AD LIBIDOM!

  • Le 13/03/2021
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Ad libidom

 

 

 

                                                     "Eh, mais vous parlez au Duke!

                                                       Non, monsieur Beauchamp, pour moi c'est le duck!"

                                                                             Impitoyable

 

 

    Journal de Jacques Cariou, station Charcot, mardi 9 mars: plus les choses se décantent et plus je me rends compte combien l'hypocrisie agit comme un mur! La "vérité" bute contre lui, comme la mer se heurte aux rochers! Sa force est infinie, mais ils sont ce qu'il y a de plus dur!

    On ne veut pas voir, c'est évident! Et par peur essentiellement! D'abord, on a une place et on craint de la perdre! Les choses ne doivent pas bouger, mais rester comme elles sont! Evidemment, on ne peut pas tout dire, ne serait-ce que parce qu'il est fort possible qu'on se trompe, ainsi que nous l'enseigne l'expérience, mais encore on est ambitieux, on a des intérêts, qui jouent le rôle d'œillères! Tout ce qui serait susceptible d'inquiéter nos plans, de menacer nos rêves, est rejeté, reçoit un accueil hostile, voire haineux! La vérité est comme un furet qui débusque un blaireau!

    On sait que c'est la domination qui a forgé la société et elle assure la cohérence du groupe, qui ne peut agir, ni donc survivre sans hiérarchie! Chacun s'efforce de s'y placer, à un poste qui lui donne de la valeur, mais cela ne suffit pas! Nous sommes en effet tout le temps en crise, pourquoi? C'est que la domination entraîne inévitablement un rapport de force, d'où les incivilités, la violence, mais aussi une fermeture, une fixité dans les idées, car bien entendu leur auteur s'impose par elles!

    Au final, nous avons une société qui prend l'eau de toutes parts, mais qui continue à ne pas vouloir changer, puisque personne ne prend le chemin de l'effacement, du renoncement, celui qui est l'inverse de la domination! Au contraire, plus ça va mal, plus on s'inquiète et plus on renforce son égoïsme! Pour s'opposer à l'instinct, il faut une motivation profonde, une passion, qui vient d'une sensibilité particulière; la raison ne servant qu'à organiser les données, pour la compréhension.

    La seule raison ne permet pas la foi; l'amour, l'admiration sont nécessaires, et il n'y a là nul besoin de compensation! Il y a plutôt une clairvoyance, car on prend conscience du chaos, de l'injustice de l'égoïsme! Bien des champions de la seule raison ont les pieds dans le sang et ne s'en rendent même pas compte! Des ogres vous parlent de la lumière!

    L'un des grands échecs de la science, c'est l'interprétation des peintures pariétales! Il y a trente mille ans l'homme de Cro-Magnon a peint dans les grottes et a produit des chefs d'œuvres, qui suscitent toujours l'admiration! Quels étaient ses buts, ses croyances, etc.? C'est évidemment des questions que se sont posées les scientifiques et ils ont émis toutes les hypothèses, de sorte que notre ancêtre nous est devenu absolument incompréhensible! Or, cela ne se peut, car au fond nous sommes toujours comme lui!

    L'erreur est de voir l'"art" pariétal avec la seule raison! C'est l'échec assuré! Il est nécessaire de regarder le monde qui nous entoure, en gardant son âme d'enfant! Nous ne pouvons comprendre la vie, si nous perdons notre émerveillement! Il y a une innocence dans l'enfance, une souplesse, une bonne volonté qui tient à ce que la domination n'est pas encore séparée du jeu, et sans doute parce que celle des parents est évidente! Toujours est-il que le jeune âge a une capacité de rêve qui lui est propre! 

    L'individualisation commence vraiment plus tard, notamment avec la maturation sexuelle: il suffit de voir combien le désir de l'autre nous rend sérieux! L'égoïsme alors peut prendre le dessus, tout ravager, d'autant que la compétition fait rage! Il n'est plus question de douter, de se ralentir, et si la domination nous mène, elle paraît si naturelle que nous ne la reconnaissons plus! Nous pouvons penser qu'il n'y a pas d'autre état et le message évangélique devient par exemple subitement dérisoire!

    L'adulte, qui a toujours son œil d'enfant, lui comprend que les peintures pariétales sont d'abord destinées à éblouir, à épater et donc aussi... à dominer (même si l'expérience est à l'intérieur et dans la nuit!) On ne comprendra pas toutes leurs significations, car chaque époque a ses codes, mais leur but est le même que nos monuments contemporains: on veut "en mettre plein la vue" aux voisins! Notre fête pour le jour de l'an est la plus réussie! Chaque commune, en France, s'est construite autour d'une église qui devait être plus belle, plus imposante, plus riche, que celle du bourg voisin! Son orgue notamment était à chaque fois le meilleur! L'artiste flatté, mais aussi pour vivre, se met au service des puissants!

    Les alignements de Carnac, les pierres de Stonehenge, les statues de l'île de Pâques, d'abord du "m'as-tu-vu", de l'"esbroufe", de la performance, de l'autorité! Il ne saurait en être autrement! C'est la domination, l'individualisation, l'affirmation de soi, pour dire qu'on est là, fort, talentueux et par conséquent c'est aussi tout le groupe qui est affermi! Mais il faut être soi-même détaché de sa propre domination, pour en rester conscient! Ceux qui cavalent sur le dos de la seule raison se perdent et ne sont pas l'avenir! Ils prennent et écrasent comme les autres!

    Mais la réaction de la domination, de l'orgueil, de l'égoïsme est toujours la même face au miroir: elle est haineuse et rejette! On dit au militant de gauche: "Vous voulez chasser ceux qui ont trop de pouvoir? Fort bien, mais il faudra aussi penser à vous changer vous-mêmes! Sinon, c'est remplacer une domination par une autre! Vous au pouvoir, ce sera peut-être et même sans doute pire!"

    Evidemment, c'est l'hostilité, la seule réponse! On veut bien trouver des coupables, mais pas question de se diminuer! On est des victimes, c'est les autres les méchants! De même, on explique à la droite conservatrice: "Vous avez à cœur d'aider le pauvre et de remplir vos devoirs religieux? Rien de plus louable, mais vous devez commencer par perdre vos privilèges, votre position dominante, car c'est cela qui vous empêche d'être bons et même  libres!"

    Bien sûr, on a plus de succès auprès des oiseaux et la religion elle-même n'échappe pas au piège de la domination, puisqu'elle a créé le "sacré", comme si Dieu était un directeur, un PDG inaccessible, exigeant de passer par des sous-fifres! Jésus, par contre, va jusqu'au bout: il s'offre pour bien montrer qu'il ne s'agit pas de commander! Il n'y a pas a priori de foi plus profonde! Mais c'est d'ailleurs un problème pour l'OED: comment faire comprendre sans s'imposer?

    Curieuse humanité qui croit qu'elle peut vivre comme les animaux, alors qu'elle a une conscience! Etrange humanité qui se retient à l'instinct, alors qu'elle peut s'en affranchir! Désespérante humanité qui veut asservir, pour ne pas sentir sa liberté!

    Jeudi 11 mars: de nouveau la tempête souffle dehors et amplifie le sentiment de notre isolement! Certains doivent avoir les nerfs à bout et je ne suis pas loin moi-même de l'exaspération! Mais je ne perds pas de vue pourtant le vrai nord! De quoi ai-je besoin? De me nourrir et aussi de sentir que j'existe, que je suis aimé et non un groupe d'atomes emporté par le vent!

    Pour cela, je m'appuie sur ce que je sais de la vie et qui est le fruit de mon travail depuis toujours! Car pour moi, le véritable travail, c'est de réfléchir à la nature des choses et surtout du mal! C'est d'essayer de comprendre d'où vient la souffrance, ce qui conduit à lutter d'abord contre son propre égoïsme! Pour faire court, travailler, c'est développer sa spiritualité ou aimer Dieu!

    Je ne vois pas de tâche plus difficile et si on s'efforce à la patience, de dompter le fauve qui est en nous et qui ne demande qu'à rugir, à cause de sa haine, on s'aperçoit que tous autour n'y parviennent pas et qu'ils sont au contraire prompts à céder à la colère et au mépris, quel que soit leur métier! Cette différence est la preuve de notre travail!

    Et à force de perdre, car on n'a eu de cesse d'abandonner ses "droits", on finit pourtant par être gagnant! Imaginez ce qu'il faut à ceux qui sont esclaves de leur domination! Puisqu'ils n'ont pas de vie intérieure, ils doivent chaque jour demander aux autres la marque de leur valeur, de leur supériorité! Ils ne peuvent se passer de la télévision, car elle leur sert tout de même de repère, mais surtout ils consultent incessamment Internet ou leur Smartphone! L'environnement est partout sollicité sans fin!

    Comment pourrions-nous alors ne pas épuiser la Terre et nous-mêmes? Comment éviter la haine ou nous rendre disponibles, alors que nous avons tant de besoins? Plus de réseau? Mais combien ne deviendraient pas fous ou assassins!

    C'est normal d'avoir peur, puisque nous sommes en face d'un gigantesque inconnu, créé par la conscience! Mais, plutôt que d'avouer ce simple sentiment, nous préférons mille fois conduire les autres à la baguette, pour justement échapper à notre angoisse! Nous terrorisons pour devenir les maîtres et c'est la peur de l'esclave qui chasse la nôtre! Comment notre quotidien pourrait-il ne pas en être destructeur?

    Celui qui respecte encore, malgré ses craintes, celui-là oui est dans la cour des grands! Les autres...   Mais je suis encore faible et je reçois avec plaisir la visite de Friant. "Comment ça va? me demande-t-il.

    _ Je m'en remets peu à peu...

    _ Bien! Dites Cariou, il est où le vaccin? Faut quand même qu'on le récupère!

    _ Bien sûr, mais il devait être avec Cressant!

    _ L'ennui, c'est qu'on a tout fouillé là-bas, y compris chez Morizur, et nulle trace du vaccin!

    _ J' comprends pas...

    _ Ecoutez, j'ai un fauteuil roulant dans le couloir... J' vous mets d'ssus et on va au labo! Remis dans la situation, vous allez p't'-être avoir un souvenir profitable!"

    Nous fîmes comme avait dit Friant et devant la paillasse, je cherchai à me remémorer les événements... "Allez, Cariou, faites encore une effort! insista Friant.

    _ Mais je vous l'ai déjà dit... Y avait bien une petite boîte, mais c'est Cressant qui l'a ramassée!

    _ Pas vous donc! Désolé Cariou, mais je n' marche pas! dit encore Friant en sortant une arme. Y a qu' vous qui avez pu dissimuler le vaccin!

    _ Il faut parler! lançe Sophie Prémel derrière."

    Je regarde à nouveau cette femme et je me rends compte que je l'ai mal jugée! Non seulement elle a un corps magnifique, mais c'est surtout son visage qui est d'une beauté à couper le souffle! La lumière y vient comme sur un récif doré! On a l'impression qu'elle-même peine à porter ses rayons!

    Mais ses yeux sont aussi d'une dureté extraordinaire et ne veulent que la soumission, ce qui fait que Friant a perdu la tête! "Si vous ne répondez pas, reprend celui-ci, je vais être obligé de vous tirer dans les jambes!" Mais soudain nous entendons un grand fracas et c'est Sophie Prémel qui a renversé un plateau et qui titube! Elle a un regard horrifié et une main sur le cœur! Puis, elle s'écroule! "Non! crie Friant qui se précipite vers elle.

    _ Ne la touchez pas, bon sang, Friant! Elle a le virus!"

    Mais il ne m'écoute pas et pleure son amour. Je ne reste pas inactif et me dirige vers la porte du fond... Derrière, j'entends la voix de Friant: "Tout ça, c'est de votre faute, Cariou!" et une balle vient faire exploser un bocal juste au-dessus de ma tête! Je passe la porte et la referme aussitôt! Où suis-je? Dans un garage! Il y a là une moto neige et l'équipement qui servaient à Cressant, pour faire ses récoltes comme il voulait!

    Je m'habille et démarre l'engin! Mon idée est de rejoindre l'entrée principale de la station et d'avertir les autres du double danger que constitue Friand. Mais, une fois dehors, je suis pris dans la tourmente, alors que je dois contourner un éperon rocheux! Je crois l'avoir dépassé, mais je me trompe: il y a encore de la glace devant moi! Finalement, je finis par admettre que je suis perdu, et puis soudain j'aperçois des lumières et je pique dessus!

 
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