L' attaque des Doms (110-114)
- Le 08/02/2025
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"J'offre à mon frère des clubs de golf en or!"
Le Parrain
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Rien ne va plus à Domopolis ! Le marasme le plus complet atteint les Doms ! Regardons-les souffler et laisser tomber leur cabas, dans un geste plein de lassitude, devant la corvée de faire leurs courses ! Eh oui ! Il faut encore acheter de quoi se nourrir ! Quelle peine ! Quelle routine absurde ! Tiens, il vaudrait mieux que les étals soient vides, que nous souffrions de la faim, plutôt que d’avoir toutes ces richesses à portée de mains ! Un seul légume, un seul fromage, un seul pain et l’affaire serait réglée en une minute ! Tandis que là, nous croulons sous le choix ! Quel ennui ! Quelle poisse ! On ne nous épargne rien ! Mais pour qui nous prend-on ? Pour des oies qu’on gave ? Nous en avons marre d’habiter un pays de Cocagne ! Nous voulons des mouches dans les yeux, des côtes saillantes, comme d’autres ailleurs ! Nous voulons leur chance, leur liberté d’esprit, voilà !
Et s’il n’y avait que ces magasins pleins à ras-bord ! Mais on nous tourmente même sur les terrasses ! On est là bien tranquilles, devant un petit verre, avec quelques amis, les jambes allongées, enfoncés dans son siège, eh bien, on fait quand même triste mine ! On boude ! L’ennui se lit sur nos visages ! Et pourquoi ? Mais parce que rien ne nous motive ! Parce que la situation est sombre ! Pleut-il des bombes ? Les chars sont-ils aux portes de la ville ? Ne peut-on pas dire ce que l’on pense, sous peine de prison ? Est-on surveillé ? Mais non, on ne sait pas quoi faire, c’est tout ! On n’est pas éclairé, voilà ! Car dans le fond il n’y a rien ! On vit, mon meurt et c’est terminé ! Le ciel est vide, comme nos cerveaux ! La vérité ? Bof, elle est relative… Non, non, on « trouve pas où mordre » ! Manque la passion, quoi ! Bien sûr, on pourrait manifester contre le gouvernement, mais on n’est plus assez naïf ! Alors, on est là… et on s’ennuie ! Ce n’est pas notre faute, on sait pas où chercher ! Et puis chercher fatigue ! On préfère faire la grimace… et même haïr ceux qui paraissent plus heureux ! Qu’est-ce que c’est que ces gens déterminés, qui avancent d’un pas fier, qui ont l’air riches intérieurement ? Des parvenus sans doute ! De plus chanceux ! Nous, on ne nous a jamais rien donné ! A quoi sert notre liberté, qui est totale ? On boira un autre verre, il n’y a que ça à faire !
Mais Domopolis, soucieuse des maladies mentales, agit ! On trouve des distributeurs de boucs-émissaires à chaque coin de rue ! On glisse sa carte dans l’appareil et il ne reste plus qu’à choisir, sur qui on va taper ! avec des options ! Par exemple, si on appuie sur la touche Gouvernement, il est possible d’obtenir, en plus de laisser son message de haine, une tenue complète de manifestant ! Tout y est : la cagoule, la pierre, quelques adresses de vitrines, des conseils contre les fumigènes, etc. ! Pareil pour les Immigrés ! Des places de parking à l’aéroport, pour les regarder partir ! Des numéros pour les dénoncer ! Des masques de mépris pour les regarder ! Des tee-shirts avec le slogan : « Parle Dom ! Ou j’ t’assomme ! »
Ces distributeurs doivent soulager, apaiser, donner un exutoire ! On craint une nouvelle génération dépressive, dans son monde, incontrôlable ! La psychologue Lapsie n’a-t-elle pas déclaré dernièrement, à la télévision : « La détresse psychique ne passera pas par moi ! Le coupable, c’est le pervers narcissique ! On l’aura, je vous le promets ! Tenez bon ! » Évidemment, ce bouc-émissaire est éminemment présent dans les distributeurs, avec une pince à châtrer en promotion ! Non, Domopolis ne se laissera pas faire ! Ni par la Chose, ni par le marasme !
Certains ont imaginé que la Chose pourrait aider contre le vide! Voyez-vous ça ! C’est le défilé des illuminés ! Comme si la contemplation de la beauté pouvait apporter quelque chose ! Si cela était, ça se saurait ! Et puis, ça voudrait dire de mettre son ego en veilleuse ! Cela voudrait dire que sa haine, son mépris, il faudrait les contrôler ! Il faudrait…, non, nous n’osons pas dire le mot, mais il faudrait chercher ! réfléchir même ! Quel horreur ! Prendre sur soi ! Quelle ignominie, alors que tant d’autres se gavent, profitent, commandent, se rient de nos peines !
Comment arrêter de penser à soi ? lutter contre sa peur ? Apprivoiser le silence, la solitude ? apprendre à regarder ? Comment affronter le soi-disant néant, accepter l’humilité, renoncer au pouvoir, à la domination ? Comment s’efforcer de comprendre et d’aimer ? Comment attendre, ne serait-ce que patienter une seconde ? Impossible ! D’ailleurs, les coupables, on les connaît ! Ils sont dans les distributeurs de boucs-émissaires, en toutes lettres !
Qu’est-ce que le blé qui ondoie aurait à me dire ? Pourquoi le bruissement du maïs m’enchanterait ? Le carabe est-il courageux ? Et l’eau, on la boit, non, n’est-ce pas suffisant ? Tu dis que l’herbe se balance dans son cours, comme le bras d’un tourne-disque ? Que tout dans la Chose scintille et n’est que merveilles ? Que je pourrais beaucoup apprendre, en regardant cela, en aimant cela ? Non mais, pour qui tu me prends ? Pour une bille ? Moi, le Dom, je vais te dire ce qui ne va pas ! Tu sais combien j’ai payé d’impôts, l’année dernière ? J’ vais t’ l’ dire, moi ! Car, moi, je suis important ! Je compte, moi ! J’ bosse ! J’ai des droits ! Et faut pas venir m’emmerder !
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Ici, la lumière scintille sur le mur, après avoir traversé un arbuste trempé du jardin… On dirait qu’elle joue du piano, avec des pierreries… ou, à côté, elle forme les arcades d’un palais ensoleillé, sous lesquelles on pourrait même s’imaginer ! Dans le même temps, la pluie tinte sur les rambardes des fenêtres, en produisant un son mélancolique, comme si les heures elles-mêmes regrettaient de passer ! La paix est palpable et repose… C’est l’hiver après tout…
Mais, au Centre de la santé mentale de Domopolis, l’ambiance est toute différente ! D’abord, l’accueil est surchargé et les chiffres sont alarmants ! Des jeunes ne cessent de se présenter, avec ou sans leurs parents, alors que partout des psychologues et des médecins se retrouvent devant des cas de plus en plus nombreux et dans l’impossibilité d’y répondre, tellement les problèmes soulevés sont profonds et apparemment dépourvus de solutions !
Mais le professeur Trente est un des ces héros de la psychiatrie moderne ! A l’aise, souriant, il rassure ! Mieux, il a l’air d’en avoir beaucoup vu et de dire qu’on ne « lui la fait pas » ! Il faut ajouter à cela une fausse humilité, qu’il perçoit pourtant comme vraie, et qui sied si bien au savant ou au chercheur, obligatoirement modeste face au colosse de l’objectivité !
Trente reçoit en consultation aujourd’hui le Dom Quinze, c’est son âge, comme le professeur est aussi deux fois plus vieux que lui ! Trente et Quinze donc face à face, dans le silence endormant du cabinet ! « Alors Quinze, ça boum ! demande Trente.
_ Super !
_ Bien ! On m’a quand même dit que t’avais des problèmes d’attention…
_ Ouais, grave !
_ Raconte-moi un peu ça, veux-tu…
_ Eh bien, je suis allé à la périphérie de Domopolis… Là où commence la Chose…
_ D’accord…
_ J’ai découvert là-bas une faille… Elle est gigantesque ! On n’en voit ni le fond, ni la fin !
_ Il est possible qu’il y ait des mouvements de terrain par là !
_ Vous n’y êtes pas du tout ! On est en train d’ foutre le camp !
_ Qu’est-ce que tu veux dire ?
_ Domopolis est en train de décoller, de s’arracher du sol… On se sépare de tout, même de la Chose ! Nous, on va s’élever dans l’air… et la Chose, elle, elle va rester !
_ Je vois…
_ Non, vous ne voyez rien du tout ! Une fois qu’on va flotter, plus rien ne retiendra la ville et nous finirons par rejoindre l’espace !
_ Domopolis dans les étoiles, pas mal, ça !
_ Comment peut-on être crétin à ce point ! Comment tu feras pour respirer dans l’espace, toi, sans oxygène ?
_ Effectivement, c’est un problème !
_ Un putain d’ problème, ouais ! Vous, les adultes, vous êtes dans vos affaires et vous ne comprenez pas c’ qui s’ passe ! Mais on va tous y rester ! Et pourquoi ? Parce qu’on n’aura pas retenu la ville ! Parce qu’il n’y a rien dans l’espace ! Rien !
_ Et c’est ça qui t’angoisse ?
_ Un peu, ouais ! A la dérive dans le silence glacé, de la nuit cosmique ! Y a d’ quoi avoir les foies !
_ Je vois (Il prend des notes).
_ Eh ! Mais qu’est-ce que vous écrivez ? J’y crois pas, man ! T’es en train d’écrire un rapport sur moi ! J’y crois pas !
_ Mais non, ce sont juste des choses pour moi, pour mieux te connaître !
_ Fais voir ! (Il saisit le bloc du professeur). « Quinze, angoissé, tendance schizoïde, perte de repères, voir la mère… » Mais bon sang, pour qui tu t’ prends, le prof ? J’ croyais qu’on devait s’ faire confiance ! Mais tu m’ juges !
_ Je t’assure que non ! Mais je dois aussi soigner et… comprendre !
_ Ce que tu devrais comprendre, man, c’est que c’est à cause de gens comme toi qu’on est à la dérive ! des gens qui croient savoir ! Mais tu la vois pas toi, la faille ! Le vide, tu le sens pas !
_ Je te signale tout de même que je connais mieux la vie que toi ! D’abord, j’ai un métier, je ne dépends de personne ! J’ai aussi une famille, des enfants et je suis bien intégré ! Pour l’instant, tout ça t’échappe, mais un jour ou l’autre il faudra que tu cotises pour ta retraite, sinon gare à la casse !
_ Alors, c’est ça le sens que tu donnes à la vie ? payer ses impôts ?
_ Remplir ses devoirs à l’égard de la société et sa famille, ce n’est nullement négligeable !
_ Mais, bon Dieu, il est où l’amour là-dedans ? Et l’espoir et la force ? Elle est où la lumière ? Au fond, t’es content de toi, Trente, ou devrais-je dire Soixante ?
_ Eh bien, Deux, on va s’arrêter là pour aujourd’hui… On est parti sur de mauvaises bases…
_ Va t’ faire foutre ! »
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A bord du vaisseau Dom 45TY550°, on peut avoir recours à une simulation du Rêve blanc, afin d’échapper au sentiment d’angoisse, produit par la longueur des voyages spatiaux… Ainsi, le Général, qui commande le vaisseau, se retrouve dans l’ambiance complètement aseptisée d’un hypermarché de Domopolis ! Le plus ici, c’est que le client bénéficie de l’apesanteur et voilà le Général flottant mollement parmi les rayons, s’endormant presque, avec le sentiment de sécurité donné par la propreté impeccable et la richesse des marchandises !
Baigné par une douce musique, le Général trompe son ennui, caressant la vaisselle étincelante et la douceur des tissus, comme si les spots représentaient un soleil artificiel, ou mieux une sorte de paradis de la blancheur, où le monde du dehors n’existe plus ! Le Général se meut tel un poisson dans l’eau et côtoie sans peine d’autres clients, car le programme a tenu à reproduire au plus près la réalité ! Il y a même une queue en caisse, à cause du Général, puisqu’il se plaît à discuter avec la caissière, pour échapper au sentiment de sa solitude !
Mais n’agit-il pas de cette manière comme la plupart des clients de Domopolis ? Ne fréquente-t-on pas ordinairement le Rêve blanc, par désœuvrement et à la recherche d’un peu de sympathie ? Ne consommons-nous pas souvent pour combler un vide ? Acheter peut même devenir une drogue, puisque cela nous donne l’impression d’exister, d’avancer ! C’est un remède à l’angoisse !
« Général, excusez-moi, mais vous devez venir toute suite ! dit le Dom passerelle, dans le haut-parleur.
_ Mais il y a une promotion sur les confitures…
_ Général, c’est vraiment sérieux !
_ Bon, bon… Mais on n’a jamais le temps de faire ses courses ici ! »
Le Général sort du programme et se dirige vers le poste de commandement : « Alors, qu’est-ce qui se passe ? demande-t-il.
_ Nous sommes devant une barrière invisible et infranchissable ! répond le Dom passerelle.
_ Impossible n’est pas Dom ! En avant toute !
_ Général, il est possible que vous soyez encore sous l’effet euphorisant du Rêve blanc ! Nous avons tout essayé et à chaque fois nous sommes repoussés ! Pas violemment, mais repoussés tout de même !
_ Ouais, et qu’est-ce que vous en dites, vous, le Dom spécialiste ?
_ Eh bien, je ne sais pas ! Nous avons affaire à une matière inconnue… En tout cas, nous subissons à son contact une forte répulsion…, à un tel point que nous pourrions être en présence de ce qui fait notre contraire !
_ De l’anti-Dom ?
_ Possible !
_ Ici le Gardien, fait une voix. Vos efforts sont inutiles : les Doms ne passent pas la Porte !
_ Hein ? Qui êtes-vous ? Et quelle est cette Porte ? Je vous rappelle que les Doms sont les maîtres partout !
_ Si vous voulez… Mais je suis le Gardien et je vous assure que justement seuls ceux qui ne sont pas des Doms sont accueillis, au-delà de la Porte !
_ « Justement ceux qui ne sont pas des Doms... », c’est du racisme ? Cela peut devenir un casus belli, vous savez ?
_ La Porte est faite de telle sorte qu’elle est hermétique à la domination !
_ Voyez-vous ça… C’est incompréhensible, car qu’est-ce qu’il y a d’autre que la domination ? Sans force, nous disparaissons !
_ Pour se débarrasser de la domination, il faut d’abord lutter contre sa peur…
_ Je vois… Tu es une sorte de Gardien à énigmes ! On te paye pour « enchoser » les gens qui passent, pas vrai ?
_ Si je pouvais vous rassurer, vous seriez plus à même d’entrer… Mais on en est loin…
_ Me rassurer ? Moi, un général Dom ? Sache que je commande le vaisseau 45TY550°, armé de dix mille canons « fractureurs »… et que tout l’espace est à moi, t’entends ? A moi !
_ Pas la Porte malheureusement…
_ Il se moque de nous, Général, fait le Dom spécialiste.
_ Je sais… je sais.. Dis donc, Gardien, alors qui passe la Porte ?
_ Je l’ai dit, ceux qui n’ont plus de domination, qui n’ont plus peur et qui aiment… »
A cet instant, des langues de feu filent autour du vaisseau, avant de disparaître derrière la Porte ! « Et ça, qu’est-ce que c’est ? Des VIP ? s’écrie le Général.
_ Des consciences transformées ! répond le Gardien. Elles se sont accrochées au Mystère et l’ont aimé...
_ Je suis soudain fatigué, dit le Général.
_ Mais non, assure le Dom passerelle.
_ Si ! Je voudrais me reposer…
_ Mais vous sortez du Rêve blanc ! »
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Un Dom entre violemment dans le cabinet de son médecin : « Doc, je n’en peux plus ! Je ne supporte plus Domopolis !
_ Nous allons voir ça, asseyez-vous !
_ Tout ce trafic ! Mes chefs ! La météo pourrie ! C’est trop, beaucoup trop !
_ Je vois…
_ J’ai le dos broyé, des douleurs digestives, des palpitations ! J’ai mal à la tête !
_ Hum !
_ L’autre jour, j’ai essayé de me reposer devant la télévision, jusqu’à ce que je m’aperçoive qu’elle avait saisi mon cerveau ! Elle l’avait emprunté et jouait avec ! J’ai crié comme un veau qu’on égorge !
_ Mais…
_ Vous savez de quoi je rêve ? Que mon intestin soit comme un conduit en PVC, parfaitement pur ! Alors, je jeûne, je jeûne !
_ Il faut être…
_ Je hais mon prochain, vous savez ! Si, si, je le hais !
_ Enfin, calmez-vous...
_ Doc, cette société nous broie ! Elle veut notre peau !
_ Allons, ce n’est pas…
_ Ils sont partout ! Ils rient de nous !
_ Qui ça ?
_ Mais eux !
_ Qui ça eux ?
_ Mais vous savez bien ! Ceux qui ont le pouvoir, ceux qui dirigent tout ! en sous-main ! On ne les voit jamais, mais nous sommes leurs marionnettes !
_ Manifestement, vous êtes nerveux…
_ Il y a de quoi, non ? On décide pour nous… J’aimerais hurler ma haine !
_ Écoutez, je vais vous donner un arrêt de travail… Vous avez besoin de souffler ! »
A ce moment, une sirène se met à retentir, alors qu’un gyrophare se déclenche, plongeant le cabinet dans une ambiance de catastrophe ! Puis, une voix métallique dit : « Médecin 459 BR, vous ne pouvez délivrer un arrêt de travail, sans raison valable ! Les nouvelles directives, au regard du déficit du système de santé, ne vous y autorisent pas !
_ Je sais, bon sang ! Mais regardez dans quel état est cet homme !
_ Ne peut-il pas se mouvoir physiquement ?
_ Si ! Mais il ne va pas bien nerveusement ! Il lui faut du repos !
_ Tss, tss ! Tous les mêmes ! Des tire-au-flanc ! En tout cas, vous savez ce que vous risquez ! La radiation pure et simple !
_ Quel est le grand problème de nos sociétés ? C’est la santé mentale !
_ Le déficit…
_ Mais bon sang, c’est la santé, la priorité ! Or, les affections mentales sont légion ! Le but de l’homme, c’est l’homme ! Il va falloir vous y faire !
_ Nous n’avons plus de sous !
_ Marre à la fin ! Je vous coupe ! »
Le médecin arrête l’alerte et le cabinet redevient silencieux ! « Vous pensez que je suis fou ? demande le patient.
_ Mais non, répond le médecin, encore agacé. Mais vous faites sans doute de la dépression…, de la paranoïa aussi sans doute…
_ Je vois, vous êtes un des leurs, c’est ça ? J’aurais dû m’en douter ! Vous êtes un d’ ces bobos poques ? un d’ ces privilégiés, qui prônent la compréhension, bien à l’aise dans son intérieur !
_ C’est ça ! Vous m’avez percé à jour ! Je suis un représentant du mainstream, chargé de vous neutraliser !
_ Bas les pattes, doc ! »
Le patient sort une arme et la braque sur le médecin. « Mais, bon sang, à quoi vous jouer ? demande celui-ci.
_ C’est un domiseur, doc ! Vous voyez que je ne plaisante pas !
_ Allez, laisser ça…
_ Il y a longtemps que je me demande quel rapport entre le Deep State et la Chose… En fait, il n’y en a pas, car c’est une seule et même entité ! Maintenant, suivez mon raisonnement… En vous envoyant un coup de domiseur, puisque vous êtes déjà un Dom, je vous reconduis d’où vous venez, dans la Chose !
_ Cela me semble hasardeux…
_ Adieu, doc ! »
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Paschic arrive dans un drôle d’endroit… C’est un territoire psychique, qui prend un air de kermesse ! Il y a des stands de restauration et des jeux aussi ! On y marche sur un champ devenu boueux, avec la pluie ! Tout le monde est habillé pareil, en jean, car on veut se montrer « cool », sans recherche voyante ou luxueuse !
On entend de la musique, des gens sourient, des enfants jouent… C’est l’image d’un monde communautaire, soudé, engagé, harmonieux, respectueux de la planète ! On sent qu’y brille un idéal, dont les participants sont fiers… et pourtant, pourtant on y écoute des discours de haine ! Il est vrai qu’on y hait un « méchant », un profiteur, un Dom sans foi ni loi, un destructeur tout noir, impitoyable, un ennemi absolu de l’humanité… et donc, on méprise et on déteste pour la bonne cause ! On crie sur le diable, car c’est lui qui empêche le bonheur ! Tant qu’il sera là, ce sera la nuit et la peine !
Mais quelle est cette tête de Turc ? Quel est l’homme à abattre ? Quel nom porte le croquemitaine ? Mais c’est Dominator ! Toute la fête est pour mobiliser contre lui ! Les tribuns, qui se succèdent, appellent d’ailleurs à le huer et citent ses méfaits, ses mille crimes, son action dévorante et négative ! Les Doms présents lèvent le poing, s’excitent, car pour eux l’ignominie de de Dominator ne fait aucun doute !
Paschic, lui, se sent un étranger, parmi cette foule… Il sait comme les choses sont complexes, ne serait-ce que parce que nous avons tous peur ! C’est elle qui conduit à la haine, à celle de Dominator, comme à celle de ses ennemis ! Ainsi, tous ceux qui sont là ont autant peur de la vie que Dominator lui-même… et par là, ils sont bien plus proches de leur « diable » qu’ils ne le croient !
C’est la paix, l’absence de peur, qui fait la force et qui permet « d’accueillir », de comprendre la différence et quel rôle elle a ! C’est la paix qui permet de ne pas haïr ! C’est essentiel, car la haine enlève tout jugement et c’est pourquoi ici on ne reconnaît aucune valeur humaine à Dominator !
La haine bloque la raison et empêche en réalité tout débat ! Pourtant, Paschic est assez vite interpellé et sans doute son allure plus détachée le trahit-elle ! Et s’il n’est pas un ennemi avéré de Dominator, il est un donc un ennemi tout court ! Il ne partage pas la cause et il faut donc soit le convaincre, soit le détruire ! Un grand Dom se charge de la besogne et demande à Paschic : « Tu n’as pas l’air d’être des nôtres... Tu es du côté de Dominator ? Peut-être es-tu tout simplement un espion ? Ah ! Ah !
_ Ah ! Ah ! Non, pas vraiment… Je comprends votre colère contre Dominator, mais je ne suis pas non plus plein de haine comme vous…
_ Mais il y a urgence ! Dominator détruit la planète ! Bientôt, nous n’aurons plus d’avenir ! Nos enfants hériteront d’un monde invivable, rien qu’à cause des appétits de cet homme ! Et il faudrait rester sans rien faire ?
_ Non, bien sûr ! Mais il est important d’être en paix avec soi-même ! On ne change pas les gens, en les détruisant !
_ Mais on ne peut arrêter Dominator avec des fleurs ! Il faut agir, se battre ! Ils ne comprennent que la force, de toute façon !
_ Je voudrais vous rassurer vous aussi ! Car vous êtes les premiers à souffrir de la haine, que vous nourrissez en vous ! Vous vous faites du mal, en haïssant ! Vous ne guérissez pas de vos peurs et c’est une illusion de croire que Dominator en est responsable !
_ Mais qu’est-ce que tu racontes ?
_ Laisse-le ! fait une femme. Tu ne vois pas qu’il n’est pas des nôtres ! C’est un petit bourgeois, qui n’aime pas la boue de notre champ ! C’est un gars de la haute, un privilégié ! (Elle crache.)
_ La paix, c’est un long travail sur soi…, mais c’est par là qu’il faut commencer ! J’ai eu vos haines… Il fut un temps où je ne pouvais pas supporter la voiture ! Je marchais dans la campagne, jusqu’à ce que je n’en vois plus ! Je haïssais la civilisation, qui était pour moi synonyme de mensonges, d’égoïsme et de destruction ! Mais nous sommes nombreux et les choses sont complexes ! Que vous disent les autres Doms, quand vous critiquez Dominator et ceux qui lui ressemblent ? Ne vous sautent-ils pas à la gorge, en vous criant : « Mais qui va payer mes factures ? Qui me donnera un emploi ? » Vous savez comme moi que la plupart des Doms vous prennent pour des irresponsables ! Et leurs arguments ont du poids ! Rien que sur la question de l’énergie, on se retrouve très vite devant des dilemmes !
_ Quel genre de dilemmes ?
_ Mais, par exemple, il faut se séparer des hydrocarbures et adopter les énergies renouvelables… Mais vous êtes aussi contre les éoliennes, parce qu’elles gâchent le paysage… et vous avez raison ! Mais, pourtant, il faut bien que l’énergie vienne de quelque part ! Donc, vous voyez, ce n’est pas simple et la différence, le nombre est à respecter ! Mais ce n’est possible que si on est en paix avec soi-même ! Tant qu’on a peur, on est aveuglé par sa haine !
_ Vous voyez pas qu’il nous baratine ! reprend la femme. C’est un des leurs et il est en train de nous manipuler !
_ Ouais, ouais, c’est un baratineur ! lâchent certains.
_ Il veut saper not’ mouvement, les gars !
_ Ouais, ouais ! Y qu’à l’ virer à coups de pompes dans l’ cul !
_ Allez barre-toi, l’espion ! »
On pousse Paschic, en lui donnant des coups de pied… Les femmes et les enfants lui jettent de la boue et il glisse sous les insultes ! Mais, enfin, il se relève à l’abri et il éclate de rire ! Ça s’est passé comme prévu !
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