L' attaque des Doms (73-77)

  • Le 23/11/2024
  • 0 commentaire

R60

 

 

             "Il y a bien la voiture du jardinier, mais..."

                                                Rio ne répond plus

 

                                        73

Il y a de l’agitation dans Domopolis, un mouvement de foule ! La cause ? Un Dom transformé par la Chose ! On le regarde avec crainte et horreur et il est vrai que le bonhomme a une drôle d’allure ! C’est au vrai un arbre vivant ! Son corps est devenu un tronc et ses bras des branches ! C’est un arbre sans feuilles, un arbre d’hiver ! D’ailleurs, il s’essuie le nez souvent, comme s’il était enrhumé !

« Oui, dit-il, j’ai été dans la Chose et j’en reviens !

_ Dans quel état tu es ! s’exclame une Dom.

_ Quoi ? Tu n’aimes pas ma nouvelle apparence ? Moi, je la trouve très seyante !

_ Pouf ! Tu te moques de moi !

_ Non, regarde mes lichens… Ne sont-ils pas d’un beau vert ? Ils sont presque bleus ! Et mes rides ? N’indiquent-elles pas un passé vigoureux ?

_ Comment peux-tu dire de telles bêtises ? s’indigne un Dom. Tu es maintenant un monstre !

_ Comme tu me juges mal ! La Chose m’a ouvert les yeux ! Elle m’a montré les prairies gonflées d’eau et ses perles blanches ! J’ai suivi le lit marron de la rivière et ses glouglous, tels des yeux étonnés ! J’ai aimé le tapis amarante du chemin creux, dont seul le merle trouble le silence ! J’ai vu le houx s’illuminer pareil aux cierges ! Je connais la bruyère craquante !

_ Suffit ! Tu es fou !

_ Tu effraies les enfants en plus ! renchérit la Dom.

_ L’abandon, l’attente, le vide m’ont rempli et je reviens vous parler !

_ De quoi ? De la crise actuelle ? Tu es venu nous expliquer comment finir les mois ?

_ Non, j’ai bien plus à donner ! Un véritable trésor !

_ Donne ! Envoie la monnaie !

_ Il ne s’agit pas d’argent, mais de la beauté ! C’est elle le trésor !

_ Tu continues à te moquer de nous !

_ C’est la beauté qui va mettre des légumes dans la soupe ? coupe un autre Dom.

_ Exactement !

_ Pfff !

_ Sortez le clown !

_ La beauté a un secret ! Je suis le Dom hiver et je connais maintenant ce secret !

_ Et comment la beauté pourrait-elle nous aider ?

_ Son secret, c’est qu’elle est infinie en tout point ! Regardez les trous dans mon tronc… Ils sont noirs d’ombre, mais même cette nuit est belle ! Regardez cette ombre, comme elle est traversée par le voile bleu de la toile d’araignée ! Un souffle et la voilà qui frissonne !

_ Sornettes !

_ C’est nous que tu gonfles !

_ Si vous comprenez que la beauté est infinie, alors vous pouvez croire et vous pouvez aimer, au-delà de vos haines et de vos peurs ! Vous pouvez avoir confiance ! C’est la joie que je vous apporte, le pain de vie !

_ Mais qu’est-ce que tu veux à la fin ?

_ Vous ne vous rendez pas compte ? Le Dom hiver est là pour saper nos institutions ! C’est notre ennemi, un ennemi de l’ordre ! Il veut nous distraire de nos souffrances, alors que nous savons pertinemment qui sont les responsables !

_ Ouais, ouais, c’est le gouvernement

_ Et les étrangers !

_ Et les riches !

_ Ouais !

_ C’est là notre malheur !

_ T’es encore là, le Dom hiver ?

_ Qu’on le brûle ! Qu’on le coupe et qu’on le brûle !

_ Ouais, ouais, tous des salauds !

_ Je pourrais vous apaiser, vous aider ! Je vous demande d’abord de contempler… et d’aimer ! Vous aurez la source de vie !

_ Haine aux exaltés, aux faux prophètes !

_ Haine à ceux qui ne nous respectent pas ! aux profiteurs !

_ Une hache ! Une hache pour découper le Dom hiver ! »

                                                                                                                 74

Il crachine sur Domopolis et c’est comme un brouillard apaisant ! La fraîcheur se mêle au rêve… Là-bas, dans la Chose, les rubis et les émeraudes des feuillages se sont tus… La veille, des rayons les faisaient étinceler, dernière fête avant l’hiver ! Les candélabres s’éteignent les uns après les autres ! Et que dire encore des grands pins, dont la cime produit le bruit de la mer et de leur tapis d’aiguilles rouges ? Que leurs longs tronc gris ont des coulures de sève, comme les cierges ? Et que dire de la terre sombre, qui attire les oiseaux au blanc bleuâtre ?

Il y a des lumières dans le ciel qui sont incomparables ! C’est un jeu entre le mauve des nuages et le jaune des rayons ! C’est un spectacle envoûtant, d’une incroyable gratuité ! C’est un don d’une infinie richesse, qu’il y ait des yeux pour le voir ou non ! C’est là, irrépressible ! La beauté pousse incessamment !

Mais que font les Doms ? Ils s’inquiètent bien entendu ! Ils se mettent colère, s’impatientent, cherchent à mordre ! Ils haïssent ou désirent violemment, tellement c’est en désordre chez eux ! L’oubli du crachin est pourtant là ! Le manteau de la pluie suggère le sommeil, le repos : ça tombe doucement…, sans fin ! Les cyprès ont une odeur à eux, très forte, résineuse et leur fruit est une petite balle à écailles, presque carrée ! Il y a bien sûr le travail, les horaires, mais écoute-t-on la Chose ? Essaie-t-on de la comprendre ? Veut-on s’en nourrir ? Mettons-nous à profit notre temps libre, pour aimer la Chose et même lui demander des comptes ?

Non, tout cela n’intéresse pas le Dom ! Parce que cela ne concerne pas sa domination ! C’est son ego qui lui donne chaud et le rassure ! Est-il aimé par ses proches ? Est-il supérieur à un tel ? Qu’est-ce qu’il a dit à machin ? Il l’a mouché ? Parfait ! Le Dom parle du Dom et s’il va dans la Chose, c’est encore pour parler du Dom ! A peine regarde-t-il autour de lui ! La chose lui demeure étrangère ! Elle parle aussi pourtant…

Qu’est-ce qu’il y a de plus doux que certaines herbes ? Les flaques sont des morceaux du ciel ! Cependant, sur la place de Domopolis, le Dom hiver continue de discuter avec ses concitoyens… Il interpelle un enfant : « Eh, toi, tu as déjà vu un merle ?

_ Oui…

_ Tu as vu comme il est tout noir… Il est invisible parmi les feuilles ! Tu as vu comme il gratte les feuilles, pour trouver sa nourriture ? Tu as vu avec quel plaisir il mange les petits fruits rouges ? Tu as vu comment il a toujours l’air fâché ?

_ Oui, c’est rigolo !

_ Eh là, s’écrie une Dom, tu n’ s’rais pas en train de pervertir notre jeunesse, par hasard ?

_ Mais non ! réplique le Dom hiver. Les enfants comprennent ce que je dis, mais pas vous !

_ Eh, c’est qu’on n’est plus des enfants nous ! rétorque un Dom. On a des responsabilités, des traites à payer !

_ Oui, pour votre plaisir…

_ Hein ?

_ Oui, la grosse voiture, c’est pour votre plaisir !

_ Mais c’est aussi par né… !

_ Eh ! s’exclame un autre Dom. Le crachin est empoisonné ! Regardez ce qu’il a fait à mes vêtements, ils sont troués !

_ C’est un piège de la Chose ! Elle essaie de nous avoir avec une pluie acide !

_ Mais non, fait le Dom hiver. Tendez plutôt vos visages vers la fraîcheur !

_ Sauve qui peut !

_ Au secours ! »

En un rien de temps, la place est abandonnée… Le Dom hiver reste seul sous la pluie fine…, qui blanchit les environs… Là-bas, sans doute, il y a le fantôme de l’espoir…, qui attend…, avec la clé d’une sagesse perdue ! Une vieille Dom est toujours là aussi, infirme… Elle a du mal à marcher et le Dom hiver s’en approche : « Attendez, je vais vous aider ! » Il soutient la vieille, qui balbutie, puis qui finalement se calme… « Ils sont tous partis ! dit-elle.

_ Oui.

_ La pluie n’est pas acide...

_ Non.

_ Nous sommes bien fous !

_ Oui. »

                                                                                                               75

La tempête fait rage dans Domopolis ! Le vent hurle dans les rues, que noient des trombes de pluie ! Les lampadaires tremblent, grincent, des fenêtres claquent, des choses s’envolent ! « Tu entends ? fait une Dom à son mari, alors que le couple est couché.

_ Ben, j’entends le vent ! Ça souffle, quoi !

_ Non, on dirait que quelqu’un crie dans la rue ! »

Le mari tend l’oreille et effectivement, il perçoit une voix qui dit : « Je suis le Dom tempête ! Ah ! Ah ! Je suis le vent et la nuée ! Je suis la fureur et l’oiseau qui plane triomphant !

_ Un fou sans doute ! fait le mari.

_ J’ai peur tu sais ! J’ai l’impression que c’est la fin du monde !

_ Mais non, rendors-toi !

_ je suis le Dom tempête ! Ah ! Ah ! Je suis la nuit et la sauvagerie ! Ah ! Ah ! J’ai été dans la Chose et j’ai vu la vague immense ! Je hurle comme le vent ! Je file comme la nuée ! Je suis le temps gris et bouché ! Je suis la dent blanche de l’écume, la dent dévorante ! Ah ! Ah !

_ Monsieur, monsieur, on peut parler ? »

C’est Lapsie, en compagnie de Ratamor, qui intervient. Ils ont été envoyés en mission par Dominator, qui leur a dit : « Il paraît que des Doms reviennent de la Chose… et qu’ils ont été transformés par elle ! Je crains qu’ils ne soient devenus fous ! Je voudrais que vous enquêtiez là-dessus et que vous preniez les mesures nécessaires ! »

Ainsi, Ratamor et Lapsie sont partis en chasse, même en cette nuit affreuse ! Et ils ont trouvé un Dom qui apparemment revient de la Chose et qui en plus se nomme lui-même le Dom tempête ! « Je peux vous aider, assure Lapsie. Je suis psychologue ! Je peux soulager votre souffrance ! Vous pouvez tout me dire !

_ Hein ? Je suis le Dom tempête ! C’est moi qui oublie dans la fureur de la mer ! C’est moi qui me régénère dans la puissance du vent ! Ah ! Ah ! C’est moi qui commande les anneaux de sable, qui fuient comme des cheveux ! C’est moi encore le silence, à l’abri du buisson !

_ Bien sûr ! Écoutez, ce qu’on va faire, c’est qu’on va trouver un café ouvert ! Hein ? Et là, au chaud, on va prendre une boisson réconfortante ! Et on pourra parler tranquillement ! Parce qu’ici ça mouille… et il fait froid !

_ Parler tranquillement ? Bavasser, vous voulez dire ! Vous ne savez faire que ça ! Bavasser !

_ S’expliquer alors ! Vous ne pouvez pas continuer à crier comme ça dans la rue, la nuit ! Vous effrayez les gens !

_ J’aimerais vous embrasser, vous serrer dans mes bras !

_ Je ne pense que cela soit nécessaire… D’après le code 4B Orimop de la psychologie, il est dit que… »

Mais Lapsie n’a pas le temps de finir ! Le Dom l’entoure de ses bras et c’est comme si elle était aspirée ! Elle sent d’abord une forte odeur de varech, puis des vagues viennent sauter devant ses yeux, comme des dents qui tremblotent ! Elle veut retrouver sa respiration, mais là voilà dans le ciel en train de jouer avec les rafales du vent ! Elle monte, monte, puis chute, en cassant ses ailes ! Elle est pleine de la puissance des éléments ! Surprise, elle se laisse prendre, puis elle se met à rire… à rire !

« Ah ! Ah ! fait -elle.

_ Ah ! Ah ! » l’imite le Dom.

Ils rient tous les deux et se mettent à danser ! « Mais vous êtes dingues ! s’écrie Ratamor. Lapsie, voyons, revenez parmi nous ! Soyez raisonnable !

_ Y a encore plus fort ! » lance le Dom tempête à Lapsie et il lui montre comment on peut sauter sur les crêtes du clapot ! « C’est comme des aiguilles ! s’exclame Lapsie. Ça picote ! Qu’est-ce c’est rigolo !

_ Hi ! Hi !

_ Bon sang, mais arrêtez tous les deux ! réplique Ratamor. Je vais être obligé d’appeler une ambulance.

_ On est les Doms tempêtes ! chantent maintenant en chœur Lapsie et le Dom. On revient de la Chose ! On est transformé ! Nous sommes des laminaires qui se tordent ! Hi ! Hi !

_ Tant pis ! Vous l’aurez voulu ! J’appelle les secours ! »

                                                                                                                   76

Un vieux plant de maïs desséché soupire… Il est dans la Zone… La Zone, c’est la partie entre Domopolis et la Chose, la partie cultivée ! cultivée par les Doms ! De temps en temps, ils passent au-dessus des champs avec leur vaisseau et pulvérisent des produits… On les appelle les Doms agris ! Autrefois, ils étaient plus heureux, plus respectés aussi ! Le travail était dur, mais ils comprenaient encore le Chose, l’admiraient, discutaient avec elle ; ils connaissaient sa valeur ! Mais le temps passant, ils ont fini par subir le changement de Domopolis, qui s’est complètement détachée de la Chose, dont les Doms se sont de plus en plus concentrés sur eux-mêmes et leur domination !

Les Doms agris eux aussi ne respectent plus la Chose, ne la voient plus que comme une source de profit, sous l’angle du rendement ! Ils n’ont même plus de contact avec la terre, à bord de leur vaisseau ! Ils ont oublié combien la Chose est simple et généreuse, à force de la manipuler et de la traiter de toutes les façons ! Maintenant, ils effectuent mornes leurs récoltes, comme si leur vie n’avait plus de sens ou que Domopolis les avait trahis, après leur avoir commandé tant de changements ! En fait, leur mal-être reflète celui des Doms ! Plus près de la Chose, ils montrent toute l’ambiguïté de Domopolis, qui doit bien sûr se nourrir, mais qui en même temps ne veut plus entendre parler de la nature ! Les Doms en effet croient en leur autarcie, qu’ils n’ont plus besoin de la Chose ou qu’elle est juste là pour les servir, tellement ils trouvent normal désormais d’avoir leurs assiettes pleines ! Les Doms agris paient cette indifférence et cette illusion !

Le vieux plant de maïs est pris d’une toux, puis, pour se calmer, il prend sa bouffarde… et d’autres plants l’imitent à côté ! On fume calmement, sous la lune… et le vieux plant commence à parler : « Je me souviens d’une autre époque… Alors, on n’avait pas les pieds nus ! On poussait avec d’autres herbes et elles nous tenaient chaud ! Aujourd’hui, regardez, le sol est vide ! Pas une herbe n’y pousse, car il est traité au maximum ! Quelle tristesse, car avec les herbes, il y avait des tas d’insectes colorés, qui nous amusaient !

_ Tu as raison ! fait un autre plant. J’ai connu cette époque moi aussi ! Et c’était le bon temps ! Il y avait encore des talus, de la fraîcheur en été et de la douceur en hiver, puisque les talus arrêtaient le vent ! Ah ! Comme on était fier, jeune et fort ! »

Une brise passe, faisant bruire tous les vieux bras des maïs ! « On pourrait retrouver notre gloire d’antan ! reprend le plus âgé des plants.

_ Qu’est-ce que tu veux dire ? demande un autre.

_ Je parle d’un baroud d’honneur…, d’une dernière attaque, d’un dernier assaut ! pour retrouver notre vigueur perdue !

_ Eh ! Eh !

_ Mais tu songes à quoi exactement ?

_ Mais à nous venger de ceux qui nous ont tués ! qui nous ignorent aujourd’hui totalement ! de ceux qui n’ont pas cessé de nous dire : « Poussez comme ça ! Non, soyez plus nombreux, plus grands, plus épais ! », qui ont ordonné de nous faire boire plein de cochonneries et qui à présent se moquent de ce que nous devenons, de ceux qui nous exploitent comme des esclaves !

_ Eh ben, dis donc l’ancien, je ne savais pas que tu en couvais autant ! Mais je suis d’accord avec toi !

_ Moi aussi !

_ Moi aussi ! entend-on dans tout le champ.

_ Bien ! Alors, c’est pour cette nuit ! Je propose de marcher vers Domopolis et de montrer aux Doms qui nous sommes !

_ Ouais, ouais !

_ Ouais, il a raison le vieux ! »

Les plants de maïs se mettent alors à sortir leurs pieds de la terre et font apparaître leurs racines ! Oh ! Il faut voir cette troupe, cette armée même qui s’ébranle ! On dirait de vieux squelettes jaunis, tremblants et secs, mais c’est la dernière charge et tout le monde en sera ! On prend la route de Domopolis, le royaume méprisant de la domination ! Les premiers Doms, qui voient ces silhouettes, ses épis dressés, aux feuilles grinçantes et blanchies, prennent peur évidemment et l’alerte est donnée ! Bientôt, c’est l’affrontement, avec les forces de l’ordre ! Des policiers sont saisis et jetés par ces tiges encore solides, mais les Doms possèdent des armes et le feu !

Au matin, on découvre le carnage ! Tous les plants ont été tués et jonchent le « champ de bataille » ! Mais qu’importe ! C’était la dernière charge et ils sont morts en héros !

                                                                                                                77

Domopolis fume, s’inquiète, s’agite, pense et pense, débat, s’énerve, se révolte, se met en colère, saigne, hurle ! Voyant cela, le soleil en a pitié ! Il décide de se rendre à Domopolis, pour rassurer ses habitants ! Il met dans sa valise quelques joyaux, comme des feuilles émeraude ou des perles de rosée ! Puis il part et se déplace avec beaucoup de couleurs, puisqu’il commence par peindre les nuages de tons oranges ! Mais Domopolis ne semble pas y faire attention et il est vrai qu’il faut courir, pour gagner sa vie ! C’est le travail, qui est représenté par le trafic, qui s’allonge comme une chenille agressive !

Mais ce n’est pas le plus grave : l’actualité est brûlante ! Combien n’ont pas le couteau sous la gorge ? Combien n’ont pas faim ou meurent sous les bombes ? Les Doms sont en colère : ils crient à la trahison ! Ils font des barrages dans la ville, saccagent des magasins, parlent et parlent encore, crient ! On leur a pris leur pieds, l’enfant qu’ils tenaient chaudement dans les bras ! Certains poursuivent même leur tête que l’État a tenté de voler ! Le soleil ne sait pas quoi faire ! Il est là, avec sa petite valise, mais tout le monde s’en moque et a bien d’autres problèmes ! Le soleil sort quand même ses merveilles et fait briller ses feuilles, ses nuages et sa rosée, mais le résultat est le même : il a l’impression de se retrouver en plein sur un champ de bataille !

Un poète, qui passe par là, le reconnaît, mais tout de suite l’invective ! « Tu n’as pas honte ? crie le poète.

_ Hein ? Quoi ? fait le soleil interloqué.

_ N’essaies-tu pas de nous faire croire au bonheur ? N’essaies-tu pas de nous faire croire que le Ciel n’est pas vide, que nous ne sommes pas seuls et que la vie ne se termine pas par la mort ?

_ Ma foi, loin de moi de vous vouloir du mal ! Tiens, par exemple, je fais mûrir les épis, pour que vous ayez du bon pain chaud ! Hein ?

_ Encore un de tes tours ! Encore une de tes illusions ! Nous pourrions effectivement nous réjouir de tes bienfaits, mais ce serait nous tromper ! Ton éclat est faux et n’effacera pas la mort, ni notre solitude, ni notre malheur ! Car nous en bavons, crois-moi !

_ Tu veux dire que tu as peur d’être pris pour un gogo, c’est ça ? Regarde, j’ai apporté des feuilles émeraude, des perles de rosée et mes nuages orangés ! Hein ? La classe, non ?

_ Supercheries, mirages, impostures ! L’ombre est l’ombre ! Nous sommes seuls, mais nous serons d’airain ! Nous aurons le courage d’affronter la mort, sans l’aide de Dieu, sans ce rêve trompeur !

_ Faut que je remballe tout, c’est ça ? Mais la situation ne serait-elle pas pire ? Un peu de chaleur, ça fait du bien ! Je réjouis les enfants, n’est-ce pas ! Laisse-moi les faire rire et les enchanter ?

_ Il faudra bien qu’ils pleurent eux aussi ! Un jour ils seront grands !

_ Et ils s’agiteront en vain, comme tous les Doms ici ! Que cherchez-vous ? Que voulez-vous ? Qu’est-ce qui pourrait vous rassurer ? Pourquoi ne m’aimes-tu pas plus ? Si tu me regardais avec simplicité, avec amour, tu serais plus tranquille… et les Doms aussi !

_ Excuse-moi, mais j’ai à faire…, une élection à l’Académie, un discours…

_ Ah ! Nous y voilà ! Le sentiment de ton importance ! Voilà ta chaleur, ton moyen de chauffage ! Ton amour-propre ! Ton esprit ! Et c’est bien naturel, vous, les Doms, avez été dotés d’une pensée… et il vous faut donc l’exercer ! Ceci explique toute votre agitation et votre énervement, car vous avez soif de reconnaissance ! tandis que que moi apparemment, sur ce plan-là, je suis vide et ne vous apporte rien ! Ce n’est pas vrai ?

_ Hum ! Tu n’as pas tort : la nature nous paraît vide !

_ Et ma beauté aussi ? Je ne suis pas seulement utile, pour faire pousser les plants, mais j’embellis tout ce que je touche ! Ma beauté devrait aussi vous rassurer, elle devrait vous faire sentir combien vous m’êtes chers et importants !

_ Je ne comprends pas…

_ Non, tu préfères ce qui est immédiat, l’avis de tes confrères, un bon déjeuner, etc. ! La patience et la simplicité, ça demande des efforts ! ça demande de grandir, de la confiance et de calmer son ego ! Et là, plus personne !

_ Bon, ben, c’est pas que tu m’ennuies, mais faut qu’ je file !

_ Va, va, je vais rester là, car sans moi, ce serait la nuit et la mort ! »

Le soleil en effet reste là, dans le bruit et le vacarme ! Il est là devant ses valises ouvertes et présente ses feuilles émeraude, ses perles de rosée et ses nuages oranges ! Seul un oiseau furtif en profite ! Mais le soleil est patient, il a tout son temps… et il se met à siffloter une vieille chanson !

 
  • Aucune note. Soyez le premier à attribuer une note !

Ajouter un commentaire