L' attaque des Doms (83-87)

  • Le 14/12/2024
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R62

 

      "Je m'appelle Roger Tornhill!

        _ Bien sûr, monsieur Kaplan..."

                                      La Mort aux trousses

 

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Le Nouveau Jour (NJ pour les intimes) sort de l’hôpital psychiatrique, après y avoir été interné à sa demande, pour une dépression grave ! En effet, NJ se sentait inutile, face à l’indifférence des gens ! Il avait beau donner le meilleur de lui-même, il ne provoquait aucun intérêt chez les Doms ! Le désespoir peu à peu l’avait envahi, sapé et plongé dans une apathie noire, qui le faisait souvent pleurer ! NJ avait eu recours à l’alcool, pour essayer de retrouver de l’euphorie, de la flamme, mais le résultat avait été pire, notamment par un abattement, un épuisement accru !

A l’hôpital, il avait laissé dehors l’agitation, les troubles des Doms et il s’était senti d’une certaine manière en sécurité, plus reposé ! Mais le Dom est partout le même et le personnel hospitalier et les autres malades n’échappaient pas à cette règle ! Il y avait des disputes, des oppressions etc. ! Toujours est-il que NJ avait voulu ressortir, après une semaine de séjour et pour ça, il avait dû revoir le médecin-chef ! « Alors, vous voulez nous quitter ? lui avait demandé celui-ci. Bien, mais êtes-vous prêt à reprendre la lutte ?

_ Je crois que oui, même si je me sens encore fragile !

_ Bon ! Vous savez, le pire pour nous, c’est quand nos patients ne veulent plus de cette lutte, avec le monde extérieur ! On les a à vie… et ça, ce n’est pas supportable ! Ah ! Ah ! »

NJ donc a repris son sac et le voilà qu’il salue quelques infirmières et quelques malades, avant de se retrouver à l’air libre ! Il respire et il a certaines idées, pour intéresser les Doms ! Dès le lendemain, il s’installe à un endroit très passant et il étale sa marchandise ! Voyons voir… Il y a là des nuages roses, à la couleur de l’aurore, bien cotonneux, sur un ciel d’un bleu encore sombre, presque mauve ! Pour agrémenter le tout, le Nouveau Jour dresse des branches qui font une dentelle noire des plus fines, quand on regarde le ciel, et un vol dansant d’étourneaux donne une note harmonieuse au tableau ! Puis NJ attend : nul doute que quelqu’un sera bientôt charmé, par le spectacle qui évolue sans cesse !

Mais devant NJ, on se presse sans le voir ! Le trafic, tout phare allumé, s’étire telle une chenille monstrueuse et s’il y a bien quelques marcheurs qui semblent regarder NJ, c’est pour l’effet qu’ils produisent sur lui ! Ils sont tout occupés par leur petite personne et le ciel et les arbres et les oiseaux les laissent absolument indifférents ! NJ s’agite un peu, il devient plus nerveux, car il sent ses vieilles angoisses revenir ! Peut-être se trompe-t-il, qu’il est fou ? Ce qu’il fait est minable et il y a bien plus important ! Par exemple, il faut gagner sa croûte et cotiser pour sa retraite ! Ça, c’est sérieux ! tandis que les nuages colorés, la dentelle des branches, les vols d’oiseaux, c’est pour les jobards, les benêts !

Maintenant, NJ se dandine, en proie au doute et avec la dépression qui le rattrape ! « Eh ! Toi ! fait une voix. Est-ce que je t’ai autorisé à t’installer ici ? » NJ regarde qui lui adresse la parole et il voit un gars, qui a l’air d’un voyou, d’une petite frappe ! Il mâche un chewing-gum et roule des mécaniques ! « Je ne savais qu’il fallait ton autorisation, répond NJ.

_ Ben si, car c’est moi qui commande ici !

_ Ah bon ?

_ Ouais, je m’appelle la Peur, pour ta comprenette, et tout le monde ici fait ce que je dis !

_ Tous ces gens t’obéissent, même le trafic ?

_ Parfaitement ! Alors tu vas prendre tes cliques et tes claques et on te reverra plus !

_ Pour que tu règnes à loisir ?

_ J’ sais pas d’où tu sors, mais tu parles comme dans un livre et rien qu’ ça, ça me débecte !

_ Ben, j’ crois que j’ vais rester un peu… J’ suis bien ici, moi !

_ Alors tu m’ défies, c’est ça ?

_ Non, j’ pense que je peux être utile, c’est tout !

_ Toi ? Mais tout le monde s’en fout d’ toi ! Regarde autour de toi ! Personne ne s’arrête ! Et c’est à cause de moi ! »

NJ ne dit rien et observe cette foule, qui l’ignore effectivement ! A ce moment, il claque des doigts et le soleil sort de sa cachette ! Il vient illuminer d’or les toits et les fenêtres les plus hautes ! « Qu’est-ce que tu dis d’ ça ? demande NJ à la Peur. Ça en jette un, hein ?

_ Bof ! répond la Peur, qui hausses les épaules.

_ Et très vite, je vais réchauffer les Doms ! Tu vas voir ! »

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Au camp n° 5, on essaie toujours de rééduquer les Doms émeraude, qui apparemment ont subi l’influence de la Chose et qui sont dans un état étrange, puisqu’ils semblent apathiques, avec des yeux globuleux, comme s’ils n’étaient plus vraiment des Doms, mais des êtres repliés en eux-mêmes, ainsi qu’un insecte attend une mue, à l’intérieur de son cocon !

Ce matin cependant, ils sont rassemblés sur le terrain d’exercice, face à un nouvel instructeur ! « J’ me présente, dit-il, j’ suis l’ sergent Normalité ! Vous avez déjà eu des instructeurs, mais j’ peux vous dire que j’ chuis le plus vachard des vachards ! Avec moi, vous allez en baver, jusqu’au fond des yeux ! Et quand j’ vois vos têtes d’abrutis, j’ me dis qu’ y a du boulot ! Toi ! Le grand niais, pourquoi tu souris ?

_ J’écoute le vent !

_ Qu’est-ce que tu fais ? T’écoutes le vent ? Mais t’es taré, ma parole !

_ Non, pour moi le vent est rafraîchissant ! C’est un synonyme de force et d’oubli… Il me berce ! Ne sommes-nous pas tous comme de grands navires, que le vent entraîne ?

_ Voyez-vous ça ! Qu’est-ce que t’es ? Un poète, une sorte de chaman, ou de débile mental ? Ah ! Ah !

_ Euh…

_ Euh… Ça, tu sais dire, ça tu connais ! Mais est-ce que tu bosses ? Non ! Est-ce que tu cotises ? Non ! Est-ce que t’es utile à la société ? Non ! Est-ce que tu es un parasite et un paresseux, oui !

_ C’est que…

_ C’est que quoi ? Approche ! J’ t’ai dit d’approcher ! N’aie pas peur, j’ vais pas t’ faire de mal ! »

Le Dom émeraude se met devant le sergent Normalité, qui lui dit : « Regarde-moi bien dans les yeux ! » Le Dom émeraude s’exécute et il reçoit un formidable coup de poing, en pleine figure ! Il est soufflé et part en arrière, puis chancelle : il est maintenant à quatre pattes et saigne du nez ! « Allez, relève-toi, salopard ! Je n’ai qu’un principe, mais il faut le suivre absolument ! Debout et remets-toi devant moi, comme un homme ! Allez ! Voilà mon principe ! Ouvre-bien tes oreilles ! Et c’est valable pour tout le monde ! Écoutez bien, car je le ne dirai pas deux fois ! Quoiqu’il arrive, même si je vous frappe, vous ne devez pas vous écarter de moi ! Est-ce que c’est clair ! Vous ne devez en aucun cas chercher à vous enfuir ou à prendre vos distances ! Vous devez rester collés à moi ! Et vous savez pourquoi ? Parce que je suis la normalité et on ne s’écarte pas de la normalité ! Allez, fais-moi vingt pompes ! Fais-moi, vingt pompes, j’ te dis ! »

Le Dom, qui saigne toujours du nez, obéit et le sergent commence à compter : « Une ! Deux ! Qu’est-ce que la normalité ? C’est d’avoir un job ! C’est de gagner sa vie ! Trois, quatre, cinq ! C’est de cotiser pour sa retraite ! Après, vous pourrez faire ce que vous voulez ! Huit, neuf ! Si vous êtes en règle, libre à vous de faire les cons dans les magasins ! Les gogos, les magasins n’attendent que ça ! Vous pourrez aller avec vot’ copine vous marrer au restau ou vous dandiner dans les rues piétonnes ! Onze, douze ! Et pourquoi vous serez libres ? Hein ? Quatorze, quinze ! Parce que vous serez en règle ! Parce que vous aurez un état-civil clair ! Pas d’embrouilles ! Dix-sept, dix-huit ! Travail, famille, patrie ! Ça peut paraître vieillot, mais c’est encore dans les vieux pots qu’on fait la meilleure soupe ! Dix-neuf, vingt ! Tu vois, c’était pas si difficile ! L’effort, y a qu’ ça ! T’es pas plus heureux maintenant ? T’as pas l’impression d’être plus propre, plus sain, plus normal ? »

Le Dom ensanglanté regarde le sergent sans répondre, d’un air morne… « Allez, relève-toi et rejoins les autres ! lui dit le sergent.

_ Sergent ! Sergent ! Quel est le travail le plus difficile ? fait une voix.

_ Hein ? Qui se permet de m’interpeller ? C’est toi, le freluquet ! Non mais regarde-toi ! T’es même pas un homme ! J’ te souffle dessus et y a plus personne ! J’ parie qu’ les filles, elles rigolent quand t’enlèves ton pantalon ! D’ailleurs, est-ce qu’ tu s’rais pas une gonzesse des fois ?

_ J’ai l’impression que vous esquivez ma question, sergent !

_ J’esquive rien du tout ! Viens ici et regarde-moi dans les yeux ! Viens en face, le maigrelet ! » 

Le Dom émeraude se tient devant le sergent, qui lui demande : « Alors, répète-moi ta question !

_ Quel est le travail le plus difficile ?

_ J’ sais pas ! Y en a des tas qui sont durs !

_ Pour moi, le plus difficile, c’est de ne pas vous haïr et d’ vous comprendre, malgré toute votre violence et votre mépris !

_ Qu’est-ce que tu racontes ?

_ Le plus difficile, c’est de garder à l’esprit que vous avez peur, car rien d’autre ne peut expliquer votre violence !

_ T’es un intello, c’est ça ? Tu travailles pas et tu cotises pas, mais tu comptes sur les autres pour te nourrir ! T’es le monsieur bon et plein de pensées, à condition de ne pas mettre les mains dans le cambouis, c’est ça ?

_ Bon sang ! Comment vous rassurer ?

_ Avec ça, connard ! »

Le sergent frappe violemment le Dom émeraude, qui part en arrière et chancelle ! « T’écartes surtout pas d’ moi, mon gars ! dit le sergent. Tu connais le principe ! On s’écarte pas d’ la normalité ! Y a rien d’autre ! Ah ! Ah ! »

                                                                                                                         85

Tautonus est inquiet et c’est normal dans un vaisseau de cinquante kilomètres de long ! Il cherche la Machine et ne la trouve pas ! Personne ne sait où elle est ! C’est pourtant elle qui commande, mais finalement Tautonus la trouve dans une des soutes… Oui, dans une des soutes, là où règnent les mécanos ! C’est pourquoi la Machine est vêtue d’un bleu de travail, mais cette situation ne paraît toujours pas normale aux yeux de Tautonus !

Cependant, la Machine est non seulement en bleu de travail, mais elle porte encore un casque de soudeur et des gerbes d’étincelles tombent sur ses grosses chaussures ! « Eh ! La Machine ! crie Tautonus. Qu’est-ce que tu fais ? » La Machine finit par entendre qu’on l’appelle et elle relève on casque, pour voir de quoi il s’agit ! « Ah ! C’est toi, chéri ! fait-elle. Y a un problème ?

_ Non, je voulais juste savoir ce que tu fais !

_ Eh bien, tu vois, je soude…

_ Et tu soudes quoi ?

_ Tu vas voir… J’ai presque fini... »

La Machine arrête son appareil à souder et recule, pour contempler son œuvre ! Tautonus voit alors un robot… « C’est un droïde de la dernière génération, explique la Machine, et il peut tout faire ! Il est quasiment impossible de le distinguer d’un Dom !

_ Mais pourquoi tu t’en occupes ? dans quel but ?

_ Attends, il lui manque son élément essentiel ! »

La Machine prend un masque, sur une table, et le fixe à la place du visage, sur le robot ! « Alors, tu le reconnais ?

_ Mais… Mais c’est Paschic !

_ C’est exact ! Mais un Paschic bien particulier ! Celui-ci m’obéit au doigt et à l’œil ! Il fait tout ce que je lui demande ! Il m’est totalement soumis ! »

Comme pour prouver ce qu’elle dit, la Machine commence par donner des ordres au robot : « Tu vas me nettoyer cet atelier de fond en comble ! Je ne veux plus que quelque chose traîne ! Tout doit être propre et à sa place ! Tu m’as bien comprise ?

_ Oui, la Machine !

_ Bien ! Parce que tu comprends, je ne suis pas ta bonniche ! Chacun ici doit faire des efforts ! d’autant que tes résultats scolaires ne sont pas très bons ! D’ailleurs, une fois que tu auras tout nettoyé l’atelier, tu feras tes devoirs, dans une salle particulière, où tu n’auras aucun moyen de te distraire ! Tu m’as bien comprise !

_ Oui, la Machine !

_ Bien ! On fera peut-être quelque chose de toi ! Et redresse-toi ! T’es un homme, oui ou non ! Un vrai homme se tient droit !

_ Oui, la Machine !

_ Si chacun ici suivait ses plaisirs, on deviendrait dingue !

_ Oui, la Machine !

_ Faut bosser ! Faut arrêter de se prendre pour le centre du monde et d’être égoïste ! Est-ce que c’est bien clair ?

_ Oui, la Machine !

_ Bon au boulot ! »

Le robot se met à ranger avec célérité et précision, ce qui fait que la Machine dit à Tautonus : « Non mais, regarde-le ! Une véritable merveille ! Il obéit au quart de tour ! Ah ! Si le vrai Paschic avait été comme ça, j’aurais eu moins de misères ! Il m’a usé, le branleur !

_ Chéri, tu crois vraiment que tu avais besoin d’un robot, pour te consoler ! Ce n’est pas un peu artificiel, tout ça ?

_ Ah ! Parce que tu crois que je vais me satisfaire d’un robot obéissant ! Mais tu n’y es pas du tout, mon pauvre ami ! Ce robot a une mission ultime ! Quand je serai sûr de son fonctionnement, je le programmerai pour cette mission !

_ Et quelle est-elle, cette mission ?

_ Comment ? Tu ne devines pas ? Mais mon robot doit tuer Paschic, le détruire !

_ Oh…

_ On n’échappe pas à la Machine ! Soit on m’est soumis, soit on disparaît ! C’est la loi ! Ma loi et c’est la seule qui compte ! Mon robot va retrouver ce merdeux et il va entrer dans sa tête ! Il a des fonctions hypnotiques ! Il peut laver les cerveaux ! les pénétrer et les commander ! Et il va me ramener le vrai Paschic doux comme un agneau, enfin discipliné, enfin soumis, enfin ma chose ! Tu m’entends ? »

                                                                                                                  86

C’est une planète désertique, balayé par le vent et Paschic se réveille péniblement… Il est couché parmi les débris de sa navette et il commence à se rappeler ce qui s’est passé ! Alors qu’il voyageait dans l’espace, près d’Almarande la Grande, il avait été attaqué ! Par qui, par quoi ? Il n’en savait rien et il avait dû juste défendre sa peau ! Touché par des rayons, il avait atterri en catastrophe, sur cette planète dont il ignorait le nom !

Il ne comprenait pas ! Il était pourtant un bon pilote, mais il avait eu beau essayer des manœuvres, le vaisseau attaquant les avait toutes contrées, comme s’il les prévoyait ! Et puis, il y avait cette vision… Alors qu’il s’était extirpé de la navette en flammes, il avait vu un Dom venir vers lui, sans doute son ennemi ! Celui-ci s’était penché sur Paschic, en tenant une seringue et il l’avait piqué ! Ce qui remplissait d’effroi Paschic, c’était que le Dom était son double, l’exact lui-même !

Mais sans doute que Paschic avait été victime d’une hallucination, car très vite il avait plongé dans l’inconscience et il ne sait plus maintenant s’il a rêvé ou non ! Si même le Dom a bien existé, qu’est-ce qu’il a pu injecter à Paschic ? Ces questions-là, il faudra y répondre plus tard, car pour l’instant l’urgence est de survivre et Paschic est blessé ! Il utilise la trousse de secours, se donne les premiers soins et commence à construire un abri, avec des restes de la navette !

Quand la nuit vient et comme il n’y a aucune habitation à proximité, Paschic peut admirer à loisir la beauté des étoiles ! Elles sont des milliards, comme des diamants jetés sur un velours noir ! Mais soudain Paschic a une crise ! Il s’accuse brutalement de son égoïsme ! Comment peut-il se réjouir ici tout seul, de la beauté du monde, alors qu’il y a tant de souffrances ailleurs et particulièrement chez la Machine, que Paschic a sévèrement critiquée et pour ainsi dire abandonnée !

« Je suis un monstre ! s’écrie Paschic, dans le silence de la nuit. Je n’ai fait que penser à moi jusqu’ici, alors que la communauté, la famille me tendaient les bras ! Où sont mes devoirs ? Qu’est-ce que je sais faire, sinon me consacrer à mes plaisirs ! Oh ! Honte à moi ! Et comme je vais changer ! Pardon la Machine, à cause de mon égoïsme ! Pardon les Doms, pour vous avoir méprisés ! Mon narcissisme est sans bornes ! Oh ! Mais je vous promets : demain le nouveau Paschic arrive ! bon, résolument bon ! serviable en diable, se montrant patient, aimable avec tous ! enfin juste ! enfin dans les petits papiers du Seigneur ! »

Et c’est en pleurant et c’est en battant sa coulpe que Paschic termine sa nuit ! La lumière a daigné lui ouvrir les yeux et au matin, Paschic ne traîne pas ! Il nettoie d’abord les débris du vaisseau, car si on laisse la saleté s’installer, on ne peut plus la contrôler et on court à la paresse et au vice ! Le mensonge, l’affreux mensonge du paresseux montre alors sa tête hideuse, avant de ne faire qu’une bouchée du triste Paschic et de provoquer l’horreur de tous les Doms bien nés ! Paschic récure, balaie, range, se presse, tandis que le jour semble se lever mollement !

La mollesse ? Paschic ne connaît pas ! Il entreprend de déplacer un rideau de rocher, qui lui faisait de l’ombre, car Paschic ne doit pas se plaire à satisfaire sa sensualité, c’est le piège tendu par son égoïsme ! Si Paschic commence à l’écouter, il continuera à être ce Paschic détestable aux yeux de tous, si inutile à la société ! Voilà donc Paschic qui court, affairé comme jamais, infatigable ! Il soulève les rochers, transpirent, les pose ailleurs, évite de manger, car c’est une perte de temps, n’oublie pas ses ablutions, de réviser sa trigonométrie, puisqu’elle a tendance à rouiller ! « Et les langues étrangères ? » se demande Paschic !

Un peu plus tard, c’est l’anniversaire de notre « héros » et il s’efforce de faire un gâteau, avec une pauvre farine obtenue sur place, et il se prépare à marquer le coup, un petit peu par respect pour lui-même, quand il écrase subitement le gâteau ! « Tss ! Tss ! fait Paschic. Encore ce terrible égoïsme ! Ils avaient bien raison tous : je suis indécrottable, viscéralement mauvais ! Oh ! Comme j’ai été irrespectueux, à l’égard de la Machine ! Serais-je pardonné ? »

Et ainsi vont les jours ! Paschic pleurant, se maudissant, se brisant à force d’efforts, luttant contre lui-même, devenant son pire ennemi, se détruisant de toutes ses forces, de toute son âme, jusqu’au jour où, tremblant des membres, vidé, épuisé, il s’écroule, il tombe à même le sol ! Il n’en peut plus, sous le soleil noir de l’amertume ! La nature autour, cependant, paraît absolument indifférente à son petit drame ! Les oiseaux d’ici piaillent dans les buissons ! Des lézards se montrent, pour se chauffer ; des papillons volettent, mais Paschic ne bouge plus ! Il a une larme de cristal au coin de l’œil, et tout lui est égal !

« Il n’y a rien ! se dit Paschic. Il n’y a rien et tout n’est qu’indifférence ! Il n’y a personne pour soulager ma peine ! Le ciel est vide… et moi aussi ! Seul existe l’amertume, la tristesse ! Je suis abandonné… et sans doute est-ce de ma faute ! » Un grillon fait entendre son chant et c’est alors que Paschic repense à son atterrissage forcé et à sa vision ! Et s’il n’avait pas rêvé ? Et si son double lui avait bien injecté quelque chose ? Un poison, dont il serait la victime aujourd’hui ?

                                                                                                                      87

Le soleil brille sur la détresse de Paschic, qui ne peut plus se relever, qui ne le veut plus non plus, qui ne bouge plus ! Deux jours passent… Il faut pourtant boire, ne serait-ce que par habitude… et on ne meurt pas comme ça, en se laissant se dessécher…, ou en tout cas, cela doit prendre un temps infini, et Paschic s’ennuie déjà, il a besoin de passer à autre chose !

Il essaie donc de se mettre debout, en grimaçant et le voilà qui titube, jusqu’à sa gourde… Il boit un peu, la tête lui tourne et il s’efforce de retrouver son équilibre ! Il ne peut pas continuer comme ça, à se détruire, à se demander toujours plus, à se briser ! D’ailleurs, il ressent de nouveau cette vieille haine, à l’égard de la Machine, preuve que se sentir coupable auprès d’elle n’était pas vraiment sincère ! Il a bien été empoisonné… par son double ! La Machine a encore essayé de le détruire par ce moyen ! Elle a fait en sorte que Paschic continue lui-même à se trouver détestable, pour qu’il se combatte sans relâche, sans mesure !

Paschic boit encore une rasade et baisse la tête : il est le dindon de la farce, une farce sinistre, puisqu’il est empoisonné et que seule la justice pourrait apparemment le guérir ! La justice, l’antidote, elle est comme cette paille là-bas qui s’envole, dans un nuage de poussière ! « Comment se débarrasser de ce poison ? » se demande Paschic… Soudain, il voit son bras s’allonger comme un serpent, qui lui entoure le cou ! Paschic est étranglé par son propre bras et il veut s’en libérer ! Il tire sur son bras, en proie à l’épouvante : ne commande-t-il plus ses membres ? Il se met à crier, à courir et le bras serre encore plus fort ! Finalement, Paschic n’arrive plus à respirer et s’évanouit à nouveau !

Plus tard, la nuit est tombée et Paschic se réveille péniblement ! Très vite, il regarde son bras, qui lui paraît normal… Il le fait jouer et celui-ci répond parfaitement ! Que s’est-il passé ? Paschic n’en sait rien ! Est-ce encore l’effet du poison ? Ou bien est-ce le résultat de la folie ? Est-ce qu’à force de se démolir Paschic ne s’est pas perdu ? Il ferme les yeux… Comment peut-on souffrir autant ? Quelle solitude ! Quel désespoir ! Un oiseau chante quelque part et apaise Paschic… Il s’endort…

Le lendemain, il commence sa journée mécaniquement… Il lui faut manger, se laver… Il est toujours fatigué, mais il tente de réfléchir… Que peut-il faire pour quitter cette planète ? La navette est inutilisable et apparemment on ne peut compter que sur un vaisseau de passage… Mais peut-être qu’il y a des habitants au-delà de ce désert ? Il serait alors nécessaire de tout abandonner ici et de se mettre en marche, avec le risque de ne rien trouver !

Paschic a un sourire amer : comment peut-il songer à partir en expédition, alors que rien que de tenir debout lui demande toute son énergie ? Il a juste la force de se sustenter, avant de se recoucher ! Il n’est plus qu’une épave, et dès qu’il ne se ménage plus, qu’il croit qu’il a fait des progrès, il est repris par de violentes angoisses, qui lui font imaginer toutes sortes de choses ! Par exemple, hier, il s’est mis en tête d’escalader une colline et brusquement, il a eu l’impression que le sol ondulait sous ses pieds, qu’il était pris dans un torrent ! Il a dû rentrer presque à quatre pattes, en demandant pitié !

Non, il vaut mieux juste assurer le quotidien, se montrer patient et dormir… Oh ! Dormir ! Ce soi, il pleut… et comme c’est doux pour Paschic ! Chaque goutte qui tombe est un sanglot tintant ! qui semble produire l’oubli et le sommeil ! Paschic écoute et finalement s’endort, bercé !

Les jours passent… Entre les crises, Paschic observe… Un oiseau ici, une mousse par-là… Le temps n’a plus d’importance, puisque s’énerver, se révolter conduit à un retour en arrière, aux souffrances qui anéantissent Paschic ! Il doit d’abord apprendre à ne plus avoir peur, à ne plus s’inquiéter, car c’est cela qui rend impatient, nerveux, agité ! Ce n’est pas une mince affaire, quand on est sans forces, incapable de se défendre ! Mais Paschic n’a pas le choix : la leçon est sans appel !

Une année s’écoule, puis deux, puis trois… Paschic ne le sait pas, mais il va rester là plus de dix ans ! avec quand même des progrès petits, mais constants ! C’est une lente rééducation, qui fait prendre conscience de la puissance et de l’ampleur du poison inoculé par la Machine ! alors qu’elle n’est même pas entièrement responsable ! Non, elle est aveuglée par sa domination ! Elle vit dans un monde uniquement régi par son pouvoir, ce qui fait qu’elle ne supporte aucun obstacle et quand malgré tout elle est inquiétée, elle réagit avec une fureur extrême, dépassant toute mesure, comme un animal fou qui serait attaqué !

Bien sûr, ce n’est pas pardonnable, mais ce n’est pas lucide non plus ! La Machine ne sait pas où elle est, c’est tout ! Son grand tort est de ne pas essayer d’explorer l’inconnu, de comprendre la différence, car elle serait contrainte de laisser là sa domination, son orgueil ! Elle n’a confiance qu’en elle et c’est ce qui la perd et la conduit à écraser et détruire tous ceux qui semblent la menacer !

 
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