L' attaque des Doms (120-124)
- Le 01/03/2025
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Des hordes de motards et de quads dévastent la Chose, pour s’amuser, se détendre, sentir la vitesse ! Cela peut paraître légitime, anodin et on peut dire à chacun ses plaisirs, et il en va également ainsi, au sujet des teufeurs, mais alors on ne retient rien de la Chose ! Elle est juste utilisée comme un vieux sac ! C’est encore la domination qui veut s’imposer ! C’est encore le Dom qui se plaît dans son miroir ! C’est encore Domopolis qui s’étend et qui écrase la Chose !
Cela ne résout rien pour le Dom ! Il ne touche pas à sa puissance, même s’il se croit en marge et révolté ! Mais que fait Paschic, pendant ce temps-là, sur sa planète inconnue ? On sait que Paschic a été écrasé par la Machine, mais pourquoi ? Paschic, grâce à une sensibilité particulière, a pu se rendre compte de l’égoïsme de la Machine et d’abord parce qu’il en a été affecté ! Il est donc entré en lutte contre la Machine, pour se préserver, mais aussi au nom de ce qu'il pensait juste, autrement dit au nom d’une vérité, d’une connaissance !
Que la Machine vive dans l’hypocrisie, aveuglée par son amour-propre ou son orgueil, lui est devenu une évidence ! Il a contesté son pouvoir, son autorité, car elle était fausse, ce qui a entraîné chez la Machine des colères violentes, incontrôlées, un désir de détruire, de soumettre coûte que coûte, puisque sous la domination il y a la peur, une peur infantile, qui peut aller jusqu’à la panique ! La réaction est d’autant plus destructrice que la peur est grande ! Et rappelons que la société des Doms se tient par la domination : c’est naturellement le sentiment de notre valeur, de notre importance et de notre réussite sociale, qui fait que nous restons debout !
Mais, inquiétée sous son propre toit, dans sa propre famille, par l’un de ses enfants, la Machine n’a eu de cesse de vouloir anéantir toute rébellion chez Paschic, avec l’aide de Tautonus, quand la force physique s’avérait nécessaire ! Le résultat, on s’en doute, a été effroyable ! Aujourd’hui encore, Paschic mesure l’ampleur de ses blessures ! Il peut mettre la main dedans, tellement elles sont béantes ! Il peut toucher le tuf, il a été cassé en deux ! Il faut chaque jour les raccommoder avec du gros fil et c’est comme un miracle que Paschic soit toujours en vie !
Mais justement qu’est-ce qui a fait qu’il n’ait pas été dissous par la folie ? On rajoute qu’il est impossible pour Paschic d’expliquer ses souffrances, car ce n’est pas un trauma particulier, mais un broiement complet et quotidien ! De même ceux qui sont revenus des camps de concentration restent des étrangers, incapables qu’ils sont de faire partager leur expérience, tant elle a été totale, dans les moindres recoins de leur chair, dans leurs moindres faits et gestes ! Paschic a donc dû convenir de sa solitude, de sa séparation, de son étrangeté et comment a-t-il fait pour continuer d’espérer, mieux pour ne pas haïr et comprendre ?
C’est que la Chose a toujours été son refuge et sa maîtresse ! C’est elle qui a tout appris à Paschic, grâce à la contemplation et au temps, à la mesure que celle-ci demande, jusqu’à la maturation ! C’est par elle que Paschic a pu voir comment la domination animale qui est en nous fonctionne ! Ainsi aussi le comportement de la Machine a été expliqué ! Mais cela veut encore dire que Paschic renonce à la justice, car toute domination menacée, comme l’a montré le cas de la Machine, conduit à une défense violente, qui équivaut bien sûr à une fermeture, à un refus d’admettre les faits ! C’est une peur quasi incontrôlable, qui prend en cette occasion les commandes du Dom ! Toute discussion devient vaine, face à cette terreur enfouie !
Ce qui a réparé Paschic et qui continue de le réparer, ce n’est donc pas la reconnaissance de la Machine, quant à ses fautes, mais c’est le sens et par là la foi, la confiance de Paschic, grâce à la connaissance ! Sans cette dernière, on voit mal comment Paschic pourrait toujours survivre parmi les Doms !
Ainsi Paschic poursuit son apaisement, commencé au sein de la Chose ! Peu à peu, il vit mieux que les Doms ! Il vieillit moins vite, il garde ses forces, il est un sujet d’étonnement ! Il ne se blesse pratiquement plus et paraît de plus en plus énergique, souple, à l’aise !
Le Dom, qui n’a fait confiance qu’à sa domination, qui n’a recherché la sécurité qu’en elle, lui, n’a pas guéri de ses peurs et est rattrapé par elles ! La maladie, la haine, le désespoir en sont les symptômes ! Le Dom qui n’a pas cherché, qui s’est confié à son ego, en paie le prix, même si lui-même est souvent la victime d’autres Doms !
L’enchantement est un cadeau de la vie, que connaît même l’animal à sa façon ! Pourquoi l’homme en serait-il dépourvu ? Serait-il plus pauvre et misérable que l’animal ? A quoi alors servirait la conscience ? Heureux celui ou celle qui saluent le jour, comme une nouveauté ! Ceux-là n’ont pas perdu leur temps !
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L’Inquiétude et la Bêtise sont sur le bord de la route et s’ennuient… « Fais pas chaud ! fait l’Inquiétude.
_ Non…
_ Et pas une voiture ! Bon Dieu, qu’est-ce qu’on s’emmerde ici !
_ Ouais…
_ Y a pas quelque chose qui bouge là-bas, dans le bois ?
_ J’ vois pas…
_ Pourquoi y a des arbres, hein ? Tu t’es jamais demandé ça ?
_ Non… Mais y aurait des hôtels et des supermarchés, là-bas, ce serait beaucoup mieux ! Comment on dit ? Ah ouais, ce serait plus civilisé !
_ Moi, j’ suis sûr qu’on nous surveille ! On doit s’ fout’ de nous quelque part !
_ Tu crois ?
_ Bien sûr ! On montre pas assez qu’on est fort ! Faut s’imposer, faire comprendre qui est le maître ! Sinon…, on t’ bouffe ! C’est la loi de la nature ! Soit tu manges, soit tu es mangé !
_ Alors faut pas hésiter ! C’est la guerre, l’ennemi tué, les viols, les rapts d’enfants, les villes détruites ! Eh, eh ! Là, t’es compris ! Là, on te donne du monsieur !
_ Pfff ! Tu retardes grave ! Tout s’achète maintenant ! Toi, moi, la vérité, tout ! Combien tu vaux ? T’as pas d’âme, n’est-ce pas ?
_ Une âme ?
_ Oui, à part toi, rien ne compte ! Les autres doivent t’obéir, pas vrai ?
_ Ben…
_ De toute façon, à quoi sert la vérité ? Toi, la Bêtise, t’existes et tu t’aimes ! Qu’est-ce qu’il y a d’autre ?
_ Les proches..
_ Les proches ! Les proches ! Tu les aimes, parce qu’ils te servent ! Et qu’ils représentent ta réussite, ta puissance ! Toi, toi et encore toi, j’ te dis !
_ Tout de même… La science, c’est la vérité… et donc la vérité peut servir à guérir… d’un cancer par exemple ! Sans vérité, pas de connaissances !
_ J’y crois pas ! Mais j’y crois pas ! La Bétise, qui fume, qui raisonne, qui donne des leçons !
_ Mais…
_ Tu sais quoi ? Je vais te faire obèse ! Moi, l’Inquiétude, je vais te faire grossir comme un bœuf ! Tu vas suer par tous tes pores ! Je vais te dévorer de l’intérieur, jusqu’à te rendre boulimique !
_ Ben, si tu fais ça, l’Inquiétude, je vais te taper d’ssus ! Tu connais le précepte : c’est en cognant dans les gens qu’ils comprennent quelque chose !
_ Bon, admettons que je n’ai rien dit ! Mais le coin est toujours aussi désert ! Mais qu’est-ce que tu as ? Tu pleures ?
_ Je pleure sur la bêtise de ce monde, sans coeur et sans pitié ! J’en ai le droit, non ? Toute cette bêtise, cet égoïsme de bas étage, toute cette fumisterie, cette violence !
_ La Bêtise qui pleure sur elle-même ! T’as bien mérité ton nom !
_ Salaud !
_ Tu contrôles pas assez les choses ! T’es pas assez fort ! Quand tu commandes, ta plus d’ doutes, t’es le chef ! Tu brilles ! Même la mort te salue !
_ J’ voudrais d’ l’espérance, d’ la beauté, na ! Oh ! J’ai soif ! J’ai si soif !
_ Fais comme moi : sois dur !
_ Comme si je te connaissais pas ! On est ensemble depuis la maternelle, pas vrai ? Tu veux que j’ te la dise la vérité, hein ?
_ Vas-y, j’ai rien à cacher !
_ Toute ta puissance, tout ton discours sur la force, c’est du pipeau ! Au fond d’ toi, t’as la trouille ! T’es paumée ! Et c’est pour ça qu’ tu fais des moulinets avec tes bras, qu’ tu joues au caïd ! Tu crânes, la voilà la vérité !
_ Combien pour qu’ tu la fermes ?
_ J’ suis pas à vendre !
_ De toute façon, qui voudrait acheter un minable ?
_ J’ suis peut-être bête, mais tu vaux pas mieux !
_ Eh ben, si on nous observe, ils pourront bien s’ marrer ! De vraies tartes ! »
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Paschic arrive dans un nouveau territoire psychique et il voit des dizaines de Doms qui tirent un char énorme et très lourd ! Ils s’arc-boutent et grimacent, chacun à sa corde et sur le char, au contraire, un Dom couronné se pavane, crâne effrontément ! « Halte ! crie-t-il. J’aimerais discuter avec ce passant ! Il m’a l’air sympathique ! » Aussitôt, les Doms arrêtent leur effort, soufflent, pendant que le Dom couronné descend sur le sol, par un petit escalier d’or !
« Je suis le Mensonge ! » dit-il à Paschic, en lui donnant sa main à baiser. Mais Paschic refuse ce geste et le Mensonge reprend, légèrement embarrassé : « Et toi, qui es-tu ?
_ Paschic !
_ Et tu sembles ne pas m’aimer ! Pourtant, tu vois comme je suis puissant !
_ Tu es surtout compliqué et lourd à transporter !
_ C’est que les choses ne sont pas simples ! En plus, j’ai plein d’ennemis !
_ Ah bon ?
_ Mais oui, il y en a beaucoup qui voudraient ma place ! On me dit méchant, mauvais, mais, au contraire, je suis bon et gentil ! Je fais le bien !
_ Tu es une victime, c’est ça ?
_ Hélas oui ! Mais j’ai l’habitude de supporter l’injustice ! Ce que je voudrais, c’est qu’on me voit sous mon vrai jour ! Le gars léger, innocent, naïf même, mais bien disposé, lent à la colère et sans avidité ! Mesuré et nullement ambitieux ! Tu vois ?
_ Et les autres gobent ça ?
_ Les autres ? Quels autres ?
_ Mais les autres…
_ Mais c’est de moi dont il est question ! Les autres, les autres ! On dirait que tu en parles, comme s’ils existaient vraiment ! Je commande les autres et je leur dis ce qu’il faut qu’ils pensent !
_ Par exemple, que tu es bon ?
_ Mais tu m’énerves à la fin ! Oui, je suis bon ! Oui, je suis fort, parce que je le dis !
_ Et si on n’est pas d’accord ?
_ On me fâche… et c’est la prison ou pire le billot ! Je ne supporte pas la contradiction !
_ Alors, tu ne veux pas de la vérité !
_ La vérité, c’est ce que je pense, non ?
_ Bien sûr, et c’est pourquoi tu es si lourd à transporter ! C’est ton monde que tu portes avec toi ! Enfin, ce sont tes serviteurs qui suent haut et fort, pour ça !
_ Grrr ! Tu vois une autre solution ?
_ Pour que tu sois vraiment le gars léger et innocent ?
_ Oui…
_ Pour que tu arrêtes d’avoir peur et que tu sois heureux ?
_ Oui ! Écoute, j’ai rarement été aussi patient !
_ Eh bien, il faut d’abord que tu abandonnes le pouvoir !
_ Hein ?
_ Dame ! Comment pourrais-tu voir la vérité, si le monde est le tien ! Tu ne fais que te regarder dans un miroir ! Tu sais bien que le monde n’est pas le tien et que nous sommes nombreux !
_ Tu voudrais que je redevienne anonyme, tout petit dans la foule !
_ C’est ça ! Anodin ! Anodin et curieux !
_ Mais qui va diriger le monde ?
_ T’inquiètes pas ! Dès que tu auras cédé la place, un autre imbécile la prendra ! Tu ne veux pas être heureux ?
_ C’est que… t’es en train de m’embobiner ! Ah ! Ah ! Et dire que je me suis fait presque avoir ! T’as l’air tellement sincère ! Mais tu travailles pour mes ennemis, c’est ça ? Gardes, conduisez ce cuistre aux fourmis !
_ Je vais te montrer un tour... »
Paschic étend un bras et le Mensonge se retrouve nu et seul dans la nuit… « Mais qu’est-ce que… s’écrie-t-il. Eh ! Oh ! Y a quelqu’un ? Mes hommes, où sont mes hommes ? Mon ministre, il est où ? » Alors devant le Mensonge commencent à défiler, lentement et muets, tous ceux qu’il a tués !
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Domopolis continue à combattre la Chose, à sa manière ! Elle construit des maisons au sein de la Chose et quand elles sont assez nombreuses, il n’y a plus qu’à les relier à ville, qui ainsi progresse ! La Chose en fin de compte paraît toujours aussi inutile aux Doms, qui ne se doutent pas qu’ils piétinent un trésor, capables de les sauver !
Inlassablement, les Doms passent à toute allure dans la Chose, avec leur voiture, le visage fermé ! Ils travaillent ! Pourquoi ? Mais…, mais pour être heureux ! En ignorant la Chose ? Impossible ! On ne peut atteindre la paix sans la Chose ! Alors pourquoi travaillent-ils ? Par peur essentiellement ! Ils ont peur de manquer, de ne pas respecter les convenances, pour leur retraite… et ils traversent la Chose sans la voir, d’une manière absurde !
Les ors sont là pourtant ! Les mauves de l’hiver aussi ! La lumière fait tout d’une beauté incroyable ! Les mésanges sont déjà heureuses et préparent le printemps ! Des bourgeons s’illuminent, l’herbe est d’émeraude et les nuages étalent leur tache blanche en toute fantaisie ! Dix mille peintres, cent mille photographes n’en saisiraient qu’une partie ridiculement infime, mais l’homme ne fait que côtoyer l’infini ! Heureux celui qui perçoit la Chose dans sa force et sa grâce sans limites ! Celui-là est l’enfant qui chante, dans le giron de Dieu !
Mais revenons aux Doms qui méprisent la Chose et qui ne la voient même pas ! L’un d’eux s’appelle Van Der Saar (VDS) et il est cycliste sur route ! Il ne rigole pas ! Il fait corps avec sa machine ! Il a des roulements à billes dans la tête ! Ce qu’il préfère, c’est passer à côté de vous comme un souffle, une lame de rasoir ! Eh ! C’est que la route est un esclavage pareil à un autre ! C’est pourquoi VDS a la visage sombre et ne rêve que de vous écraser de toute sa puissance ! Car VDS n’est pas heureux bien sûr et il a de la haine, comme tous les prisonniers ! Un damné de la route !
Comment pourrait-il considérer la Chose, l’aimer, en voir toute la valeur ? Qu’il aime la vitesse, l’effort, c’est entendu ! Mais il est fermé et il faut laisser VDS s’en aller ! C’est un métronome perdu dans la nuit !
Mais prenons un autre cas ! Vois ce couple de retraités, qui se promènent dans la Chose… Ils ont des cheveux blancs, des vêtements austères et ils cheminent lentement… A priori, ils ne posent pas de problèmes, alors pourquoi cette tension quand on les approche ? C’est que l’homme est un juge ! Voici ce que dit toute son attitude : « Regarde mes cheveux blancs, mon visage buriné et mon corps fatigué ! Moi, j’ai bossé toute ma vie ! Et toi, qui passes ici léger, peux-tu en dire autant ? Je suis la borne, le contrôle ! J’ai beau être vieux, on me doit des comptes ! Si tu es joyeux, il faut que tu le mérites ! Ma femme est là pour en témoigner : je suis important, incontournable et je ne laisserai rien passer ! D’ailleurs, je suis prêt à mordre, à anéantir ! »
On doit se faire tout petit, quand on croise cet homme, mais alors où est la Chose, sa magie, sa générosité ! Nulle part ! Elle a disparu ! Elle revient dès qu’on a contourné l’obstacle ! Et comme il est haineux cet obstacle, car on ne l’a pas salué, reconnu son importance ! Eh ! C’est qu’on ne voulait pas se gâcher la fête ! On ne doit rien à personne, comme la Chose ! Elle est gratuite et nous aussi !
On met quand même un certain temps, à se remettre de ce genre de rencontres, alors qu’elles sont très communes ! La mésange est plus intelligente ! Comment peut-on être juge dans la Chose ? La seule attitude est d’y être heureux, comme l’oiseau et même l’escargot ! Les animaux fêtent la lumière, la vie, les arbres, la nourriture ! Ils saluent leur force ! Ils chantent et s’épanouissent ! Mais pas le « Juge », qui est tel un puits sec ! A quoi lui sert sa retraite ? Il a bien la sécurité et encore la santé, mais à quoi bon ? Il souffre et fait souffrir ! Il est passé à côté de l’essentiel ! Il est un poids pour lui-même et les autres ! Il n’est pas victorieux et aimant ! Il n’a pas capturé le soleil, pour le distribuer ! Il n’a pas connu la vérité ! Que ne s’associe-t-il pas au rayonnement de la verdure et des animaux ? Quelle triste vie !
Mais regardons maintenant cette fille qui arrive ! Elle n’est pas vraiment séduisante et n’a rien d’exceptionnel… Mais, quand on la croise, elle nous sourit subitement, comme si on n’avait attendu que ça et qu’on s’était préoccupé d’elle ! Encore une qui est dans une illusion ! La Chose tout autour flamboie, magnifique, mais cette fille ne s’en rend pas compte et croit qu’elle peut être le centre d’intérêt ! Elle va donc au devant de bien de déceptions ! Elle se blesse elle-même, face à l’indifférence ! Si elle s’intéressait à la Chose, si elle en goûtait tout le plaisir, elle serait légère quant à son ego, son pouvoir de séduction et même sur sa solitude ! Dans quel rêve vit-elle, pour se croire attirante, quasi irrésistible ?
Évidemment, chacun mérite de l’attention, mais pas au détriment de la Chose ! Il ne s’agit pas de se figer dans un égoïsme et de concevoir de la haine, si celui-ci n’est pas satisfait !
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Dès qu’on a affaire aux Doms, c’est la catastrophe ! Mais comment pourrait-il en être autrement ? C’est que chez le Dom rien n’est réglé ! Il n’a pas suivi le chemin du renoncement et de la foi ! Il ne se rend pas compte de la magnificence de la Chose ! Son équilibre ne repose sur rien de sûr, car le Dom n’a pas cherché le « rocher », la « vérité » ! Il est un mélange de peurs non guéries et de fausses certitudes ! La vitrine, l’apparence se veut bien entendu rassurante, ferme, l’image de la réussite, mais le tout ne tient que sur une pointe, celle de l’autorité, de la domination ! C’est le poste qu’occupe le Dom qui lui donne une contenance, un semblant de solidité ! C’est la « farce » de la société, qui ne résout rien !
Ainsi, aujourd’hui, Paschic a rendez-vous avec un conseiller juridique, pour s’informer d’un point de droit. C’est nécessaire pour Paschic et il s’y prépare, mais il ne se fait aucune illusion : ce sera une épreuve, car le Dom se nourrit de sa domination, c’est son oxygène et il va donc falloir faire croire au conseiller qu’il est éminemment supérieur, qu’il domine la discussion, qu’il connaît parfaitement la vie ! Il faut ne pas interrompre son illusion, même si Paschic ne veut qu’un renseignement ! Sinon le conseiller inquiet, désarçonné, peut devenir hostile, agressif, méprisant !
De toute façon, Paschic devra se plier en quatre, entrer dans une boîte d’allumettes, tel un contorsionniste ! Il devra garder le contrôle, rester prudent, flatter mais pas trop, pour ne pas prendre l’autre pour un idiot ! C’est un dosage éprouvant, à force d’être précis et même qui peut être mal récompensé ! La suffisance du conseiller, une remarque blessante de sa part peuvent assommer Paschic, qui déjà fait des efforts, pour la paix de l’entretien ! Mais il en est ainsi à chaque fois que l’on parle à un Dom qui a du pouvoir et qui est habitué à être écouté ! Dans cette catégorie entrent volontiers les médecins, les psys, les conseillers de toutes sortes, tous ceux qu’on sollicite un jour ou l’autre ! Ils ne savent pas, mais on doit supporter leur ignorance, voire leur mépris ! Encore une fois, dans leur domaine, ils ont une compétence, mais dans leur vie propre ils sont, comme la plupart des Doms, à la dérive ! L’illusion, c’est la domination ! le pouvoir donc !
Le conseiller est plus avenant que ce à quoi Paschic s’attendait ! Il a des manières simples, un air près du terroir, mais très vite on s’aperçoit des choses qui clochent ! Notamment les cheveux sont précocement blanchis, ce qui indique un stress, une frayeur qui a été ravageuse ! Le visage est buriné et trop rouge, laissant deviner l’alcoolisme du personnage ! En fait, il y a trois étages : les cheveux blancs, le visage rouge et le reste du corps, qui reste assez vigoureux ! Le Dom se veut encore alerte, dans la force de l’âge, efficace, ce qui doit symboliser la réussite, la maîtrise de soi, le savoir, mais il est en pièces détachées, et chacune d’entre elles révèle une lutte, un manque d’harmonie ! Bref, l’homme est faux, perdu, malheureux, mais ce n’est pas par vice, c’est plutôt qu’il est toujours tiraillé entre la peur et l’orgueil, entre le cri et le paraître ! Il n’y a là rien d’exceptionnel, au contraire !
Pendant que Paschic explique son problème, le visage du conseiller demeure incroyablement fermé ! Car il a beau essayer de situer Paschic, il n’y arrive pas ! Et pour cause : Paschic a la Chose en lui, à des années-lumière de la vie du conseiller ! Celui-ci a pour l’instant un engrenage dans la tête, ce qui est plutôt en sa faveur, car cela veut dire qu’il n’est pas figé dans sa domination, mais qu’il se pose encore des questions ! En fait, au fond, il ne perd pas de vue qu’il n’a pas les solutions à ses propres problèmes… et il se demande même si ce ne serait pas Paschic qui les a ! La simplicité du personnage est bien réelle ! D’autres auraient déjà conçu de la haine, à l’égard de Paschic, en voyant leur pouvoir inutile devant lui !
Bon, Paschic à l’information juridique qu’il était venu chercher et la discussion se poursuit encore un brin…, faite d’amabilités, de « petits jeux », qui maintiennent la domination du conseiller ! Tout paraît civilisé, comme il faut et pourtant le travail intérieur du conseiller ne cesse pas ! Qui est Paschic ? Comment fait-il pour avoir autant d’aisance ? Que sait-il ? « Qu’est-ce que j’ai manqué ? se demande le conseiller. Pourquoi n’a-t-il pas mes angoisses ? Est-ce que je vais me mettre à crier ? »
Cette réflexion se poursuit sous l’échange et finit par miner complètement le conseiller ! Il est vidé ! Il n’en peut plus ! A la grande surprise de Paschic, c’est le conseiller en premier qui ne dit plus un mot, qui semble mettre un terme à l’entretien ! D’habitude, Paschic est mis dehors comme un papier sale, avec tout le mépris possible et ainsi est sauve la domination de son interlocuteur ! Mais cette fois-ci le conseiller ne cache même plus son désarroi, qui est trop vif ! On vient de le mettre devant une chose si grande qu’il en est épuisé ! Le chagrin et des regrets et beaucoup d’incompréhension l’envahissent ! Paschic se retire quasiment sur la pointe des pieds et on ne le salue que vaguement !
Nul doute que le conseiller va mettre des jours à s’en remettre ! Qu’a-t-il raté ?
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