L' attaque des Doms (130-134)

  • Le 22/03/2025
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R74

 

 

                "Simon est de retour à la maison!"

                                      Code Mercury

 

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     Paschic arrive dans un territoire psychique bien inquiétant… Cela commence par des squelettes, qui émergent du sable et qui semblent toujours crier, avec leur bouche ouverte ! Puis, viennent des monceaux de cadavres, les un sur les autres, comme épuisés, anéantis ! Enfin, ce sont des gémissements, des pleurs de gens accablés, désespérés ! Paschic se gratte la tête : où est-il ? Pourquoi cette vision de cauchemar ?

Il lève alors les yeux et découvre un mur gigantesque, qui s’élève jusqu’aux nuages ! C’est donc au pied de ce mur que tant viennent échouer et mourir ! Ils ne peuvent aller de l’autre côté, pour trouver de l’eau et de la nourriture ! Et ils sont dans l’impossibilité de faire demi-tour, car ils n’ont plus de force ! Leur errance, avant d’arriver là, a déjà été sans doute sans fin et torturante ! Certains montrent de vieilles blessures, des infirmités et restent prostrés, devant la masse du mur !

Paschic a l’air en forme, par rapport à tous ceux qui l’entourent, et il décide d’attaquer le mur, d’en faire l’ascension ! Bientôt, il trouve du matériel : pitons, cordes, chaussures et il s’approche de la paroi... « Beaucoup d’autres ont essayé et ils ne sont jamais revenus ! lui fait un vieillard à côté.

_ Je sais, répond Paschic. Mais moi, c’est différent ! Je suis un agent de la Chose et rien ne peut m’arrêter !

_ Un agent de la Chose ?

_ Ce serait trop long à t’expliquer, l’ami ! Souhaite-moi seulement bonne chance ! »

Paschic commence son escalade, sans peine, car il a l’habitude de ce genre d’obstacles, mais à la fin de la journée, il est plus soucieux : « C’est comme si le mur s’élevait, à mesure que je grimpe ! se dit-il. Si c’est vraiment le cas, je vais avoir un problème! »

A la nuit, il s’installe dans son hamac et il regarde les étoiles, que le mur ne parvient pas à cacher ! Pourtant, son regard revient toujours au faîte du mur, apparemment glacé et même menaçant! A l’aube, il reprend son ascension, mais il est soudain attaqué par des femmes à demi-folles, qui sortent du mur ! Elles sont en furie, hors d’elles, se prenant les cheveux dans les mains ! Elles insultent Paschic, tout en essayant de lui donner des coups de pieds ou de le griffer ! Elles sont odieuses et crachent du poison : un liquide noirâtre et nauséabond !

Paschic est obligé de se défendre et il attrape une des femmes, en lui serrant le cou, jusqu’à l’évanouissement ! Puis, il la lâche et elle tombe, vertigineusement, au pied du mur, qui est si bas qu’on le distingue à peine ! A cette vue, les autres femmes s’arrêtent, grondent, murmurent et finalement, elles poussent une longue plainte, lugubre, sinistre, qui a l’air d’un appel !

A côté de Paschic, le mur se descelle et un guerrier gigantesque s’en extrait ! On l’a dérangé ! On le lit sur son visage et on comprend qu’il sera sans pitié ! Il donne des coups, destinés à écraser Paschic, qui se balance de droite à gauche ! Il n’est pas possible de continuer une telle lutte et Paschic se laisse glisser sur sa corde, pour redescendre ! Dix fois, il manque de finir sous le poing d’acier ! Il ne fallait pas importuner le guerrier et là-bas, les femmes harpies regardent la scène, avec satisfaction, comme si elles étaient vengées de quelque affront insupportable !

Jamais Paschic n’est allé aussi vite ! La corde lui brûle les doigts, les jambes ! Le mur résonne des coups sourds et tremble ! Enfin, Paschic se laisse tomber sur le sol, alors que plus haut enfin le calme revient ! Paschic n’est-il pas en effet vaincu ? Il a osé se croire meilleur que le mur, il s’est imaginé pouvoir le dépasser, et le voilà roulant dans la poussière, comme tous les autres ! Il n’a plus qu’à assimiler son échec maintenant !

«  Je te l’avais dit ! lui jette le vieillard. Nul ne peut vaincre le mur !

_ Tu as raison l’ancien : le mur est vivant et il se défend ! En fait, j’ai l’impression que s’il se laissait vaincre, il s’écroulerait immédiatement !

_ Il n’y a pas d’espoir !

_ Pourquoi dis-tu ça ? Le mur est le mur, c’est entendu, mais qu’est-ce qui nous empêche de l’ignorer ? Le mur a besoin de nous, mais pas l’inverse !

_ Et qui va nous nourrir, nous rendre justice, veiller sur nous ?

_ Mais moi ! ou plutôt la Chose que je sers ! Venez avec moi, je vous parlerai et vous apprendrez à vous moquer du mur ! »

Des gens autour, malgré leurs blessures et leur affaiblissement, tendent l’oreille et se mettent sur leurs jambes, avant de suivre Paschic ! « Je vous apprendrai à rire du mur ! continue à crier Paschic. Je vous apprendrai à le voir ridicule et malheureux, car c’est ce qu’il est ! »

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      Paschic souffre toujours de son passé ! Il a beau être plus sûr de lui, il a des douleurs qui témoignent de ses combats précédents et de la destruction qu’il a subi ! Notamment, la peur chez lui a causé une inflammation chronique du côlon, appelé intestin irritable ! A force de stress, les contractions coliques sont devenues trop fortes ou mal synchronisées et si les examens ne révèlent rien d’alarmant, les effets de cette affection n’en sont pas moins sérieux, voire redoutables ! Ce sont des insomnies, une fatigue chronique, de la dépression, des problèmes pour se nourrir et même l’obésité peut paraître une manière de soulager les maux, car la nourriture semble calmer le désordre nerveux de l’intestin !

C’est pourquoi Paschic, comme tant d’autres Doms, a gonflé jusqu’à faire le double de son poids et que le chemin, pour retrouver la ligne, est long et dur ! Il n’est pas possible sans faire la paix avec soi-même ! On ne peut pas vraiment maigrir, si on continue d’avoir peur, car les maux du côlon restent tout aussi vifs ! Le stress est éminemment destructeur et l’intestin irritable, comme d’autres « maladies », ne peut que se répandre, touchant de plus en plus d’individus, puisque l’anxiété est le lot de notre époque sans repères !

Mais ce n’est pas seulement une affaire personnelle ! Ce n’est pas seulement à l’individu de reprendre confiance en lui-même et de s’apaiser, mais c’est le fonctionnement général des Doms qui est à considérer, à comprendre et à changer ! Car tant que nous nous « nourrissons » de la domination, il nous faut des victimes, qui nous rassurent sur notre valeur et notre supériorité ! C’est-à-dire que nous broyons et méprisons des gens, pour échapper à nos propres peurs ! Nous nous servons des autres, pour nous faire croire que nous arrivons parfaitement à vivre et en tout cas mieux que les autres !

Que se passe-t-il alors pour ceux qui sont blessés, détruits, écrasés, pour les faibles ou les doux ? Mais à eux la peur et les chagrins bien entendu ! à eux les désordres nerveux, les inflammations, les douleurs ! pendant que les plus forts paradent et triomphent ! Mais pas pour longtemps ! Eux également finissent par succomber sous la botte d’un plus fort, etc. ! On est dans une impasse, car nous nous méprisons et nous nous piétinons les uns les autres ! C’est une chaîne sans fin ! Ainsi, pour calmer ses angoisses, la Machine a anéanti Paschic, l’a traqué dans les moindres recoins, parce qu’il s’est retrouvé malgré lui, encore enfant, tel un obstacle sur sa route ! Notre logique nous condamne, puisque plus nous sommes inquiets et plus nous voulons vaincre l’autre ! Nous sommes nous-mêmes à l’origine des maladies nerveuses, qui nous accablent ! Elles viennent de notre mépris !

C’est donc la domination qui est à bannir ! Il nous faut une autre raison de vivre que celle de nous sentir supérieurs au voisin ! C’est tout le sentiment de notre réussite qui est à remettre en question ! Car, rappelons-le, dominer ne guérit pas les peurs ! d’autant que ceux qui sont dominés ont droit eux aussi à une vie propre et qu’ils cherchent leur totale indépendance ! C’est pourquoi encore le Dom, qui voit qu’on lui échappe, devient monstrueux, car la liberté du dominé le renvoie à ses peurs, qu’il juge insupportables, terrifiantes ! Le Dom peut alors essayer de détruire de toutes ses forces, voire de tuer !

Mais comment arrêter de vouloir dominer ? Comment se sentir en sécurité, sans pouvoir, ni domination ? Car ce n’est qu’à ce prix que nous pouvons regarder sereinement les choses ! Encore nous faut-il un peu de sécurité, avant de respecter les autres, de voir leurs différences ! Sinon c’est l’égoïsme qui nous conduit aveuglément ! Mais où puiser la force de ne plus dominer ? de nous regarder en face, sans nous croire le chef ou le caïd de l’endroit ? Comment nous tenir sur nos jambes, en prenant conscience que nous ne sommes pas le centre du monde, ni que nous avons le droit de mépriser notre prochain ?

Ce sont ces questions que nous devrions nous poser, mais au contraire nous nous enfonçons dans notre domination ! Nous ne faisons que suivre notre instinct animal, sans soucis de l’histoire ou de l’expérience ! Nous avons recours aux nationalismes, au repli sur soi et au rejet de la différence, ce qui crée une situation favorable à la guerre ! Nous nous fermons sur nous-mêmes, construisons des murs, persuadés que nous serons protégés ! Nous nous confions naïvement à des dictateurs, comme s’ils étaient des parapluies chaleureux et altruistes ! Nous misons sur l’égoïsme et cultivons nos haines ! Nous continuons à vouloir être les plus forts et méprisons les plus faibles !

Pire, nous ne cessons de détruire la nature et sa beauté, qui est pourtant le seul marchepied permettant d’échapper à la domination ! Nous mettons une sorte de rage à clouer notre cercueil, car rien que le fait de rester tranquilles nous angoisse ! Les maladies nerveuses nous rongent, bien plus que nous l’estimons, et réduit à néant le confort de notre civilisation ! Nous souffrons sans vouloir les remèdes !

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      Les Doms ne sont pas tendres avec les jeunes, car leurs peurs les guident ! On presse l’enfant, on lui fait craindre l’avenir et l’échec ! Les résultats doivent suivre et l’enfant est contraint très vite de choisir sa filière, un métier, etc. ! Tout le poids du monde moderne, son stress, son asphyxie même, car nous sommes incapables de nous regarder en face, ni de nous parler normalement, lui pèsent sur les épaules ! Il sue déjà et ne semble heureux qu’avec son téléphone ! Par bien des côtés, il ressemble à un esclave, qui paye la lâcheté de son maître et son ambition ! Comme la domination ne permet pas de comprendre la vie, le Dom attire l’enfant dans sa frénésie, son flot d’inquiétudes, sa peur du monde extérieur !

Plus le parent Dom est attaché à l’effet qu’il a sur les autres, à sa position sociale et à son sentiment de supériorité et plus l’enfant est discipliné, corrigé, surveillé, étouffé ! Il est comme dans une caserne, avec un entraînement militaire, le reste du monde constituant une menace ! C’est ce qui est arrivé à Paschic, sous l’autorité de la Machine ! Mais qu’est-ce qui a fait qu’il s’est opposé à la Machine ? Pourquoi n’a-t-il pas été soumis et cédé complètement à la peur ?

C’est une individualisation particulière, qui a permis à Paschic d’avoir une notion précoce du bien et du mal, du mensonge et de la vérité ! Car le Dom vit non seulement dans l’ignorance, mais encore grâce à l’hypocrisie ! Il nie absolument ses plaisirs, ce qui lui donne la possibilité de se voir comme bon, remplissant ses obligations et à même d’en demander autant aux autres ! La réalité est pourtant toute autre ! Le Dom satisfait en premier lieu son orgueil et son égoïsme, quitte à mépriser tout le monde !

Toujours est-il que Paschic très tôt a trouvé une forte opposition entre la beauté, le calme de la nature et l’agitation et la méchanceté des Doms ! C’est la nature qui a conforté Paschic dans sa position, son combat ! C’est la beauté qui lui a fait comprendre qu’il existe autre chose que la malhonnêteté, l’aveuglement et la folie des Doms ! Elle a été et reste son guide, tandis que le Dom se raccroche désespérément à sa domination ! Car le Dom ne supporte pas qu’on s’affranchisse de la condition d’esclave, qui est la sienne ! Le Dom est soumis et il veut que tout le monde le soit ! Il y a une hiérarchie et le Dom veut que chacun y trouve sa place, parce qu’ainsi il peut exercer sa domination sur un certain nombre, même si lui-même courbe l’échine devant ceux qui sont au-dessus ! Le Dom est un raté, qui demande à ne voir que des ratés !

Le Dom, qu’il soit un homme ou une femme d’ailleurs, exècre la Lumière et la liberté qu’elle permet ! La femme Dom rappelle impérieusement à Paschic combien elle est séduisante et combien donc elle compte ! Elle attire le regard de Paschic, quoi qu’il fasse ! Il doit obéir et la regarder ! C’est une domination ! C’est comme si la femme Dom déchirait l’espace, en disant : « Je suis là ! » Elle s’impose comme centre d’intérêt ! C’est vital pour elle ! C’est un mini trou noir !

Le Dom masculin a la même action : lui aussi commande une soumission et qui est aussi de caractère sexuel ! On domine l’autre, si on le trouble dans sa virilité ! C’est la « queue » qui sert de bâton, pour humilier ! On veut des esclaves sexuels, pour réaffirmer sa valeur sociale ! On n’a que ça ! Il n’y a pas eu de recherche, ni de révolte ! On a eu peur et on a épousé le « carton-pâte » de la société ! Et on fait payer cette soumission, en la voulant pour tous ! On a été lâche et il n’est pas question qu’il y en ait un de courageux ! On s’est couché et personne ne doit se tenir droit ! On n’espère plus et le désespoir doit régner ! C’est la seule consolation qui reste, la dernière illusion ! C’est la domination à bout de souffle et qui trouve ses ultimes bulles d’air dans la boue qu’elle répand !

Comment alors les jeunes pourraient ne pas avoir peur ? Comment pourraient-ils croire au bonheur ? Les villes s’étendant toujours plus, elles privent les jeunes d’un accès à la beauté, comme si la « liberté » même de la nature n’existait plus ou était répréhensible ! Le fossé est comme consommé, entre le béton et l’arbre, entre la ligne droite et la fantaisie ! Les villes constituent un monde dur, peuplé de Doms tout aussi rigides et piégeux ! Les règles des Doms s’abattent sur les jeunes, qui n’ont qu’un recours : les « likes » de leurs réseaux sociaux !

Personne d’autre apparemment ne leur parle ! alors que Paschic vivait dans la lumière du feuillage, entouré de papillons ! alors que la truite venait lui dire « bonjour » ! La beauté parle incessamment ! Elle explique le sens de la vie, par son opposition au « grand n’importe quoi » des Doms ! Celui qui s’en nourrit garde le courage et se préserve du mensonge ! Il acquiert la paix ! Le Dom est perdu, mais cela ne l’excuse pas ! Le Dom est méprisé, mais ce n’est pas une raison pour qu’il méprise à son tour !

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      Dès le départ, Paschic et la Machine se sont affrontés ! L’argument de la Machine est connu de tous : « Il faut travailler, pour gagner sa vie ! C’est une nécessité ! La vie n’est pas faite pour rigoler ! Personne ne fera de cadeau ! Un euro, c’est un euro ! Pas de place pour les rêveurs ! Il y a les factures à payer ! Les études, ça coûte cher ! Etc. »

Tout le monde est en effet confronté à cette réalité ! A part les millionnaires, chacun connaît la peur du lendemain ! C’est le prolongement naturel des besoins de l’animal, qui lui aussi chaque jour doit lutter pour se nourrir, défendre son territoire et se reproduire ! Étrangement, nos sociétés modernes devraient nous soulager au quotidien, mais au contraire assurer notre survie est devenu quelque chose d’obscur, de fortement angoissant, une source intarissable de tourments ! Les loyers, les factures, toutes les taxes, tous les événements nous enchaînent et nous minent, à un tel point qu’ils nous arrivent d’envier la simplicité des animaux, quoiqu’ils s’entre-tuent et qu’aucune loi ne les protège !

Mais, toujours est-il que la Machine, dans son discours, avait de quoi désarçonner Paschic et le faire rentrer dans le rang ! Le problème, c’est que Paschic s’est rendu compte que la Machine se servait de lui, le méprisait pour se donner de l’importance, se sentir supérieure ! Qu’est-ce que cela avait à voir avec le « contrat social », avec la nécessité du travail, le devoir ? On était là apparemment dans une dimension qui ne concernait pas les nécessités de la vie, le besoin de se nourrir ou de se loger ! Où le mépris qu’on fait subir aux autres apparaît sur la fiche de paye ? Quand la CAF prend-elle en compte le fait qu’on s’essuie les pieds, sur le dos de son voisin ? Si la société est juste, elle doit non seulement compter les cotisations pour la retraite, mais encore toute la méchanceté dont nous sommes capables tous les jours !

Pour Paschic, le discours de la Machine n’était pas cohérent ! Elle parlait incessamment de nécessités, de devoirs et en même temps, elle méprisait, utilisait Paschic, pour ses plaisirs, pour la satisfaction de son égoïsme ou de son orgueil ! Pour Paschic, elle n’était pas crédible, d’où l’affrontement ! L’enfant voulait dénoncer le mensonge de sa mère ! Mais, comme s’en est aperçu bientôt Paschic, le problème s’étend à toute la société ! Le conflit qui l’opposait à la Machine n’a fait que continuer face au monde des adultes, car le comportement de la Machine n’a rien d’unique et il pose une question de fond, qui peut s’exprimer ainsi : qu’est-ce que le mal, d’où vient-il ?

Car il s’agit bien du mal ! Mépriser un enfant, se servir de lui, lui mentir, c’est mal ! En fait, c’est comme si le mal n’existait pas dans nos sociétés (à part dans les faits divers) et pourtant il nous frappe incessamment ! Il sévit et nous détruit ! Mais il n’est inscrit nulle part ! Il n’a pas d’existence officielle ! Il est là sans être là ! Mais pour Paschic, il était le gros point d’interrogation, puisqu’il en était victime ! Il lui fallait expliquer sa souffrance, afin d’en être soulagé ! Paschic voulait bien être le petit soldat, réussir ses études, avoir un métier, ne plus dépendre de la Machine, à condition que le terrain soit clair, qu’on ne reçoive pas une balle dans le dos, que le plaisir soit reconnu, que l’ambition dise son nom, que le mépris ait sa place ! Il n’est pas possible de rêver du bonheur ou de la paix, si les choses ne sont pas franches, si les fondations sont meubles, changeantes, fausses !

Donc, voilà Paschic au travail (sans salaire malheureusement !) et se demandant ce qu’est le mal et d’où il vient et ne rencontrant aucune réponse ! Mais n’est-ce pas là le seul vrai travail, le seul qui devrait nous intéresser ? Pourquoi nous broyons-nous, nous méprisons-nous ? Pourquoi nous haïssons-nous ? Paschic a les manches retroussées et ne compte pas ses heures ! Il est à la tâche du matin au soir, sans cotiser ! avec toujours le souci de trouver de quoi vivre !

Dans le même temps, son affrontement avec la Machine atteint des sommets ! Il n’est pas question pour celle-ci de lâcher du pouvoir, ni encore moins de reconnaître son mépris ; comme la société elle-même reste aveugle, alors qu’elle croule sous les problèmes et semble se cogner la tête contre les murs ! Pour Paschic, ce sont des coups de boutoir interminables, un broiement quasi complet de son cerveau, car la Machine cherche, piétine, écrase jusqu’à plus soif !

Paschic, dans sa quête de la vérité, doit rompre tout lien avec la Machine, pour ne plus en souffrir et avoir du recul ! Il est comme l’animal, qui pour survivre dévore son membre pris au piège ! Inutile de dire que la route de Paschic est extrêmement douloureuse, que son enfance a été abrégée précocement, qu’il est définitivement différent parmi les Doms et qu’il n’a plus depuis longtemps leurs illusions !

Mais c’est la beauté de la Chose qui l’a rendu ferme ! qui lui a montré qu’il y a une harmonie supérieure et infinie ! Cette assurance a permis à Paschic de tenir debout, malgré la destruction de la Machine et des Doms, malgré les inquiétudes de la vie… et les fruits sont venus ! Paschic sait aujourd’hui d’où vient le mal et comment le combattre ! C’est là son salaire !

                                                                                                              134

     Inutile de dire que si on ne connaît pas la nature du mal, on continue à le faire et on sème la souffrance et la haine ! Et c’est là que les choses se corsent, car la Machine a quasiment détruit Paschic, en se croyant dans son bon droit, comme s’il était injuste de s’élever contre elle et de contester son autorité ! D’ailleurs, à chaque fois que Paschic arrivait à placer la Machine devant son injustice et ses contradictions, elle faisait appel à Tautonus, pour qu’avec sa force physique il réduise au silence Paschic et lui inspire de la peur ! Dans ces conditions, la Machine s’est évitée la connaissance, la remise en question et elle n’a pas évolué, mais au contraire elle a même cherché à blesser Paschic, à lui nuire bien après son départ de la maison familiale et ce jusqu’à un âge mûr !

Pour comprendre cet acharnement, il est nécessaire de se mettre dans la tête du Dom ! Sa préoccupation, c’est lui ! Il s’aime et s’admire ! Pour cela, il a besoin de repères, comme sa position sociale, mais aussi de toutes les personnes qu’il contrôle ! Plus le Dom a du pouvoir et plus il a d’« esclaves » ! Le mot est à peine trop fort, même dans le cas de Paschic et de la Machine ! Paschic a toujours été là pour « servir » la Machine, pour être son faire-valoir si besoin était et il est vrai que l’enfant reflète la réussite de la famille et c’est pourquoi il doit être exemplaire ! Il fait partie de la vitrine ! Plus le Dom est dominateur et moins l’enfant a son mot à dire et s’il se rebelle, s’il s’obstine, il devient l’« esclave » en fuite, l’esclave marron ! Il faut à tout prix le rattraper, le mâter, le punir, mais aussi le dénigrer, afin que tout l’édifice familiale n’en soit pas ébranlé et que des idées de révolte ne se propagent pas chez les frères et les sœurs !

Pourtant, c’est moins la cohérence du groupe que l’orgueil du Dom qui est le souci ! On a fait injure à ce dernier ! Paschic a, semble-t-il, personnellement attaqué la Machine ! Il a le « diable » au corps ! Il n’a pas la reconnaissance du ventre ! On est scandalisé, car on ne voit pas le mal de la Machine, et on ne veut pas le voir, parce qu’il permet les autres ambitions de la famille ! Les Doms se serrent les coudes !

Mais le message de la Machine est clair ! Elle répète à Paschic : « Je vais te dresser, moi ! » L’idée même qu’on puisse s’opposer à elle fait suffoquer la Machine ! Elle n’en revient pas ! Il faut rappeler que derrière la domination du Dom, il y a une peur viscérale du réel (il ne saurait en être autrement!) et que la menace réveille celle-ci, provoquant une haine aveugle, démesurée ! Paschic a représenté pour la Machine toute l’épouvante du dehors, ce qui est extérieur à la famille ! Il a ouvert une brèche, que la Machine a essayé de refermer, en détruisant Paschic !

Toute cette colère prouve bien que l’équilibre des Doms est faux ! S’il était solide, il ne craindrait pas la différence, l’opposition ! Mais on comprend aussi que, dans ces conditions, l’Autre demeure indistinct et qu’il n’est pas considéré comme une personne ! Il garde le statut d’esclave ou de monstre !

En fait, la « perte » de la domination amène un état de conscience plus élevé ! Mais ce n’est pas seulement une pensée nouvelle, c’est une transformation totale, de tout l’être ! C’est un rapport au monde absolument différent ! Il n’y a plus d’assurance, en comptant ses « esclaves », mais, au contraire, on se tient debout sans dominer personne ! C’est une mue entière ! Et on ne peut y arriver qu’en s’engageant à lutter contre sa propre domination, grâce à la foi et à l’Évangile notamment !

En effet, comment prétendre avoir confiance, si on veille à sa sécurité et à sa notoriété ? Qu’est-ce qui nous manque dans ce cas, sinon un peu plus de pouvoir et d’argent ? On ne connaît pas Dieu, en restant un Dom ! C’est impossible ! On ne peut pas aimer les autres, si on continue à les voir comme ses esclaves ! La connaissance de Dieu vient quand on accepte de « perdre », de ne pas se voir important parmi les hommes ! Ce n’est pas qu’on veuille se faire du mal, mais on cherche avant tout la vérité, la lumière ! On exerce son amour, sa confiance !

Mais voilà encore pourquoi le Dom tient tant aux règles et aux dogmes religieux ! Ceux-ci lui donnent l’impression qu’il « croit » ! En respectant les rites, le Dom s’évite de douter et de « s’anéantir » lui-même ! Il garantit son pouvoir, en se donnant bonne conscience, puisqu’il obéit au texte, à la tradition ! Pire, il est capable de haïr s’il voit son ordre religieux menacé, méprisé ! Où est alors sa confiance en Dieu ? Nulle part ! La foi véritable enlève toute crainte et donc toute haine ! C’est la confiance qui permet au Dom de se séparer de sa domination et d’atteindre une individualisation complète ! Moins nous dominons et plus nous avons conscience de nous-mêmes ! Moins nous traitons les autres comme des esclaves et plus nous sommes distincts nous-mêmes ! Tant que nous dominons, nous restons dans le brouillard de nos peurs et de nos haines !

Inutile de dire que la Machine a échoué sur ce chemin-là, mais c’est le cas de la plupart des Doms ! Certes, tout le monde n’est pas Paschic ! Chacun a son destin, son caractère, ses possibilités et il ne s’agit pas d’imposer une voie, ni de juger ! Mais on ne peut pas non plus ignorer la domination et la « prison » qu’elle constitue ! On doit enfin se rendre compte, à la lumière de ce qui a été dit, combien il est difficile de faire reconnaître ses erreurs au Dom et d’en obtenir justice, puisque la domination est comme une seconde peau ! Paschic s’est donc résolu à rester le paria de sa famille, avec la « solitude » que cela implique !

 
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