de son fils!
La mère, elle, travaillait à l'usine et c'était elle qui avait assuré la subsistance de tous! Mais elle était craintive, soumise et on eût dit une esclave, au service de ses patrons! Tout en la respectant, l'homme n'avait pas cessé de la considérer avec un certain dégoût! Il ne voulait pas de cette peur, de cette "petitesse" et quand lui-même fut engagé à l'usine, grâce à sa mère, il n'y resta pas longtemps, tant il s'y sentait mal à l'aise et rêvait d'autre chose! Quoiqu'il fît, il ne pouvait pas subir une autorité qui n'était pas la sienne!
Il avait erré quelque temps, connu des galères... Il vivait chichement, quand il s'intéressa à la politique, par l'intermédiaire d'un groupe auquel il s'était joint! On y parlait avec ferveur de justice sociale, d'égalité et l'homme s'y était intéressé, non pas par ce qu'il aimait son prochain, mais parce qu'il voyait là un bon moyen de combattre le gouvernement, afin de prendre sa place! Car au fond ce que recherchait avidement cet homme, sans même vraiment comprendre pourquoi, c'était le pouvoir!
Il avait donc participé activement à toutes le campagnes, quitte à se montrer violent, et son parti, profitant d'une grave crise économique, effectivement se mit à commander le pays! L'homme était déjà en haut, mais cela ne lui suffisait pas! Il voulait être le maître absolu! C'était plus fort que lui et il se débarrassa progressivement de tous ses concurrents, des "amis" d'hier, tout en devenant le chef, le personnage le plus important! Ses moyens étaient peu avouables, criminels peut-être, mais on n'avait rien pu prouver et on avait fini par le surnommer Dominator, tant il semblait maintenant puissant!
Cependant, dans RAM, peu le connaissait vraiment, car il n'aimait pas s'afficher! Il restait méfiant, comme s'il était le jouet d'une peur viscérale! Sans doute disposait-il désormais de la sécurité financière, mais qu'adviendrait-il si ses adversaires, malgré ses précautions, arrivaient à le renverser? Ne subirait-il pas le sort qu'il avait lui-même réservé à tant d'autres? Son argent ne le protégerait certainement pas! Il ne devait donc pas perdre le pouvoir et il était toujours aux aguets, jamais totalement tranquille, ce qui impliquait tout de même une certaine discrétion, de sorte qu'on pouvait même en imaginer un autre aux commandes!
Il évitait ainsi de se présenter telle une cible, ce qui ne l'empêchait pas par ailleurs de tout contrôler! Ses espions sillonnaient RAM dans tous les sens, lui rapportaient tous les faits, toutes les opinions et sa police agissait secrètement, avant les crises, les attaques! Malgré tout son pouvoir, Dominator sentait sous ses pieds comme un gouffre, un abîme d'angoisse et il lui fallait incessamment soumettre même ses collaborateurs! Il jouait avec eux comme le chat avec la souris! Il les inquiétait avec plaisir, car, bien qu'il eût recours à l'alcool, seul le sentiment de sa puissance l'apaisait vraiment et il gouvernait essentiellement par la terreur qu'il inspirait!
Il appuya sur un bouton et une porte coulissa, pour laisser entrer Œil d'or! "Tu as quelque chose à me dire? demanda Dominator.
_ Oui, un de mes "morveux", qui a beaucoup de talent, a été comme baladé par un gars bien plus fort que lui psychiquement!
_ Tu sais qui c'est?
_ Oui, un certain Cariou... On a peu de choses sur lui... et il est possible qu'il ne se doute même pas de son pouvoir!
_ Mais il faut quand même s'en assurer! Tu t'en occupes! Je ne veux pas de menaces autour de moi!"
Œil d'or s'inclina et sortit. Dominator se reversa une dose d'alcool et se replanta devant le spectacle de la mer... Elle était aussi sombre que lui!
XL
Andrea écrivait toujours: "D'où viennent les idéologies? A leur origine se trouve généralement la pensée d'un seul, mais c'est la domination qui les transforme en système! Même si on veut le bien des autres, on peut se mettre à les diriger! On commande pour répandre ce que l'on considère comme la vérité! On obtient le pouvoir, on domine, pour imposer son idée! Ainsi ont fonctionné le christianisme ou le communisme!
Mais la domination a besoin de sa liberté, car nous ne pouvons nous développer avec des entraves! C'est donc encore la domination qui chasse les idéologies, de même que c'est le tyran de demain qui renverse le tyran actuel! Notre égoïsme fait que nous tendons toujours vers la démocratie! Et le libéralisme ou le capitalisme ne devraient pas au fond être considérés comme des idéologies, car ils constituent le sol naturel de notre croissance!
Qu'on veuille plus de justice, c'est bien normal, mais il nous faut aussi la plus grande liberté et c'est pourquoi nous avons entamé le vingt-et-unième siècle, avec un horizon dégagé de toute idéologie! Cela veut aussi dire que la science est devenue la seule à pouvoir nous éclairer, puisqu'elle s'appuie sur la raison et non sur les passions! Elle aussi n'a cessé de se développer, sans l'obstacle de l'idéologie, et elle nous montre notre infinie petitesse, pour ne pas dire notre insignifiance, dans une histoire aux dimensions vertigineuses!
Cette situation ne peut pas ne pas nous causer de l'inquiétude, d'autant que nous apprenons que nous détruisons peu à peu notre planète, par la pollution ou le réchauffement climatique! Mais que faisons-nous quand nous avons peur? Mais la même chose que les animaux: nous renforçons notre domination! Un exemple que tout le monde connaît est celui des crocodiles devant leur marigot qui s'assèche! C'est le plus fort qui va profiter en dernier de l'eau; les autres meurent ou partent!
Quand nous sommes inquiets, nous faisons revaloir nos droits, nous réaffirmons notre force et c'est pourquoi nos pays, malgré le progrès et leur niveau de vie, sont toujours en crises! Nous n'acceptons aucun sacrifice, nous ne supportons aucune contrainte, car nous aurions l'impression de nous diminuer, ce qui nous conduirait à l'angoisse! C'est bien la domination, notre égoïsme qui est notre seul rempart contre la peur de l'infini! Et cela nous rend exsangue, sans avoir rien à donner!
Mais c'est la jeunesse qui est la plus frappée par la situation! Elle voit son avenir incertain, bouché, inexistant même! Elle découvre des adultes incohérents, hostiles ou lâches et perdus! Elle est face à un monde hypocrite, qui n'a pas voulu voir, ni chercher les vraies solutions! Cette jeunesse est désemparée, d'autant que les idéologies, si elles étaient à combattre, n'en représentaient pas moins l'autorité et donc la sécurité!
Pour ne pas sombrer, les jeunes, à l'instar des adultes, se raccrochent à leur domination, mais sans retenue, tout entier, avec frénésie, car leur être n'a encore aucune solidité! Cela se traduit bien entendu par une fréquentation accrue des réseaux sociaux! Il s'agit de faire partie d'une pensée! Nous sommes à l'ère de la communication! On donne son avis, on se reconnaît dans ceux des autres! Mais aussi on se met en scène! On veut faire le buzz! C'est le Narcisse qui permet de se rassurer sur soi, sur son image, son influence, sa valeur!
Mais la partie numérique est secondaire, c'est dans nos cerveaux que s'effectue la plus grande transformation! D'abord, la communication est une activité essentiellement cérébrale et le numérique ne "chauffe" qu'un seul muscle: notre cerveau! Celui-ci est sollicité anormalement, ce qui fait que la dépression atteint les plus jeunes! Mais encore la domination doit être constante, en tous lieux! Elle cherche à s'exercer sur tous, car l'enfant veut que le monde soit le sien!
Ainsi il n'a plus peur! Face au vide sidéral ou de l'esprit, ne pouvant compter sur les adultes et sans espoir quant à l'avenir, l'enfant devient le dominant, même si ce comportement possède des degrés! Mais au plus haut, l'enfant est ce qu'on appelle à l'OED un enfant Dom, avec Dom pour domination! Car cet enfant-là est un pur "produit" de la domination! Il constitue une "bulle" psychique, qui contraint les autres à la soumission et qui hait et qui veut détruire, si elle rencontre un obstacle!"
DEUXIEME PARTIE
LA LUTTE
I
A quoi pourrait-on comparer RAM? A un beau lierre sur un mur! Les feuilles sont brillantes et montent à l'assaut de la lumière! Les branches forment un réseau, qui permet une meilleure adhérence et RAM parait également guidé par la raison et solidaire!
Mais on peut facilement décoller du mur le rideau de la plante et il s'effondre rapidement sous son propre poids! De même, on ne met pas longtemps à voir que la splendeur de RAM n'est qu'une façade! Il suffit de se pencher sur sa base, pour y découvrir avec dégout ce qu'on trouve encore à la racine du lierre, à savoir une vermine grouillante!
On est stupéfié par son mépris, sa haine! On est abasourdi par sa pensée, son opposition, sa radicalité! On sent le vent de l'épouvante passer sur soi! On est désarmé devant une telle cassure! On se dit qu'il n'y a pas de vérité! que la vie ne repose que sur un sol mouvant et le désespoir nous envahit!
Car il est impossible de ramener la plupart à la raison! Les meilleurs arguments sont sans effet! On est en face d'une véritable hargne, une fureur, dont le poison, le mensonge peut rendre fou! On en vient à douter de soi! de sa propre vue! de son jugement! Nos doutes, nos craintes, nos traumatismes se réveillent! C'est la nuit, le vertige!
Nous voilà nous-mêmes assoiffés, dans un désert! Certains, mis au pied du mur, vous tord votre raisonnement ainsi qu'une petite cuiller, pour mieux le retourner contre vous, comme s'il venait d'eux! C'est à en perdre la raison! Mais c'est notre psychisme qui garantit notre équilibre et percer l'armure des plus féroces, des plus dogmatiques, des plus méprisants, c'est faire entrer d'un seul coup tout le monde du dehors dans leur bulle, ce qui conduirait à son explosion, si une certaine folie ne venait pas la défendre!
Car au fond il existe un tronc commun entre tous ces individus! Si on revient au lierre, on constate qu'il se ramifie de toutes les manières possibles! qu'il a une partie secrète, qui paraît même infinie! qu'il se propage au ras du sol, comme s'il voulait conquérir la Terre entière! que ses petites feuilles se développent partout, isolées, de sorte qu'on ne les remarque même pas! Et pourtant il suffit de les arracher, pour s'apercevoir qu'elles sont reliées à l'ensemble et qu'elle s'en nourrissent!
Ainsi aussi sont les gens dans l'anonymat! Et leur tronc commun est la domination! Mais ils sont si éloignés des branches principales qu'ils en adoptent la pensée contraire, le jugement opposé, tellement qu'ils sont blessants, scandaleux et effrayants! Mais c'est là leur seule manière pour lutter contre la solitude, la peur, pour avoir le sentiment d'exister! Ce sont des îles qui utilisent le poison pour se construire! Car le problème est toujours de se faire valoir et on est prêt à nier le ciel et les nuages, si cela permet d'être au-dessus des autres!
II
"Dis grand-père, demanda la petite fille, c'est comment le paradis?
_ C'est comme ici!
_ Oh! Ben alors, c'est pas intéressant! s'écria le petit garçon.
_ Ah bon? Et cette petite feuille éclairée par le soleil, est-ce qu'elle ne paraît pas allumée?
_ Si...
_ Et cette goutte de rosée qui scintille, est-ce qu'elle n'a pas l'air d'une perle magnifique?
_ Si...
_ Et cette chenille qui se tortille, est-ce qu'elle ne paraît pas sympathique? Et même ce cloporte, qui s'enfuie, est-ce qu'il ne semble pas drôle avec son armure?
_ Si...
_ Et ce morceau d'écorce, d'un brun profond, n'est-il pas doux au toucher? Allez-y, prenez-le... Et cette petite motte noirâtre... N'est-elle pas fraîche et n'éclate-t-elle pas en poudre? Et à travers la haie, que voyez-vous?
_ Des fleurs violettes!
_ Exactement et elles nous regardent! Toute la nature est d'une beauté infinie, les enfants! Alors qu'est-ce qui ne va pas?
_ On s'ennuie, grand-père!
_ Ah bon! Vous vous ennuyez... Hum! Je crois qu'il est temps qu'une fusée reparte pour la planète des Rigolos!
_ Oh oui!
_ Chic!
_ Il faut tout de même d'abord que chacun mette son casque... Eh oui! Voilà... et la combinaison aussi! Toutes les fermetures doivent être vérifiées! Au bout des manches! Aux chevilles! Voilà! Mais, avant d'entrer dans la fusée, un test est nécessaire!
_ C'est quel test, grand-père?
_ Dame, seuls les Rigolos peuvent partir pour la planète des Rigolos! Toi, mon petit garçon, es-tu un vrai Rigolo?
_ Hi! Hi! Oui, grand-père! Tu me chatouilles! Hi! Hi!
_ Et toi, ma petite fille, tu es prête à passer le test?
_ Non, je ne veux pas, grand-père!
_ Bon, pas de fusée alors!
_ Hi! Hi! Grand-père, ça chatouille!
_ Bien sûr que ça chatouille! C'est le test!"
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