Le Dom sourd!

  • Le 08/08/2020
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Le dom sourd

 

 

 

 

                                                                                      "Le plus con, c'est Ray! Le plus dangereux, c'est Ray!"

                                                                                                                                              Flic ou voyou

 

    Le duc de Valmonceau et le général Piquois, montés sur un tertre, observaient le champ de bataille à la longue-vue! Partout, des incidents éclataient, des échauffourées ou des incendies, et une impression de chaos se dégageait, sans un affrontement vraiment sérieux pourtant!

    "Mon général, le temps est sec, le soleil brille! déclara le duc. On pourrait respirer à pleins poumons les doux parfums de la terre, ou bien s'aimer à l'ombre de quelque vallon, mais les hommes, visiblement, préfèrent la bagarre, les empoignades, les querelles! On adore la haine, écraser l'autre et même voir son sang!

    _ Allons, allons, mon cher duc, je ne vois que gifles, coups de bâtons et injures... et des flammes aussi il est vrai! Cela peut être pénible, bien entendu, mais les cadavres ne jonchent pas le sol!

    _ Certes, la guerre n'est toujours pas officiellement déclarée, mais il y a tout de même des morts et des animaux rôtis! Remarquez, c'est bigarré! Si j'étais cynique, je dirais que c'est inventif! Tenez, regardez ce qui se passe au niveau du petit bois!"

    Les deux hommes tendirent à nouveau leur longue-vue... "En effet, comme c'est curieux, reprit Piquois. Il semble qu'il y ait deux camps...

    _ Les masques et les antimasques! confirma le duc. Ils vont s'affronter pour voir qui a raison: faut-il porter le masque ou non?

    _ Oh! Mais les coups pleuvent! On arrache les masques et on tire les cheveux! Ah! Ah! Il y en a un dont on a baissé le pantalon et quel affreux caleçon! Quelle honte!

    _ Savez-vous, général, que les antimasques trouvent le port du masque liberticide! Ils sont là pour défendre leur indépendance!

    _ Non? Mais le Covid est toujours là!

    _ Oui et la liberté n'est-elle pas intérieure? Mais plus haut il y a une autre scène étrange...

    _ En effet, trois jeunes filles qui se disputent... Ces demoiselles oublient la délicatesse attachée à leur sexe! Eh! Mais l'une donne un coup de couteau! Ah! Diable!

    _ La blessure n'a pas l'air grave, comme le motif sans doute! C'est une époque de fous!

    _ Je vous approuve totalement... Regardez sur la droite, près de la grange... N'est-ce pas incroyable?

    _ Des buveurs, des gens qui font la noce!

    _ Le Covid doit se plaire dans leur sueur!

    _ Encore un nouveau défi peut-être! Ce paysage me fait penser à une peinture de Bosch! Qu'il y a-t-il Mérignac?

    _ La troupe des internautes arrive! répondit l'aide de camp Mérignac, qui s'était approché.

    _ Du renfort? demanda le général.

    _ Si on veut, dit le duc. Mais écoutons les chanter! Leur hymne est connu du monde entier!"

    "Nous sommes les internautes, nautes!

    Au Web nous mettons des notes, notes!

    Savants hautains et haineux, neux!

    Nous créons des sacs de nœuds, nœuds!

    Et pour un beau commentaire, taire!

     Nous ferions le tour de la Terre! Terre!

    ___

    Dès que nous voyons un sein,

    Nous voilà un fol essaim!

    Car un rien dans le désert

    A du cotillon les airs!

    Nous rageons, nous frémissons!

    C'est la Toile à l'unisson! (Refrain: Nous sommes les internautes...)

    ___

    Nous voulons de la culture!

    Nous apprendrons la lecture!

    C'est promis! Et le bourreau

    Dans nos cœurs sera de trop!

    Mais le clavier électrise!

    Nous le sentons, c'est la crise! (Refrain, etc.)"

    "Les braves gens! s'écria Mérignac. Qu'est-ce qu'on en fait?

    _ Mais dans la mêlée, Mérignac, dans la mêlée! Depuis le temps qu'on veut voir de quel bois sont ces "braves gens"! Enfin, ils vont servir à quelque chose! Dans la mêlée et en rythme bien entendu: "Nous sommes les internautes, nautes!" De l'action, de la réalité, de la joie!

    _ Bien Monsieur le duc!

    _ Dites donc, général, tout cet enthousiasme ne vous aurait-il pas donné faim?

    _ Vous me prenez par mon faible!

    _ A la bonne heure! Venez, la table est déjà mise!"

    La nappe blanche, soulevée aux coins par le vent, se détachait du vert de la colline et les deux hommes s'installèrent... "On n'est pas bien là? s'enquit le duc.

    _ Le paradis! répondit le général.

    _ Un peu de vin?

    _ Volontiers! Tiens, voilà Saint-Elme!

    _ Des ennuis en perspective! Mon bon Saint-Elme, comment allez-vous?

    _ Ah! Monsieur le duc, je suis bien aise de vous trouver enfin! répondit celui qui était secrétaire d'Etat! Car la cour est dans le plus grand émoi!

    _ Mais que se passe-t-il?

    _ Mais tout ceci! fit Saint-Elme en étendant le bras, pour décrire les alentours. Partout, on laisse aller sa colère, sa violence, ses pulsions! Ce sont des foyers de barbarie en veux-tu en voilà! Le ministre Noiseul en perd ses cheveux, la princesse son chien et le roi son appétit! Tandis que vous, vous pique-niquez! Malgré tout le respect que je vous dois, Monsieur le Duc, vous n'êtes pas à la hauteur de la situation!

    _ Bien au contraire Saint-Elme! Mais venez d'abord vous asseoir... et prenez une cuisse de poulet, pour vous détendre... Il est légèrement parfumé au thym! A court terme, monsieur le secrétaire d'Etat, vous ne pourrez rien faire de plus que la police, contre la violence!

    _ Certes, monsieur le Duc! Hum! Vous avez raison, ce poulet est délicieux!

    _ Et ce vin clairet, Saint-Elme! dit le général. Vous allez m'en donner des nouvelles!

    _ Très bien! reprit le duc. Par contre, nous pouvons nous demander que faire sur le long terme, en vue d'un changement profond et donc efficace! Car, bien entendu, la répression ne suffit pas!

    _ Bien entendu!

    _ Considérons notre situation, voulez-vous? Nous sommes sur une petite boule, qui tourne plus vite qu'une toupie autour de son soleil! Et nos vies se terminent a priori par la mort! Il y a bien là de quoi nous perturber! Nous pouvons même nous sentir comme des prisonniers sur la Terre et en éprouver de l'angoisse, de l'étouffement! C'est que notre conscience, au fond, ne supporte aucune limite!

    _ Vous me donnez le vertige, Monsieur le duc!

    _ Et je peux encore l'amplifier! Le soleil va devenir une naine rouge et normalement, tout ce qui aura existé sur notre planète sera oublié dans la nuit du cosmos! L'abîme est insondable, comme vous le voyez...

    _ Ah! Ah!

    _ Pour calmer son angoisse et donc donner un sens à sa vie, l'homme n'a que deux chemins possibles: la spiritualité ou la domination!

    _ La domination?

    _ C'est l'égoïsme, le triomphe de soi! C'est s'imposer aux autres, avoir le sentiment de sa supériorité! Cela nous vient de l'animal, qui doit être le plus fort, pour assurer sa survie! Mais l'être humain qui domine sent sa valeur et l'angoisse n'a plus de prises sur lui! Il trouve même parfaitement normal le quotidien de nos sociétés! Il vit en fait comme un animal, qui n'a effectivement que faire de l'étrangeté de notre situation!

    _ Je vous avoue que je suis assez comme ça...

    _ L'ennui, c'est que dès que la domination est contrainte, menacée, la peur revient et tout de suite elle provoque de la haine et de la violence; ce qui crée le paysage qui vous donne tant de soucis!

    _ Autrement dit, la domination ne guérit pas l'angoisse!

    _ Exactement! La spiritualité, elle, offre une champ infini, une pensée sans limites, un espoir sans bornes! Il n'est plus besoin de dominer les autres, car c'est la compréhension des choses qui fait notre importance, et notamment la beauté, la patience, la bonté deviennent les parties d'un tout!

    _ Mais, si vous savez tout cela, pourquoi n'allez-vous pas en parler au roi, au gouvernement, à tous les hommes de ce pays, afin que s'arrêtent toutes ces horreurs!

    _ Mon cher Saint-Elme, je vous l'ai dit: le dominant ne veut pas cesser de dominer...

    _ Sinon sa peur revient et sa haine et sa violence éclatent!

    _ Ah! Ah! Oui, mon général, c'est bien la leçon! Apparemment, nous allons avoir un superbe coucher de soleil... Que diriez-vous de le contempler avec une glace?"

    Le vent souleva la nappe et parut courir comme un gamin vers l'horizon!

 
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